CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 On a pu expliquer la faiblesse des institutions de crédit, dans la France du premier XIXe siècle, par l’aversion séculaire de la population majoritairement catholique pour l’idée de crédit, aggravée par les souvenirs traumatisants de la banqueroute de Law et de la faillite des Assignats. L’histoire économique et sociale de Fernand Braudel et Ernest Labrousse en témoigne : « A la limite, on en viendrait à croire que les Français ont montré traditionnellement de la méfiance à l’égard du crédit ; qu’ils en ont fait un médiocre usage – soit par excès, soit par défaut [1] ». Seul le « fait saint-simonien » viendrait nuancer ce tableau. En effet, les anciens disciples de Saint-Simon ont joué un rôle considérable dans la mise en place du système de crédit moderne. Mais ils n’étaient pas les seuls à prôner le développement du crédit.

2 Bien que la question ait été abordée sous de nombreux aspects, une histoire des théories du crédit en France au XIXe siècle reste à faire. Cet article a moins pour but d’en faire l’ébauche que d’en montrer l’intérêt. Il se propose ainsi de dégager quelques-uns des éléments oubliés de l’histoire intellectuelle du crédit en France.

3 Commençons par brosser l’articulation thématique et chronologique de ces théories du crédit au cours du siècle. Des années 1820 à la fin des années 1840, le nombre de publications relatives au crédit ne cesse d’augmenter. Dues à des publicistes sensibilisés aux questions économiques, elles dépassent largement les débats qui se sont cristallisés sous la seconde République entre les libéraux (qualifiés alors d’« Économistes ») et leurs opposants. La question du crédit en France durant ces trois décennies se décline en fait autour de plusieurs thèmes permanents, mais dont l’importance varie selon les époques. Sous la Restauration prédomine le débat sur l’usure et la légitimité de l’intérêt, en parallèle avec la question de la dette publique et des moyens d’y remédier. Si les problèmes liés au crédit public perdurent sous la monarchie de Juillet, on assiste à un développement de la littérature sur le crédit privé et surtout à la volonté de le spécialiser (crédit foncier, crédit agricole). À partir de 1848, enfin, la question du crédit devient globale. On souligne unanimement l’urgence et la nécessité de développer des systèmes de crédit, et les propositions émergent par centaines. Toutes les thématiques des années précédentes réapparaissent, et se trouvent reliées chez certains penseurs à l’organisation du travail et, plus globalement, au système économique en général [2]. D’abord purement économique et financière, la question du crédit devient donc politique. C’est ainsi que les questions techniques d’intérêt, d’émission monétaire ou de constitution des banques deviennent des sujets d’opposition entre « Économistes » et « réformateurs sociaux ». Le succès ultérieur des saint-simoniens s’explique peut-être par leur capacité à faire la synthèse entre ces deux tendances, d’autant qu’ils avaient déjà eu une grande influence sur la pensée des économistes de la période. Après la seconde République, tandis que se met en place un système bancaire capitaliste, des socialistes, mais aussi d’autres partisans d’une économie sociale, ont tenté de mettre en place un crédit mutuel, dont les origines intellectuelles remontent également aux décennies qui précédèrent le second empire.

4 Ce cadre chronologique posé, les lignes qui suivent s’efforceront de retracer le cheminement intellectuel qui, sur un long XIXe siècle, a non seulement fait passer la société française de la crainte de l’usure à la promotion du crédit, mais aussi, dans le cadre du développement de la propriété privée et de la liberté individuelle, a permis d’articuler le crédit aux particuliers à des conceptions d’intérêt général, celles du crédit public puis du crédit mutuel.

DE LA CONDAMNATION DE L’USURE À L’INTÉRÊT DU CRÉDIT

5 Sous l’influence des physiocrates, la législation en matière de prêts à intérêts a été assouplie au XVIIIe, plus particulièrement sous Turgot, partisan de la libération des prêts d’argent [3]. Le tableau économique de François Quesnay a mis en valeur le rôle du crédit dans le circuit économique [4]. Depuis déjà plus d’un siècle, théologiens et financiers disputaient sur la distinction de l’usure et de l’intérêt. Sous l’Empire, une loi établit durablement la limite en fixant les taux d’intérêts à 6 % pour les prêts commerciaux et 5 % pour les prêts aux particuliers [5]. Dans les années suivantes, l’Église tente elle-même de légitimer dans certains cas l’intérêt et de le distinguer de l’usure [6]. L’abbé Baradère publie en 1816 une Dissertation où l’on détermine en quoi consiste le crime de l’usure, et dans quels cas on peut recevoir des intérêts en sûreté de conscience, qui est débattue dans les années suivantes sans que sa thèse soit totalement remise en cause [7]. En 1822, l’abbé de Baronnat plaide la légitimité du prêt à intérêt [8]. On reste évidemment loin des thèses de Jeremy Bentham, traduites en 1828, qui défendent clairement l’usure ou plutôt la libéralisation de l’intérêt. Mais force est de constater qu’en à peine plus d’un siècle, l’Église a assoupli sa position sur l’usure.

