CAIRN.INFO : Matières à réflexion
«Approchez et voyez. L’humanité saura comment se fait l’humanité»
(Bible de l’humanité)

«Race» et «vie»

1C’est une constante, chez Michelet historien, en réflexion sur lui-même et sur sa propre méthode historique, de souligner son rejet d’une certaine notion de la race ou d’une certaine utilisation de cette notion.

2La correspondance de l’automne 1837 pose très fortement ce rejet, dans lequel se formule l’identité même que l’historien revendique, en opposition à d’autres conceptions de l’histoire: «Le point de vue de Thierry, celui des races, est fort secondaire et hypothétique» (octobre 1837). Ou encore:

3

M. Thierry avait beaucoup parlé des races, les prenant comme élément primitif et non explicable. Moi, j’ai donné pour la France les circonstances de sol et de climat qui forment et dominent la race. J’ai précisé le premier nos diverses nationalités provinciales […]
M. Thierry explique la plupart de l’hist[oire] par l’influence des races. Mais il prend la race, comme un fait primitif et non explicable. Il ne tient pas compte des circonstances géographiques qui contribuent à former, à modifier la race. J’ai essayé de donner à l’hist[oire] la base de la géographie. [1] (Septembre 1837)

4La préface de 1869 à l’Histoire de France place le même motif au cœur de l’entreprise de «résurrection» du passé. «Retrouver la vie historique», c’est-à-dire le jeu même de la vie, de ses composantes et de ses forces, accomplir une «résurrection de vie intégrale», cela postule le rejet de la fixité des races, doctrine toujours représentée par Augustin Thierry. D’un côté, donc, l’historien de la vie, se donnant pour objet la modification incessante du vivant par lui-même, un travail du vivant sur lui-même qui l’arrache progressivement aux conditionnements premiers, aux données de la «fatalité». De l’autre côté, le «système», «maître» et «tyran»: «le point de vue exclusif, systématique, de la perpétuité des races.»

5On a sans doute l’impression de retrouver là une série de grandes dichotomies, essentielles, mais en risque de devenir un peu ronronnantes à l’oreille du dix-neuviémiste: liberté-fatalité, organique-systématique, vie-machine, analyse-synthèse, unité et liant-dispersion et désagrégation, etc. On touche pourtant ici au cœur, me semble-t-il, du discours raciologique micheletien, de ses complications, de ses équivoques, de ses complexités.
«La France a fait la France, et l’élément fatal de race m’y semble secondaire. Elle est fille de sa liberté», écrit Michelet dans la préface de 1869. On remarquera la distorsion et la continuité postulées par la métaphore: il s’agit bien d’un problème de filiation, d’une filiation dont la notion est à maintenir et à déplacer. Nous retrouverons ce problème. D’autre part, au «point de vue des races» (celui de Thierry), Michelet n’oppose nullement un point de vue sans les races, mais un point de vue selon lequel la race est «secondaire» sur deux plans. – Secondaire parce qu’elle n’est pas l’«élément primitif» : sol et climat la forment. La race selon Thierry apparaît ainsi à Michelet comme un personnage collectif sans chair, une création de l’esprit: «Le matériel, la race, le peuple qui la continue, me paraissaient avoir besoin qu’on mît dessous une bonne forte base, la terre, qui les portât et les nourrît. Sans une base géographique, le peuple, l’acteur historique semble marcher en l’air comme dans les peintures chinoises où le sol manque» (Préface de 1869). Paradoxalement donc, avec Michelet, un personnage historique «race» reprend vie? – Ensuite, la race est «secondaire» sur le plan des valeurs : ce qui compte, du point de vue de la fin cette fois, c’est le travail, la création, la liberté, et ce qui est soumis, c’est le donné de départ, la race, ou la fatalité. Secondaire donc, mais fondamentale: secondaire, mais, si l’on ose dire, première dans cette dialectique de la victoire de la liberté sur la fatalité, de la filiation idéale, conquise en fin de processus, sur la chaîne de «la race». «La race» est à la fois lestée et alourdie par Michelet: terre et fatalité. Ce n’est donc pas que la notion de race est rejetée: c’est au contraire que Michelet veut lui donner vie, que quelque chose qui s’appelle «la race» prend existence et consistance dans le discours, sur un pôle négatif de l’existence, parmi les choses «fatales».

Promotion dialectique de la notion de race. L’Introduction à l’histoire universelle

6Dans sa récente édition de l’Histoire romaine (texte de 1831, publié par Michelet à la suite de son cours de 1829-1830 à l’École Normale), Paule Petitier fait observer chez Michelet, à un moment où il n’est encore «que l’auteur de Tableaux et de Précis, récapitulatifs destinés aux classes d’histoire, et le traducteur de Vico», des hésitations qui portent précisément sur cette notion de la race et des races, un conflit entre le discours sur l’universel et le discours sur les races :

