CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1« Mettre en évidence l’inanité, non seulement du racisme, mais de la notion de race elle-même [1]. » Tels sont les mots du Directeur général de l’Unesco, Koïchiro Matsuura, le 16 novembre 2005 à Paris, pour résumer l’une des missions fondamentales de l’institution depuis sa création soixante ans auparavant. Il est souvent fait référence aux premières lignes de son Acte constitutif pour faire aujourd’hui de l’Unesco un symbole de l’antiracisme international des années 1940-1950 : « La grande et terrible guerre qui vient de finir a été rendue possible par le reniement de l’idéal démocratique de dignité, d’égalité et de respect de la personne humaine et par la volonté de lui substituer, en exploitant l’ignorance et le préjugé, le dogme de l’inégalité des races et des hommes » [2]. De même, les très nombreuses recherches [3] menées au sein de l’institution sur la « question raciale » contribuent, indirectement, à l’associer à la lutte contre le racisme. L’intérêt se porte notamment sur la première Déclaration sur la race, publiée en juillet 1950 à la suite de la réunion d’un premier comité d’experts en décembre 1949, et sur les déclarations qui lui succèdent, en 1951, 1964, 1967 et 1978 [4]. Étienne Balibar évoque ainsi une « révolution copernicienne » [5] sur les questions raciales au lendemain de la seconde guerre mondiale, qui fait passer les sciences humaines d’un point de vue objectiviste à un point de vue subjectiviste. Les différences entre les « races », « considérées comme des phénomènes objectifs dont il faut repérer les conséquences dans le champ de la politique et de la culture », étant alors abandonnées au profit des études sur le « racisme », c’est-à-dire « la croyance subjective en une inégalité des races ».

2Pourtant, l’antiracisme de l’Unesco est objet de controverses et subit des échecs. Loin du consensus attendu, la parution de la première Déclaration sur la race est suivie d’une polémique scientifique qui remet en cause la prétention de l’institution à produire un discours scientifique univoque sur la race et contre le racisme. La revue d’anthropologie britannique Man prend la tête d’une campagne de critiques reprochant à ce texte de traduire la position des sciences sociales, en excluant la biologie et la génétique, et de véhiculer des conclusions contestables sur la race comme « mythe social » et sur l’élan naturel des sociétés humaines vers la fraternité. L’Unesco est alors contrainte d’organiser, dans l’urgence, une deuxième réunion d’experts qui aboutit à une nouvelle déclaration, laquelle est à nouveau modifiée en 1964, 1967 et 1978, ce qui montre bien la difficulté d’arriver à un accord. Le « scandale » déclenché par la parution en 1971 de l’ouvrage de Claude Lévi-Strauss, Race et histoire, écrit à la demande de l’Unesco pour inaugurer l’année internationale de lutte contre le racisme, illustre bien cette difficulté. Le message de Lévi-Strauss sur la défense de la diversité culturelle est alors considéré comme réactionnaire et associé à une idéologie d’extrême droite, qui commence à prendre le visage, au début des années 1980, du Front national [6].

3En revenant sur l’association, posée comme une évidence, entre Unesco et antiracisme, je souhaite montrer que, loin d’être des « accidents de parcours », ces controverses révèlent les dysfonctionnements inhérents au projet antiraciste de l’institution, et que la « question raciale » n’a pas été prioritaire dans ses programmes durant les années 1940-1950. En fait, celle-ci n’y est présente que sur une très courte période, en grande partie en réponse aux injonctions du Secrétariat général des Nations unies. En outre, l’institution « pilote à vue », hésitant entre différents objectifs et logiques d’action, dans une forte instabilité des postes à responsabilités. Pour resituer la question raciale dans le cadre de l’élaboration et de la mise en place des activités de l’Unesco, je retracerai la naissance de ses programmes et structures, en particulier le Département des sciences sociales, j’analyserai les logiques de délimitation de la place de l’institution dans le système onusien, et je décrirai le rôle de quelques acteurs clés, tels Otto Klineberg et Alfred Métraux. Mon étude porte sur la période qui va de 1946 à 1952, soit des premières réunions de configuration de l’Unesco à ce que je considère comme le déclin de la question raciale en son sein, après l’emballement suscité par la première Déclaration sur la race. Pour cela, j’ai étudié le journal d’Alfred Métraux [7] et les écrits d’Otto Klineberg [8], ainsi que les archives de l’Unesco à Paris, tout d’abord sur la création, la mise en place et le fonctionnement du Département des sciences sociales (dossier « Programme Budget and Organization Department of Social Sciences », X07.55 SS) ; ensuite sur les échanges entre l’Unesco et le Secrétariat général des Nations unies concernant la Sous-Commission sur la prévention de la discrimination et la protection des minorités (dossier « Race Question Protection Minorities », 323.1) ; enfin sur les rapports des Conférences générales annuelles de l’Unesco.

4Je centrerai mon analyse sur la fabrique d’un discours antiraciste plus que sur ce discours lui-même, sur les coulisses de l’institution plus que sur les discussions sur la race. Je propose ainsi de mener une ethnographie historique des premières années de l’Unesco, afin d’appréhender ensemble les acteurs et les institutions, le singulier et le structurel, la description des logiques d’action et leur dynamique temporelle. J’ai ainsi suivi de façon minutieuse la chronologie des discussions et prises de décision, l’évolution des programmes, la succession des acteurs en lien avec la question raciale au sein de l’institution. Mon analyse est centrée exclusivement sur le fonctionnement interne de l’Unesco et laisse de côté le positionnement des États membres. L’accent mis sur la genèse des politiques antiracistes me permet de « mettre en évidence l’émergence progressive et tortueuse [des organisations internationales] et de déconstruire leur évidence institutionnelle » [9]. Contre une approche linéaire des liens entre Unesco et antiracisme, j’insisterai sur les hésitations, les contradictions, les aléas et les changements d’orientation qui marquent les activités sur la race. Ma démonstration suit un plan à la fois chronologique (pour « donner à voir » les « traces d’interaction » [10] notamment dans les correspondances, les rapports, les comptes rendus de réunions), thématique (pour dégager des lignes d’analyse) et centré sur les années charnières 1946-1952. Je reviendrai tout d’abord sur la création du Département des sciences sociales qui accueille la question raciale tout en l’inscrivant dans le cadre du programme « Tensions entre les nations », considéré comme prioritaire. Je montrerai ensuite que l’introduction de la thématique raciale n’est pas une initiative de l’Unesco mais une injonction des autres agences des Nations unies, à laquelle l’institution a dû se plier. Je m’intéresserai alors plus précisément aux activités, projets, acteurs qui construisent une politique antiraciste, notamment dans le cadre de la Division pour l’étude des questions de race, afin de mieux en saisir le caractère improvisé, incertain et inabouti. Enfin, j’analyserai le déclin du programme antiraciste de l’Unesco, visible dès 1952, en raison de ses contradictions institutionnelles et des trajectoires individuelles de ses principaux acteurs.

Création du Département des sciences sociales : des « tensions entre les nations » à la question raciale

5Au cours de l’année 1946, l’Unesco dessine son organisation [11], définit ses programmes, et nomme ses responsables. C’est au sein du Département des sciences sociales, dont la Division pour l’étude des questions de race est créée en 1950, qu’apparaît progressivement la question raciale.