6 Sa position est en phase avec celle de la société française, qui souffre d’un manque de crédit en raison de la raréfaction des métaux précieux, du refus de l’émission de papier-monnaie et, peut-être davantage, de l’écroulement des structures de financement traditionnel au cours de la période révolutionnaire [9]. Toutefois, la majorité des écrits de la Restauration traite davantage du crédit public que du crédit aux particuliers. Car l’aggiornamento de l’Église sur la question du crédit a été précédé par celui de l’État français : alors que les gouvernements révolutionnaires avaient surtout débattu de l’impôt, la monarchie privilégie le crédit public pour liquider les dettes issues des guerres. Par ailleurs, la publicité des débats à la Chambre encourage à prendre position sur les questions financières.

7 Les positions du chevalier Hennet, commissaire royal du cadastre en 1816 en témoignent. Il souligne qu’un État a trois sources de revenus : ses propriétés, l’impôt et l’emprunt public. Après s’être appuyé sur Adam Smith pour rejeter la propriété publique, moins bien gérée que la propriété privée, il s’oppose à l’impôt, trop souvent inégalitaire et retirant aux pauvres le nécessaire, quand l’emprunt prend aux riches le superflu [10]. Albert-Joseph Hennet passe en revue l’ensemble des mécanismes financiers auxquels a fait recours l’Ancien Régime pour se procurer des revenus, s’étant toujours davantage endetté et ayant conduit la France à la Révolution. Il propose alors de mettre en place un système d’emprunt qui prévaut encore de nos jours : le remboursement progressif des intérêts et du capital, en faisant diminuer à chaque échéance la part des intérêts et en augmentant la part du capital. Ce monarchiste influencé par Smith regarde du côté de l’Angleterre et souligne l’importance de l’endettement, dans cet État qui s’est hissé au premier rang des Nations. Il fait du crédit une opportunité pour le développement du pays, en montrant qu’il stimule l’économie et accroît la circulation des richesses [11]. Ce postulat suppose néanmoins que le gouvernement trouve des créanciers et que ceux-ci aient non seulement les liquidités nécessaires, mais encore qu’ils aient confiance dans le gouvernement emprunteur. Or Hennet est plutôt enthousiaste à ce sujet :

8

Ah ! s’il est un peuple qui ait un penchant naturel, irrésistible à placer son argent sur l’État, c’est le peuple Français, puisque ni les rapines de d’O [12], ni la mauvaise fois de Particelli [13], ni le système de Law, ni les banqueroutes de l’Abbé Terray [14] n’ont pu affaiblir ce penchant [15].

9 Peut-être ces expériences ont-elles davantage marqué les dirigeants, expliquant ainsi leur frilosité à l’égard de tout système bancaire. Quoi qu’il en soit, Hennet ajoute à ses arguments socioéconomiques un argument purement politique, qui fait le lien entre la nécessité de la confiance publique pour le développement du crédit et l’émergence d’institutions représentatives. Anticipant les théories de l’économie politique libérale, il achève en effet son ouvrage en affirmant qu’un gouvernement représentatif garantit une plus grande sécurité aux capitalistes.

DU CRÉDIT PUBLIC AUX INTÉRÊTS PARTICULIERS

10 Vingt-cinq ans après le chevalier Hennet, sous la monarchie de Juillet, cette manière d’associer essor du crédit public et représentativité des gouvernements se retrouve sous la plume de Marie Augier dans son « esquisse [d’une] histoire universelle par l’argent ». Définissant le crédit public comme « l’opinion générale de solvabilité qu’inspire une nation ou son gouvernement [16] », il recherche les liens entre la constitution sociale d’une nation et ses institutions de crédit. Il établit ainsi une distinction entre les républiques et pays constitutionnels, où l’État se procure des ressources par des emprunts, et les monarchies et pouvoirs absolus, qui prennent par la force et l’arbitraire [17]. Comme nombre des contemporains écrivant sur le sujet, Augier déplore le manque de crédit en France alors que le numéraire stagne : « Malgré l’établissement de 10 comptoirs dans les départements, le capital dormant de la Banque de France est encore excessif. » Il s’appuie notamment sur Humboldt, qui estime que sur les 8 milliards de francs en circulation en Europe, la moitié serait en France. La Banque aurait de quoi émettre davantage de billets et surtout de plus petites coupures accessibles à davantage de personnes :

11

[…] ses billets de 500 et 1 000 F sont de la monnaie de grand seigneur et non de commerçant. Il serait à désirer que servant de grande artère commerciale à tout le pays, la banque eût non pas des comptoirs dans chaque chef-lieu de département, mais qu’elle prêtât son appui à des établissements locaux ; afin de donner sans danger le plus d’extension possible à notre crédit, et qu’il y eut néanmoins uniformité dans le papier de banque comme dans la monnaie [18].

12 Cette volonté de développer la banque et le crédit à travers le territoire sera reprise par un grand nombre de programmes politiques sous la seconde République [19]. Quant à l’incapacité de la Banque de France de développer le crédit et de faire circuler davantage de numéraire, elle est avouée par Gautier, sous gouverneur de la Banque en 1842, lorsqu’il note que le crédit languit en France et déplore que propriétaires et rentiers accumulent les biens immobiliers [20].

