CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 Le propos de ce travail est d’analyser cet étrange ouvrage qu’est Paris ou le Livre des Cent-et-un sans se contenter de le ranger trop rapidement dans les rayons de la « littérature panoramique ». Le recueil mérite d’être pris en considération, sinon pour sa « valeur », du moins pour ce qu’il permet de comprendre du système littéraire auquel il participe au moment de sa parution [1]. Publié de 1831 à 1834, cet ouvrage en quinze tomes rassemble les contributions d’innombrables hommes de lettres du temps, qui s’étaient engagés collectivement à fournir chacun au libraire Ladvocat deux « chapitres » sur Paris : ce dernier espérait se sauver de la faillite grâce à la vente par souscription des nombreux tomes de l’ouvrage [2]. Le Livre des Cent-et-un n’a certes pas bouleversé l’histoire de la littérature par sa nouveauté ou sa singularité ; cependant, plusieurs éléments autorisent à l’envisager comme révélateur d’un état du système littéraire pendant la mutation importante que constitue la crise de la librairie dans les années 1830 [3] : l’envergure du projet (quinze tomes d’au moins quatre-cents pages chacun) ; le nombre et l’identité de ses contributeurs, cent-soixante-quinze hommes de lettres du temps, souvent célèbres ; enfin, la figure originale de l’éditeur Ladvocat. Dans son étude de l’appel signé par les Cent-et-un, Anthony Glinoer a ainsi montré que cette « première manifestation collective massive » témoigne de « l’autonomisation du champ culturel » en cours à cette période [4]. Nous voudrions prolonger cette réflexion en mettant au jour les différentes logiques de légitimation littéraire qui se manifestent dans Le Livre des Cent-et-un. Au premier abord, sa légitimité paraît problématique, puisque l’ouvrage relève, dès l’origine, d’une entreprise commerciale ; dès lors, il semble devoir prendre place dans les marges de la Littérature [5]. L’hypothèse que nous voudrions soutenir est que cette exclusive entre logique commerciale et logique littéraire n’a en réalité que peu de signification au début de la monarchie de Juillet. Le Livre des Cent-et-un constituera ici une sorte de laboratoire privilégié, qui permet d’observer ces différentes logiques dans la conception et la réalisation d’un projet de libraire dans les années 1830.

L’ÉDITEUR ET SON PROJET

2 Pour Ladvocat, l’enjeu du Livre des Cent-et-un est vital : il s’agit d’éviter la faillite. Si, sur ce point, sa situation ressemble à celle de nombre de ses confrères, Ladvocat est toutefois une figure singulière et ambiguë du monde de l’édition. D’un côté, il est l’inventeur de l’affiche publicitaire pour la librairie, il a la réputation d’acheter les recensions journalistiques des ouvrages qu’il édite, et il est violemment mis en cause dans plusieurs articles d’époque. De l’autre, il est l’éditeur, entre autres, des Œuvres complètes de Chateaubriand, de La Mort de Socrate de Lamartine, et de plusieurs œuvres du jeune Hugo [6]. S’il n’est pas certain qu’il soit le « maître de la librairie moderne » comme le déclare complaisamment le Figaro[7], il est indiscutable qu’il joue un rôle important dans le monde littéraire, notamment pour les débuts du romantisme. À la fois charlatan – selon l’expression consacrée à l’époque – et avant-gardiste – si l’on peut se permettre l’anachronisme –, Ladvocat incarne l’alliance entre logique commerciale et logique littéraire, comme le montre le conseil qu’il adresse à un jeune écrivain : « Un beau chapitre suffit au mérite d’un livre, mais il faut surtout deux volumes [8] ! » S’il faut « surtout deux volumes », c’est pour avoir davantage de marchandise à vendre [9] : la quantité produite, et donc l’impératif commercial, prévalent ici. Mais cette logique commerciale s’appuie sur une nécessité, présentée comme condition sine qua non de la vente de l’ouvrage : sa qualité esthétique (un « beau chapitre »), qui implique sa légitimité littéraire (son « mérite »). Nous allons voir que ce précepte de Ladvocat résume le principe qui préside au projet des Cent-et-un : il lui faut une réussite esthétique (au moins partielle : « un beau chapitre »), sur laquelle pourra s’appuyer la réussite commerciale. Notre libraire cherche en effet à mener de front ces deux réussites, car dans son esprit, l’une ne va pas sans l’autre. Comment se manifeste cette alliance dans Paris ou le Livre des Cent-et-Un ?

3 La première réponse est d’ordre éditorial et concerne l’apparence de l’ouvrage. Les quinze volumes sont des in-octavo – format noble – qui obéissent scrupuleusement aux règles de composition d’un in-octavo « convenablement » établi : « de quatre à cinq-cents pages de vingt-cinq à trente lignes de quarante lettres [10] ». De plus, comme le rappelle chacune des annonces de publication des tomes des Cent-et-un dans Le Journal des débats, ils sont publiés sur « cavalier vélin par MM. Firmin Didot frères ». Ces choix de format, de papier et de typographie sont autant de gages de qualité, par lesquels Ladvocat exhibe le « soin scrupuleux avec lequel le livre [est] fait et [...] l’importance qu’on attache à son exécution [11] ». Ce soin vaut d’ailleurs au tome I un satisfecit du Figaro : « Il faut ajouter que, comme typographie et comme beau livre, cet ouvrage est digne en tout de l’association honorable qui l’a créé [12]. »