7

L’intérêt pour les «races» est lié au xviiie siècle et au début du xixe à la réflexion sur les oppositions de classe: on explique les inégalités sociales modernes et les affrontements qui en résultent par la perpétuation de rapports de force entre « races» (par exemple entre les Francs envahisseurs et les Gaulois assujettis ou entre les conquérants normands et les Saxons vaincus). Un des versants de l’idéologie de la nation en train de se constituer tente pour sa part de fonder la spécificité nationale sur une prétendue identité biologico-culturelle. Michelet manifeste dans l’Histoire romaine son intérêt pour ce type de spéculations, mais aussi l’impossibilité de l’accorder avec le privilège qu’il donne à la perspective de l’universel. L’obscurité des premiers chapitres tient à ce porte-à-faux. [2]

8C’est ce conflit même qui nourrit l’autre grand texte de 1831, l’Introduction à l’histoire universelle, non pas comme un blocage inexploré de l’auteur entre une tentation et une autre, mais comme ce qui le fait fonctionner dialectiquement. «La race» est alors placée en plein cœur de l’universel, et de l’universel en histoire, c’est-à-dire en avènement dans le temps. Autant en effet l’Histoire romaine nous livre des éléments disjoints – de nombreuses considérations formulées en termes de races, un fort discours sur l’universel – autant l’Introduction à l’histoire universelle, qui cherche Rome après Rome, c’est-à-dire une incarnation ultime de l’universel dans le sillage et au-delà du grand «mélange» romain, explore et exploite le conflit pour en faire son moteur et pour cingler dialectiquement, par la notion de «la race» – et par ses incarnations –, vers le sommet de l’ultra-racial et de l’anti-racial: la liberté, la France. Le mot «souris» ne mange pas de fromage et l’«universel» est ce que son penseur le fait être: l’universel de Michelet a besoin des «races », dans un parcours providentiel de «race» à «France», et dans le récit d’une action providentielle de «France» sur «race».

9L’Introduction commence par affirmer le rôle de la France, porteuse de l’universel et «pilote du vaisseau humanité»: expliquer la France demande d’expliquer l’«histoire du monde», qui converge à elle. Michelet parcourt chronologiquement et géographiquement le monde, en partant du plus profond dans le temps et du plus écrasé sous la nature, de l’Inde (présentée comme la nature même dans son excès, monstrueuse, absorbante). Michelet, suit un personnage collectif (faisant en histoire un peu comme Quinet fait sous forme de drame avec Ahasvérus, en 1833), l’humanité qui se cherche et se construit, avançant à travers le monde et le temps. De l’Inde, commençant à se redresser, ce personnage migre en Perse, « commencement de la liberté dans la fatalité», puis en Égypte et en Judée, nouvelles étapes de liberté (immortalité trouvée par l’Égypte, unité de Dieu trouvée par la Judée). Puis, c’est le second acte en quelque sorte: il passe d’Orient en Occident, en Europe: Michelet trace la «route du genre humain», Grèce, Rome, Moyen Âge chrétien (Charlemagne), enfin il trace une carte comparée des contributions de l’Allemagne, l’Italie, la France et l’Angleterre à «l’affranchissement du genre humain.»

10Dès le début du texte, l’histoire a été définie comme une guerre entre l’homme et la nature, la matière et l’esprit, la liberté et la fatalité, et dès le début, la «race» apparaît comme un des premiers termes de la lutte: race et climat. Il est remarquable que le mot de race, s’il revient à propos de l’Inde (soumise à ces deux termes récurrents de la fatalité, «race et climat», et elle-même «berceau des races et des religions»), est ensuite employé à propos de Rome (première réussite dans l’ordre du «mélange»), puis massivement quand Michelet veut peser, en Europe, l’apport en humanité de «ces personnes politiques qu’on appelle des états, la France et l’Italie, l’Angleterre et l’Allemagne.» C’est ici, dans cette espèce de concours pour le premier rôle, joué d’avance et très actuel pour Michelet, que le mot de race permet de disqualifier ou de qualifier. Non qu’il soit décidé qu’une «race» vaut plus et une autre moins. Le partage se fait entre de moins avancés, de moins humains, de moins universels – qui peuvent alors se décrire en termes de «race» puisqu’ils restent embourbés dans les pesanteurs –, et une France qui, elle, a dépassé le conditionnement racial, n’est nullement de race pure, mais est pure des conditionnements de race. L’Allemagne, «Inde en Europe», donne lieu à la description du «caractère de cette race», de l’Allemand, et d’une «race germanique», pleine de grandeur, de jeunesse: tous ces éloges sont évidemment modulés, à mesure qu’il apparaît que la tare, la condamnation interne, implicite et explicite, est dans la désignation même: une race. «Race non mélangée», elle boit «avidement la corruption. »