13 Hostile au cours forcé, qui consiste à supprimer la convertibilité des espèces en or tout en fixant leur cours, et s’assimile pour lui à un contrôle du crédit par l’État, Augier se révèle également hostile à la liberté illimitée des banques. On voit alors s’ébaucher un système de crédit à la française, qui serait un juste équilibre entre libéralisme et étatisme :

14

Ce qu’il faut en France, ce n’est ni la liberté illimitée des banques des États-Unis, ni la fusion anglaise de l’État avec la banque ; mais bien une combinaison des banques départementales, étayées des comptoirs de notre grand établissement de crédit ; en sorte que l’action du gouvernement soit secondée puissamment de tous les centres d’énergie qui doivent graviter autour de lui [21].

15 Cette association de l’État et des financiers, nécessaire dans la mise en place des systèmes bancaires de la plupart des pays, est déjà théorisée sous la monarchie de Juillet. Plusieurs projets de banques et d’institutions de crédit émergent alors, associant les pouvoirs publics à la finance privée.

16 Si le « moment orléaniste » se caractérise donc par la volonté de diffuser le crédit dans l’ensemble des secteurs économiques, il est également marqué par l’importance accordée à la propriété privée. Jusqu’à présent, le crédit aux pauvres avait peu intéressé les théoriciens, en dehors de la critique morale de l’usure. On débattait du crédit public et du crédit à la grande industrie ou au grand commerce, tandis que les petits crédits étaient laissés aux notaires, au Mont-de-Piété ou aux divers intermédiaires et usuriers. C’est le développement de la petite propriété, avec la formation d’une sorte d’élite agricole et artisanale, qui explique sans doute l’intérêt croissant pour cet aspect. La question du crédit se trouvant dès lors liée à celle de la propriété et du travail, les débats quarante-huitards sont bien en germe dès le début des années 1840. Et Proudhon, bien que méconnu de la plupart des contemporains, inquiète déjà les théoriciens du crédit, du fait de sa condamnation de la propriété (qui est une critique de la rente foncière). C’est à lui qu’Augier semble vouloir répondre, en donnant dans son ouvrage la « preuve incessante et continuelle du respect éternel que l’on doit à la propriété [22] ». Or en croyant contrer le socialiste du crédit, il annonce bel et bien la venue du Février social : « Les révolutions ne sont donc que le tribut de sang et de larmes voulu par la nature, chez tous les peuples que le besoin de la régularisation du crédit tourmente [23] ».

1848 : CRISE DU CRÉDIT ET APOGÉE DE SA THÉORISATION

17 Avant la révolution de Février, plus que la mise en place d’un nouveau système de Law ou le recours aux assignats, la principale crainte des possédants en matière de monnaie est le cours forcé, pourtant déjà en vigueur en Angleterre depuis le début du siècle. Le 15 mars 1848, cette crainte devient réalité : le cours forcé est imposé par le Gouvernement provisoire. Révolution politique, la révolution de Février est liée à une crise économique et les réformateurs veulent en faire une révolution sociale. Rarement dans l’histoire de France le lien entre confiance et crédit est apparu aussi crucial, le cercle vicieux de l’inactivité économique se resserrant en outre chaque jour davantage.

18 De nombreuses propositions et réflexions se consacrent alors à la question du crédit, stimulées par la liberté de la presse et de l’expression, où l’on retrouve les thématiques et les débats des décennies précédentes. Mais les polémiques s’exacerbent, non seulement du fait de la gravité de la situation économique, mais aussi du clivage politique croissant entre socialistes et libéraux. Bien qu’il existe de nombreuses vues modérées et non partisanes sur la question du crédit, elles sont éclipsées par les oppositions binaires, les contemporains étant bien conscients d’assister à une bipolarisation politique reflétant les divergences entre intérêts du travail et du capital – intérêts liés étroitement à la question de la propriété et du crédit. Pierre-Joseph Proudhon, en exigeant une diminution immédiate des rentes, loyers et intérêts et en proposant la nationalisation de la Banque de France finit par personnifier le socialisme à l’Assemblée face à Adolphe Thiers, défenseur de la propriété.

19 Pour Proudhon, la solution du problème social passe par une réforme de la circulation dont la conséquence serait l’abolition de l’intérêt. Il propose pour cela l’émission d’une monnaie non plus gagée sur l’or ou l’argent, mais sur les promesses de travail. Les travailleurs doivent devenir leurs propres créanciers et s’émanciper ainsi de la « royauté de l’or ». En se prêtant mutuellement, les travailleurs stimuleraient l’activité économique et surtout acquerraient leurs propres moyens de production. Tel est le but de la Banque du Peuple.

20 Loin d’être exclusivement proudhonienne, la Banque du Peuple s’apparente à une synthèse des conceptions socialistes sur le crédit. Sa fondation doit beaucoup à l’ancien saint-simonien puis fouriériste Jules Lechevalier, qui lui rallie le concours des anciens délégués à la commission du travail, proches de Louis Blanc. Plusieurs sommités socialistes de l’époque siègent dans le comité d’organisation de la banque comme Cabet ou Leroux. Malgré les divergences entre les différents courants socialistes et les querelles de personnalités, et bien que plusieurs projets de banques semblables aient été proposés dans les années passées, la Banque du Peuple est le projet qui connaît le plus grand succès, sans toutefois aboutir. De l’ouverture de ses bureaux en février 1849 à sa liquidation prématurée en avril, la banque reçoit plus de 13 000 adhésions individuelles et celles d’une cinquantaine d’associations de travailleurs. Elle développe en outre près d’une trentaine d’agences dans le pays. Mais Proudhon prend prétexte des poursuites judiciaires que lui attire sa verve de polémiste pour mettre fin à une expérience qu’il craint de voir dévoyée par d’autres tendances idéologiques. D’autres socialistes voulaient faire de la banque un centre pour les associations ouvrières et y développer des organismes de contrôle de la production. Or chez Proudhon, la question du crédit avait pris une telle ampleur que le réformer devait suffire à révolutionner la société [24].

