CAIRN.INFO : Matières à réflexion

INTRODUCTION

1Le métissage, dans l’Amérique coloniale, est perçu comme une menace permanente : menace biologique face à une conception européenne de pureté et de hiérarchie entre les « races » ; menace culturelle face aux syncrétismes de tous ordres ; menace politique face à la montée en puissance des revendications et des prétentions des métis ; menace sociale, enfin, face à la dilution de tout principe d’organisation, en particulier la distinction par castes [1]. Ce n’est pas tant l’esclave qui inquiète que le « libre de couleur », celui qui pervertit aussi bien l’ordre social (ni maître, ni esclave) que l’ordre racial (ni « blanc », ni « noir ») par sa position intermédiaire, entre-deux. En brouillant la superposition entre ces deux ordres, en dépit des tentatives de régulation juridique, le métissage, loin d’obéir à une logique d’harmonie et de pacification, alimente et accentue le recours à l’idéologie raciale et au préjugé de couleur (Bonniol, 1990).

2La pensée du métissage avoue son impuissance à rendre compte de son objet : il existe un « malentendu » inhérent aux analyses du métissage (Bouysse-Cassagne, 1994 : 111) ; le mot métissage « prête à confusion » (Bernand et Gruzinski, 1993 : 8) ; le métissage se construit sur une assimilation du social au biologique [2] (Benoist et Bonniol, 1994). La compréhension du métissage se heurte à nos habitudes intellectuelles qui tendent à préférer les ensembles monolithiques aux espaces intermédiaires, la rigidité des catégories aux « interstices sans nom » (Gruzinski, 1999 : 42). À tel point que les tentatives d’appréhension théorique du métissage (voir notamment Laplantine et Nouss, 1997) en sont venues à définir le concept de façon négative, par ce qu’il n’est pas (le métissage n’est ni fusion, ni fragmentation ; il contredit la polarité homogène/ hétérogène ; ce qu’il y a de plus opposé au métissage, ce n’est pas seulement le simple, le pur, le séparé, mais aussi la totalité, la fusion, le syncrétisme, qui, tous, supposent l’existence d’éléments ontologiquement distincts) ou à dénoncer le « fantasme » et le « piège » du métissage (Amselle, 1999 et 2000), après avoir pourtant défendu précédemment l’étude des « logiques métisses » (Amselle, 1990). Or, reléguer le métissage du côté du déséquilibre transitoire et le bannir du champ scientifique, c’est s’interdire d’introduire l’ambivalence et l’infinitude au cœur même de la pensée scientifique, en ne les concevant qu’en termes de défaillance, de renoncement ou d’échec. Négation de l’identité et de l’altérité, le métissage oblige à penser le distinct qui n’est pas très lointain, le lointain qui n’est pas très distinct. Il apparaît comme un processus mettant en cause toute tentative de classement social et scientifique, comme une pratique subversive de toutes les catégories. Il incite à ne plus isoler le noir du blanc, l’identité de l’altérité, et invite au contraire à substituer le « et » au « ou », la coexistence à la distinction, à se positionner sur la frontière, dans le va-et-vient. Il révèle que la question n’est pas seulement celle de la crise de l’identité mais celle de la crise de la logique même d’identité (Laplantine et Nouss, 1997 : 271)

3Dans cet article, je voudrais montrer que le métissage, non pas en dépit des imprécisions et ambiguïtés relevées par ceux qui l’ont étudié, mais du fait même de ces imprécisions et ambiguïtés, est un objet pertinent et un outil heuristique de l’analyse sociologique et anthropologique et rend ainsi inévitable une réflexion sur la construction des catégories sociales et scientifiques [3].

4Je me place à cette fin dans un contexte particulier, celui de l’affirmation du multiculturalisme, dans les années 1980-90, dans plusieurs pays d’Amérique latine [4], qui reconnaissent pour la première fois l’existence de « populations afroaméricaines » et leur attribuent des droits spécifiques (Uribe et Restrepo, 1997 ; Agier et Hoffmann, 1999). Si le métissage signifiait jusqu’alors homogénéité et invisibilité, il laisse place désormais à l’affirmation des différences et à la valorisation des spécificités ethniques. Alors que les divergences entre le nord et le sud du continent américain tendent à s’estomper, aussi bien dans la pratique avec l’introduction, en Amérique latine, de certains éléments de discrimination positive et la distinction entre populations définies ethniquement, et, aux États-Unis, de catégories raciales multiples (recensement 2000), que dans la théorie avec la remise en cause de l’opposition entre un modèle bi-racial aux États-Unis et un modèle multiracial en Amérique latine (Spickard, 1989 ; Davis, 1991 ; Skidmore, 1993), il est intéressant de faire un retour en arrière en examinant le regard porté par les chercheurs de la tradition de Chicago, qui ont été les introducteurs des études sur les relations raciales et les relations interethniques, sur le sud du continent. On constatera alors que tant Park que Hughes et Goffman n’ont pas appliqué à l’Amérique latine les outils les plus pertinents pour l’analyse du métissage (les concepts d’homme marginal et de dilemme de statut, la distinction stigmatisé/stigmatisable). C’est en les mobilisant nous-mêmes qu’on pourra montrer comment les impasses conceptuelles et les contradictions pratiques auxquelles conduit le métissage ont des vertus heuristiques à travers, notamment, l’introduction de la notion de « compétence métisse ».

5En préalable, une précision s’impose autour du terme « race », largement utilisé en Amérique latine et aux États-Unis, exclu du langage scientifique et quotidien en France. La race n’est pas autre chose qu’une construction sociale. Ce n’est pas la présence de différences physiques objectives qui crée la race, mais la reconnaissance de différences, réelles ou imaginaires, comme socialement significatives (Schnapper, 1998 : 27). Car si l’identification raciale repose bien sur certaines différences perçues dans le phénotype, ces différences sont elles-mêmes socialement construites : ce ne sont pas n’importe quelles variations phénotypiques qui sont devenues racialisées. L’idée même qu’il y a des différences physiques significatives est une construction sociale et historique. Le critère racial intervient donc dans la façon dont les membres d’une société se classent et sont classés, au cours de leurs interactions, d’après leurs caractéristiques physiques. La race intéresse le sociologue et l’ethnologue dans la mesure où elle intervient, subjectivement et objectivement, dans les pratiques sociales des individus. Dans son acception contemporaine, le terme ne dénote pas l’hérédité bio-somatique, mais la perception des différences physiques en ce qu’elles ont une incidence sur le statut des individus et les relations sociales. J’étudierai les contacts entre des personnes différentes par la race, entendue comme une catégorie socialement opératoire, définie à partir de critères biologiques (couleur, traits phénotypiques). La race sera considérée comme un « discriminant de rôle » (Hannerz, 1980), un « marqueur d’identité » (Bonniol, 1992), une contrainte extérieure à l’ensemble des engagements individuels.

6C’est pourquoi je ne céderai pas à l’usage courant qui transforme une apparence approximative et socialement construite en catégorie pour laquelle le substantif, rendu à l’écrit par la majuscule, renvoie à l’idée d’une identité qui serait « naturelle » et allant de soi (Agier, 2000 : 8). Contre cette écriture consensuelle [5] – qui s’exprime aussi dans la substitution de l’afro-américain au noir, de l’indigène à l’indien – et politiquement correcte – qui contribue paradoxalement au maintien d’une vision essentialiste de la race –, j’emploierai les termes noir, blanc et leurs dérivés (métis, mulâtre [6], etc.) sans majuscule, termes qui seront d’ailleurs déclinés de façon relative en plus/ moins noir et plus/ moins blanc. Il s’agit avant tout d’analyser comment l’apparence raciale intervient dans les mécanismes de l’identification de soi et des autres, bien plus que de rechercher une supposée « identité » noire, blanche ou métisse. En anglais, le terme « noir » se conjugue en « black », sans majuscule, se rapportant à un trait physique, et « Negro », avec une majuscule, désignant une personne, qui serait ainsi définie par son appartenance raciale. C’est le premier sens du terme anglais – que l’on retrouve d’ailleurs dans l’expression française « black, blanc, beur » – que je retiendrai ici, afin d’insister sur le fait que « noir » est une désignation, situationnelle et relative, basée sur l’apparence, contribuant à l’identification d’un individu dans l’interaction.

1. DES GRINGOS EN AMERIQUE LATINE

7L’enjeu du métissage n’est pas seulement une question d’objet : qu’est ce que le métissage ? Il pose aussi un problème d’outillage intellectuel : comment penser le métissage ? Précisément, comment les chercheurs issus de la tradition de Chicago, avec leurs outils élaborés pour l’étude de relations raciales antagoniques, ont-ils appréhendé le métissage, reposant sur la dilution des catégories d’appartenance ? Je m’intéresserai, ici, à deux cas : celui, largement connu, du regard porté par Chicago sur le sud du continent ; celui, moins étudié, de l’assimilation du métis à l’homme marginal.

