CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Il a fallu du temps pour que le mot de «virtuose» (attesté en France vers le milieu du xviie siècle, sous sa forme française, mais aussi sous la forme italienne de virtuoso[1]) ou ses équivalents allemands ou anglais – en viennent à désigner les réalités auxquelles il s’applique essentiellement aujourd’hui: le musicien exécutant doué d’une technique brillante. L’art musical n’est devenu la spécialité du virtuose que dans les premières décennies du xixe siècle. Entre la deuxième édition du Dictionnaire de l’Académie française, en 1718, qui entérine, tardivement, l’apparition du mot, et la cinquième, en 1772, la définition ne change pas: «adj. de tout genre. Mot emprunté de l’italien, pour dire, Un homme ou une femme qui ont des talents pour les arts: comme la Musique, la Peinture, la Poésie, etc. C’est un virtuose, c’est une virtuose» [2]. Un infléchissement vers la musique est perceptible dans l’édition de 1835: «Virtuose, substantif des deux genres; mot emprunté de l’italien, qui signifie, Un homme ou une femme qui a des talents pour les Beaux-Arts, et particulièrement pour la musique. C’est un virtuose, c’est une virtuose.» [3] Ce glissement vers la spécialisation musicale, enregistré par l’Académie en 1835, était déjà bien sûr entré dans la langue: le dictionnaire de Claude Victor Boiste, par exemple, donne exactement la même définition du mot, dès 1808 [4].

2En arrivant à désigner essentiellement le domaine musical, le «virtuose» semble avoir perdu, ou du moins vu se modifier les mérites qu’on lui reconnaissait jusque-là. Le sens du mot, à son origine, comportait en effet d’autres qualités que celle du talent pour les Beaux-Arts – en particulier celle que supposait le lien à son étymologie: virtus, dérivée du vir latin. Walter von Wartburg le souligne [5], virtus, «vertu» en français depuis le xiie siècle, comporte deux sens principaux: celui de «qualité qui rend propre à produire certains effets» (courage, force physique, force intellectuelle), et celui de «pratique habituelle du bien». Tels seront aussi les sens pris par l’adjectif correspondant, «vertueux». Ce dernier peut donc qualifier, outre l’homme de bien, le savant, l’artiste ou l’amateur d’art: don artistique et vertu morale sont encore indissociablement liés par ce mot. Ils le sont toujours dans les premiers emplois en français de virtuoso[6]: il y a chez le virtuose une volonté de perfectionnement et d’authenticité qui témoignent en quelque sorte de sa capacité à concevoir le bien. Ainsi Madame de Sévigné, par exemple, peut-elle écrire: «Madame la dauphine est tout à fait aimable, […] son esprit la pare, […] elle est virtuose (elle sait trois ou quatre langues) […]» [7].

3Apparemment, le lien de la virtuosité musicale avec l’éthique n’était pas perdu au début du xviiie siècle. En 1703, dans l’un des premiers ouvrages français du genre, le Dictionnaire de musique de Sébastien de Brossard, apparaissent ces définitions:

4

Virtù veut dire en italien non seulement cette habitude de l’âme qui nous rend agréables à Dieu et nous fait agir selon les règles de la droite raison, mais aussi cette supériorité du génie, d’adresse ou d’habileté, qui nous fait exceller soit dans la théorie, soit dans la pratique des Beaux-Arts, au-dessus de ceux qui s’y appliquent aussi bien que nous. C’est de là que les Italiens ont formé les adjectifs virtuoso, ou virtudioso, au fém. virtuosa, dont même ils font souvent des substantifs pour nommer, ou pour louer ceux à qui la Providence a bien voulu donner cette excellence ou cette supériorité. Ainsi selon eux un excellent peintre, un habile architecte, etc. est un virtuoso; mais ils donnent plus communément et plus spécialement cette belle épithète aux excellents Musiciens, et entre ceux-là, plutôt à ceux qui s’appliquent à la théorie, ou à la composition de la musique […], de sorte que dans leur langage, dire simplement qu’un homme est un virtuoso, c’est presque toujours dire que c’est un excellent Musicien. Notre langue n’a que le mot illustre qui puisse en quelques manières répondre au Virtuoso des Italiens, car pour celui de vertueux, l’usage ne lui a pas encore donné cette signification, du moins en parlant sérieusement. [8]

