CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Le virtuose, prodige de vélocité qui mesure la trajectoire de son destin de soliste à la performance de son jeu d’acrobate, occupe une place éminente dans la typologie socioprofessionnelle du musicien au xixe siècle. Né de la vertu [1], il a été happé par le vertige, celui que créent les moyens transcendants qu’il met en jeu. Se sert-il de la musique plus qu’il ne la sert? La virtuosité romantique comme enjeu de l’exécution musicale ne serait-elle qu’une affaire d’habileté supérieure? Que dissimule la recherche délibérée d’un effet qui dépasse l’entendement?

2Ces questions se pressent autour d’un nom, celui de Nicolò Paganini. Une figure ambivalente, sulfureuse, pétrie d’ombre et de lumière, que les historiens, avec un bel effort de rigueur, se sont efforcés de débarrasser de ses légendes. Le personnage du fameux violoniste a été recadré avec la connaissance positive qu’on a acquise de son existence et de ses œuvres. Reste un instrumentiste surdoué, composant pour son usage, qui défie le paradoxe: incarnation suprême du romantisme pour sa génération, et en cela puissant révélateur de talents, il est, du point de vue de la forme et de la syntaxe, jusque dans ses prouesses techniques les plus inouïes, un classique attardé. Autour de sa silhouette spectrale, dégingandée, comme consumée par un feu intérieur, que dessinateurs et peintres ont saisie dans cette posture de jeu si personnelle qu’elle est imprescriptible, plus de mystère. Un biographe l’affirme: les remarques faites par un Zelter ou un Heine comme quoi Paganini «devait certainement apparaître aux yeux de ses contemporains comme une figure de sorcellerie […] n’ont plus aujourd’hui qu’une importance relative» [2]. Pour nous au contraire, ces remarques présentent un grand intérêt car elles constituent un épiphénomène qui concerne la réceptivité d’une catégorie sociale à un mode déterminé de production de la musique. L’écoute serait-elle la même sans le sentiment éprouvé par les contemporains de devoir, sans culpabilité, transgresser un interdit pour jouir de la musique? Dans ce cas la nécessité, pour Paganini, ne serait-elle pas moins de démentir qu’il doit son pouvoir au diable que de savoir entretenir la réputation qui lui en est faite? [3] Admettre cette hypothèse, c’est aussi une manière de poser la question du statut de la virtuosité, de déterminer à quel niveau de l’écoute un morceau de musique peut être qualifié de virtuose.

3Les légendes qui ont contribué à façonner l’image de Paganini – quand bien même celui-ci s’est efforcé de les combattre – sont donc a priori riches d’un sens qu’on va s’efforcer d’éclairer. Nous les avons examinées avec le présupposé sociologique dont Edgar Morin se sert pour analyser le phénomène de la rumeur [4]. Il s’agit de chercher à élucider un mythe moins dans les caractères singuliers d’un individu que dans les traits fondamentaux d’une société, en l’occurrence le cadre socialisé qui permet au virtuose de se produire. La croyance selon laquelle Paganini serait un criminel qui a forgé son prodigieux talent en prison avec l’aide du diable émanerait donc d’un ensemble de fantasmes, d’angoisses et de désirs qui trouvent leur origine dans le contexte politique, social et culturel. Pareil musicien exercerait-il le même ascendant sur les foules s’il ne leur apparaissait comme un complice stipendié de Satan? La comtesse Dash fournit la réponse quand, après avoir évoqué «ce magicien, ce vrai suppôt du diable» qui avait «quelque chose d’infernal dans son jeu, dans sa figure, dans ses mouvements», et sur le compte de qui courait «une foule de bruits que son apparence rendait plus effrayants», elle conclut: «C’était le romantisme de la musique.» [5]

4De ce rôle emblématique tenu par Paganini, l’iconographie témoigne de façon privilégiée. L’image que le violoniste donne de soi-même est celle que peintres et dessinateurs lui renvoient, comme jamais encore ils ne l’ont fait pour un musicien. Captivés par l’allure bizarre du personnage, ils offrent aux littérateurs de quoi stimuler leur imagination. Première constatation: les gravures assez nombreuses qui représentent Paganini n’embellissent pas ses traits. Au contraire, elles reproduisent fidèlement ce qui, dans le visage émacié, dans le corps anguleux et décharné, révèle la souffrance, l’anomalie, le tourment. Quand en 1832, pour tenter de percer de façon rationnelle le secret du «diable d’homme» qui subjugue Paris, le docteur Bennati démontre à l’Académie des Sciences que Paganini doit son talent extraordinaire non pas à un travail assidu mais à son «organisation pathologique», il pense en homme de son temps [6]. Depuis quelques années déjà, un Géricault, en peignant de façon réaliste les différents types de monomanie [7], a signifié que le romantisme puisait dans la pathologie un des éléments spécifiques de son système d’expression.

5Incarnation de ce romantisme-là, Paganini ne fait donc rien pour masquer l’aspect maladif de sa personne. Dans le contraste qui existe entre la fragilité de sa morphologie et la puissance de son jeu, s’inscrit la dimension presque surnaturelle qu’on attribue à son talent, dût-on y voir le reflet des affres que causerait à son âme une prétendue soumission au prince des ténèbres. «Avec une organisation débile, Paganini est l’un des exemples les plus frappants de la force presque surhumaine qui résulte de l’exaltation produite par le génie.» [8] La sensation éprouvée par ceux qui en subissent l’ascendant est si intense qu’elle provoque douleur et malaise: «Il séduit, il enivre, il désorganise tout le système nerveux […]. Dieu! qu’il m’a fait de mal! J’ai perdu trois fois connaissance.» [9]

6Devant un tel phénomène, quelques contemporains s’inquiètent. Les apparitions du virtuose méritent-elles le nom de concerts, dès lors que les convenances mondaines liées à l’idéalisation esthétique du «beau» geste de l’interprète sont subverties? La réponse est que, sans cette mise en scène de soi où s’opère la mise à distance de l’œuvre, l’espace imaginaire propice à la révélation aveuglante de ce qu’on qualifie de génie n’existerait pas. Reste à savoir – le siècle ne cessera de s’interroger sur ce point – si l’on peut prétendre être artiste quand on est trop virtuose.

