CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Stratégique  : Mon général, nous vous remercions tout d’abord d’avoir bien voulu accepter d’inaugurer la toute nouvelle rubrique des entretiens de notre revue. Vous commandez la Direction du Renseignement Militaire, l’une des pièces maîtresses du dispositif global du renseignement français. Notre première question sera d’ordre historique. Quelles sont pour vous les leçons et le bilan de la DRM depuis sa création en 1992 ?

2Permettez-moi d’abord de m’attarder sur les conditions de création de la Direction du renseignement militaire. Elles sont, selon moi, une clé de compréhension de l’esprit qui anime aujourd’hui encore la DRM. À la veille de sa création en 1992, le Centre d’exploitation du renseignement d’intérêt militaire (CERM) [1] était alors en charge de la centralisation, de l’analyse et de l’exploitation du renseignement militaire obtenu par les 2es Bureaux d’armée d’alors, les attachés de défense, les unités de reconnaissance des forces dites de l’avant et des unités spécialisées comme la mission militaire française de liaison de Potsdam [2]. Son plan de renseignement était alors très clairement orienté vers le bloc de l’Est. L’engagement français durant la guerre du Golfe de 1991 va brutalement faire prendre conscience des carences à la fois capacitaires et organisationnelles de notre dispositif de renseignement militaire. Faute de moyens spatiaux, nous étions dépendants des Américains dans le domaine de l’imagerie satellitaire. La boucle du renseignement, quant à elle, était alors si peu rapide que les décideurs politiques privilégiaient l’exploitation d’informations fournies par la presse quotidienne ! La DRM a été créée pour répondre au besoin fondamental de la France de disposer d’une capacité autonome d’appréciation de situation. Pour ce faire, il ne s’agissait pas simplement d’acquérir de nouvelles capacités, mais bien de bâtir une nouvelle architecture du renseignement efficace et dédiée à la complexité géopolitique dont a accouché l’après-Guerre froide. C’est à la lumière de ce contexte qu’il faut comprendre la volonté de rassembler sous une autorité interarmées les différents services de renseignement des armées, d’autant que l’acquisition de capteurs spatiaux plaidait pour une mutualisation afin d’en supporter le poids financier. S’inspirant en partie des modèles existant en Grande-Bretagne et aux États-Unis, la DRM répond au souci, d’une part, de fournir en temps réel un renseignement à vocation opérationnelle au Chef d’état-major des armées (CEMA) ainsi qu’à nos forces engagées sur les théâtres extérieurs, tout en anticipant et en participant à la planification ; et, d’autre part, de satisfaire les besoins en information politico-stratégique des plus hautes autorités politiques. C’est en substance la mission définie par le décret de 1992.

3La création de la DRM s’est également inscrite dans une logique de réforme plus globale. Elle s’est faite concomitamment à celle du Commandement des opérations spéciales (COS) et, un an plus tard, à celle de la Brigade de recherche et de guerre électronique – aujourd’hui la Brigade de renseignement (BR) – qui regroupe les unités de l’armée de Terre dédiées au renseignement militaire. Précisons enfin que ces créations ont été conjuguées à une refonte de l’état-major des armées qui a dessiné les contours du futur Centre de planification et de conduite des opérations (CPCO) au sein duquel la DRM arme aujourd’hui la cellule Renseignement (J2).

4Sur les vingt ans d’existence de la DRM, je retiendrai trois leçons principales.

5La première est la complémentarité de l’origine du renseignement. Disposer tout à la fois de capacités de renseignement d’origine humaine (ROHUM), d’origine électromagnétique (ROEM) et d’origine image optique et radar (ROIM) est un impératif. En fonction des théâtres, seules certaines capacités peuvent être utilisées. D’où l’importance de disposer de l’ensemble du spectre des moyens d’acquisition. La crise du Kosovo a mis en exergue le rôle crucial du renseignement spatial et aérien, tant pour la planification que pour la conduite des opérations. La Libye a mis en évidence la nécessité du renseignement humain en complémentarité du renseignement technique. La crise au Mali, enfin, a souligné l’importance du renseignement image qui a grandement facilité les opérations des forces spéciales. Cette complémentarité est d’autant plus importante que la DRM doit être en mesure de s’adapter en permanence à des menaces de nature très différentes. Surtout, l’évolution des situations tactiques impose une boucle renseignement-opérations de plus en plus courte. Seule la combinaison des différents capteurs permet de passer de la détection à la localisation, puis de l’identification à l’action dans le meilleur tempo.