11L’Italie reste «opprimée par les influences locales de races et de climats». Napoléon, «premier capitaine des temps modernes», «fut un homme de race italienne adopté par la France»: subtile adoption par une plus grande force d’humanité et d’universalité – hors race – d’une force de conquête et de rassemblement européen, qui était née en race, en quelque sorte.
En Allemagne et en Italie, «il y aura juxtaposition de races diverses, jamais fusion intime.» Pour l’Angleterre, à laquelle Michelet fait un sort à part, c’est une anti-France radicale, et le ton prend le tour d’une malédiction quasiment satanique (sans doute parce que c’est la terre du satanique Byron…): son «inflexible orgueil […] a mis un obstacle éternel à la fusion des races», elle ignore donc la liberté. «Le peuple libre est la France […] La liberté de la France est juste et sainte.»
Deux éléments donc. D’une part une pensée du «mélange » entièrement valorisée, et formulée de façon significative en termes de races et d’amélioration par le croisement: «Le croisement des races, le mélange des civilisations opposées est […] l’auxiliaire le plus puissant de la liberté.» C’est lui qui «neutralise» les uns par les autres les limites et les enfermements des «races ». D’autre part, une vue providentielle de l’histoire, avec une « route», un sens, et un guide: France-liberté-Révolution. Les rôles et les valeurs se partagent, s’accentuant et se postulant les uns les autres dans la roue de cette dialectique, race et non-race, France et non-France. La France, souligne Michelet, «n’est point une race comme l’Allemagne, c’est une nation»: «notre nation», donc, fonctionne en aspirant les races et en faisant d’elles de la France [3] et de l’humanité. Elle «assimile» (tout ce spécifique, ce limité, ce fatal, provincial ou étranger, qui prend nom ici de «race»): «action, réaction; absorption, résorption, voilà le mouvement alternatif d’un véritable organisme». La race est bien le contraire du terme positif posé par Michelet (liberté, humanité, généralité contre particularité), mais elle est essentielle pour le faire fonctionner «organiquement», pour composer avec lui un processus «vivant», qui a été décrit en même temps comme le mouvement même de l’histoire. Ainsi, au nom même du dépassement des races, d’une lutte historique hors de «la race», le discours de Michelet pose des races, les construit, les décrit, les incarne, tel cet Allemand à «l’œil bleu pâle comme un ciel douteux, le poil blond ou fauve comme la biche de l’Odenwald», qui boit de la bière dans une maison au toit pointu, ou cet Italien dont le «regard mobile à faire peur, ces cheveux noirs comme les vins du Midi, ce teint profondément bruni, accusent le fils de la vigne et du soleil, et le replongent dans la fatalité dont il avait paru affranchi». Terre et race: ils sont précisément, des êtres attachés à la localité qui forme la race, selon l’idée que Michelet développe contre Augustin Thierry, alors que la France reçoit le rôle d’«université vraiment universelle», d’humanité humanisante. Ici, la race, c’est l’autre: un autre limité, enfermé dans ses particularités, mais en même temps un autre indispensable, qui fournit au mariage, ou au croisement, ou à la fusion des «opposés ». Il est difficile ici de départager entre deux directions métaphoriques: celle de l’absorption organique et celle de la fécondation du monde par la France.

«Et ta race est 89». La Bible de l’humanité

12«Ta race est 89», énonce la conclusion de la Bible de l’humanité (1864). En plus fulgurant, c’est le même type de formule, au fond, que celle que j’ai citée plus haut: la France «est fille de sa liberté» (Préface à l’Histoire de France de 1869). Il s’agit aussi d’une filiation biaisée, avec au centre la Révolution française. Il s’agit en quelque sorte d’origines lointaines-nouvelles : d’origines qui viennent de sourdre, ouvertes par la Révolution, que le sujet nouveau se donne (en se créant lui-même), et qui pourtant postulent le lien, adoptent les termes d’une continuité des générations pour la rompre et la réinstaurer. Fatalité – liberté: il s’agit à la fois de rompre une série (celle de la «prédestination», en termes micheletiens, ce contraire de la «Justice») et d’en créer une, de se créer ses origines – triomphe de la liberté dans et sur le passé lui-même. Mère contre marâtre; la mère, dans ce scénario, doit être créée par celui qui la revendique, s’il est vrai qu’il «se crée lui-même». La question de Michelet est ici, en substance: qui sont «nos» parents? question à la fois descriptive (illusoirement descriptive) et totalement créatrice de son objet, puisqu’ils ne «sont» que s’ils sont fabriqués. L’historien est ici en plein travail d’intervention sur le passé, et assume consciemment ce rôle. «J’entrepris de refaire moi seul la tradition du genre humain», écrivait Michelet dans les années 1850. La Bible de l’humanité pousse à l’extrême le double mouvement de rejet d’une famille (monde judéo-chrétien et moyen âge, assimilés l’un à l’autre du côté négatif: fatalité, prédestination…), et la fabrication d’une autre: Inde (foyer, effort humain, «vie» et nourriture «vitale»…). L’Inde, qui était du côté du monstrueux et de la fatalité en 1831, est ici le «berceau» des retrouvailles avec l’origine, le lieu de «notre naissance», le «vital» sous forme de nourriture et de valeurs, un centre de la «genèse». La formule de 1864, sous forme brillante et concentrée, montre à quel point le problème de la «race», chez Michelet, touche un problème romantique de filiation et de Révolution.

13Elle consacre non seulement l’interférence, mais l’étroite imbrication, chez Michelet, du racial et de l’historique. Elle consacre également un paradoxe, un court-circuit dans les termes. La « race 89» devrait être par définition le contraire d’une race: puisque 1789 marque la liberté, au rebours de la fatalité inscrite dans les races, en tant précisément qu’elles s’inscrivent pour lui en «race». Ta race signifie: pas de race, en quelque sorte. Et pourtant nous retrouvons toujours ce problème: pour dépasser «la race», et précisément quand on est censé la dépasser, on s’aperçoit que Michelet a besoin de la notion de race, et qu’il lui donne de plus en plus consistance.

