CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1En 1837, le député Jaubert commence l’une de ses interventions à la Chambre des députés en ces termes : « Qu’est-ce qu’Alger ? Est-ce la ville ? Est-ce le massif ? Est-ce la Mitidja, Bône, Oran, Bougie, la régence entière, les feudataires de l’ancien dey d’Alger ? L’Algérie jusqu’au désert de Sahara ? »  [1] Ces incertitudes géographiques sont au cœur du débat qui agite les parlementaires pendant les deux premières décennies de la conquête de l’Algérie. Elles méritent d’être interrogées car elles renvoient à la concep~tion d’un espace colonial malléable, au centre d’un certain nombre de déci~sions et de pratiques politiques propres au XIXe siècle. Elles soulignent aussi d’emblée que, si la légitimité de la domination coloniale fait rarement débat, comme cela a été souvent rappelé, les modalités de cette domina~tion, en revanche, ne sont pas données a priori[2].

2L’historiographie de l’histoire de l’Algérie coloniale a depuis longtemps mis en avant l’absence de projet colonial à la suite du débarquement des Français à Alger en 1830  [3], qui conduit les hommes politiques du nouveau régime de Louis-Philippe à prendre position sur une situation non planifiée, où la dimension de l’honneur national se heurte à toutes sortes de considérations sur le bien-fondé et surtout l’utilité de cette pos~session. S’ensuit une longue période d’hésitation gouvernementale qui suscite un débat d’autant plus vif que toutes les possibilités semblent envisageables. Il s’agit dans un premier temps de savoir s’il faut conserver Alger ou pas, puis rapidement de savoir ce qu’il faut conserver d’Alger, ou de la Régence ottomane, et enfin pourquoi. En l’absence de ligne politique clairement affirmée, ou du moins clairement entendue, les pro~jets se multiplient, qui mettent au jour des conceptions du projet colo~nial très divergentes.

3Le débat parlementaire, qui sera seul envisagé dans le cadre de cet article, n’est que l’écho, parfois déformé, d’une discussion beaucoup plus large. La presse populaire multiplie les articles sur l’Algérie après la conquête, les pamphlets adoptant l’un ou l’autre parti paraissent en nombre. Ils contribuent bien sûr à forger une opinion publique, toujours décrite comme favorable à la colonisation pendant cette période  [4]. De fait, la propagande gouvernementale est intense  [5]. Des lobbys agissent aussi avec vigueur : les Chambres de commerce, à Lyon, à Marseille, multiplient les pétitions en faveur de la colonisation. Les colons s’orga~nisent aussi pour faire remonter leurs doléances jusqu’aux députés.

4Même si les deux chambres sont très peu représentatives de l’opinion publique sous la monarchie de Juillet, il est donc intéressant de saisir, à travers ce qui se dit au parlement, une vision politique de la question coloniale, à un moment où l’on affirme qu’il n’y a pas de politique colo~niale, mais où les budgets engagés dans la colonisation sont pourtant considérables. Car on parle abondamment de l’Algérie dans les Chambres, surtout au moment du vote du budget de la guerre. Outre la transcrip~tion de ces débats, les sources des archives des assemblées donnent une idée de la manière dont ils ont été préparés par les députés. En outre, quantité de brochures et de pétitions diverses ont été envoyées à la Chambre. Ce sont donc ces débats et toute la littérature qui les accom~pagne qui constituent un espace d’affrontement tout à fait exceptionnel.

5Quels sont les termes de cet affrontement et les enjeux du débat ? Il importe tout d’abord de souligner que les positions évoluent très rapi~dement en fonction de la situation militaire. Sans entrer dans le détail de la chronologie, on note que l’on passe de thématiques assez générales, au départ inspirées largement de configurations de l’Ancien Régime, et notamment de l’opposition libérale aux vieilles colonies, « fardeau de la métropole », à des considérations qui s’ancrent dans un terrain spéci~fique, celui de l’Algérie. Et c’est la nature même de ce mot qui pose alors question. De quelle Algérie parle-t-on ? Entre Alger, le territoire présumé de la régence ottomane, les provinces d’Oran et de Constantine, les points d’appui littoraux et les avancées vers le « grand désert », c’est un espace discontinu et dont la maîtrise est toujours incertaine qui devient l’enjeu du débat. Le terme même de « colonie » est le sujet d’interpréta~tions diverses. Quelles doivent être les limites de la colonisation ? Quel est le territoire utile pour les Français ? Comment partager l’espace ? Entre populations européennes et arabes ? Entre militaires et civils ?

6À travers ce débat, l’Algérie devient la matrice d’un débat sur l’idée même de colonisation. Les conceptions divergentes de ce que doit être l’espace colonial impliquent en effet directement des pratiques politiques, des choix, des décisions, qui pèsent largement sur le devenir de l’Algérie. Colonisation restreinte ou colonisation étendue, systèmes intermédiaires, frontières et fronts pionniers constituent les termes principaux d’un débat dans lequel la dimension spatiale est centrale. Enfin, à une autre échelle, qui pourrait être qualifiée d’impériale, la discussion spatiale sur la contiguïté du territoire algérien avec la France révèle différentes concep~tions du territoire colonial et donc des modalités de la domination colo~niale elle-même.

SE BERCER DE CONTES ORIENTAUX ?