6La deuxième grande leçon est la montée en puissance de la coopération en bonne intelligence avec les autres agences de renseignement. C’est une nécessité qui découle de contraintes budgétaires – qui obligent à une mutualisation de certaines capacités au coût élevé –, mais aussi d’une nécessité de collaboration plus étroite pour satisfaire à nos missions. Depuis quelques années, la DRM et la DGSE travaillent ainsi en équipe intégrée au sein de centres communs de transmissions. Cette coopération avec les cinq autres services de renseignement (DGSE, DPSD, DCRI, TRACFIN, DNRED) a été facilitée par la mise en place d’un coordonnateur national du renseignement (CNR) à l’Élysée en 2008 et par l’émergence d’une communauté nationale du renseignement.

7La troisième leçon que je retiens est le poids croissant du renseignement d’origine géospatial. La géographie militaire a, en effet, toujours contribué à l’élaboration du renseignement. On constate comme une réelle nécessité d’intégrer au mieux, de coordonner finement au moins ce renseignement d’origine géographique et les autres composantes du renseignement. Je note enfin le recours aux drones pour acquérir le renseignement tant du niveau opératif que stratégique.

8Pour revenir maintenant sur le bilan, j’ai la conviction que la DRM est aujourd’hui un service de renseignement spécialisé, reconnu et apprécié – y compris auprès de nos alliés –, apte à fournir du renseignement d’intérêt militaire sur la largeur du spectre, depuis la veille stratégique jusqu’à l’appui aux opérations en passant par leur planification. Le bilan est donc globalement positif et les crises récentes illustrent combien la DRM remplit sa mission avec succès. Des marges de progression existent toujours ; nous sommes résolument engagés dans un processus de transformation sur lequel je reviendrai.

9Le renseignement se justifie par rapport au processus décisionnel qu’il informe. Quelle est la place aujourd’hui pour la DRM dans la chaîne du renseignement par rapport aux décideurs politiques et militaires ?

10Statutairement, le Directeur du renseignement militaire est le conseiller renseignement du ministre de la défense, lequel est chargé du renseignement d’intérêt militaire (cf. la loi de programmation militaire de 2009 et le décret de 2013). La DRM est le service de renseignement militaire des armées, subordonné directement au CEMA. Voilà pour situer organiquement la DRM qui est véritablement la “tête de pont” du renseignement en provenance des forces armées. Je constate cependant qu’au cours des années 2000, les armées ont remis sur pied des centres renseignement (CR), aux formats inégaux et aux missions distinctes. Ces créations ont certes été motivées par la nécessité de répondre à leurs propres besoins en renseignement et à des problématiques particulières, elles constituent néanmoins une brèche au principe de centralisation qui avait présidé à la création de la DRM. Pour satisfaire au principe fondateur de la DRM, nous devons travailler à accroître la fluidité de la chaîne d’information entre la DRM et les armées et trouver un mode de gouvernance adapté de façon à les intégrer pleinement dans la chaîne interarmées.

11De façon plus générale, le périmètre de la DRM est celui du renseignement d’intérêt militaire (RIM). Il ne comprend donc pas seulement le renseignement militaire, qui correspond grosso modo aux informations sur l’activité de l’adversaire, ses moyens, ses intentions, sa doctrine, etc. Il inclut également le “renseignement d’environnement”. La DRM oriente donc ses capteurs sur l’ensemble des domaines de l’espace physique et humain de l’engagement des forces et de celui dans lesquelles elles sont appelées à évoluer. Le RIM couvre ainsi tout autant des thèmes géographiques (par pays, par zones de crise ou de conflit) que des thèmes à vocation transversale (prolifération, terrorisme, piraterie, trafic d’armes, …). Le champ d’application de la DRM est par conséquent très large et nécessite une collaboration étroite avec l’ensemble de la communauté du renseignement. Elle contribue donc naturellement et fondamentalement au processus de ciblage. Sa connaissance des sites d’intérêt et des vulnérabilités d’adversaires potentiels oriente les décisions et permet d’évaluer les conséquences d’opérations éventuelles.