5Brossard dote lui aussi son virtuoso musicien de vertu: c’est qu’il l’envisage sous l’angle du savoir musical, de la connaissance des règles théoriques de la composition, et non de l’exécution habile. C’est sur la virtuosité comprise dans cette dernière acception, et considérée comme une fin en soi, que pèsera très tôt la condamnation de la critique. Il semble qu’à partir du moment où l’instrumentiste soliste prend une place de plus en plus importante dans la vie musicale, où son activité se développe sans qu’y soit absolument nécessaire la connaissance des règles de composition ou de théorie, le virtuose désigne non plus le savant en musique, mais l’exécutant très habile. La dissociation entre art et éthique est alors consommée, et «virtuose» qualifierait à partir de ce moment un nouvel «homme de talent»: celui chez qui don, d’une part, morale et savoir, de l’autre, ne marchent plus forcément de pair [9].

6C’est autour de cette dissociation que s’anime la discussion et que s’articulera la critique sur la pratique virtuose. Employé d’abord comme louange, dans la mesure où il reliait la création artistique à une activité savante ou à un but moral, le mot virtuoso se serait donc ensuite spécialisé dans des usages péjoratifs, désignant les démonstrations superficielles de capacité technique, exécutées au détriment de l’expression et de la cohérence d’une composition musicale.

7Il n’est pas aisé de définir précisément l’époque où ce tournant aurait eu lieu. La pratique virtuose existe évidemment bien avant l’apparition du mot, elle est inhérente à l’exercice, vocal ou instrumental, qui consiste à rechercher la difficulté technique pour la dépasser. Et comme telle, elle a toujours été décriée. On peut cependant voir se développer particulièrement cette virtuosité brillante à la fin du xviiie siècle, à l’époque où l’instrumentiste soliste arrive sur une scène qui n’est plus seulement l’espace des salons aristocratiques ou des cours royales: lorsque le concert, ouvert maintenant à un public plus large, se met à confronter un instrumentiste seul à un auditoire jusque-là habitué à voir se succéder airs d’opéras, morceaux d’orchestre, passages pour chœurs, et, au milieu de cette succession seulement, espaces de temps réservés aux solistes. L’histoire sociale de la musique fait correspondre ce moment à celui où décline le patronage des cours et des salons aristocratiques. Joël-Marie Fauquet, par exemple, remarque que «le musicien n’est plus le sujet d’un prince à qui son œuvre, exécutée dans les limites imposées d’une commande, est due, ou qui doit exercer son talent d’exécutant suivant les termes d’un contrat. […] il lui est dorénavant nécessaire de maintenir une relation directe entre ce qu’il crée et le moyen de le divulguer. Pour tous, le problème est le même: atteindre un public et savoir retenir son attention. Aucun artiste, désormais, ne pourra œuvrer sans tenir compte des réactions de ce public» [10].

8Ce contexte rend plus difficile aux musiciens professionnels, qui avaient vu disparaître leurs traditionnels soutiens, d’accéder au public. Le concert virtuose devint alors la voie royale pour parvenir à en être reconnu: Paganini ou, un peu plus tard, Liszt, obtiennent cette approbation par leurs capacités exceptionnelles d’instrumentistes. On leur ouvre des salles jusque-là réservées à des concerts de grand effectif: Paganini se produit en soliste à l’Académie royale de musique (c’est-à-dire dans la salle de l’Opéra, rue Le Peletier) lors de sa tournée à Paris en 1831-1832. Liszt, marchant sur ses traces, donne un récital à La Scala de Milan, le 10 décembre 1837; alors qu’il exécute l’une de ses Études d’exécution transcendante, un spectateur lui crie d’ailleurs – signe sans doute que la virtuosité lisztienne n’était pas perçue comme un simple divertissement –: «Je viens au théâtre pour me divertir, et pas pour étudier!» [11] Durant ses tournées italiennes et viennoises en 1837-1838, le pianiste se produit dans plusieurs salles destinées aux concerts symphoniques ou lyriques, élargissant le programme de ces récitals (non sans courage si l’on pense à la réaction de l’auditeur milanais), normalement consacrés aux fantaisies sur des airs d’opéras à la mode, qui auraient sans doute davantage séduit son public: ses Études, certes virtuoses, mais d’un genre plus sévère, y seront entendues plus d’une fois. Jouer en soliste dans ces salles revenait à prétendre qu’un instrumentiste isolé, jouant du piano ou du violon, pouvait rivaliser avec les sonorités d’un orchestre, additionné éventuellement de voix solistes et de chœurs, et que cet homme seul, sur ces scènes immenses d’opéra, pouvait susciter avec son instrument un intérêt équivalent à celui d’un drame tout entier: on comprend donc que, dans ces conditions, l’interprète ait dû rechercher, pour capter l’attention de ce public qui ne lui était pas encore gagné, la démonstration brillante de la virtuosité [12].