6Une commission préparatoire est mise en place afin de préciser les attentes concernant le Département [12]. Parmi les nombreux thèmes de recherche suggérés et regroupés autour de huit axes, la question raciale apparaît à deux reprises : dans l’axe « Nationalism, International Understanding, Cultures », afin d’« explorer les bases de la compréhension mutuelle » au-delà des différences entre groupes, races et peuples ; et dans l’axe « Races, Population » avec un projet de recherche sur les fondements des théories raciales. Si elle est présente dans les projets fondateurs du Département, la question raciale est donc relativement minoritaire. De plus, elle est associée, d’une part, à une réflexion plus large sur le nationalisme et sur ce qui est qualifié de « compréhension internationale », qui marque fortement les premières années de l’Unesco à la recherche d’une plus grande collaboration entre les États, d’autre part, à une approche scientifique des théories raciales.

7L’Unesco fait également appel à de grands intellectuels de l’époque, en particulier l’historien français Lucien Febvre (1878-1956) et l’anthropologue états-unien Robert Redfield (1897-1958) [13]. Tandis que Febvre met l’accent sur la notion de « civilisation », autour notamment de l’étude de l’apport des différents groupes ethniques à l’œuvre commune de civilisation, Redfield parle de « meilleure compréhension entre les peuples du monde » et de la constitution d’une bibliothèque mondiale des chefs d’œuvre. Le texte « Les sciences sociales dans la société moderne » [14] fixe les objectifs du futur Département. Treize grands projets sont identifiés dont aucun n’a trait au racisme ; ils rendent compte des préoccupations de l’Unesco (faire du Comité des sciences sociales un vecteur de consolidation des sciences sociales dans le monde) et de certaines de ses thématiques récurrentes. C’est le cas des études sur l’opinion publique ou sur les effets du machinisme et de l’industrialisation, mais aussi de la question du « sentiment national » et de la « compréhension internationale », en particulier dans les régions dévastées par la guerre, comme la Pologne ou la Norvège, et autour du nazisme.

8La Conférence générale qui se tient à Paris en décembre 1946 confirme ces orientations en mettant en place différentes actions pour le renforcement et l’internationalisation des sciences sociales et en créant un programme de recherche sur les « Tensions Crucial to Peace » [15]. Celui-ci reprend les questions du nationalisme et du progrès technologique, au cœur des réflexions de l’Unesco. Le programme « Tensions », considéré comme prioritaire pour 1947, doit être mené sur plusieurs années. De fait, il est à nouveau mis en avant dans les activités du Département en 1947 [16] puis dans le rapport du Directeur général lors de la deuxième Conférence générale tenue à Mexico du 8 novembre au 3 décembre 1947 (rapport du Directeur général).

9Or le programme « Tensions » accueille et favorise les premiers travaux sur la race. Certes, celle-ci reste marginale, mais elle est présente, aux côtés d’autres logiques de catégorisation sociale, sur les minorités, les migrants, la culture. L’apparition de la question raciale dépend ainsi d’un questionnement sur les « tensions », lui-même fortement lié aux enjeux du nationalisme et de l’internationalisme, dans une perspective de construction de la paix.

10Cette première étape de structuration du Département est inséparable du rôle joué par le psychologue canadien Otto Klineberg, qui travaille sur les différences de comportement social en fonction de la nationalité mais aussi de la race, dans une perspective inspirée de l’anthropologie culturelle de Franz Boas. Au cœur de discussions sur l’influence de l’environnement social et de l’hérédité (notamment à partir des tests d’intelligence), Klineberg nie toute différence psychologique innée [17]. Entre 1948 et 1949, il prend la direction du programme « Tensions », succédant au psychologue états-unien Hadley Cantril qui l’avait initié. Parallèlement à sa carrière scientifique, Klineberg occupe plusieurs postes à responsabilités à l’Unesco : directeur par intérim du Département des sciences sociales en 1949 (au départ du sociologue norvégien Arvid Brodersen et avant l’arrivée du Brésilien Arthur Ramos, médecin, anthropologue et psychologue), puis directeur de la Division des sciences appliquées de 1953 à 1955, considérée comme l’extension du programme « Tensions » [18]. Travaillant à la fois sur le « tempérament national » et sur le rapport entre inné et acquis, Klineberg a sans doute contribué à la reconnaissance de la thématique raciale à l’Unesco, tout en la maintenant dans le cadre du Programme « Tensions ». La Division pour l’étude des questions de race publie son ouvrage Race and Psychology en 1951 et Klineberg participe à l’élaboration du programme de recherche de l’Unesco sur les relations interraciales au Brésil (il a été enseignant à São Paulo entre 1945 et 1947). En 1949, il évoque pour la première fois le projet, repris et modifié par la suite, de diffuser les Déclarations sur la race déjà formulées par des organisations scientifiques pendant la guerre (aux États-Unis, en Grande-Bretagne et au Brésil notamment), d’organiser une réunion d’experts en sciences sociales et biologiques et de mener une « offensive d’éducation » pour réduire l’écart entre l’avis des scientifiques sur la race et les préjugés raciaux du grand public [19].

Contribuer aux activités des Nations unies sur la discrimination et les minorités

11Si elle est centrée, durant ses premières années, sur la définition de ses propres objectifs et programmes, l’Unesco doit également se situer au sein du système des Nations unies et plus particulièrement par rapport à la Sous-Commission sur la prévention de la discrimination et la protection des minorités [20], créée en 1947, dont les thématiques croisent celles du Département des sciences sociales et qui va directement interpeller l’Unesco.

12Cette Sous-Commission, dont la première session a lieu du 24 novembre au 6 décembre 1947, dépend directement de la Commission des droits de l’homme, et s’inscrit également dans le cadre des activités du Conseil économique et social (ECOSOC), un des six organes des Nations unies. Son rôle est d’émettre des recommandations dans les domaines de la « prévention de la discrimination basée sur la race, le sexe, la langue ou la religion » et de la « protection des minorités » [21]. Dans un premier temps, elle a vocation à contribuer à l’élaboration de la Déclaration universelle des droits de l’homme sur les questions relatives à la discrimination et aux minorités. Au cours de cette première session, les termes « discrimination » et « minorités » sont précisés et discutés, des études sont envisagées sur les formes de discrimination qui empêchent l’« égal accès de tous aux droits humains et à la liberté fondamentale » [22]. Elle élabore la résolution 116 (VI) du 1er mars 1948 [23], dans laquelle l’Unesco est directement sollicitée pour la réalisation de programmes éducatifs contre la discrimination autour de quatre points : mise à disposition du matériel et des analyses recueillis au sein du programme « Tensions » ou de tout autre programme de l’Unesco (116 (VI) B i) ; « collaboration directe entre l’Unesco et les Nations unies » dans la formulation des programmes éducatifs (116 (VI) B ii) ; suggestion « d’envisager l’opportunité de proposer et de recommander l’adoption générale d’un programme de diffusion de faits scientifiques destinés à faire disparaître ce qu’il est convenu d’appeler les préjugés de race » (116 (VI) B iii) ; création d’un comité de spécialistes mondiaux de l’éducation œuvrant à « lutter contre tout esprit d’intolérance et d’inimitié entre nations et entre groupes » (116 (VI) B iv).