12La DRM offre un éclairage dont ont besoin les autorités politiques et les chefs militaires pour prendre des décisions. Son champ d’action reste cependant résolument tourné vers l’opérationnel, de la prévention des crises à l’appui des opérations en cours et potentielles.

13Quelle est la nature du renseignement prioritaire pour la DRM ? Ce périmètre a-t-il sensiblement changé depuis la montée en puissance des thématiques terroristes post-11 septembre ?

14Le renseignement prioritaire pour la DRM est celui dont ont besoin les armées, et donc celui qui doit nourrir les décisions quant à la défense des intérêts vitaux de la France. Le dernier Livre Blanc sur la défense et la sécurité nationale décrit clairement les menaces auxquelles nous faisons face. La DRM propose donc – en étroite coordination avec les autres subordonnés du CEMA – des priorités de renseignement, géographiques et thématiques. Aux côtés des autres services de renseignement, elle répond aux priorités fixées par le plan national d’orientation du renseignement élaboré par le CNR.

15Bien entendu, l’actualité internationale influence la définition de ces priorités. Depuis les attentats du 11 septembre, les choix de la France ont évolué : menace terroriste transnationale, criminalité internationale, proliférations, menace cybernétique… Le renseignement est pleinement ancré dans l’actualité : nos forces en Afghanistan hier ou au Mali et en Centrafrique aujourd’hui font face à des menaces particulières sur lesquelles elles ont besoin d’être renseignées. Je suis convaincu que le renseignement n’est jamais figé et se doit d’être constamment renouvelé.

16Sur quelles capacités humaines et matérielles la DRM peut-elle compter aujourd’hui ? A-t-elle des difficultés de recrutement ?

17Pour fournir un renseignement utile, la DRM s’appuie sur une large palette de capteurs de tous les domaines : renseignement d’origine électromagnétique (ROEM), renseignement d’origine image (ROIM) et renseignement d’origine humaine (ROHUM). Elle dispose de capteurs en propre et de capteurs mis à disposition par les armées. En la matière, la France dispose de moyens technologiques exceptionnels qui la placent parmi les leaders mondiaux, notamment dans le domaine spatial. À cet égard, la DRM exerce le contrôle opérationnel des satellites par délégation du CEMA..

18La dernière Loi de programmation militaire (LPM) a confirmé l’importance du maintien de ces capacités car elles sont intrinsèquement liées à notre autonomie stratégique. Toutes les composantes du renseignement sont prises en compte : le ROIM avec la mise en service de la composante spatiale optique de MUSIS qui nous permettra d’accéder à un niveau supérieur de performances, le ROEM avec le développement de CERES pour succéder au démonstrateur ELISA, sans oublier la modernisation des équipements du Dupuy de Lôme[3] et l’acquisition de 12 drones de théâtre de moyenne altitude longue endurance

19Si l’on ne peut que se féliciter de l’effort budgétaire consenti à nos moyens de renseignement, des défis subsistent qui sont déjà pris en compte. Le plus important est très certainement la problématique du volume exponentiel des données à traiter. Comment faire pour trier efficacement et dans le tempo des opérations des volumes considérables de données de toutes natures ? La réponse à cette question est double. Techniquement, il va nous falloir valoriser nos systèmes d’exploitation afin de prendre en compte les nouveaux capteurs, tout en assurant la cohérence tant avec le système d’information des armées (SIA) qu’avec les architectures JISR [4] de l’OTAN. Humainement, la DRM va devoir aussi être en mesure de trier, interpréter et analyser ces données. Cela passe par le développement de systèmes de plus en plus automatisés pour chercher la bonne information, mais surtout par un personnel hautement qualifié et en nombre suffisant.

20Plus de 1 600 hommes et femmes servent à la DRM. 80 % d’entre eux sont des militaires et 20 % des civils. Les militaires proviennent des trois armées, de la direction générale de l’armement et de la gendarmerie. En fonction de leur armée d’origine, ils appartiennent à des filières renseignement plus ou moins consolidées. C’est donc un défi permanent, relevé grâce au dialogue avec les responsables des ressources humaines des armées, que de faire coïncider le besoin de la DRM avec la ressource disponible. Le personnel civil de la DRM arrive, quant à lui, de divers horizons, depuis des ingénieurs spécialistes de thématiques techniques très particulières jusqu’aux jeunes exploitants sortant de grandes écoles ou de l’université. Il s’agit d’une réelle valeur ajoutée à la richesse humaine de la DRM : une savante alchimie de militaires, avec leur expérience opérationnelle et leur compétence technique et tactique ; et de civils avec une vision différente et une expertise de problématiques complexes. La DRM bénéficie d’une conjoncture favorable qui l’autorise à augmenter légèrement ses effectifs dans le cadre de la nouvelle LPM. Des études en cours visent à consolider la gestion de la ressource humaine pour offrir des parcours professionnels cohérents et attractifs dans le monde du renseignement, ainsi qu’une meilleure mobilité entre les différents services. En dépit de la création en 2010 de l’académie du renseignement [5], il n’existe pas encore de statuts communs aux différents services de renseignement.