21 Les conceptions proudhoniennes du crédit trouvent leur origine dans la critique de la propriété. Celle-ci est immorale selon Proudhon, dans la mesure où son propriétaire peut tirer un revenu du locataire qui en a l’usage et la met en valeur. Il en est de même pour le capital numéraire, qui peut rapporter par le biais de l’intérêt un revenu au créancier grâce au travail du débiteur. Pour cette raison, Proudhon associe rentes, fermes, locations ou intérêts. Tous ces revenus réalisés au détriment du travailleur sont symptomatiques du système de la propriété capitaliste. À une époque où l’on assiste réellement à une faim de terres et à l’émergence du chômage au sein d’une société majoritairement artisanale et agricole, on comprend la portée que put avoir la pensée du polémiste. Elle fit d’ailleurs des émules, qui la vulgarisèrent, à l’instar de V. Avril, pour qui « l’histoire de l’humanité n’est que le développement continuel d’une comptabilité en partie double… La comptabilité se passe entre les deux classes de citoyens qui ont de tout temps composé à eux seuls l’organisme social, les propriétaires, les capitalistes, les entrepreneurs d’une part, et les salariés d’autre part [25] ».

22 Avril reprend la critique proudhonienne du crédit et l’inscrit dans l’histoire. Le crédit s’est développé parallèlement à la liberté et à la mutualité. Plusieurs périodes peuvent être distinguées selon les gouvernements, la religion et le rapport à la terre, auxquels sont liés l’usure et le crédit. Après la période féodale qui condamnait le prêt à intérêt, mais conduisit de fait à une usure illimitée, l’époque de la propriété capitaliste, période de transition, est caractérisée par une usure et un crédit limités. La société à venir doit mettre fin à l’usure par la reconnaissance de la propriété par le travail. Dans ce contexte et grâce au développement de la circulation, il n’y aura plus d’intérêt, il y aura réciprocité du crédit. Cette volonté de faire du crédit le moteur de l’histoire n’est pas une exception. Elle est contemporaine des philosophies de l’histoire, annonce le matérialisme historique marxiste et se retrouverait encore chez Jacques Le Goff, qui envisage la formidable polémique autour de l’usure comme en quelque sorte « l’accouchement du capitalisme [26] ».

23 Au milieu de considérations rendues souvent confuses par le caractère systématique de sa démonstration, V. Avril émet plusieurs idées intéressantes. Il souligne par exemple qu’il serait paradoxal de vouloir affranchir les travailleurs par le prêt aux associations accordé sous Corbon en 1848, qui fait de l’État un banquier. Il voudrait ne faire dépendre les travailleurs ni de l’État, ni des propriétaires, d’où l’idée de crédit mutuel. De même, son rejet de tout intérêt le conduit à une analyse remarquable de la loi de 1807 sur l’usure. Il constate que son rapporteur, Jaubert, a proposé de fixer la limite entre usure et intérêt à 5 % pour les prêts privés ou 6 % pour les prêts commerciaux, parce que la rente de la terre était à l’époque de 5 %. Pour Avril, cette loi illustre donc la domination foncière héritée des physiocrates. C’est la propriété terrienne qui a déterminé le taux de l’intérêt et permis une usure supérieure lorsque le travailleur industriel doit recourir à des prêts commerciaux :

24

Ainsi, jusque dans les limites données au capital en faveur du travail, la terre a su faire sa part plus belle et autoriser une usure plus élevée quand le prêt ne lui était pas fait. Différence remarquable en ce qu’elle signale à l’investigation républicaine les débris de la théorie monarchique de Quesnay, théorie qu’il faut abattre, sous peine de voir se continuer les institutions napoléoniennes, sous l’appareil de la liberté républicaine. Oui, c’est là qu’il faut porter la pensée et la réforme, c’est là qu’il faut aller attaquer ces vieilles tanières de la bourgeoisie encore triomphante, c’est là qu’il faut dépouiller cette noblesse du sol, de la puissance souveraine dont l’économisme l’a armée. Pas de république possible avec un intérêt légal, calqué, mesuré sur le revenu de la terre ; pas de liberté possible avec l’usure spoliatrice, surtout du travail industriel ! Qu’on y réfléchisse, la loi de 1807 est la consécration du despotisme de la propriété [27].

25 D’une certaine manière, les positions de Proudhon marquent le point culminant de la question du crédit au XIXe siècle. Quelques mois après l’échec de la Banque du Peuple, et alors qu’il séjourne en prison, il mène une querelle épistolaire avec Frédéric Bastiat sur la légitimité de l’intérêt, qui s’avère une excellente synthèse de plusieurs siècles de débats. Les deux contradicteurs épuisent tous les arguments moraux, religieux, sociologiques et économiques à l’appui de leur thèse [28]. Ce débat finit en dialogue de sourds et solde finalement la question de la légitimité de l’intérêt, que quasiment plus personne n’a osé remettre ouvertement en cause depuis, de même que plus aucun réformateur social n’a songé à révolutionner la société par un unique organisme de crédit.