7Paris doit attendre 1831 pour accueillir le prodige [10]. Durant la période qui précède son arrivée, les journaux se font l’écho des rumeurs répandues par la presse germanique. L’image, une fois encore, prend l’avantage. Une lithographie de Louis Boulanger, Paganini en prison, fait sensation. Son impact sur l’opinion décide l’intéressé à sortir de sa réserve. Une lettre signée de lui paraît dans La Revue Musicale[11]. Fétis révélera plus tard qu’il l’a rédigée d’après des notes que le virtuose lui a remises [12]. Non sans un certain cynisme, Paganini écrit: «Il me vint dans la tête que puisqu’il faut que tout le monde vive, je pourrais fournir moi-même quelques anecdotes aux dessinateurs qui veulent bien s’occuper de moi.» Sous prétexte d’une intention généreuse, et avec un artifice rhétorique qui donne le change au lecteur, il va reconnaître sur le plan fictionnel la validité d’anecdotes dont il affirme qu’elles sont en réalité dépourvues de fondement. Est-ce un hasard si son fils spirituel, à la fin de sa vie, adoptera semblable attitude? Le dernier conseil donné par Liszt à sa biographe Lina Ramann sera celui-ci: «Ne vous embrouillez pas dans trop de détails. Il faut bien plutôt inventer ma biographie que la reproduire.» [13]

8Ainsi, dans sa lettre, Paganini raconte l’épisode du meurtre de sa maîtresse, celui de la prison et, après d’autres péripéties romanesques, cette anecdote: «A Vienne, un bruit plus ridicule encore mit à l’épreuve la crédulité de quelques enthousiastes. J’y avais joué les variations qui ont pour titre le Streghe (les Sorcières) [14]; elles avaient produit quelque effet. Un monsieur, qu’on m’a dépeint au teint pâle, à l’air mélancolique, à l’œil inspiré, affirma qu’il n’avait rien trouvé qui l’étonnât dans mon jeu; car il avait vu distinctement, pendant que j’exécutais mes variations, le diable près de moi, guidant mon bras et conduisant mon archet. Sa ressemblance frappante avec mes traits démontrait assez mon origine; il était vêtu de rouge, avait des cornes à la tête et la queue entre les jambes. Vous concevez, Monsieur, qu’après une description si minutieuse, il n’y avait pas moyen de douter de la vérité du fait; aussi, beaucoup de gens furent-ils persuadés qu’ils avaient surpris le secret de ce qu’on appelle mes tours de force

9À malin, malin et demi. Ce récit teinté d’ironie n’oppose pas un démenti formel au fait que Paganini ait partie liée avec le diable, quand bien même il juge «ridicule» le «bruit» qui en accrédite la thèse. D’ailleurs il ne tarde pas à rendre les armes: «Puisqu’on s’obstine contre toute vraisemblance, il faut bien que je cède.» Et pour cause. Il ne peut ignorer – les critiques le lui disent assez – que ses contemporains l’identifient à une figure diabolique typique qui revêt les apparences de Melmoth, de Méphistophélès ou du conseiller Crespel inséparable de son violon de Crémone. La traduction du terrifiant Melmoth the Wanderer de Maturin, chef-d’œuvre du roman noir anglais, a paru en 1821. À la veille de la révolution de 1830, E.T.A. Hoffmann et Goethe sont connus, le premier par la traduction que Loève-Veimars a donnée des Contes, le second par celle de Faust due à Nerval dont s’inspire immédiatement Berlioz [15]. Un peu avant, Delacroix a fait imprimer une série de lithographies sur le même sujet [16].

10De toute évidence, Paganini sait qu’en permettant que la fiction produise à ses dépens d’autres fictions, il soigne sa publicité. En revanche, est-il conscient de représenter l’une des figures symboliques consubstantielles à l’âme romantique, celle du double? Dieu et diable, rappelle Freud, sont à l’origine identiques, ils forment une seule et même figure décomposée en deux entités, dotées de qualités opposées. «C’est là le processus que nous connaissons bien de la décomposition d’une représentation à contenu de sens contraires – ambivalent – en deux contraires nettement contrastés. Or les contradictions dans la nature originaire de Dieu sont le reflet de l’ambivalence qui domine la relation de l’individu à son père personnel. Si le Dieu bon et juste est un substitut du père, il ne faut pas s’étonner que l’attitude hostile, qui le hait, le craint et se plaint de lui, se soit exprimée aussi par la création de Satan. Le père serait donc pour l’individu l’image originaire tant de Dieu que du diable.» [17] C’est peut-être uniquement par l’insistance avec laquelle on lui renvoie cette image du double que Paganini a conscience de la représenter. Quoi qu’il en soit, une chose est sûre: l’adoration du public pour cette idole prétendue démoniaque capable d’ouvrir les sens à un monde sonore inconnu lève des barrières. On se met à rêver tout haut, on extériorise des fantasmes jusqu’ici refoulés.

11Le motif du double tel que Freud l’analyse et tel que Paganini le personnifie est présent dans une nouvelle publiée par Heine en 1837. À Hambourg, Maximilien, le héros des Nuits florentines, entend Lyser [18] lui dire que, tandis qu’il dessinait Paganini en train de jouer, «le diable lui avait conduit la main». Au cours d’une promenade, les deux hommes rencontrent le virtuose.

