Introduction
1Le diabète représente un problème majeur de santé publique en raison de « ses lourdes conséquences morbides, de son caractère évolutif suggérant une prévention possible et la crainte que la situation soit méconnue et hors contrôle » [32].
2L’objectif de cet article est d’appréhender, selon une approche ethnoépidémiologique et à l’échelle internationale, les déterminants socioculturels impliqués dans l’émergence et l’évolution de ce trouble métabolique vers la gravité, en particulier au sein de minorités ethniques. Afin de dresser le portrait de la situation épidémiologique de ce phénomène complexe et de porter une attention particulière sur ses hypothèses explicatives et ses facteurs de risque, en particulier auprès d’autochtones et de migrants, une revue de la littérature a été réalisée. Le corpus des références bibliographiques dites « classiques » en santé publique et en anthropologie a été complété par une recherche thématique approfondie.
3Par-delà les limites des programmes de prévention face à l’épidémie du diabète, ces travaux conduisent à souligner la pertinence des approches ethnoépidémiologiques qui privilégient une analyse culturelle du risque.
Méthode
4Ce texte s’inscrit dans la continuité de travaux, en particulier d’une étude exploratoire portant sur le développement et la sévérité du diabète de type 2 et de ses complications chez des Polynésiens autochtones vivant dans la zone urbaine de Tahiti [22]. Une revue de la littérature a été réalisée sur Medline à partir des mots-clés suivants : « Diabète de type 2, complications, épidémiologie, ethnologie, peuples autochtones », c’est-à-dire en utilisant les descripteurs MeSH suivants : « Diabetes Mellitus, diabetes complications, epidemiology, ethnology, indigenous population ». En outre, des recherches bibliographiques complémentaires ont permis d’accéder au contenu plus spécifique de travaux centrés sur l’étude des variables environnementales, sociodémographiques, psychologiques et culturelles impliquées dans l’émergence et le développement du diabète de type 2 au sein de groupes minoritaires autochtones ou de migrants. Le matériel exploité comprend les études et les travaux sélectionnés en regard de leur pertinence par rapport aux objectifs poursuivis, en particulier s’agissant de documenter la situation épidémiologique de ce trouble métabolique et son développement au sein de communautés ou de groupes minoritaires autochtones.
Résultats
La situation épidémiologique du diabète de type 2 et de ses complications
5L’épidémie de diabète qui a émergé au cours du XXe siècle et qui continue de progresser de manière alarmante, s’inscrit dans le contexte de la transition épidémiologique du développement des maladies chroniques dans les pays développés associé à la modernisation [47], et peut ainsi s’expliquer notamment par le vieillissement de la population plus exposée aux maladies chroniques qu’aux maladies infectieuses, et par l’augmentation de l’incidence de ces maladies liée à des facteurs de risque aggravants [35].
6Ce phénomène épidémique se situe plus précisément dans la troisième phase du modèle de transition épidémiologique [15, 21] décrit par Omran [38] qui est marquée par l’installation des maladies dégénératives [20], l’augmentation exponentielle des taux de mortalité liés aux maladies chroniques chez les adultes et les personnes âgées remplaçant les décès et incapacités qui étaient, auparavant, imputables à des maladies transmissibles, maternelles ou périnatales [40].
7Le diabète, principalement celui de type 2 (ou Type 2 Diabetes Mellitus), représente un problème de santé préoccupant, en progression dans presque toutes les régions du monde.
8Même si les données épidémiologiques sont incomplètes dans un certain nombre de pays [56], une étude prédictive de l’évolution de l’épidémie du diabète de type 2 dans le monde au cours du premier quart du XXIe siècle, a permis de dresser une courbe inflationniste du nombre de diabétiques qui passera de 135 millions en 1995 à 300 millions en 2025. Les pays les plus touchés seront l’Inde, la Chine et les États-Unis [25] [2], 75 % de ces personnes vivant dans les pays en développement [42].