DE CHICAGO À BAHIA

8On distingue traditionnellement, dans les études portant sur les populations noires et sur les relations interethniques en général, l’Amérique du Nord de l’Amérique du Sud : la première serait caractérisée par des clivages marqués et une situation de conflits récurrents, la seconde par un métissage généralisé et l’harmonie des rapports sociaux. On évoquera d’un côté les analyses issues de la « soit disant école de Chicago », selon l’expression de Howard Becker [7] (1998), aboutissant au paradigme du ghetto noir et, de l’autre, les propos de Vasconcelos (1992) sur le Mexique et sa notion de « race cosmique » ou ceux de Gilberto Freyre (1997) parlant de « démocratie raciale » au Brésil. La situation est décrite en termes de violence et de ségrégation aux États-Unis, de rapports pacifiques, d’intégration, d’homogénéisation en Amérique latine [8].

9Loin de viser à une comparaison termes à termes entre Chicago et Bahia, Cartagena ou Caracas, ou d’ignorer les analyses réalisées, depuis le début du siècle, en Amérique du Nord et du Sud [9], je considérerai l’« école de Chicago » comme porteuse des paradigmes fondateurs des études sur les relations raciales. Il n’est donc pas question d’appliquer Chicago à l’Amérique latine, encore moins de présenter une analyse de la société nord-américaine, mais de franchir les barrières nationales et académiques, d’avoir recours au décalage et au détournement, pour mieux saisir la portée des concepts proposés par les chercheurs de Chicago et mieux interroger la réalité propre à l’Amérique latine.

10De fait, non seulement cette comparaison est implicitement effectuée par les acteurs eux-mêmes lorsqu’ils s’interrogent, notamment depuis l’introduction du multiculturalisme dans plusieurs pays (Colombie, Brésil, Equateur, Venezuela, etc.), sur la définition de l’« afro-américain », mais elle permet également de relire les concepts des sciences sociales nord-américaines, fondateurs en termes de relations raciales, à la lumière de la situation sud-américaine. C’est d’ailleurs ce que faisait déjà Roger Bastide qui n’hésitait pas à analyser la situation brésilienne à partir des concepts développés aux États-Unis : ghetto, caste/ classe (Bastide, 1996). Mais c’est aussi ce que firent plusieurs chercheurs nord-américains travaillant, en Amérique Latine, sur les contacts entre personnes différentes par la race : Robert Park (1950), Charles Wagley (1968), Marvin Harris (1965), etc.

11Que nous dit « Chicago » sur les relations raciales en Amérique latine ? Je m’intéresserai ici plus particulièrement aux travaux de Donald Pierson [10], étudiant de Park – qui est d’ailleurs l’auteur de l’introduction de son principal ouvrage –, ayant effectué plusieurs études sur Bahia. Comme le rappelle Pierson, sa démarche s’inscrit dans la continuité théorique des réflexions menées sur les relations raciales aux États-Unis et témoigne d’une volonté, fortement présente à l’époque, d’élargir l’horizon géographique des études. « En 1934, alors que j’étais assistant en sociologie à l’Université de Chicago, mon attention fut attirée par le Dr. Herbert Blumer sur les possibilités qu’offrait le Brésil comme terrain d’étude des contacts raciaux et culturels, et je reçus également les encouragements des Dr. Robert Redfield, Louis Wirth et Ellsworth Faris pour considérer de façon sérieuse ces possibilités (…). À peu près au même moment, le Dr. Robert Park revenait d’un long voyage autour du monde, au cours duquel il avait directement observé un certain nombre des plus grands centres de contact social et culturel, y compris le Brésil » (Pierson, 1967 : xii).

12Pour Pierson, et il s’agit de la thèse centrale de sa recherche, les conflits, à Bahia, prennent la forme d’antagonismes de classes et non d’antagonismes raciaux (Pierson, 1967 : 349). Dans son introduction à la seconde édition, en 1965 (la première édition de son ouvrage sur Bahia date de 1942), Pierson confirme ses propos : il existe une tendance à voir un conflit racial, ou au moins de couleur, dans des situations où c’est la compétition de classe qui est en jeu (Pierson, 1967 : xliii).

13Une telle divergence entre Amérique du Nord et du Sud s’explique avant tout par la définition différentielle des catégories raciales, par le statut accordé au « noir » et au « blanc ». Car si les États-Unis ne peuvent se penser qu’en noir et blanc, le Brésil aurait tendance à ne se voir ni en blanc ni en noir. À une représentation dichotomique du « tout ou rien » s’oppose ainsi un continuum s’incarnant dans le métissage. Les termes, d’un pays à l’autre, ne sont pas interchangeables : « Aux États-Unis, “blanc” signifie “de descendance caucasienne pure” ; mais au Brésil “branco” peut signifier “une personne à prédominance blanche, indépendamment de son origine raciale”, incluant des milliers de métis clairs et, dans le cas d’individus portant des marques de prestige, des métis foncés ou même un noir à l’occasion ; ou il peut signifier, parfois, “une personne de prestige” ou simplement “mon ami”. D’un autre côté, “Noir” aux États-Unis signifie “n’importe qui descendant de n’importe quel degré d’un Africain, y compris tous les métis ” (l’origine est donnée) ; alors que “prêto” au Brésil peut signifier “une personne avec des traits Négroïdes notables” ou, parfois, “une personne de bas statut” ou simplement “un ennemi personnel” » (Pierson, 1967 : xxiv, souligné par l’auteur).

14En d’autres termes, la fameuse règle nord-américaine de la « goutte de sang » n’a pas de signification au Brésil et en Amérique latine en général, les catégories « blanc » et « noir » renvoient à l’apparence physique et au statut social, et non à l’appartenance raciale, entendue comme ascendance génétique. Le « blanc » et le « noir » correspondent à des positions sociales, de telle façon que la mobilité ascendante peut s’accompagner d’une sortie de la catégorie de couleur. En substituant le métis au noir, le Brésil supprimerait ainsi la barrière raciale.

15Dans son analyse, Donald Pierson s’appuie sur trois différences historiques jugées déterminantes entre Amérique latine et Amérique du Nord.

Esclavage et manumission

16Pierson considère que l’esclavage, au Brésil, reposait sur des liens de familiarité que la conception biologisante des États-Unis ne permettait pas. Il met en avant le fondement exclusivement racial du système esclavagiste nord-américain, en comparaison avec la situation brésilienne qui, si elle s’appuie aussi sur la différence raciale, s’inscrit dans une logique de droit de propriété et de prospérité économique. D’une manière générale, on considère que le système esclavagiste d’origine espagnole aurait été moins sévère que celui instauré dans les pays anglo-saxons (Degler, 1971 ; Cabellos Barreiro, 1991 : 19-20 ; Sala-Moulins, 1992 ; Jaramillo Uribe, 1994 : 172) ; il est en tout cas marqué par l’importance du phénomène de manumission, autorisant l’affranchissement légal des esclaves. Celui-ci montre à quel point l’esclave est considéré certes comme une marchandise, mais aussi comme un capital économique, qui peut être cédé moyennant compensation financière. Selon Pierson, ce n’est pas tant une idéologie de la différence raciale qui fonde le système esclavagiste latino-américain – même si celle-ci est bien présente –, que la recherche de la rentabilité économique.

De la compétition au paternalisme

17L’abolition de l’esclavage, au Brésil, ne s’est pas accompagnée d’une rupture violente de la structure sociale comme ce fut le cas dans le sud des États-Unis (Pierson, 1967 : 346-347). Au contraire, elle fut le résultat d’une transition progressive, favorisant le maintien de relations héritées de l’époque esclavagiste, ne remettant pas en cause les anciens liens et évitant l’instauration d’un système de castes, dans lequel chacun se replie derrière la color line. Aux États-Unis, la question des relations violentes entre les races naît en même temps que la migration de la population noire du Sud vers les grandes villes du Nord, qui s’accompagne de la naissance d’une classe moyenne noire et de l’augmentation du niveau d’éducation des populations noires. Celles-ci apparaissent désormais comme une menace, dans une situation de concurrence, aux yeux de ceux qui sont déjà dans la compétition, les blancs. Or ce processus n’a pas eu lieu à Bahia, le cycle des relations raciales ne s’est pas enclenché, la population noire n’est pas issue d’une migration récente. Dès lors, si l’on suit les réflexions de Donald Pierson, la question des relations raciales ne se pose pas : chacun est à sa place, chacun fait ce qui est attendu de lui, des normes communes sont connues et acceptées et la compétition entre populations blanches et noires n’a pas de raison d’être – ou, quand elle existe, ne s’exprime pas en termes raciaux. Les études nord-américaines distinguent deux situations bien différentes : celle du sud des États-Unis où, même après la disparition de l’esclavage, règne un système à la fois discriminant et normalisé, réglé par le respect de l’« étiquette » pour reprendre le titre d’un livre de B. W. Doyle (1937) ; celle des villes du Nord, caractérisées par la liberté individuelle et la possibilité de mobilité sociale, où la discrimination s’accompagne de conflit et de violence. À Bahia, ces deux schémas se superposent : coexistence sur un même territoire urbain et paternalisme hérité de l’époque esclavagiste.