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Sa longue chevelure sombre descendait sur ses épaules en mèches tordues, et y formait une sorte de cadre noir autour de sa figure pâle et cadavéreuse où le chagrin, le génie et l’enfer avaient imprimé leurs ineffables stigmates. Près de lui sautillait une petite figure bien portante et nettement prosaïque, visage rose ridé, habit gris clair à boutons d’acier, saluant de tous côtés avec une gracieuseté insoutenable, quoique d’ailleurs il semblât jeter parfois des regards louches et inquiets sur cette ténébreuse figure qui marchait d’un air sérieux et pensif à ses côtés. On croyait voir la gravure où Retsch [sic] [19] a représenté Faust se promenant avec Wagner [20] devant les portes de Leipzig. […] Voyez […] avec quelle méprisante ironie il regarde parfois son compagnon, quand celui-ci l’importune de son caquet prosaïque. Il ne peut cependant se passer de lui; un contrat sanglant le lie à ce serviteur, qui n’est autre que Satan. Le peuple ignorant croit certainement que ce compagnon est M. George Harrys [21] […] que Paganini a emmené avec lui dans ses voyages pour prendre soin de la partie pécuniaire dans les concerts. Le peuple ne sait pas que le diable n’a pris à M. George Harrys que sa figure. [22]

13On le constate: le motif du double s’impose à la vision sous des formes marquées au coin du satanique: le couple Paganini-Harrys appelle la comparaison avec le couple Faust-Wagner. La connivence de l’artiste avec le diable représente également l’alliance corruptrice de l’art avec l’argent. Voyant Paganini entrer en scène, Maximilien s’interroge: «Est-ce un mort sorti du tombeau, violon-vampire, qui vient sucer, sinon le sang de notre cœur, du moins l’argent de notre poche?» [23] Si Paganini a compris quelque chose, c’est bien que l’artiste doit construire son image, exploiter pour cela toutes les ressources de son individualité afin de mieux se vendre, ce au moment où la musique entre pleinement dans l’économie de marché. La trivialité de cette notion heurte ceux, nombreux, qui voient dans la musique l’art du désintéressement par excellence. Rien d’étonnant donc à ce que le virtuose, flanqué d’Harrys-Satan, soit suspecté de céder à l’appât du gain pour rembourser la dette supposée qu’il a contractée avec le démon. À preuve la nouvelle fantastique d’Aloysius Block qui paraît dans L’Artiste en 1831 [24]. Le violoniste qui a passé un marché avec le diable doit, à chaque concert, laisser tomber deux notes dans l’escarcelle de son sulfureux créancier. Ce qui nous importe dans l’optique qui est la nôtre, c’est que le virtuose en offrant au démon, par cet acquittement, le moyen du rachat de la damnation, assure lui-même sa rédemption. Satan devient touchant lorsqu’il avoue à son voisin de concert: «Je les dépose [ces notes] à la chancellerie du ciel, et chacune d’elles est un acompte sur mon retour en grâce après Dieu. Quand serai-je quitte?»

14Le récit de Heine renvoie directement à un autre concept formé par Freud à la frontière de la psychanalyse et de l’esthétique, celui de «l’inquiétante étrangeté» ([Das] Unheimliche). Partant de L’Homme au sable d’Hoffmann dont l’un des personnages, Coppelius, est une créature diabolique, Freud élucide le processus psychologique qui cause au lecteur – comme à celui qui écoute jouer Paganini – le malaise de l’étrangement inquiétant. Ce malaise a plusieurs causes, l’une d’elles étant l’ambiguïté d’un comportement gestuel mécanique qui fait naître le doute sur la vraie nature du personnage. «Dans les courbures anguleuses de son corps, apparaissait une répugnante flexibilité de mannequin.» [25] À Paganini et à son famulus vus par Heine, s’applique ce que Freud écrit d’Hoffmann à propos de Coppelius et de son automate, la poupée Olimpia:

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Il est vrai qu’au début, l’auteur produit en nous une espèce d’incertitude en ne nous permettant pas d’abord de deviner, et ce sans doute à dessein, s’il va nous introduire dans le monde réel ou dans un monde fantastique de son choix. Il a en effet le droit de faire l’un et l’autre, et quand il a, par exemple, choisi comme théâtre de ses mises en scène un monde où évoluent des esprits, des démons et des fantômes […], nous devons lui céder sur ce point et traiter le monde qu’il présuppose comme une réalité pendant le temps que nous nous en remettons à lui. [26]

16Par le truchement des Elixirs du diable du même Hoffmann, Freud associe la notion de «l’inquiétante étrangeté» au motif du double, pour en déduire que, appartenant «aux temps originaires dépassés de la vie psychique […], le double est devenu une image d’épouvante de la même façon que les dieux deviennent des démons après que leur religion s’est écroulée». Et plus loin d’ajouter: «Il nous arrive aussi de dire d’un homme vivant qu’il est étrangement inquiétant, et ce quand nous lui prêtons des intentions mauvaises. Mais cela ne suffit pas, nous devons encore ajouter que les intentions malveillantes que nous lui prêtons s’accompliront avec l’aide de forces particulières. […] C’est le pressentiment de telles forces occultes qui rend Méphisto si étrangement inquiétant aux yeux de la pieuse Gretchen: “Elle sent que je suis pour sûr un génie, /Et peut-être même le diable”.» [27] D’où s’explique, selon nous, que toute l’Europe ait eu pour Paganini les yeux de Gretchen pour Méphistophélès.
Qu’en est-il du point de vue de la France? Lorsque Paganini arrive à Paris, le diable est depuis longtemps chez lui tant dans la littérature [28] que dans l’opéra [29]. S’agissant de musique instrumentale, ce sont moins, une fois encore, les textes que les images qui attestent de sa présence.
Au siècle précédent, une curieuse anecdote a fait entrer le diable dans la sphère de la virtuosité instrumentale, en l’associant à la figure d’un violoniste de l’ère baroque, Giuseppe Tartini, qui sera présenté, avec Locatelli, comme un des «pères» de Paganini, et pour cause. Dans son Voyage d’un Français en Italie publié en 1769, l’astronome Jérôme de Lalande relate cette histoire qu’il tient de Tartini lui-même:

Une nuit, en 1713, je rêvais, me dit-il, que j’avais fait un pacte, et que le diable était à mon service; tout me réussissait à souhait, mes volontés étaient toujours prévenues, et mes désirs toujours surpassés par les services de mon nouveau domestique. J’imaginai de lui donner mon violon pour voir s’il parviendrait à me jouer de beaux airs: mais quel fut mon étonnement, lorsque j’entendis une sonate si singulière et si belle, exécutée avec tant de supériorité et d’intelligence, que je n’avais même rien conçu qui pût entrer en parallèle! J’éprouvais tant de surprise, de ravissement, de plaisir, que j’en perdais la respiration: je fus réveillé par cette violente sensation; je pris à l’instant mon violon, espérant de retrouver une partie de ce que je venais d’entendre; mais ce fut en vain: la pièce que je composai alors est à la vérité la meilleure que j’aie jamais faite, et je l’appelle encore la Sonate du Diable ; mais elle est si fort au-dessous de ce qui m’avait frappé, que j’eusse brisé mon violon et abandonné pour toujours la musique, si j’eusse été en état de m’en passer. [30]
On remarquera d’abord que cette scène étrange fait surgir deux archétypes métaphoriques: l’un, fort ancien, est celui du songe qui, censé être le révélateur des ordres de l’au-delà, enjoint le dormeur d’accomplir des actions extraordinaires; l’autre est celui du diable violoneux qui, avec son instrument, subjugue les humains jusqu’à les entraîner à se perdre dans une ronde effrénée. On notera ensuite que Tartini cède à l’objet de son rêve diabolique sans aucun remords. Le diable apparaît ici non pas comme un inhibiteur de la créativité mais au contraire comme celui qui la libère et permet au musicien de franchir les limites ordinaires de son talent. Tartini le dit bien: il doit au diable sa meilleure œuvre. Mais l’imperfection de ce qu’il a retenu par rapport à la plénitude de la musique qui lui a été révélée fait que la transcendance a appelé la transgression. La nécessité de continuer à être musicien finit par l’emporter sur l’envie de briser l’instrument qui, par l’entremise du diable, lui a permis de se dépasser au moyen de la virtuosité. En outre, le passage, fort bien décrit, du rêve à la réalité confirme l’existence d’un élément appelé à jouer un rôle essentiel dans la musique romantique sous la forme du principe de dualité: le diable devient le collaborateur de l’artiste. L’acte de création ressortit à un songe éveillé, et ceux qui le perçoivent à travers la musique n’entendent plus seulement des sons: ils voient des images surgies de leur inconscient.
L’anecdote qu’on vient de lire, bien faite pour piquer la curiosité, va entraîner l’exhumation de la Sonate du diable. C’est Jean-Baptiste Cartier, un élève de Viotti, qui la publie pour la première fois vers 1796 dans L’Art du violon[31]. Bien qu’elle soit conforme à l’esprit baroque italien et au goût de Tartini pour les œuvres instrumentales déguisées en scènes d’opéra sans paroles, la Sonate du diable va ranger son auteur parmi les figures du pré-romantisme dont Paganini sera l’héritier. À cet égard, la longueur de la notice que Choron et Fayolle consacrent à Tartini dans leur Dictionnaire historique des musiciens (1811) [32], sans manquer de relater la fameuse anecdote, est révélatrice.
Aussi l’idée que cette œuvre puisse être liée à l’intervention du démon marque les esprits. En 1824, une lithographie en couleur de François-Séraphin Delpech d’après un dessin de Louis-Léopold Boilly [33], intitulée Le Songe de Tartini[34] est mise en vente. Qu’y voit-on? Tartini allongé, contemple le diable assis au pied du lit, jouant du violon avec ardeur. Le malin apparaît ici sous la forme d’un stéréotype de figuration «gothique», celle du diable ménétrier, assez proche de celui évoqué par Paganini: visage félin, yeux perçants, cornes de bouc, ailes de chauve-souris, corps noir et velu, pieds fourchus, longue queue. La scène, assez théâtrale, est divisée en deux par le nuage de soufre qui environne le virtuose satanique. Ce procédé habile permet d’accuser les contrastes entre le monde terrestre et le monde infernal; entre l’aspect surréel de la vision et le réalisme prosaïque des détails de l’ameublement, de la literie et de la personne du dormeur; entre la noirceur du violoniste infernal et la clarté que renvoient la blancheur des draps et le visage du musicien dont l’attitude – les mains tendues vers le diable – reflète la satisfaction. Toute l’adresse de Boilly est d’avoir su traduire à la fois l’état de sommeil – sur la table de nuit encombrée de feuilles de musique, la chandelle a son éteignoir – et l’état de rêve éveillé – Tartini a les yeux ouverts – en opposant, par le jeu appuyé des ombres, à l’obscurité de la chambre la lumière violente qui émane de celui qui mérite pleinement le nom de Lucifer.

Le Songe de Tartini, lithographie de F.-S. Delpech, d’après un dessin de L.-L. Boilly (BNF Musique)

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Le Songe de Tartini, lithographie de F.-S. Delpech, d’après un dessin de L.-L. Boilly (BNF Musique)

17Le crayon de Boilly suit fidèlement les indications du texte inscrit au-dessous de l’image: «On raconte que Tartini vit en songe le Diable qui lui offrait ses services et qui, d’après son ordre, exécuta devant lui une sonate sur le violon[.] Ravi de ce qu’il avait entendu, il [Tartini] essaya de se le rappeler à son réveil, et composa cette singulière sonate, que l’on connaît encore aujourd’hui sous le nom de la Sonate du Diable.» L’image ne traite que de l’aspect purement onirique et fantastique de l’événement: Tartini est ravi par la musique que le diable lui joue mais rien ne laisse deviner qu’il va s’efforcer de la transcrire sur le papier. D’ailleurs, les deux textes diffèrent sur un point important: dans celui de Lalande c’est Tartini qui, délibérément, pactise avec le diable dont il fait son domestique; dans l’autre, c’est le diable qui offre ses services au musicien qui les accepte.
Cartier a éprouvé le besoin, en publiant la sonate diabolique, de rappeler succinctement son origine: «Sonate de Tartini que son école avait nommée le Trille du Diable, d’après le Rêve du Maître qui disait avoir vu le diable au pied de son lit exécutant le trille écrit dans le morceau final de cette sonate.» L’accent est mis sur ce qui caractérise la partie de violon de l’œuvre: le passage où un trille tenu est battu tandis que se déroule une partie mélodique:

«Trillo del diavolo al pie del letto» (J.-B. Cartier, L’Art du violon, p. 268)

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«Trillo del diavolo al pie del letto» (J.-B. Cartier, L’Art du violon, p. 268)

18Si le procédé n’est pas nouveau, en revanche le sens qu’il acquiert l’est. Jusqu’ici élément du vocabulaire ornemental, le trille devient un facteur de tension du discours musical dont Paganini fera son profit, par exemple en le pratiquant sur les deux sons d’une octave [35].

19Cartier ajoute une note à son bref commentaire: «Cette pièce est très rare ; je la dois à Baillot, son amour pour les belles productions de Tartini, l’a décidé à m’en faire le sacrifice.» Choron et Fayolle précisent que Baillot aurait obtenu cette pièce de son maître romain Pollani, lui-même élève de Tartini [36]. Ce qui est sûr, c’est que Baillot parvenu au faîte de sa carrière, a continué à manifester un grand intérêt pour l’auteur de la fameuse sonate. Au point qu’Auguste Panseron [37] écrit à son intention et lui dédie une ballade pour chant, violon et piano intitulée Le Songe de Tartini[38], publiée peu après que le violoniste l’a eue créée le 17 février 1829 dans une de ses séances de quatuors et de quintettes [39].
Panseron, auteur de nombreuses romances à succès, ajoute un instrument d’accompagnement à la voix et au piano. Cette combinaison instrumentale ne constitue pas une innovation [40]. En revanche, la partie de violon, assez acrobatique, fait entrer la virtuosité dans la romance. Le sujet est des plus simples. Tartini s’efforce de reproduire de mémoire, sur l’instrument qui l’a rendu célèbre, le morceau que le diable lui a joué. Le mot sonate n’est pas prononcé, ce qui donne à l’auditeur le sentiment d’assister à une sorte d’improvisation dont les formules mélodiques sont variées d’un couplet à l’autre. L’élément qui leur est commun dérive de celui, caractérisé par son trille, qu’on trouve dans la Sonate du diable:

Auguste Panseron, Le Songe de Tartini

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Auguste Panseron, Le Songe de Tartini

20Le sous-titre «ballade» se justifie par le caractère fantastique du morceau qui superpose trois modes de narrativité différenciés, dévolus respectivement au piano, à la voix et au violon. Cette disposition dans laquelle les trois parties sont indépendantes et complémentaires à la fois donne relief à ce qui, en réalité, est une scène dont l’unique personnage parle à la première personne. Le rôle du piano est de dépeindre l’agitation intérieure qui saisit Tartini en train de réinventer sur son violon la musique que lui a fait entendre son serviteur diabolique. La voix est récitante et certaines de ses tournures mélodiques sont anticipées ou reproduites par la partie de violon dont l’écriture est de style concertant. Le plan tonal des trois couplets de la ballade répond au principe d’antithèse que nous avons signalé par l’opposition des tons de mineur et de majeur.

21On peut dire que le texte, dû à Bétourné [41], n’est qu’une mise en action de la musique. Tartini reconnaît à celle-ci le pouvoir de peindre des «feux d’amour qui causent tant de peine» et des «tourments qui font tant de plaisir». Le résultat est d’autant plus efficace que le virtuose ne se livre pas à l’anamnèse pour lui seul. Ce que le diable lui a dicté, il se le remémore violon en main pour l’offrir à un cercle d’amis auxquels il demande de faire silence. Ces amis sont nous-mêmes, auditeurs crédules, qui adhérons sans sourciller à l’exhibition de cet artiste devenu virtuose après s’être assuré le concours du diable [42].
Ce qui frappe dans cette pièce, c’est la différence d’ordre sémantique qui existe entre les paroles mises en musique et la lithographie de Langlumé qui orne la couverture de l’édition. Que représente cette image? Tout le contraire de ce que représentait le dessin de Boilly, d’abord parce que la disposition de la scène est inversée. Un élément du décor a changé: la table de chevet s’est transformée en table de travail avec pupitre et encrier. La chandelle est allumée et c’est sa lumière qui éclaire la scène, tandis que le diable joue au pied du lit, dans la pénombre. Cette fois, plus rien de passif et d’extasié dans l’attitude de Tartini. Tout est chez lui tension et mouvement, enthousiasme et hâte. Le compositeur est montré au saut du lit absorbé dans la transcription de ce que le diable – copie conforme de celui dessiné par Boilly – lui joue. Une convention de représentation indique qu’il s’agit à la fois d’un songe et d’un souvenir: Satan et Tartini se tournent le dos. Ici encore l’image indique de façon plus directe que ne le font les paroles musiquées par Panseron la complémentarité qui existe entre le diable et le compositeur, l’un inspiré par l’autre mais aussi l’application du musicien à raviver le songe. On dirait que, muni de l’archet, Tartini est prêt à se mesurer avec son serviteur comme l’escrimeur intrépide qu’il est aussi dans la réalité. Soustraite à son contexte, l’image acquiert une signification allégorique. Le compositeur n’est plus un, n’est plus seul. Artiste, il ne saurait l’être que «doublé» par le diable qui le fait virtuose.