14La première apparition du mot de «race», dans la Bible de l’humanité, est significative: «le jour où nos Bibles parentes», c’est-à-dire les poèmes indiens et perses, «ont éclaté dans la lumière», c’est-à-dire ont été retrouvés et traduits, «on a mieux remarqué combien la Bible juive appartient à une autre race.» La race est l’autre, d’entrée de jeu; c’est d’autant plus inquiétant que «l’autre» est aussi une désignation du diable, utilisée dans la Bible de l’humanité à propos d’Ahrimane, et derrière lui à propos de Satan et du Moyen Âge: «L’autre va reculant» devant Ormuzd (la lumière), seul Dieu et futur vainqueur.

15Mais si cet autre est «une autre race», le terme par rapport auquel il se situe et se distingue, est une race aussi. Quel est ce terme? Précisons d’abord qu’il ne peut y en avoir qu’un, puisque la Bible de l’humanité pose deux «grandes races» dans le monde [4], «l’Indo-Européen et le Sémite». Le livre même se partage en deux: «Les peuples de la lumière» (Inde, Perse, Grèce), et les «Peuples du crépuscule, de la nuit et du clair-obscur» (Égypte, Syrie et Phrygie, Asie et monde grec à partir d’Alexandre, Judée, antiquité chrétienne et moyen âge). Le terme par rapport auquel joue «l’autre race» n’est pas exactement l’Inde et la Perse, ou plutôt il est elles en tant qu’elles sont «nous»: «nos Bibles parentes », une «race» «nôtre» donc, que la Bible de l’humanité cherche à «nous» retrouver, en passant par-dessus la Bible juive et chrétienne, et par dessus le Moyen Âge, mais dont Michelet évite l’expression directe.

16Cette expression que la Bible de l’humanité évite constamment, qui serait «ma» ou «notre race», et qui est bien ici, dès le début, mais à l’état latent, cette application du terme de «race» au «nous» qui s’exprime en revendiquant la connaissance de ses «vraies » origines et de sa vraie famille, il faut attendre la fin de la Conclusion pour qu’elle apparaisse. Encore est-ce à la deuxième personne du singulier – comme une reconnaissance à la fin d’un drame, une révélation faite à celui qui ignorait son ascendance, presque un secret de famille enfin patent: «Pour terminer, trois mots, mais pratiques, et du père au fils»…, ces mots révèlent bien le type d’autorité, la paternité que se donne ici l’auteur (et qui préfigure celle qu’il se donnera dans Nos fils, livre testamentaire et comme dramatiquement situé dans une action de transmission). Par ailleurs, Michelet court-circuite le mot de race en en faisant «89» – l’affranchissement historique des fatalités, dont celle de la race.
C’est bien le tour de force de cette rhétorique, que ce «nous» restrictif (qui s’assimile à l’une des deux races posées par Michelet) devient tout, occupe tout l’espace de l’humanité même et devient le porteur de l’humanité et de l’humainement «vital». L’«autre race», le «génie sombre», «est sans nul doute le côté secondaire, la petite moitié du genre humain»: ainsi s’exprime la première étape de sa mise à l’écart. La seconde étape consiste à détacher l’humanité d’une «race» pour l’attacher à une autre: « l’humanité» ne peut boire à leur «torrent à sec», «laissez plutôt, laissez, que l’humanité libre en sa splendeur aille partout. Qu’elle boive où burent ses premiers pères», il lui faut «la Terre pour Terre promise, et le monde pour Jérusalem». Ainsi se constituent d’un côté une sorte de race-humanité, dont la grande figure est Prométhée, et qui n’est plus vraiment race, puisqu’en elle se rassemble le genre humain et se dépasse «la race», marque du vieux monde [5], et de l’autre une race qui assume tout le rejet, qui incarne un passé à tuer, parce qu’elle est engoncée dans «la race», c’est-à-dire dans la fatalité, la mort, la nuit, l’orgie, la matière…
Quand Michelet déclare donc, en conclusion de la Bible de l’humanité : «Voici le genre humain tout entier qui se met d’accord», «De l’Inde jusqu’à 89 descend un torrent de lumière, le fleuve de Droit et de raison. La haute Antiquité, c’est toi. Et ta race est 89. Le Moyen Âge est l’étranger», il cumule d’une manière à la fois violente et fuyante les termes et les notions. Cet accord du genre humain est une trappe où quelqu’un disparaît. L’outil, dans l’opération, est «la race», placée toujours dans le ressort de l’histoire, à la fois par le collage de la «race» et de 89, et par la construction, de toutes pièces, par cet historien père et pontife, d’un nouveau relais des générations. Ici se reformule et se redistribue, avec pour spécificité qu’elle fait jouer en son centre «la race» et qu’elle se nourrit de la redécouverte de l’Inde, une entreprise typiquement romantique et motivée en Révolution: l’aspiration à créer le nouveau jointe à une recherche d’efficacité sur le passé. Comment se débarrasser du passé, comment supprimer derrière soi, comment renaître ou plutôt comment se donner naissance? Le combat de Liberté et de Fatalité a reçu bien d’autres formes littéraires. La recherche d’efficacité sur le passé est particulièrement frappante ici dans la mesure où elle conditionne la pratique du discours historique: elle s’accompagne d’une volonté d’efficacité sur le présent des mentalités, des imaginaires, des comportements, qui se conçoit et se présente comme une nouvelle direction religieuse. En touchant à l’humain pour y trancher, la spéculation, emportée par elle-même, lancée dans des séries de mythes de plus en plus radicaux, parce qu’ils ont quitté terre et qu’ils vaticinent des valeurs et des préceptes moraux, et en même temps parce qu’ils n’ont pas quitté terre et qu’ils libèrent de plus en plus intensément des mythes personnels, devient inquiétante. La Bible de l’humanité fait apparaître à la fois les limites et la démesure du «prêtre» romantique, de sa religion du «vivant», et de sa leçon d’«énergie».