9Les projections de l’évolution de cette épidémie conduisent à affirmer l’urgente nécessité de procéder à la surveillance du diabète à l’échelle planétaire en amont de sa prévention et de son contrôle. À l’instar du diabète de type 2 qui est la partie émergée de l’iceberg constitué par le syndrome métabolique, l’épidémie mondiale du diabète de type 2 représente précisément l’extrémité des problèmes sociaux considérables que sont en train d’affronter les pays en développement, mais aussi les minorités ethniques et les communautés défavorisées dans les pays développés [63]. Il est ainsi recommandé à l’Organisation Mondiale de la Santé et à ses dirigeants, d’adopter une vision pragmatique du problème du diabète de type 2 en tant que symptôme d’un processus mondial, en respectant son importance sociale, culturelle, économique et politique [63].
Taux de prévalence du diabète et de ses complications
10Le taux d’incidence du diabète s’avère particulièrement difficile à obtenir étant donné le caractère asymptomatique de la maladie [57]. En revanche, le taux de prévalence du diabète de type 2 est évalué à 7 % aux États-Unis [13], à 3,8 % en France [27], et au moins au double dans les départements et territoires d’outre-mer [46]. Au Canada, la situation est particulièrement inquiétante surtout dans les collectivités autochtones où les taux de diabète de type 2 sont trois à cinq fois plus élevés que dans la population canadienne où celui-ci est estimé à 4,8 % [54]. Dans les communautés d’Aborigènes d’Australie, le taux de prévalence du diabète varie de 10 à 30 % et évolue dramatiquement vers des complications rénales nécessitant la dialyse provoquant 22 % de mortalité chez ces diabétiques [55].
11La prévalence du diabète relevée aux Etats-Unis chez les groupes minoritaires et les communautés ethniques incluant les Africains-Américains, les Hispaniques et les Amérindiens – qui sont affectés de façon disproportionnée – est généralement 2 à 4 fois plus grande que dans la majorité de la population [16].
12Les communautés du Pacifique ne sont pas épargnées, bien au contraire, par le développement des maladies non transmissibles (MNT), entre autres par celui du diabète de type 2 dont le taux de prévalence serait « le plus élevé au monde » [37]. Dans leur revue de littérature sur l’obésité et le diabète de type 2 chez les insulaires du Pacifique, Okihiro & Harrigan évoquent les hypothèses du changement rapide du mode de vie associé à l’urbanisation et à la migration, et qualifient finalement les causes de ce phénomène pathologique d’« obscures ». Une étude comparative [3] réalisée auprès de Mélanésiens vivant en zone urbaine et en zone rurale a permis de souligner l’effet délétère de la vie occidentale dans la population mélanésienne soumise à une modernisation rapide [45]. On constate que la répartition de l’épidémie du diabète dans ces communautés du Pacifique s’avère très disparate [12, 26]. Ainsi, dans certaines zones rurales de la Papouasie-Nouvelle-Guinée, le taux de prévalence du diabète serait pratiquement inexistant, alors que sur l’île de Nauru [4] par exemple, ce taux, le plus élevé, est estimé à 40 % [12, 26].
13La situation de l’état de santé particulièrement dramatique des Nauruans, illustre avec une acuité extraordinaire les effets largement dévastateurs – au plan culturel, social et écologique – du développement industriel, sur une population initialement constituée de chasseurs et de pêcheurs qui a subi depuis des décennies les conséquences d’une « mutation économico-culturelle sans précédent » [46]. En effet, si l’exploitation intensive des dépôts de guano, suivie des extractions et de l’exploitation des mines de phosphates qui ont, en particulier, permis à Nauru de se classer dans les années 70 « parmi les pays les plus riches de la planète » [7], l’appauvrissement des sols a conduit à une transformation radicale du mode alimentaire des Nauruans affectant leur santé. En substituant leur mode traditionnel alimentaire à la consommation de produits importés (en particulier les boîtes de conserves), la plupart sont devenus diabétiques et souffrent d’obésité, dans un « paysage idyllique transformé désastreusement en un désert lunaire bordé d’une splendeur tropicale » [59] (trad. libre).