9Si le développement exponentiel de la virtuosité est donc vraisemblablement lié à l’éclosion du concert de soliste, dans les premières décennies du xixe siècle en Europe, sa présence néanmoins peut être repérée bien avant, dans les représentations d’opéras où faisait fureur le talent des castrats, dans des concerts privés où la curiosité des princes était attisée par les performances de musiciens hors de pair, chanteurs ou instrumentistes.

10Un écrit, par exemple, fait date dans la critique de la virtuosité vocale au début du xviiie siècle: le Teatro alla moda du compositeur Benedetto Marcello, opuscule satirique publié d’abord anonymement en 1720, qui traite de la vanité de l’exécution virtuose et de son pendant, le désintérêt pour la composition musicale bien menée. L’ouvrage, très lu en Italie durant tout le xviiie siècle, influença en France la critique de la virtuosité, après que la Revue et Gazette musicale de Paris eut publié une biographie de Marcello en 1839 [13]. On lit dans ce pamphlet, en filigrane de la caricature, ce qu’un compositeur pouvait refuser dans la pratique virtuose de ses interprètes – en premier lieu tout ce qui, dans une ornementation destinée à mettre en valeur les capacités du chanteur, pouvait aller contre le sens de l’œuvre, et rendre en particulier incompréhensible le texte chanté d’une œuvre lyrique, en brouiller la progression dramatique:

11

Il n’est pas nécessaire que [le virtuose moderne] sache lire ni écrire, qu’il prononce bien les voyelles, qu’il exprime correctement les consonnes, simples ou doubles, qu’il comprenne le sens des paroles, etc.; il devra, au contraire, confondre les mots, les lettres, les syllabes, etc., pour arriver à faire des traits de bon goût, des trilles, appoggiatures, cadences, etc., etc.
[…] Lorsqu’il sera en scène avec un autre acteur, qui, suivant les exigences du drame, s’adressera à lui en chantant un air, il n’y fera pas attention; il saluera les masques dans les loges, sourira aux instrumentistes et aux comparses, afin que le public comprenne bien qu’il est le signor Alipio Forconi, musico, et non le prince Zoroastre qu’il représente.
Tant que durera la ritournelle de son air, il se promènera, prendra du tabac, dira à ses amis qu’il n’est pas en voix, qu’il est enrhumé, etc. Quand il chantera, il n’oubliera pas qu’il peut s’arrêter sur la cadence aussi longtemps qu’il le voudra et faire des traits, des fioritures, des gargouillades à sa fantaisie; pendant ce temps, le maître de chapelle laissera là le clavier, prendra une prise et attendra qu’il plaise au chanteur de vouloir bien finir. Celui-ci reprendra haleine plusieurs fois avant de terminer par un trille qu’il battra le plus vivement possible dès le commencement, sans le préparer par une mise en voix et en recherchant surtout les cordes les plus aiguës. [14]

12Trilles, appoggiatures, cadences, traits, fioritures sont en effet autant d’ornements musicaux par lesquels on attendait que le chanteur fasse briller son talent – tant par sa dextérité que par son sens musical: mais ils interrompaient évidemment le flux de l’œuvre dramatique. Devenant une fin en soi, ils faisaient passer l’œuvre derrière l’interprète.

13Si le blâme adressé au chanteur virtuose se fonde sur la destruction du sens de l’œuvre qu’il est capable d’opérer, le cas du virtuose instrumentiste est un peu différent. On attendait d’un interprète de talent, au xviiie siècle, qu’il fût capable de composer – un instrumentiste exécutait d’abord ses propres œuvres, et c’est seulement plus tard que les pianistes, par exemple, se mirent à interpréter en concert public les œuvres d’autrui [15]. Cet interprète de talent devait aussi être capable de construire une œuvre en improvisant sur son instrument d’après un thème donné, véritable épreuve qui consistait à construire intellectuellement l’œuvre tout en l’interprétant; il devait aussi pouvoir déchiffrer à première vue les partitions qu’on lui proposerait. C’est dans la mesure où il était remarquablement capable d’affronter ces différentes difficultés que Mozart, par exemple, fut perçu comme un interprète virtuose par ses contemporains. Et il faut noter que la fascination qu’il exerça sur les publics aristocratiques devant lesquels il se produisit enfant est due tout autant à ses dons de musicien savant, comme on vient de l’expliquer, à ses dons de compositeur et d’improvisateur, qu’à son habileté extraordinaire d’instrumentiste. Comme le souligne Katalin Komlos, toutes les apparitions publiques de Mozart, «depuis l’âge de six ans, consistaient en déchiffrage, improvisation, transposition, et ainsi de suite. […] Il faut mettre au crédit de l’Europe contemporaine que la renommée sans précédent du jeune Mozart était due davantage à son sens fabuleux de l’art musical qu’à sa dextérité à jouer d’un instrument à clavier ou du violon. De Paris à Londres, de Vienne jusqu’en Italie, il jouait tout type de musique à première vue, improvisait une mélodie sur une basse donnée, improvisait un accompagnement sur une mélodie donnée et brodait dans un style contrapuntique» [16].