Le «vital»

17«Qu’adviendra-t-il du genre humain?» Michelet pose cette question à propos de l’envahissement de la Grèce par les dieux d’Orient, mais elle plane sur l’ensemble de la Bible de l’humanité, comme elle dominait l’Introduction à l’histoire universelle.

18La question de la race, «autre race» ou «race 89», s’inscrit non seulement dans une vision panoramique, dramatique et providentielle de l’histoire, mais dans une angoisse de la diminution, de l’épuisement. L’auteur cherche à refaire ses propres forces :

19

On ne peut toujours travailler. Chaque année il faut respirer, reprendre haleine, se refaire aux grandes sources vives, qui gardent l’éternelle fraîcheur. Où la trouver, si ce n’est au berceau de notre race, aux sommets sacrés d’où descendent ici l’Indus et le Gange, là les torrents de la Perse, les fleuves du Paradis? Tout est étroit dans l’Occident. La Grèce est petite; j’étouffe. La Judée est sèche: je halette. Laissez-moi un peu regarder du côté de la haute Asie, vers le profond Orient. J’ai là mon immense poème […] Une aimable paix y règne […] une fraternité sans borne qui s’étend à tout ce qui vit, un océan (sans fond ni rive) d’amour, de pitié, de clémence. J’ai trouvé ce que je cherchais: la bible de la bonté.
Reçois-moi donc, grand poème!… Que j’y plonge!… C’est la mer de lait.

20Il n’y a pas de distance entre ce «je» qui anime de sa voix et de son appel la recherche d’une nouvelle bible pour l’humanité, et l’humanité qu’il met en scène: pour l’un et pour l’autre il s’agit de «continuer», de trouver le secret de la permanence et du renouvellement. Voilà sans doute aussi le nœud des images, entre les «fils de la lumière» (dont la descendance entend se révéler à travers la Bible de l’humanité), et les «fils» du «tissu»-humanité et du texte-Bible de l’humanité (que Michelet compare à un châle indien se tissant à l’infini, se confondant avec le monde).

21La Bible de Michelet se présente comme celle qui remonte au «vital », pour le retrouver et le transmettre, qui continue le principe de continuité en quelque sorte:

22

Mon livre naît en plein soleil, chez nos parents, les fils de la lumière, les Aryas, Indiens, Perses et Grecs, dont les Romains, Celtes, Germains, ont été des branches inférieures.
Leur haut génie, c’est d’avoir tout d’abord créé les types des choses essentielles et vitales pour l’humanité.

23Elle réalise ainsi l’assimilation d’une «race» à la «vie» et au «vital». Elle affirme «la faculté particulière à cette race à voir la vie au fond des êtres » ou encore «le privilège énorme, la royauté unique de cette race indo-européenne de voir où les autres races ne voient rien». Elle affirme son exclusive prééminence dans la capacité, essentielle à la vie et à sa pérennité, de faire et de refaire. «Faire et refaire l’homme», faire et refaire ses forces, faire et refaire les dieux (qui en retour font et refont l’homme…). Les «types des choses vitales » attribués à cette race sont détaillés systématiquement: ce sont la famille et le foyer, dont Michelet assigne la création à l’Inde; le travail créateur (assigné à la Perse) ; l’«art de faire l’homme» (l’éducation), assigné à la Grèce. Au total, cette trinité compose le corps de l’humanité:

24

Si de bonne heure l’homme n’eût eu ses trois causes de vie (respiration, circulation et assimilation), l’homme à coup sûr n’eût pas vécu.
Si, dès l’Antiquité, il n’eût pas possédé ses grands organes sociaux (foyer, travail, éducation), il n’aurait pas duré. La société eût péri, et l’individu même.

25C’est donc plus qu’un livre des origines – au sens où il s’agirait seulement de faire une recherche en paternité ou en maternité dans le passé. C’est un problème à la fois de genèse mythologique («la genèse vénérable des Aryas» contre la genèse biblique) et de reproduction de la vie humaine, de génération. Le chapitre sur «La primitive famille indienne» le montre bien en posant «les deux grandes races du monde»: «L’Indo-Européen, patient, méthodique, a donné sur le globe sa féconde traînée de lumière. Le Sémite a lancé des éclairs scintillants qui ont troublé les âmes, et trop souvent doublé la nuit.» L’un sait créer, c’est-à-dire reproduire l’homme, conserver, nourrir. C’est le foyer indien décrit à travers la «genèse du feu», ou de l’enfant, qui réussit là où l’autre échoue. Il y a une race capable de génération, une autre frappée de stérilité:

26

Voilà le père, la mère du Feu. Dans sa mère, on creusait une petite fossette et l’on y faisait tourner l’autre bois. Procédé patient. Des peuples plus sauvages n’obtiennent le feu que du hasard, de la foudre qui tombe et de l’incendie des forêts. Les races impétueuses des brûlantes contrées l’exigent violemment du caillou, font sauter du silex la vive et fuyante étincelle, bientôt perdue, et qui le plus souvent ne laisse qu’étonnement et obscurité.
Revenons. En tournant, l’homme obtenait une petite fumée, puis un imperceptible feu, qui se serait évanoui. Mais la femme venait au secours. Elle accueillait le nouveau-né, le suscitait d’un petit aliment de feuilles. Elle retenait son souffle. Les hymnes, ici, témoignent d’une chose bien antique, de l’extrême peur qu’on a dans les premiers temps de laisser éteindre le Feu…

27Pour Michelet, dans la Bible de l’humanité, la religion est émanation de «la race» (de même qu’il tenait à rattacher «la race» à la terre, en réponse à Augustin Thierry et à ses races en l’air), elle la traduit, puis l’informe en retour:

28

Une critique nouvelle commence, plus forte et plus sérieuse […] Il faut d’abord poser la race avec ses aptitudes propres, les milieux où elle vit, ses mœurs naturelles: alors on peut l’étudier dans sa fabrication des dieux, qui, à leur tour, influent sur elle. C’est le circulus naturel. Ces dieux sont effets et causes. Mais il est fort essentiel de bien établir que d’abord ils ont été effets, les fils de l’âme humaine. [6]

29Cette étroite association de la «religion» et de la «race», mots et notions, à travers une circularité qui permet en définitive toutes les équivalences, a des résultats spectaculaires dans le traitement des mythes de genèse: car c’est d’eux que Michelet se sert pour faire communiquer de manière totale race et religion, religion et race, pour déduire et faire naître une «race» d’une genèse, de manière à porter pronostic de vie ou de mort sur elle.

30L’historien-prêtre de la Bible de l’humanité est ainsi une sorte d’hygiéniste, de conseiller conjugal, voire de médecin eugéniste du «genre humain»: la «race» est le support même d’un examen de l’histoire sous l’aspect du fécond, du viable, du sain, du fort, ou de la dégénérescence, de la corruption et de l’abâtardissement. Les «races» se construisent ici à travers une évaluation des croisements et de la qualité de la reproduction, du point de vue d’une valeur-«humanité» posée d’avance. Tantôt il fallait (d’un point de vue providentiel) tel type de mariage, tantôt il ne le fallait pas. Mariages consanguins en Syrie, pour des reines qui voudraient «maintenir l’unité de leur race contre le pêle-mêle de la vie de sérail ». Justification de la barrière des castes indiennes, parce que les Aryas devaient être protégés de «l’amour inférieur», «la redoutable absorption de la femme jaune»: ainsi ils «n’ont pas perdu les dons de leur race», car «la jaune, avec ses yeux obliques et sa grâce de chat, son esprit médiocre et fin, eût aplati l’Indien au niveau du Mongol, eût ravalé la race des profondes pensées aux talents inférieurs de l’ouvrier chinois, éteint le génie des hauts arts qui ont changé toute la terre». «L’austère mariage de la blanche» et la «pureté monogamique» ont donc sauvé le monde. Justification, pour une étape ultérieure de l’Inde, de l’abolition des castes et du mariage qui unit Rama à la «douce race chinoise» à «l’œil oblique». Approbation de Michelet donnée aux rois d’Asie qui préféraient épouser une Égyptienne. Catastrophe nationale, historique et conjugale pour Philippe: «Il périt pour avoir épousé la femme épirote», et la Grèce sombre sur le versant oriental avec son fils, car «rien n’était moins grec qu’Alexandre». Toute la partie de la Bible de l’humanité qui s’enfonce dans la description du «monde de la nuit» suit la dégradation d’un modèle conjugal qui au contraire faisait la force du « foyer» indou dans la première partie; de même, mutatis mutandis, Le Peuple attribuait la dégénérescence française aux mœurs irrégulières des ouvriers et au machinisme (par opposition au monde paysan, fondé sur labourage et mariage, comme plus tard l’Inde de la Bible de l’humanité).

Nous sommes fatigués

31On pourrait, du Peuple (1846), extraire deux formules dont le rapprochement a quelque chose de programmatique. «Jeunes et vieux, nous sommes fatigués»; et être fils de: je suis «fils du peuple», «Nous sommes les fils de» (de la Révolution)… Problème de santé et de force, et de filiation.

