CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 Il y a un siècle se déroulait la première guerre mondiale. Les commémorations de son centenaire continuent d’interroger à la fois les origines et les conséquences de ce conflit inédit par son intensité et son ampleur. [2] La disparition des derniers témoins directs de ces événements n’a en rien estompé le souvenir de cette Grande Guerre et la nécessité d’en comprendre les tenants et les aboutissants. Deux raisons selon nous expliquent cette nécessité. D’une part, la profondeur des blessures subies lors de cette « première guerre des peuples contemporaine » motive cette exigence mémorielle. [3] D’autre part, l’importance croissante que revêt la première guerre mondiale comme « point de départ d’un monde nouveau » [4] justifie la nécessité de continuer aujourd’hui à interroger cette période pour mieux connaître notre époque.

2 Quels éclairages la Grande Guerre peut-elle apporter sur les conflits contemporains ? Est-il possible de repérer des singularités propres au premier conflit mondial pour les mettre en perspective avec certains aspects spécifiques liés aux conflits contemporains ? En d’autres termes, peut-on souligner certaines lignes de fracture et certains points de convergence, relever certaines ressemblances et certaines dissemblances, certaines continuités et certaines ruptures entre la première guerre mondiale et les conflits qui suivirent ?

3 Cette contribution, avec toute la prudence qu’impliquent de telles comparaisons historiques, entend proposer quelques pistes de réflexion à ces questions au travers d’une lecture qui croise deux aspects : d’une part la nature de la guerre et la manière de faire la guerre, d’autre part la nature hétérogène de la structure du système international et le contexte dans lequel les guerres se déroulent. [5] Cette lecture ontologique permet de comparer des séquences historiques les unes au regard des autres et d’en souligner certains traits communs et certaines divergences. L’exposé qui suit procède de manière chronologique et fait de la première guerre mondiale le point de repère, la référence avec laquelle seront comparées les différentes périodes historiques. Cette présentation porte tout d’abord sur les convergences et les divergences entre la première guerre mondiale et la seconde guerre mondiale, puis sur les ressemblances et les dissemblances avec les conflits de la période de la Guerre froide, et enfin sur les continuités et les discontinuités avec les conflits contemporains, cent ans après la Grande Guerre.

La première et la seconde guerre mondiale : convergences et divergences

4 La première et la seconde guerre mondiale présentent un certain nombre de similitudes du point de vue de leur nature et de la structure du système international à laquelle elles se rapportent.

5 Ce sont tout d’abord des guerres interétatiques. Elles ont pour principaux protagonistes des États même si certains acteurs non étatiques ont pu jouer un rôle dans leur déclenchement ou leur déroulement. Ces deux conflits sont également des guerres mondiales du fait du nombre d’acteurs qu’elles impliquent et de leur situation géographique. Un très grand nombre d’États dans le monde ont pris part à l’un ou l’autre de ces conflits, pour certains aux deux, qu’ils soient européens ou non-européens (les États-Unis, le Japon, la Chine, la plupart des États d’Amérique latine ou des colonies d’Afrique).

6 Il s’agit aussi de guerres totales dans les moyens mobilisés qu’ils soient humains (militaires et civils), économiques et idéologiques. [6] L’intensité du conflit, la violence des combats, la disparition de la frontière entre militaires et civils, le nombre de morts, la mobilisation de toutes les ressources des belligérants, l’ensemble de ces aspects témoignent du caractère total de la guerre. [7]

7 Ce sont des guerres paroxysmiques, ce qui explique d’ailleurs leur caractère total. Cet aspect, mis en lumière par le stratège prussien Carl von Clausewitz, insiste sur les logiques de « montée aux extrêmes de la violence » qui caractérisent les guerres classiques.[8] Le progrès scientifique et l’innovation technologique, le développement et l’expérimentation de nouvelles armes de plus en plus destructrices pour les soldats et les populations civiles (artillerie, canons à longue portée, chars, navires, sous-marins, bombardement visant des civils, violences sexuelles qui préfigurent déjà l’émergence plus tardive du viol comme arme de guerre, emploi d’armes chimiques et nucléaires) ont été des facteurs déterminants de la montée aux extrêmes au cours de ces deux conflits.

8 L’impossibilité de parvenir à une victoire immédiate et rapide d’un camp sur l’autre a accéléré cette course aux armements. Les armes nouvelles ont modifié le déroulement traditionnel des opérations militaires. Lors de la première guerre mondiale l’utilisation de la mitrailleuse, de grenades, d’obus et d’armes chimiques avait pour but de donner un avantage significatif sur l’ennemi. Ces armes ont favorisé le développement d’une guerre de position à partir de 1915, dont les tranchées sont la tragique manifestation. Paradoxalement, elles ont eu pour conséquence d’augmenter considérablement de nombres de victimes sans pour autant permettre de victoire décisive.

9 La Grande Guerre a également vu le développement de l’artillerie : artillerie de tranchées, défense anti-aérienne, artillerie côtière, artillerie navale. Ainsi que de l’aviation : avions de combat (chasseurs spécialisés dans l’interception d’avion ennemis ou dans les attaques au sol ; bombardiers tactiques et stratégiques), avions de soutien (spécialisés dans la reconnaissance, la surveillance ou le largage de troupes parachutistes et de transport de matériels). Elle a été le berceau d’engins de combat, tels que les véhicules blindés (chars notamment) qui remplacent la cavalerie, qui sont destinés à permettre la progression de l’infanterie sur le champ de bataille. Enfin, la guerre navale s’est transformée, avec le développement de l’artillerie navale et côtière, mais aussi avec l’apparition de nouveaux navires de guerre et surtout avec l’avènement des premiers sous-marins.

10 Les théâtres d’opération auparavant limités aux niveaux terrestres et navals se sont étendus aux niveaux aériens et sous-marins. Les armes déployées sur le champ de bataille sont à l’origine de situations de combats inédites et ont permis le développement de stratégies et de tactiques nouvelles. C’est le cas des bombardements tactiques ou stratégiques (comme les bombardements réalisés par des zeppelins allemands au début de la première guerre mondiale sur différentes villes et champs de bataille, les bombardements anglo-américains entre 1940-45, les bombardements Américains sur Hiroshima et Nagasaki), ou encore les stratégies de blocus naval (comme le blocus mis en place par les alliés franco-anglais pour bloquer le ravitaillement des Empires centraux, ce qui poussa l’Allemagne à développer une guerre de course sous-marine à partir de fin 1914, ou encore celui mis en place par les États-Unis contre le Japon durant la Guerre du Pacifique).

11 Les dimensions mondiales, totales, paroxysmiques, l’intensité et l’ampleur des conflits de 1914-18 et 1939-45 peuvent être expliquées, au moins en partie, par la nature particulièrement hétérogène de la structure du système international qui fait de ces deux grandes guerres des guerres majeures.[9] Le degré important d’hétérogénéité explique le recours à un niveau de violence exceptionnel de la part des acteurs. Ces deux guerres réunissent « les puissances les plus importantes du système international qui utilisent l’ensemble de leurs ressources et armements dans un conflit de plusieurs années avec les conséquences politiques que cela implique. » [10] Ce sont des guerres pour l’hégémonie dont le but est la transformation (tentative d’homogénéisation) de l’ordre international. La première guerre mondiale marque le début de la mutation du système international qui était jusqu’alors dominé militairement, technologiquement, culturellement, économiquement et financièrement par l’Europe. Elle marque la fin de l’impérialisme des États européens sur le monde. La seconde guerre mondiale viendra par la suite achever cette transformation.

