CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 « Qu’est-ce que les générations des XVIIIe et XIXe siècles trouvaient dans ce livre et qui s’est révélé inaccessible à leurs descendants ? » La question que pose l’historien Jacques Le Brun dans sa préface aux Aventures de Télémaque [1] pourrait légitimement s’appliquer à la Jérusalem délivrée du Tasse. Qu’est-ce qui explique en effet que le poète et son épopée aient été pour les romantiques une référence capitale, un topos littéraire, voire un passage obligé, et qu’ils aient tous deux sombré dès la fin du XIXe siècle  [2] dans l’oubli  [3] ? Jean-Yves Tadié en fait lui-même le constat : il faut aujourd’hui s’efforcer, dit-il, « de réintroduire dans le circuit de la lecture et des programmes des textes méconnus, oubliés, respectés mais non lus (Le Tasse, L’Arioste)  [4] ». Non lus. Le bilan est sans appel. La référence ou l’allusion à la Jérusalem délivrée ou à son auteur ne parlent plus au lecteur moderne. La Clorinde Balbi de Zola (dans Son Excellence Eugène Rougon), farouche guerrière, amazone surnommée « Mademoiselle Machiavel », n’évoque plus aujourd’hui, malgré son célèbre prénom, la Clorinde combattante de la Jérusalem délivrée ; et les « descriptions du Tasse et de l’Arioste  [5] » de La Chartreuse de Parme sont des allusions dont la puissance évocatoire échappe au lecteur contemporain.

2 Comment expliquer cette désaffection ou tout du moins cette méconnaissance ? Yves Bonnefoy hasarde une première hypothèse : « Il me semble […] que l’Arioste ou le Tasse, ou Leopardi, ou Ungaretti ou Mario Luzi ou Zanzotto, comptent davantage pour les historiens ou les philosophes d’Italie que ne sont considérés chez nous Ronsard ou Baudelaire, ou Rimbaud, pour ne rien dire de la poésie du XXe siècle  [6]. » Le Tasse survivrait en Italie, quand en France il disparaîtrait justement parce qu’il est poète. C’est possible. Mais que dire de l’oubli même de ce nom quand ceux de Dante ou de Pétrarque résonnent encore en France ? La disparition du Tasse et de son œuvre, loin d’être un hasard, s’explique par sa singularité : la Jérusalem a d’abord et surtout été éclipsée par la vie d’un poète devenu emblématique du courant romantique, et partant emportée dans son naufrage dès la seconde moitié du XIXe siècle. Il ne s’agit donc pas de montrer l’étendue de son influence auprès des écrivains du XIXe siècle – ce qui a déjà été amplement fait  [7] – mais d’expliquer les raisons de sa disparition des étagères de nos bibliothèques modernes.

3 La première raison tient peut-être à la vogue des mystifications littéraires [8], de ces biographies arrangées ou inventées, écrites par des auteurs romantiques, et dans laquelle le Tasse est, aux côtés des Chénier, des Gilbert ou des Camoëns, une figure idéale. L’existence certes tragique du poète italien – amour malheureux pour Léonore, sept années d’asile à Sainte-Anne, enfermement à Ferrare, mort dans la fleur de l’âge – est en effet informée, corrigée ou arrangée afin de satisfaire les aspirations personnelles d’écrivains. Car depuis Rousseau  [9], l’œuvre du Tasse est pour la première moitié du XIXe siècle européen (Goethe, Byron, Leopoardi, Lamartine, etc.) une référence littéraire et son destin malheureux, d’emblée romantique. C’est peut-être J. Starobinski qui a le mieux saisi l’originalité de ce mythe italien. En héroïsant l’artiste, les romantiques, à l’instar de Rousseau, se sont eux-mêmes hissés au panthéon des poètes mythiques tout en s’inscrivant dans le temps révolu du mythe : les écrivains lisent le Tasse « comme les rédacteurs des Évangiles ont lu les livres prophétiques de la Bible : pour y trouver l’annonce de leurs convictions  [10] ». Le poète italien devient alors pour les romantiques l’incarnation d’une existence artificiellement prémonitoire de la leur propre. Et c’est Byron qui ouvre la voie dans sa Lamentation du Tasse (1817) en évoquant le poète italien pour y trouver a posteriori la confirmation de prophéties pourtant déjà réalisées : « Non [écrit-il] – ce nom sera immortel ! – et je fais de mon cachot actuel un temple pour l’avenir que les nations viendront visiter en mon honneur […] le cachot d’un poète ton monument le plus célèbre, aux yeux de l’étranger, qui contemplera tes murs dépeuplés  [11] ». Le futur fictif (sera, viendront, contemplera) utilisé par le poète anglais est en fait un présent puisque l’auteur sait que la tombe du Tasse est l’objet d’incessantes visites. Il en connaît d’ailleurs quelque chose lui qui a, parmi les premiers, entrepris le pèlerinage de Saint-Onuphre, lieu de sépulture du poète. Dans cette interversion temporelle, Byron, d’une part, participe personnellement à l’histoire du Tasse puisque son présent propre est confirmé ou prédit par le poète italien lui-même et, d’autre part, prépare idéologiquement le lecteur à être plaint à son tour comme un génie malheureux.