13Cette résolution a une influence déterminante sur la définition des programmes de l’Unesco : elle oriente directement les activités de l’institution et l’oblige à préciser celles qui relèvent de sa propre compétence et celles qui incombent aux autres entités des Nations unies. Sollicitée en amont pour la préparation de la première session, l’Unesco répond qu’elle n’a pas de programme spécifique concernant ces questions qui doivent être abordées dans le futur au sein du programme « Tensions » [24]. À plusieurs reprises (lettres du 20 avril 1948, du 14 juin 1948, du 12 août 1948 [25]), Henri Laugier, physiologiste français et Secrétaire général adjoint des Nations unies, écrit directement au Directeur général de l’Unesco, le biologiste britannique Julian Huxley, pour lui demander sa collaboration dans la mise en œuvre de cette résolution. Huxley transfère, bien souvent de façon pressante et répétée, cette demande aux responsables des différents départements, notamment celui des sciences sociales. La pression exercée sur l’Unesco est telle que, lorsqu’il en prend la direction, Jaime Torres Bodet revendique plus d’autonomie pour son institution et se distancie de la résolution 116 (VI) [26].

14Néanmoins, la pression des responsables des Nations unies oblige l’Unesco à se positionner. Au sein de son programme « Tensions », le Département des sciences sociales doit contribuer « à une large échelle à des programmes pratiques visant à combattre le préjugé racial » [27]. L’Unesco se met alors à la disposition du Secrétariat général des Nations unies et s’engage à répondre à ses sollicitations : elle contribuera bien, comme il est demandé, à la « diffusion des données scientifiques permettant de lutter contre le préjugé racial » [28].

15Ainsi les injonctions du Secrétariat général ne demeurent-elles pas sans effet sur les programmes de l’Unesco. Lors de sa troisième Conférence générale, qui se tient à Beyrouth du 17 novembre au 11 décembre 1948, la question de la discrimination apparaît dans le rapport du Directeur général. Certes, celui-ci rappelle que des mesures discriminatoires sont appliquées dans de nombreux pays, dont certains États membres de l’Unesco, mais il préconise de s’intéresser avant tout aux pays dans lesquels « aucune mesure discriminatoire n’a été appliquée et où les autorités ont cru sincèrement à la nécessité d’offrir à chaque citoyen une chance égale » [29]. La lutte contre la discrimination est alors associée à la préservation de la diversité artistique et culturelle, sans mention de la race. Une nouvelle fois, l’action de l’Unesco se situe au niveau du programme « Tensions », avec une longue série d’enquêtes sur les styles de vie, les changements d’attitudes mentales lors de conflits, la « compréhension internationale » et le nationalisme. Il y est question d’assimilation culturelle des immigrants, de nationalisme, de relations entre les peuples [30], mais toujours pas de race, comme si l’institution avait accepté de se plier aux demandes des Nations unies sans avoir les moyens ou la volonté d’y répondre.

L’introduction de la question raciale à l’Unesco : entre reconnaissance et tâtonnements

16Élu Directeur général de l’Unesco lors de la troisième Conférence générale de 1948, l’écrivain et politicien mexicain Jaime Torres Bodet (1902-1974) appelle à un renouvellement des programmes en 1949 et souhaite redonner plus d’ambition à l’institution. Tout en accordant une place plus importante au Département des sciences sociales et en augmentant son budget, il reproche au programme en cours de manquer « d’ampleur, de profondeur, d’unité » et estime qu’il doit être « repensé de fond en comble » [31]. Quelques semaines plus tard, Brodersen (1904-1996), directeur du Département des sciences sociales, et Klineberg, responsable du programme « Tensions », envoient une note sur la discrimination au Directeur général [32]. Il s’agit désormais de répondre à la résolution 116 (IV) sur le rôle de l’Unesco dans la lutte contre le préjugé racial. Un programme d’action est établi en mars 1949 autour de quatre points : la publication et la diffusion des déclarations faites, pendant la guerre, par des organisations scientifiques internationales reconnues sur les différences raciales et le préjugé racial ; la réunion d’un groupe d’experts en sciences sociales et biologiques qui formuleront leur propre déclaration [33] ; la rédaction d’une Convention internationale sur les différences raciales et le préjugé racial ; une « offensive éducative » pour réduire l’écart entre les connaissances scientifiques et populaires sur la race. Le Directeur général attribue 15 000 dollars à la mise en œuvre de ces activités. Cependant, n’ayant pas été prévu, ce budget est pris sur le programme « Tensions », qui finance donc notamment l’organisation du comité d’experts sur la race.

17La quatrième Conférence générale qui a lieu du 19 septembre au 5 octobre 1949 à Paris marque un tournant dans le programme de l’Unesco qui, pour la première fois, comprend une rubrique spécifique sur les questions raciales, séparée des activités sur les « Tensions » [34]. Le point 4. 2. du Département des sciences sociales porte en effet sur la recherche et la diffusion de données scientifiques concernant les questions de race. Il se divise en trois sous-programmes : 4.21. Rechercher et rassembler les données scientifiques concernant les questions de race ; 4.22. Diffuser largement les données scientifiques ainsi réunies ; 4.23. Préparer une campagne d’éducation fondée sur ces données. Le programme « États de tension et compréhension internationale » fait l’objet d’une rubrique distincte (4.3) et porte sur la conception que les habitants se font de leur nation, les attitudes mentales, le nationalisme, l’assimilation culturelle des immigrants, le rôle de la technique.

18Ramos, qui succède à Klineberg en août 1949, met en avant, dans ses recherches, le rôle de la famille et de l’école dans la formation de la personnalité et s’intéresse aux religions afro-brésiliennes. Lorsqu’il arrive à l’Unesco, il est considéré comme l’un des principaux acteurs de l’antiracisme scientifique des années 1930-1940. Dès sa prise de fonctions [35], il annonce la création d’une Division pour l’étude des questions de race au sein du Département des sciences sociales. En octobre 1949, il envoie une série de lettres d’invitation pour participer à un comité d’experts sur la race, prévu pour décembre à Paris. Il est demandé aux experts de donner leur avis sur la définition de la race. L’interdisciplinarité est limitée aux sciences sociales (anthropologie physique, sociologie, psychologie sociale, ethnologie), et l’objectif d’élaborer une Convention internationale n’apparaît plus.

19Ramos meurt le 31 octobre 1949, avant la tenue du comité. Il est remplacé par le sociologue américain Robert Angell. La succession de directeurs du Département en cette période charnière de 1949-1950 témoigne de l’instabilité de ce poste et contribue à l’inconstance des mesures adoptées. Malgré les doutes qui ont plané sur son maintien, le comité d’experts est finalement mis en place, mais dans la précipitation : Ramos n’a eu que quelques semaines pour le préparer et Angell en assume la responsabilité sans avoir véritablement porté ce projet. Finalement, c’est le juriste et politiste espagnol José Ramón Xirau, détaché du programme « Tensions » pendant trois mois, qui organise concrètement le comité entre octobre et décembre 1949. Et c’est Alfred Métraux, arrivé en avril 1950 à la tête de la Division pour l’étude des questions de race, qui fait face à la polémique ouverte par la première Déclaration sur la race (qu’il diffuse en juillet 1950), sans avoir contribué ni au comité d’experts ni à la Déclaration.