« Dilemme américain » et nation métisse

18Dans la société nord-américaine, l’arrivée des populations noires du Sud est ressentie comme une menace par les habitants des grandes villes du Nord : le préjugé racial est alors mobilisé pour empêcher l’entrée des individus noirs dans la compétition. C’est le « dilemme américain », tel que le décrit Gunnar Myrdal à la même époque, dilemme qui concerne avant tout le blanc, notamment le « petit blanc », celui qui est socialement le plus proche des noirs, qui a le plus à perdre dans cette situation nouvelle de concurrence et qui reporte sur les noirs les frustrations nées de ses rapports avec les autres blancs (Myrdal, 1994). L’éclairage se déplace donc : pour comprendre les relations raciales, il faut se pencher du côté des blancs, ceux qui déterminent la place des noirs et définissent la « race noire ». Or, Pierson affirme que les blancs n’ont jamais eu le sentiment d’être menacés dans leur statut au Brésil (Pierson, 1967 : 347). De fait, le « dilemme américain », ce décalage entre les plus hautes valeurs de la nation et de la démocratie américaines et l’exclusion des noirs, est résolu – au moins dans l’idéologie –, en Amérique latine, dans le mythe de la nation métisse. Les nations latino-américaines, à travers leur référence à la notion ambigüe de métissage, apportent une solution au dilemme américain de l’intégration.

19En substituant le métis au noir, Pierson, mais aussi Park, font comme si l’assimilation était synonyme d’effacement des différences, comme si l’intégration conduisait naturellement à l’absence de discrimination. Park évoque ainsi la « tendance du Brésil à absorber le Noir » (Park, 1967 : lxxix), alors que Pierson affirme qu’il n’y a pas de problème noir à Bahia « parce que les Noirs sont dans un processus d’absorption et seront complètement incorporés » (Pierson, 1967 : 344). Le problème racial tend à être identifié à la résistance offerte, ou supposée offerte, par un groupe à l’absorption (Pierson, 1967 : 350). Alors que le système dichotomique nord-américain aboutirait à une exclusion inconditionnelle des noirs en situation de compétition, indépendamment des mérites individuels, le régime sudaméricain offrirait en contraste une forte possibilité de mobilité et d’insertion individuelles, résultant de l’absence de confinement derrière une color line, absence symbolisée par le mythe du métissage.

20En reprenant la distinction opérée par Pierre-André Taguieff (1987,1991) et Michel Wieviorka (1991,1993) entre deux logiques du racisme, l’une reposant sur un principe d’infériorisation, l’autre sur un principe différencialiste, on pourrait dire que les analyses nord-américaines tendent à appliquer, en Amérique du Sud, une conception différencialiste des relations raciales à une situation qui est davantage orientée par une logique infériorisante. Tout se passe comme si on raisonnait dans le cadre analytique du rejet, de la mise à distance, de la ségrégation là où les pratiques répondent plutôt à une logique de l’inégalité, de l’invisibilité, de la discrimination. C’est pourquoi une étude en termes d’assimilation n’a pas vraiment de pertinence à Bahia ou à Cartagena : les individus noirs et métis sont intégrés aux sociétés latinoaméricaines, le racisme s’inscrit dans les relations sociales plus qu’il ne repose sur une absence de rapports sociaux. Et le questionnement se déplace, visant à savoir quelle est la place qu’ils y occupent et comment le facteur racial intervient pour la définir. La couleur, tout en étant un marqueur physique, n’est pas complètement indélébile ; mais le fait qu’elle soit socialement définie n’autorise pas toutes les manipulations et adaptations. Aussi bien, sa production et sa perception obéissent-elles à certaines règles, qui ne sont pas seulement individuelles. Le métissage offre certes une possibilité de jouer avec les catégories raciales, mais la polarisation raciale – et les présupposés biologiques sur lesquels elle repose – place cette capacité sous contrainte (Agier, 2000 : 228).

21Le jeu de miroir entre Amérique du Nord et Amérique de Sud tend à grossir les différences ; mieux même : il impose une logique dichotomique là où il faudrait raisonner en termes de coprésence et de croisement. La rationalité économique de l’affranchissement ne remet pas en cause le fondement racial de l’esclavage ; le paternalisme s’accompagne d’une polarisation extrême des rapports socio-raciaux ; le métissage fait coexister intégration et discrimination.

22Dans la pensée nord-américaine, les relations raciales ne deviennent un enjeu que lorsqu’elles mettent en cause l’intégration des groupes raciaux, dans une logique intellectuelle incapable de penser la question raciale indépendamment de celle de la différenciation, de concevoir l’assimilation autrement que comme un processus d’homogénéisation des normes. Or les populations noires sont intégrées en Amérique latine, ce qui n’empêche pas leur stigmatisation. Considérées inférieures et, à ce titre, discriminées, elles sont aussi acceptées : pour l’anthropologue britannique Peter Wade, cette contradiction ne se résout que dans la référence aux projets nationaux latino-américains. Avec les indépendances et la constitution de Républiques, se pose aux élites créoles, en Amérique Latine, la question de la place des populations noires et indiennes au sein des nouvelles nations et, surtout, de la place du métissage : c’est précisément cette question qui n’existe pas dans le projet national étasunien. D’un côté, il s’agit d’affirmer que le cœur de l’identité latinoaméricaine – et sa spécificité par rapport aux métropoles européennes – réside précisément dans le caractère métis de sa population ; d’un autre côté, le futur des nations latino-américaines, s’il se veut synonyme de progrès, ne peut passer que par le blanchiment de leur population et, à plus long terme, la disparition des individus noirs et indiens. L’idéologie concernant la nationalité et le mélange des races a donc deux visages. L’un, démocratique, qui cache la différence, prétend que celle-ci n’existe pas. L’autre, hiérarchique, qui met en avant la différence pour privilégier le blanc (Wade, 1997 : 50). Cette coexistence de logiques, c’est une autre notion développée par la tradition de Chicago qui permet de l’appréhender : celle de l’homme marginal.

L’HOMME MARGINAL

23L’individu qui occupe un statut particulier, c’est-à-dire une position sociale définie par des droits et des devoirs, doit posséder une ou plusieurs caractéristiques spécifiques. Certaines combinaisons semblent plus naturelles et sont plus acceptées que d’autres : aux États-Unis, comme le rappelle Everett C. Hughes [11], un homme, blanc et protestant, sera reconnu comme médecin par toutes les catégories sociales. Si le médecin est une femme, noire et/ ou catholique, il n’en ira pas de même. Dans le premier cas, le médecin possède un master status (statut principal) dans lequel les traits personnels sont en adéquation avec les caractéristiques socialement attachées à la position occupée ; dans le second cas, les traits personnels ne correspondent pas aux attentes, provoquant ainsi une confusion, un « dilemme de statut ». Dans la personne du noir professionnellement qualifié, les indices de statut interfèrent de façon contradictoire. Le dilemme, pour celui qui rencontre un tel individu, est de savoir s’il doit le considérer comme un noir ou comme un membre de sa profession.

24Hugues semble suggérer que l’identification raciale, en Amérique du Nord, agit comme un master status qui déterminerait une fois pour toutes le comportement individuel : « l’appartenance à la race Noire, telle qu’elle est définie dans les mœurs et/ ou dans les lois américaines, peut être considérée comme un trait déterminant d’un statut principal. Elle tend à s’imposer, dans la plupart des situations cruciales, à n’importe quelle autre caractéristique qui pourrait s’y opposer » (Hughes, 1994 : 357). On serait donc noir, avant d’être ouvrier ou avocat, homme ou femme, jeune ou vieux. C’est d’ailleurs ce que confirme Howard Becker, reprenant l’analyse de Hughes pour décrire les mécanismes de l’étiquetage de la déviance : « On peut emprunter avec profit un autre élément à l’analyse de Hughes, la distinction entre statut principal et statut subordonné. Dans notre société, comme dans les autres, certains statuts l’emportent sur tous les autres. La race en est un exemple. L’appartenance – socialement définie – à la race Noire l’emporte sur la plupart des autres considérations de statut dans presque toutes les situations (…) » (Becker, 1985 : 56). Comme dans l’analyse de la déviance, les caractéristiques individuelles sont perçues à travers le prisme de l’appartenance à la catégorie « noir ». L’identification de l’individu comme noir, ou comme déviant, précède les autres identifications ; la mobilité sociale, la promotion individuelle ne changent en rien la catégorie d’appartenance raciale.