14« Les résultats dévastateurs de l’intrusion occidentale dans le mode de vie traditionnel des communautés autochtones s’observent du Cercle Arctique jusqu’aux jungles brésiliennes et aux atolls idylliques de l’Océan Pacifique » [66] (trad. libre).
15En Polynésie française, Vigneron [58] a souligné l’extrême rareté des données disponibles « dans le domaine des maladies dégénératives cardiaques ou de surcharge (…) alors même que l’excès pondéral est un réel problème » dans ce Territoire d’Outre-mer. Le taux de prévalence de l’obésité, qui accompagne significativement celui du diabète de type 2 et des autres maladies non transmissibles, était évalué en 1995 à 37 %. Alors que 30 % de la population se trouve en état pré-diabétique (ou intolérance au glucose), 18 % est diabétique. Ce taux de prévalence est largement sous-estimé en raison du nombre de diabétiques patents non dépistés [48] et devrait être réactualisé, ainsi que l’incidence des complications, la seule étude réalisée sur la prévalence du diabète et les autres maladies non transmissibles remontant à 1995 [24].
16Des scientifiques ont attribué les variations des taux de prévalence du diabète de type 2 à des différences de susceptibilité génétique et de facteurs de risques sociaux, tels le changement de régime alimentaire, l’obésité, l’inactivité physique et parfois à des facteurs reliés au développement intra-utérin [64].
17La pluralité des facteurs impliqués dans l’émergence et l’évolution de ce phénomène morbide rend particulièrement complexes son étude et sa prise en charge tant préventive que curative, mais « la vérité est que la plus grande partie des coûts directs du diabète est liée à ses complications. Et si le nombre des complications augmente comme prévu, les services de santé en subiront de lourdes conséquences » [41].
18Les conséquences humaines et économiques du diabète sont en effet redoutables [23]. L’étude menée par l’Asia Pacific Cohort Studies Collaboration [5] a confirmé que la croissance rapide du diabète dans la population de la région Asie Pacifique va provoquer une augmentation importante de l’incidence des causes de mortalité liée au diabète dans les prochaines décennies, en raison notamment de l’augmentation des risques de maladies cardiovasculaires qui sont aussi importants que dans les populations caucasiennes d’Australie et de Nouvelle-Zélande (Ibid).
Les hypothèses explicatives et les facteurs de risque du diabète de type 2 et des complications
19Les recherches en santé publique ne manquent pas pour rappeler l’influence des déterminants de la santé et du bien-être sur les populations – plus précisément les facteurs endogènes ou biologiques, les habitudes de vie et les comportements, l’environnement physique, l’environnement social : les milieux de vie (famille, école, travail), les conditions de vie (revenu, scolarité, logement, emploi, événements stressants), et l’organisation du système de soins et de services – [18, 32].
20Les auteurs consultés dans le cadre de la revue de littérature de Leroux & Ninacs [29] sous l’angle des perspectives pour la contribution de la santé publique au développement social et au développement des communautés, confirment que l’état de santé et de bien-être d’une population est fortement déterminé par des facteurs comportementaux, sociaux (individuels, interpersonnels, institutionnels, communautaires ou politiques), mais aussi culturels, environnementaux et économiques. Aussi est-il « impératif d’investir dans l’amélioration de la vie d’une communauté, par une vision plus globale du développement et par une réduction des inégalités sociales » [29].
21Livneh & Antonak [30] font état de l’abondante littérature clinique et empirique portant sur les relations entre l’adaptation de l’individu au diabète de type 2 et les variables socio-démographiques (comme le sexe et l’âge, par exemple), les variables liées à l’incapacité, les variables psychosociales et les variables environnementales. Ils suggèrent d’expliquer l’hétérogénéité des réactions des diabétiques selon la nature, la fréquence et la sévérité des réactions psychosociales à la maladie.
22Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), depuis 1980, la surconsommation de sucres libres et de graisses saturées, c’est-à-dire d’aliments à haute densité calorique, et l’insuffisance d’aliments riches en fibres, s’ajoutant aux effets de la sédentarité, « a provoqué le triplement, au moins, des taux d’obésité dans certaines zones d’Amérique du Nord, du Royaume-Uni, d’Europe orientale, du Moyen-Orient, des îles du Pacifique, de l’Australie et de la Chine » [43]. Le diabète sucré de type 2 qui ne concernait que les adultes d’âge mûr pendant la plus grande partie du XXe siècle, atteint actuellement des enfants obèses, avant même la puberté. Cinquante-huit pour cent des diabètes sucrés sont, dans l’ensemble du monde, imputables à une surcharge pondérale. Celle-ci correspond à un indice de masse corporelle [5] ou IMC supérieur à 21 kg/m2 (Ibid).
23L’association de l’augmentation du taux de prévalence du diabète et de l’obésité a été identifiée sous le terme « diabesity », diabésité [1] dont la pathogenèse résulte de l’interaction entre les facteurs environnementaux (intégrant le régime alimentaire, la ration calorique, l’activité physique, le niveau socio-économique, le stress et le faible poids à la naissance) et les facteurs génétiques de l’individu (Ibid).
24Le lien entre précarité et complications du diabète est par ailleurs clairement établi [28, 49]. Plus précisément, le Bihan [28] montre que les patients en grande précarité ont ainsi un risque deux fois plus élevé de développer une neuropathie, et trois fois plus élevé pour la rétinopathie que les patients en situation de faible précarité. Ces inégalités s’expliquent principalement par les problèmes d’habitat, d’alimentation et financiers auxquels sont confrontés ces patients parfois en rupture de traitement, et pour qui « la santé n’est pas une priorité » [28].
25Les hypothèses explicatives de l’émergence et du fort développement de l’épidémie du diabète de type 2 explorées dans les études épidémiologiques, mettent en évidence l’universalité de l’influence du mode de vie démontrée dans de nombreux pays, tels la Chine, la Finlande, les États-Unis [57]. Il s’agit plus précisément de l’impact de l’environnement qualifié « d’obèsogène » – typique des sociétés occidentales – de la complexité des relations établies entre des facteurs génétiques [36] et environnementaux (plus forte prévalence en milieu urbain qu’en milieu rural) [57], et des variations selon les groupes ethniques (tels les Amérindiens) [11, 51].
26La variable ethnique a fait l’objet de nombreuses études qui ont montré la contribution du processus d’urbanisation/occidentalisation au développement du diabète de type 2 à travers tous les groupes ethniques, évoquant ainsi la présence d’une prédisposition ou « susceptibilité ethnique au diabète » [1]. Certains groupes minoritaires diabétiques tels les Africains-Américains, Hispaniques-Américains, Asiatiques-Américains et les Insulaires du Pacifique, ont un risque particulièrement majoré de développer des complications [2]. L’étude de Young et al. [62] a ainsi démontré que le risque de subir une amputation non-traumatique des membres inférieurs est plus élevé chez certaines minorités ethniques que « chez les Blancs ». On constate cependant des différences considérables de prévalence du diabète de type 2 « à l’intérieur d’une même ethnie, en fonction du lieu d’implantation géographique », les habitants en zone urbaine étant plus « exposés » au développement de la maladie [57]. L’urbanisation et la migration des groupes ethniques minoritaires ou autochtones dans les sociétés occidentales qui constituent un environnement social stressant, contribuent à majorer leur risque de diabète de type 2 [14].
27Selon des études épidémiologiques comparatives réalisées dans plusieurs sous-groupes ethniques migrant aux États-Unis comme les Japonais – Américains, Asiatiques – Américains, les modifications de leurs habitudes alimentaires (adoption du mode alimentaire américain plus riche en calories que leur mode traditionnel alimentaire), ont été provoquées par le phénomène migratoire et font partie du processus de l’acculturation [1, 54]. On note à ce sujet l’invention par Koestler en 1976 du terme coca-colonization particulièrement significatif pour caractériser l’impact des sociétés occidentales sur les pays en développement [65].