12 Si les continuités qui existent entre la première et la seconde guerre mondiale sont nombreuses, les dissemblances sont tout aussi importantes. [11] La première différence porte sur la nature de l’équilibre du système international. La première guerre mondiale oppose des États-nationaux et des empires multinationaux. Cette hétérogénéité n’empêche pourtant pas la création d’un équilibre relativement strict entre Européens qui est l’héritage du Concert européen du xixe siècle. Paradoxalement, l’instrument qui permet la réalisation de cet équilibre relativement strict, le jeu des alliances, du fait de l’hétérogénéité des acteurs et de la nature de la structure du système international, est à l’origine du déclenchement de la première guerre mondiale. L’impossibilité du jeu des alliances à maintenir cet équilibre strict s’explique par la conjonction entre la nature hétérogène du système et le processus de mondialisation. L’hétérogénéité, amplifiée par la mondialisation, explique également le phénomène de montée aux extrêmes du conflit, son intensité, son caractère mondial et total. La guerre entre hétérogènes implique une utilisation illimitée de la violence qui s’achève avec la suppression des perturbateurs. Ainsi, le Premier conflit mondialisé a pour conséquence la disparition de l’Autriche-Hongrie, de l’empire Ottoman et de l’empire Russe. [12]

13 La seconde guerre mondiale oppose quant à elle des démocraties et des régimes totalitaires (fascisme, nazisme, communisme), dont les origines remontent à la première guerre mondiale et même au-delà. L’équilibre de l’ordre européen est, à cette période-là, beaucoup plus instable et précaire qu’il ne l’était avant la première guerre mondiale. Les origines de l’hétérogénéité sont politiques (absence de reconnaissance entre les acteurs) et idéologiques (systèmes de représentations antagonistes). La crise économique mondiale, le développement d’une économie de guerre, et la mondialisation du conflit viennent se surajouter à ces questions politiques et idéologiques. Ainsi, la seconde guerre mondiale achève la transformation de l’ordre européen et international débuté avec la Grande Guerre (occupation de territoires, comme en Allemagne, guerres civiles consécutives au conflit comme en Grèce et en Chine, changements de régimes politiques notamment en Europe centrale et de l’est). Cette guerre hégémonique, dans la continuité de la première guerre mondiale, est une guerre totale. [13]

14 En définitive, ce n’est pas la finalité mais ce sont les causes de la guerre qui diffèrent entre la première et la seconde guerre mondiale. En 1914-1918 la guerre s’explique par la volonté des États européens de préserver leurs avantages territoriaux, politiques ou économiques ou alors d’en gagner de nouveaux. Les causes de la guerre sont extérieures, elles se trouvent dans le processus de mondialisation qui vient amplifier l’hétérogénéité et rompre l’équilibre strict qui maintenait l’ordre du système européen. En 1939-1945 les causes de la guerre sont internes au système européen, elles sont politiques et idéologiques. La rupture de l’équilibre trouve ses origines dans les régimes politiques antagonistes des États européens.

15 La seconde différence concerne les stratégies militaires et les moyens de propagande en direction des populations civiles. Durant la première guerre mondiale les stratégies sont essentiellement défensives alors que la seconde guerre mondiale voit l’apparition de nouvelles stratégies militaires qui misent sur la rapidité et la puissance des forces armées. Les populations civiles deviennent des cibles privilégiées. Les moyens accordés à la propagande ne sont pas les mêmes. Si le premier conflit mondial témoigne déjà d’une guerre psychologique, la seconde guerre mondiale quant à elle utilise des moyens de propagande jusqu’alors inédits destinés à convaincre l’opinion publique qui est désormais considérée comme un acteur du conflit. Cette guerre idéologique et psychologique préfigure déjà la Guerre froide.

16 Malgré les points de divergence mis en évidence il existe entre les deux guerres mondiales une continuité évidente. Certains historiens considèrent d’ailleurs cette période de conflictualité, entrecoupée de trêves, comme une « guerre civile européenne » [14] qui porte à son paroxysme la division des États européens et la violence de leurs rapports. Elle entraîne deux transformations fondamentales du système international. D’une part, l’émergence de nouveaux pôles de puissance, les États-Unis et l’Union soviétique qui instaurent, au lendemain de la seconde guerre mondiale, une nouvelle ère de conflictualité : la Guerre froide. Elle implique d’autre part, la réconciliation des États européens et la reconstruction de l’Europe par le développement de relations de coopération qui trouveront dans l’idée de Communauté européenne, puis d’Union européenne, leur expression la plus forte. Au système international européocentré, multipolaire, hétérogène et instable du début du xxe siècle, succède un système international globalisé, bipolaire, hétérogène du point de vue idéologique mais paradoxalement plus stable grâce à l’avènement du feu nucléaire.

La Guerre froide au miroir de la première guerre mondiale : ressemblances et dissemblances

17 Au premier abord il n’existe pas beaucoup de points communs entre la première guerre mondiale et la période de la Guerre froide, période de « paix impossible et de guerre improbable », pour reprendre la formule de Raymond Aron. [15] Il semble que le phénomène de montée aux extrêmes ait disparu avec l’apparition de l’arme nucléaire – utilisée pour la première et unique fois au Japon en 1945 – et l’instauration de doctrines encadrant son emploi. Cette arme nouvelle conditionne non seulement la nature de la guerre mais également la nature du système bipolaire puisqu’elle favorisera une relative stabilité de l’ordre international. [16]

18 Le duopole thermonucléaire a favorisé le développement de deux modes stratégiques « la dissuasion et l’action indirecte. » [17] Si la première réduit l’emploi de cette arme à des situations de riposte, la seconde quant à elle met l’accent sur la nature nouvelle des relations conflictuelles entre puissances nucléaires. L’autonomisation du phénomène de crise comme forme de conflictualité à part entière dans le spectre des états de conflits est la conséquence de cette impossibilité pour les deux superpuissances de s’affronter directement dans une guerre de type conventionnelle. La crise de Cuba, en 1962, témoigne de cet état de fait et du blocage du mécanisme de montée aux extrêmes. Comme le souligne Lucien Poirier, en référence à Carl von Clausewitz, l’arme nucléaire en soi n’a pas modifié les buts politiques des États mais elle a augmenté significativement les coûts de la guerre. [18]

19 Durant la Guerre froide, les guerres interétatiques sont plus limitées car les logiques de montée aux extrêmes sont freinées par les réseaux d’interdépendances complexes dans lesquels les États sont engagés ou sont bloquées par le mécanisme de dissuasion nucléaire. [19] La guerre de Corée constitue une excellente illustration de cette situation. Elle témoigne du fait que la guerre interétatique est toujours possible (et ainsi des limites de la dissuasion) ainsi que du caractère géographiquement et militairement circonscrit que prend la guerre entre grandes puissances (et donc de l’efficacité de cette même dissuasion).

20 Si les guerres interétatiques sont moins nombreuses, en revanche, on compte de plus en plus de conflits asymétriques, qui opposent des acteurs étatiques à des acteurs non étatiques, des soldats à des partisans, ou/et des conflits dissymétriques qui témoignent d’un différentiel de puissance important entre les acteurs. Les stratégies d’actions indirectes sont à l’origine de luttes contre-insurrectionnelles, de guerres non-conventionnelles, de guerres irrégulières, de guerres révolutionnaires (« reposant sur les préceptes de penseurs et stratèges tels que Trotski, Giap ou Mao » [20]). Ces « petites guerres », comme les nommait Clausewitz, impliquent des acteurs non étatiques et se déroulent avant tout sur le terrain des idéologies, ce qui nécessite une adaptation des forces armées conventionnelles en particulier dans le domaine de la guerre psychologique. [21] Malgré l’arsenal dont les États disposent, notamment les superpuissances, la victoire sur le terrain est rendue de plus en plus difficile, voire impossible dans certains cas, du fait de la mobilisation idéologique de l’adversaire et de la disparition progressive de la frontière qui existait entre le soldat et le civil. L’érosion de cette séparation entraîne une transformation de la notion d’ennemi et le développement de la figure du partisan, acteur central des guerres irrégulières, dont le sacrifice trouve son sens dans la ferveur de ses convictions. [22]