26 Mais le problème du crédit n’était pas résolu pour autant, et ce fut l’œuvre du second Empire d’y parvenir. La perspective libérale et optimiste de voir les taux d’intérêts diminuer au fur et à mesure que se développerait un système de crédit solide et digne de confiance finit par se préciser, au point que Darimon peut écrire en 1856 : « La gratuité du crédit est devenue chose si ordinaire, qu’après avoir servi d’étendard aux radicaux elle commence à être un moyen pour les conservateurs de se rendre populaires [29] ».

L’ŒUVRE DES SAINT-SIMONIENS : QUEL CRÉDIT ?

27 La mise en place de banques et d’institutions de crédit sous le second Empire grâce à des saint-simoniens comme les frères Pereire, Michel Chevalier ou les frères d’Eichthal est bien connue. Ils y travaillaient de longue date, comme en témoigne le titre du journal des anciens de l’École publié de 1848 à 1850 : le Crédit. Il y a déjà près d’un siècle, une thèse a souligné « qu’une École dont le berceau fut la Caisse hypothécaire était prédestinée à préconiser une activité nouvelle du Crédit : il y avait là un présage [30] ». Henri de Saint-Simon avait en effet connu l’Espagnol Fransesco Cabarrus, fondateur de la Banque Saint-Charles, et était proche d’Olinde Rodrigues, courtier à la Bourse puis directeur de la Caisse hypothécaire.

28 L’analyse saint-simonienne du crédit part également de la propriété et de la volonté de la mettre entre les mains de ceux qui ont la capacité de la faire fructifier, les producteurs, en vertu du principe selon lequel « le droit individuel de propriété ne peut être fondé que sur l’utilité commune et générale de l’exercice de ce droit, utilité qui peut varier selon les temps [31] ». On comprend l’influence qu’a pu avoir une telle doctrine, qui suppose que les capitaux ne peuvent être immuables et doivent circuler de ceux qui les possèdent vers ceux qui sont les plus capables. C’est là qu’intervient le rôle du crédit :

29

Dans une société où les uns possèdent des instruments d’industrie sans avoir capacité ou volonté de les mettre en œuvre, et où d’autres qui sont industrieux ne possèdent pas d’instruments de travail, le crédit doit avoir pour but de faire passer le plus facilement possible ces instruments des mains des premiers qui les possèdent dans celles des seconds qui savent les mettre en action [32].

30 Cette idée a le mérite de faire l’unanimité aussi bien chez les libéraux que les socialistes. Pour les premiers, il y a là une opportunité de valoriser la propriété privée ; pour les seconds, la possibilité de mettre fin aux privilèges. Dans les deux cas, il y a surtout la volonté d’assurer le développement économique. Ainsi, le radical V. Avril cite-t-il en 1849 cette idée plutôt saint-simonienne du modéré Wolowski : « Le crédit foncier sert à la fois à consolider la propriété entre les mains de ceux qui sont dignes de la conserver, et la transmettre entre les mains de ceux qui peuvent en faire jaillir le plus de produits ; il est le complément de la constitution démocratique du sol [33] ».

31 Dans les années 1820, la position saint-simonienne sur la propriété était beaucoup plus radicale que ce qu’elle est devenue. L’École se prononçait contre l’héritage et proposait de prêter les patrimoines récupérés. Elle préconisait également de supprimer l’intérêt, « cette redevance féodale que l’industriel paye au capitaliste [34] ». On discerne alors l’influence que les saint-simoniens ont pu avoir sur Proudhon, d’autant que les banques allaient être au centre du système industriel à venir et qu’ils imaginaient aussi mettre en place un système monétaire détaché de l’équivalence métallique.

32 En 1848, les saint-simoniens sont plus modérés et pour la plupart effrayés des idées de Proudhon. Si plusieurs d’entre eux sont devenus de grands bourgeois, ils n’ont toutefois pas tous renoncé à l’amélioration de la classe la plus nombreuse et la plus pauvre, et beaucoup comptent toujours sur le crédit et l’association pour y parvenir. Au printemps 1848 triomphent provisoirement les idées issues des socialismes associationnistes, et donc saint-simoniennes. Ainsi, le 15 juin 1848, le banquier Michel Goudchaux, républicain modéré proche du baron de Rotschild, témoigne à l’Assemblée constituante du bel avenir qui semble s’ouvrir aux conceptions mutualistes ou coopératives du crédit :

33

Ainsi, je veux l’association ou plutôt les associations entre ouvriers […] et lorsque vous aurez donné aux travailleurs l’instruction et le crédit nécessaires, vous aurez tout le système indispensable pour donner aux travailleurs la position d’égalité qu’ils n’ont pas eue jusqu’à présent.

34 Mais une semaine après ont lieu les terribles émeutes de juin et les socialistes en sont considérés responsables. Dès lors, leurs théories inspirent de la méfiance et leur accomplissement est d’autant plus compromis qu’elles sont souvent associées à Proudhon. Le crédit mutuel est-il pour autant mort-né ?