7L’expression est utilisée par le général Berthézène à la Chambre des pairs, en 1833, et reprise par le député Laborde à la Chambre des députés quelques jours plus tard, pour dénoncer l’illusion des partisans de la colo~nisation algérienne  [6]. L’orientalisme, s’il ne caractérise pas nécessairement l’atmosphère qui règne à la Chambre dans les années 1830-1848, imprègne parfois les esprits au point de conduire tel ou tel député à accuser son adversaire de céder aux mirages de l’Orient en défendant un projet colonial en Algérie. Mais au-delà des envolées lyriques qui caractérisent certaines prises de parole à la Chambre, on note dans le débat sur l’Algérie des lignes de fractures qui évoluent dans le temps et qui dessinent un certain nombre de clivages politiques tout au long de la période.

Doit-on conserver Alger ?

8Cette question constitue le titre d’une brochure publiée anony~mement en 1835, attribuée à Gasparin fils, et dont l’argumentaire est lar~gement repris par le député Xavier de Sade lors de la discussion du budget de la guerre en avril de la même année  [7]. La question est ici traitée sur le mode libéral, et contient tout un argumentaire contre la colonisa~tion d’Alger. Mais le titre de l’ouvrage renvoie surtout à la question qui se pose de manière récurrente tout au long de la première décennie de la conquête et qui reçoit, pour le dire à grands traits, trois types distincts et successifs de réponse.

9Les années 1830-1834 sont, selon le mot de l’historien Charles-André Julien, celles de l’« incertitude ». L’État français, sous sa forme militaire essentiellement, occupe Alger, mais sans plan de colonisation. Le début de la période est marqué par la succession de plusieurs commandants en chef en Algérie, dont le pouvoir de décision est d’autant plus grand qu’aucune ligne politique n’est affirmée. Ils peuvent avoir des concep~tions très différentes de leur mission militaire. Les Chambres demandent que l’on soit fixé, les lobbys pro-coloniaux exigent des garanties gouver~nementales, qui seules permettraient selon eux aux colons de s’installer sur place. Les débats tournent donc principalement autour de questions pratiques liées au siège d’Alger, au coût d’une armée régulière qui devrait rester sur le terrain, et, de manière plus générale, à la possibilité de culti~ver les terres et aux relations avec les « indigènes ».

10Au cours des débats prennent la parole d’une part ceux que l’on qua~lifie alors d’anticolonistes, et notamment des économistes libéraux comme Hippolyte Passy et Xavier de Sade, et d’autre part les « colo~nistes », qui forment un groupe difficile à cerner politiquement. Certains parmi eux se sont opposés à la conquête, comme Laborde ou La Roche~foucault Liancourt  [8], mais se prononcent finalement pour le maintien de la France à Alger. Et même s’ils sont dans la majorité, ils n’hésitent pas à incriminer le gouvernement dans cette affaire algérienne, en lui repro~chant essentiellement sa passivité. Les longs débats au cours desquels les arguments des uns et des autres sont réfutés terme à terme montrent sur~tout une méconnaissance générale du sujet.

11Une commission parlementaire exceptionnelle est finalement créée à cet effet  [9]. Elle est composée de deux pairs de France, de quatre députés et de deux officiers supérieurs du Génie et de la Marine, qui arrivent à Alger le 1er septembre 1833 et y resteront jusqu’au 19 novembre. Les ins~tructions qu’ils ont reçues posent explicitement comme première ques~tion : « Que doit-on faire à Alger ? ». La seconde porte sur le type de colonie à établir, si le principe de la possession est retenu : militaire pro~prement dite, ou « colonie avec des travailleurs ».

12Les contradictions politiques qui caractérisent la période suivante (1834-1840) sont apparentes dans l’interprétation même des résultats de la commission. Au retour des commissionnaires d’Algérie, une deuxième commission, dite « commission d’Afrique », est créée pour évaluer les tra~vaux de la première  [10]. Complétant les travaux par des auditions à Paris, elle aboutit à la conclusion qu’il faut conserver Alger, malgré toutes les réserves émises par les hommes qui ont voyagé sur le terrain. Les ordonnances de juillet 1834 entérinent le maintien de l’occupation en nommant un gou~verneur général des « Possessions françaises dans le Nord de l’Afrique. » En novembre est instituée une colonie militaire, rattachée au ministère de la guerre et dirigée par un gouverneur général chargé du commandement militaire et de la haute administration. Les possessions seront régies par des ordonnances  [11]. Au Parlement, le débat n’est pourtant pas clos  [12]. Les résul~tats de la commission d’Afrique, et surtout les conclusions tirées des tra~vaux sont immédiatement contestés, facilement puisque le détail même des travaux ne permet pas aux yeux des opposants d’en tirer des arguments valables pour la colonisation d’Alger. Il semble alors que les questionne~ments évoluent sensiblement au cours de cette période, sans qu’une option décisive l’emporte cependant : désormais, on discute moins sur le principe même de la colonisation que sur ses modalités.

13À partir de 1840, le contexte militaire et politique sur le terrain algé~rien est modifié. Bugeaud devient pour sept ans gouverneur général en décembre 1840. La guerre est permanente, et particulièrement violente. Abd El Kader tente d’organiser un État algérien, à partir de ses bases intérieures, alors que l’occupation militaire française de l’Algérie s’étend depuis les villes du littoral  [13]. Dans ce contexte, l’idée d’un abandon d’Alger recule définitivement, et les opposants des années 1830 vont s’engager dans une nouvelle voie, celle d’une colonisation au moindre coût possible. Thiers, en 1841, se prononce pour une occupation res~treinte. Bugeaud propose régulièrement aux Chambres des projets de colonisation militaire, avec des colons soldats qui cultiveraient tout en réglant la question de la sécurité. Ces projets sont rejetés, notamment par les partisans d’une colonisation civile et d’une mise en retrait de l’armée.