20Certes, les comptes rendus du Département de sciences sociales datés de novembre et décembre 1949 [36] font état de la préparation du comité, mais la thématique de la race est un point parmi d’autres des discussions des membres du Département. Le 10 novembre 1949, la question est abordée en toute fin de réunion, Xirau informant qu’il vient de reprendre en main le dossier du comité et de répondre aux nombreuses demandes d’information/confirmation des experts invités. Le 18 novembre, sur une suggestion d’Angell, l’objectif de la réunion devient plus ambitieux : il ne s’agit plus « seulement » de définir la race, mais de « reconsidérer toute la question à la lumière de la collaboration apportée par les experts et [de] tenter de suppléer aux lacunes [des] connaissances actuelles ». Comme le rappelle Xirau au lendemain de la tenue du comité, cet élargissement de dernière minute ne correspondait pas au projet de Ramos [37].

Naissance de la Division pour l’étude des questions de race

21Angell s’arrête également sur la nomination d’un directeur pour la Division initiée par Ramos avant sa mort. Il aimerait privilégier un « nègre des États-Unis » alors que le Directeur général, Jaime Torres Bodet, préférerait un candidat d’Amérique latine. Deux personnes au moins sont ouvertement candidates : José Ramón Xirau et Ashley Montagu. Au lendemain de la première réunion qu’il a organisée, Xirau expose à Angell les raisons pour lesquelles il souhaite poursuivre son engagement, tout en définissant les contours de ce que pourrait être la future Division pour l’étude des questions de race [38]. Selon lui, l’Unesco ne devrait pas entreprendre de recherches, car elle n’est pas une institution scientifique mais une sorte de ministère mondial de l’Éducation. Il ne s’agit pas d’aborder la race, dans sa dimension biologique ou anthropologique, mais le racisme, en tant que problème social et politique. En ce sens, un anthropologue n’est pas le mieux armé pour occuper ce poste, qui conviendrait davantage à un politiste ayant une expérience internationale (ce qui est son cas puisqu’il est professeur de science politique à Barcelone et à Lyon, et qu’il a occupé des postes à responsabilités à la Ligue des nations pendant douze ans). Montagu, quant à lui, est connu pour son ouvrage Man’s Most Dangerous Myth : The Fallacy of Race (1942), et son nom est associé aux campagnes antiracistes d’avant et d’après la seconde guerre mondiale. C’est à ce titre qu’il participe à la première réunion du comité d’experts sur la race, dont il est nommé rapporteur. Il contribue fortement à la rédaction de la première Déclaration, en particulier de certains points (la race comme mythe, la fraternité entre les hommes) qui ont été au cœur des polémiques ultérieures. Finalement, les deux hommes, qui avaient été parmi les principaux acteurs de la première réunion de l’Unesco sur la race, ne sont pas retenus, et la direction de la Division nouvellement créée est attribuée à Alfred Métraux.

22Spécialiste des populations indiennes d’Amérique latine, Métraux a occupé différents emplois de professeur aux États-Unis puis au sein du Bureau d’ethnologie américaine de la Smithsonian Institution. Après la guerre, il se rapproche des Nations unies, où il occupe un poste de chef de section au Département des affaires économiques et sociales, puis de l’Unesco, en tant que conseiller du projet (avorté) de création de l’Institut international de l’Hylea amazonienne au Brésil et coordinateur d’une enquête internationale sur Haïti (vallée de Marbial) entre 1948 et 1950. André-Marcel d’Ans présente l’arrivée de Métraux à la tête des activités sur la race de l’Unesco comme une évidence : « Juif et russe par sa mère, longuement déraciné en Argentine, naturalisé américain, appelé en outre par son métier d’ethnologue à fréquenter intimement Polynésiens, Nègres et Indiens, [Métraux] était mieux préparé que quiconque [pour] mesurer la misère du préjugé racial, s’interroger sur ses causes et s’atteler à la tâche de chercher des remèdes pour soulager de ce préjugé un monde qui en était malade » [39]. Pourtant, rien dans ses écrits n’associe cet ethnologue s’intéressant aux techniques matérielles, aux mythes et aux rites religieux, et à l’organisation sociale, à une réflexion sur la race et le racisme. D’ailleurs, lorsqu’il lui écrit pour lui présenter ses futures responsabilités [40], Angell évoque tout autant la question raciale que son expertise sur les zones sous-développées du monde et les actions à mener en termes d’assistance technique. Telle que définie par le directeur du Département des sciences sociales, la mission première de Métraux est de s’occuper de la diffusion de la Déclaration sur la race, alors en attente de validation finale par Montagu et le Directeur général de l’Unesco, puis d’élaborer des brochures de divulgation, fondées sur la Déclaration. À rebours des suggestions faites par Xirau, Angell charge Métraux de coordonner des programmes de recherche, dont l’un porte sur les relations raciales et les deux autres, de façon plus surprenante, sur les ajustements aux changements technologiques. Enfin, Angell rappelle que le programme d’assistance technique est « une de [leurs] premières préoccupations » et compte sur les conseils de Métraux dans ce domaine. Au moment où il prend ses fonctions, les termes « technique » et « culture » sont au cœur des préoccupations de Métraux ; celui de « race » est absent [41]. Au cours des premiers mois de l’année 1950, le Département n’évoque pratiquement pas la question raciale [42]. Les premières participations de Métraux à ses réunions, à partir du 3 avril 1950, font réapparaître le sujet, sans que celui-ci soit particulièrement présent dans les discussions collectives ou dans les propos du directeur de la Division, lequel intervient tout autant sur l’assistance technique, le rapport entre éducation et technologie ou le Bulletin international des sciences sociales.

23Il faut attendre le mois de juin 1950 pour noter une certaine effervescence. Le 2 juin 1950, Métraux fait parvenir à Angell son plan d’action intitulé « Projet de programme pour les activités de l’Unesco dans le domaine des questions de race ». Celui-ci s’articule autour des points suivants : réunir des données scientifiques sur la race ; rendre ces informations accessibles au grand public ; initier une enquête dans une ou plusieurs communautés où les rapports interraciaux « se présentent sous un aspect harmonieux ».

24La plus grande partie du projet de Métraux concerne la collaboration avec le Département de l’information des masses, consulté quelques jours plus tôt [43], qui ferait alors de la campagne sur la race une de ses priorités. Très vaste, cette campagne prévoit des articles, écrits par des savants, des journalistes ou des écrivains célèbres, sur les actions menées par les États membres pour améliorer les relations raciales ; elle envisage une diffusion dans des journaux à grand tirage mais aussi à la radio, dans des films (en particulier à Hollywood), et dans une exposition ambulante. Des discussions sur la question des races seraient organisées dans les États membres. Métraux prévoit des collaborations avec le Département de l’éducation afin que celui-ci introduise la thématique dans son programme d’activités, notamment sur l’amélioration des manuels scolaires [44].