25Or, si la race apparaît ici comme une condition nécessaire et suffisante d’attribution du statut aux États-Unis, il n’en va pas de même en Amérique latine. L’identification raciale n’est qu’un élément, parmi d’autres, de définition de la position sociale ; la signification des traits physiques n’est pas donnée une fois pour toutes. Les situations d’alarme, les dilemmes de statut, ne sont ni accidentels ni problématiques mais apparaissent au cœur des pratiques quotidiennes. Le métissage n’est pas un état, ni une qualité : il est de l’ordre de l’acte, qui met en cause tout classement dans des statuts prédéfinis.

26C’est en ce sens que le métis peut être rapproché de l’homme marginal, étudié par Park, mais aussi par Hugues. De fait, les deux auteurs font eux-mêmes explicitement l’association entre les termes : pour Park, « l’homme marginal typique est un métis ( mixed blood ) » (Park, 1950 : 370) ; Hughes, quant à lui, l’utilise pour élaborer la notion de « dilemme de statut ». « L’idée se trouve dans une phrase suggestive de Robert E. Park écrivant sur l’“homme marginal”. Il a appliqué le terme à un cas particulier – l’hybride racial (…) » (Hughes, 1994 : 353).

27L’association entre « homme marginal » et « métis » revient très souvent dans les propos de Park, notamment dans son ouvrage Race and culture (1950) [12]. Le métis se voit ainsi doté des caractéristiques de l’homme marginal : insertion simultanée dans deux mondes, dans lesquels il demeure en partie un étranger (356) ; capacité de regarder avec un certain détachement les mondes d’appartenance de ses parents (111) ; rôle de médiateur entre les races et les cultures (136) ; largeur de l’horizon qui fait de lui « l’être humain le plus civilisé » (376), etc. Deux points méritent d’être particulièrement soulignés : le métis « occupe une position quelque part entre deux cultures » et « porte sur le visage l’évidence de son origine métisse » (370). Ces deux éléments caractérisent le métissage : entre-deux, intermédiaire, interstice d’un côté ; apparence, face-à-face, traits physiques de l’autre.

28Ni blanc ni noir, le métis, comme l’homme marginal, se situe dans cet entre-deux de l’identification qui lui permet de manipuler les catégories dans une logique de non-coïncidence. Il procède à la mise en question des principes et notamment du principe d’identité, dans un jeu sans cesse recommencé, dans lequel chaque partie, jamais achevée, produirait de nouvelles règles. Avec le métis, les signes du statut se superposent toujours plus au point de brouiller les labels, le rapport entre position occupée et identité attribuée, entre identification sociale et identification raciale. Pourtant, il ne s’agit pas de sous-estimer le poids de la discrimination et du préjugé racial en Amérique latine, comme ont eu tendance à le faire les sociologues de Chicago. L’identification au noir repose bien sur une association implicite avec d’autres caractéristiques, le plus souvent négatives – de même que l’homme marginal reste bien à la frontière de la société. Mieux même : l’appartenance supposée à la race noire, lorsqu’elle est affirmée, joue également comme un statut principal qui détermine tous les autres. Mais c’est cette attribution de statut qui n’est pas automatique : si le noir est naturalisé, l’identification au noir ne l’est pas.

2. PENSER LE MÉTISSAGE

29En passant du nord au sud du continent, les chercheurs de Chicago ont inversé la logique de leur raisonnement : de la ségrégation on passerait à l’intégration, de la polarisation à l’harmonie, du modèle bi-racial au continuum. Mais c’est un autre de leur concept, celui d’homme marginal, qui s’avère le plus pertinent pour décrire le métissage caractéristique de l’Amérique latine : intermédiaire entre deux mondes (et plus), quotidiennement confronté aux dilemmes de statut, l’homme marginal fait preuve de cette compétence, que l’on qualifiera de métisse, à passer d’un système normatif à un autre, à adapter sa performance à la situation.

UN MÉTISSAGE SOUS CONTRAINTE

30Aux États-Unis, la catégorie « Noir », en rassemblant sous la même appellation une population variée, tend à minorer les différences et les nuances raciales, dans une logique incapable de concevoir la « pâleur noire » (Pétonnet, 1986). Les États-Unis n’ont pas eu à comprendre le métissage (Marienstras, 1976 ; Hollinger, 1995) : quand les chercheurs nord-américains s’intéressent au sud du continent, ils voient dans ce métissage qui ne leur est pas familier un symbole d’harmonie sociale, la marque du primat de la classe sur la race. Pour Robert Park, il n’y a pas de problème de race en Amérique latine (Park, 1967 : lxxviii). Et Park d’évoquer la faculté de la société brésilienne à assimiler la population noire ou le statut de « survivance archéologique » du candomble et de certaines pratiques religieuses dans un contexte d’assimilation.

31Dès lors, la tentation est grande de considérer l’Amérique latine comme un paradis racial où la race ne serait plus un frein à l’ascension sociale. Dans la société brésilienne, par exemple, les individus acquerraient une position sociale en fonction de leur compétence personnelle et de leur réussite individuelle bien plus qu’en fonction de leur ascendance raciale. De fait, la multiplicité des catégories d’identification raciale utilisée à Bahia est avancée comme un gage de mobilité individuelle. Si les catégories raciales sont si nombreuses, les individus n’ont-ils pas la possibilité de les combiner à l’infini, échappant ainsi à toute assignation identitaire ? Il n’est plus question alors d’appartenance raciale – qu’elle soit biologique ou liée à la couleur – mais de catégories flottantes, non déterminantes, interchangeables à tout instant. Pourtant, peut-on suivre Pierson lorsqu’il affirme que les catégories d’identification changent avec chaque individu (Pierson, 1967 : xxv) ? Peut-on croire, avec Solaún et Kronus, dans leur étude sur Cartagena, comparable à bien des égards à Bahia [13], que le noir riche est considéré comme un blanc et le blanc pauvre comme un noir (Solaún et Kronus, 1973) ? Peut-on raisonner en termes de préférences individuelles, de choix de consommateur, de marché des identités, comme le fait Michael Banton lorsqu’il applique la théorie économique et l’individualisme méthodologique aux relations raciales (Banton, 1971) ? Peut-on affirmer que les identifications changent d’un individu à l’autre, d’un lieu à l’autre, d’une époque à l’autre, d’une enquête à l’autre, d’un observateur à l’autre ?

32L’étude des relations raciales en Amérique latine passait nécessairement par une adaptation du modèle importé des États-Unis, dont l’abandon d’une vision dichotomique constitue l’élément principal ; mais cette mise à distance ne doit pas conduire à privilégier une analyse symétriquement opposée. On passerait ainsi de la race à la classe, de la barrière à la fusion, du déterminisme à l’individualisme. À trop vouloir se distinguer du paradigme de la color line, on aboutit finalement à une dilution des catégories raciales qui, à force d’être porteuses de significations multiples, en perdent toute véritable signification. Le grand nombre de catégories témoigne certes de la richesse du processus d’identification raciale en Amérique latine, qui ne se réduit pas à quelques ensembles artificiellement et schématiquement construits. Pourtant, reprendre la multiplicité des termes utilisés par les acteurs eux-mêmes, comme tendent à le faire certains auteurs, est non seulement insatisfaisant, le différencialisme absolu [14] risquant de tourner le dos à l’idée même de toute communauté d’expérience et de pratique, mais contribue finalement à reproduire une stratégie d’occultation du facteur racial (Agier, 2000 : 198).