4 Lamartine s’inscrit lui aussi dans la lignée de ces biographèmes [12] lorsqu’il consacre trois entretiens de son Cours familier de littérature à la vie du Tasse et qu’il feint d’attendre un poète à la hauteur du Tasse : « […] que le plus touchant poëme du Tasse serait le poëme de sa propre vie, s’il se rencontrait un poëte égal à lui pour l’écrire  [13]. » Or c’est bien implicitement à lui-même qu’il songe lorsque, trois pages plus loin, il confie au lecteur ces strophes « inédites  [14] » intitulées « Le cachot du Tasse » :

5

Homme ou Dieu, tout génie est promis au martyre :
Du supplice plus tard on baise l’instrument ;
L’homme adore la croix où sa victime expire
Et du cachot du Tasse enchâsse le ciment  [15].

6 L’intérêt des romantiques pour le Tasse frappe d’abord par son anachronisme, par cette conversion quasi systématique d’un passé en futur, l’identification au Tasse permettant ainsi une vision ou une prophétie détournée : non pas celle du devenir du Tasse dont les romantiques connaissent déjà la fortune littéraire, mais celle de leur destin propre.

7 À ce retournement temporel répond l’appropriation géographique ou nationale du poète italien par les poètes anglais, allemands ou français. Madame de Staël, dans De l’Allemagne[16], note en effet le caractère universel du poète italien capable de s’accommoder de nationalités nouvelles pour peu qu’on le prenne pour modèle : « Le Tasse est aussi un poëte allemand [écrit-elle]. Cette impossibilité de se tirer d’affaire dans toutes les circonstances habituelles de la vie commune, que Goethe attribue au Tasse, est un trait de la vie méditative et renfermée des écrivains du Nord ». Le Tasse devient alors un matériau malléable dont les poètes usent à des fins autobiographiques, non d’ailleurs sans une certaine mauvaise foi. Dans ses Mémoires d’outre-tombe, Chateaubriand insiste lui aussi sur cet effacement des contours, évoquant le Tasse par la voix du poète allemand au point que le lecteur ne sait plus à la fin qui des deux poètes parle vraiment :

8

Le séjour de Belriguardo, où Goethe évoque son ombre, ne le put calmer : « De même que le rossignol (dit le grand poète allemand faisant parler le grand poète italien), il exhalait de son sein malade d’amour l’harmonie de ses plaintes ; ses chants délicieux, sa mélancolie sacrée, captivaient l’oreille et le cœur  [17]. »

9 Le Tasse semble devenir un instrument aux mains des romantiques qui, tout sincères qu’ils soient dans leur admiration, ne lui en portent pas moins, par cette appropriation exagérée, un coup fatal. La désaffection du lecteur moderne tient donc peut-être d’abord à cette captation du poète à des fins autobiographiques dans laquelle la singularité du Tasse ainsi que son œuvre se perdent.

10 Cette mauvaise foi romantique se manifeste aussi, et c’est sans doute la deuxième raison de cette désaffection, par le choix de sources historiques plus suspectes qu’authentiques. Les écrivains de la première moitié du XIXe siècle se sont en effet obstinément accrochés à des biographies fictives du Tasse auxquels ils ont pourtant voulu croire. Ainsi les Veillées du Tasse de Giuseppe Compagnoni, ce texte apocryphe traduit en 1804 puis en 1834  [18], qui prétendaient exhumer d’anciennes méditations du Tasse lui-même, ont, bien que démasquées, continué de susciter l’intérêt de leurs lecteurs pendant toute la première moitié du XIXe siècle. Chandler B. Beall estime d’ailleurs que cette version très romanesque de l’histoire a sans doute contribué à « l’extraordinaire fortune du Tasse dans la littérature romantique »  [19]. Pourtant, le style moderne de Compagnoni saute aux yeux et les fameuses prophéties auto-réalisatrices, dont nous venons de voir qu’elles étaient spécifiques de cette littérature début de siècle, sont elles aussi utilisées par le faux poète italien :

11

Au moins, j’en laisserai quelques traces dans l’univers. Mon nom sera cher à plus d’un titre. […] mais un jour [ces feuilles] verront la lumière ; je ne serai plus alors au nombre des vivants. Elles seront lues avidement, et peut-être avec un sentiment religieux. – Je désire surtout qu’elles soient lues utilement. J’ai, par ce délire, donné une grande leçon  [20] !

12 Plus généralement, les romantiques préfèrent choisir les biographies qui leur semblent les plus conformes à l’image qu’ils se font du Tasse à celles qui, bien que moins pittoresques, sont plus fidèles à l’histoire  [21]. La Vita di Torquato Tasso (Venezia, Deuchino, 1621) d’abord, cette biographie de Manso, ami et hôte du Tasse, qui évoque ses qualités et sa maladie, est de toutes les biographies du Tasse celle qui sera la plus imitée et la plus adaptée. En revanche, La Vita di Torquato Tasso (Roma, Pagliarini, 1785) de l’abbé Pierre-Antoine Serassi, plus critique à l’égard du poète, remettant en cause la brutalité d’Alphonse II et surtout la folie du poète, ne satisfera pas les romantiques qui s’en détourneront au profit de Manso ou de Giovanni Rosini  [22].