25L’anthropologue brésilien Ruy Coelho, nommé assistant de Métraux, participe pour la première fois aux réunions du Département et annonce la rédaction d’un projet d’enquête sur les rapports interraciaux au Brésil (23 juin 1950). Dans les comptes rendus, Métraux se dit par ailleurs très occupé par la diffusion de la Déclaration sur la race qui doit intervenir après la cinquième Conférence générale qui se tient à Florence du 22 mai au 17 juin 1950 : rédaction d’un article de fond, déclaration de presse, recherche d’illustrations pour un numéro spécial du Courrier de l’UNESCO. Il s’inquiète également d’éventuels malentendus au moment de la diffusion large de textes spécialisés : il lui faut « surveiller de très près les textes qui vont être publiés afin que ceux-ci ne reflètent pas exactement le contraire de ce que nous voulons dire » (6 juillet 1950). Le 18 juillet, la Déclaration sur la race est tirée à 40 000 exemplaires, en trois langues (français, anglais, espagnol). Selon Métraux, plusieurs gouvernements s’appuient rapidement sur la Déclaration, ce qui constitue un véritable succès (22 septembre 1950). Le nouveau rapport d’activités qu’il présente pour la période d’août et septembre 1950 témoigne du dynamisme de la Division [45]. La très large diffusion de la Déclaration sur la race a suscité de nombreuses demandes d’informations sur les activités de l’Unesco, de précisions sur certains points du document, d’envois de textes supplémentaires. Parallèlement, la publication de brochures signées par des spécialistes (notamment Arnold M. Rose, The Roots of Racial Prejudice ; Juan Comas, Les mythes raciaux ; Leslie C. Dunn, Race et biologie) est en cours [46]. De son côté, Coelho s’occupe de rédiger un projet de recherche sur les relations raciales au Brésil, qui intègre les commentaires de Klineberg et dessine une collaboration avec l’anthropologue états-unien Charles Wagley. Métraux rencontre en outre le sociologue Louis Wirth, qui lui fait des suggestions sur les activités de l’Unesco, et annonce la parution d’un numéro spécial sur le racisme du Bulletin international des sciences sociales.

Vers la fin de l’antiracisme ?

26Métraux jouit d’une reconnaissance scientifique et institutionnelle internationale et la Division pour l’étude des questions de race est bien structurée. Pourtant, elle est marquée par un certain flou dans ses objectifs et ses modalités d’action, et décline progressivement, bien que son existence institutionnelle soit maintenue. La polémique qui suit la publication de la première Déclaration sur la race est révélatrice tant des illusions de la Division que de l’improvisation de ses actions. Les nombreux échanges qui s’ensuivent montrent les divergences de la communauté scientifique (par exemple sur l’utilisation ou non du terme « race ») et l’impossible traduction politique de « vérités scientifiques » supposées. De fait, en l’absence de coordinateur et sans objectifs précis, le comité d’experts est très fortement marqué par la personnalité et les idées de Montagu (qui introduit notamment le passage sur la fraternité), alors que Métraux doit apaiser une polémique dont il n’est pas partie prenante (et qu’il appelle « l’affaire » [47] dans son journal) [48]. Lors de la cinquième Conférence générale, à Florence, du 22 mai au 17 juin 1950, les activités portant sur les questions raciales sont à nouveau inscrites dans le programme « Tensions » et perdent ainsi la brève autonomie obtenue en 1949. Dans son rapport, le Directeur général met en avant l’« étude des états de tension dans le monde » et évoque à la fois les styles de vie, le fascisme, les minorités ethniques, le domaine de la technologie, l’assimilation culturelle des immigrants, le nationalisme et « les frictions provoquées par les problèmes raciaux » [49]. Le programme du Département pour 1951 intègre un axe sur l’« étude des états de tension sociale » (programme 3.2), dont seuls les deux premiers points, sur les neuf qu’il compte, abordent les questions raciales (diffusion des connaissances sur les préjugés raciaux, enquête au Brésil).

27Au lendemain de cette cinquième Conférence générale, la diplomate et sociologue suédoise Alva Myrdal [50] est nommée directrice du Département. Dans une lettre à son prédécesseur, elle estime que, la race ayant constitué la thématique centrale du Département en 1950 et 1951, les priorités doivent désormais évoluer. L’« inclusion de la question des droits de la femme au lieu de l’égalité raciale » répondrait ainsi davantage aux orientations du Directeur général mais aussi aux nouvelles demandes faites par le Conseil économique et social [51]. Quelques temps plus tard, dans son journal daté du 27 février 1952, Métraux note que le Directeur général est lui aussi mal disposé concernant les activités sur la race, dont il coupe les projets [52].

28Les deux activités centrales de la Division pour l’étude des questions de race en 1951 concernent la diffusion (publication d’ouvrages et de la revue Le Courrier de l’Unesco principalement) et l’enquête sur le Brésil. Elles constituent de fait les principaux résultats de la Division. Au-delà de leur contenu, il convient de se pencher à nouveau sur la mise en œuvre de ces deux programmes qui, là encore, témoigne de leur caractère improvisé. Les comptes rendus des réunions du Département sont à cet égard révélateurs [53]. Le 6 octobre 1950, à la suite de l’intervention d’Émile Delavenay, responsable du Service des documents et publications de l’Unesco, la stratégie de publication est modifiée : les brochures sur la race sont désormais publiées sous forme de livres, avec des éditeurs privés, et non plus sous forme de brochures par l’Unesco. Le 11 décembre 1950, Coelho expose ses difficultés concernant les publications, certains textes devant être rédigés à nouveau car ils ne s’adressent pas au public prévu. Il est alors suggéré d’établir des directives plus précises, notamment sur le type de public visé : grand public, qui relèverait alors du Département de l’information des masses, ou public cultivé, auquel s’adresse le Département. Le 15 janvier 1951, Métraux revient à son tour sur les ambigüités de l’objectif de « popularisation ». Une des brochures écrites par un scientifique vient précisément d’être refusée par l’Unesco parce que jugée trop « populaire ». Ces échanges montrent à quel point l’activité phare du Département, la publication de brochures sur la race, n’a jamais reposé sur des objectifs clairement définis ; elle a été de plus fortement tributaire des décisions du Département de l’information des masses et du Service des documents et publications. À ces incertitudes s’ajoute un autre enjeu récurrent : celui de la traduction, qui occupe une grande place dans les comptes rendus du Département, et mobilise des professionnels mais aussi Métraux, qui se plaint d’ailleurs fréquemment de la mauvaise qualité du travail fourni. Outre la complexité de la traduction dans les langues de l’Unesco, la question se pose de la diffusion dans les langues locales en Afrique, Asie, Amérique latine, c’est-à-dire également dans la « langue des discriminés » [54], et de la capacité à s’adresser à un lectorat planétaire plus qu’à sa propre société [55]. Les défis sont considérables et Métraux n’avait sans doute pas mesuré l’ampleur de la tâche [56].

