CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 Le général Eisenhower avait coutume de dire, dans un mélange de sagesse et de résignation: « Les plans échouent toujours, mais la planification est essentielle. » La position de Foch (son prédécesseur comme premier SACEUR !) était à première vue différente, en tout cas plus volontariste :

2

Toutes les fois que vous avez une tâche à remplir, considérez-là soigneusement. Rendez-vous exactement de ce qu’on exige de vous. Mais faites un plan et, pour l’exécuter comme il faut, donnez-vous une méthode ; n’improvisez pas. Quant à l’essentiel pour exécuter votre plan, c’est la volonté, une volonté opiniâtre. [1]

3 Sans doute peut-on voir là les deux pôles entre lesquels évolue la tension dialectique entre planification et exécution, entre lesquels se situent également les chefs, les états-majors, et même les traditions des enseignements militaires supérieurs des différents pays. Mais tout le monde est d’accord sur l’importance vitale de la planification stratégique, à laquelle ce numéro de Stratégique est consacré.

4 La vraie question, et la vraie différence, se situent entre les méthodes de planification impérative, aboutissant à des plans détaillés qui doivent être strictement respectés par les exécutants, et la planification par objectifs (l’Auftragstaktik des Allemands) qui laisse une large liberté de manœuvre et d’initiative aux échelons subordonnés. Il n’y a pas là de formule définitive, absolue, la méthode allemande par objectifs a triomphé en 1870 et 1940, elle a échoué en 1914. En 1918 l’OHL planifie de façon beaucoup plus précise et contraignante. Même évolution pendant la deuxième guerre mondiale.

5 En fait, cette question dépend largement de la qualité des états-majors dont une armée dispose. Après les purges staliniennes, l’Armée rouge se retrouve en 1941 fort dépourvue dans ce domaine : comment faire autrement que de planifier minutieusement les opérations, et d’imposer cette planification aux exécutants, même si elle est mal conçue ou dépassée par le développement des combats, car de toute façon, livrés à eux-mêmes, les échelons inférieurs seraient incapables de manœuvrer correctement. [2] En face la Wehrmacht, tant qu’Hitler la laisse à peu près tranquille, peut accorder une grande marge d’initiative à ses différents états-majors, à tous les niveaux, étant la qualité et l’homogénéité de la formation de leurs membres. [3] Dans ce domaine, les circonstances et l’opportunité commandent aussi largement.

6 Mais ce sont les deux pôles opposés d’un continuum qui comporte des possibilités intermédiaires, comme la planification par scénarios. En fait il s’agit de la partie la plus difficile de l’Art de la guerre, que ce numéro de Stratégique balaie largement, avec une partie théorique, qui souligne la difficulté de l’exercice. En effet, comme le montre Anne Marchais-Roubelat, la planification stratégique est en quelque sorte un oxymore, et on parlerait volontiers de la tristesse du Stratège, placé devant une tâche impossible. En même temps la planification est une science de l’action, dont Fabrice Roubelat fait la théorie, théorie indispensable et très originale. Capitale propédeutique présentée par celui qui a conçu et préparé ce numéro.

7 Quatre études de cas illustrent cette approche, avec la méthode française de planification (Louis Pena), celle de l’OTAN (Diego A. Ruiz Palmer), celle de l’URSS en 1979 en Afghanistan (Philippe Sidos), la planification stratégique aérienne en 1914-1918 (Jérôme de Lespinois).

8 Matthieu Chillaud décrit l’histoire passionnante et jusqu’ici fort mal connue du Centre de Prospective et d’Evaluation, longtemps cellule-souche de la réflexion stratégique française, et Sabine Jansen celle de son homologue, pourrait-on dire, au Quai d’Orsay, le Centre d’Analyse et de Prévision, petit cousin du Policy Planning Staff du Département d’Etat américain, et lui aussi fort peu connu en fait. Tant il est vrai que tout le monde doit planifier, pas seulement les militaires.

9 Ces vues très nouvelles sur un continent obscur, pour ne pas dire inconnu, sont prolongées jusqu’à nos jours par l’entretien que le CA Laurent Isnard, commandant le CPOIA, a bien voulu accorder à Stratégique, qui l’en remercie chaleureusement. Je suis sûr que les lecteurs découvriront ce numéro avec gourmandise !

Notes

  • [1]
    Cdt. Charles Bugnet, En écoutant le Maréchal Foch (1921-1929), Paris, Grasset, 1929.
  • [2]
    Jean Lopez et Lasha Otkhmezuri, Joukov. L’homme qui a vaincu Hitler, Paris, Perrin, 2013.
  • [3]
    Gerhard P. Groß, Mythos und Wirklichkeit. Geschichte des operativen Denkens im deutschen Heer von Moltke d. Ä. bis Heusinger, Schöningh, 2012. Mungo Melvin, Manstein. Hitler’s Greatest General, Londres, 2011.
Georges-Henri Soutou
de l’Institut
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Mis en ligne sur Cairn.info le 21/12/2016
https://doi.org/10.3917/strat.113.0007
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