13 Chateaubriand est l’un des rares à avoir conscience de l’absence de fiabilité de ses sources et les justifie avec beaucoup d’esprit :

14

Je sais qu’on élève des doutes assez fondés sur l’identité des lieux ; mais, comme tous les vrais croyants, je nargue l’histoire  [23].

15 L’auteur met ici le doigt sur l’un des aspects essentiels de cette ferveur à l’égard du Tasse : l’engouement romantique obéit quasiment à un processus de canonisation du poète, préférant le dogme au témoignage, entamant des voyages à Saint-Onuphre comme des pèlerinages (Byron, Lamartine, Chateaubriand ou Renan par exemple), vouant enfin ses détracteurs aux gémonies. Avec sa Jérusalem délivrée et sa vie de souffrance, le Tasse s’est fait émule du Christ ; c’est donc en Christ qu’il est accueilli par les romantiques [24]. Ainsi, il n’est pas anodin que ce soit à l’occasion du chapitre consacré au Tasse dans les Mémoires d’outre-tombe que Chateaubriand donne cette définition désormais fameuse du génie :

16

Le génie est un Christ ; méconnu, persécuté, battu de verges, couronné d’épines, mis en croix pour et par les hommes, il meurt en leur laissant la lumière et ressuscite adoré.  [25]

17 Tout ce qui viendrait entacher la légende est entré dans l’ère du soupçon. La méfiance à l’égard du témoignage de Montaigne  [26], pourtant l’un des très rares qui nous soient restés, est révélatrice de cette dénégation collective. Le mythe enjolivé est préférable à la médiocre réalité rapportée par le philosophe. Vigny s’en prend ouvertement à lui dans Stello : « Torquato Tasso, les yeux brûlés de pleurs, couvert de haillons, dédaigné même de Montaigne (ah ! philosophe qu’as-tu fait là !)  [27]… » Et Chateaubriand en fait un assez injuste raccourci : « Montaigne visita le Tasse réduit à cet excès d’adversité, et ne lui témoigna aucune compassion »  [28]. Enfin, certains auteurs mineurs sont plus virulents encore, à l’instar d’Augustine Gottis qui déclare : « Cet homme si froid est le célèbre Montaigne  [29]. »

18 La disparition du Tasse de la littérature européenne à la fin du XIXe siècle coïncide donc peut-être aussi avec l’avènement de la critique positiviste qui, comme le note justement Chandler B. Beall, vient ruiner « la légende en montrant le peu de conformité avec la réalité historique  [30] ». Dans Le Prince Vitale, essai et récit à propos de la folie du Tasse par exemple, Victor Cherbuliez souligne les limites de la biographie de Manso qui ne nous dit rien des raisons de sa folie et ridiculise l’engouement de Lord Byron « qui n’avait pas toujours le sens commun  [31] ».

19 En accordant plus d’importance à la vie fictive ou arrangée du poète qu’à sa vie réelle, mais en faisant aussi plus de cas de sa vie que de son œuvre, les romantiques ont sans doute indirectement mais durablement condamné la Jérusalem délivrée.

20 La troisième raison de cette désaffection tient peut-être aussi à la connaissance indirecte ou plutôt médiatisée qu’en ont eue les romantiques. Le goût pour le Tasse est en effet, au XIXe siècle, un goût au second degré. Et cet intérêt détourné est presque une spécificité du Tasse, lui qui a aussi bien inspiré les musiciens, les peintres que les poètes. Ainsi, la courbe de ces lectures est-elle insensiblement la même : les romantiques lisent la Jérusalem délivrée dans leur enfance, pour découvrir plus tard la vie du Tasse par le biais d’un autre – poète, peintre ou musicien – qui devient alors modèle ou repoussoir, ils s’identifient ensuite au poète maudit avant, le plus souvent, de s’en détourner. L’engouement pour le Tasse est donc aussi, par-delà la connaissance directe de l’œuvre, un engouement pour l’autre – artiste cher ou parent.

21 Ainsi par exemple, Goethe, avant d’écrire son Torquato Tasso a-t-il lu « la nouvelle que Heinse publie en 1776, construite sur la biographie légendaire du Tasse  [32] ». L’exemple de Chateaubriand est plus frappant encore. Le Tasse est, dès sa jeunesse, l’un de ses poètes préférés [33], quoiqu’inférieur, selon lui, à Virgile. La Jérusalem, écrit-il dans le Génie, « a une fleur de poésie exquise, si l’on y respire l’âge tendre, l’amour et les plaisirs du grand homme infortuné qui composa ce chef-d’œuvre dans sa jeunesse, on y sent aussi les défauts d’un âge qui n’était pas assez mûr pour la haute entreprise d’une épopée »  [34]. Il y revient avec plus d’enthousiasme encore dans son Itinéraire de Paris à Jérusalem, chacun devant faire de la Jérusalem délivrée sa « lecture favorite  [35] » :

22

En achevant de décrire les lieux célébrés par le Tasse, je me trouve heureux d’avoir pu rendre le premier à un poëte immortel le même honneur que d’autres avant moi ont rendu à Homère et à Virgile  [36].