21 Ces conflits prennent notamment la forme de guérillas, soutenues idéologiquement, politiquement, financièrement et matériellement, par l’une ou l’autre des deux grandes puissances. Ils se déroulent le plus souvent à la périphérie des zones d’influence des deux superpuissances et sont particulièrement violents et meurtriers. Ces conflits périphériques dits de basse intensité n’ont rien en commun avec les conflits de la période précédente qui étaient des conflits essentiellement interétatiques se déroulant au sein du système européen dominant et dont l’intensité était particulièrement importante du fait de leur caractère total et de leur mondialisation. [23]

22 En définitive, les conflits de la Guerre froide tendent à être plus circonscrits, leur extension potentielle étant synonyme, pour les Deux Grands, de risque de montée aux extrêmes et d’affrontement nucléaire. Alors que les deux guerres mondiales étaient le fruit d’une rupture de l’équilibre dont les causes étaient externes, la mondialisation, et internes, la nature des régimes politiques. L’État était alors l’acteur central des deux conflagrations mondiales. Les conflits qui se déroulent durant la période de la Guerre froide ne relève pas des mêmes logiques de ruptures de l’équilibre. Ils sont la conséquence de l’hétérogénéité idéologique qui existe entre les deux superpuissances et de la différence de nature qui existe entre les acteurs étatiques et non étatiques.

23 La Guerre froide constitue également un conflit singulier parce qu’il s’agit d’un « conflit prolongé » entre l’Union soviétique et les États-Unis. [24] La durée de cet état de conflit s’explique notamment par la nature bipolaire du système international. Cette bipolarité est différente de celle qui s’est mise en place lors de la première et de la seconde guerre mondiale. Dans le cas de la première guerre mondiale la bipolarité est instituée par « l’effacement du tiers » [25], qui marque le passage de la crise à la guerre c’est-à-dire la polarisation des acteurs en deux alliances, la Triplice (Empire allemand, Royaume d’Italie, Empire austro-hongrois) et la Triple Entente (France, Royaume-Uni, Russie impériale). On retrouve un mécanisme identique de bipolarisation dans la période qui précède la seconde guerre mondiale. La Guerre froide oppose quant à elle deux camps idéologiques réunis en deux alliances, l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) et le pacte de Varsovie. [26]

24 L’analogie avec la première guerre mondiale s’arrête là puisque l’antagonisme idéologique de la Guerre froide est établi sur un principe régulateur, la dissuasion nucléaire, qui empêche toute confrontation directe et bloque ainsi le mécanisme de montée aux extrêmes. Cette particularité, la nature de la bipolarité nucléaire et la stratégie de dissuasion combinée aux stratégies classiques, explique le caractère prolongé de cet état de tension, qui est central et structure le système international, ainsi que la multiplication de zones sensibles, de conflits périphériques limités et de basse intensité. La Guerre froide repose sur un paradoxe : d’une part la stratégie de dissuasion nucléaire a produit un équilibre strict, d’autre part les stratégies indirectes, conséquences de la dissuasion, ont accru les vulnérabilités des deux superpuissances et ont complexifié les relations internationales. L’hétérogénéité des formes de conflictualité témoignent de cette situation nouvelle où s’entremêlent deux processus convergents : la décolonisation et l’extension des sphères d’influence des Deux Grands. [27]

25 Le caractère prolongé de la Guerre froide et la stabilité relative de l’ordre international ne tient pas uniquement au duopole nucléaire. Il s’explique également, au moins au Nord, par la place qu’occupe le droit dans le système international depuis 1945. En comparaison, le système international de 1914-1945 est beaucoup plus instable et témoigne d’une plus grande immaturité, au sens où l’entend Barry Buzan. Les différentes institutions, procédures ou réglementations mises en place depuis la fin du xixe siècle n’avaient ni empêché, ni limité la violence des deux premiers conflits mondiaux.

26 À partir de 1945, avec la signature de la Charte de San Francisco et la création de l’Organisation des Nations Unies (ONU), le système international opère un décentrement progressif avec l’institutionnalisation et de la juridicisation de la vie internationale au détriment du rôle central de l’État. [28] Le Conseil de Sécurité, outil de la Charte des Nations Unies pour la paix et la sécurité internationales, et les normes mises en place, même si elles n’ont pas pu empêcher la guerre dans un certain nombre de cas, ont tout de même contribué à en limiter les effets. [29] Ce cadre institutionnel témoigne de contraintes morales nouvelles qui désormais pèsent sur les États. Ces contraintes les obligent à développer des relations multilatérales pour discuter sur les grandes questions internationales telles que celles liées au droit des peuples à disposer d’eux même (décolonisation) ou au désarmement (dissuasion).

27 Cette diplomatie multilatérale ouverte et transparente (qui rappelle les recommandations formulées par le président américain Woodrow Wilson durant l’entre-deux guerres), s’inscrit en opposition avec la tradition diplomatique des États européens d’avant-guerre qui reposait sur le secret et sur la puissance. Elle est à l’origine de la mise en place du premier système de sécurité collective et a pour objectif d’inverser le dilemme de sécurité en créant des réseaux d’interdépendance et d’échanges constructifs entre les États.

28 Malgré ces divergences il est cependant possible de repérer des points de convergence entre la première guerre mondiale et la Guerre froide. Première similitude, la dimension idéologique de ces conflits et le recours à des stratégies qui combinent l’emploi d’éléments matériels et immatériels de la puissance. La Guerre froide est héritière des instruments, techniques, outils de propagande et de renseignement, utilisés lors des deux premiers conflits mondiaux qui étaient déjà des guerres psychologiques et médiatiques. Avec la Guerre froide ces techniques et outils se sont considérablement modernisés et ont trouvé, avec l’essor de nouvelles technologies de l’information et de la communication à partir des années 1970, de nouvelles potentialités. La Guerre froide, dans la continuité de la première guerre mondiale et de la seconde guerre mondiale, est une guerre hors norme qui repose autant sur la puissance tangible des États, leurs armes et armées, que sur leurs ressources intangibles, comme leur culture, leurs valeurs, l’attraction que constitue leur régime politique ou leur modèle de société (le soft power de Joseph S. Nye). [30]

29 Du point de vue des moyens on peut également observer certaines similitudes entre la première guerre mondiale et la Guerre froide notamment en termes d’innovation technologique. [31] Durant la Guerre froide les innovations technologiques et militaires témoignent de progrès considérables qui sont produits par la course aux armements, dans le domaine nucléaire notamment, et par la course à la conquête spatiale. Une nouvelle génération d’armes, de munitions, de matériels (radars ou autres systèmes d’information et de communication), d’avions, de chars ou de missiles se développe et amène à une nouvelle extension du champ de bataille. Jusque-là terrestre, naval, depuis 1914-1918, aérien, avec la conquête spatiale il devient extra-atmosphérique.

30 Au niveau systémique on peut également repérer au moins trois caractéristiques communes entre le système international de la première guerre mondiale et celui de la Guerre froide. Tout d’abord, dans les deux systèmes internationaux les grandes puissances sont des institutions des relations internationales. Dans le système international de la Guerre froide les « superpuissances » ont un rôle fondamental dans la régulation des comportements des États, le feu nucléaire leur conférant des responsabilités supplémentaires aux yeux de la communauté internationale. [32]

31 Ensuite, comme le montre Georges-Henri Soutou, la « guerre froide » a également été une « guerre majeure ». Il convient de distinguer « d’une part des guerres paroxysmique, comme les deux guerres mondiales, avec montée aux extrêmes de la violence […] ; et de l’autre des guerres de longue durées, comme la guerre de Trente Ans ou la guerre de Cent Ans. » [33] La Guerre froide, en tant que conflit prolongé, entre dans le cadre des « guerres majeures » même si elle est restée, pour les raisons évoquées précédemment, « limitée » et « en partie virtuelle. » [34] Il n’en demeure pas moins qu’elle a été une guerre hégémonique qui visait la domination mondiale.