Limites des programmes de prévention face à l’épidémie du diabète et pertinence des études ethnoépidémiologiques
28L’ensemble des données épidémiologiques disponibles confirme l’évolution extrêmement préoccupante, et vraisemblablement inexorable, de l’épidémie du diabète de type 2 au plan mondial et de ses dramatiques conséquences en termes de morbidité et de mortalité. Si l’on a démontré l’efficacité de l’éducation sur le mode de vie associant le régime alimentaire et la pratique de l’activité physique pour prévenir la maladie « pour ceux qui sont à haut risque de diabète de type 2 » (trad. Libre) » [61], on constate cependant que de nombreuses personnes n’adoptent pas les recommandations visant à réduire le risque de développement du diabète [3], ce qui contribue à accroître la progression de l’épidémie et ses conséquences potentielles. L’épidémiologie n’étant pas une science statique [3], elle nécessite la réalisation d’études complémentaires pour évaluer précisément la situation épidémiologique du diabète et de ses complications. Elle appelle aussi la réalisation et la promotion d’études ethnoépidémiologiques pour explorer les facteurs culturels, psychosociaux et environnementaux impliqués dans le développement de ce phénomène morbide qui représente un « trouble énigmatique » pour les scientifiques [65], mais aussi et surtout, une réelle menace pour les spécialistes en santé publique, et un réel « fardeau » pour les sociétés, les familles et les personnes qui en souffrent.
29Ainsi, les conséquences de l’épidémie alertent l’Organisation mondiale de la santé et les organisations de santé publique au plan national et local. Les programmes et les actions de promotion de la santé ou de prévention ne manquent pas pour illustrer les moyens mis en œuvre pour tenter de ralentir la progression de l’épidémie mondiale du diabète de type 2, notamment en dépistant le plus précocement possible la maladie, ceci pour permettre une prise en charge médicale rapide du patient afin de réduire le délai d’apparition des complications.
30De 1988 à 1998, la coopération du Bureau régional de l’OMS pour l’Europe (EURO) avec l’International Diabetes Association of Europe a permis de diminuer le nombre des hospitalisations et des complications et de mieux maîtriser la maladie du diabète touchant des millions de personnes dans toute l’Europe [39].
31En 1989, l’OMS et la Fédération Internationale du Diabète ont rédigé la déclaration dite de « Saint-Vincent » qui a été à l’origine, en France, de la création du Conseil Supérieur du Diabète et des « recommandations de bonnes pratiques en matière de diabète » à l’échelle européenne, ceci afin d’améliorer la prise en charge des diabétiques [34]. Parmi les objectifs visés, on relève l’importance de « promouvoir le suivi biologique et clinique au regard des recommandations de l’ANAES (Agence Nationale d’Accréditation et d’Évaluation en Santé) et d’intensifier le suivi du patient diabétique dans les axes moins bien pris en charge, tels que l’ophtalmologie, la podologie et la néphrologie ». Il est par ailleurs souligné que « c’est le devoir des gouvernements nationaux et des services de santé de réaliser les conditions permettant de réduire considérablement cette lourde incidence sur la maladie et la mort. Les États devraient reconnaître très officiellement le problème du diabète et créer des budgets nécessaires à sa résolution. Il devrait être défini à l’échelon local, national et européen, des programmes pour la prévention, le diagnostic et le traitement du diabète et tout particulièrement de ses complications : cécité, insuffisance rénale, gangrène et maladies vasculaires. Des investissements financiers mis en œuvre actuellement permettront une réduction importante de la souffrance humaine et des économies matérielles » [34].