LES TERMES DU DÉBAT

14L’opposition à l’occupation d’Alger repose fondamentalement sur les principes de l’économie libérale, qui met en avant le coût exorbitant des colonies pour les métropoles. Sous la monarchie de Juillet, les voix comme celle d’Hyppolite Passy ou de Xavier de Sade rappellent sans cesse ce principe. Le débat tourne très classiquement autour des richesses potentielles, agricoles et commerciales, de l’Algérie, et autour de la ques~tion du rôle de l’État dans l’entreprise coloniale : la controverse sur la Mitidja devient l’emblème de ces oppositions.

15Cependant, l’une des spécificités de la conquête algérienne réside dans la toute puissance de l’armée et l’absence d’alternative d’administration civile. Dès le départ, cette situation de conflit d’autorité entre le civil et le militaire fait débat. Certains prônent un régime qui imiterait celui de l’occupant précédent, l’Ottoman, avec une occupation réelle d’Alger et des dépendances fiscales, confiées à des « princes arabes feudataires ». D’autres prônent une colonisation civile avec un véritable pouvoir laissé aux colons, et s’opposent directement aux officiers qui considèrent l’Algé~rie avant tout comme un territoire militaire. De fait, de nombreuses cri~tiques sont émises à la Chambre contre les défaillances, voire les malversations de l’administration. Pour les colons et leurs relais à la Chambre, cette défaillance est à l’origine de la trop grande latitude laissée aux militaires. Pour les opposants, elle est la preuve d’un pays par nature impossible à administrer, et les mêmes considèrent d’ailleurs la colonisa~tion militaire comme la seule garantie de moralité, alors que les colons civils sont incontrôlables dans leurs pratiques, notamment dans leurs relations avec les populations arabes. Sur le terrain, c’est le partage du territoire entre ces différentes autorités qui est en jeu. Les ajustements faits au cours des années 1840, visant à l’extension somme toute modérée du ter~ritoire civil, disent bien là encore l’absence de projet politique précis, sachant que le statut des indigènes, variable en fonction des lieux, est au centre du débat dans ce mode d’administration.

16Enfin, avant même que l’opinion publique ne s’émeuve, notamment en apprenant l’épisode des enfumades des grottes du Dahra en 1845, la violence de l’occupation d’Alger a été moralement condamnée, tant par l’opposition que par les partisans du maintien, qui souhaitent la mise en place d’un pouvoir civil. Ainsi, en 1832, le marquis de la Rochefoucault-Liancourt fait un long plaidoyer dénonçant la violence de l’occupation française à Alger, les exactions du duc de Rovigo, les pillages et expédi~tions punitives ayant fait fuir les tribus, la destruction des mosquées et les autres attaques contre la religion musulmane. Il qualifie publiquement l’occupation d’Alger d’« illégale et despotique »  [14]. Écoutons un autre député  [15] : « Avec un tel peuple, il n’y a qu’un moyen, c’est l’extermina~tion. Ne soyons pas étonnés si les partisans logiques de la colonisation soutiennent hautement le système exterminateur ; ne nous indignons même pas trop de voir un tel système proposé et pratiqué de sang-froid, par un peuple qui fait des lois sur la liberté individuelle et qui réclame l’abolition de la peine de mort. » Il rappelle ensuite l’extermination des Indiens d’Amérique : « l’extermination est le procédé le plus élémentaire de la colonisation. Il s’agit de savoir si la France du XIXe siècle autorisera l’usage d’un tel procédé »  [16].

17En face, les débatteurs mettent en avant les nécessités du moment, et surtout leur volonté d’intégrer les « bons » indigènes en expulsant les plus réfractaires. L’argument de la mission civilisatrice, qui sera exaltée sous la IIIe République, est bien présent. Les moyens employés sont justifiés par une fin morale : apporter à ceux qui le souhaitent le bienfait et le progrès. En 1837, Pellissier répond au député Desjobert  [17] en évoquant Lamori~cière : « Nous avons vécu lui et moi avec les Arabes et nous sommes bien loin de les regarder tous les deux comme des gens intraitables. » Les qua~lités morales reconnues rendent possible un projet de colonisation, dans la logique saint-simonienne qui, si elle ne s’exprime pas explicitement dans les Chambres, constitue néanmoins l’un des arrière-plans intellec~tuels du débat. Il poursuit « En Afrique, comment agir moralement sur les indigènes, si nous ne les pénétrons pas, ni ne créons pas entre eux et nous ces idées communes qui n’existent qu’imparfaitement (…), il est bien entendu que l’égalité la plus complète régnera entre les deux races, sans cela, les intérêts, loin de converger, tendraient à devenir de plus en plus divergents. »  [18]

18Ainsi, dans le cas algérien, on peut identifier d’un côté les anticolo~nistes, qui attaquent les méthodes violentes la guerre et dénoncent l’illé~galité de l’occupation, et de l’autre les colonistes qui prônent la mission civilisatrice. Dans le premier cas, le présupposé n’est cependant pas une défense des opprimés, mais plutôt l’impossibilité définitive de faire ren~trer les « barbares » dans l’ordre métropolitain. De l’autre côté, c’est un idéal assimilationniste qui justifie souvent les méthodes employées, pariant donc sur les « qualités morales » des « indigènes » une fois qu’ils seront « éduqués ». Dans ce débat entre en jeu le « caractère » des Arabes, toujours « belliqueux », et en quelque sorte indomptables. La condamna~tion morale des anticolonistes repose finalement sur des conceptions raciales tout aussi radicales que celles qui motivent les colonistes, les der~niers se différenciant des premiers dans leur croyance en la modification de ce qu’il considère comme une nature humaine. Cependant, sur le ter~rain, les pratiques de cantonnement et de refoulement, contemporaines de ces discours, montrent leur faible effectivité.