32 Enfin, comme le souligne Serge Sur, la première guerre mondiale à ceci en commun avec la Guerre froide qu’elle est la toile de fond de la naissance d’une puissance socialiste appelée à jouer un rôle majeur dans le système international. [35] La Grande Guerre a été le théâtre de la révolution bolchévique de 1917 qui a mis fin à la Russie impériale et a permis la proclamation, en 1922, de l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques. De même, le début de la Guerre froide a vu naître en 1949 la République populaire de Chine, fruit d’une longue guerre civile débutée en 1927. L’émergence de cette puissance asiatique n’est pas sans rappeler le rôle majeur joué par le Japon dans la guerre de 1914-1918 et la place qu’occupe la Chine dans le système international post-Guerre froide.

Les conflits armés un siècle après la première guerre mondiale : continuités et les discontinuités

33 Le système international post-Guerre froide voit émerger un monde nouveau qui, a priori, possède peu de points communs avec celui du début du xxe siècle. Tout d’abord, le mouvement de transnationalisation, qui s’est accentué durant la Guerre froide, a accru le phénomène d’interpénétration des milieux interne et externe et des ordres public et privé. La porosité de ces frontières traditionnelles a entraîné un accroissement des vulnérabilités des États. [36]

34 Ensuite, si la première guerre mondiale avait vu la disparition des empires européens, la période qui s’ouvre voit l’émergence de nouveaux empires : ils sont économiques (multinationales) ou financiers (fonds d’investissement). [37] Dans un monde globalisé, la puissance du capitalisme leur confère la capacité d’influencer les États et dans certains cas de faire plier les gouvernements. En réaction à ces nouveaux empires et en résistance à l’homogénéisation du monde sur la base du modèle libéral occidental, certains acteurs transnationaux trouvent dans des « zones grises » un terreau fertile à leur développement.

35 La transformation de la figure de l’ennemi, déjà initié durant avec la Guerre froide, continue à se réaliser avec des connexions désormais multiples entre réseaux terroristes, groupes mafieux, firmes multinationales, États, quasi-États, États faillis ou en faillite, etc. On assiste, comme le relevait déjà Martin van Creveld, à une « criminalisation croissante » de l’ennemi et à un non-respect grandissant du droit de la guerre qui est la conséquence de cette transformation de la notion de combattant.[38] La conception traditionnelle du partisan, et ses modes d’action, doivent donc être revisités à l’aune de l’avènement d’une nouvelle classe de combattants, non-militaires, aux allégeances multiples. Ces combattants sont engagés dans une guerre globale qui se déroule aussi bien des espaces virtuels que dans des espaces physiques réels contre des soldats traditionnels.

36 À cette déterritorialisation et cette privatisation de la violence s’ajoute une virtualisation des menaces et de la guerre. L’innovation technologique qui permet cette virtualisation de la menace renvoie aussi bien aux acteurs étatiques et non-étatiques, aux systèmes d’armes qu’aux technologies de l’information et de la communication. Elle se traduit par la présence des groupes armés non étatiques sur les réseaux sociaux, par des cybermenaces qui pèsent contre les centres de pouvoirs, politiques, économiques ou financiers et par des cyberattaques qui sont menées contre les intérêts de certains États, firmes multinationales ou banques. Au niveau étatique, elle se manifeste par une surveillance accrue des territoires et des individus et par les frappes aériennes menées par de drones. [39] Les satellites et moyens de communications, tenues de combat interactives (type FELIN, Fantassin à Equipements et Liaisons Intégrés), missiles, etc., permettent de mener des opérations avec beaucoup plus de rapidité et de précision. L’innovation est un élément essentiel dans l’élaboration de stratégies militaires, qu’elles soient d’intervention, de frappe ou de sécurisation, comme le montre la lutte antiterroriste.

37 Pourtant, face aux conflits asymétriques l’innovation technologique n’apporte pas de solutions suffisantes. Les réalités de terrain rencontrées durant la Guerre froide (Vietnam, Indochine) sont toujours d’actualité (comme en témoigne les campagnes d’Irak ou d’Afghanistan). Dans la plupart des cas, la dissymétrie est telle que la guerre est gagnée relativement rapidement (Irak 2003). Les difficultés surviennent dans un second temps lorsque les troupes sont confrontées à des résistances organisées sur le modèle des guerres insurrectionnelles ou guérillas. [40] Ces situations d’asymétrie ont pour effet de provoquer l’enlisement des troupes et de peser lourdement sur les budgets militaires des États engagés dans ces conflits. En Afghanistan, en Irak, plus récemment en Syrie, la question du coût des interventions militaires, eu égard aux résultats obtenus et aux pertes subies, constitue un frein politique important.

38 L’internationalisation et la massification du terrorisme a également profondément modifié la grammaire de la guerre. Depuis le 11 septembre 2001, le terrorisme transnational est devenu le principal instrument des conflits asymétriques. La « guerre » contre le terrorisme, déclarée par les États-Unis après le 11 septembre, renvoie davantage à une formule rhétorique qu’à une réalité politique et stratégique. Cette « guerre globalisée contre la terreur » n’a plus rien à voir avec le duel clausewitzien. Elle concerne un conflit de longue durée, sans front, contre un ennemi difficile à saisir, où la montée aux extrêmes n’est plus un phénomène déterminant.

39 Cette constatation sur la transformation de la guerre à l’ère post-Guerre froide implique une autre divergence avec la première guerre mondiale. Elle concerne la disparition des moments clés qui faisaient la guerre classique : la déclaration de guerre, la bataille décisive et le traité de paix. La première guerre mondiale se décline au travers de certains moments (armistices, traités ou batailles) et lieux précis (Verdun, la Marne) qui sont aujourd’hui commémorés. Cela n’est plus le cas à l’ère post-Guerre froide. Ce constat remet directement en question la définition que Clausewitz donnait de la guerre, entendue comme un moment qui se distingue clairement de la paix. À un niveau plus philosophique il pose également la question du rapport au souvenir des combattants et des lieux de mémoire.

40 La période contemporaine est caractérisée par des conflits ouverts sur plusieurs fronts à la fois et sur aucun en particulier, des acteurs étatiques et non étatiques hétérogènes, qui mêlent différentes dimensions, politiques, économiques, religieuses, des violences sporadiques, physiques et symboliques, qui menacent continuellement les États et leur stabilité. Cette complexité et cette hétérogénéité rappellent bien plus la guerre de Trente ans que la Grande Guerre. Aujourd’hui, nous vivons à l’heure de « guerres hors limites » [41], c’est-à-dire de conflits « non-militaires et non-étatiques, allant des attaques cybernétiques aux spéculations monétaires hostiles. » [42]

41 Depuis la fin de la Guerre froide on ne peut que constater le déclin de la guerre interétatique. [43] Cette raréfaction des guerres entre États s’est faite au profit de deux autres phénomènes conflictuels. D’une part, l’accroissement des dynamiques d’instabilité internes aux États, guerres civiles ou insurrections populaires (comme l’illustre l’épisode du Printemps arabe), qui sont cependant « moins intenses » qu’avant 1990. [44] D’autre part, les opérations ou interventions militaires qui elles sont plus nombreuses (Côte d’Ivoire, Mali, Libye) mais qui font moins de victimes qu’auparavant. [45] Ces interventions militaires sont souvent perçues par ceux qui s’y opposent comme étant des velléités néocoloniales. Face à cette situation, aux coûts de ces interventions, les grandes puissances cherchent à intervenir le moins possible directement. [46] Lorsqu’elles interviennent l’objectif est de rester le moins longtemps sur le terrain et de chercher une mise sous tutelle rapide des territoires, la plupart du temps de l’ONU (comme en Bosnie la MINUBH, au Kosovo la MINUK ou en Irak la MANUI). On assiste ainsi à la transformation des forces armées traditionnelles en forces de police chargées de faire des opérations de maintien de paix ce qu’illustrent notamment le développement les actions civilo-militaires ou encore les nouvelles missions attribuées à des sociétés de sécurité privées.