14Mozart lui-même semble avoir été bien conscient de ce qui opposait son propre talent musical – savant en composition, habile en interprétation – à celui de certains de ses contemporains virtuoses, dont il juge sévèrement le charlatanisme. Un épisode de sa carrière musicale le montre. Lorsqu’il fut opposé au compositeur et claveciniste Muzio Clementi, en décembre 1781, dans une sorte de joute musicale au pianoforte organisée à Vienne par la cour de l’Empereur Joseph II, c’est bien la démonstration de la virtuosité de l’un et de l’autre qui était en question (on leur demanda de «préluder» – c’est-à-dire d’improviser pour essayer l’instrument sur lequel ils allaient jouer – puis d’exécuter des œuvres de leur composition, puis de nouveau d’improviser sur un thème extrait d’une sonate de Paisiello) [17]. La correspondance de Mozart avec son père se fait l’écho de cette compétition:

15

Passons à Clementi. – C’est un brave claveciniste. – Mais c’est bien tout. – Il a une grande agilité dans la main droite. – Ses meilleurs passages sont les tierces. – Par ailleurs il n’a ni goût ni sentiment pour un kreutzer. – Un simple Mechanicus. [18]

16Mozart y pense encore un an et demi plus tard, en conseillant sa sœur qui désire jouer les sonates de Clementi:

17

Clementi est un ciarlattano, comme tous les Italiens. – Il écrit presto une sonate, et même Prestissimo et alla breve – mais il joue Allegro en mesure 4/4; je le sais, car je l’ai entendu. – Ce qu’il fait très bien, ce sont les passages en tierces; – mais pour cela, il a sué nuit et jour à Londres; – en dehors de cela, il n’a rien – rien du tout – par la moindre expression, pas de goût, et encore moins de sentiment. [19]

18«Mechanicus», ou «charlatan»: du moins le premier qualificatif reconnaît-il l’habileté, fût-elle entièrement dénuée de sens, acquise à la sueur du front de l’interprète. Le mépris que Mozart marque pour le travail technique sans doute acharné par lequel Clementi parvenait à l’exécution virtuose montre qu’il appartenait à un autre monde musical que celui dans lequel évolueront les virtuoses du siècle suivant, auxquels Clementi a ouvert la voie. Ce dernier, de son côté, est l’auteur de la première méthode de pianoforte, Gradus ad Parnassum (1817), dans laquelle il explore les possibilités d’atteindre la plus grande vélocité possible sur cet instrument; en ce sens, il est le père de la génération de pianistes qui allaient traverser la première moitié du xixe siècle en Europe: il fut le professeur de Hummel, qui eut lui-même pour élève Czerny, le premier professeur de piano de Franz Liszt.

19Pourtant, même si les virtuoses romantiques sont redevables à Clementi de ses recherches techniques, tout différent est leur univers, car il est marqué d’abord par la volonté d’explorer toutes les ressources permises par de nouveaux instruments. On l’a déjà souligné, l’importance prise par la virtuosité (le violon et le piano furent ses principaux intermédiaires, mais on compte aussi des «Paganini» de la flûte – Tulou par exemple, ou de la harpe, comme Parish-Alvars) peut s’expliquer par la nécessité, pour ces instrumentistes professionnels, de conquérir un nouveau public. Mais les progrès dans la facture instrumentale expliquent aussi ce phénomène. Le dur travail quotidien (dans lequel il mêle apprentissage intellectuel et musique) auquel s’astreint Liszt est bien connu et il ne conçoit aucune gêne à l’avouer, comme en témoigne cette lettre écrite en 1832, au lendemain d’un concert de Paganini:

20

Voici quinze jours que mon esprit et mes doigts travaillent comme deux damnés, = Homère, la Bible, Platon, Locke, Byron, Hugo, Lamartine, Chateaubriand, Beethoven, Bach, Hummel, Mozart, Weber sont tous à l’entour de moi. Je les étudie, les médite, les dévore avec fureur; de plus, je travaille 4 à 5 heures d’exercices (3ces, 6tes, 8taves, trémolos, notes répétées, cadences, etc.) […] [20].