4 Cette qualité proprement éditoriale de l’ouvrage est cruciale, car elle lui permet de trouver sa place sur le marché du livre en se distinguant de deux types de concurrence. D’une part, celle de la presse périodique contemporaine, qui explore des sujets proches de celui des Cent-et-un. En effet, c’est dans la presse [13] que s’est épanoui le « tableau de mœurs » – genre que revendique la préface [14] –, et en particulier le « tableau de Paris », qui fait l’objet d’innombrables chroniques journalistiques depuis l’hermite de la Chaussée d’Antin [15]. D’autre part, le format permet de marquer la différence entre les Cent-et-un et toute la production contemporaine passe-partout de livres sur des sujets similaires, comme par exemple Le Petit Diable boiteux, ou Le guide anecdotique des étrangers à Paris, par M. ***, édité chez C. Painparré, en 1823, ou bien, chez Ladvocat lui-même, Le Provincial à Paris. Esquisses des mœurs parisiennes, par L. Montigny, en 1825. Ces espèces de guide touristique sont généralement publiées en format in-12 et meilleur marché.

5 L’alliance des logiques commerciale et littéraire chère à Ladvocat se perçoit ensuite dans le paratexte de l’ouvrage, et notamment, dès la couverture, sur la vignette de la page de titre signée par Henry Monnier, que l’on retrouve à chaque tome [fig. 1].

Figure 1

Henri Monnier, illustration de couverture de Paris ou Le Livre des Cent-et-un

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Henri Monnier, illustration de couverture de Paris ou Le Livre des Cent-et-un

6 Cette vignette convoque en effet de nombreux intertextes [16], à commencer par le diable boiteux. Trônant sur une sorte de globe, le grotesque personnage qui brandit sa béquille observe derrière son binocle le monde qui l’entoure, et représente évidemment le personnage de Lesage : tous les lecteurs du XIXe siècle connaissent le diable Asmodée qui, libéré par un jeune étudiant de la fiole où il avait été emprisonné, lui offre un voyage aérien, soulevant le toit des maisons madrilènes pour observer ce qui s’y passe. Aux pieds du diable, au fond à gauche, se trouve un moine – peut-être l’hermite de la Chaussée d’Antin ? – et au premier plan Diogène le cynique. Les noms qui se trouvent sur la stèle à droite permettent d’identifier les autres figures, notamment Goldsmith, sans doute représenté au deuxième plan à droite sous les traits du vicaire anglais, et Mercier, au premier plan à droite, en costume rococo, écrivant agenouillé sur le sol. La stèle inscrit Le Livre des Cent-et-un à la croisée de plusieurs héritages : la filiation journalistique (avec Addison et Goldsmith [17]), la veine satirico-romanesque (avec Fielding et Sterne) – toutes deux discrètement anoblies par l’éloignement temporel et spatial du XVIIIe siècle anglais –, et la tradition historique, plus sérieuse, avec Saint-Foix et Dulaure, auteurs respectifs d’Essais historiques sur Paris et d’une célèbre Histoire de Paris[18]. Enfin, Louis-Sébastien Mercier, qui est représenté au premier plan et nommé sur la stèle, est signalé comme une des références principales des Cent-et-un, ce qui est relativement logique : son Tableau de Paris, publié de 1781 à 1788, est considéré comme le premier tableau des mœurs parisiennes.

7 Le premier tome du Livre des Cent-et-un s’ouvre ensuite par un avis du libraire-éditeur adressé « au public », qui développe les deux principales références de la vignette de couverture. Mercier, d’abord : « Il faut faire pour le Paris d’aujourd’hui ce que Mercier a fait pour le Paris de son temps [19] ». Lesage, ensuite, dont les Cent-et-un devaient initialement adopter le titre [20] : « vous aurez le Diable boiteux de tous les hommes qui écrivent, qui pensent, qui mordent, qui louent, qui observent, qui font de la prose et des vers [21] ». Enfin, dans un chapitre intitulé « Asmodée », qui joue le rôle de préface, Jules Janin, sous prétexte d’en appeler à une réincarnation du « diable Asmodée, c’est-à-dire le diable de l’observation, le diable qui s’attache à la critique des mœurs [22] », construit une généalogie littéraire des diverses incarnations d’Asmodée, d’Aristophane à « l’ermite » (sans doute Jouy), en passant par Montaigne, Rabelais, Molière ou La Bruyère.

8 Le paratexte de Paris ou le Livre des cent-et-un construit donc de façon marquée un intertexte littéraire valorisant. Les modèles journalistiques les plus proches sont en retrait, et l’ouvrage s’inscrit dans une tradition plus noble, plus reconnue littérairement, en mettant en évidence ses liens avec la fiction morale et la littérature d’idées. Il ne faut toutefois pas négliger la figure de la vignette de couverture, qui reste centrale alors même que Le Diable boiteux n’est plus le titre de l’ouvrage : le roman de Lesage, constamment réédité depuis le XVIIIe siècle, est un des plus grands succès de librairie du début du XIXe siècle ; ce n’est donc pas un hasard si la couverture privilégie visuellement cette référence par rapport à celle de Mercier. On voit que la légitimation par le choix de certaines références littéraires va de pair avec un patronage « commercial », celui d’une remarquable réussite éditoriale.

9 Le paratexte est aussi le lieu adéquat pour formuler un projet esthétique cohérent, qui permet à Ladvocat de tirer les conséquences littéraires de deux contraintes liées à la nature commerciale de son projet : premièrement, la nécessité de faire masse – il faut avoir le plus de volumes possible à vendre ; deuxièmement, celle de faire participer une liste hétéroclite d’auteurs qui ont promis leur participation au projet.