L’ALGÉRIE COMME ESPACE MODULABLE : LA CONSTRUCTION DUN TERRITOIRE COLONIAL

Un territoire extensible

19Le débat sur l’Algérie est d’autant plus vif que, pendant longtemps, on ne sait pas de quoi on parle. C’est cette incertitude et la méconnais~sance des lieux qui l’accompagne qui rendent possibles toutes sortes de projections spatiales de ce que devrait être la colonie. Le terme « Algérie » n’apparaît dans les textes officiels qu’à partir d’octobre 1839  [19]. En 1830 et dans les années suivantes, le territoire est limité à celui de l’ancienne régence d’Alger, lui-même relativement mal cerné par les Français. De fait, au-delà d’Alger, des collines du Sahel et de la plaine de la Mitidja, on doit se contenter de considérations assez générales, qui tentent de hié~rarchiser le territoire, soit en reprenant la logique des provinces feuda~taires de l’empire ottoman – et en évoquant donc trois provinces, Alger, Oran à l’ouest, Bône à l’est –, soit selon un zonage horizontal, qui associe de manière assez schématique le relief et les populations censées l’occu~per. Le désert d’une part, largement imaginé au-delà du Tell, et les mon~tagnes inaccessibles en raison de la résistance kabyle, fonctionnent alors comme des pôles répulsifs. Les cartes officielles du dépôt de la Guerre à cette époque s’abstiennent en général de tracer des limites méridionales, laissant en blanc toutes les régions au sud du Tell, hors des itinéraires caravaniers identifiés.

20Dans le débat parlementaire, les députés appuient souvent leur exposé sur une présentation rapide de la géographie de l’Algérie, toujours liée à leur volonté de modeler un territoire plus ou moins propice à la colonisa~tion. L’espace est présenté par le marquis de Sade à l’Assemblée en 1834 comme scindé en trois zones, qui rendraient la colonisation impossible :

21

  • La régence d’Alger, où les Maures ont été maltraités par les Français.
  • Ce qu’il appelle ensuite « la zone intermédiaire », « possédée par les Arabes à l’état nomade », réputés inassimilables car insensibles aux progrès de la civilisation.
  • Enfin « les chaînes de montagnes qui bornent le pays », habitées par des Kabyles qu’aucun conquérant n’a jamais su dompter.

22Cette géographie schématique associant des espaces à des caractères sociaux, selon un principe déterministe largement accepté à l’époque, est une manière ici de démontrer l’impossible « fusion » entre les Européens et ces « peuplades » habitant un terrain hostile  [20].

23Au-delà de la diversité des conceptions exprimées et des diverses considérations ethnographiques qui les accompagnent, l’espace algérien apparaît toujours comme un espace clivé, avec des zones isolées les unes des autres. Tout se passe comme si l’un des ressorts de la domination pas~sait par cette représentation d’un espace naturellement divisé, ou du moins apte à l’être facilement. Et cette logique rejoint celle de la recherche constante d’une délimitation du territoire colonial.

Occupation restreinte ou occupation étendue ?

24C’est en effet en termes d’« occupation » et non pas de colonisation que se déroule d’abord le débat, dans le contexte de la politique des points d’appui, théorisée par Guizot en 1842  [21] mais dont les principes sont acquis auparavant, notamment chez les officiers de Marine. La ques~tion est de savoir quelle portion du territoire algérien peut et/ou doit être occupée par la France. Tout dépend bien sûr de ce que l’on veut y faire. Mais aussi et surtout des possibilités militaires.

25Dans les premières années de la conquête, le débat se dessine entre les partisans d’une occupation restreinte, ceux qui prônent une occupation étendue, parfois qualifiée de « système exclusif », et ceux qui suggèrent des systèmes intermédiaires. Ces trois types de solutions, souvent sché~matiquement présentés ainsi par les députés eux-mêmes, sont en fait flui~des et variables : le terme même d’occupation restreinte ne signifie pas pour tous ses défenseurs la même chose. Une logique commune, cepen~dant, celle du front pionnier, est déterminante. Il s’agit surtout de créer une base, un centre de colonisation, et de laisser possibles de futurs élar~gissements. Ainsi Clauzel à la Chambre en 1832 défend-il le projet d’une colonisation qui se limite à Alger et sa plaine : « Remarquez messieurs, que pour éviter le terme d’utopiste, je me renferme dans une étroite pos~session dans la colonisation seule de la plaine de Mitidja, dans une culture faite, pour ainsi dire, sous le canon d’Alger, c’est-à-dire à une journée de marche de ce centre de protection »  [22]. En effet, ce sont d’abord des considérations militaires, liées aux relations avec les populations arabes, qui déterminent cette vision volontairement limitée du territoire à coloniser.