42 Dans ce contexte, où il est important pour gagner la guerre de « convertir les cœurs et les esprits », la propagande joue un rôle important. La recherche de la domination culturelle, informationnelle et communicationnelle constitue aujourd’hui, plus qu’hier, un élément déterminant des stratégies globales. La séduction ajoutée à la coercition, combinées de manière optimum, ont ainsi pour but de permettre aux grandes puissances d’être présents à tous les niveaux de l’échiquier international, étatique, institutionnel ou non-étatique. [47]

43 L’effacement – sans doute momentané ‑ des grandes guerres interétatiques, mondiales, totales, majeures a laissé place à une multiplicité de foyers de conflits un peu partout dans le monde, à une hétérogénéité des formes de conflictualité qui parfois se superposent les unes sur les autres ou se succèdent les unes aux autres. La situation ukrainienne, aux portes d’une Europe dont l’unité est fragilisée, n’est pas sans rappeler l’opposition idéologique de la Guerre froide. Le blocage de la crise témoigne de l’impossibilité d’un affrontement militaire direct car l’enjeu nucléaire est toujours là. Les sanctions économiques et financières mises en place par les États-Unis et l’Union européenne pour faire pression sur la Russie sont pour le moment les seules mesures hostiles qui semblent envisagées et envisageables dans cette nouvelle guerre froide qui s’installe.

44 C’est également cette situation de blocage qui a été, et qui est, à l’origine de la multiplication des « frappes » à distance des puissances occidentales pour soutenir des populations en révolte contre des régimes d’oppression (en Lybie et en Syrie). Ces actions ont favorisé la capillarisation du conflit ce qui rend sa gestion de plus en plus difficile. La guerre en Irak en 2003, les interventions plus récentes en Libye, au Mali et en Syrie, ont favorisé le développement de l’organisation Daesh et sa volonté d’instaurer un califat dans cette zone. Cette organisation, qui cherche à se territorialiser, est dotée d’une armée de plusieurs dizaine de milliers de soldats (dont plusieurs milliers d’occidentaux sont venus gonfler les rangs), d’un armement pris à l’armée irakienne défaite, de moyens économiques et financiers (parmi la diversité de ses activités et de ses ressources on compte notamment la vente de pétrole, de gaz naturel, de phosphates, de ciment, le prélèvement de taxes et l’instauration d’impôts, le trafic et la contrebande, le vol et le pillage, le kidnapping). [48] Les frappes déclenchées par les alliés, la situation de blocage en Syrie et les déplacements de populations kurdes vers la Turquie accroissent l’instabilité de toute la région. Les vagues successives de migrations en direction de l’Europe, conséquence des combats en Syrie, ont généré une crise politique majeure au sein de l’Union européenne. Elles sont une manifestation parmi d’autres de l’interdépendance des acteurs à l’échelle planétaire produite par la mondialisation.

45 Dans le cas syrien, les expériences de l’Irak et de l’Afghanistan semblent avoir durablement marqué les esprits ce qui explique les craintes des décideurs politiques occidentaux à donner leur accord pour des opérations de terrain que l’on sait risquées du fait de l’incapacité des armées conventionnelles à combattre en situation de guérilla.

46 La coopération entre alliés, mais aussi entre anciens ou actuels adversaires (France, États-Unis, Chine, Russie, Iran, etc.), apparaît comme l’un des moyens pour régler certains problèmes internationaux majeurs au premier rang desquels la question du terrorisme (considérée comme un facteur de « l’attraction mondiale » [49]). Une autre solution concerne quant à elle le développement, en parallèle des stratégies militaires traditionnelles, de stratégies non-militaires qui reposent sur l’utilisation de ressources policières, économiques, financières ou culturelles dans la lutte contre le terrorisme.

47 Ces stratégies cherchent à répondre à la stratégie globale de course à la terreur mise en œuvre par des entrepreneurs privés de guerre dont les actions, locales ou internationales, sont fondamentalement transnationales (Al Qaïda, Daesh, Boko Haram, AQMI, etc.). Ces acteurs transnationaux sont bien souvent hébergés et soutenus par certains États, par certains groupes criminels ou encore par certains groupes financiers. Leur modus operandi se précise au fur et à mesure et les menaces qu’ils font peser sur les États sont à la fois internes et externes, elles visent la sécurité du territoire national (11 septembre 2001, attentats de Madrid, affaire Merah, attentat du musée juif de Bruxelles, attentats de Paris, attentats de Bruxelles), leurs intérêts vitaux à l’étranger (attaques contre des matériels d’exploitation de ressources naturelles, contre des infrastructures de communication ou de transport), ou leurs ressortissants (prises d’otage, demandes de rançons, exécutions). L’objectif est de créer un effet de surprise pour médiatiser le plus possible leurs actions et terroriser la population. Les crises majeures produites par des actes terroristes symboliques, des attentats multiples ou sur-attentats obéissants à des logiques à chaque fois inédites, auxquels les États ne sont pas préparés, sont le moyen utilisé pour atteindre cet objectif stratégique. Cette plasticité ou fluidité des menaces témoigne d’une différence fondamentale avec la première guerre mondiale.

48 Du point du vue systémique les dissemblances entre la première guerre mondiale et les conflits contemporains sont également nombreuses. Le système international post-Guerre froide est dominé militairement, culturellement, économiquement, technologiquement par les États-Unis. Cette unipolarité américaine caractérise le système international depuis 1990. [50] Les États-Unis interviennent à la tête de coalitions multinationales (comme en Irak en 1991) et d’opérations menées par une OTAN dont les missions sont redéfinies en fonction de l’évolution du contexte international et des menaces (guerre en ex-Yougoslavie en 1991, Kosovo en 1999). [51] L’émergence de puissances concurrentes aux États-Unis remet en question cette unipolarité. [52] Avec le développement de nouveaux pôles de puissance le système international, dans la continuité des transformations opérées durant la Guerre froide, s’organise progressivement de manière oligopolaire, si l’on se place du point de vue des États, et multipolaire si l’on considère l’ensemble des acteurs qui agissent sur la scène internationale.

49 Finalement, seuls deux points communs semblent émerger du passé et nous rappeler que les conflits contemporains partagent un héritage commun avec la première guerre mondiale. D’une part la concurrence de l’ONU par une multitude de nouvelles « arènes » de discussion et de négociation (G8, G20, ASEAN, etc.) qui accentuent le caractère hétérogène et multipolaire du système international, rappelant le Concert européen du xixe siècle. D’autre part, le retour des « nationalismes » et des populismes, en Europe et ailleurs dans le monde, en réponse aux crises produites par la mondialisation, aux insatisfactions et aux angoisses qu’elle a générées.

Conclusion : entre « retour de l’état de guerre » et « bel avenir de la guerre »

50 « La première guerre mondiale a permis à l’humanité de se saisir de sa globalité. » [53] Première guerre moderne, guerre de masse, guerre populaire, elle a été le moment d’une accélération dans la transformation de la guerre du point de vue technologique. Pourtant, les guerres majeures comme la Grande Guerre ou la seconde guerre mondiale, avec la montée aux extrêmes de la violence, semblent avoir disparu avec l’avènement du feu nucléaire durant la Guerre froide.