33Or métissage ne signifie pas absence de racisme : il suppose au contraire un mélange de discrimination et d’intégration, s’appuyant sur l’usage social des catégories raciales et non sur leur effacement. L’importance, en Amérique latine, du blanchiment en est l’illustration la plus directe : il consiste à adopter des comportements et des modèles considérés comme définissant le statut de blanc. En d’autres termes, il équivaut au refus de s’identifier et d’être identifié en tant que « noir », dans un système où, pour occuper une position sociale valorisée, il n’est d’autre solution que de renoncer aux attributs caractérisant le noir. L’existence de ce processus montre à quel point l’appartenance raciale peut agir comme un stigmate interdisant de façon définitive l’accès à certains statuts. Pour changer de position sociale il faudrait alors, avant tout, changer d’apparence raciale. Le blanchiment peut ainsi prendre une forme culturelle (pratiques associées à la culture blanche), sociale (insertion dans des réseaux de sociabilité blancs), biologique (relations sexuelles, éclaircissement de la couleur de la peau, lissage des cheveux). Le métissage ne saurait être perçu comme une négation du racisme : il n’élimine pas le stigmate racial mais permet de s’en accommoder. Il faut d’ailleurs rappeler qu’il est, en Amérique latine, le produit d’une double domination liée à l’esclavage, raciale mais aussi sexuelle. Il offre la possibilité d’échapper au handicap – plus exactement, à ce qui est présenté comme un handicap – mais ne remet pas en cause l’existence même de ce handicap.

34Les notions d’« homme marginal » et de « dilemme de statut » introduites par Park et Hughes permettent de mieux appréhender ce métissage qui n’est ni dilution des catégories raciales, ni enfermement derrière la barrière de couleur. Entre apparence physique et discours ethnique, entre assignation identitaire et manipulation des normes, le « noir » n’est ni une couleur désignant une identité, ni un masque modifiable à loisir.

35L’utilisation, dans la littérature nord-américaine, du terme « passing » (Stonequist, 1965 : 184-200) est révélatrice : on passerait ainsi de l’autre côté du miroir, on franchirait la color line, de noir on deviendrait blanc. Comme si les deux appartenances étaient exclusives l’une de l’autre. Or, en Amérique latine, l’autre côté du miroir n’existe pas, nulle barrière n’est franchie. Ou, plus exactement, une multitude de frontières sont quotidiennement franchies. Le concept de passing n’y a pas de signification, sauf à en faire une pratique permanente, qui prendrait d’ailleurs la forme d’allers et retours incessants plus que celle d’une logique irréversible, tant ces « passages » s’apparentent à une activité ordinaire et non à un changement d’état. La qualification raciale de soi et celle qui est attribuée aux autres se modifient constamment au cours des interactions et s’inscrivent dans un processus d’interdétermination – plus que d’indétermination – en situation. Le métissage n’est ni de l’ordre de l’arbitraire, ni de l’ordre de la synthèse et du dépassement : il est fait d’ambivalence et de coexistence, de va-et-vient entre des normes et des logiques parfois contradictoires. Le métissage oblige à renoncer à deux modes de pensée, celui, analytique, de la séparation, de la décomposition en éléments, mais aussi de la pureté, et celui de la fusion, pensée cette fois synthétique qui vise à la réconciliation des contraires. Son étude ne peut se satisfaire ni de l’hétérogénéité, ni de l’homogénéité mais relève de l’entre-deux.

POUR UNE SOCIOLOGIE DES APPARENCES

36En affirmant la spécificité irréductible du cas des populations noires et asiatiques aux États-Unis, Park [15] met en avant le caractère indélébile des différences raciales, les conséquences de l’appartenance à un groupe racial n’étant pas comparables à celle de l’appartenance aux groupes ethniques issus de la migration européenne. Les minorités raciales sont en effet exclues de la philosophie du melting pot qui intègre les différents groupes ethniques dans le pays (Park, 1950 [16] ). Dans sa définition des relations de race, Park insiste sur les différences de traits physiques immédiatement perceptibles, auxquelles les intéressés et ceux avec lesquels ils sont en contact accordent de l’attention. L’obstacle premier à l’assimilation des noirs ou des Japonais tient à leurs traits physiques, à « leur marque raciale distinctive », qui met entre les races « le gouffre de la conscience de soi » (Park, 1950 : 209) : « l’Oriental, en partie à cause de sa façon de parler, mais surtout à cause de sa couleur et d’autres caractéristiques physiques, est un homme marqué. Comme le Noir, il porte un uniforme racial qu’il ne peut pas mettre de côté » (Park, 1950 : 160).

37Il est intéressant de souligner le paradoxe : alors que les individus noirs sont définis, dans la tradition nord-américaine, selon un principe d’ascendance (la « goutte de sang noir »), Park étudie avant tout leurs apparences physiques. Au delà du cycle des relations raciales auquel on réduit trop souvent les analyses de Park (Chapoulie, 1999), celles-ci conduisent également à reconnaître la spécificité de la dimension raciale de l’identification du noir, face à la dimension culturelle de la définition ethnique des migrants venus d’Europe, dans la première moitié du XXe siècle, et à admettre le fait que le principal obstacle à l’assimilation du noir ne repose pas sur des traits intellectuels mais sur des traits physiques (Park, 1950 : 208). Il s’agit donc bien ici d’un renversement de perspective : alors que l’on considère habituellement que la race est une dimension particulière de l’ethnicité, qu’elle est un des éléments permettant de définir une identité plus large, l’approche de Park conduit à analyser l’ethnicisation non comme une logique d’affectation dans un « groupe ethnique » isolable mais comme une des modalités de l’interaction entre individus aux traits raciaux différents. On définit souvent l’ethnicité à partir d’un certain nombre de critères (langue, religion, territoire, pratiques culturelles, etc.), au sein desquels se trouverait la race (Cox, 1970 ; Olzak, 1992) ; pourtant, il ne suffit pas de faire du groupe racial un préalable du groupe ethnique, comme s’il allait de soi que toute société est formée de groupes ethniques inscrits dans la réalité sociale (Schnapper, 1998 : 75).

38Park invite à étudier, non pas les relations entre individus appartenant à des races différentes, mais les relations entre des individus conscients de l’existence de différences raciales et agissant dans la vie sociale en fonction de cette conscience. Les relations de race sont « les relations existant entre populations distinctes par leur origine raciale, en particulier quand ces différences raciales entrent dans la conscience des individus et des groupes distingués, et ainsi, déterminent dans chaque cas la conception que l’individu a de lui-même ainsi que son statut dans la communauté (…). Les relations de race (…) ne sont pas tant les relations qui existent entre les individus de différentes races, que les relations entre les individus conscients de ces différences » (Park, 1950 : 81, traduction J. M. Chapoulie) [17].

39Ce qui est vrai aux États-Unis l’est d’autant plus en Amérique latine. En effet, dans le premier cas, le préjugé racial découle d’une attribution à une catégorie particulière déterminée par la naissance ; dans le second, la discrimination est avant tout fondée sur l’aspect personnel (Banton, 1971). C’est ainsi que l’on observe une tendance à substituer, dans les travaux portant sur l’Amérique latine, le terme couleur à celui de race (Nogueira, 1995 ; Hoetink, 1967,1985) : outre qu’elle est politiquement plus correcte, la référence à la couleur témoigne de l’importance de l’apparence dans le processus d’identification raciale. Mais la couleur ne rend pas compte de l’ensemble des éléments qui interviennent dans la présentation de soi et la qualification d’autrui : traits physiques (couleur, sexe, cheveux, forme du nez et de la bouche, corpulence, etc.), vêtements, environnement, contexte, etc [18].

40Les États-Unis, tant dans la démarche scientifique que dans la pratique, ont tenté d’apporter une réponse à la question de l’identification des populations noires : celle de la « goutte de sang ». Véritable principe de définition des populations noires, cette règle immuable identifie comme noirs tous les individus ayant une ascendance noire [19], fut-elle physiquement indiscernable : la couleur de la peau n’allège en rien la négritude (Pétonnet, 1986 : 182). Dans ce jeu de miroirs grossissants, les États-Unis sont perçus comme définissant la race de façon absolue et non contextuelle, en ayant recours au principe de l’ascendance, alors que l’Amérique latine renvoie quant à elle, dans son appréhension scientifique et populaire de la différence, à l’apparence (Redfield, 1958 ; Pitt-Rivers, 1973 ; Nogueira, 1995 ; Bastide, 1996), s’inscrivant ainsi dans une logique relationnelle et situationnelle. Or, si le principe de l’ascendance doit être relativisé dans l’étude des interactions quotidiennes, comme le montrent par exemple les analyses de Park, il n’en demeure pas moins que l’Amérique latine tend à s’inscrire en opposition à cette logique, ressassée à l’envie au Brésil et en Colombie.