23 Alain Vaillant affirme ainsi à juste titre que « l’épopée chrétienne du poète italien paraît le point d’aboutissement du voyage, et sa résurrection littéraire son ultime objectif, dans ce symbole matériel du principe de Résurrection qu’est Jérusalem, lieu du Saint Sépulcre. [Et le critique ajoute qu’il] s’impose aussi naturellement à l’esprit – pour le lecteur qui a accepté de se laisser prendre au charme du pèlerinage – que la Jérusalem délivrée est ici le substitut des Martyrs »  [37]. L’identification au poète italien est dès lors entamée. Elle l’est davantage encore dans ses Mémoires d’outre-tombe tandis que l’auteur passe insensiblement de la Jérusalem délivrée à la vie du poète italien. Cependant, cette projection n’est plus directe, elle est désormais médiatisée par deux auteurs : Goethe et Byron. Un chapitre entier des Mémoires (2, XXXX) évoque la vie du Tasse ; et Chateaubriand s’appuie certes sur les travaux de Michaud et son Histoire littéraire en Italie ainsi que sur ceux d’Antoine-Claude Valéry et ses Voyages historiques et littéraires en Italie, mais il emboîte surtout le pas au Torquato Tasso de Goethe dont il célèbre le génie : « Le récit des amours du Tasse était perdu, Goethe l’a retrouvé ». Sa Vie du Tasse n’est au fond que la lecture qu’en propose Goethe, c’est par son prisme que Chateaubriand aime le Tasse et qu’il croit en entendre les accents. L’usage de la parenthèse dans les quelques lignes qui suivent est à ce titre révélateur du brouillage des voix qui se retrouvent à distance temporelle dans le même objet :

24

Qu’il est charmant (dit toujours Goethe interprète des sentiments de Léonore), qu’il est charmant de se contempler dans le beau génie de cet homme, de l’avoir à ses côtés dans l’éclat de cette vie, d’avancer avec lui d’un pas facile vers l’avenir ! […] Le chantre d’Herminie conjure Léonore (toujours dans les vers du poète de la Germanie) de le reléguer dans une de ses villas les plus solitaires : « Souffrez, lui dit-il, que je sois votre esclave. Comme je soignerai vos arbres ! avec quelle précaution, en automne, je couvrirai votre citronnier de plantes légères ! Sous le verre des couches j’élèverai de belles fleurs  [38]. »

25 Et c’est a contrario son « aversion » pour Byron qui complète ses connaissances : « Lord Byron a composé un poème des Lamentations du Tasse ; mais il ne se peut quitter, et se substitue partout aux personnages qu’il met en scène ; comme son génie manque de tendresse, ses lamentations ne sont que des imprécations [39]. » Il n’est pas donné à tous de s’identifier au Tasse et Chateaubriand condamne cette appropriation exclusive. Aussi, loin de l’identification byronienne, le français prône-t-il l’admiration distanciée :

26

Nous autres vulgaires infortunés, nous sommes trop peu de chose pour que nos peines deviennent dans la postérité la parure de notre vie. Dépouillé de tout en achevant ma course, ma tombe ne me sera pas un temple, mais un lieu de rafraîchissement ; je n’aurai point le sort du Tasse  [40].

27 Ainsi, un phénomène analogue au désir mimétique, au sens où l’entend René Girard [41], explique-t-il l’affection ou la désaffection des poètes. Il semble qu’au fond les romantiques, après la découverte première de l’œuvre elle-même, se soient moins intéressés au Tasse lui-même qu’aux goûts de leurs contemporains. Le Tasse est en effet devenu, sous l’effet de Rousseau, de Goethe ou de Byron, un mythe par imitation d’une durée plus ou moins délimitée, et partant un mythe périssable. Bien qu’il ait été pour les romantiques l’incarnation du poète malheureux ou maudit, le mythe du Tasse a eu comme tous les mythes une histoire, qui naît, grandit, meurt et ressuscite  [42]. Et sa fortune comme sa disparition vient sans aucun doute de ce mimétisme paradoxal fondé à la fois sur sa collectivisation – les romantiques se partagent le mythe, se l’empruntent et se rendent réciproquement hommage à travers lui – et sur son appropriation – ces mêmes écrivains voient en lui l’image de leur propre destinée, unique et singulière.

28 De manière plus personnelle encore, mais tout aussi mimétique, Lamartine s’intéresse au Tasse parce qu’il est associé à un souvenir lui-même mythique  [43] – les veillées pendant lesquelles son père lisait La Jérusalem délivrée :

29

J’entends encore d’ici le son mâle, plein, nerveux et cependant flexible de cette voix qui roule en larges et sonores périodes, quelques fois interrompues par les coups de vent contre les fenêtres  [44].

30 Lamartine théorise sa prédisposition à l’imitation. Ses lectures du Tasse s’inscrivent dans une forme de recherche d’un temps perdu puisque le poète tâche de revivre, à travers ses lectures du Tasse, l’image perdue de son père, l’écho de cette voix familière, et la trace de cet âge d’or que constitue l’enfance :

31

Ainsi le Tasse, lu par mon père, écouté par ma mère avec des larmes dans les yeux, c’est le premier poëte qui ait touché les fibres de mon imagination et de mon cœur  [45].