26Généralement consacré à des considérations sur la ville d’Alger et ses alentours, le terme même d’occupation restreinte renvoie aussi à d’autres divisions du territoire, avec des changements d’échelle et même de point de vue. Chacun a ses méthodes de découpages du territoire, parfois assez radi~cales. Un officier du Génie, Savary, suggère ainsi : « Prenons une tige flexible de 12 à 15 cm de longueur, supposons qu’elle représente notre ligne conti~nue de fortifications, et plaçons là de toutes les manières imaginables sur la carte de l’Algérie. »  [23] C’est ce qu’il fait dans son ouvrage, pour aboutir à la proposition de centrer la colonie sur la province de Constantine, pour s’assurer la paix avec les Arabes, en conservant malgré toute une partie de la Mitidja, qui serait alors confiée à des bagnards. Son projet de colonisa~tion restreinte conduit finalement en envisager une colonie algérienne à deux têtes, avec deux territoires distincts, sans continuité territoriale. En 1834, la commission d’Afrique propose, elle, un système qualifié « d’inter~médiaire ». Elle conseille l’occupation d’Alger et de la Mitidja d’une part, et celles de quelques villes littorales d’autre part. Il s’agit en fait de garder des ports, comme points militaires et commerciaux  [24], dans la logique qui sera celle des points d’appui. Elle renvoie alors à un mode de colonisation qui se rapproche du système des comptoirs d’ancien régime.

27Les opposants au projet colonial pointent le risque d’un engrenage involontaire et non maîtrisé, et donc de l’hypocrisie d’un système voué nécessairement à l’extension  [25]. De fait, pour les partisans de l’occupation étendue, seule une occupation effective de tout le territoire permet d’assurer une « domination complète », dans la paix  [26]. L’enjeu n’est donc pas seulement militaire, mais aussi politique. Il s’agit d’éliminer tout pro~jet d’administration indirecte sur le modèle ottoman. La différence des ambitions territoriales tient aussi aux projections politiques qui sont faites sur l’Algérie.

28D’ailleurs, malgré la progression de l’emprise militaire, la question de l’occupation restreinte reste récurrente, même si le « restreint » s’applique à un territoire de plus en plus étendu. Le rapport de Tocqueville sur le projet de loi de 1847 comporte un paragraphe intitulé « Pourquoi notre occupation de doit plus s’étendre ». Il établit alors une limite qu’il quali~fie de « limite naturelle de [l’] occupation » au sud du Tell, et qu’il pense pouvoir poser comme définitive  [27]. Pour Tocqueville, les nomades du désert, par leur mode de vie, excluent toute possibilité d’assimilation, et donc rendent l’occupation de cette zone inutile, d’autant plus que leur dépendance économique avec le Tell rendra la domination naturelle, sans nécessité d’occupation. Les restrictions à l’expansionnisme territorial se conjuguent toujours sur le mode de l’économie des moyens.

29Il faut enfin souligner que tous ces découpages s’inscrivent dans une logique interventionniste et un refus total d’envisager une nationalité arabe, le territoire n’étant jamais que le lieu où vivent des tribus, d’ailleurs généralement décrites comme étant en guerre les unes contre les autres. Les tentatives contemporaines d’Abd El Kader de créer un État algérien, à partir non pas du littoral mais de ses bases intérieures, ne sont jamais considérées comme telles, mais seulement comme une résistance.

ENTRE MÉDITERRANÉE ET AFRIQUE : LA QUESTION DE LA CONTIGUÏTÉ

30Le territoire subit aussi des distorsions à une autre échelle, celle de sa situation dans le monde. L’Algérie, sans frontière au sud dans ces années-là mais assez clairement identifiée comme « méditerranéenne », est consi~dérée à l’échelle de l’Europe, ou de l’Afrique, et sa position d’inclusion ou d’exclusion constitue un argument du débat.

La Méditerranée comme « lac français »

31Le thème de la Méditerranée comme « lac français », inspiré du modèle revendiqué de l’empire romain, apparaît dès les années 1830. L’expression se retrouve fréquemment dans la bouche des députés favo~rables à la colonisation, par allusion au modèle impérial romain, qui constitue pour les partisans de la colonisation la référence essentielle et renvoie à l’image d’une continuité territoriale qui fera son chemin.

32Que les opposants au projet colonial voient dans cette Méditerranée une étendue d’eau qui « sépare [l’Algérie] de l’Europe par les tempêtes »  [28] n’y fait rien. Les libéraux voient dans la mer un séparateur, qui empêche une gestion rentable et efficace : « Je n’aurai aucune espèce de difficulté à concevoir l’utilité de ces possessions qui, par la contiguïté du territoire, s’assimilent au grand corps national, lui apportent leur part proportionnée en hommes et en argent. Tels étaient par exemple les départements du Rhin (…) Mais pour l’utilité de ces colonies éloignées, je ne la concevrai jamais. »  [29] Mais l’idée de contiguïté territoriale est ambiguë, puisque les colonistes la reprennent, pour montrer au contraire combien l’Algérie (à la différence des vieilles colonies) est justement contiguë à la France. La conception du territoire algérien, très tôt dans l’argumentaire des colo~nistes, revient à en faire un prolongement de la France. Ainsi, dans une réfutation des arguments des libéraux, un certain Volland note : « Le sys~tème colonial tel qu’on l’entend aujourd’hui devient chaque jour plus anti~pathique : l’esclavage, qui en fait la base, est repoussé par nos idées actuelles. Mais il n’est pas question d’esclaves ici, il ne serait pas même rigoureusement question de colonie, car rien ne s’oppose à ce que la régence d’Alger soit élevée au rang d’un département de France, à l’instar de la Corse. »  [30]

33La construction d’une proximité géographique conduit à renvoyer aux oubliettes la problématique « coloniale », largement entachée par l’expérience des vieilles colonies et la question de l’esclavage. Le trait d’union méditerranéen permet ainsi de construire un territoire continu, dont la nature n’aurait rien de commun avec celles des colonies d’outre~mer. C’est dans cette logique que le terme de colonie est rejeté pour par~ler de l’Algérie, par des députés qui disent préférer le terme de « pro~vince », voire dès les années 1840 de « département ».