51 À l’âge contemporain, les « guerres » se sont considérablement transformées sous les effets conjugués de la privatisation de la violence, sa désétatisation et sa démilitarisation. Elles témoignent de l’émergence de conflits prolongés, véritables « zones grises entre paix et guerre », traversées par une multiplicité de crises de natures différentes. Elles témoignent également de la concurrence que rencontre la souveraineté traditionnelle des États, parfois même de leur impuissance face à des acteurs transnationaux qui modifient les agendas politiques, influencent les décisions, transforment les règles et le cadre traditionnels de l’action étatique. [54] Elles témoignent enfin, de nouvelles menaces, plus fluides, liées notamment au statut des combattants qui est de plus en plus flou, et qui imposent de nouvelles stratégies de réponse.

52 Les conflits actuels, mêlant acteurs étatiques et non-étatiques, questions d’identités religieuses et nationales, accès de violence sporadiques et longues crises, semblent éloignés du modèle de la guerre interétatique paroxysmique défini par Clausewitz. La première guerre mondiale, et avec elle la seconde guerre mondiale, fait de plus en plus figure d’exception dans le champ des relations internationales. Pourtant, ce constat n’enlève en rien la pertinence du modèle clausewitzien de la guerre, caractérisé par la montée aux extrêmes de la violence, qui reste toujours possible. D’ailleurs, la situation de paix structurelle que connaît l’Europe depuis 1945 n’écarte pas ce risque, comme en témoignent la guerre dans les Balkans dans les années 1990 et les crises récentes en Géorgie et en Ukraine.

53 Les guerres interétatiques, les guerres majeures, les guerres totales, les guerres mondiales, les guerres asymétriques et dissymétriques, sont toutes des formes particulières de la guerre entendue comme catégorie générique dérivée du conflit. Ces différentes formes peuvent se décliner selon différentes modalités en fonction des espaces géographies et des époques, elles peuvent disparaitre et réapparaître, parfois même selon des combinaisons inédites. [55] Il y a fort à penser que le « retour de l’état de guerre » est aujourd’hui une réalité. [56] Plus encore, on peut penser que le « bel avenir de la guerre » [57] ne tient pas seulement aux États, à leur nature intrinsèquement belligène, ou au contexte international qui les oblige à une attitude de défiance les uns au regard des autres, mais à cette multiplicité de formes contenues en puissance dans la guerre, qui n’ont pas encore été toutes réalisées en acte, et auxquelles les transformations des sociétés donneront naissance dans le temps.