41« Qu’est-ce qu’être “blanc” ? Qu’est-ce qu’être “noir” ? Qu’est-ce qu’être “de couleur” ? Ces dénominations semblent pour le sens commun relever de l’évidence, et recouvrir des réalités biologiques qui s’imposent d’elles-mêmes… C’est là être victime d’une illusion : il s’agit en fait de catégories cognitives qui, à partir de notre perception des différences situées dans le spectre visible, sont largement héritées de l’histoire de la colonisation » (Bonniol, 1992 : 11). Pour répondre à ces questions, il faut donc comprendre comment des attributs biologiques sont socialement interprétés, quels sont les codes sociaux qui régissent la référence à la race, quelles sont les normes de comportement qui intègrent la différence raciale, quelles sont les conventions auxquelles adhèrent les individus. Prendre au sérieux le rôle des apparences physiques, c’est aussi s’écarter de la tendance actuelle à diagnostiquer un « racisme sans races » tel que le décrit Etienne Balibar (Balibar et Wallerstein, 1990 : 32-33) : le thème dominant ne serait plus l’hérédité biologique, mais l’irréductibilité des différences culturelles (qui fonctionneraient alors, paradoxalement, comme une véritable nature). Face à ce racisme culturaliste, il s’agit de privilégier l’étude des interactions entre biologique et social, en revalorisant la portée sociale et épistémologique des apparences physiques (race, mais aussi sexe, âge, taille, handicap, etc.), premier élément d’évaluation de l’autre et de présentation de soi.

42Il n’est pas inutile de préciser que la question des relations raciales, largement étudiée en Amérique latine et aux États-Unis (mais aussi en Grande Bretagne), émerge aujourd’hui sur la scène publique française, mettant désormais en avant le rôle joué par les apparences raciales – au lieu de se retrancher derrière la catégorie traditionnelle d’« immigré » ou le concept émergent (en France) d’« ethnique » (Tribalat, 1996 ; Le Bras, 1998 ; Population, 1998). Il n’est qu’à voir les débats provoqués par les pratiques de « testing » à l’entrée de certains lieux publics (discothèques, bars, restaurants), la mise en place d’un numéro de téléphone, le 114, destiné à recueillir témoignages et dénonciations du racisme ( Le Monde, 18 mai 2000,29 juin 2000) ou encore le malaise déclenché par la « marche des peuples noirs » réclamant plus de visibilité à la télévision ( Libération, 22-24-29 mai 2000), pour se convaincre que le sujet des relations raciales n’est ni lointain ni dépassé. Et que la couleur, tout en étant une dimension structurante des relations sociales, prend une signification propre au contexte dans lequel elle agit, révélant ainsi, au-delà de la qualification des apparences, des mécanismes sociaux et historiques plus larges : si les populations noires sont identifiées comme des « minorités visibles » en France, elles sont traditionnellement perçues en termes d’« invisibilité » en Colombie.

43Goffman l’a bien signalé : « La nature la plus profonde de l’individu est à fleur de peau » (1973 : 338). Il faut donc s’intéresser à la façon dont les individus perçoivent leurs apparences mutuelles, en combinant évaluation individuelle et mobilisation des normes sociales. Des imprécisions de ces processus, les individus tirent leur capacité à modifier leur présentation, à négocier les attentes réciproques, à s’adapter à une situation particulière. Les traits raciaux constituent autant d’éléments de répertoire pour l’individu qui tâche de se trouver un rôle dans les péripéties de l’existence, et autant de facteurs de décision pour les autres, qui s’efforcent de lui en assigner un (Douglass et Lyman, 1976 : 218). Il ne s’agit donc pas d’aller chercher la vérité au-delà de ce qui se voit, mais de découvrir la profondeur de la superficialité, en s’intéressant aux apparences dont la gestion repose sur la capacité des individus à qualifier la situation, à répondre aux attentes et à se positionner soi-même, à interpréter les conventions de la rencontre et à mobiliser un savoir socio-historique souvent diffus et implicite.

COMPETENCE METISSE

44L’identification raciale n’est ni essentielle, ni optionnelle : elle est situationnelle. Isaac Joseph, lorsqu’il présente la sociologie d’Erving Goffman, se réfère à la notion de « compétence » [20] qu’il définit comme la capacité à focaliser l’événement, à mobiliser les connaissances d’arrière-plan et à interpréter le cours d’actions (Joseph, 1998 : 103). Il apparaît alors que les formes concrètes de la négociation dans les situations de contact – et, au-delà, c’est la problématique classique de l’intégration ou de l’insertion qui est revisitée – ne sont pas seulement liées à l’identité sociale et culturelle des individus mais à leur capacité à évaluer les paramètres de l’interaction, à mobiliser les normes appropriées et à réaliser une performance adaptée. À travers leur compétence, les individus engagés dans l’interaction savent repérer dans le contexte les indices permettant de hiérarchiser les engagements et les pratiques, cadrer les attentes en s’appuyant sur l’expérience antérieure et évaluer les ressources disponibles pendant l’action.

45La compétence métisse [21] correspond à cette capacité à jouer avec la couleur et sa signification, à contextualiser les apparences raciales pour s’adapter aux situations, à passer d’une norme à une autre. Cette capacité ne se déploie pas dans un espace social sans règles, sans contrainte, sans déterminants : précisément, elle repose sur la faculté de connaître et d’adapter les codes. Elle correspond aux propos de Carmen Bernand et Serge Gruzinski sur l’époque coloniale : « La généralisation des métissages accoutume les individus et les groupes les plus exposés à circuler entre les cultures et les modes de vie. Ces va-et-vient développent une sensibilité culturelle à la différence, une aptitude à varier les registres, tout comme ils stimulent la capacité à mêler ou à multiplier les masques et les appartenances » (Bernand et Gruzinski, 1993 : 622).

46La compétence métisse mobilise à la fois la présentation de ce qui est donné à lire plus ou moins intentionnellement à l’autre et l’attribution à autrui d’un statut et d’attentes relationnelles. Elle repose sur l’interprétation mutuelle de signes perçus et sur le partage de présupposés cognitifs, conventionnels et vulnérables.

47Pour Goffman, l’appartenance raciale fait bien partie de ces handicaps qui définissent le stigmate (Goffman, 1975 : 14) mais le terme de stigmate lui-même dissimule deux points de vue : « L’individu stigmatisé suppose-t-il que sa différence est déjà connue ou visible sur place, ou bien pense-t-il qu’elle n’est ni connue ni immédiatement perceptible par les personnes présentes ? Dans le premier cas, on considère le sort de l’individu discrédité, dans le second, celui de l’individu discréditable » (Goffman, 1975 : 14. Souligné par l’auteur).

48À partir d’une telle définition, il semblerait naturel de faire du noir un individu discrédité, le phénotype étant précisément caractérisé par sa visibilité immédiate, la couleur de la peau par son marquage indélébile. Pourtant, la situation observée en Amérique latine correspond davantage aux analyses de l’individu discréditable proposées par Goffman. La race est une condition nécessaire mais non suffisante de la stigmatisation. Le « noir » en général est une catégorie stigmatisée, mais l’individu noir se conçoit, dans le discours et dans la pratique, comme une victime potentielle du racisme et non comme une victime effective, il a la capacité de jouer avec les signes de son stigmate, de les euphémiser, le plus souvent, de les exhiber, parfois. Comme le dit Goffman, pour l’individu discréditable, « le problème n’est plus tant de savoir manier la tension qu’engendrent les rapports sociaux que de savoir manipuler de l’information concernant une déficience : l’exposer ou ne pas l’exposer ; la dire ou ne pas la dire ; feindre ou ne pas feindre ; mentir ou ne pas mentir ; et, dans chaque cas, à qui, comment, où et quand » (Goffman, 1975 : 57).

49Comme le précise Goffman, « le mot de stigmate servira alors à désigner un attribut qui jette un discrédit profond, mais il faut bien voir qu’en réalité c’est en termes de relations et non d’attributs qu’il convient de parler » (Goffman, 1975 : 13). Bref, le stigmatisé et le normal ne sont pas des personnes mais des points de vue, la stigmatisation dépend de ce que l’on suppose que l’autre est : le stigmate, son attribution ou son rejet, sont liés au savoir pratique des individus mobilisé dans le cadre de l’interaction. C’est pourquoi le stigmatisé est passé maître dans l’art du faux-semblant, dans le contrôle de l’information destinée aux autres (Goffman, 1975 : 99 ; Martuccelli, 1999 : 450).

50« On pourrait aussi bien dire qu’il n’y a aucune identité de genre. Il y a seulement un programme pour faire le portrait du genre (…). La seule évidence est celle de la pratique de la chorégraphie du portrait des relations entre les sexes. Et ce dont nous parlent le plus directement ces portraits, ce n’est pas le genre, ou les relations générales entre les sexes, mais le caractère spécifique et le fonctionnement du portrait » (Goffman, 1979 : 8. Souligné par l’auteur). Comme le suggère Goffman pour le genre, il s’agit de saisir les mécanismes par lesquels sont construites, connues et adoptées les conventions raciales, en tant qu’éléments du face-à-face avec autrui. Les acteurs manipulent et adhèrent à des codes qui leur permettent d’interpréter le comportement des autres et d’adopter pour eux-mêmes l’attitude la plus appropriée. Loin d’étudier les différences entre individus « noirs », « blancs » ou « métis », l’objectif est d’analyser leur capacité à mobiliser, instrumentaliser, négocier, les normes de performances dont on ne retiendra que la dimension raciale.