21Aux côtés du personnel affecté à la DRM et de ses capteurs en propre, nous disposons au sein des armées d’unités spécialement dédiées au recueil du renseignement. J’ai évoqué le Dupuy de Lôme, armé par la Marine nationale, mais je pourrais également citer la brigade de renseignement de l’armée de Terre ou les satellites opérés par l’armée de l’Air. Pour l’acquisition ROHUM, la DRM bénéficie aussi du concours d’opérateurs d’unités des forces spéciales. Le 13e RDP est ainsi partagé pour emploi avec le COS. C’est l’une des raisons pour laquelle la relation entre l’univers des forces spéciales et du renseignement d’intérêt militaire est primordiale. Elle l’est d’autant plus que ces deux organismes sont extrêmement complémentaires dans leur mission de renseignement. Le COS a besoin de renseignement et d’analyse à fin d’actions sur les zones où il intervient ou envisage d’intervenir. Ce renseignement est demandé à la DRM, plus ou moins en amont, qui oriente alors en conséquence ses capteurs propres (ROEM, ROIM ou autres ROHUM) et fournit les synthèses nécessaires à la détermination du meilleur mode opératoire. Et, dans le même temps, la DRM reçoit du COS le renseignement acquis sur le terrain par des capteurs humains (ROHUM) ou technologiques (ROIM/ ROEM).

22Quels liens entretient la DRM entretien-elle avec le réseau des attachés de défense ?

23Les attachés de défense (AD) sont proposés par le CEMA puis accrédités par le ministre des affaires étrangères. La DRM est impliquée dans le processus de désignation en amont de ces AD, dont une partie est issue de la DRM.

24Les AD sont en lien étroit et régulier avec les sous-directions de la DRM. Présents sur le terrain, ayant des contacts institutionnels privilégiés, au plus près de tous les acteurs locaux, ils permettent de mieux comprendre les situations locales de pays d’intérêt pour la France. Leurs informations contribuent donc à l’établissement d’un renseignement ciblé et juste. Je tiens ici à ajouter que les AD ne sont en aucun cas des officiers traitants, ce qui signifie qu’ils n’ont ni vocation à la clandestinité, ni à recruter et manipuler des sources humaines.

25La répartition des AD ne couvre pas l’ensemble des pays. Faute de moyens et d’effectifs suffisants, nous concentrons nos forces sur les priorités stratégiques du CEMA. Les AD sont présents là où opèrent nos forces armées et partout où la France a des intérêts à défendre ou à représenter.

26Comment la DRM se positionne-t-elle dans la dialectique OTAN-UE ? Qui sont ses partenaires ?

27La DRM n’a pas de position différente de celle de la France et des armées dans la dialectique OTAN-UE. Elle est naturellement impliquée, pour sa sphère de compétence, dans les organismes traitant du renseignement à l’OTAN et à l’UE. Ces instances multilatérales sont une arène d’échanges intéressante, mais pas suffisante. La DRM y est reconnue comme un contributeur majeur et fiable. Rappelons que l’un des principes fondamentaux dans le renseignement est la confiance et la réciprocité.

28Mais la DRM développe un certain nombre de relations bilatérales avec des services de renseignement de pays alliés et partenaires au sein de l’Alliance ou de l’Europe. Elles s’appuient sur des réunions régulières à différents niveaux – depuis les réunions de travail entre experts jusqu’aux rencontres de directeurs – ainsi que sur des échanges d’informations. La qualité des renseignements de source nationale nous a permis d’ouvrir des canaux d’échange avec des partenaires importants, jusqu’alors réticents à diffuser vers nous des informations à haute valeur ajoutée. Il s’agit naturellement de pays avec lesquels la France entretient des relations régulières. Ces échanges sont un atout pour le renseignement de la DRM qui peut s’étoffer de visions parfois différentes, mais complémentaires.