21La curiosité et l’ingéniosité des facteurs – en particulier de piano – font aussi comprendre cette volonté toujours plus grande de tirer parti des inventions de la facture instrumentale: dans le domaine du clavier, fabricants et pianistes collaborèrent. Liszt, à son arrivée à Paris, fut un «artiste Erard», c’est-à-dire qu’il se produisait en concert dans les salons du facteur de piano, ouverts à côté de son atelier, y faisant entendre les produits de la maison [21]. Cette collaboration était à double sens: la renommée de Liszt retentit sur les pianos Erard, mais d’un autre côté le pianiste put influencer l’évolution de la construction de ces instruments et les faire correspondre, plus ou moins, à ce dont sa technique virtuose avait besoin. Ainsi, on le voit rechercher durant toute sa carrière un instrument qui réunisse deux qualités: la puissance du son, pour pouvoir emplir des salles de plus en plus grandes, la légèreté du mécanisme, pour pouvoir jouer avec plus de vélocité au prix d’une moindre fatigue. Or, ces deux qualités sont contradictoires car un son puissant demande des marteaux et un mécanisme plus lourd; aussi fallut-il à Erard bien des tâtonnements pour se rapprocher de cette exigence (qui n’était d’ailleurs pas propre seulement à Liszt), et l’on peut lire dans une lettre du pianiste à Pierre Erard, en 1845, après qu’il eut joué sur un nouveau modèle: «Admirable! […] ce piano montre l’union des qualités qui semblent s’exclure: une extrême légèreté de toucher avec un volume de son puissant… Après trois concerts consécutifs de sept solos chacun, je n’ai pas ressenti la moindre fatigue dans les doigts, et, sauf erreur, je ne crois pas que j’aie manqué un seul passage. C’est la première fois qu’une telle chose m’arrive avec ces magnifiques instruments d’Erard […]» [22].

22Le but poursuivi par les virtuoses du siècle nouveau, dont Liszt est le parangon, est différent de celui de leurs prédécesseurs – Mozart comme d’ailleurs Clementi: en fait partie une curiosité réelle pour les nouvelles possibilités techniques offertes par les nouveaux instruments; et pour les explorer, Liszt et ses compagnons virtuoses s’adonnent à un travail technique sans précédent.

23Il est une autre différence qui éloigne la virtuosité romantique de celle des siècles passés: la floraison de la virtuosité instrumentale suppose en effet un goût croissant du public pour la musique dite «pure», c’est-à-dire celle qui ne prend plus les mots pour support. L’opposition entre les deux types de création musicale a suscité bien des débats au siècle précédent, qui considérait la musique dramatique – véritablement capable d’être un art d’imitation – comme un genre plus noble que la musique instrumentale: pour Rousseau, «la parole est le moyen par lequel la musique détermine le plus souvent l’objet dont elle nous offre l’image, et c’est par les sons touchants de la voix humaine que cette image éveille au fond du cœur le sentiment qu’elle doit y produire. Qui ne sent que la pure symphonie dans laquelle on ne cherche qu’à faire briller l’instrument, est loin de cette énergie? […] Je n’oublierai jamais la saillie célèbre de Fontenelle, qui se trouvant excédé de ces éternelles symphonies, s’écria tout haut dans un transport d’impatience: Sonate, que me veux-tu?» [23]

24Est-ce sous l’influence des textes sur la musique d’E.T.A. Hoffmann, partiellement traduits en France autour de 1830 ? Il semble que l’essor de la musique instrumentale vienne particulièrement illustrer ce qu’on a pu appeler l’«autonomisation» de l’art [24] – en particulier par rapport à l’imitation de la nature: le Beau idéal devient alors non plus l’imitation la plus parfaite possible de la nature, mais la réalisation de l’imagination de l’artiste. L’idée d’une supériorité de la musique «pure» sur les autres formes de musique est sans aucun doute liée à cette idée d’autonomisation de l’art. Et ce texte où Hoffmann commente la Cinquième symphonie de Beethoven le montre: «Lorsqu’on parle de la musique comme d’un genre autonome, on ne devrait jamais penser qu’à la musique instrumentale qui, méprisant toute aide et toute intervention extérieure, exprime avec une pureté sans mélange cette quintessence de l’art qui n’appartient qu’à elle, ne se manifeste qu’en elle. Elle est le plus romantique de tous les arts – on pourrait presque affirmer qu’elle seule est vraiment romantique.» [25]