Notes

  • [1]
    Cette contribution a été rédigée à la suite d’une communication réalisée dans le cadre des commémorations du centenaire du début de la première guerre mondiale. Elle s’inscrit dans un travail de recherche en cours sur la guerre. L’auteur tient à remercier David Cumin pour la relecture attentive de ce texte et pour ses conseils avisés.
  • [2]
    Les causes de la Grande Guerre font toujours l’objet de débats virulents. Récemment l’ouvrage controversé de l’historien britannique Christopher Clarke, Les Somnambules, cherche à montrer, non sans talent mais sans y parvenir cependant, que les « mauvaises perceptions » (au sens de Robert Jervis) des dirigeants européens leur confèrent une responsabilité partagée dans le déclenchement du conflit. Plus récemment encore l’ouvrage de l’historienne canadienne Margaret MacMillan met en lumière la multiplicité des facteurs, économiques, politiques, stratégiques, et les ressorts psychologiques qui ont amené certains décideurs politiques et militaires européens à privilégier la guerre plutôt que la paix. Christopher Clarke, Les Somnambules. Été 1914 : Comment l’Europe a marché vers la guerre, Paris, Flammarion, 2013 ; Margaret MacMillan, Vers la Grande Guerre. Comment l’Europe a renoncé à la paix, Paris, Autrement, 2014.
  • [3]
    Serge Sur, « L’été 1914, un siècle après : ruptures, dynamiques, invariants », Questions internationales, n° 68, juillet-août 2014, p. 4.
  • [4]
    Ibid.
  • [5]
    Sur le concept d’hétérogénéité voir Panayis Papligouras, Théorie de la société internationale, Genève, Kundig, 1941 ; Raymond Aron, Paix et guerre entre les nations, 1983, p. 103 et ss.
  • [6]
    Sur la guerre totale voir notamment Anthony Giddens, The Nation-State and Violence, Cambridge, Polity Press, 1985 ; François Géré, T. Widemann (dir.), La Guerre totale, Paris, ISC-Economica, 2001.
  • [7]
    Pour rappel, la première guerre mondiale a impliqué plus de 78 millions de soldats. On compte près de 10 millions de morts et au moins le double de blessés. La seconde guerre mondiale quant à elle a fait plus de 55 millions de morts. 39 millions sont Européens. La disparition de la frontière entre civils et militaires se traduit notamment par le lourd tribut payé par les civils qui est supérieur au nombre de soldats tués. Ces conflits ont mobilisé l’ensemble de la population, à l’arrière du front, pour permettre la production en masse d’armes et de munitions. Cette économie de guerre a été soutenue par les femmes dont le rôle dans la société sera transformé au sortir de ces deux guerres.
  • [8]
    Carl von Clausewitz, De la guerre, Paris, Les Éditions de Minuit, 1955.
  • [9]
    Sur les guerres majeures voir Frédéric Ramel et Jean-Vincent Holeindre (dir.), La Fin des guerres majeures ?, Paris, Economica, 2010, en particulier la contribution de Christophe Prochasson, « “Guerre totale” ou “guerre majeure” ? Sur la démesure de la Grande Guerre » (p. 105-115), ainsi que celle de Pierre Grosser, « La seconde guerre mondiale ».
  • [10]
    Thomas Meszaros, « La guerre majeure dans les théories des relations internationales », in Frédéric Ramel et Jean-Vincent Holeindre, La Fin des guerres majeures ?, op. cit., p. 17.
  • [11]
    Il existe sans doute autant de similitudes que de divergences entre la première et la seconde guerre mondiales. Pour une analyse plus approfondie de ces différences et similitudes voir la dernière partie de l’ouvrage de David Cumin, Histoire de la guerre, Paris, Ellipses, 2014.
  • [12]
    Le génocide Arménien en est une autre manifestation de cette hétérogénéité et de cette violence totale. La première guerre mondiale sera le théâtre du premier génocide du xxe siècle, entre 1915 et 1916, l’empire ottoman extermine environ 1,2 million d’Arméniens.
  • [13]
    L’intensité de la violence et le caractère total de la guerre se manifeste notamment au travers du génocide du peuple juif. Entre 1933 et 1945, environ 6 millions de Juifs sont victimes d’un massacre organisé.
  • [14]
    La formule emprunte le titre de l’ouvrage d’Ernst Nolte, La Guerre civile européenne : 1917-1945. Bolchevisme et national-socialisme, Paris, Édition de Syrtes, 2000.
  • [15]
    À la suite de David Cumin, nous distinguons ici la Guerre froide, période historique marquée par la compétition Est-Ouest et la guerre froide, concept polémologique qui renvoie à une forme de conflictualité sans violence entre deux ou plusieurs acteurs. Sur la formule de Raymond Aron voir Le Grand Schisme, Paris, Gallimard, 1948, p. 13-31.
  • [16]
    Certains auteurs comme Kenneth Waltz considèrent que les systèmes bipolaires comme celui de la Guerre froide permettent de maintenir un équilibre plus stable. L’arme nucléaire apparaît pour lui comme un facteur supplémentaire de stabilité. Kenneth Waltz, Theory of International Politics, New York, McGraw-Hill, 1979.
  • [17]
    Lucien Poirier, Essais de stratégie théorique, Paris, Les Sept Épées, Cahier n° 22 de la Fondation des Études de Défense Nationale, 1982.
  • [18]
    Ibid.
  • [19]
    Le monde de la Guerre froide voit la souveraineté des États être remise en question par le rôle de plus en plus prégnant d’acteurs non-étatiques, groupes de pression, firmes multinationales, organisations non gouvernementales. Cette transnationalisation du monde implique de fait une réduction de la marge de liberté des États. Certains spécialistes des Relations internationales dont les travaux s’inscrivent notamment dans une logique libérale, grotienne ou kantienne, considèrent que cette remise en question de la souveraineté des États est synonyme d’une obsolescence programmée de la guerre comme institution des relations internationales. Cette « hollandisation » de la société internationale est la conséquence de la mondialisation et de la réduction de la liberté des États du fait de leur interdépendance avec de nouveaux acteurs dont l’émergence est symptomatique d’une transformation des mentalités. Voir Robert Keohane, Joseph Nye, Transnational Relations and World Politics, Cambridge, Harvard University Press, 1972 ; Power and Interdependence : World Politics in Transition, New York, Longman, 2001 (1re éd. 1977), John Mueller, Retreat from Doomsday : the Obsolescence of Major War, New York, Basic Books, 1989.
  • [20]
    Pierre Pahlavi, Eric Ouellet, « Guerre irrégulière et analyse institutionnelle : le cas de la guerre révolutionnaire de l’armée française en Algérie », Guerres mondiales et conflits contemporains, 3/2009 (n° 235), p. 133.
  • [21]
    Voir notamment sur la dimension idéologique des conflits depuis la Guerre froide jusqu’à aujourd’hui, Gérard Chaliand, Le Nouvel art de la guerre, Paris, L’Archipel, 2008. Voir également du même auteur, Guerres irrégulières au xxe et xxie siècles. Guérillas et terrorismes, Paris, Gallimard, Folio, 2008.
  • [22]
    La guerre irrégulière trouve ses origines, en substance tout au moins, dans la résistance engagée dans des actions de guérilla contre les troupes d’invasion ou d’occupation durant la seconde guerre mondiale.
  • [23]
    La première guerre mondiale, comme la seconde guerre mondiale, renvoient à plusieurs conflits qui se sont déroulés simultanément dans des zones géographiques différentes mais dont le centre a été le système européen. La Guerre froide recouvre également une multitude de conflits de formes différentes qui se déroulent simultanément. La principale dissemblance tient à la disparition de l’Europe comme centre de gravité de cette conflictualité qui épouse désormais une logique Est-Ouest.
  • [24]
    Michael Brecher, Jonathan Wilkenfeld, A Study of Crisis, Ann Arbor, Michigan University Press, 2000.
  • [25]
    Julien Freund, Sociologie du conflit, Paris, Presses universitaires de France, 1983.
  • [26]
    Du Traité de l’Atlantique Nord (1949) à l’OTAN (1951) à l’Ouest et des d’accords bilatéraux entre l’URSS et les pays d’Europe centrale au Pacte de Varsovie puis à l’Organisation du pacte de Varsovie (1955).
  • [27]
    Pour rendre compte de cette hétérogénéité des formes de conflictualité produites par la convergence entre processus de décolonisation et extension des sphères d’influence idéologiques des deux grands il suffit d’en citer quelques exemples : guerres interétatiques (guerre sino-indienne de 1962, guerres indo-pakistanaises, guerre de frontière de l’Afrique du Sud entre 1966 et 1988, guerre des Six Jours en 1967, guerre de Kippour 1973, guerre de l’Ogaden entre la Somalie et l’Éthiopie en 1977, guerre sino-vietnamienne en 1979, guerre d’Afghanistan en 1979, guerre des Malouines en 1982) ; guerres de décolonisation (Indochine, Algérie, Vietnam, Angola, Mozambique) ; guerres civiles (guerre civile grecque en 1946-1949, la guerre civile du Cambodge en 1968) ; crises internationales (crise de Berlin en 1948, crise de Suez en 1956, Berlin en 1961, Cuba en 1962, Tchécoslovaquie en 1968, crise sino-soviétique en 1969) ; interventions militaires, opérations secrètes (opération Ajax en 1953, intervention américaine en république Dominicaine en 1965, opération Charly et programme secret de la CIA de soutien aux contras au Nicaragua en 1979, invasion de la Grenade en 1983, opération épervier en 1986, opération Eldorado-Canions en 1986) ; coups d’État (coup d’État de Bokassa en Centrafrique en 1965, celui de Kadhafi en Libye en 1969, celui de Pinochet au Chili en 1973, celui des militaires en Argentine en 1976, celui de Moscou en 1991) ; révolutions et insurrections (insurrection communiste en Malaisie en 1948, l’insurrection de Budapest en 1956, la révolution cubaine en 1959, l’insurrection communiste au Laos en 1960, la révolution éthiopienne en 1974, révolution iranienne en 1976, le soulèvement de Solidarnosc en 1980, la manifestation de la place Tienanmen en Chine en 1989, la révolution de velours en Tchécoslovaquie en 1989, la révolution roumaine en 1989).
  • [28]
    Ce décentrement a été mis en évidence en France par Marcel Merle notamment dons son ouvrage La Vie internationale, Paris, Armand Colin, 1963 et Sociologie des relations internationales, Paris, Dalloz, 1974.
  • [29]
    La création des notions de « crime contre la paix », « crime contre l’humanité » et la mise en place d’un tribunal militaire exceptionnel chargé de juger les responsables nazis pour les crimes qu’ils ont commis durant la guerre constitue un précédent important. Le Tribunal international de Nuremberg voit l’émergence d’une catégorie particulière de crimes et témoigne d’une juridicisation de la vie internationale qui se manifeste au travers de la mise en place de tribunaux internationaux exceptionnels (comme pour l’ex-Yougoslavie ou le Rwanda) et par la création, suite au traité de Rome en 1998, d’une Cour pénale internationale. L’institutionnalisation de cette justice internationale a eu un effet modérateur sur le comportement des responsables politiques et a également contribué à véhiculer l’idée d’une hollandisation de la société internationale.
  • [30]
    Sur le « soft power » voir notamment : Joseph Nye, Bound to Lead : The Changing Nature of American Power, Basic Books 1990 ; Soft Power : The Means to success in world politics, Public Affairs, 2004.
  • [31]
    Le progrès technologique est un moteur de l’histoire des sociétés et de la guerre. Voir notamment John Keegan, Histoire de la guerre. Du Néolithique à la guerre du Golfe, Paris, Dagorno, 1996.
  • [32]
    L’instauration d’une ligne d’urgence, baptisée « téléphone rouge », entre la Maison Blanche et le Kremlin, suite à l’épisode de Cuba, témoigne de la nécessité pour les deux grands de se donner les moyens d’éviter toute forme de montée aux extrêmes lors d’une crise. En 2004, l’Inde et le Pakistan développeront une ligne directe d’urgence du même type afin de pouvoir désamorcer l’éventuelle escalade d’une crise. En 2007, les États-Unis et la Chine développeront un système de communication d’urgence similaire. Cet aspect, la responsabilité des puissances nucléaires aux yeux de l’humanité toute entière, constitue une nouveauté importante qui implique une certaine modération dans l’utilisation que les États font de la violence ou tout du moins dans l’utilisation qu’ils font de leur armement stratégique (ce qui implique le refus de scénarios de montée aux extrêmes incontrôlables). Le facteur nucléaire a certes renforcé la hiérarchie entre les puissances mais il a également imposé la mise en place de mécanismes de négociation inédits pour répondre aux crises que rencontraient les États.
  • [33]
    Georges-Henri Soutou, « La Guerre froide, une guerre majeure ? », in Frédéric Ramel et Jean-Vincent Holeindre (dir.), La Fin des guerres majeures ?, op. cit., p. 127.
  • [34]
    Ibidem, p. 130.
  • [35]
    Serge Sur, « L’été 1914 un siècle après : ruptures, dynamiques, invariants », art. cité, p. 6-7.
  • [36]
    Désormais, une multiplicité d’acteurs pèse sur la scène internationale. Ils constituent un réseau interdépendant composé d’États, d’organisations internationales, d’organisations non-gouvernementales, de firmes multinationales, de groupes sociaux, de partis ou encore d’individus (comme Julian Assange ou Edward Snowden) dont les intérêts sont divergents. Le rôle joué sur la scène internationale par certains groupes tels que les Anonymous, Wikileaks, le développement d’une monnaie d’échange virtuelle, le BitCoin, témoigneraient d’une transformation du système international et de l’émergence progressive d’une « société civile mondiale ».
  • [37]
    Anne Salmon, Les Nouveaux empires. Fin de la démocratie ? , Paris, CNRS éditions, 2011.
  • [38]
    Martin Van Creveld, La Transformation de la guerre, Paris, Édition du Rocher, 2011.
  • [39]
    Stratégie de « frappe chirurgicale » développée depuis la première guerre mondiale (frappe sur des centres vitaux) puis reprise lors des guerres d’Irak et d’ex-Yougoslavie dans le cadre de la médiatisation du conflit notamment.
  • [40]
    Voir David Galula, Contre-insurrection. Théorie et pratique, Paris, Economica, 2008.
  • [41]
    Qiao Liang et Wang Xiangsin, La Guerre hors limite, Paris, Bibliothèque Rivages, 2003, cité dans Pierre Hasner, « La danse macabre des caméléons », in Frédéric Ramel, Jean-Vincent Holeindre, La Fin des guerres majeures ?, op. cit., p. 263.
  • [42]
    Ibid., p. 263-264
  • [43]
    Pascal Vennesson précise sur ce point : « au cours de la période de seize ans entre 1990 et 2005, quatre des 57 conflits actifs concernaient des États : Érythrée-Éthiopie (1998-2000), Inde-Pakistan (1990-1992 et 1996-2003), Irak-Koweit (1991) et Irak-États-Unis et ses alliés (2003). De plus, alors que le nombre de guerres civiles est passé de 2 en 1946 à 25 en 1991 leur nombre a nettement diminué depuis, même si leur nombre est en progressive augmentation depuis 2006 ». Pascal Vennesson, « La guerre sans peuple ? », in Frédéric Ramel, Jean-Vincent Holeindre, La Fin des guerres majeures ?, op. cit., p. 217.
  • [44]
    Ibid., p. 218.
  • [45]
    « En 1958 on comptait plus 38 000 morts au combat par conflit armé, en 2002 on en comptait 600 », ibid.
  • [46]
    Les coûts humains et les coûts financiers importants engendrés par les interventions extérieures sont devenus des contraintes politiques et économiques majeures pour des puissances attachées à la « doctrine zéro mort » dont les budgets sont aujourd’hui réduits en raison de la crise financière mondiale. Ces contraintes leur imposent de développer des stratégies de frappes à distance ou d’opérations géographiquement et temporellement limitées.
  • [47]
    Joseph Nye parle de smart power pour qualifier l’utilisation optimum du soft et du hard power. Voir Joseph Nye, « Get Smart. Combining Soft and Hard Power », Foreign Affairs, juillet/août 2009, p. 110-124 ; The Future of Power, New York, PublicAffairs, 2011.
  • [48]
    Dans leur rapport intitulé « Islamic State : The Economy-Based Terrorist Funding », Jean-Charles Brisard et Damien Martinez estiment que les rentrées de Daesh sont de 3 milliards de dollars environ. Le rapport est consultable à cette adresse : http :// www.google.fr/url ?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=3&cad=rja&uact=8&ved=0CCsQFjAC&url=http%3A%2F%2Faccelus.thomsonreuters.com%2Fsites%2Fdefault%2Ffiles%2FGRC01815.pdf&ei=eMymVIGVM5OMaO6TgLgI&usg=AFQjCNH5VC5eExvGiXqMNfOZQ065wMDfGw&sig2=U4wNKb8uKhAGuXmbOf5fBg (consulté le 2 janvier 2015).
  • [49]
    La lutte contre le terrorisme international et le développement de la coopération des États peut s’inscrire dans ce mouvement d’attraction mondiale que décrit Frédéric Ramel dans son ouvrage. Frédéric Ramel, L’Attraction mondiale, Paris, Presses de Sciences Po, 2012.
  • [50]
    Voir Jean-Jacques Roche, Un empire sans rival, Paris, Vinci, 1996.
  • [51]
    La période 1990-2002 voit des guerres importantes se dérouler : les guerres en ex-Yougoslavie, premiers conflits sur le sol européen depuis 1945, qui ne sont pas sans rappeler la première guerre mondiale (le massacre de Srebrenica en 1995 rappelle certaines atrocités commises durant la seconde guerre mondiale), la guerre civile au Rwanda avec le Génocide Tutsis en 1994, les deux guerres du Congo, dont la seconde est considérée comme la « première guerre continentale africaine ».
  • [52]
    Notamment les BRICS : Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud. La Russie, qui avait occupé une place centrale sur la scène internationale en 1914, durant la seconde guerre mondiale et durant la Guerre froide, avait perdu de son influence. Elle est cependant revenue au premier plan sur la scène internationale avec la crise géorgienne, la crise ukrainienne et la crise syrienne.
  • [53]
    Georges-Henri Soutou, « La Grande Guerre accélérateur de la mondialisation », Questions internationales, n° 68, juillet-août 2014, p. 21.
  • [54]
    Voir notamment, Bertrand Badie, L’Impuissance de la puissance, Paris, Fayard, 2004.
  • [55]
    Il est important et utile d’étudier ces différentes formes et leurs combinaisons en fonction de leurs contextes respectifs. Comme le souligne David Cumin, cette entreprise ne doit pas être limitée uniquement à la guerre, c’est-à-dire à l’emploi de la force armée comme « continuité de la politique par d’autres moyens ». Il est tout aussi important de s’intéresser aux périodes d’après-guerres, à la manière dont la victoire est exploitée par les vainqueurs ou à la résistance des vaincus. En définitive, 1918-1925, 1945-1955 et 1991-1998 sont aussi importants que 1914-1918, 1939-1945, 1947-1990.
  • [56]
    Dario Battistella, Retour de l’état de guerre, Paris, Armand Colin, 2006.
  • [57]
    Philippe Delmas, Le Bel avenir de la guerre, Paris, Gallimard, 1995.
Français