51De fait, ces ajustements concernent aussi la rencontre avec les autres : celle-ci donne la capacité de noircir les individus considérés comme occupant un statut social inférieur et blanchir ceux qui occuperaient une position supérieure. En ce sens, la compétence mobilisée par l’individu « le plus noir » – ce statut lui étant attribué dans une situation particulière – est à la fois plus limitée et plus étendue : plus limitée puisque son champ des possibles est borné, tant dans la présentation de soi que dans l’évaluation de l’autre ; plus étendue dans la mesure où chacune de ses entrées/ sorties nécessite des changements normatifs radicaux.

52Évitement et euphémisation de la dimension raciale dans les situations quotidiennes, respectant les normes ordinaires et les cadres de l’expérience ; logique d’ethnicisation dans un mouvement d’affirmation de la différence et d’instrumentalisation du multiculturalisme naissant ; étiquetage racial de la déviance et construction du stigmate ; manipulation des conventions, jeu des faces et des façades, récurrence du décalage identitaire : la compétence métisse ouvre ainsi la voie à l’étude de la gestion, relationnelle et situationnelle, des apparences raciales, des modalités de construction, d’adaptation et de détournement des normes raciales [22].

53C’est ainsi que l’on peut interpréter l’absence (Colombie, Venezuela) ou la faiblesse (Brésil), jusqu’à une période récente, d’organisations politiques noires en Amérique latine, alors que les États-Unis ont, quant à eux, connu des mouvements revendicatifs particulièrement virulents dans les années 1960 et déjà présents depuis le début du siècle. L’introduction officielle du multiculturalisme n’a d’ailleurs pas été à l’origine de mouvements de revendication ethniques importants, notamment sur les côtes caraïbes colombiennes et vénézuéliennes. De fait, il est plus facile d’échapper au stigmate en se faisant passer pour « moins noir que l’autre », dans le discours et la pratique, qu’en militant pour une hypothétique « cause noire ». Si l’individu noir aux États-Unis n’a d’autre forme d’intégration et de mobilité que la revendication d’un système social parallèle, le latino-américain, en se dissociant du plus noir, fait porter le poids du racisme sur l’autre, présent ou imaginaire. La mobilité sociale n’est donc pas conflictuelle ici puisque, par définition, le métis est celui qui est toujours en mouvement, dans un espace borné, socialement et racialement, par les deux pôles, noir et blanc. Aussi est-ce à un travail de figuration qui n’est ni une gestion rationnelle et calculée des apparences, ni l’imposition d’un masque attribué une fois pour toutes que l’on assiste. La compétence métisse permet de négocier sa propre couleur, dans un jeu infini d’entrées et sorties, mais la présentation de soi s’effectue sous le contrôle d’autrui et à l’intérieur d’un cadre normatif qui régit l’interprétation d’une situation et l’engagement des acteurs. En ce sens, l’introduction du multiculturalisme tend à réduire l’exercice de cette compétence métisse en transformant des identifications floues et flottantes en identités ethniques figées et pré-définies [23].

CONCLUSION

54Vertus heuristiques du métissage donc, dans la relecture des concepts de Chicago appliqués à la Caraïbe latino-américaine et dans l’analyse de la fluidité et de la multiplicité des identifications et des interactions. Au-delà du mythe de la démocratie raciale, il faut rappeler que le métissage est né du viol et de l’esclavage. Ce n’est pas tant l’existence du métissage lui-même, en tant que paradigme d’une société égalitaire, qui favorise l’atténuation du stigmate, que la possibilité de trouver quelqu’un de plus noir que soi. Les sociétés latino-américaines font du « plus noir » une catégorie, réelle ou symbolique, infériorisante et négative : c’est l’existence de ce « stigmatisé/stigmatisable », à la fois absolu et relatif, qui permet à chacun d’échapper, pour soi, à la stigmatisation, et non une supposée harmonie raciale, comme le pensait la tradition de Chicago. La prise en compte de l’élément racial dans les relations sociales – au moins en Colombie et au Brésil et, plus largement, dans l’aire caribéenne – n’est pas seulement le signe d’une pathologie comme le sous-entend l’association récurrente entre racisme et lutte contre le racisme (Taguieff, 1987,1991 ; Wieviorka, 1992) ; elle doit aussi être comprise comme un principe d’organisation du corps social (Bonniol, 1990 : 410), comme une dimension normale de l’organisation sociale – rappelons que la distinction durkheimienne du normal et du pathologique ne présuppose aucun jugement de valeur. Si le racisme, en tant qu’idéologie, doit bien être combattu, la référence à l’apparence raciale est, elle, du domaine des contraintes et des ressources mobilisables au cours des interactions.

55Vertus heuristiques du métissage, d’autre part, qui ouvrent à deux orientations divergentes de la recherche. La première prendrait au sérieux le rôle de la race et, plus généralement, des apparences, dans les interactions. Comment les différences physiques sont-elles présentées par les acteurs sociaux ? Quel est leur rôle dans les pratiques sociales ? Comment s’articulent-elles aux différents processus d’appartenance sociale ? De fait, cette thématique est, plus que d’autres, traversée par des stéréotypes ; elle permet ainsi de mettre en lumière la production et le maintien des normes qui régissent les rapports sociaux, et, au-delà, les mécanismes même d’émergence et de consolidation des règles sociales dans leur ensemble. Elle conduit à essayer de saisir les processus par lesquels sont construites, connues et adoptées des conventions reposant sur l’appréhension sociale du biologique, en tant qu’éléments du face-à-face avec autrui.

56La seconde orientation viserait à élargir la notion de compétence métisse au-delà d’une appréhension biologique du métissage. Capacité à jouer avec les apparences et leur signification, à s’adapter aux situations, à passer d’un espace de normes à un autre, la compétence métisse consiste à réaliser une performance adaptée. C’est une faculté d’interprétation, de mobilisation, de négociation, qui va donc au-delà de la seule identification raciale. Si l’analyse présentée ici porte sur la relation noir/ blanc, il serait intéressant de s’interroger sur son extension à d’autres types de métissage, en Amérique Latine (relation indien/ blanc notamment), mais aussi en Europe. On pourra de plus élargir cette notion à d’autres thèmes comme celui de l’« urbanité métisse » (Baby, 2000) ou aux formes de mobilité circulaire (Chivallon, 1997), qui reposent sur la même capacité à concilier des pratiques contradictoires : marginalité et citadinité, mobilité et ségrégation, formel et informel, rural et urbain d’un côté ; multiplication des territoires de références et des affiliations identitaires, processus de va-et-vient, positionnement dans l’entre-deux, dans l’« ici » et le « là-bas », de l’autre.