L’ouverture vers l’Afrique subsaharienne

34L’Algérie est aussi pensée simultanément comme une ouverture sur l’Afrique et une possibilité de pénétration dans l’intérieur du continent. Le Sahara apparaît alors comme une simple étendue à traverser, tandis que les opposants y voient un obstacle à toute communication, bloquée dès les montagnes de l’Atlas dans la perspective d’une voie de chemin de fer. Le thème se décline de deux manières au moins : en reprenant une forme de mythologie liée aux explorateurs et à la découverte de l’Afrique, et sur un mode plus économique aussi, comme la porte d’un grand marché africain.

35Ainsi, en 1832, Laborde souligne « l’importance de cette colonisation pour les progrès de la civilisation et des sciences : c’est l’Afrique tout entière ouverte aux découvertes, c’est le moyen de pénétrer dans l’intérieur de ce pays mystérieux, d’y établir des rapports commerciaux et scientifiques »  [31].

36Sur le plan économique, l’Algérie est aussi présentée comme « les portes de l’intérieur de l’Afrique »  [32]. Il s’agit là de penser les colonies dans un autre système que celui des vieilles colonies européennes, c’est-à-dire non pas seulement comme un lieu où trouver des producteurs et des productions, mais aussi des consommateurs : or l’Algérie, s’ouvrant sur l’Afrique, offre de ce point de vue un marché immense. Le thème est défendu notamment par le capitaine de Génie Carette, qui s’oppose au député Jules de Lasteyrie  [33].

37L’idée est évidemment combattue, notamment par les libéraux qui rap~pellent que la possession d’établissements sur les bords du continent afri~cain n’a pu ouvrir les portes vers l’intérieur. Gasparin évoque « ce bizarre continent » qui « est aussi impénétrable aux eaux de la mer qu’il est rebelle aux efforts des eaux intérieures qui glissent sur sa surface (…) Cette terre n’a ni saillant ni rentrants (…) et l’on comprendra (car l’histoire des peuples est écrite aussi dans la configuration de leur sol), on comprendra pourquoi nous n’avons pu échancrer cette redoutable unité »  [34]. Pour lui, Alger est « une gorge sans issue, séparée de l’Afrique et de l’Asie par les montagnes et les déserts, séparée de l’Europe par les tempêtes ».  [35]

38Même s’ils reflètent en partie des enjeux de politique intérieure, les débats des années 1830 et 1840 sur l’Algérie font donc apparaître des problèmes majeurs, révélant des conceptions divergentes de ce que l’on peut appeler alors colonisation. L’image d’un territoire malléable, cons~tructible, que l’on retrouve d’ailleurs à la même époque au sujet des îles océaniennes, lors des prises de possession des Marquises et de Tahiti en 1842, contribue ainsi à la définition même de l’entreprise colonisatrice  [36].

39Ces débats sur l’espace colonisable, son contenu et ses limites, montrent aussi qu’il n’y a rien d’évident dans le sens qu’il faut attribuer au terme de colonie en ce début du XIXe siècle. Les références aussi bien aux « vieilles colonies » qu’à l’Empire britannique constituent plutôt des contre-modèles, dans le premier cas parce que l’esclavage n’est plus reproductible, dans le second parce que les civilisations indiennes et arabes sont jugées incompa~rables. De fait, pour beaucoup, la construction territoriale qui s’opère dans le discours est une manière de dire que l’Algérie n’est pas une colonie, au moins au sens où on l’a entendu jusqu’alors.

40Pour les partisans de la colonisation, il faut donc inventer un territoire spécifique. L’imbrication des échelles dans ces représentations tend à faire de l’Algérie à la fois un prolongement de la métropole, et un lieu dans lequel les formes d’organisation et d’aménagement de l’espace métropolitaines seraient réplicables. C’est dans cette mesure que l’Algérie devient la matrice d’un débat sur l’idée même de colonisation. La nature de l’occupation, la présence ou non de colons, le statut accordé aux colonisés, et notamment l’ancrage territorial de leur statut juridique sont des thèmes essentiels de ce débat.

41La dimension spatiale, rarement prise en compte par les historiens du politique, aide aussi à comprendre comment se forge la représentation d’un territoire, qui détermine à son tour des pratiques politiques tout à fait spécifiques. De fait, l’intensité des discussions sur les qualités de l’espace algérien, ses limites territoriales et son appropriation matérielle et militaire trouvent écho, par la suite, dans les discussions sur les délimita~tions internes des provinces, des communes, dans le débat sur la délimi~tation entre le territoire civil et le territoire militaire, dans les régimes juridiques qui les définissent, ou même dans le refus du terme de colonie au profit de celui de « Royaume arabe » sous Napoléon III. Ces concep~tions territoriales auront des conséquences importantes et directes sur l’administration même de la colonie, ainsi que sur la multiplicité des sta~tuts sociaux et des inégalités qui en découleront.