29Quel rapport établissez-vous entre la nécessité de la concentration sur des zones prioritaires et le besoin de disposer d’une vision et d’une information globale ?

30C’est le défi, et la richesse, du métier du renseignement. Le travail de la DRM s’inscrit dans le cycle du renseignement, cycle en quatre phases : orienter, rechercher, analyser, diffuser. Ce cycle se régénère en permanence. “Tête de chaîne”, la DRM a vocation à mettre en œuvre et donc à contrôler l’ensemble de ce cycle dans les armées. Elle a donc une vision à double focale lui permettant d’appréhender la vision globale et de se focaliser sur une zone prioritaire. Comme je l’indiquais à l’instant, le J2 du CPCO est fourni par la DRM. Ce J2, ancré dans le quotidien des opérations, nous permet cette réversibilité.

31L’acquisition d’une vision globale provient des mécanismes d’anticipation et, dans une moindre mesure, de la prospective de défense. Au niveau national, l’ambition est élevée car il s’agit d’anticiper l’émergence de “nouvelles menaces” et de concourir à mettre en place les capacités d’y faire face. La DRM pour sa part est l’un des acteurs de la veille stratégique permanente (VSP). Elle est membre du Groupe d’anticipation stratégique (GAS) dirigé par le CEMA qui se réunit deux fois par an pour fixer les axes d’efforts à 12 mois (planification opérationnelle et orientation du renseignement d’intérêt militaire) et une vision prospective à 24 mois et plus (planification opérationnelle, RIM et relations internationales). La DRM traduit ces orientations par des notes d’anticipation plus opérationnelle, tournée vers la prévention des crises et le soutien aux exportations d’armement. C’est à partir de l’ensemble des travaux du GAS qu’est définie la Directive annuelle des actions de renseignement (DAAR) que je signe. Cette directive fixe les priorités opérationnelles en matière de RIM et précise les besoins en renseignement du niveau stratégique. C’est un document d’orientation qui initialise le cycle du renseignement.

32Autrement dit, l’acquisition d’une vision d’ensemble des menaces dans l’espace et dans le temps en amont garantit le succès de l’action de nos forces armées. Il s’agit donc moins d’une recherche d’équilibre entre veille stratégique et appui aux opérations que d’assurer un continuum entre ces fonctions. Le Mali est un bel exemple de réussite. Grâce à la veille établie de longue date sur la bande sahélo-saharienne, le renseignement précis a éclairé le choix politique d’engager nos troupes en opérations. C’est ce même renseignement qui appuie nos forces là-bas.

33L’architecture globale du renseignement français doit-elle évoluer ? Si oui, dans quelle direction et selon quels principes ? Avons-nous encore les moyens d’être efficaces en matière de renseignement militaire, dans un cadre de budgets de plus en plus contraints ?

34En commençant par la fin de la question, je vous répondrai oui, mais…

35Contributeur essentiel de la fonction stratégique Connaissance et Anticipation, la DRM bénéficiera – comme je vous l’ai expliqué – d’efforts substantiels en termes d’équipements et de personnel. Si la DRM jouit d’un environnement favorable en dépit d’un contexte budgétaire général contraint, elle doit néanmoins s’engager dans un processus de rationalisation de son organisation visant à la rendre plus performante. La réforme des armées et la nature polymorphe des menaces plaident en faveur d’une telle évolution. Est-il pertinent de laisser la DRM sans réforme alors même que le format des armées au profit desquelles elle travaille change en profondeur, que les doctrines en matière de renseignement en France et à l’étranger ont fortement évolué, que les technologies dans le domaine du recueil et du traitement du renseignement ont connu un bouleversement complet ces dernières années ? Conscient de ces enjeux, le ministre de la défense m’a confié une lettre de mission pour explorer plusieurs voies qui permettront à la DRM d’être plus efficace, plus efficiente et plus pertinente. Quatre évolutions majeures guident notre réflexion sur les pistes envisagées.