10 Le choix de Paris comme thème joue ici un rôle fondamental : la variété infinie de la ville – topos en voie de constitution à l’époque [23] – permet en effet de justifier en droit la diversité des chapitres et la multiplicité des auteurs. Comme le rappelle l’avis du libraire, on trouve de tout à Paris, Paris est tout :

11

Paris tremble, Paris menace, Paris crie aux armes, Paris veut aller à la frontière, Paris veut rester en repos, Paris éclate de rire, Paris pleure et sanglote, Paris juste milieu, Paris extrême gauche, Paris extrême droite ; quel écrivain voudrait se charger de ce monstre !

12 Ce thème d’ensemble réunit les sujets variés traités dans les Cent-et-un :

13

Quelle que soit l’imagination de nos faiseurs, elle aura sa place dans ce livre, elle prendra un instant le manteau d’Asmodée, et elle ira partout, la pauvre fille, partout où peut aller un homme qui n’a peur de rien : à l’Opéra, à l’hôpital, au Palais-Royal, à Bicêtre, à la chambre des pairs et à la Maternité ; dans le couvent qui tombe, dans le boudoir qui se dépouille de ses tentures roses, chez l’artiste qui vend son violon pour payer son dernier dîner.

14 Voilà qui explique, en droit, la diversité un peu vertigineuse des chapitres présents dans ces quinze volumes : séance de sourds-muets, cour de France en 1830, cimetière du Père-Lachaise [24]... Plus encore, le sujet que constitue Paris rend légitime ce qu’on pourrait appeler la veine « basse » du Livre des Cent-et-un. Celle-ci est incontestable malgré les dénégations de l’avis au lecteur (« Paris est moins populace, moins cabaret, moins grosse joie [...] qu’au temps de Mercier [25] »). Pour rendre compte de cette ville protéiforme, il est normal de représenter ce qui n’a pas encore tout à fait droit de cité en Littérature : le populaire, bien sûr, avec « Un bal au cinquième étage », « Les grisettes à Paris », « Le portier de Paris [26] », etc., mais aussi le laid et l’indécent, dans « La morgue », « Le choléra-morbus », l’atroce « Montfaucon [27] », etc. Ici, plus encore que l’association romantique du sublime et du grotesque, c’est la tradition littéraire qui consiste à « écrire sur la borne [28] », à la manière de Mercier, qui est réactivée. La presse du temps ne s’y trompe d’ailleurs pas, comme le montre cette remarque du Figaro, sur les « fêtes publiques à Paris » (t. IV) : « M. Pommier est heureux dans les descriptions populaires. Il n’oublie pas le plus petit détail. Il ne rejette aucun mot de la langue vulgaire, et cela lui réussit souvent [29]. »

15 Enfin, et surtout, le thème de Paris permet de justifier esthétiquement la pluralité des auteurs convoqués, mise en avant dans les « cent-et-un » du titre. Ladvocat et Janin y insistent tour à tour dans le premier volume ; après les bouleversements révolutionnaires, on ne peut plus écrire seul un tableau de Paris, comme l’avait fait Mercier :

16

Quel écrivain pourrait suffire à ce Paris multiplié et tricolore ? [...] Eh bien ! donc, renoncez à l’unité pour une peinture multiple, appelez à votre secours toutes les imaginations contemporaines avec leurs coloris si divers [30].
C’est au moyen de cette révolution dans l’étude des mœurs que le nouveau Diable boiteux se tirera d’affaire avec nous s’il s’en tire ; c’est au moyen de la collaboration de tous qu’il écrira encore une fois l’histoire changeante de nos travers. [...] Ne pouvant pas avoir de comédie à un homme tout seul, nous nous mettons plus de cent pour en faire une ; qu’importe qu’on soit cent ou qu’on soit deux ? c’est même chose pour l’unité ; si l’unité y perd, l’intérêt y gagnera [31].

17 Et voilà qui explique, théoriquement et littérairement, l’association d’auteurs tant décriée dans la presse du temps : il ne s’agit pas d’une camaraderie, effet de la charlatanerie du temps, pour reprendre des expressions à la mode [32], mais de la mise en œuvre d’une logique esthétique, selon laquelle le caractère multiple de l’objet rend nécessaire, voire indispensable, la pluralité des auteurs. K. Stierle a diagnostiqué cette tendance dans tous les tableaux de Paris au XIXe siècle [33] : le simple promeneur qu’était Mercier doit être remplacé par une série de spécialistes. Qui de mieux renseigné que le critique Gustave Planche pour rendre compte du métier de journaliste ? Qui de mieux placé que le dramaturge Félix Pyat pour décrire les cafés de vaudevillistes ? Qui de plus au fait de la politique que Dupin aîné pour raconter les premiers jours de la révolution de 1830 [34] ?

18 L’examen du paratexte des Cent-et-un montre que l’entreprise de légitimation littéraire de Ladvocat va bien au-delà du travail proprement éditorial : il construit avec constance un projet esthétique cohérent, qui constitue pour lui le préalable de sa réussite commerciale. Non seulement les différentes préfaces et l’image de couverture sont parcourues par les mêmes références et les mêmes topiques, mais surtout la diversité propre au thème choisi justifie la variété des sujets traités et la multiplicité des auteurs. C’est justement cette cohérence du projet esthétique qui donne au Livre des Cent-et-un sa singularité, revendiquée par le Journal des débats comme argument de vente : « Voici donc un livre neuf, s’il en fut jamais ; neuf par la matière, neuf par la forme, neuf par le procédé de la composition [35]. » Il existait en effet jusqu’alors de nombreux recueils collectifs [36], ainsi que de nombreux ouvrages sur Paris signés par un auteur unique, mais Paris ou le Livre des Cent-et-un est un livre singulier, parce qu’il constitue le premier recueil collectifsur Paris. Le « coup » commercial s’appuie sur la mise en œuvre d’un projet esthétique cohérent et concerté ; logiques littéraire et commerciale ne sont pas, ici, en situation d’affrontement.