Notes

  • [1]
    Archives parlementaires, intervention de Jaubert, 18 avril 1837. Hippolyte François, comte de Jaubert (1798-1844) est député de 1831 à 1844. D’abord partisan des doctrinaires, puis lié à Thiers, un temps dans l’opposition en 1842, puis à nouveau défenseur de la politique conservatrice.
  • [2]
    Cet article reprend pour une part des éléments présentés lors de la journée d’étude orga~nisée par E. Sibeud, C. Douki et A. Thomson à l’université de Paris 8-Vincennes/Saint-Denis sur « La colonisation en débats : espaces et moments, XVIIIe-XXe siècle ». Je remercie les organisa~trices et les participants pour leurs questions et leurs remarques.
  • [3]
    Pour le XIXe siècle, voir Histoire de l’Algérie contemporaine, PUF, 2e éd., 1979. T. 1 : La conquête et les débuts de la colonisation, 1821-1871, par Ch.-A. Julien, T.2 : De l’insurrection de 1871 au déclenchement de la guerre de libération, 1871-1954, par C.-R Ageron ; J. Ruedy, Modern Algeria, the Origins and Development of a Nation, Bloomington, Indiana univ. Press, 1992, et B. Stora, Histoire de l’Algérie coloniale, 1830-1854, La Découverte, 2004 (nouvelle éd.). Certaines périodes ont donné lieu à des enquêtes approfondies, comme celle du Second Empire (A. Rey-Goldzeiger, Le royaume arabe, la politique algérienne de Napoléon III, 1861-1879, Alger, SNED, 1977 ; J. Frémeaux, Les Bureaux arabes dans l’Algérie de la conquête, Denoël, 1993). Mais l’analyse des choix politiques et des débats sur le projet colonial qui se met progressivement en forme reste à mener.
  • [4]
    Sur la presse de la monarchie de Juillet, voir C. Charle, Le siècle de la presse, 1830-1939, Le Seuil, 2004. Sur l’opinion ; Charles-André Julien, La question d’Alger devant l’opinion, de 1827 à 1830, Oran, L. Fouque, 1922 (extrait du Bulletin de la société de géographie et d’archéo~logie de la province d’Oran, t. XLII, fasc CLXII, 3e et 4e trimestre 1922), 36 p.
  • [5]
    J. Sessions, Making colonial France : Culture, National Identity and the colonization of Algeria, 1830-1851, PhD, Univ. of Pennsylvania, 2005. Le fait colonial, 2008-1
  • [6]
    Archives parlementaires, 19 avril 1833, Intervention de M. Laborde. Louis-Joseph-Alexandre Laborde (1773-1842) est député de 1827 à 1842. Il est marqué par ses positions libérales.
  • [7]
    Archives nationales, archives parlementaires (ci-après : AP), C 2763, La France doit-elle conserver Alger ? Par un auditeur au conseil d’État, avril 1835, impr. De Béthune et Plon.
  • [8]
    Frédéric Gaetan de Rochefoucault, marquis de Liancourt, député de 1827 à 1848. Il est le plus souvent dans la majorité et prend une part active à la discussion sur l’émancipation des noirs. Le fait colonial, 2008-1
  • [9]
    D’abord à la Chambre des pairs, avec la création d’une commission spéciale le 19 avril. Puis le 7 juillet, le ministre de la guerre Soult propose de créer une commission chargée de se rendre en Afrique.
  • [10]
    Elle est composée de 19 membres, comprenant les membres de la première, ainsi que 5 pairs, 9 députés et 5 officiers généraux.
  • [11]
    Sur le mode des Établissements français dans les Indes et en Afrique et de St Pierre et Miquelon, et à la différence du groupe des colonies anciennes (Martinique, Guadeloupe, Réunion, Guyane) dont la législation émane de trois sources : les lois, ordonnances et décrets du conseil colonial. Les possessions françaises d’Algérie sont donc assimilées dans cette logique aux comptoirs du Sénégal.
  • [12]
    Sur le terrain, la période est marquée par la reprise de la guerre, après la signature du traité de la Tafna en mai 1837, qui rend Abd El Kader maître d’une grande partie de la Régence, traité dont les opposants au régime ne manque pas de souligner l’incohérence eu égard à la poli~tique de colonisation. Le texte fait d’emblée l’objet d’une controverse, de par sa formulation géographique excessivement ambiguë : il accorde ainsi une limite au territoire français allant « jusqu’à l’oued Keddara et au-delà », c’est-à-dire une limite qui n’en est pas une. Abd El Kader proteste de la traduction française, le texte arabe renvoyant en fait au cours de la rivière, prenant différents noms en amont et en aval. La reprise de la guerre en 1839 est directement liée à cette affaire.
  • [13]
    L’empire d’Abd El Kader est conçu à partir de l’intérieur, dans la plaine d’Eghris, ou sa famille est installée depuis le 18e siècle. Les traités avec les Français (Demichels en 1834, de la Tafna en 1837) consacrent sa reconnaissance en tant qu’Émir et son autorité sur une partie des provinces d’Oran et d’Alger. L’Émir souhaite non seulement organiser la résistance, mais aussi un État algérien : À la place des quatre grandes divisions de la régence turque, le Dar Es-Soltan et les trois beylik de Titteri, de l’Est et de l’Ouest, il institue des circonscriptions (8 en 1839), les Khalifaliks, chacun partagé en Aghaliks et en caïdats. Partout, des agents de l’émir contrôlent les décisions. Voir Ch.-A. Julien, Histoire de l’Algérie, ouvr. cité, p. 183. Le fait colonial, 2008-1
  • [14]
    Archives parlementaires, Gaétan de la Rochefoucault, 4 avril 1833.
  • [15]
    Il s’agit d’Agénor Étienne de Gasparin (1810-1871), député de 1842 à 1846, qui soutient la politique des conservateurs, et est partisan de l’émancipation des esclaves.
  • [16]
    AP C2763, pièce 148, p. 43. Gasparin, 1835.
  • [17]
    AP C2763,1837 pièce 92. Lettre à M. Desjobert sur la question d’Alger.
  • [18]
    Idem, p. 13.
  • [19]
    Lettre du ministre de la guerre au maréchal Valée, 14 octobre 1839. Le fait colonial, 2008-1
  • [20]
    Archives parlementaires, X. de Sade, 28 avril 1834.
  • [21]
    Le 7 mars 1843, le ministre des Affaires étrangères prononce à la Chambre un discours dans lequel il dresse un programme colonial qui renonce à la conquête coûteuse et incertaine de grands territoires, pour lui préférer la diffusion de points d’appui, ou de « relâches », dispersés à la surface du globe. Il s’agit, comme il l’a précisé l’année précédente, de posséder « sur les points du globe amenés à devenir de grands centres de commerce et de navigation, des stations maritimes sûres et fortes qui servent d’appui à notre commerce, où il puisse se ravitailler et trou~ver refuge » (Discours de Guizot à la Chambre des députés, 31 mai 1842).
  • [22]
    Archives parlementaires, Clauzel, 20 mars 1832.
  • [23]
    Algérie. Nouveau projet d’occupation restreinte, par M. Savary, chef de bataillon du Génie, Anselin, 1840,54 p.
  • [24]
    CAOM, F80.1671. Rapport au roi, 1834. Le fait colonial, 2008-1
  • [25]
    Le marquis de Sade, partisan du retrait en 1834 souligne : « Vous serez obligés d’atta~quer pour ne pas être attaqués vous-mêmes, vous serez obligés de conquérir pour ne pas être conquis. »
  • [26]
    C’est ce qu’exprime par exemple Clauzel en 1837, en rappelant que la paix ne saurait s’établir que sous une domination complète : évoquant l’Algérie et la guerre il dit : « Il faut que vous l’administriez directement, et par conséquent que vous occupiez tout le pays, si vous pré~tendez y mettre un terme », Archives parlementaires, Clauzel, 18 avril 1837.
  • [27]
    Il commence cependant par le constat d’une limite mouvante : « Il est très difficile, sans doute, on doit le reconnaître, de savoir où l’on doit s’arrêter dans l’occupation d’un pays bar~bare », Tocqueville, ouvr. cité, p. 187.
  • [28]
    AP C2763,1835, pièce 148, p. 50.
  • [29]
    Archives parlementaires, Sade, 28 avril 1834.
  • [30]
    AP C2763,1835, pièce 141. Le fait colonial, 2008-1
  • [31]
    Archives parlementaires, Laborde, 20 mars 1832.
  • [32]
    Archives parlementaires, Roger, 21 mars 1832.
  • [33]
    AP 1844, pièce 96.
  • [34]
    AP C2763,1835, pièce 148, Doit-on conserver Alger ?, p. 51
  • [35]
    Idem, p. 54.
  • [36]
    H. Blais, Voyages au Grand Océan. Géographies du Pacifique et colonisation, 1815-1845, CTHS, 2005. Le fait colonial, 2008-1
Français