29Quant au programme de recherche sur le Brésil, il prend lui aussi progressivement une dimension inédite. Le projet intègre les avis des plus grands spécialistes de l’époque : Otto Klineberg, Charles Wagley, Roger Bastide, Florestan Fernandes, qui apportent nuances, enrichissements et nouvelles pistes. La notion même de « race » est interrogée, des comparaisons sont initiées avec les États-Unis, un inventaire des études déjà existantes est réalisé. Le projet repose sur une collaboration à grande échelle, avec différentes institutions brésiliennes, et sur la participation de nombreux chercheurs brésiliens, français, états-uniens. Il se transforme ainsi en véritable programme de recherche d’envergure internationale piloté par Métraux lui-même, qui se rend à deux reprises au Brésil (du 16 novembre au 20 décembre 1950 et du 29 octobre au 12 décembre 1951). De fait, on peut se demander si l’ambition scientifique de ce projet n’a pas en partie détourné les intentions premières de l’Unesco. La problématique initiale (une enquête centrée sur des communautés traditionnelles dans la région de Bahia) est profondément modifiée pour inclure les sociétés en transition (urbanisation, industrialisation, migration) à Recife, São Paulo et Rio de Janeiro. Certes, cette évolution répond à un enjeu scientifique de prise en compte de différents contextes d’analyse des relations raciales, mais elle s’écarte des objectifs posés par l’Unesco : montrer un « exemple harmonieux » de relations raciales. Élargir l’enquête à ces trois villes implique précisément de sortir de cette vision enchantée du monde pour inclure les situations de conflit. Métraux a parfaitement conscience de cette contradiction. Dans son rapport sur « les activités de l’Unesco en matière de race » transmis pour la quatrième session de la Sous-Commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et pour la protection des minorités, il écrit : « L’enquête au Brésil est destinée avant tout à donner un tableau d’ensemble d’une situation qui est considérée de l’avis unanime comme favorable et qui, comme telle, peut être donnée en exemple au reste du monde. Ce type de recherches est conforme aux aspirations de l’Unesco, qui souhaite mettre l’accent sur la connaissance des aspects positifs des rapports interraciaux » [57]. Pourtant, quelques temps auparavant, à la suite de sa première mission au Brésil, il annonçait une « révision du plan de travail pour le projet brésilien » à Myrdal : « Ma mission au Brésil, en me donnant l’occasion d’examiner les problèmes interraciaux de plus près, m’a contraint à modifier très profondément les plans que j’avais conçus à distance. Étant donné l’importance de la population de couleur dans l’État de Bahia, et l’atmosphère favorable qui entourent les rapports entre races, cette région m’était apparue comme la mieux indiquée pour y réaliser le projet pilote prévu par la résolution 3.22 (...). Or, après examen du problème sur place, et après de longues discussions avec le professeur Wagley et ses collaborateurs, je suis parvenu à la conclusion que le projet tel que nous l’avions conçu à distance risquait de nous conduire à des conclusions valables uniquement pour Bahia et non pas pour l’ensemble du Brésil » [58].

30Le projet sur le Brésil constitue un moment central de l’engagement de Métraux à l’Unesco : il lui offre l’occasion de renouer avec la recherche et les chercheurs et d’entretenir des liens personnels avec plusieurs collègues brésilianistes (Charles Wagley, Roger Bastide, mais aussi Pierre Verger, qui n’est pas membre du projet). Dès avril 1951 néanmoins, il commence à s’interroger sur la suite à donner au programme sur les races. Il considère que les recherches ne sont pas suffisantes et qu’il faut orienter les actions de l’Unesco vers la lutte contre les préjugés [59]. Il réfléchit à la mise en place d’un centre de documentation sur la race à Paris qui ne verra jamais le jour. Dans un courrier au Directeur général qui fait suite à une mission à New York, il se montre plus nuancé sur le rôle de l’Unesco, rappelant qu’elle n’a pas vocation à prendre des mesures concrètes : « La lutte contre le racisme sur le terrain pratique exige la mise en œuvre de mesures législatives et l’Unesco n’a pas qualité pour imposer des lois de cette nature aux États membres » [60]. Il évoque également un projet de dispositif international pour la lutte contre les mesures discriminatoires et pour la protection des minorités, auquel l’institution ne s’associe pas : le projet ne comporte pas de dimension culturelle et n’entre donc pas dans ses prérogatives.

31Se plaignant de la surcharge de travail administratif de son poste, Coelho quitte la Division pour l’étude des questions de race en février 1952 [61]. Métraux évoque des projets sur l’éducation et la discrimination (qui aboutiront à un colloque sur l’enseignement des questions raciales à l’école en septembre 1955), sur les élites indigènes en Afrique et en France, sur l’assimilation des minorités ethniques (qui donnera lieu à une publication de Wagley et Harris en 1958 [62]). Dans le même temps, il s’implique de plus en plus dans les programmes d’assistance technique et de développement, notamment dans le cadre du Programme indien andin des Nations unies [63]. Après un séjour d’un peu plus d’un mois au Dahomey entre 1952 et 1953, il part pour six mois en Amérique du Sud (Brésil et pays andins) à la fin de l’année 1953. De fait, dans son journal, la thématique raciale, bien présente au cours des années 1950-1951, tend progressivement à diminuer en 1952 et 1953 [64].

32Dans son discours inaugural pour la célébration des 60 ans de l’Unesco, Koïchiro Matsuura affirme : « Certes le racisme n’a pas disparu, mais son fondement théorique a été anéanti, au point que le mot “race” lui-même est désormais désuet » [65]. L’examen des archives des premières années de l’Unesco interroge une telle affirmation. Le « tournant antiraciste » a-t-il bien eu lieu ? N’est-il pas une invention a posteriori de l’Unesco et des agences des Nations unies, ainsi que des organisations de lutte contre le racisme, pour mieux se réclamer de l’héritage de l’Unesco ou au contraire s’en distancier ? Les archives du Département des sciences sociales montrent que la question raciale a été imposée de l’extérieur et qu’elle n’est officiellement apparue qu’une seule fois, en 1949, dans des Conférences générales. En outre, on constate un rythme de renouvellement élevé des responsables et des modifications incessantes des objectifs, qui conduisent à des prises de décision dans l’incertitude, sans consensus ou selon les conditions fixées par d’autres départements et agences. Enfin, la « race » et le « racisme » côtoient d’autres termes (minorités, tensions, discrimination), et l’antiracisme est marginal par rapport aux programmes sur les « tensions entre les nations » ou sur l’assistance technique.

33L’accent mis sur le fonctionnement interne de l’Unesco, sur les pratiques et positionnements de ses principaux acteurs, permet de tirer quelques conclusions de cette généalogie du projet antiraciste. Tout d’abord, l’ambition d’élaborer un programme de transformation sociale fondé sur des « vérités scientifiques » se révèle illusoire. Non seulement les scientifiques ne sont pas d’accord entre eux, mais en plus l’utilisation des résultats scientifiques dans une logique d’action a pour résultat de les simplifier (aller vers « une » définition de la race) et de les instrumentaliser (montrer l’harmonie raciale du Brésil) afin de les rendre opératoires. Par ailleurs, le terme « race » ne disparaît pas des propos de nombreux scientifiques associés à l’Unesco ni des programmes de l’institution. La volonté de lutter contre le racisme s’appuie de fait sur une réification de la race et une vulgarisation du terme « race ». Enfin, il n’y a pas eu d’élaboration rationnelle, programmée, cohérente d’un discours et d’une politique de lutte contre le racisme à l’Unesco au tournant des années 1940-1950, qui marquerait un acte de naissance de l’antiracisme international.

