CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Les opérations en Irak puis en Afghanistan font rebouillir les vieux chaudrons et exhumer les vieilles recettes. Le concept de contre-insurrection que l’on croyait profondément enfermé dans les poubelles de l’histoire, renaît de ses cendres avec une belle vigueur. Il y a de quoi ! De la désillusion de l’après-guerre éclair en Irak, au grand retour des Talibans en Afghanistan, les armées traditionnelles se retrouvent confrontées à de vieilles menaces et de vieux modes d’action que le tout-technologique des années 1980-2000 ne parvient pas vraiment à surmonter. Pourtant le concept est parti de loin. Dès les années 1950 et les guerres de décolonisation, la contre-insurrection s’impose comme un mode d’action « naturel » des forces armées mais l’usage d’une violence exorbitante la disqualifie peu à peu, notamment à l’occasion du conflit algérien. Dans les années 1960, il refait florès en Amérique latine, intégrée dans les doctrines de « sécurité nationale » inspirées par les États-Unis et les travaux du géopoliticien Nicholas Spykman. Là aussi, il se heurte aux mouvements de libération et se confond à l’émergence des dictatures sud-américaines mises en place pour contrer les influences soviétique et cubaine dans le « Cône Sud ». Les derniers avatars de cette doctrine se retrouveront en Afrique jusque dans les années 1970 (Angola, Mozambique), 1980 (Rodhésie) et même après en Afrique du Sud. Peu à peu marquée d’un sceau infamant de violences extraordinaires (combats sans merci, tortures, états d’exception) et, également de celui de l’échec, la notion de contre-insurrection s’éteint progressivement. Si ces méthodes sont employées, elles ne seront pas nommées. Une partie d’entre elles se retrouve dans le conflit israélo-palestinien.

2Mais nécessité fait loi. Confrontées à des modes de combat asymétriques qui font mal, face à un adversaire insaisissable ou absent (utilisation des engins explosifs improvisés) et à des modes de radicalisation qui changent les comportements tactiques (généralisation de l’attentat-suicide), les armées et notamment l’armée américaine revisitent les anciens concepts pour les adapter à la réalité nouvelle sur le terrain. Ainsi redécouvre-t-on Trinquier, Galula, Chateau-Jobert (pour ne citer que des Français) qui ont eu leur heure de gloire pendant la guerre d’Algérie, et bien d’autres.

3Stéphane Taillat et Georges-Henri Bricet des Vallons font le point sur la question de la contre-insurrection aujourd’hui. Ils réunissent un panel d’experts français et étrangers parmi les plus compétents de leur génération : Gian P. Gentile, David Ucko, Michel Goya, Christian Olsson, Jérôme Cario et Antonin Tisseron. Les articles de ces auteurs décrivent chacun une réalité sans fard. C’est ce qui fait le prix de cet important dossier. Ils mettent en perspective la question théorique avec la réalité du terrain. Cette dernière n’est pas rose. On en revient à l’éternelle équation : le succès des méthodes de contre-insurrection est possible dans la mesure où les conditions politiques qui les accompagnent le permettent !

4Ce numéro, comme à l’accoutumée, offre aussi des palettes diverses. Un article de Xavier Raufer propose une perspective unique sur la mafia turque dans toutes ses dimensions (historique, sociologique, politique et géopolitique). Laurent Danet présente une approche théorique très exigeante sur la notion de « polémosphère ». Cet article s’inscrit bien dans la démarche conceptuelle de la revue qui va en permanence du terrain à la théorie. Le professeur He Bingsong, célèbre pénaliste chinois, décrit sans concession la notion et l’approche du terrorisme vu par la Chine. Cet entretien dont les propos ne reflètent pas une quelconque adhésion de la part de la revue Sécurité globale, donne en revanche une vision nette des perceptions chinoises, radicales en la matière. Il permet aussi d’en éclairer les stratégies internationales.

5Enfin, la parole est donnée pour l’entretien trimestriel à Camille Grand, directeur de la Fondation pour la recherche stratégique. Cette interview en deux parties fait, en premier lieu, le point sur l’état des questions stratégiques internationales du moment, des menaces et des réponses. En deuxième lieu, il fait le point sur l’évolution de la recherche stratégique en France – ses faiblesses, ses réformes et ses perspectives.

6Bonne lecture…

Jean-François Daguzan
Pascal Lorot
Directeurs de la revue Sécurité globale.
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Mis en ligne sur Cairn.info le 18/10/2013
https://doi.org/10.3917/secug.010.0005
Pour citer cet article
Distribution électronique Cairn.info pour ESKA © ESKA. Tous droits réservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent article, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.
keyboard_arrow_up
Chargement
Chargement en cours.
Veuillez patienter...