Le Songe de Tartini, lithographie de Langlumé (BNF Musique)

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Le Songe de Tartini, lithographie de Langlumé (BNF Musique)

22Cette évidence ressort dans une nouvelle à la manière d’Hoffmann, intitulée La Sonate du diable[43]. Bien que Nerval n’en soit pas l’auteur comme on l’a cru jadis, elle est intéressante du point de vue qui nous occupe car elle porte aussi le sceau de «l’inquiétante étrangeté». Le vieux luthier Niéser n’accordera la main de sa fille Esther qu’à celui qui, dans Augsbourg, composera et exécutera la meilleure sonate. Un concours est ouvert. Franz Gortlingen, le soupirant d’Esther, se désespère. N’étant pas musicien il ne pourra tenter sa chance. Il erre dans la ville et une nuit, dans une maison isolée, il surprend un petit vieillard en train d’essayer sur son clavecin un morceau d’une expression merveilleuse. «Écoutez-moi, dit le vieillard. Niéser a fait un serment criminel, en jurant qu’il donnerait sa fille à celui qui composerait la meilleure sonate, fût-elle composée par le diable en personne et exécutée de sa main. […] Prenez ce cahier, entrez dans la salle de Niéser; un étranger se présentera pour disputer le prix, deux autres sembleront l’accompagner; la sonate que je vous donne est la même que celle qu’ils exécuteront, mais la mienne a une vertu particulière: épiez une occasion et substituez celle-ci à la sienne.» Le concours a lieu. Un étranger à la physionomie repoussante, au regard extraordinaire, se présente avec deux exécutants absolument semblables à lui. Franz parvient à substituer sa sonate à celle de l’étranger. Le tour est joué. Franz et Esther se marieront tandis que les trois musiciens diaboliques seront condamnés à jouer la sonate ad vitam æternam et Niéser à leur battre la mesure.

23On constate après tout ce qui vient d’être dit, combien La Sonate du diable et son avatar, Le Songe de Tartini, préparent le public, acquis à l’idée que le démon puisse être le partenaire du virtuose, à voir en Paganini une sorte d’intermédiaire de l’au-delà. La relation à la musique acquiert donc une résonance spéciale dans une France politique où les idéaux de 1789 et ceux de la contre-révolution ne cesseront de se combattre. Le diable est désigné implicitement comme un parricide par les partisans de la monarchie. Ainsi, pour Joseph de Maistre, «il y a dans la Révolution française un caractère satanique qui la distingue de tout ce qu’on a vu, et peut-être de tout ce qu’on verra» [44]. Mais la reconquête de Dieu par le Concordat ne saurait être féconde qu’en posant en principe la dualité qui rend nécessaire une réconciliation avec le diable. «Le christianisme […], écrit Chateaubriand, nous a révélé des esprits de ténèbres machinant sans cesse la perte du genre humain, et des esprits de lumière uniquement occupés des moyens de le sauver. De là un combat éternel, dont l’imagination peut tirer une foule de beautés.» [45] Autrement dit, la Beauté est appelée à naître désormais d’un antagonisme où Dieu et Satan en s’affrontant, collaborent. Désormais le geste artistique véritable devra répondre au principe d’opposition du bien et du mal, de l’ombre et de la lumière, du mineur et du majeur admis comme symboles signifiant la lutte de l’esprit pour faire triompher l’idée à travers le sentiment, ce qui revient à définir le romantisme.

24Ce conflit reconnu nécessaire va influer de façon décisive sur la conceptualisation de la création musicale. Est-il besoin de rappeler que Paganini est le prophète de Liszt qu’un dessin satirique, daté de 1843, désigne comme étant «le diable de l’harmonie» [46], lui qui verra en Méphistophélès une sorte d’alter ego? Alkan fera entrer l’Enfer dans son Duo concertant pour piano et violon op. 21 (1840), Faust dans sa Grande sonate pour piano op. 33 (1847), diables et diablotins dans plusieurs autres pièces, et ainsi de suite.
Des pages comme des images que nous avons feuilletées, nous pouvons retenir que le virtuose est sans cesse obligé, pour atteindre son objectif, de créer à sa mesure les moyens de sa démesure. La virtuosité est une tentation qui implique une tension de l’être vers un dépassement de soi en même temps qu’elle détermine une attitude revendicative du musicien pour se faire reconnaître comme acteur social. Le virtuose n’est pas seulement quelqu’un qui joue, c’est quelqu’un qui s’exhibe en train de jouer. Il fait, de façon ostentatoire, parade de son talent. Il dispute au risque le mérite de la difficulté vaincue, jusqu’à laisser croire que la performance n’est réalisable qu’avec l’aide de quelque puissance occulte. Son aspiration à la transcendance implique la transgression. Le malin lutte avec l’Esprit qui aura le dernier mot. Car si Satan est virtuose, Dieu est artiste.
(CNRS – Institut de Recherche sur le Patrimoine Musical en France)