32 Vient ensuite la phase d’identification au cours de laquelle Lamartine se croit lui-même « italien » ; il découvre en lui « un homme plus malheureux que le Tasse et plus calomnié par la haine des hommes, qui n’ont voulu payer son dévouement que par des injures. Ceux qui l’outragent aujourd’hui s’en repentiront trop tard ; ils sauront que le malheur est plus inconstant que la haine et que la postérité se charge de la vengeance de ceux qui ne veulent pas se venger  [46] ». Enfin le poète, la maturité aidant, prend ses distances avec le Tasse dont le poème « conçu à dix-huit ans, terminé à vingt-cinq ans, […] conserve […] le caractère de l’adolescence de son auteur : le vague, la fleur, l’étonnement, la puberté de l’âme  [47] ». Ce recul est plus marqué encore lorsqu’il évoque le talent même du poète : « Le Tasse, Gilbert, Rousseau, n’étaient que des fractions de génie  [48]. » D’une manière certes différente de Chateaubriand, Lamartine passe par des cycles comparables : découverte de l’œuvre dans son enfance, médiatisation (ici par le père, mais aussi par l’ouvrage de John Black de Colyton, Life of Torquato Tasso), identification, puis distance critique. Ces deux trajectoires contradictoires – identification et rejet – condamnent pareillement l’épopée italienne : le Tasse perd de son crédit parce qu’il est déconsidéré par le poète, mais aussi, et paradoxalement, parce qu’il lui est indéfectiblement associé.

33 Ce n’est véritablement qu’avec Baudelaire que la vie du Tasse disparaît totalement derrière l’emblème et que le mythe meurt définitivement : en choisissant d’évoquer le Tasse par le prisme de tableaux de Delacroix, le poète, dans son sonnet intitulé Sur le Tasse en prison d’Eugène Delacroix, fait de son modèle italien un sujet au second degré, mis à distance par une peinture chargée de le figurer, et sonne le glas du mythe. Le sonnet de Baudelaire révèle de manière assez crue ce phénomène général : le Tasse est au centre de dialogues entre artistes, d’admirations réciproques, dans lesquels le poète italien est finalement davantage le prétexte que le véritable objet. Dans le cas de ce sonnet, la connaissance du Tasse est même doublement indirecte puisque Delacroix n’a peint le Tasse que parce qu’il a lui-même lu le poème de Byron sur le Tasse. On sait combien le peintre avait besoin pour créer de se laisser guider par un livre  [49] : « Ce qu’il faudrait [écrit-il dans son Journal, le 11 avril 1824] pour trouver un sujet, c’est ouvrir un livre capable d’inspirer et se laisser guider par l’humeur… » Et un mois plus tard, il complète par cette pensée : « Le poète est bien riche : rappelle-toi, pour t’enflammer éternellement, certains passages de Byron » (11 mai 1824). C’est par le prisme de Byron, que Dante ou le Tasse sont mis à contribution pour inspirer Delacroix, et peut-être moins pour eux-mêmes. Le tableau de Delacroix frappe à son tour Baudelaire qui le mentionne dès 1844, lorsqu’il le découvre au Bazar Bonne Nouvelle, puis en 1855 lorsqu’il revoit le tableau à l’Exposition universelle. C’est justement le goût de Delacroix pour ce dialogue entre les arts, entre poètes et peintres, qui retient l’attention de Baudelaire :

34

Une autre qualité, très grande, très vaste, du talent de M. Delacroix, et qui fait de lui le peintre aimé des poètes, c’est qu’il est essentiellement littéraire. Non seulement sa peinture a parcouru, toujours avec succès, le champ des hautes littératures, non seulement elle a traduit, elle a fréquenté Arioste, Byron, Dante, Walter Scott, Shakspeare [sic], mais elle sait révéler des idées d’un ordre plus élevé, plus fines, plus profondes que la plupart des peintures modernes  [50].

35 L’œuvre de Byron plonge en effet le peintre romantique dans un état de désespoir et d’angoisse que l’on perçoit parfaitement sur sa toile. Et Baudelaire à son tour ne décrit pas le Tasse lui-même, mais le Tasse vu par Delacroix, lui-même impressionné par Byron… Ainsi, malgré ce que semble suggérer le titre, ce n’est pas « sur le Tasse » que médite Baudelaire, mais bien sur la représentation qu’en donne Delacroix, dans une création du troisième degré. Le Tasse semble être pour le poète un prétexte, non plus une figure littéraire ou philosophique, mais un sujet de méditation sur le statut du poète. Aussi l’écrivain italien n’est-il jamais nommé qu’indirectement, à travers des termes génériques très éloignés de sa biographie, comme poète, génie ou rêveur. Il devient même à la fin du poème un emblème, celui du poète emprisonné mentalement. Le terme mérite que l’on s’y arrête car le Tasse n’est déjà plus un mythe. Le détour par le tableau atteste de cette évolution. Il n’appartient plus ici à un récit, il est une image, voire une icône. Sa vie n’est ni de près ni de loin évoquée. Semblable aux saints de la Légende dorée, il apparaît avec ses attributs, rappelant lointainement la Melancholia de Dürer : la prison, le manuscrit et la folie suggérée par les aliénés. Le manuscrit qu’il roule sous ses pieds peut être considéré comme une propriété naturelle de l’écrivain. Et si le thème de la prison sature le sonnet (« cachot », « prison », « enfermé », « quatre murs »), ni Ferrare, ni sainte Anne ne sont convoqués pour donner une coloration réaliste à ce tableau. Le thème même de l’amour, pourtant au cœur du mythe, disparaît totalement. Baudelaire retient l’image stéréotypée du poète enfermé, en proie à sa folie. Il n’est sans doute pas anodin que ce sonnet soit le dernier texte connu autour de la figure du Tasse.