35 En 1910, une étude estimait que « les saint-simoniens eurent surtout une influence sur les sociétés capitalistes de crédit et non sur les associations populaires [35] ». Pourtant ils avaient bien encore, dans leurs derniers jours, des projets de crédit populaire. Si l’on songe d’abord au dernier projet d’Enfantin intitulé « crédit intellectuel », Jean Vergeot montre aussi qu’à l’époque où les Pereire mettent en place le Crédit Mobilier, ils comptent également créer une institution de crédit mutuel. En 1853, ils présentent au Conseil d’État, avec l’accord de Benoît Fould, un projet pour « compléter leur institution auxiliaire de la grande industrie » par « une combinaison qui aurait pour effet d’étendre jusqu’aux classes d’entrepreneurs les moins favorisés par la fortune, jusqu’à l’ouvrier en chambre, les bienfaits du crédit », bienfaits grâce auxquels, selon l’expression de Bazard, « le cercle des hommes qui pourraient prétendre à devenir chefs, princes de l’industrie, embrasserait l’humanité tout entière [36] ». Ce plan est dans la lignée des années 1830, durant lesquelles les Pereire avaient émis un projet de banque basé sur le principe de la mutualité et sur l’émission des billets à rente [37] mais qui n’eut visiblement pas de suite.

36 Le développement d’institutions de crédit pour la grande industrie ou le grand commerce ne comble pas le manque d’institutions pour les petites entreprises, particulièrement pour l’artisanat et l’agriculture, bien que ce besoin ait été présent à l’esprit de la plupart des théoriciens du crédit sous les différents régimes. La Commune de Paris achève de développer les théories proudhoniennes du crédit, que l’on retrouverait selon Jean Gaumont exprimées dans la Banque Béluze ou dans les groupes de crédit mutuel d’Abel Dacaud. Dans les décennies suivantes, ce seront les modèles étrangers et d’influences chrétiennes qui auront davantage d’influence. Dans les années 1880 et 1890 se développent des caisses de crédit mutuel sur le modèle de Schulze-Delitzsch, de Luzatti ou sous l’influence du prêtre Ludovic de Besse. Ces projets s’inscrivent de loin dans la lignée d’un catholicisme social que Lamennais ou Buchez avaient animé dès les années 1830, et que perpétuent les cercles de Le Play. Mais si jusqu’en 1848 chrétiens et laïcs pouvaient marcher ensemble, le divorce entre républicains et catholiques dans les premières décennies de la troisième République empêchait toute convergence. Il faut attendre le ralliement, et sans doute le pragmatisme des hommes, pour que chrétiens sociaux et mutualistes républicains fassent œuvre commune.

37 En 1889, le remarquable discours de clôture d’un congrès coopératif exprime de sérieuses réserves sur le rôle émancipateur des sociétés de crédit, « ces feux follets dans l’histoire de la coopération [38] ». Les années qui suivent le contredisent. Non seulement le mouvement coopératif connaît un spectaculaire développement, puisque le nombre de coopérateurs passe de 1,4 million à 5,3 millions de 1890 à 1914 [39], et que les associations ouvrières de production membres de la Banque Coopérative des Sociétés Ouvrières de Production créée en 1893 passent de 40 en 1885 à 120 en 1914 [40]. Enfin, le Crédit Agricole en 1913 rassemble 236 000 sociétaires, répartis en 4 533 caisses locales et 98 caisses régionales [41].

38 Les rêves quarante-huitards d’un réseau de caisses de crédit sillonnant la France et permettant à tous les travailleurs associés librement de produire dans un esprit de mutualisme ont donc vu le jour. La Première Guerre mondiale allait hélas geler ces germes issus des théories du crédit au XIXe.

39 Le XIXe siècle a été marqué par la mise en place d’un système bancaire moderne, quoique fondé sur le système monétaire de l’étalon-or. Le développement du crédit et la diminution des taux d’intérêt ont permis d’apaiser les débats sur le crédit. En même temps, les théories d’économie politique ont eu tendance à se désintéresser de cette question dans la seconde moitié du siècle.

40 Ce sont les désordres monétaires causés par la guerre de 1914-1918 puis la crise de 1929 qui ont remis au goût du jour les théories sur la monnaie et le crédit, notamment celles qui étaient issues de l’économie sociale. Dès 1918 est publiée la thèse de Vergeot, soutenue devant Ch. Rist, selon laquelle l’application des théories saint-simoniennes du crédit serait nécessaire aux lendemains de la guerre [42]. Dans les années suivantes paraissent la thèse de L. Labrusse sur la conception proudhonienne du crédit[43], puis un article de W. Oualid intitulé « Proudhon banquier [44] ». Jean Gaumont publie une magistrale étude sur la coopération en France [45], tandis que Charles Gide, qui a démontré en 1895 la baisse tendancielle du taux de l’intérêt [46], traite d’économie sociale au Collège de France. Ces études, ainsi que les débats de l’entre-deux-guerres liés à la création monétaire ou aux nécessités de rembourser les emprunts nationaux, permettraient d’inscrire la période dans un long XIXe siècle, du point de vue de l’histoire des théories du crédit en France.