32En 1992, un programme impliquant de nombreux partenaires (organisationnels, politiques, associatifs, académiques et hospitaliers) [6] a été signé pour prévenir les complications à long terme du diabète – cécité diabétique, insuffisance rénale – et obtenir ainsi une diminution des amputations de 50 % dans les 5 à 10 ans à venir [6]. L’American Public Health Association [4] a invité les professionnels de santé à prendre conscience du besoin d’un suivi régulier spécifique des groupes minoritaires, et à promouvoir leur management interdisciplinaire pour réduire l’incidence de la cécité et des amputations liées au diabète.
33Plus récemment, en mai 2004, l’OMS a approuvé la Stratégie mondiale pour l’alimentation, l’exercice physique et la santé [44] [7]. Parmi les principes fondateurs de l’élaboration de cette stratégie, on relève avec intérêt la reconnaissance de « l’importance socio-économique des pratiques traditionnelles en matière d’alimentation et d’exercice physique, y compris celles des peuples autochtones, et les avantages que ces pratiques peuvent comporter pour la santé », ainsi que la prise en compte « des traditions culturelles (…) en matière d’alimentation » (Ibid).
34Compte tenu des projections de l’évolution inflationniste de cette épidémie, les exemples d’actions précités, ou plutôt, les tentatives, témoignent de la prise de conscience des organisations internationales et de leur appel à une mobilisation à l’échelle planétaire dans l’espoir de ralentir efficacement la croissance de l’épidémie du diabète de type 2, laquelle est majorée par les conséquences de l’obésité.
Discussion
35Malgré les résultats attendus, l’analyse de la littérature permet de mettre en lumière les limites à l’aboutissement de certains programmes de prévention en santé publique cherchant à atteindre et à modifier les comportements des individus dans un contexte contradictoire et qui interroge. L’environnement des sociétés urbaines particulièrement diabétogène et obésogène dans lequel tout est mis en œuvre pour encourager la sédentarité, fournit une illustration convaincante du paradoxe dans lequel ces actions de prévention sont réalisées. L’environnement est le déclencheur, et il ne se limite pas à la sédentarité, à l’encouragement à la prise alimentaire, il comprend aussi le stress et la pollution, qui sont des facteurs auxquels s’ajoutent des prédispositions héréditaires, ou une susceptibilité génétique à l’obésité [50].
36Ainsi, il n’est pas inutile de rappeler que la maladie du diabète et ses conséquences, en termes de mortalité et de morbidité, (concernant notamment le développement des complications), frappent en premier lieu les membres des communautés les plus vulnérables, qu’il s’agisse des autochtones, des migrants, des groupes ethniques minoritaires, ou des personnes à faible niveau socioéconomique et éducatif, réactivant ainsi la question récurrente et préoccupante des inégalités de santé. En effet, s’il est clairement mis en évidence que la forme épidémique du diabète de type 2 fait partie intégrante du processus de mondialisation [17] et, partant, de celui de l’acculturation [60], on constate cependant que cette maladie affecte inégalement certaines communautés plus exposées à la maladie.
37L’origine multifactorielle du diabète de type 2 qui est plus marquée chez les populations autochtones en raison de nombreux « facteurs de risque », ou de « prédispositions génétiques », ou de la « vulnérabilité » à la maladie, conduit à identifier ces groupes minoritaires ou les malades potentiels comme des « populations à risque », ou des « groupes à risque », ou comme des « groupes vulnérables biologiquement » ou « génétiquement répertoriés », provoquant ainsi de vives réactions, en particulier de la part des anthropologues critiques, pour lesquels l’attribution de ces caractéristiques peut générer des effets potentiellement discriminatoires et stigmatiser ces individus. Ainsi, il apparaît nécessaire de repenser la « construction sociale du risque » [31], de « repenser radicalement (…) ce que nous appelons un “groupe à risque” » ou « une situation à risque », en contribuant à la réalisation d’études ethnoépidémiologiques [9], et en développant « une véritable analyse culturelle du risque dans des situations concrètes » [19].