36 Le crépuscule du Tasse était déjà en germe dans la première moitié du XIXe siècle : sacralisé, voire sanctifié par les poètes, il est devenu le double prétexte à des autobiographies déguisées et à des dialogues à distance entre artistes. Le Tasse – et l’exemple de Baudelaire est sans doute le plus cruel – appartient déjà ce que Proust appellera la « franc-maçonnerie d’usages  [51] » : il est une référence entre gens distingués, mais une référence si lointaine qu’elle finit par s’effacer au point de ne plus évoquer aujourd’hui que la Chartreuse de Stendhal ou le madrigal de Monteverdi. Récemment encore, c’est par le biais du Combattimento di Tancredi e Clorinda que Pierre Jean Jouve redécouvre l’épopée italienne : son poème intitulé « Tancrède » (Gloire, 1942) est d’ailleurs une traduction poétique du livret qui n’est autre pourtant que le texte même du Tasse. La Jérusalem délivrée mériterait pourtant d’être relue pour elle-même, à l’exemple de Lamartine qui confiait, il y a près de deux siècles :

37

Je retrouvais sur les rayons poudreux du salon la Jérusalem délivrée du Tasse et le Télémaque de Fénelon. Je les emportais dans le jardin, sous une petite marge d’ombre que le berceau de charmille étend le soir sur l’herbe d’une allée. Je me couchais à côté de mes livres chéris, et je respirais en liberté les songes qui s’exhalaient pour mon imagination de leurs pages  [52]