Notes

  • [1]
    Matsuura Koïchiro, « Discours inaugural », dans 60 ans d’histoire de l’UNESCO. Actes du colloque international, 16-18 novembre 2005, Paris, Unesco, 2007, p. 12.
  • [2]
    « Convention créant une Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture », 2014. Voir Textes fondamentaux, Édition 2014, Paris, Unesco, 2014, p. 5.
  • [3]
    L’ouvrage publié en 2007 à l’occasion des 60 ans de l’Unesco contient une sous-partie sur les questions raciales. Voir par ailleurs, entre autres, Sebastián Gil-Riaño, « Historicizing Anti-Racism : UNESCO’s Campaigns against Race Prejudice in the 1950s », PhD Thesis, Institute for the History and Philosophy of Science and Technology, University of Toronto, 2014 ; Anthony Q. Hazard, Postwar Anti-Racism : The United States, UNESCO, and « Race », 1945-1968, New York, Palgrave Macmillan, 2012 ; Daniel M. C. Neil, « Race, Prejudice and UNESCO : The Liberal Discourse of Cyril Bibby and Michael Banton », The History of Education Researcher, 85 (2), 2010, p. 74-84 ; Claudio Pogliano, L’ossessione della raza. Antropologia e genetica nel XX secolo, Pise, Edizioni della Normale, 2005 ; Chloé Maurel, « “La question des races” : le programme de l’Unesco », Gradhiva, 5, 2007, p. 114-131.
  • [4]
    Voir notamment Pierre-André Taguieff, « Du racisme au mot “race” : comment les éliminer ? Sur les premiers débats et les premières Déclarations de l’Unesco (1949-1951) concernant la “race” et le racisme », Mots. Les langages du politique, 33, 1992, p. 215-239 ; Marcos Chor Maio, « Un programme contre le racisme au lendemain de la seconde guerre mondiale », dans 60 ans d’histoire de l’UNESCO. Actes du colloque international, Paris, 16-18 novembre 2005, op. cit., p. 187-196 ; Yvan Gastaut, « L’UNESCO, les “races” et le racisme », dans ibid., p. 197-210 ; Staffan Müller-Wille, « Race et appartenance ethnique : la diversité humaine et l’UNESCO. Les Déclarations sur la race (1950 et 1951) », dans ibid., p. 211-220 ; Perrin Selcer, « Negotiating Politics to Produce UNESCO’s Scientific Statements on Race », Current Anthropology, 53 (S5), 2012, p. 173-184 ; Elazar Barkan, « The Politics of the Science of Race : Ashley Montagu and UNESCO’s Anti-Racist Declarations », dans Larry T. Reynolds, Leonard Lieberman (eds), Race and Other Misadventures : Essays in Honor of Ashley Montagu in His Ninetieth Year, New York, General Hall, 1996, p. 96-105 ; Michelle Brattain, « Race, Racisme, and Antiracism : UNESCO and the Politics of Presenting Science to the Postwar Public », The American Historical Review, 112 (5), 2007, p. 1386-1413.
  • [5]
    Étienne Balibar, « La construction du racisme », Actuel Marx, 38 (2), 2005, p. 20-21 (https://www.cairn.info/revue-actuel-marx-2005-2-page-11.htm).
  • [6]
    Wiktor Stoczkowski, « Racisme, antiracisme et cosmologie lévi-straussienne. Un essai d’anthropologie réflexive », L’Homme, 182, 2007, p. 7-51.
  • [7]
    André-Marcel D’Ans (compilation, introduction et note), Alfred Métraux. Itinéraires I (1935-1953). Carnets de notes et journaux de voyage, Paris, Payot, 1978.
  • [8]
    Otto Klineberg, « Réflexions d’un psychologue international d’origine canadienne », Revue internationale des sciences sociales, 25 (1-2), 1973, p. 40-56.
  • [9]
    Sandrine Kott, « Les organisations internationales, terrains d’étude de la globalisation. Jalons pour une approche socio-historique », Critique internationale, 52, 2011, p. 13.
  • [10]
    Gilles Laferté, « L’ethnographie historique ou le programme d’unification des sciences sociales reçu en héritage », dans François Buton, Nicolas Mariot, Pratiques et méthodes de la socio-histoire, Paris, PUF, 2009, p. 45-68.
  • [11]
    L’Unesco est alors organisée en 6 départements (éducation, sciences naturelles, sciences sociales, information des masses, activités culturelles, assistance technique) qui peuvent à leur tour accueillir des divisions et des programmes. Les termes « section » puis « département » étant utilisés dans les archives, je retiens uniquement celui de département, pour simplifier la lecture.
  • [12]
    Archives UNESCO, « Programme Budget and Organization Department of Social Sciences », X07.55 SS. « Comité préparatoire, Commission des sciences sociales. 31 mai 1946 ».
  • [13]
    Ibid., « Propositions soumises au Comité par la délégation française (Lucien Febvre) », « Propositions au sous-comité des sciences sociales de la Commission préparatoire de l’UNESCO par Robert Redfield, conseiller du représentant des États-Unis, en matière de sciences sociales ».
  • [14]
    Ibid., 4 juin 1946.
  • [15]
    Dont l’intitulé est changeant : « Tensions Affecting International Understanding », « Les états de tension et la compréhension internationale ».
  • [16]
    Archives UNESCO, « Programme Budget and Organization Department of Social Sciences », X07.55 SS, 24 avril 1947.
  • [17]
    O. Klineberg, « Réflexions d’un psychologue international d’origine canadienne », art. cité ; C. Maurel, « Otto Klineberg (1899-1992), la psychologie appliquée à l’antiracisme, à la paix et à la compréhension internationale », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, 127, 2015, p. 75-94.
  • [18]
    O. Klineberg, « Réflexions d’un psychologue international d’origine canadienne », art. cité, p. 48.
  • [19]
    O. Klineberg, « Plan d’étude de l’UNESCO sur les états de tension internationale. Un appel aux sciences de l’homme », Allocution présentée lors de la réunion annuelle de l’Eastern Psychological Association, Springfield, 8 avril 1949. UNESCO/SS/TAIU/15, 15 juillet 1949.
  • [20]
    Qui prend également parfois le nom de Sous-Commission pour la lutte contre les mesures discriminatoires et la protection des minorités.
  • [21]
    Archives UNESCO, « Race Question Protection Minorities », 323.1. Rapport ECOSOC, Sous-Commission sur la prévention de la discrimination et la protection des minorités, 1re session, 6 décembre 1947.
  • [22]
    Ibid.
  • [23]
    Ibid.
  • [24]
    Ibid. Lettre d’André de Blomay, responsable des relations extérieures, à Henri Laugier, Secrétaire général adjoint, Nations unies, 31 octobre 1947.
  • [25]
    Archives UNESCO, « Race Question Protection Minorities », 323.1, cité.
  • [26]
    Ibid. Cité dans la lettre d’A. Brodersen à O. Klineberg, 15 avril 1949.
  • [27]
    Ibid. Lettre d’A. Brodersen, Social Sciences Section, à External Relations, 28 mai 1948. Je traduis toutes les citations en anglais.
  • [28]
    Ibid. Réponse officielle à Henri Laugier le 16 juillet 1948.
  • [29]
    Rapport du Directeur général sur l’activité de l’organisation en 1948, présenté à la Conférence générale lors de sa troisième session en novembre-décembre 1948, Paris, Unesco, 1948, p. 22.
  • [30]
    Ibid., p. 74.
  • [31]
    Archives UNESCO, « Programme Budget and Organization Department of Social Sciences », X07.55 SS. Lettre du Directeur général à A. Brodersen, chef du Département de sciences sociales, Plan de travail pour le premier semestre 1949, 28 février 1949.
  • [32]
    Archives UNESCO, « Race Question Protection Minorities », 323.1, 25 mars 1949.
  • [33]
    Parmi ces experts sont évoqués les noms de l’ethnologue cubain Fernando Ortiz, du psychologue et anthropologue brésilien Arthur Ramos, du biologiste britannique Julian Huxley, de l’anthropologue états-unien Wilton Krogman, de l’ethno-psychologue haïtien Louis Mars. Aucun ne participera à la réunion.
  • [34]
    Actes de la Conférence générale de l’Unesco, quatrième session, Paris, 1949, Résolutions, Paris, Unesco, novembre 1949, p. 23.
  • [35]
    Archives UNESCO, « Programme Budget and Organization Department of Social Sciences », X07.55 SS, 30 août 1949.
  • [36]
    Archives UNESCO, Budget II « Programme Budget and Organization Department of Social Sciences », X07.55 SS.
  • [37]
    Archives UNESCO, « Race Question Protection Minorities », 323.1. Lettre de José Ramón Xirau à Robert Angell, 21 décembre 1949.
  • [38]
    Ibid.
  • [39]
    A.-M. d’Ans, Alfred Métraux. Itinéraires I (1935-1953). Carnets de notes et journaux de voyage, op. cit., p. 285.
  • [40]
    Archives UNESCO, « Race Question Protection Minorities », 323.1, 24 mars 1950.
  • [41]
    Ibid., 20 avril 1950.
  • [42]
    Archives UNESCO, « Programme Budget and Organization Department of Social Sciences », X07.55 SS.
  • [43]
    Le directeur du Département de l’information des masses, évoquant un « principe de concentration », suggère à Métraux de prévoir une action de communication intense, sur une période limitée (deux ans), sur des problèmes concrets, en ciblant quelques pays à visiter. La « campagne race » remplace ainsi la « campagne énergie », menée précédemment par l’Unesco, tout en s’inspirant de ses mécanismes. Ibid.. Lettre de Taylor, Mass communication, à Alfred Métraux, 31 mai 1950.
  • [44]
    Archives UNESCO, « Race Question Protection Minorities », 323.1, 2 juin 1950.
  • [45]
    Archives UNESCO, « Programme Budget and Organization Department of Social Sciences », X07.55 SS. Rapport sur les activités de la Division pour l’étude des questions de race, du 1er août au 30 septembre 1950.
  • [46]
    Créations au sein de l’Unesco de trois collections « La question raciale devant la science moderne », « La question raciale et la pensée moderne », « Race et société » pour accueillir ces brochures.
  • [47]
    A.-M. d’Ans, Alfred Métraux. Itinéraires I (1935-1953). Carnets de notes et journaux de voyage, op. cit., p. 397.
  • [48]
    Une deuxième réunion d’experts, convoquée cette fois par Métraux, a lieu du 4 au 8 juin 1951 et mobilise des anthropologues physiques, des généticiens, des biologistes, qui élaborent un nouveau texte, lui-même soumis à avis d’experts.
  • [49]
    Conférence générale 1950, Rapport du Directeur général, p. 48.
  • [50]
    Ava Myrdal est surtout connue pour son action en faveur du désarmement et de la paix (prix Nobel en 1982) ainsi que pour son engagement féministe (elle a d’ailleurs été la première femme à occuper un poste à responsabilités à l’Unesco). Son mari, Gunnar Myrdal, est l’auteur du célèbre ouvrage An American Dilemma : The Negro Problem and Modern Democracy. Une étude sur les réseaux interpersonnels des scientifiques ayant participé à la naissance de l’Unesco reste à faire.
  • [51]
    Archives UNESCO, « Programme Budget and Organization Department of Social Sciences », X07.55 SS, 14 novembre 1950.
  • [52]
    A.-M. d’Ans, Alfred Métraux. Itinéraires I (1935-1953). Carnets de notes et journaux de voyage, op. cit., p. 361.
  • [53]
    Archives UNESCO. « Programme Budget and Organization Department of Social Sciences », X07.55 SS.
  • [54]
    Archives UNESCO, « Race Question Protection Minorities », 323.1, 5 janvier 1950.
  • [55]
    Ibid., 31 mai 1950.
  • [56]
    Juan Comas en donne un exemple significatif : en comparant le même passage, en anglais, en français, en espagnol et en italien, de son livre Les mythes raciaux, une des brochures éditées par l’Unesco, il constate que la version anglaise utilise le terme « race » dans des phrases où les autres langues ne l’emploient pas, contribuant ainsi à généraliser la référence à la race en anglais. Juan Comas, « Los Mitos raciales : reflexiones ante una crítica sui generis », América indígena, 12 (2), 1962, p. 136.
  • [57]
    Archives UNESCO, « Race Question Protection Minorities », 323.1, 20 juillet 1951.
  • [58]
    Ibid. Lettre d’A. Métraux à A. Myrdal, 26 janvier 1951.
  • [59]
    Archives UNESCO, « Programme Budget and Organization Department of Social Sciences », X07.55 SS. Rapport d’activités de Métraux du 1er avril 1950 au 15 février 1951, 12 avril 1951.
  • [60]
    Archives UNESCO, « Race Question Protection Minorities », 323.1. Lettre d’A. Métraux au Directeur général, Rapport sur mission à New York du 1er au 24 octobre 1951, 21 janvier 1952.
  • [61]
    Archives UNESCO, « Statement on Race », 323.12 A 102, 19 février 1952.
  • [62]
    Charles Wagley, Marvin Harris, Minorities in the New World. Six Case Studies, New York, Columbia University Press, Unesco, 1958.
  • [63]
    C. Maurel, « Le Programme indien-andin des Nations unies (années 1950-1960) », Cahiers des Amériques latines, 67, 2011, p. 137-161.
  • [64]
    A.-M. d’Ans, Alfred Métraux. Itinéraires I (1935-1953). Carnets de notes et journaux de voyage, op. cit.
  • [65]
    M. Koïchiro, « Discours inaugural », cité, p. 12.
Français