LÉGITIMITÉS EN CONFLIT

19 Comme le remarquait Le Petit Poucet, « le plus beau de cette entreprise, c’est de l’avoir conçue. Quant à la réaliser, il n’y fallait pas penser [37] ». En effet, pour mener à bien un projet aussi colossal, les embûches ne manquent pas. Au-delà des nombreux problèmes matériels que rencontre Ladvocat [38], la réalisation de son projet se révèle intrinsèquement problématique, notamment parce qu’y entrent en concurrence plusieurs légitimités littéraires : celle de l’ouvrage et celles des contributeurs.

20 Dans Le Livre des Cent-et-un, la configuration la plus simple est la suivante : des auteurs reconnus [39], pour leur talent littéraire ou pour leur expérience politique, se coulent avec facilité dans le projet esthétique de l’ouvrage en évoquant Paris, et donnent envie aux lecteurs de l’acheter, par intérêt ou par curiosité. Ainsi certains écrivains qui possèdent une notoriété réelle, comme Ch. Nodier ou J. Janin, collaborent « naturellement » aux Cent-et-un. Comme en témoignent par exemple leurs articles sur « Les monuments expiatoires » ou « Les petits métiers [40] », ils se conforment sans hésitation et sans commentaire au projet général de l’ouvrage. C’est aussi le cas d’auteurs qui sont plus connus pour leurs activités politiques que littéraires, comme Salvandy, Peyronnet, Dupin [41], etc. Ces derniers ont joué des rôles importants dans l’actualité politique récente, et leurs récits, à mi-chemin entre le témoignage et l’analyse historique, prennent légitimement place dans une étude sur Paris, haut lieu des révolutions et des émeutes, sans que la moindre justification soit nécessaire. Or, ce cas de figure simple (un auteur connu traitant du sujet d’ensemble) n’est pas le plus fréquent, et la situation est souvent beaucoup plus compliquée.

21 C’est le cas, de façon surprenante, pour les écrivains les plus célèbres des Cent-et-un. Grâce à la notoriété et à la reconnaissance dont ils jouissent, des auteurs comme Chateaubriand, Lamartine ou Hugo, paraissent garantir, littéralement, le projet de Ladvocat. En effet, ils donnent aux volumes des Cent-et-un une légitimité littéraire incontestable : « Quand M. de Chateaubriand a écrit quelque part, il n’est plus permis de choisir [42]. » Or, ces noms qui « brill[ent] comme [des] phare[s] [43] » sont aussi des arguments de vente : on signale ainsi dans la presse un chapitre de Lamartine comme « un morceau bien propre à [...] augmenter la vogue » du volume, qui « excitera vivement la curiosité publique [44] ». On annonce également pour allécher le chaland « la mise en vente du septième volume du Livre des Cent-et-un, qui contiendra, dit-on, une ode admirable de M. Victor Hugo, intitulée : “Le Roi de Rome” [45] ». Ces grands auteurs jouent donc un double rôle de garant esthétique et d’affiche publicitaire, unissant ainsi sous leur signature logiques littéraire et commerciale. Pourtant, ces mêmes écrivains mettent en péril la légitimité littéraire de l’ouvrage, tout simplement parce qu’ils refusent, ou omettent avec une légèreté certaine, de s’inscrire dans le projet d’ensemble. Chateaubriand – sans doute le plus redevable envers Ladvocat [46] – paraît le moins désinvolte : sur trois morceaux qu’il lui donne, seul « Le Naufrage » n’a rien à voir avec le projet des Cent-et-un[47]. Lamartine, en revanche, ignore délibérément le thème parisien de l’ouvrage, comme en témoignent les titres de ses chapitres : « Les révolutions », « Épître familière » (à W. Scott), « Hommage à l’Académie de Marseille [48] ». Quant à Victor Hugo, il semble à peine daigner descendre de l’Olympe pour tendre à Ladvocat, dans sa grande générosité, un poème sur l’Aiglon, « Napoléon II [49] ». Comme le note Le Figaro, « si les chapitres qui suivent [s’] éloignent un peu [du plan des Cent-et-un], ils ont pour excuses le nom de l’auteur [50] ». Ce phénomène crée une situation paradoxale : alors même que les grands noms des « phares » de la littérature apportent à la fois publicité et dignité littéraire à l’ouvrage, leur simple présence met à mal l’effort de légitimation du recueil.

22 Par ailleurs, la réalisation concrète de l’ouvrage suscite, ponctuellement, des tensions entre les logiques commerciale et littéraire que Ladvocat avait pourtant remarquablement alliées dans la conception globale de son projet. La présence de certains auteurs parmi les Cent-et-un[51] ne s’explique en effet que par la nécessité de remplir les volumes, signe que la logique commerciale l’emporte parfois sur la logique littéraire, en prenant notamment le pas sur l’impératif de la légitimité des auteurs.