41 Après 1945, la nationalisation de la plupart des grandes institutions de crédit, l’application des méthodes de relance keynésienne et les politiques inflationnistes vont permettre autant à l’État qu’aux Français d’avoir plus facilement recours au crédit et de se libérer de leurs dettes. Après la remise en cause de ce système dans les années 1980, l’émergence des principes monétaristes, la privatisation des banques et la crise que traversent également la mutualité et les banques coopératives, il y a aujourd’hui place pour une réflexion renouvelée sur la question du crédit.

Notes

  • [1]
    Maurice Lévy-Leboyer : « Le Crédit et la monnaie : l’évolution institutionnelle », dans Histoire économique et sociale de la France : 1789-1880, Paris, 1976, éd. Quadrige, 1993, p. 347.
  • [2]
    Par exemple : Alphonse Esquiros, le Droit au travail. De son organisation par la réforme des institutions de crédit, 1849. Johan Caspar Bijleveld, de l’Organisation du travail par un meilleur système de crédit, 1848. A. Cordier & Victor Touche, Plus d’impôts ! plus de droits réunis ! Organisation du crédit par l’État, 1848. H.-B. Dasseville, Organisation du travail, de l’industrie et du crédit, 1848.
  • [3]
    Anne Robert Jacques Turgot, Mémoire sur les prêts d’argent, 1770.
  • [4]
    François Quesnay, Tableau économique, 1758. Sur une reproduction totale chaque année de 5 milliards, 3 milliards servent d’avance à la classe productive. Les sommes qui servent à payer le revenu et les intérêts des avances primitives représentent donc les 3/5e du revenu total de l’agriculture. C’est reconnaître un rôle au crédit agricole.
  • [5]
    Loi du 3 septembre 1807, abrogée par la loi n? 66-2010 du 28 décembre 1966.
  • [6]
    À titre d’exemples : Mgr de Pressigny, Le Placement de l’argent à intérêt distingué de l’usure, 1821 ; Georges Enlart de Granval, Considérations morales et politiques sur le prêt à intérêt, tel qu’il se pratique aujourd’hui en France et sur sa tolérance religieuse, 1823. L’encyclique du 1er novembre 1745 de Benoît XIV, bien qu’elle condamnât les intérêts rémunératoires en vertu d’un contrat de prêt, avait ouvert la voie en permettant de toucher des intérêts compensatoires. Voir Jean-Baptiste Flottes, Exposition de la doctrine de Benoît XIV sur le prêt, sur l’usure et sur divers contrats par lesquels on fait valoir l’argent, 1826.
  • [7]
    Abbé Burgué, Examen de la dissertation de M. B…, curé de P…, sur l’usure, 1817.
  • [8]
    Abbé Baronnat, Le Prétendu Mystère de l’usure dévoilé, ou le placement d’argent connu sous le nom de prêt à intérêt démontré légitime par l’autorité civile et par l’autorité ecclésiastique, 1822.
  • [9]
    Hoffman P.T., Postel-Vinay G., Rosenthal J.-L., Des marchés sans prix : l’économie politique du crédit à Paris, 1670-1870, Paris, EHESS, 2001.
  • [10]
    M. le Chevalier Hennet, Théorie du Crédit public, Paris, 1816, p. 447. Il prend l’exemple suivant, p. 466 : si une nation a besoin de 100 millions, elle emprunte cette somme et impose 5 millions pour les intérêts et 2 millions pour le remboursement du capital la première année (prêt à 5 % avec remboursement du capital). Il est plus réaliste d’exiger 7 millions des contribuables.
  • [11]
    Ibid., p. 445.
  • [12]
    François d’O (1535-1594) : financier qui doubla la taille, augmenta les aides et péages et créa de nouveaux offices.
  • [13]
    Michel Particelli d’Emery (1596-1650) : aux finances sous Mazarin, il augmenta les droits d’octroi.
  • [14]
    Joseph Marie Terray (1715-1778) : contrôleur général des finances de Louis XV, qui dut trouver de nombreux expédients financiers, qualifiés de « banqueroute ».
  • [15]
    Hennet, ouvr. cité, conclusion.
  • [16]
    Marie Augier, Du Crédit public et de son histoire depuis les temps anciens jusqu’à nos jours, Guillaumin, 1842, p. iii.
  • [17]
    Ibid., p. viii-ix. Il fait allusion aux taxes et impôts.
  • [18]
    Ibid., p. 255.
  • [19]
    « L’organisation du crédit, seule, peut produire cette grande et pacifique révolution […] L’institution judiciaire est partout, que partout soit l’institution financière ! » Laurent de l’Ardèche, La République, 23 sept. 1848.
  • [20]
    Robert Bigo, Les Banques françaises au cours du XIXe siècle, 1947, p. 45.
  • [21]
    M. Augier, ouvr. cité, p. 255-256.
  • [22]
    Ibid., préface. L’ouvrage conclut ainsi : « Et en dernière analyse, il n’y a pas d’hypothèque sans propriété libre, nécessairement pas de crédit réel, sans la propriété ; en d’autres termes, pas plus d’argent pour un gouvernement que pour un simple citoyen. – Les voleurs peuvent prendre, mais on ne leur prête pas. »
  • [23]
    Ibid., conclusion.
  • [24]
    Proudhon affirma qu’il entreprenait « une entreprise qui n’ait jamais eu d’égale, qui put faire tourner la terre d’Est en Ouest », Le Peuple, 23-24 fév. 1849.
  • [25]
    V. Avril, Histoire philosophique du crédit, Guillaumin, 1849, p. 25.
  • [26]
    Jacques Le Goff, La Bourse et la Vie, Hachette, 1986, p. 9.
  • [27]
    V. Avril, ouvr. cité, p. 180.
  • [28]
    La polémique s’est faite en 1849-1850 à travers la Voix du Peuple.
  • [29]
    Alfred Darimon, De la Réforme des banques, Guillaumin, 1856. L’ouvrage est introduit par Émile de Girardin.
  • [30]
    Jean Vergeot, Le Crédit comme stimulant et régulateur de l’industrie : la conception saint-simonienne, ses réalisations, son application au problème d’Après-guerre, thèse pour le doctorat, Jouve et Cie, 1918, p. 53.
  • [31]
    Saint-Simon, Vues sur la propriété in Œuvres de Saint-Simon et Enfantin, t. XVI, Dentu, 1868, p. 90.
  • [32]
    L’Organisateur, 27 décembre 1830.
  • [33]
    V. Avril, ouvr. cité, p. 74.
  • [34]
    Doctrine saint-simonienne, Éverat, 1831, p. 99.
  • [35]
    P. Moride : « le Mouvement des Coopératives de Crédit vers 1863 », dans Revue d’économie politique, 1910, p. 625.
  • [36]
    Exposition de la Doctrine, dixit J. Vergeot, ouvr. cité, p. 194. Sur le crédit mutuel des frères Pereire, voir également Franck Yonnet : « La banque saint-simonienne : le projet des Sociétés mutuelles de crédit des frères Pereire », Revue française d’économie, 1998, p. 59-99.
  • [37]
    L’Organisateur, 4 septembre 1830.
  • [38]
    Jean Gaumont, Histoire générale de la coopération en France. Les idées et les faits. Les hommes et les œuvres, Fédération nationale des coopératives de consommation, 1924, p. 574.
  • [39]
    Michel Dreyfus, L’Avantage de partager. Histoire des mutuelles cogérées, Mutualité française, 1997.
  • [40]
    Antoine Antoni, La COOP, 1980.
  • [41]
    André Gueslin, Les Origines du Crédit Agricole, 1840-1914, Presses universitaires de Nancy, 1978, p. 371.
  • [42]
    J. Vergeot, ouvr. cité.
  • [43]
    Laurent Labrusse, Conception proudhonienne du crédit, thèse de droit soutenue à Paris en 1919.
  • [44]
    William Oualid, « Proudhon banquier », dans Proudhon et notre temps, Chiron, 1920.
  • [45]
    J. Gaumont, ouvr. cité.
  • [46]
    Charles Gide, Traité d’économie politique, 1895.
Français