32« Jeunes et vieux, nous sommes fatigués. Pourquoi ne l’avouerionsnous pas, vers la fin de cette journée laborieuse qui fait une moitié de siècle? […] A nous donc, les jeunes et les forts […] Rapportez-nous une chaleur nouvelle; que le monde, que la vie, que la science recommencent encore.» Peuple, racine, «sève» de 1789…: tout le texte cherche la «régénération», le «renouvellement», les moyens de la force. La «race» ici prend sens dans un réseau d’expressions et d’images qui désigne la santé ou son contraire, le malsain ou le faible. Ainsi la campagne dont profite le petit paysan français le fortifie, et cet élément, s’il manque, «n’influe pas accidentellement sur l’individu, mais, profondément, généralement, sur la race même», c’est-à-dire que l’individu transmet sa force ou sa faiblesse. Ou alors, le texte construit une «race» paysanne («race humble et patiente») qui fonctionne avec la notion d’abâtardissement: le fils, qui veut s’élever, est de «classe bâtarde» et «mulet stérile». Le mot de «race» intervient toujours dans un débat de santé publique. Le peuple, gisement de l’«instinct» et du «rajeunissement», mais écrasé et méprisé, est donc assimilé aux «races héroïques», de «sauvages » ou de «barbares», qui ont été exterminées par l’Europe (l’Inde par l’Angleterre notamment) ou qui sont en voie d’extermination, comme l’Afrique et ses «races», proches «de nos races du midi». Michelet pressent en Afrique la «sève populaire», «la sève à pleins bords », qui «rendra à la France un grand service» en apportant son instinct, la «jeune et puissante vie». «Les civilisés ont besoin d’eux pour recevoir la vie qui leur manque.»

33Le livre de La Femme (1859) reprend longuement la question. Il pose la question du mariage, ou plutôt il cherche comment remédier à une production d’avortons qui semble à Michelet marquer son temps : comment fabriquer des «héros», et des «fils de héros» [7]? L’amour étant «médiateur et rédempteur de toutes les races humaines », quelles sont les unions fructueuses ?

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Les races les plus énergiques qui ont paru sur la terre sont sorties du mélange d’éléments opposés (qui semblaient opposés?) : exemple, le mélange du blanc et de la femme noire, qui donne le produit mulâtre, de vigueur extraordinaire; – ou au contraire d’éléments identiques: exemples, les Perses, les Grecs, etc., qui épousaient leurs très proches parentes. C’est justement le procédé par lequel on fortifie les chevaux de course; ne leur permettant d’autres épouses que leurs nobles sœurs on exalte en eux la sève héroïque.
Dans le premier cas, la puissance tient à ce que les éléments opposés sont d’autant plus avides. La négresse adore le blanc.
Dans le second cas, elle vient de la parfaite harmonie des semblables qui coopèrent. La spécialité native s’accumule et augmente de mariage en mariage.

35L’expression «le mélange du blanc et de la femme noire» révèle un a priori du texte. Michelet relève, sans doute, «les races qu’on croit inférieures», et notamment l’Afrique, appelée à «raviver les races épuisées». Mais «Africa est une femme. Ses races sont des races femmes, dit très bien Gustave d’Eichthal»: l’Afrique donc est l’Africaine, la «négresse» ou la «noire» (selon que ses traits ont été «affinés»), dont Michelet trace un portrait moral et physique. La France ne peut être qu’un Français: «Que la France a été aimée!», s’écrie Michelet à propos d’Haïti, «France noire»:

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c’est que le Français est un mâle supérieur. Comme soldat, il vit partout, et comme amant, il crée partout.
L’Anglais et l’Allemand, qui semblent forts, biens nés, sont et moins robustes et bien moins générateurs. Ils ne peuvent rien avec l’étrangère. Si la femme anglaise, allemande, n’est pas là toujours derrière, pour les suivre dans leurs voyages, leur race finit. Il ne restera rien bientôt de l’Anglais dans l’Inde, pas plus qu’il ne reste chez nous des Francs de Clovis, ni des Lombards en Lombardie.

37On retrouve donc, par l’apologie du croisement, une théorie dure de la race, aussi bien en tant qu’elle isole des «races »: celle de l’Anglais par exemple, vouée à rester séparée donc à périr, que dans la mesure où elle les mélange, mais en les arrêtant dans une identité sexuelle: Africaine (race femme) et Français (race homme). L’apologie de l’amour médiateur sert d’un côté à rejeter, par une sorte de malédiction sur la génération, et sert d’autre part à construire un scénario d’union qui personnifie et fige des entités «races». Ici aussi, le mouvement qui consiste chez Michelet à dépasser «la race» est celui-là même qui lui donne de plus en plus de consistance idéologique. Dans L’Amour et dans La Femme, Michelet cherche le ressort de la création et de la réfection de l’homme, pour donner à l’ère moderne une nouvelle religion du foyer. La femme fait l’homme – l’enfant –, et aussi refait, au foyer, les forces de l’homme travailleur, épuisé par le métier et par la vie moderne; il est logique, par analogie, que la race régénérante soit femme. «Telle est la vertu du sang noir; où il en tombe une goutte, tout refleurit. Plus de vieillesse, une jeune et puissante énergie, c’est la fontaine de Jouvence. » Dans l’Histoire romaine de 1831, c’était des « races barbares » que l’«éternelle jeunesse» était attendue, car «c’est leur sort de rajeunir le monde». La «race», chez Michelet apparaît ainsi intimement liée à la fois à sa méditation des corsi et ricorsi de Vico et à ce qu’on pourrait appeler un imaginaire du fortifiant.
«Océan de bonté», «rendre la sève» «source infinie de régénération physique et de rajeunissement»: tout lie la spéculation micheletienne sur la race à une terreur de l’épuisement vital. Significativement, dans La Montagne (1868), ce texte qui déplut à Hugo parce qu’il y vit un aveu de découragement, un manque de foi dans le grand xixe siècle, le mot «race» apparaît, lié à «notre siècle» et à la catastrophe qui le caractérise: car «nul ne prit tant de soin» que lui «à détruire les races héroïques, extirper le héros ». Dans l’Histoire du xixe siècle (1874), dont la préface s’intitule «Coup d’œil sur l’ensemble de ce siècle et sur son déclin rapide», c’est en termes de « race» que s’expriment les conjectures de Michelet sur le «salut du globe» et sur la vie qui se retire de l’Europe:

Qu’adviendra-t-il de l’avenir ? Plus éclairés, je crois, nous verrons […] que nos colonies tropicales ne seront jamais que des cimetières. Les Russes, s’ils vont aux Indes, y dureront encore moins que les Anglais. Ceux-ci succomberont à leur grande besogne, de coloniser l’univers. Il faudra bien que les Européens cèdent cette terrible tâche aux races plus robustes. Les jaunes, ingénieux autant que travailleurs, les noirs, supérieurs en qualités morales, seront partout appelés par les Européens eux-mêmes, et ces races, si longtemps écartées, méprisées, seront seules, dans l’épuisement de la race blanche, le salut du globe.

Notes

  • [1]
    Jules Michelet, Correspondance générale, textes réunis et annotés par Louis Le Guillou, t. II, Honoré Champion, 1994, p. 625-627.
  • [2]
    Jules Michelet, Histoire romaine, Les Belles Lettres, Introduction de P. Petitier, 2003, p. xxx-xxxi.
  • [3]
    Ainsi Michelet note dans son Journal en février 1841, à propos de Rachel: «elle est beaucoup moins juive que peuple, et peuple de France» (Journal, t. I, établi par Paul Viallaneix, Gallimard, 1959).
  • [4]
    L’idée de deux races, l’indo-germanique et la sémitique, se disputant le monde, est présente en 1831 dans l’Histoire romaine.
  • [5]
    Prométhée «n’atteste que la Justice, nul privilège de race, de prédestination, rien de l’aînesse antique des titans sur les dieux» (Bible de l’humanité). Souligné par moi.
  • [6]
    Souligné par Michelet.
  • [7]
    Voir Cl. Rétat, «L’enfant dieu de Jules Michelet», Eidôlon, novembre 2003-64, n° thématique sur les «Enfances romantiques», textes recueillis pas F. Bercegol et G. Peylet, Université Michel de Montaigne-Bordeaux 3, p. 211-228.
Français

Résumé

En rejetant une notion abstraite et fixe de la «race», Jules Michelet fait de la «race» un élément constituant de l’histoire vivante, organique, qu’il veut écrire. Il la leste: à des «races» en l’air, il veut substituer des «races» liées à la «terre». Il lui donne d’autre part un rôle dialectique fort: la «race» est du côté de la «fatalité», l’histoire étant définie comme une lutte où l’homme s’arrache au donné «fatal» pour aller vers la liberté, vers une création qui culmine à la création de l’homme par lui-même. La «race» est donc rejetée, au sens où elle est connotée d’une valeur négative, mais elle est fortement promue: elle prend consistance en devenant un acteur, répulsif mais essentiel, de l’histoire. L’article analyse ce paradoxe du discours de Michelet: pour dépasser la «race», ou du moins quand il semble s’agir de la dépasser, Michelet a besoin de la notion de race, c’est alors qu’il l’active et qu’il lui donne de plus en plus corps. Il lui donne rôle dans une refondation religieuse des origines, dans une sorte de livre des genèses qui porte pronostic de vie ou de mort en termes de «race»: la Bible de l’humanité veut refonder l’«humanité», en la soustrayant à la fatalité, sans doute, mais en liquidant un «autre» au nom de la «race» et de ses fatalités.

English

Abstract

In rejecting an abstract, fixed notion of “race”, Jules Michelet makes “race” a component part of the living, organic history he wants to write. He gives solidity to the notion. He wants to substitute a rather ethereal concept of “races” by one of “races” firmly attached to “earth”. On the other hand, he gives the concept a strong dialectic role : “race” is in the same sphere as “fate”, history being defined as a struggle where Man is dragging himself from the fundamental hold of “fate”, seeking to go towards freedom, towards a kind of creation that in its ultimate form will see the creation of Man by himself. “Race” – in the sense which bears negative connotations – is hence rejected, yet it is pushed strongly to the fore: it takes on consistency by becoming a veritable actor of history, repellent but essential. The article examines this paradox in Michelet’s discourse: in order to transcend “race”, or at least when it seems a situation requires it to be transcended, Michelet indeed needs the notion of “race”; it is then that he mobilizes it and gives it more and more substance. He gives it a role in a religious recasting of origins, in a sort of Book of Geneses which bears prognostications of life and death in terms of “race”. The Bible of Humanity seeks to recast “humanity” -by extracting it from fate, undoubtedly, but at the same time eliminating an “other” in the name of “race” and of its fatal inevitabilities.

Claude Rétat
(CNRS, UMR LIRE)
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/01/2010
https://doi.org/10.3917/rom.130.0009
Pour citer cet article
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