23 Certaines signatures rappellent ainsi la nécessité d’attirer un vaste public de lecteurs. C’est la mission que Le Figaro reconnaît à Paul de Kock, en termes peu amènes mais lucides :

24

Il est malheureux qu’un chapitre de M. Paul de Kock dépare cet imposant ensemble de haute littérature. Heureusement les grisettes, les cabinets de lecture, et les lecteurs de la rue Saint-Denis et de la province ne seront pas de notre avis [52].

25 De même, des romanciers comme E. Sue ou A. Karr [53] sont sans doute admis grâce au public qui s’attache à leurs noms. Ces auteurs « grand public » sont toutefois loin d’être majoritaires : comme le note A. Glinoer, Ladvocat n’admet que « l’aristocratie de la paralittérature », et non les « plumitifs besogneux qui composaient la masse des romans pour femmes de chambre sous la Restauration [54] ». Tout se passe comme s’il n’acceptait de compromettre la dignité littéraire de son ouvrage pour des raisons commerciales que jusqu’à un certain point.

26 Dans d’autres cas, la nécessité de produire beaucoup de volumes semble l’emporter sur toute autre considération. On compte ainsi parmi les contributeurs d’innombrables anonymes, de « petits » écrivains, débutants, journalistes, méconnus ou inconnus, dont Ladvocat semble accepter les chapitres sans autre forme de procès [55] : ces « fœtus littéraires », selon la railleuse expression du Figaro[56], inondent de leur prose les tomes des Cent-et-un, auxquels ils n’apportent pourtant ni dignité littéraire, ni public – à l’inverse exact des auteurs « phares ». Bien au contraire, Les Cent-et-un constituent pour cette foule d’écrivains, sinon un moyen de subsister [57], au moins un moyen de se faire reconnaître comme appartenant aux hommes de lettres du temps. La presse contemporaine tourne en dérision ce phénomène :

27

On brigue l’honneur de faire partie des Cent-et-un [...] Ô vanité des vanités ! Je sais des misérables, pauvres de fond et affamés de réputations, qui se réfugient dans le titre de collaborateur des Cent-et-un, comme dans une espèce de Panthéon ! Vous verrez, je gage, que ces avortons chétifs et tronqués inscriront bientôt la singulière qualification d’auteur des Cent-et-un au bas de leur carte de visite, comme on fait des titres d’avocat, docteur, hommes de lettres, etc [58].

28 Bien entendu, l’instrumentalisation des Cent-et-un pour l’autopromotion de ses contributeurs contribue à fragiliser le processus de légitimation mis en place par Ladvocat : ce n’est plus la légitimité de l’auteur qui est censée accréditer celle des Cent-et-un, mais bien l’inverse, puisque des inconnus y cherchent une légitimation par voisinage ou par contiguïté.

29 Le paradoxe ne s’arrête pas là, puisque ce sont précisément ces inconnus qui attachent le plus d’importance au projet échafaudé par Ladvocat et donc à sa logique littéraire, comme le montre exemplairement le chapitre d’un illustre inconnu, A. d’A-Costa, intitulé « La Place Royale ». Le texte fait la part belle au projet d’ensemble, notamment en mettant en scène Ladvocat, qui aurait contraint l’auteur à raconter l’histoire d’un de ses camarades, rencontré en flânant dans Paris :

30

Vous voudrez bien, je vous prie, vous en prendre à M. Ladvocat, qui, dans cette occurrence, s’est conduit à mon égard avec peu de générosité et beaucoup d’indélicatesse, en me forçant de divulguer une chose que j’aurais voulu taire même à ces élus intimes qui viennent le soir s’égayer de punch avec moi. [...] Bref, il m’a obligé ; [...] Enfin, puisqu’il le faut, voilà [59].

31 Or, le récit des amours du camarade rend nécessaires la description et le bref historique de la Place Royale, qui s’inscrivent parfaitement dans le projet parisien de l’ouvrage :

32

Puisque donc M. Ladvocat s’entête et repousse toute proposition, je me vois dans la nécessité, messieurs, de vous achever l’histoire que j’ai entamée. [...] Voici ce qui arriva.
Vous vous rappelez ; mon ami Édouard s’habilla et courut à la Place Royale. — Pauvre vieille place ! que tu te ressembles peu, que tu es déchue ! tu es comme les femmes que les galants abandonnent, quand viennent les rides : tu es solitaire et délaissée ! ils sont passés ces jours où se pressaient chez toi, ducs, marquis et comtes pommadés et ambrés, coquets comme leurs jabots de dentelle, aux habits à broderies, se dandinant avec grâce et impudence, le chapeau à plumes sous le bras, et l’épée à la cuisse [60].

33 Ce sont donc, in fine, des inconnus dépourvus de légitimité qui œuvrent le plus à la cohérence du projet littéraire – ce qui ne s’explique pas, bien entendu, par une conscience littéraire plus affûtée que les autres, mais par leur situation institutionnelle problématique : étant inconnus, ils ne seront pas acceptés dans Le Livre des Cent-et-un s’ils sont hors-sujet. Or, pour comble, c’est sous leur plume que l’on rencontre ce qui nous apparaît aujourd’hui comme l’essence des Cent-et-un, voire de la littérature panoramique [61]. Ainsi, A. Kermel, auteur d’un des premiers textes sur les passages de Paris, cité et reconnu comme tel par W. Benjamin, semble à peu près inconnu à l’époque [62]. De même, c’est le chapitre d’un petit journaliste, E. Fouinet, sur « un voyage en omnibus, de la barrière du Trône à la barrière de l’Étoile », qui est repris par K. Stierle, pour qui cet omnibus, « sanctuaire de l’égalité », constitue exemplairement une des « figures de la lisibilité de Paris [63] ».