Notes

  • [1]
    Voir Cécile Reynaud, «Une vertu contestée: l’idéal de virtuosité dans la formation des élèves des classes de piano au Conservatoire de musique (l’époque Cherubini)», dans Emmanuel Hondré (dir.), Le Conservatoire de Paris/Regards sur une institution et son histoire, Association du Bureau des Etudiants du CNSMDP, 1995, p. 109. Même auteur, article «Virtuosité», dans J.-M. Fauquet (dir.), Dictionnaire de la musique en France au xixe siècle, Fayard, 2003, p. 1288.
  • [2]
    Edward Neill, Nicolò Paganini, traduit de l’italien par Sylviane Falcinelli, Fayard, 1991, p. 219.
  • [3]
    «Nicolò Paganini, violoniste extraordinaire, qui semble avoir encouragé l’aspect diabolique de sa réputation». Nigel Edwards Wilkins, La Musique du diable, traduit par Nicole Valencia, Liège, Mardaga, 1999, p. 93.
  • [4]
    Edgar Morin, La rumeur d’Orléans, Seuil, coll. «Essais», 2e éd., 1982, p. 7 et suiv.
  • [5]
    Comtesse Dash, Mémoires des autres, Librairie illustrée, s.d., vol. III, p. 224. Cité par Joseph-Marc Bailbé, «Paganini et Berlioz: le diable et le voyageur», dans Yves Ferraton (dir.), Le Diable en musique, Nancy, Presses universitaires de Nancy, 1999, p. 54.
  • [6]
    «Notice physiologique sur le célèbre violoniste Nicolo Paganini, par le Dr Bennati», La Revue musicale, V, n° 15 (14 mai 1831), p. 113.
  • [7]
    Soit dix toiles, dont cinq seulement nous sont restées, peintes par Théodore Géricault (1791-1824), à l’instigation du Dr Georget, un pionnier de la psychiatrie.
  • [8]
    G. Imbert de La Phalèque, Nicolo Paganini, notice sur le célèbre violoniste, E. Guyot, 1830, p. 53.
  • [9]
    Réplique de la comtesse dans Paganini en Allemagne, à-propos anecdotique en un acte mêlé de couplets de MM. Desvergers et Varin, créé au Théâtre des Nouveautés le 10 avril 1831, Bréauté, 1831, p. 18.
  • [10]
    Paganini donnera à Paris en 1831 onze concerts et sept en 1832.
  • [11]
    La Revue musicale, V, n° 12 (23 avril 1831), p. 94-95.
  • [12]
    François-Joseph Fétis, article «Paganini», Biographie universelle des musiciens […], 2e éd., t. VI, Firmin Didot, 1875, p. 410-412.
  • [13]
    «Versickeln sie sieh nicht in zu vielen Details. Meine Biographie ist weit mehr zu erfinden als nachzuschreiben.» Billet autographe sans date, reproduit dans Zsigmond László et Bélá Mátéka, Franz Liszt par l’image, Budapest, Corvina, 1978, p. 225.
  • [14]
    Le Streghe, variations sur un thème tiré du ballet «Il Noce di Benevento» [Le Noyer de Bénévent] de F. Süssmayr, op. 8, composé en 1813.
  • [15]
    Hector Berlioz, Huit scènes de Faust op. 1 (1828-1829).
  • [16]
    De l’aveu de Delacroix lui-même, elles sont inspirées par une représentation du Faust de Ludwig Spohr à Londres en 1825.
  • [17]
    Sigmund Freud, «Le motif du pacte avec le diable», Une névrose diabolique au xviie siècle dans L’inquiétante étrangeté et autres essais, Bertrand Féron (trad.), Gallimard, coll. «Folio Essais», 1985, p. 283 et suiv.
  • [18]
    Johann Peter Theodor Lyser, pseudonyme de Ludwig Peter August Burmeister (1803-1870), dessinateur et écrivain. Heine le dit sourd et fou. Il laisse de Paganini plusieurs croquis jugés les plus ressemblants par les contemporains. Voir dans ce numéro la première illustration de l’article d’Anne Penesco.
  • [19]
    En réalité Moritz von Retzsche (1779-1857), peintre néo-classique qui illustra le Faust de Gœthe dès 1808 et, sur les conseils du poète, en tira une suite de gravures publiées en 1816, largement diffusées en Allemagne et en France.
  • [20]
    Wagner est le famulus de Faust.
  • [21]
    George Harrys (1780-1838), fils d’un banquier de Hanovre, Salomon Michael David, fut engagé par Paganini comme secrétaire-impresario. Il publiera en 1830 un précieux livre de témoignage sur le violoniste, Paganini in seinem Reisewagen und Zimmer […]. Voir Neill, ouvr. cité, p. 236 et note 16.
  • [22]
    Henri Heine, Les Nuits Florentines, dans Reisebilder – Tableaux de voyage –, nouvelle édition […] précédée d’une étude […] de Théophile Gautier, Œuvres complètes, t. II, Calmann Lévy, 1895, p. 318-319.
  • [23]
    Heine, ouvr. cité, p. 321.
  • [24]
    Aloysius Block, «Les Deux notes», L’Artiste, I (1831), p. 116. Cité par Wilkins, ouvr. cité, p. 126-127.
  • [25]
    Heine, ouvr. cité, p. 320.
  • [26]
    Freud, ouvr. cité, p. 230.
  • [27]
    Freud cite textuellement les deux vers 3540 et 3541 du premier Faust de Gœthe: «Sie fühlt, dass ich ganz sicher ein Genie, /Vielleicht wohl gar der Teufel bin.»
  • [28]
    Voir Max Milner, Le Diable dans la littérature française de Cazotte à Baudelaire, 2 vol., José Corti, 1960.
  • [29]
    Jean Mongrédien, «L’apparition du diable sur la scène de l’opéra français au début du xixe siècle», dans Le Diable en musique, 1999, p. 15-23.
  • [30]
    Jérôme de Lalande, Voyage d’un Français en Italie fait dans les années 1765 et 1766, Paris-Venise, Desaint, 1769, t. VIII, p. 293-294. Cité par Alexandre Choron et François Fayolle, Dictionnaire historique des musiciens […], article «Tartini», t. II, Valade, nov. 1811, p. 357-360, avec des variantes de transcription. Repris par Fétis, voir note 12.
  • [31]
    Jean-Baptiste Cartier (1765-1841), L’Art du violon, ou Collection choisie dans les Sonates des Écoles itallienne [sic], Françoise et Allemande […], A l’Accord Parfait, Decombe, [ca 1796], p. 263 et suiv.
  • [32]
    Choron et Fayolle, art. cité.
  • [33]
    Louis-Léopold Boilly (1761-1845), peintre qui excella dans le portrait et la scène de genre, en observateur attentif des pratiques musicales tant savantes que populaires.
  • [34]
    Plus tard, Jules Boilly reprendra le même sujet, gravé par A. Rose, en inversant le dessin de son père et en le traitant dans un style plus tourmenté. Voir «Musiciens célèbres», Magasin pittoresque, t. VIII, n° 41 (octobre 1840), p. 321.
  • [35]
    Dans le n° 3 en mi mineur des Caprices pour violon seul op. 1 (1820).
  • [36]
    Choron et Fayolle, ouvr. cité, t. II, p. 360.
  • [37]
    Auguste Panseron (1795-1859). Élève de Gossec et de Berton, il obtint le premier grand prix de Rome en 1813. Il se perfectionna en Italie puis en Allemagne. De retour en France, il fit représenter plusieurs opéras-comiques, écrivit près de deux cents romances et des œuvres religieuses. Nommé professeur de solfège (1826), de vocalisation (1831) puis de chant (1836) au Conservatoire, il a publié des ouvrages théoriques longtemps utilisés.
  • [38]
    On indique généralement que cette pièce a été publiée vers 1840. Or sa parution est mentionnée dans La Revue Musicale du 17 avril 1830, p. 22.
  • [39]
    Voir Joël-Marie Fauquet, Les Sociétés de musique de chambre à Paris de la Restauration à 1870, Aux Amateurs de Livres, 1986, p. 58 et 243. Fait notable, François-Antoine Habeneck la jouera dans un concert de Panseron, salle Taitbout, le 30 mars 1830. L’œuvre est mentionnée comme «romance dialoguée avec accompagnement de violon concertant» (La Revue musicale, t. VII (3 avril 1830), p. 266).
  • [40]
    Voir Frédéric Robert, article «Romance et mélodie avec instrument», dans J.-M. Fauquet (dir.), Dictionnaire de la musique en France au xixe siècle, ouvr. cité, p. 1081-1082.
  • [41]
    Le nom d’Ambroise Bétourné (1795-1838), chansonnier et auteur de nombreux textes de romances, ne figure pas sur l’édition originale du Songe de Tartini, mais il est mentionné dans l’annonce de la publication de l’œuvre faite par La Revue musicale (voir note 38).
  • [42]
    Les trois couplets sont ceux-ci: 1er couplet «Je crois encor et le voir et l’entendre/Il était là debout à mon chevet/Ce n’est qu’un songe et pourtant je veux rendre/Les sons hardis de l’infernal archet/Amis faites silence/J’ai retenu chaque cadence/Mes amis voilà comme le diable préluda/C’est cela, c’est cela/Oui voilà comme le diable préluda. 2e couplet. Pour l’écouter je respirais à peine/Car il peignait au gré de mon désir/Ces feux d’amour qui causent tant de peine/Et ces tourments qui font tant de plaisir./ Amis faites silence etc./ 3e couplet. Puis tout à coup déployant son génie/Il célébra la gloire des vainqueurs/Et de ses chants la sublime harmonie/Doit enflammer, doit ravir tous les cœurs/Amis faites silence/J’ai retenu chaque cadence/ Mes amis voilà comme le diable termina/C’est cela, c’est cela,/Oui voilà comme le diable termina,/C’est cela, c’est cela.»
  • [43]
    Son auteur est Samuel-Henri Berthoud (1804-1891) qui l’a publiée dans le Mercure de France au xixe siècle, XXVIII (1830), p. 73 et suiv. Elle a été reprise par Henri Bachelin dans Gérard de Nerval, La Sonate du diable […] suivie de divers inédits, Bernouard, 1927.
  • [44]
    Joseph de Maistre, Considérations sur la France suivi de Essai sur le principe générateur des constitutions politiques, présentation de Pierre Manent, Éditions Complexe, 1988, p. 69.
  • [45]
    François-René de Chateaubriand, Génie du christianisme, Louis Louvet éd., IIe partie, chap. VI, coll. «Chefs-d’œuvre de la littérature», Librairie Garnier frères, 1939, p. 233.
  • [46]
    «Le galop chromatique exécuté par le diable de l’harmonie, le 18 avril 1843», aquarelle anonyme, Bibliothèque-musée de l’Opéra de Paris.
Français

