CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Romantisme propose dans chacun de ses numéros les comptes rendus des ouvrages récemment publiés sur le XIXe siècle qui lui ont été envoyés. Pour ce faire, une équipe composée de spécialistes de différentes disciplines (Aude Déruelle, Pierre Georgel, Jean Lacoste, Arnaud Laster, Marie-Françoise Melmoux-Montaubin, Paule Petitier, Philippe Régnier et Alain Vaillant) se réunit régulièrement, afin de déterminer des recenseurs et de les solliciter. Les comptes rendus sont distribués sur deux supports, le site de la SERD accueillant de manière privilégiée les comptes rendus des éditions de textes.

2 Parallèlement à cette activité de recension qui permet à la revue de se faire l’écho des principales publications sur le XIXe siècle français et étranger, la rubrique offre occasionnellement un débat croisé entre un auteur et un lecteur, à propos d’ouvrages dont l’ampleur des perspectives historiques ou critiques, l’originalité des thèses sont de nature à susciter la discussion et à intéresser l’ensemble de la communauté dix-neuviémiste.

Fausto CALAÇA, Dandysme et souci de soi. Essai sur les processus de subjectivation dans La Comédie humaine d’Honoré de Balzac, Presses académiques francophones, Saarbrücken, 2013 [traduit du portugais, Brésil], 264 p.

3 Ce livre est la version remaniée d’une thèse de doctorat soutenue en 2010 à l’Université de Brasilia, dans le département « Psychologie clinique et Culture ». Il s’agit d’une tentative pour appliquer la notion foucaldienne de subjectivation aux personnages balzaciens de dandy : Eugène de Rastignac, Henri de Marsay, Lucien de Rubempré, Maxime de Trailles, La Palférine, Paul de Manerville, etc., mais aussi un personnage d’artiste comme le Théodore de Sommervieux de La Maison du chat-qui-pelote, « personnage qui illustre les premiers essais de la construction du dandysme chez Balzac dans un contexte de la fiction où les héros dandys ne sont pas encore des héros romantiques » (p. 14). Par comparaison avec les dandys anglais, très aristocratiques, ils sont plus proches du milieu artiste. C’est le cas d’Alfred d’Orsay, d’Eugène Sue et d’Alfred de Musset. Mais l’auteur souligne la diversité du genre dandy, qui interdit de forcer les classements. Une théorie du dandysme sera développée en France par Barbey d’Aurevilly et Baudelaire dans l’autre moitié du XIXe siècle. Baudelaire servira de modèle à Proust, mais aussi aux personnages révoltés de Camus et de Sartre. Dès La Maison du chat-qui-pelote, le personnage d’Augustine apparaît comme le modèle du personnage que son éducation purement bourgeoise n’a pas préparé à ce « souci de soi » indispensable au dandy : « elle n’a jamais rencontré ni maître, ni ami, quelqu’un avec qui elle pourrait partager ses idées, ses expériences, ses angoisses. » (p. 44). Le dandy témoigne de la difficulté d’accéder au statut de sujet, pour les femmes d’abord, mais aussi pour ces jeunes hommes soumis à l’obligation de réussite. La notion moderne de sujet s’est construite en Europe dans la première moitié du XIXe siècle en parallèle à la série des mouvements révolutionnaires de cette époque. La littérature romanesque a participé à ce phénomène d’une façon décisive.

4 Cinq chapitres : 1. Le dandysme ; 2. Le « souci de soi » (Alcibiade) ; 3. Le dandysme comme phénomène historique – crises, contradictions, tragédies ; 4. Le « Moi social », dégradation du « souci de soi » ; 5. L’amitié comme mode de résistance à la culture bourgeoise : Jacques Colin, le Cénacle, les Treize, etc.

5 Cet ouvrage s’inscrit dans le cadre d’une série importante d’études brésiliennes pluridisciplinaires interrogeant les textes littéraires avec les outils de la psychanalyse et de la sociologie.

6 Nicole Mozet

Jean-Louis MONGIN, Jules Verne et le Musée des familles, préf. Daniel Compère, Amiens, AARP – Centre Rocambole & Encrage Édition, « Bibliothèque du Rocambole – Magasin du Club Verne », n° 3, 2013, 156 p.