Au moment où nous commémorons la première guerre mondiale il est intéressant de revenir sur ce conflit « hors norme » qui reste encore d’actualité un siècle après son déroulement. Cet intérêt pour la Grande Guerre s’explique par la nécessité d’en comprendre les tenants et aboutissants pour mieux connaître notre époque et les conflits contemporains. La première guerre mondiale marque le début d’une ère nouvelle de la conflictualité. Peut-elle être considérée comme une matrice des conflits du xxe et xxie siècles ? Pour répondre à cette question nous chercherons à établir les ressemblances et dissemblances qui existent entre la Grande Guerre et les conflits contemporains en croisant la nature de la guerre et celle du système international.

Mots-clés

  • première guerre mondiale ; seconde guerre mondiale
  • Guerre froide ; conflits contemporains
English

At the time of the commemoration of the First World War it’s interesting to come back to this « nonstandard » conflict which is always topical one century after its beginning. This interest for the Great War is explained by the necessity to understand the ins and outs of this conflict for a better understanding of comtemporary conflictuality. The First Wold War constitutes the beginning of a new area of conflictuality. May it be considered as a matrix of the twenty and twenty-first centuries ? To answer to this question we will try to find similarities and disimilarities between the Great War and contemporary conflicts by crossing the nature of war and the nature of the international system.

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Thomas Meszaros [1]
  • [1]
    Cette contribution a été rédigée à la suite d’une communication réalisée dans le cadre des commémorations du centenaire du début de la première guerre mondiale. Elle s’inscrit dans un travail de recherche en cours sur la guerre. L’auteur tient à remercier David Cumin pour la relecture attentive de ce texte et pour ses conseils avisés.
Mis en ligne sur Cairn.info le 21/12/2016
https://doi.org/10.3917/strat.113.0211
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