25Ainsi la virtuosité, relevant de la musique «pure» et autonome, de l’art conçu comme création et non comme imitation, semblerait-t-elle devoir être par là même sauvée des critiques qui l’accusent de «charlatanisme». Elle sera pourtant critiquée, du fait justement de son statut autonome, de toute part, et subira paradoxalement une double condamnation. Les partisans de la musique pure, qui pourraient la reconnaître, vont la décrier: fondée sur l’exécution, elle ne serait que recherche de l’effet, et pourrait être alors comprise comme une variation pianistique de la virtuosité vocale d’un Rossini. Quant aux parti sans de la musique vocale, ils verront bien sûr en elle un avatar de cette musique de pur divertissement qu’a toujours été pour eux la musique instrumentale.

26Cependant les virtuoses eux-mêmes ont pris la parole pour défendre leur art et lui faire trouver sa véritable place. Ce plaidoyer est en général le fait d’instrumentistes hors pair, tels que Liszt, qui vont revendiquer pour leur art le statut de création artistique, et pour eux-mêmes celui d’artistes visionnaires, inventeurs de formes.

27La virtuosité de Liszt, selon les propres paroles du pianiste, prend pour modèle celle du violoniste Paganini. Ainsi cette lettre à Pierre Wolf, citée plus haut, et qui commençait en affirmant la nécessité du labeur pour le virtuose, continue-t-elle par l’affirmation de la fraternité entre virtuose et artiste créateur:

28

Ah! Pourvu que je ne devienne pas fou – tu retrouveras un artiste en moi! Oui, un artiste, tel que tu demandes, tel qu’il en faut aujourd’hui! «Et moi aussi je suis peintre», s’écria Michel-Ange la première fois qu’il vit un chef-d’œuvre… quoique petit et pauvre, ton ami ne cesse de répéter ces paroles du grand homme depuis la dernière représentation de Paganini. […] quel homme, quel violon, quel artiste! Dieu, que de souffrances, de misère, de tortures dans ces quatre cordes! [26]

29Cette virtuosité au piano va devoir se chercher une définition bien à elle, une identité. Ni chantable ou proche de la monodie vocale, comme la virtuosité du violon, ni pour autant musique instrumentale purement décorative, cette virtuosité-là va devoir s’inventer un statut original entre ces deux tendances. Elle ne recherche plus la proximité du chant pour se faire accepter; elle n’accepte pas plus d’être considérée comme un pur ornement, un sous-produit de l’art musical en quelque sorte. Sous les mains et sous la plume de Liszt naît une sorte de «défense et illustration» du virtuose. La virtuosité lisztienne, qui avait été proche dans ses débuts de l’esthétique de Rossini – dans laquelle le texte musical est fonction de l’exécution, et non l’inverse –, va rapidement s’éloigner d’une production où tout l’intérêt réside dans l’exécution: en tant qu’elle est recherche, exploration des possibilités les plus extrêmes de l’instrument, elle accède à la dignité de la création.

30La virtuosité instrumentale, à l’époque romantique, prend donc une forme différente, et se fixe d’autres objectifs. Si l’ornementation avait été la première technique de développement employée par la virtuosité vocale comme instrumentale (en particulier au violon), elle fait place dans la période suivante à une virtuosité qui trouvera dans l’esthétique romantique un cadre parfait pour ses inventions:

31

La virtuosité moderne au violon, qui entre dans l’histoire de la musique en tant qu’art, naquit au xviie siècle; en revanche, les prémisses de la virtuosité pianistique, qui acquit une importance analogue, sont une des conséquences que le Sturm und Drang du xviiie tardif eut dans le champ musical. À côté de la figure ornementale, qui représentait un élément naturel, devait se développer une seconde caractéristique constitutive pour que naisse une virtuosité de grand style qui ne fût pas seulement parasitaire, ou simple technique décorative. Si la virtuosité violonistique du xviie siècle avait trouvé sa nourriture dans la monodie, la virtuosité pianistique trouva dans le style rhapsodique, expressif, du Sturm und Drang – dont la forme typique idéale était la libre fantaisie –le champ adapté au jeu des passages et des figurations dont il avait besoin pour devenir un phénomène qui entrât de droit dans l’histoire de la composition. [27]
La virtuosité, dès lors, n’est plus seulement pour Liszt une découverte technique, mais une manière de résoudre une contradiction: le virtuose, adepte du style brillant, ornemental, jusqu’alors typique de la virtuosité, entrait en concurrence, dans la personne de Liszt, avec le compositeur romantique, admirateur de la musique d’avant-garde, de celle de Berlioz [28] par exemple:
Quand il entendit Paganini jouer à Paris, en 1830, Liszt fut pris d’un violent désir de l’imiter, comme d’une obsession, au point que cet état d’esprit trouve une seule explication: que le modèle de Paganini lui ait fait trouver la possibilité de résoudre un problème qui le tourmentait, sans en avoir pleine conscience. Il est indiscutable que la technique violonistique de Paganini lui a suggéré l’idée d’une technique pianistique dont ses contemporains, comme Thalberg, Kalkbrenner ou Dreyschock, n’avaient pas la moindre idée. Pour Liszt, […] le point décisif n’était pas la technique (même s’il ne faut pas sous-évaluer l’effort de transformation en technique pianistique), mais bien la découverte fondamentale que la virtuosité, au lieu de rester un épigone pour ce qui regarde la substance musicale, était capable […] de participer à la «révolution romantique», cette révolution qui, de la littérature, où Victor Hugo était son porte-voix, était passée à la musique sous l’influence de Berlioz. Le dilemme duquel l’écoute de Paganini l’avait tiré résidait pour Liszt, autour de 1830, dans la situation absolument contradictoire où il se trouvait: comme virtuose, il était lié à la tradition du style «brillant», comme compositeur «d’avant-garde», il n’était pas en mesure de résoudre le problème formel que lui posaient les idées explosives musicales qu’il portait en lui, comme le révèle l’ébauche d’une Symphonie Révolutionnaire en 1830. Et la possibilité dont Paganini lui fit prendre conscience fut évidemment que la virtuosité pouvait être un moyen pour arriver à l’intégration formelle d’un matériel expérimental, et que, vice versa, une modernité du langage musical était en mesure de donner à la technique de virtuosité une substance qui lui avait manqué dans le style à la mode de ses années de formation. [29]
Une nouvelle situation sociale, un modèle – Paganini –, un nouvel instrument, le piano (car c’est essentiellement par le piano que fut portée la virtuosité romantique), poussé dans ses retranchements techniques par les recherches hardies d’individus créateurs, dont Liszt représente le meilleur exemple: ces réalités, rencontrant l’esthétique nouvelle, permirent à un style nouveau d’éclore. Certes, la virtuosité romantique n’échappe pas au pur ornement, et Robert Schumann est bien là pour marquer du sceau de son ironie les exploits «bavards» de nombreux virtuoses européens: les colonnes de la Neue Zeitschrift für Musik résonnent des critiques portées contre l’ennui de la virtuosité décorative de pianistes comme Théodore Döhler, Henri Herz, ou Rudolph Willmers [30]. Il n’en reste pas moins que pendant la décennie 1830-1840 (qui voit se dérouler les grandes tournées européennes de Liszt), tous ces éléments se rencontrèrent pour engendrer ce nouveau phénomène, dont le présent numéro tente de parler.
Paganini, tel qu’il fut perçu par ses contemporains ou proches successeurs, semble incarner un double caractère de la virtuosité. Pour des artistes créateurs, on l’a vu, il se trouve à l’origine de cette virtuosité romantique qui prend le violoniste pour modèle: il inspire Liszt qui essaie de trouver un équivalent au piano de ses traits violonistiques; Berlioz écrira pour lui l’œuvre qui deviendra sa deuxième symphonie. Mais le public profane, ou même les musiciens professionnels plus curieux de démonstration que de création, retiennent de lui les caractéristiques d’un exécutant hors du commun, doué de capacités prétendument surhumaines et auquel son génie confère la réputation de pouvoirs maléfiques. Anne Penesco montre comment le désir de surpasser leurs propres capacités techniques, désir caractéristique de la virtuosité, a pu amener les épigones du violoniste à des résultats caricaturaux et dénués de sens. Joël-Marie Fauquet de son côté analyse un autre aspect de la virtuosité de Paganini qui la fait voisiner avec l’étrangeté et le mystère: maître de forces qui semblent trop grandes pour ne pas être surnaturelles, Paganini a été soupçonné d’accointances diaboliques, jusqu’à laisser croire que la performance n’est réalisable qu’avec l’aide de quelque puissance occulte: «son aspiration à la transcendance implique la transgression».