Résumé

Doit-on, au nom de l’objectivité scientifique, rejeter l’apport de la légende dans la construction de l’image du virtuose? Pour répondre à la question, on envisage le cas de Nicolò Paganini dont le talent prodigieux subjugua les foules au point de les persuader que le diable était maître du jeu. L’étude de quelques exemples pris dans la littérature et dans l’iconographie de l’époque montre que l’idée d’une identification du virtuose au diable naît au xviiie siècle d’une expérience vécue par un autre violoniste, Giuseppe Tartini. Ainsi la collaboration du musicien et du démon devient, sous le symbole du «double», la condition d’un art dont la transcendance implique la transgression. Le mythe de Faust la renforce avant que le concept de «l’inquiétante étrangeté» formé par Sigmund Freud l’explicite. Au-delà de l’anecdote, la légende du virtuose ayant pactisé avec le diable désigne donc un phénomène culturel aux connotations multiples. Loin de nous éloigner de la réalité musicale il nous en rapproche, tout en montrant combien la fonction socioartistique du virtuose romantique comme médiateur est irremplaçable.

English

Abstract

Should we, in the name of scientific objectivity, reject the role played by legend in the construction of the image of the virtuoso? In order to reply to this question, we consider the case of Nicolo Paganini, whose talents were so prodigious as to persuade the public that the real master of ceremonies was the devil. Examination of several examples taken from the literature and iconography of the era demonstrates that the identification of the virtuoso with the devil was born, in the eighteenth century, of an experience lived by that earlier celebrated violinist who was Giuseppe Tartini. Thus did the collaboration of a musician with a demon become, as symbolized by the notion of a “double”, a fundamental aspect of an art whose very transcendence implied transgression. The Faust myth reinforced this notion well before Freud’s concept of “Umheimlichkeit” or “uncanny strangeness” explained it. Above and beyond so many anecdotes, the legend of the virtuoso making a pact with the devil thus designates a cultural phenomenon with multiple connotations. Far from taking us away from musical reality, it actually draws us nearer to it, while simultaneously demonstrating how the socio-artistic function of the romantic virtuoso as mediator is necessary and unique.

Joël-Marie Fauquet
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/01/2010
https://doi.org/10.3917/rom.128.0035
Pour citer cet article
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