Notes

  • [1]
    Préface aux Aventures de Télémaque, Paris, Gallimard, coll. « Folio Classique », 1995, p. 8.
  • [2]
    Exception faite des poètes Pierre Jean Jouve (« Tancrède », Gloire, 1942) et Jaccottet qui l’a traduit.
  • [3]
    Articles récents sur le Tasse : Diana Festa-McCormick, « The Myth of the Poètes Maudits », Pre-text/Text/Context : Essays on Nineteenth-Century French Literature, Robert L. Mitchell (dir.), Colombus, Ohio State University Press, 1980, p. 199-215 ; Florence Pivont, « Les biographies de Torquato Tasso. Prolégomènes à une étude du thème », Lettres romanes, mai 1986, t. XL, n° 2, p. 103-116 ; Maria Moog-Grünevald, « Tassos Leid. Zum Ursprung moderner Dichtung », Arcadia, 1986, vol. 21, n° 2, p. 113-128 et « Le Veglie di Tasso une supercherie romantique », RLC, 4, 1988, p. 467-476 ; plus généralement, le numéro « Le Tasse et l’Europe », RLC, 4, 1988 ; Jean Starobinski, « L’imitation du Tasse », Annales de la société Jean-Jacques Rousseau, vol. XL, 1992, p. 265-297 ; L. Beghin, « Jacques Audiberti traducteur du Tasse », Lettres romanes, 1995, vol. 49, n° 3-4, p. 299-310 ; Claudio Vinti, « De Waterloo aux jardins d’Armide : le Tasse de Stendhal », Studi francesi, 1995, vol. 39, n° 115, p. 41-56 ; La Jérusalem délivrée du Tasse, Poésie, peinture, musique, ballet, Giovanni Careri éd., Klincksieck, 1999 ; Raymond Abbrugiati et José Guidi (dir.), Les Belles infidèles de la Jérusalem délivrée - La Fortune du poème du Tasse (XVIe-XXe siècles), Pup, 2004 ; Christine Hammann, « La “Vie” de Jean-Jacques Rousseau ou l’éternel retour du Tasse », RHLF, 2006, vol. 106, n° 4, p. 859-883 ; Clélia Anfray, « Le Tasse ou la voix du père », Lamartine : autobiographie, Mémoires, fiction de soi (1807-1870), Nicolas Courtinat (dir.), Presses universitaires Blaise Pascal, 2009, p. 53-62.
  • [4]
    Jean-Yves Tadié, « Éditer les classiques », RHLF, vol. 107, 2007, n° 4, p. 839.
  • [5]
    Stendhal, La Chartreuse de Parme, Paris, GF-Flammarion, 1964, p. 58.
  • [6]
    Poésie et Université, conférence tenue par Yves Bonnefoy à l’université de Sienne le 31 mai 2004 quand lui fut remis le titre de docteur honoris causa, Y Bonnefoy, Poesia e Università, texte bilingue, trad. it. D. Feroldi, Lecce, Manni, 2006, p. 6, cité par J. Lindenberg, « La Langue travaillée par le pouvoir : Franco Fortini et Roland Barthes face à Brecht », RLC, 2008, vol. 4, n° 328, p. 429-442.
  • [7]
    Voir les travaux de C.B. Beall (La Fortune du Tasse en France, University of Oregon and Modern language association of America, 1942) et de C.P. Brand (Torquato Tasso, a Study of the Poet and of his Contribution to English Literature, Cambridge, University Press, 1965).
  • [8]
    Voir Jean-Luc Steinmetz, « Du poète malheureux au poète maudit (réflexions sur la constitution du mythe) », Œuvres et critiques, vol. 7, nº 2, 1982, p. 75-86.
  • [9]
    Nous pourrions remonter jusqu’à Goldoni et à son Torquato Tasso (1755). Cependant, il nous semble que cette identification personnelle au Tasse trouve sa véritable origine dans l’œuvre de Rousseau puis chez Goethe.
  • [10]
    Jean Starobinski, « L’imitation du Tasse », Annales de la société Jean-Jacques Rousseau, vol. XL, 1992, p. 272.
  • [11]
    Byron, Lamentation du Tasse, 9e strophe.
  • [12]
    « Le biographème n’est rien d’autre qu’une anamnèse factice : celle que je prête à l’auteur que j’aime », Roland Barthes par Roland Barthes, Le Seuil, coll. « Écrivains de toujours », 1995, p. 102.
  • [13]
    Alphonse de Lamartine, Cours familier de littérature : un entretien par mois, « Vie du Tasse », XCIe Entretien, Paris, chez l’auteur, 1863, p. 17.
  • [14]
    Contrairement à ce qu’il prétend dans son Cours familier, « Le cachot du Tasse » n’est pas inédit. Il a déjà été publié dans les Pièces ajoutées aux Méditations poétiques sous le titre « Ferrare ». Voir Œuvres poétiques, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1963, p. 1198.
  • [15]
    Ibid., p. 20.
  • [16]
    Madame de Staël, chap. XXII, « Torquato Tasso », De l’Allemagne, Paris, GF-Flammarion, 1968, vol.1, p. 338.
  • [17]
    Mémoires d’outre-tombe, éd. J.-C. Berchet, Paris, Le livre de poche, 2007, vol. 4, p. 435.
  • [18]
    Maria Moog-Grünevald, « Le Veglie di Tasso une supercherie romantique », RLC, 4, 1988, p. 467-476 ; C. Beall note lui aussi que ce livre confirme « jusque dans les moindres détails, l’image que toute une génération s’était faite du Tasse » (op. cit., p. 469). Il montre surtout comment ses contemporains voulurent croire à ces Veillées qui connurent des traductions en allemand, en anglais, en espagnol et plusieurs éditions italiennes. Pourtant, ajoute-t-il en note, la mystification de Compagnoni fut dévoilée par J.K. Von Orelli, italianiste allemand, dans un de ses Beiträge zur Geschichte der italienischen Poesie (Zürich, Orelli, Füssli und Compagnie, 1910, p. 101-128), révélation qui resta longtemps sans effet. La fortune des Veillées a été résumée dans un article d’Enzo Palmieri, « Ciurmeria romantica sul Tasso », Marzocco, XXX, 25 août 1925. Ajoutons que les Veillées furent republiées en 1914, en italien, par Nino Romano, comme une œuvre authentique ! Voir Lia Ravenna, La Leggenda del Tasso, Rovigo, Industrie Grafiche Italiane, 1923 (op. cit., p. 194).
  • [19]
    Op. cit., p. 195.
  • [20]
    Giuseppe Compagnoni, Les Veillées du Tasse, trad. M.B. Barère, Paris, Crapelet, 1804, p. 153 et p. 230. C’est moi qui souligne.
  • [21]
    Voir F. Pivont, « Les biographies de Torquato Tasso. Prolégomènes à une étude du thème », Les Lettres romanes, mai 1986, t. XL, n° 2, p. 103-116.
  • [22]
    Giovanni Rosini, Saggio sugli amori di Torquato Tasso e sulle cause della sua prigionia, Pisa, Capurro, 1832.
  • [23]
    Mémoires d’outre-tombe, op. cit., vol. 4, p. 446.
  • [24]
    Voir le chapitre « La Légende » (Formes simples (1930), Le Seuil, coll. « Poétique », 1972) d’André Jolles qui explique tout le processus de canonisation des saints et sur lequel nous nous appuyons ici.
  • [25]
    Mémoires d’outre-tombe, op. cit., vol. 4, p. 447.
  • [26]
    Montaigne rencontre en effet le Tasse dans sa prison de Ferrare en novembre 1580. Bien qu’il ne fasse pas allusion à cet entretien dans son Journal de Voyage, il ajoute le développement suivant dans l’édition de 1582 : « Infinis esprits se trouvent ruinés par leur propre force et souplesse. Quel saut vient de prendre, de sa propre agitation et allégresse, l’un des plus judicieux, ingénieux et plus formés à l’air de cette antique et pure poésie, qu’aucun poète italien ait de longtemps été. N’a-t-il pas de quoi savoir gré à cette sienne vivacité meurtrière ? à cette clarté qui l’a aveuglé ? à cette exacte et tendue appréhension de la raison qui l’a mis sans raison ? à la curieuse et laborieuse quête des sciences qui l’a conduit à la bêtise ? à cette rare aptitude et sans âme ? j’eus plus de dépit encore que de compassion, de le voir à Ferrare en si piteux état, survivant à soi-même, méconnaissant et soi et ses ouvrages, lesquels, sans son su, et toutefois à sa vue, on a mis en lumière incorrigés et informes » (Essais, Livre II, chap. XII, Paris, Gallimard, coll. « Folio », p. 207).
  • [27]
    Alfred de Vigny, « Le ciel d’Homère », Stello, Œuvres complètes, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1993, vol. 2, p. 653.
  • [28]
    Mémoires d’Outre-tombe, op. cit., vol. 4, p. 439.
  • [29]
    Augustine Gottis, Le Tasse et la princesse Éléonore d’Este, t. II, Bruxelles, 1842, p. 124.
  • [30]
    C. Beall, op. cit., p. 218.
  • [31]
    V. Cherbuliez, Le Prince Vitale, essai et récit à propos de la folie du Tasse, Paris, Michel Lévy Frères, 1864, p. 3.
  • [32]
    D. Cohn, « Les souffrances du poète », La Jérusalem délivrée du Tasse, Poésie, peinture, musique, ballet, op. cit., p. 426.
  • [33]
    Voir sur le sujet : C.B. Beall, Chateaubriand et le Tasse, The Johns Hopkins Press, H. Milford, Oxford University Press, 1934.
  • [34]
    François-René de Chateaubriand, Le Génie du christianisme, Paris, GF-Flammarion, vol. 1, p. 227.
  • [35]
    Id., Itinéraire de Paris à Jérusalem, Œuvres romanesques et voyages, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1969, vol. 2, p. 1118. Voir aussi p. 770 sur la sépulture du Tasse à Saint-Onuphre.
  • [36]
    Ibid.
  • [37]
    Alain Vaillant, « Chateaubriand et ses adieux à la littérature », RHLF, 2007, n° 3, vol. 107, p. 430.
  • [38]
    Mémoires d’outre-tombe, vol. 4, p. 435. C’est moi qui souligne.
  • [39]
    Ibid., p. 438.
  • [40]
    Ibid., p. 446.
  • [41]
    Dans Mensonge romantique et vérité romanesque, René Girard montre que l’homme est incapable de désirer par lui-même et qu’il a besoin qu’un autre lui désigne l’objet de ce désir. Un phénomène analogue au désir se manifeste dans cette admiration du Tasse qui a besoin d’être médiatisée pour se révéler comme telle aux écrivains romantiques.
  • [42]
    Voir à ce sujet Véronique Gély, « Le “devenir-mythe” des œuvres de fiction », Mythe et littérature, Société française de littérature générale et comparée, 2008, p. 69-98.
  • [43]
    Voir Clélia Anfray, « Le Tasse ou la voix du père », art. cité.
  • [44]
    Alphonse de Lamartine, Les Confidences. Graziella. Nouvelles Confidences, Œuvres complètes, t. XXIX, Paris, chez l’auteur (impr. Cosson et Cie), 1860-1866, p. 55-56.
  • [45]
    Ibid.
  • [46]
    Alphonse de Lamartine, Mémoires de jeunesse, 1790-1815, présentés par M.-R. Morin, Paris, Tallandier, 1990, p. 155 et sq.
  • [47]
    Ibid., p. 176.
  • [48]
    Ibid. p. 149.
  • [49]
    Voir Anne Larue, « Byron et le crépuscule du “sujet” en peinture : une folie littéraire du jeune Delacroix », Romantisme, 1989, n° 66, p. 23-40.
  • [50]
    Charles Baudelaire, « Exposition universelle de 1855 », Curiosités esthétiques. L’art romantique et autres œuvres critiques, Paris, Classiques Garnier, 1990, p. 239.
  • [51]
    Marcel Proust, « Sur la lecture », préface à Sésame et les Lys de John Ruskin, Paris, Complexe, coll. « Le regard littéraire », p. 87.
  • [52]
    Première préface aux Méditations poétiques, éd. G. Lanson, Paris, Hachette, 1922, II, p. 360.
Français