L’Unesco est considérée comme un des principaux acteurs de l’antiracisme international qui émerge au lendemain de la seconde guerre mondiale. Pourtant, la « question raciale » n’est pas une priorité de l’institution au tournant des années 1940-1950 et celle-ci n’a jamais été en mesure de définir et de mettre en œuvre une politique claire et explicite sur le sujet. Une ethnographie historique des archives de l’Unesco à Paris, notamment au moment de la création et des premières réunions du Département des sciences sociales, révèle que ce dernier accueille les discussions sur la question raciale de façon souvent contrainte et improvisée. Loin du récit linéaire des origines de l’antiracisme, il convient donc d’insister plutôt sur l’indétermination constitutive de l’élaboration des programmes sur la race à l’Unesco entre 1946 et 1952.

Élisabeth Cunin
Directrice de recherche à l’Institut de recherche pour le développement (IRD) et actuellement chercheuse invitée au Centro de investigación en identidad y cultura latinoamericanas (CIICLA, Universidad de Costa Rica). Ses recherches portent sur la racialisation et l’ethnicisation des politiques publiques nationales et internationales dans les sociétés post-esclavagistes, en Amérique latine et dans la Caraïbe (Colombie, Mexique, Belize). Elle a publié dernièrement Administrer les étrangers. Migrations afrobeliziennes dans le Quintana Roo, 1902-1940 (Paris, Karthala, IRD, 2014) ; « Mestizaje Questioned by the “Black Foreigner” in the Quintana Roo Territory (Mexico) after the Revolution (1924-1940) : Between Otherness and Sameness », The Journal of Latin American and Caribbean Anthropology (22 (2), 2017, p. 339-356) ; « Géopolitique du Belize : entre Amérique centrale et Caraïbe, entre marge et centre », La Revue internationale et stratégique (114 (2), 2019, p. 42-50).
elisabeth.cunin@ird.fr
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Mis en ligne sur Cairn.info le 03/04/2020
https://doi.org/10.3917/crii.086.0025
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