Cet article envisage la question des enjeux spatiaux et territoriaux du débat colonial au moment de la conquête de l’Algérie. L’historiographie a souvent rappelé l’absence de projet colonial qui caractérise le débarquement à Alger en 1830, puis l’occupation des terri~toires de la Régence. L’incertitude sur le sort de l’Algérie devient d’ailleurs très rapidement le thème dominant du débat public et du débat parlementaire, et rend possible quantité de projets particuliers qualifiés d’occupation, de colonisation ou même d’agglomération à la métropole. Au-delà des argumentaires traditionnels qui opposent colonistes et anti~colonistes autour des questions de coût, de rentabilité, de sécurité voire de moralité, le débat sur l’Algérie fait émerger toute une série de considérations relatives à l’étendue de l’espace à coloniser. De quelle Algérie parle-t-on ? Quelles doivent être les limites du ter~ritoire utile ? Quelles populations pour occuper quels espaces ? Les notions de colonisa~tion restreinte et de colonisation étendue, les systèmes intermédiaires qui sont proposés, la question des frontières et du rôle de la Méditerranée sont finalement très importants dans le positionnement des acteurs politiques. Et c’est autour de ce débat sur la nature du territoire colonisable que se construit une représentation de la colonie algérienne, alors que le sens même du terme « colonie » est réinvesti.

English

This article deals with spatial and territorial issues within the colonial debate during the conquest of Algeria. The historiography often noted the absence of any colonial plan at the moment of the 1830 landing in Algiers, and during the occupation of territories of the Regency. The uncertainty about the future of Algeria, in fact, became very rapidly a predominant theme in public and parliamentarian debates, and paved the way for many different plans referred to as occupation, colonization or even agglomeration to the metropolis. Beyond the usual confron~tation between pro and anti-colonization on issues of costs, profitability, security or morality, the debate on Algeria opens up a series of considerations on the extent to which space should be colo~nized. What is understood under the term Algeria? What should be the limits of a useful terri~tory? What kind of population for what kind of space? Eventually, the notions of restricted and extended colonization, the proposed intermediate systems, the issue of frontiers and the role of the Mediterranean, play a crucial role in the political positioning of all concerned actors. It is within this debate over the nature of the territory to be colonized that emerges a representation of the Algerian colony, thereby reinvesting the significance of the term “colony”.

Hélène BLAIS
(Université Paris X-Nanterre, Laboratoire E.H.Go, UMR 8504)
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/01/2010
https://doi.org/10.3917/rom.139.0019
Pour citer cet article
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