Les études sur les théories relatives au crédit au XIXe ont accordé une importance majeure aux économistes britanniques. À l’exception de la doctrine saint-simonienne qui exerça une forte influence dans la mise en place du système bancaire sous le second Empire, la plupart des autres pensées ont été éclipsées. Pourtant, la question du crédit a été âprement débattue en France. Que ce soit au sujet de la légitimité de l’intérêt, de la valeur des taux, du problème de la dette publique ou encore des moyens de stimuler un secteur ou une activité économique, de nombreux auteurs ont exposé des conceptions ou des projets originaux sur le crédit, son rôle et les moyens de l’organiser. Les débats sur ces questions semblent avoir atteint leur paroxysme sous la seconde République en raison de la crise économique et politique que traversa alors le pays. Auparavant, la question du crédit public avait dominé les débats politiques, tandis que la question de la légitimité de l’intérêt continuait de tourmenter les moralistes. À partir du second empire, le développement d’institutions modernes de crédit aux particuliers offre une nouvelle donne. La diminution des taux d’intérêts estompe les querelles sur sa légitimité. Toutefois, l’importance prise par les grandes banques capitalistes inquiète les théoriciens soucieux des questions sociales. Malgré l’échec de la Banque du Peuple de Proudhon, de nombreux théoriciens persistent dans la volonté de créer un organe de crédit des travailleurs. Il en résulta des formes de coopérations bancaires et de crédit mutuel, fruits de plusieurs décennies de théorisation et de maturation.

English

Theoretical studies of credit in the 19th century focused mainly on British economists. Except for Saint-Simon’s doctrine – which had a strong influence on the development of the banking system during the Second Empire – most others doctrines were ignored. The credit question, however, was bitterly debated in France. Concerned about the legitimacy of interest rates, their level, the issue of public debt or ways to stimulate an economic sector or activity, many writers proposed original concepts and projects concerning credit, its role and its organization. Debates on these issues reached their climax under the Second Republic because of the economic and political crisis that shook the country. Before, political debates focused on the question of public credit while moralists were preoccupied with the legitimacy of interest rates. After the Second Empire, the development of modern private credit institutions changed the debate. Declining interest rates lessened debates about the legitimacy of interests. Nonetheless, the increasing importance of large capitalist banks worried theoreticians concerned with social questions. Despite the failure of Proudhon’s Bank of the People, many theorists persevered in their goal to create a workers’ credit organization. New systems of cooperative banks and credit unions emerged from several decades of theoretical development and maturation.

Olivier CHAÏBI
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Mis en ligne sur Cairn.info le 19/04/2011
https://doi.org/10.3917/rom.151.0053
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