7 Bien qu’intitulé Jules Verne et le Musée des Familles, l’ouvrage de Jean-Louis Mongin se présente véritablement comme une histoire de la revue. C’est avec beaucoup d’acuité et une organisation très claire que l’auteur retrace la genèse et l’évolution d’une des revues fondamentales du XIXe siècle. L’essai comporte sept parties : cinq contribuent à présenter les enjeux, le contexte et l’histoire de la publication et deux sont consacrées aux collaborateurs. Il s’agit de la partie 5 sur les rédacteurs, dessinateurs (10 p.) et de la partie 6 sur Jules Verne (35 p.). Il est dommage que la présentation des collaborateurs n’ait pas été plus développée. Il semble en effet qu’alors même que la revue ne publie que 11 textes de Verne et dure plus de soixante ans, une présentation des textes des Dumas, Sue, Féval voire Nerval ainsi que davantage de textes « types » aurait pu être effectuée. Le relevé des textes de Verne, que l’on retrouve, pour l’essentiel, publiés sous un titre légèrement différent par Hetzel quelques années plus tard (Un Drame dans les airs, Martin Paz, Maître Zacharius, Une Fantaisie du Docteur Ox, etc.), permet de montrer un auteur possédant déjà le talent qui lui permettra d’être révélé. Verne, comme l’explique Jean-Louis Mongin, présente un profil atypique par rapport aux autres contributeurs dans la mesure où il devient célèbre au cours de sa période de collaboration (1851- 1872), sans que la revue en soit responsable.

8 Loin de la fameuse influence de l’éditeur Hetzel, qu’il ne connaît pas encore, la collaboration avec la revue entre 1851 et Cinq semaines en ballon (1863), voit la publication de quelques embryons de Voyages extraordinaires voire de textes fantastiques comme Maître Zacharius. Jean-Louis Mongin souligne à juste titre que la recherche vernienne a généralement négligé cette collaboration alors même que dans une perspective génétique, dans le débat si complexe visant à déterminer l’influence d’Hetzel sur Verne, ces textes présentent des pistes, sinon décisives, du moins intéressantes et exploitables.

9 Le travail de Jean-Louis Mongin offre une introduction au Musée des familles et des ouvertures pour un travail plus approfondi sur les collaborateurs de la revue, ainsi que sur la période de la production vernienne antérieure à sa rencontre avec Hetzel.

10 Renoir Bachelier

France NERLICH et Alain BONNET (dir.), avec la collaboration d’Arnaud BERTINET, Apprendre à peindre. Les ateliers privés à Paris, 1780-1863, préface de Sébastien ALLARD, Tours, Presses universitaires François-Rabelais, collection « Perspectives historiques », 2013, 397 p, illustrations noir et blanc, couleurs.

11 Si l’École des Beaux-Arts est bien étudiée, les ateliers privés parisiens ne bénéficient pas d’ouvrage de synthèse. Pourtant ces ateliers avaient un rôle essentiel puisque, contrairement à l’École des Beaux-Arts, les jeunes gens y apprenaient à peindre et recevaient une formation qui préparait aux grands concours. Ils étaient fort nombreux à Paris mais on ne sait pas grand-chose sur ces lieux d’apprentissage ; certains d’entre eux, bien que célèbres en leur temps, sont ignorés. Pour tenter de combler cette lacune, une équipe d’étudiants de Master à l’université de Tours a entrepris, sous la responsabilité de France Nerlich, la constitution d’un répertoire des ateliers parisiens entre 1793 et 1870 à partir des dictionnaires biographiques (ceux de Gabet et Bellier-Auvray), des livrets de Salon et des annuaires. Plusieurs études de cet ouvrage reposent sur des informations réunies pour le répertoire.