34 L’impératif de légitimité littéraire recouvre donc en fait deux types de légitimités qui ne sont pas toujours compatibles : celle de l’ouvrage et celle des auteurs. Comme on l’a vu, la multiplication des auteurs est indispensable pour traiter du sujet parisien ; elle justifie sa dignité esthétique et garantit son originalité – tout en coïncidant avec son principe commercial (faire souscrire un public nombreux à de nombreux volumes). Elle se heurte toutefois, dans sa réalisation, à un problème concret : l’adhésion individuelle au projet collectif est, la plupart du temps, inversement propositionnelle au degré de légitimité littéraire de l’écrivain. Voilà qui fragilise le processus de légitimation de l’ouvrage : les textes qui cherchent à exprimer l’essence de Paris sont rarement ceux qui sont investis a priori de légitimité littéraire. C’est sans doute l’une des raisons qui expliquent le peu de considération de la postérité pour Le Livre des Cent-et-un.

35 Il a semblé indispensable de prendre au sérieux l’entreprise de Ladvocat, de comprendre l’ambition esthétique qui est la sienne au départ, pour mieux saisir les tensions qui traversent Paris ou le Livre des Cent-et-un : l’ouvrage ne donne pas à voir une simple et attendue concurrence entre logique commerciale et logique littéraire, puisqu’il cherche à tenir ensemble une singularité esthétique et un projet commercial, sans les considérer a priori comme exclusifs. Les deux logiques se tressent dans l’entreprise de Ladvocat : si elles sont parfois difficiles à concilier, elles le sont beaucoup moins que les diverses logiques de légitimation littéraire. Ce n’est pas le moindre des mérites de cet étrange work in progress qu’est Le Livre des Cent-et-un, que de donner à voir les liens complexes qui unissent au début de la monarchie de Juillet les logiques littéraire et commerciale, qui ne s’y réduisent pas à un pur antagonisme.