38Roy [53] souligne par ailleurs que « le modèle explicatif centré sur une génétique particulière contribue de manière significative au développement d’un regard discriminatoire envers les autochtones et tend à justifier, sur la base de raisons “naturelles”, l’existence d’inégalités de santé et même sociales » (Ibid). Les expressions « facteurs de risque », « susceptibilité génétique » et « vulnérabilité » constituent, en effet, des sujets privilégiés de débats et de controverses qui animent certains anthropologues critiques de la santé publique. Parmi ceux qui ont développé une analyse critique et historique des rapports de pouvoir entre la biomédecine et le milieu amérindien, « la thèse de l’acculturation » et « l’approche exagérément centrée sur la génétique (…) s’avèrent incapables de rendre compte de la complexité de la problématique de l’émergence de l’épidémie de diabète en milieu autochtone » [52].
39Il convient effectivement de reconnaître l’extraordinaire exemplarité de l’origine multifactorielle de l’émergence et du développement du diabète de type 2 chez les communautés autochtones. Qu’il s’agisse des Amérindiens, des aborigènes d’Australie ou des autochtones Insulaires du Pacifique, de nombreux facteurs sont impliqués dans la survenue et l’évolution de cette affection au sein de ces peuples, lesquels seraient porteurs de blessures identitaires profondes liées à leur histoire et qui favorisent les conditions structurantes de la maladie [10]. À ces facteurs s’associent les conséquences du processus d’acculturation lié à la transition nutritionnelle, la composante héréditaire, leur environnement social pourvoyeur de stress, qui rendent leur étude extrêmement complexe et, sans doute, aussi passionnante. Ainsi, comme le confirment Benoist & Desclaux [8], « En s’impliquant, les anthropologues ne cessent pas de faire l’œuvre de connaissance à laquelle ils s’attachent. Au contraire, en cherchant à donner de la maladie une lecture intelligible par la société qui lutte contre elle, ils découvrent combien cette connaissance est, en elle-même, une forme d’action ».
Notes
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[1]
Post-doctoral Fellow, Dalhousie University, Bioethics Department, CRC Building, Room C315, 5849 Avenue University, Halifax, Nouvelle-Écosse, B3H 4H7, Canada.
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[2]
Le diabète va surtout augmenter au sein des populations vivant dans les zones urbaines. Si dans les pays en développement la majorité des diabétiques sont âgés de 45 à 64 ans, dans les pays développés, ils sont âgés de 65 ans ou plus et ce phénomène va s’accentuer en 2025. Le nombre de femmes diabétiques est supérieur au nombre d’hommes, surtout dans les pays développés.
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[3]
Il est ainsi montré que les Mélanésiens qui vivent dans la zone urbaine de Nouméa ont un taux de prévalence de diabète de type 2 plus élevé que ceux qui vivent dans les villages situés en zone rurale.
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[4]
Île de Micronésie, située dans le Pacifique à 3 000 Km du nord-est de l’Australie.
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[5]
Appelé aussi Indice de Quételet, « défini comme le rapport du poids au carré de la taille et qui est fortement corrélé à la teneur du corps en graisses. Les critères de l’OMS donnent, pour la surcharge pondérale, un IMC d’au moins 25 kg/m2 et pour l’obésité un IMC d’au moins 30 kg/m2 » (Ibid).
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[6]
Il s’agissait précisément de l’Organisation mondiale de la santé et de son Bureau régional européen, des politiciens de la santé, des associations de diabétiques, des facultés de médecine et des structures de soins.
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[7]
À partir d’une « approche véritablement multisectorielle », les objectifs de cette stratégie sont de « promouvoir et de protéger la santé en aidant à créer des conditions propices à l’application de mesures durables aux niveaux individuel, communautaire, national et mondial » afin de réduire la morbidité et la mortalité liées aux deux principaux facteurs de risque de maladies non transmissibles, « une mauvaise alimentation et le manque d’exercice physique ». L’OMS encourage les gouvernements dont le rôle est central, à mettre en œuvre un certain nombre de mesures dans le domaine de l’alimentation, de la nutrition et de l’exercice physique. Il est ainsi espéré d’obtenir « des progrès sanitaires importants et durables ».