Qu’est-ce qui explique le Tasse et son épopée aient été pour les romantiques un topos littéraire et qu’ils aient tous deux sombré dès la fin du XIXe dans l’oubli ? Plusieurs hypothèses peuvent être avancées. Premièrement, la Jérusalem délivrée a sans doute été éclipsée par la vie d’un auteur devenu emblématique du courant romantique, et partant emportée dans son naufrage dès la deuxième moitié du XIXe siècle. Deuxièmement, les écrivains romantiques se sont obstinément accrochés à des biographies fictives du Tasse auxquels ils ont voulu croire, décrédibilisant malgré eux le poète italien et son œuvre. Enfin, la connaissance indirecte ou médiatisée qu’en ont eue les romantiques – notamment par le biais de la peinture ou de la musique – a condamné le Tasse à n’être plus qu’un prétexte littéraire.

English

This paper explores the reasons why Tasso and his Poem progressively lost their status of a literary topos in the early 1800’s as to become almost completely forgotten by the end of the century. Three conjectures are put forward. First, the Jerusalem liberated was eclipsed by its author’s life, which had become an emblem of the Romantic movement, this could explain why it was gone with the latter’s wreck in the second half of the 19th century. Second, Romantic writers wishfully believed in fictitious biographies of Tasso, and involuntarily contributed to deprive the author and his work of any authority. Finally, the fact that the Roman-tics’knowledge of him was indirect and mediated by other arts, painting and music, condemned Tasso to the role of a mere literary foil.

Mis en ligne sur Cairn.info le 26/06/2010
https://doi.org/10.3917/rom.148.0145
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