Notes

  • [1]
    A. Vaillant a substitué à la notion bourdieusienne de « champ » celle de « système littéraire », plus complexe et plus efficace : elle englobe trois sphères (la création, le commentaire, et la sphère socioéconomique), qui « regroupent tous les mécanismes qui permettent la viabilité économique de la littérature mais aussi sa rentabilité symbolique » (Alain Vaillant, L’Histoire littéraire, Paris, Armand Colin, 2010, p. 230).
  • [2]
    Ladvocat, comme tous ses confrères, a beaucoup souffert de la crise de la librairie, accentuée par les troubles révolutionnaires et le changement de régime (voir Nicole Felkay, Balzac et ses éditeurs, 1822-1837. Essai sur la librairie romantique, Paris, Promodis, Éditions du Cercle de la Librairie, 1987, et notamment le chapitre X, consacré à Ladvocat).
  • [3]
    C’est ce que fait Anthony Glinoer, à qui notre propre réflexion doit beaucoup, dans « À son éditeur la librairie reconnaissante, Ladvocat et le Livre des Cent-et-un », dans La Production de l’immatériel. Théories, représentations et pratiques de la culture au XIXe siècle, Jean-Yves Mollier, Philippe Régnier, Alain Vaillant (dir.), Saint-Étienne, Publications de l’Université de Saint-Étienne, 2008, p. 91-103.
  • [4]
    Ibid., p. 100.
  • [5]
    Marie-Ève Thérenty y voit ainsi une « conception libérale et très contestable de l’écriture, qui se situe encore loin de la doctrine de l’art pour l’art » (Mosaïques. Être écrivain entre presse et roman (1829-1836), Paris, Honoré Champion, 2003, p. 119).
  • [6]
    Œuvres complètes de M. le vicomte de Chateaubriand, 32 vol. in-8°, Paris, Ladvocat, 1826-1831 ; Lamartine, La Mort de Socrate. Poème, Paris, Ladvocat, 1823 ; V. Hugo, Nouvelles Odes, Paris, Ladvocat, 1824, puis chez le même Ladvocat : Le Sacre de Charles Dix, 1825 ; Odes et Ballades, 1826.
  • [7]
    Le Figaro, 25 juillet 1831, p. 3. On lit un peu plus bas : « aidez-les à reconstruire une maison de librairie d’où partit un matin toute la littérature étrangère, Shakespeare, Schiller, Goethe, Byron, tous les tragiques, et tant de livres qui vous ont amusé ; d’où sont partis enfants avant d’être des grands hommes, Lamartine, de Béranger, Guizot, Casimir Delavigne, de Barante, Victor Hugo, Désaugiers, toutes nos célébrités modernes qui ont répondu si noblement à l’appel qui leur était fait ».
  • [8]
    Antoine Fontaney, Journal intime, René Jasinski (éd.), Paris, Les Presses françaises, 1925, p. 140 (le vendredi 4 mai 1832).
  • [9]
    Les cabinets de lecture réclament aux libraires des romans en deux volumes, pour les louer en deux temps. Sur cette question, voir Françoise Parent-Lardeur, Lire à Paris au temps de Balzac. Les cabinets de lecture à Paris. 1815-1830, Paris, Éditions de l’EHESS, 1981.
  • [10]
    V. Fouque, De quelques abus en librairie, Chalon S.S., Victor Fouque éditeur, 1841, p. 7. Parmi les abus de la « librairie romancière » dénoncés dans cet ouvrage, on trouve « cet état de maigreur où est descendu l’in-8° [...] : à peine trois cents pages de quinze à dix-huit lignes de vingt-cinq lettres ».
  • [11]
    Le Figaro, 22 août 1831.
  • [12]
    Le Figaro, 27 octobre 1831. Les vignettes d’illustration, y compris celle de couverture, pourtant signée par H. Monnier, sont rarement commentées par la presse. C’est seulement pour un deuxième projet, Les Cent-une Nouvelles des Cent-et-un, ornées de cent-et-une vignettes dessinées et gravées, en deux volumes illustrés, publiés en 1833, que Ladvocat s’intéressera vraiment à cet aspect d’une entreprise éditoriale. C’est une des grandes différences entre Paris ou le Livre des Cent-et-un, et Les Français peints par eux-mêmes, édités dans les années 1840 par Curmer.
  • [13]
    Il naît dans La Pandore, et cette forme développe progressivement dans les journaux (voir Marie-Ève Thérenty, Mosaïques, ouvr. cité, p. 275).
  • [14]
    Avis « Au public », signé par « le libraire-éditeur », t. I, p. VI.
  • [15]
    Publiées dans La Gazette de France de 1811 à 1814, elles seront regroupées sous le titre L’Hermite de la chaussée d’Antin ou observations sur les mœurs et les usages français au commencement du XIXe siècle, Paris, Pillet, 1813-1815.
  • [16]
    On en trouve une analyse détaillée dans Ségolène Le Men, « Le panorama de la grande ville : la silhouette réinventée », dans Pour rire ! Daumier, Gavarni, Rops, l’invention de la silhouette, Paris, Somogy, 2010, p. 50-51.
  • [17]
    Joseph Addison (1672-1719), fondateur du Spectator anglais (1711) ; outre le célèbre Vicaire de Wakefield, Oliver Goldsmith (1728-1774) est l’auteur des Letters from a Chinese Philosopher Residing in London, to his Friends in the East, publiées dans le Public Advertiser (1762).
  • [18]
    Germain-François Poullain de Saint-Foix (1698-1776) est l’auteur d’Essais historiques sur Paris, publiés à Londres de 1754 à 1757 ; Jacques-Antoine Dulaure (1755-1835) a publié plusieurs ouvrages historiques sur Paris avant l’Histoire physique, civile et morale de Paris depuis les premiers temps historiques jusqu’à nos jours (1821-1825). Il fait partie des signataires de l’engagement pour le Livre des Cent-et-un, mais n’y participe pas.
  • [19]
    Paris ou Le Livre des Cent-et-un, Paris, Ladvocat, 1831-1834, t. I, p. VI.
  • [20]
    Ibid., p. V, en note : « Ce livre fut précédemment annoncé sous le titre du Diable boiteux à Paris ».
  • [21]
    Ibid., p. VII.
  • [22]
    Ibid., p. 4.
  • [23]
    Pierre Citron note que le mythe de Paris est alors seulement en cours de constitution (La Poésie de Paris dans la littérature de Rousseau à Baudelaire, Paris, Éd. de Minuit, 1961).
  • [24]
    Respectivement : Paulmier, t. III, Ed. Mennechet, t. III, E. Roch, t. IV. L’idée selon laquelle le Parisien est universel autorise même des excursus géographiques qui pourraient sembler « hors-sujet », comme ces chapitres du t. XIII : « Un Parisien à Sainte-Hélène » (F. Fayot), « Un Parisien à quinze cents pieds sous terre » (O. Leroy), « Paris à Cherbourg » (A. Jal).
  • [25]
    T. I, p. VI.
  • [26]
    Respectivement : A. Karr, t. XI ; E. de Vaulabelle, t. VI ; J. Raphaël, t. VIII.
  • [27]
    Respectivement : L. Gozlan, t. I ; A. Bazin, t. V ; E. de Monglave, t. XIV.
  • [28]
    T. I, p. VI.
  • [29]
    Le Figaro, 21 mars 1832.
  • [30]
    T. I, p. VI.
  • [31]
    J. Janin, « Asmodée », t. I, p. 14.
  • [32]
    Voir Marie-Ève Thérenty, Mosaïques, ouvr. cité, p. 129-139 et Anthony Glinoer, La Querelle de la camaraderie, Genève, Droz, 2008.
  • [33]
    Karlheinz Stierle, La Capitale des signes. Paris et son discours, trad. M. Rocher-Jacquin, Paris, Éditions de la Maison des Sciences de l’homme, 1993, p. 133.
  • [34]
    Auteurs respectivement de « La journée d’un journaliste », t. VI ; « Un café de vaudevillistes en 1831 », t. V ; « La révolution de juillet 1830 », t. VII.
  • [35]
    Journal des Débats, le 25 août 1831, repris dans « Au public », t. I.
  • [36]
    Notamment les keepsakes, mélanges de morceaux venus d’ailleurs (voir Ferdinand Lachèvre, Bibliographie sommaire des keepsakes et autres recueils collectifs de la période romantique, 1823-1848, Paris, Librairie de la Bibliothèque Nationale et la Bibliothèque de l’Arsenal, 1929).
  • [37]
    Le Petit Poucet, 1833, p. 265.
  • [38]
    Deux faillites de Ladvocat, évoquées dans les tomes IV et XIV, ponctuent la publication et retardent la sortie des volumes annoncés (le 27 janvier 1832, puis le 18 janvier 1834. Voir Nicole Felkay, ouvr. cité, p. 267.) Les morts inopinées de plusieurs auteurs qui s’étaient engagés à participer ne facilitent pas non plus l’organisation du projet.
  • [39]
    Comme y insiste le Figaro le 5 septembre 1831, « la liste des auteurs déjà publiés tient lieu de toute autre garantie ».
  • [40]
    Respectivement t. IV et t. III. C’est en 1834 que Janin deviendra le parangon de la « littérature facile », selon l’expression de D. Nisard.
  • [41]
    Salvandy (1795-1856), officier d’État-major, opposant politique de Charles X, puis député conservateur sous la monarchie de Juillet, donne trois articles à Ladvocat. Ministre de l’Intérieur au moment de la chute de Charles X, Peyronnet est condamné à la perpétuité et emprisonné au fort de Ham où il écrit trois articles pour les Cent-et-un, comme Dupin aîné (1783-1865), président conservateur de la Chambre des Députés de 1832 à 1839.
  • [42]
    Journal des Débats, 26 novembre 1832.
  • [43]
    Le Petit Poucet, 7 octobre 1832, t. I, p. 8.
  • [44]
    Journal des Débats, 29 juin 1832.
  • [45]
    Le Figaro, 10 août 1832.
  • [46]
    Ladvocat a publié une magnifique édition de ses Œuvres complètes en 1826, « opération consacrante [pour Chateaubriand] mais ruineuse [pour Ladvocat] », selon les termes d’Anthony Glinoer (art. cité, p. 93).
  • [47]
    T. VIII. Chateaubriand donne aussi un chapitre sur « Les Tuileries » (t. III), et participe avec Jouy et Béranger à un exceptionnel concert à trois voix, organisé par Ladvocat dans le premier volume, sous prétexte de débarrasser les Cent-et-un de la politique.
  • [48]
    Respectivement t. III ; t. VI, p. 367-396 et p. 393-399.
  • [49]
    Celui-ci sera intégré dans Les Chants du Crépuscule, publié en 1836.
  • [50]
    Le Figaro, 15 avril 1833.
  • [51]
    Il n’est d’ailleurs pas sûr que Ladvocat ait vraiment pu choisir parmi les auteurs de son temps ; il semble qu’il ait dû sans cesse rappeler leur promesse aux signataires de l’engagement : A. Fontaney l’évoque ainsi « quêtant ses articles » (ouvr. cité, p. 35).
  • [52]
    Le Figaro, 27 octobre 1831.
  • [53]
    Paul de Kock est le romancier populaire par excellence. Plus jeune, A. Karr a rencontré le succès dès 1832 avec Sous les tilleuls. Si E. Sue n’est pas encore l’auteur extrêmement populaire des Mystères de Paris, il a déjà connu le succès public avec ses romans maritimes : Plik et Plok, 1830 ; Atar-Gull, 1831.
  • [54]
    Anthony Glinoer, art. cité, p. 101.
  • [55]
    Marie-Ève Thérenty analyse ainsi le cas de Victorine Collin, dont trois chapitres sont acceptés par Ladvocat alors qu’elle n’avait rien écrit auparavant (Mosaïques, ouvr. cité, p. 125).
  • [56]
    Le Figaro, 2 mai 1835.
  • [57]
    À une époque où l’écrivain doit subvenir à ses besoins, Ladvocat « promettait de ne payer personne, et c’était la seule condition qu’il mettait à son entreprise » (Le Figaro, 25 juillet 1831).
  • [58]
    Le Petit Poucet, 6 janvier 1833.
  • [59]
    Arnod d’A-Costa, t. X, « La Place royale », p. 173-174.
  • [60]
    Ibid., p. 181-182.
  • [61]
    C’est W. Benjamin qui mit au jour le premier cette littérature panoramique, dans laquelle il englobe Paris ou le Livre des Cent-et-un (voir Paris, capitale du XIXe siècle, le Livre des passages, trad. J. Lacoste, Paris, Cerf, 1989).
  • [62]
    Amédée Kermel publie à peu près en même temps que le tome X (où se trouvent « Les passages de Paris ») un recueil de nouvelles, qu’il cosigne avec un autre collaborateur des Cent-et-un, François Arago, et un roman sentimental l’année suivante.
  • [63]
    Karlheinz Stierle, ouvr. cité, p. 124-125.
Français