Notes

  • [1]
    En ce sens, l’image enchantée du métissage telle qu’elle est véhiculée aujourd’hui (valorisations des échanges culturels, « modernité » des mariages mixtes, interpénétration des sociétés, etc.) est une construction occidentale et contemporaine.
  • [2]
    « Le discours savant récupère donc un objet défini par la perception collective, qu’il croit être un objet biologique, alors que le métissage exprime en fait l’image d’une différence morphologique, image qui fluctue au gré du sens social donné à cette différence » (Benoist et Bonniol, 1994 : 65. Souligné par les auteurs).
  • [3]
    L’étude du métissage a aussi des conséquences méthodologiques, en particulier en termes d’objectivation de la pratique du chercheur, ambition à la fois illusoire et réductrice. Néanmoins, si l’explicitation critique de l’expérience de terrain est indissociable de la démarche scientifique, ce thème ne sera pas abordé dans le cadre de cet article.
  • [4]
    Ce texte porte principalement sur deux pays, le Brésil et la Colombie, dont l’histoire est caractérisée par l’importance des métissages et qui ont récemment adopté des législations particulièrement novatrices en termes de reconnaissance de la pluriethnicité. D’une manière générale, ces analyses trouvent un certain écho dans d’autres pays latino-américains et caribéens, marqués par le système esclavagiste. Sur les Antilles françaises, voir Bonniol, 1992 ; sur le Venezuela, Charier, 2000.
  • [5]
    Dans les citations et les références, la présentation de l’auteur a été conservée.
  • [6]
    Les termes mestizo en espagnol, caboclo en portugais, renvoient, dans les systèmes de castes, au croisement du blanc et de l’indien ; mulato (en espagnol et en portugais) à celui du blanc et du noir ; zambo en espagnol, cafuso en portugais, à celui de l’indien et du noir (les descendants de blanc et métis, blanc et mulâtre, indien et métis, indien et mulâtre, etc. correspondant à leur tour à des catégories administratives : cuarterones, tercerones, salto atras, etc. dans le système espagnol). Le terme moreno (« brun »), renvoie à l’usage populaire actuel permettant d’euphémiser l’identification au noir. Par la suite, j’utiliserai les termes « métis » et « métissage » dans leur sens générique de combinaisons multiples, sans préjuger de l’appartenance raciale des individus, et non comme synonyme de descendant d’indien et de blanc.
  • [7]
    C’est par abus de langage que l’on parlera d’« école de Chicago », les individus identifiés comme lui appartenant n’ayant jamais présenté leurs recherches et leurs réflexions dans une logique de continuité et d’unité.
  • [8]
    Cette divergence tient aussi à des orientations disciplinaires propres au nord et au sud du continent : les populations noires sont étudiées dans une perspective sociologique aux États-Unis (Du Bois, 1899 ; Frazier, 1949 ; Park, 1950) dans laquelle les chercheurs privilégient l’analyse des processus de désorganisation/ réorganisation liés à l’urbanisation et, plus largement, à l’assimilation (avec l’exception notable de travaux de M. J. Herskovits). En Amérique latine, au contraire, les populations noires constituent un objet d’études pour les anthropologues, qui mettent l’accent sur l’acculturation, le syncrétisme, le maintien ou la disparition de traditions africaines.
  • [9]
    En Amérique latine, dans un contexte de valorisation du multiculturalisme, l’orientation actuelle des travaux vise à affirmer la permanence du racisme et le maintien de relations raciales inégalitaires et contraste avec les analyses en termes d’harmonie raciale et d’invisibilité des populations noires. Sur le Brésil, voir notamment Lovell, 1994 ; Véran, 1999 ; Agier, 2000. Sur la Colombie : de Friedemann, 1993 ; Uribe et Restrepo, 1997 ; Wade, 1997 ; Agudelo, 1999.
  • [10]
    On se reportera principalement à : Donald Pierson, 1967, Negroes in Brazil. A study of race contact at Bahia, Carbondale and Edwardsville : Southern Illinois University Press, London and Amsterdam : Feffet and Simons Inc., (1942). Voir aussi : Donald Pierson, 1972, « Brazilians of mixed racial descent », in N. P. Gist, A. G. Dworkin, The blending of races. Marginality and identity in world perspective, New York : Wiley Interscience, p. 237-263.
  • [11]
    Hughes a étudié les relations raciales et interethniques dans deux domaines particuliers : les relations entre canadiens francophones et anglophones, les relations entre travailleurs noirs et blancs dans la grande industrie. Voir Hughes, 1996.
  • [12]
    Voir aussi Stonequist, 1965.
  • [13]
    Les deux villes, autrefois principaux ports d’arrivée des esclaves sur le continent américain, connaissent aujourd’hui une valorisation touristique reposant notamment sur la mise en scène d’un multiculturalisme harmonieux.
  • [14]
    Celui-ci repose d’ailleurs sur la minoration de la fréquence d’apparition de certains termes, beaucoup plus utilisés que d’autres. On se reportera, pour une étude minutieuse du processus de catégorisation raciale et ethnique, par auto-identification ou par identification extérieure, aux travaux de l’IRD et de l’Université del Valle sur la ville de Cali (Colombie), notamment aux nombreux numéros de Documento de trabajo, CIDSE-IRD, Cali : Universidad del Valle.
  • [15]
    Park a consacré une grande partie de son analyse des relations raciales aux cas des Noirs américains et des Japonais vivant aux États-Unis. On se reportera notamment à Park, 1950, chapitre 9 « Our racial frontier on the Pacific », chapitre 11 « A race relation survey », chapitre 14 « The race relation cycle in Hawaii », chapitre 15 « The carreer of the Africans in Brazil », chapitre 16 « Racial assimilation in secondary groups », chapitre 17 « Race prejudice and japanese-american relations ».
  • [16]
    Voir aussi : Frazier, 1949 : 687 ; Wieviorka, 1993 ; Hollinger, 1995.
  • [17]
    Park précise que le terme « relations de race » inclut « les relations qui ne sont pas conscientes ni personnelles bien qu’elles l’aient été ; les relations qui sont fixées et imposées par la coutume, la convention et la routine d’un ordre social dont il peut ne pas exister à un moment donné une conscience très vivante » (Park, 1950 : 83, traduction J. M. Chapoulie).
  • [18]
    Phénomène que l’on retrouve dans la Caraïbe insulaire, comme en témoigne, par exemple, ce passage du roman de Patrick Chamoiseau, Texaco : « Marie-Sophie, faut pas croire, y’avait l’affaire de la couleur mais y’avait aussi l’affaire de la manière et des beaux airs. Avec la manière et les beaux-airs on te voyait mulâtre, si bien que les mulâtres étaient parfois tout noirs. Mais un mulâtre de peau (sans même parler du blanc) restait ce qu’il était sans la manière ou les beaux-airs. C’est compliqué mais c’est le vrai fil : les meilleurs beaux-airs c’était d’avoir la peau sans couleur d’esclavage » (Chamoiseau, 1992 : 95).
  • [19]
    De même, en Afrique du Sud, on parlera du « test du peigne ». Pourtant, au delà de règles largement admises, les difficultés des recensements ethniques, en Afrique du Sud (existence de la catégorie « gens de couleur ») et aux États-Unis (avec l’introduction du classement des « mixedblood »), témoignent également de l’incertitude des définitions ethniques. Sur l’Afrique du Sud, on se reportera à : Borenstein, 1987 : 116-121. Sur les États-Unis, Diouf-Kamara, 1993 : 30 ; Hollinger, 1995 : 1,45. Voir aussi la multiplication des catégories introduites dans le recensement 2000 aux États-Unis.
  • [20]
    Cette notion tire sa source des travaux de sociolinguistique interactionnelle développés par John Gumperz (1989) et Dell Hymes (1984), notamment sur la « commutation de code » ( code switching ), comme compétence sociale d’acteurs appartenant à des communautés de langage différentes. Le bilinguisme pose ainsi la question de la pluralité des codes et de leur coexistence au cours de l’interaction.
  • [21]
    Voir aussi R. Bastide et son « principe de coupure » (Bastide, 1996).
  • [22]
    Sur l’utilisation de cette « compétence métisse » dans l’étude des relations et normes raciales, à partir de l’analyse de quatre scènes urbaines, je me permets de renvoyer à ma thèse de doctorat de sociologie portant sur la ville de Cartagena, sur la côte caraïbe colombienne (Cunin, 2000).
  • [23]
    En Colombie, l’introduction du multiculturalisme a entraîné deux processus inverses : une instrumentalisation forte des nouvelles lois ethniques dans la région Pacifique conduisant à des dysfonctionnements politiques et sociaux (Agier et Hoffmann, 1999) ; une ignorance ou un rejet de ces lois, assimilées à une logique de « racisme à l’envers » sur la côte Atlantique (Cunin, 1999).
Français

Les chercheurs nord américains qui se sont penchés sur l’Amérique latine et la Caraïbe les ont traditionnellement analysées en termes de métissage, de continuum racial, d’harmonie des relations interethniques, mettant ainsi en lumière le contraste avec la bipolarisation et la conflictualité associées aux États-Unis. Pourtant cette vision enchantée du sud du continent oublie que les sociétés latino-américaines et caribéennes reposent sur un principe d’organisation socio-raciale, hérité de l’esclavage, et cache la permanence de discriminations raciales, aujourd’hui dénoncées à travers l’introduction d’un multiculturalisme s’inspirant de la discrimination positive, qui attribue notamment, dans plusieurs textes législatifs et constitutionnels, des droits spécifiques aux « populations afroaméricaines ». À travers le regard des chercheurs de la tradition de Chicago (Park, Hughes et Goffman principalement), il s’agit de s’interroger sur la portée de leurs concepts, réinterprétés dans une situation de décalage par rapport à leurs conditions d’apparition, tout en analysant les mécanismes de la transition – si transition il y a – du métissage au multiculturalisme en Amérique latine et dans la Caraïbe, en s’appuyant principalement sur les exemples du Brésil et de la Colombie.

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Elisabeth Cunin
Institut des Hautes Etudes de l’Amérique Latine 28 rue Saint Guillaume 75007 PARIS
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