12 La tranche chronologique retenue pour cette histoire des ateliers privés à Paris est celle comprise entre l’ouverture du premier atelier de David et le décret de 1863 qui permettait à l’École des Beaux-Arts d’avoir ses propres classes de peinture. L’ouvrage s’organise en quatre parties. La première (Art et métier) examine l’organisation générale des ateliers privés, les caractéristiques professionnelles et sociales de ces lieux de formation. La deuxième partie (Partage et diffusion) se concentre, à partir de cas particuliers, sur le fonctionnement des ateliers et les divers modes d’enseignement. Une place importante est donnée à celui de David qui attire beaucoup de jeunes gens dont de nombreux étrangers et cela pour plusieurs raisons, la notoriété du maître, la riche diversité de l’atelier, la propension à développer l’originalité des élèves. Dans la troisième partie (École et réseaux), sont étudiés des lieux de formation aujourd’hui plus oubliés. À partir des divers ateliers (dont un réservé aux jeunes filles) de Léon Cogniet, un phénomène nouveau est mis en évidence, la multiplicité des lieux d’enseignement. Plusieurs articles étudient l’autre atelier extrêmement recherché dans les années 1830-1840, et renommé dans toute une partie de l’Europe, celui de Paul Delaroche. L’accent est mis sur les relations presque amicales qui se sont développées entre ces deux maîtres et leurs élèves, ainsi que sur l’idée d’« école » c’est-à-dire de communauté affective et esthétique, sur les réseaux tissés entre les élèves français et étrangers. Enfin la dernière partie (Mission et subversion) est consacrée à des prises de positions radicales, notamment les méthodes nouvelles enseignées dans l’atelier de Thomas Couture qui entendait rénover la peinture et créer un art national, méthodes qui ont attiré beaucoup d’étrangers (allemands et de l’Europe de l’Est). L’autre atelier envisagé est celui de Gustave Courbet, ouvert en 1861 pour contester le système académique. Certaines formes de contestations nées des pratiques de ces ateliers privés sont également analysées, en particulier la naissance de groupes d’artistes s’organisant en communauté autonome au sein des ateliers, constituant des phalanstères, mode d’organisation qui marque bien la fin d’une période. La remise en cause des ateliers privés s’accélère encore après la réorganisation de l’École des Beaux-Arts en 1863 ; la création d’ateliers de peintures au sein de l’institution officielle remettait en question la nécessité des ateliers privés.

13 L’ensemble de ces études repose sur des documents de première main, archives, correspondances, journaux intimes d’artistes ; le croisement de ces sources éparses apporte bien des éléments nouveaux. Cette sorte de remise à plat des connaissances permet aussi de revoir bien des lieux communs, par exemple celui de l’exclusion des femmes (hormis dans leur rôle de modèle). Dans les premières décennies du XIXe siècle, les jeunes femmes, même si leur accès à l’étude de la peinture suscite des débats, pouvaient se former dans des ateliers mixtes (celui de David par exemple) ; elles avaient, contrairement aux jeunes gens, la possibilité d’un choix entre un maître homme ou un maître femme. Un autre mythe est mis à mal, Camille Corot type de l’artiste ayant eu comme seul maître la nature, alors qu’il apprit son art dans les ateliers de peintres de paysage Achille-Etna Michallon et Jean-Victor Bertin, ateliers d’autant plus essentiels que l’art du paysage n’était pas enseigné à l’École des Beaux-Arts. Un autre aspect essentiel de ces ateliers privés, abordé ou développé dans plusieurs essais, est l’attraction pour les étrangers de ces lieux de formation qui permettaient ainsi des échanges transnationaux. Les ateliers privés n’étaient pas simplement des lieux d’apprentissage mais des lieux de rencontres et de débats, des lieux de brassage où se mêlaient des milieux sociaux hétérogènes, des parisiens et des provinciaux, des nationalités diverses.

14 Les différentes études ici réunies permettent également d’appréhender la diversité et l’évolution des pratiques d’enseignement, ainsi que la transformation progressive du statut de l’artiste. Un des grands mérites de cet ensemble est de réfuter l’idée de continuité, de transmission d’un héritage. Le choix d’écrire une histoire des ateliers privés sur une période longue (de la fin du XVIIIe siècle à la fin du XIXe siècle) a permis de saisir les mutations depuis l’atelier traditionnel jusqu’à de nouvelles sociabilités artistiques, de montrer comment s’instaure progressivement un rapport nouveau entre le maître et l’élève, comment, notamment à partir du milieu du siècle, les jeunes gens s’émancipent et se regroupent par affinités autant amicales qu’artistiques. En apportant un éclairage nouveau sur les ateliers privés, lieux peu ou mal connus et pourtant essentiels de l’histoire de l’art du XIXe siècle, cet ouvrage constitue un apport essentiel et illustre le dynamisme de la jeune recherche en histoire de l’art. En effet, sur les vingt contributions, plus de la moitié sont le fait de jeunes chercheurs, étudiants en Master, doctorants et post-doctorants. On souhaite que ce vaste chantier soit poursuivi, que le répertoire entrepris puisse être publié et susciter de nouvelles études.

15 Marie-Claude Chaudonneret

Mis en ligne sur Cairn.info le 21/07/2014
https://doi.org/10.3917/rom.164.0165
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