Bien que le libraire Ladvocat lance le monumental projet de Paris ou le Livre des Cent-et-un avant tout pour échapper à la faillite, cet ouvrage n’est pas une pure production commerciale. Cet article montre comment le projet commercial et le projet esthétique furent conçus dans un même mouvement. D’ailleurs, les entorses à la légitimité proprement esthétique du recueil ne viennent pas de là où on les attend. En effet, elles sont le fait d’auteurs consacrés, qui ne se préoccupent guère de la démarche d’ensemble et de son enjeu esthétique global : peindre Paris. Ce sont paradoxalement les innombrables auteurs mineurs, inconnus ou presque, qui assurent la singulière cohérence esthétique des quinze volumes qui composent les Cent-et-un.

English

Even though the publisher, editor and bookseller Ladvocat was to launch the monumental Paris ou le Livre des Cent-et-un project above all to escape bankruptcy, the work is not a commercial product. This paper shows how the commercial project and the aesthetic one were conceived at the same time, as one. As a matter of fact, the distortions to the purely aesthetic legitimacy of the project are not where one expects them to be, since they are due to established authors who worry little about the project’s collective unity and its overall aesthetic goal, that of providing a painting of Paris. Paradoxically it is the countless minor, practically unknown authors who account for the singular aesthetic coherence of the Cent-et-un.

Marie Parmentier
(Université de Poitiers)
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Mis en ligne sur Cairn.info le 30/09/2014
https://doi.org/10.3917/rom.165.0075
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