36La première est la création d’entités nouvelles, récentes et centrifuges, qui sont à l’opposé de l’esprit originel qui a présidé à la mise sur pied de la DRM. J’ai cité au cours de l’entretien les centres renseignement [6] (CR) d’armées, auquel il conviendrait d’ajouter le centre national de Ciblage [7] (CNC) qui est un organisme à vocation interarmées. Or, la fonction du renseignement militaire est par essence interarmées. Il importe donc d’améliorer ces chaînes d’information et d’instaurer de vraies relations “clients-fournisseurs”, aussi bien vers l’amont que vers l’aval de l’organisation militaire. Cette meilleure synergie devrait être en mesure de pallier un défaut de réactivité dans notre capacité à servir en information nos “clients” et, au-delà de nos clients directs, une certaine lenteur à diffuser l’information utile aux forces de théâtre. C’est pourquoi je souhaite initier une réflexion de fond sur l’évolution et l’organisation des chaînes et du cycle de renseignement.

37La deuxième évolution concerne la nécessité de combiner géographie et renseignement. La géographie militaire ne peut pas – et ne doit pas – être la simple mise à disposition de cartes et plans muets ou faiblement renseignés. En planification comme en conduite, les opérationnels sont demandeurs de cartes ou d’imageries satellitaires renseignées. Ce constat vaut également pour les autorités militaires et politiques pour qui l’analyse géospatiale est un facilitateur de prise de décision. Il importe donc de rétablir le lien étroit entre renseignement, géographie et opération. Le développement du targeting au moment des opérations dans les Balkans, conjugué à l’essor des systèmes d’information géographiques et de la géolocalisation, a donné naissance à la notion de renseignement géospatial. Elle autorise la réunion de la géographie et de la cartographie au sens traditionnel, de l’imagerie aérienne et satellitaire et du renseignement, le tout intégré dans des outils informatiques extrêmement puissants. L’idée sous-jacente à cette révolution du géospatial et de la géolocalisation est qu’une information, dès lors qu’elle est localisée, est plus riche de sens. Le lieu, exprimé sous forme de coordonnées géographiques et associé à de l’information, permet d’évaluer la fiabilité de cette même information, de la mettre en relation avec d’autres informations sur la base de leur localisation, de l’interpréter d’une façon plus efficace. Le travail de validation, de recoupement, d’interprétation et de contextualisation de l’information fait partie intégrante de la mission de la DRM. Pour parvenir à bâtir une réelle capacité géospatiale française, il faut qu’à l’avenir la DRM et les organismes militaires en charge de la géographie collaborent plus étroitement.

38La troisième évolution dont il faut tenir compte est caractérisée par les récentes innovations technologiques et organisationnelles. Elles incitent à rapprocher la DRM d’autres unités militaires, notamment pour l’utilisation des drones et l’acquisition de ROHUM. Durant la dernière décennie, en France comme à l’étranger, des mutations majeures dans le domaine du renseignement ont vu le jour. Le poids croissant du renseignement géospatial, l’émergence puis la généralisation du recours aux drones pour acquérir le renseignement de niveau opératif ou stratégique, enfin le rapprochement grandissant entre la recherche du renseignement et le développement des forces spéciales créant entre renseignement et opérations spéciales un continuum d’un genre nouveau. À ce constat, il faut ajouter la prise en compte encore faiblement acceptée de la faiblesse des moyens de recherche humaine (ROHUM) de la DRM en dehors du cadre des théâtres d’opérations extérieures où justement le ROHUM est très largement, pour ne pas dire intégralement, assuré par les éléments du COS qui y sont déployés. Ailleurs dans le monde, la capacité de recherche humaine de la DRM est réduite puisque la DRM ne possède que des moyens très limités en la matière. Comme je vous l’ai rappelé, la capacité de recueil des AD est extrêmement réduite, tout comme leur marge de manœuvre. C’est la raison pour laquelle un rapprochement de la DRM avec le COS, mais aussi avec les régiments de renseignement humain des forces conventionnelles, s’avère essentiel. De manière plus générale, il reste encore à développer une véritable culture du ROHUM chez tous les personnels de la Défense.

39La dernière évolution structurante concerne la gestion des ressources humaines qui est, pour sa partie militaire, insuffisamment ciblée. Les ressources humaines dévolues au renseignement militaire et singulièrement à la DRM ont connu de fortes évolutions depuis sa création, marquées notamment par un recours croissant au personnel civil qui représente aujourd’hui une part significative des effectifs. La composante civile, par son expertise, est essentielle et structurante pour la DRM car les civils servent plus longtemps à la DRM que le personnel militaire (officiers et sous-officiers) dont l’affectation est d’une durée moyenne de trois ans. Les perspectives de carrière de ce personnel civil doivent être consolidées et améliorées. La gestion du personnel militaire de la DRM est encore contrainte aux règles spécifiques et singulières de chaque armée, lesquelles doivent aussi armer leurs propres centres de renseignement. La DRM a pour ambition de mieux se coordonner avec chacune des DRH d’armée afin de satisfaire son besoin propre en personnel qualifié et d’offrir aux individus des parcours de carrière cohérents et attractifs. Pour tout le personnel, civil comme militaire, les formations et qualifications ont été en grande partie rénovées au sein du CFIAR [8]. Les autres évolutions envisagées (géographie, ciblage) comportent aussi un volet RH. Ces domaines font appel à des ressources rares qui nécessitent une formation longue et sont donc déficitaires au sein de la Défense. L’optimisation de la gestion de cette ressource est indispensable.

40L’architecture globale du renseignement a également beaucoup évolué. Depuis 2009, sous l’égide du coordonnateur national du renseignement (CNR), les différents services de renseignement – dont la DRM – ont appris à mieux se connaître et à consolider leurs liens. La réunion mensuelle des directeurs de service de renseignement avec le CNR contribue à cultiver ces relations en bonne intelligence. Sans renier leurs champs d’action spécifiques, ni leurs périmètres, les services développent des coopérations et des mutualisations qui portent déjà des fruits et qui offrent des perspectives intéressantes.

41Para Victoriam” [9], la nouvelle devise de la DRM, nous invite à sans cesse nous adapter pour être en mesure de fournir l’indispensable renseignement utile à l’action politique et militaire.

Le général Christophe Gomart, 53 ans, a commandé le 13e RDP (dragons parachutistes), régiment appartenant à la brigade des forces spéciales terrestres (BFST) comme le 1er RPIMA ou le 4e RHFS (hélicoptères des forces spéciales). De 2011 à 2013, il a commandé le COS (commandement des opérations spéciales), installé à la base de Villacoublay. Il a également servi comme conseiller du coordonnateur national du renseignement, Bernard Bajolet, qui a depuis été nommé à la tête de la DGSE.

Notes

  • [1]
    Le CERM est créé en mars 1977.
  • [2]
    La MMFL près du haut commandement soviétique en Allemagne, fondée en avril 1947, assurait, à Potsdam puis à Berlin-Ouest, la liaison directe entre les commandements français et soviétiques et pouvait apporter assistance aux ressortissants français résidant en zone soviétique. Sa position lui permettait de fournir du renseignement précieux sur l’adversaire d’alors.
  • [3]
    Mis à disposition de la DRM, le Dupuy de Lôme met en œuvre un nouveau moyen interarmées naval de recherche électromagnétique.
  • [4]
    Joint Intelligence, Surveillance and Reconnaissance.
  • [5]
    L’objectif de l’académie est de créer “une communauté d’esprit” entre les différentes agences de renseignement françaises via des formations communes.
  • [6]
    Il s’agit du CERT pour l’armée de Terre, du CRmar pour la Marine nationale et du CRA pour l’armée de l’Air.
  • [7]
    Créé en 2000, le Centre national de ciblage fait suite aux enseignements de la crise du Kosovo et de la prise de conscience de l’intérêt et l’importance du ciblage dans l’acquisition de la supériorité sur un théâtre d’opérations. Le CNC est basé à Creil et travaille actuellement en étroite collaboration avec la DRM.
  • [8]
    Basé à Strasbourg, le Centre de formation interarmées au renseignement (CFIAR) a succédé à l’EIREL (École interarmées du renseignement et des études linguistiques). Le CFIAR est un organisme de formation interarmées, composante “instruction/formation” propre à la DRM.
  • [9]
    Prépare la victoire !
Propos recueillis par 
Georges-Henri Soutou
Olivier Zajec
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Mis en ligne sur Cairn.info le 24/07/2015
https://doi.org/10.3917/strat.105.0177
Pour citer cet article
Distribution électronique Cairn.info pour Institut de Stratégie Comparée © Institut de Stratégie Comparée. Tous droits réservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent article, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.
keyboard_arrow_up
Chargement
Chargement en cours.
Veuillez patienter...