Tandis que Paganini flirte avec le démon, Liszt et les pianistes hantent les salles européennes: Bruno Moysan analyse ces mises en scène du «soliste», qui font converger les regards vers le virtuose, et veut comprendre comment l’écriture pianistique virtuose traduit et occulte tout à la fois cette émergence musicale du sujet. C’est aussi d’écriture musicale que parle Peter Bloom en étudiant le rapport de Berlioz avec la virtuosité: la difficulté vaincue, en effet, habite les partitions de l’auteur d’Harold en Italie, et la résolution de complexités harmoniques ou rythmiques, que le compositeur semble dresser devant lui comme autant de défis, se traduit par des œuvres exigeant un orchestre – et un chef – virtuoses. La performance physique poussée à ses extrêmes, que l’on trouve dans toute description de concert virtuose, quel que soit l’instrument utilisé, et dont la description des exploits des violonistes nous a donné une idée, se retrouve dans l’évolution du ballet romantique: Sylvie Jacq-Mioche explique en quoi consistent les difficultés vaincues par les danseurs – l’art de la «pointe» par exemple – et montre comment la critique de cette virtuosité-là se fonde sur la vacuité du sens que cette technique apporte à l’argument du ballet. Car tous ces articles, au fond, s’interrogent sur la signification de la virtuosité: la question se pose d’une façon plus aiguë encore, bien sûr, lorsqu’il s’agit de littérature. Elle est au centre de l’article d’Éric Bordas qui constate que la métaphore musicale de la virtuosité pour expliquer la littérature est autorisée «par le primat du travail du rythme dans la langue, perception d’une pulsation temporelle», qui est l’un des rares vrais points communs de la musique et de la littérature, et que la virtuosité littéraire, en somme, semble ressortir à l’art pour l’art.
À la musique aussi, pourtant dénuée de sens, littéralement parlant, on a reproché une sorte de pléonasme que constituerait le culte de l’ornement gratuit propre à la virtuosité instrumentale. C’est sans doute pourquoi des artistes comme Liszt – qui fut avec Berlioz et Wagner l’un des musiciens les plus prolixes en écriture littéraire de son temps – ont cherché sans cesse à référer leur pratique de la virtuosité à autre chose qu’à elle-même. La virtuosité constitue, pour le pianiste, une véritable manière d’être au monde artistique, et sans doute d’être au monde tout court, dont fait partie bien sûr la création (et non la seule exécution), – mais aussi le développement d’une conscience artistique: plus d’une fois, dans ses lettres ou ses écrits, Liszt ramènera le sens du mot à son étymologie, à la vertu. Le virtuose, mage ou prophète [31], se place, par son désir de perfection et de dépassement de soi, en dehors de la communauté humaine, qu’il prétend amener au bien et au beau. C’est pourquoi son métier de virtuose crée l’obligation, pour Liszt, de l’écriture littéraire et journalistique: ses premiers textes seront d’ailleurs écrits pour dénoncer la condition réservée par la société de son temps à l’artiste musicien [32]. La référence à la littérature (et non plus seulement sa pratique) traverse d’autre part l’œuvre pianistique de Liszt: titres empruntés à des œuvres littéraires (Senancour, Hugo, Lamartine, Dante), extraits de textes en exergue des partitions (les Années de pèlerinage en sont envahies), dont les mots sont parfois placés, comme pour être chantés, sous les notes d’une musique pourtant purement instrumentale. La virtuosité sans mots ennuie Liszt, visiblement, et il cherche à la référer à quelque chose d’autre qu’à elle-même, comme si, à partir d’un moment, le dépassement de soi que supposait l’exploit virtuose ne lui avait plus suffi et qu’il avait cherché à transgresser toutes les limites en une étude transcendante pour atteindre à cet ailleurs dont rêve le romantisme. Dans un texte écrit après la mort de Paganini, en 1840, il redit sa conception de la virtuosité: «que la virtuosité soit [à l’artiste de l’avenir] un moyen et non une fin; qu’il se souvienne toujours, qu’ainsi que noblesse, et plus que noblesse sans doute: Génie oblige» [33]. À partir de 1848, Liszt le virtuose, par une sorte de transformation nécessaire, se mue en pur artiste créateur.
(Bibliothèque nationale de France, département Musique; CNRS-IRPMF)

Notes

  • [1]
    W. von Wartburg, Französische Etymologisches Wörterbuch, Bâle, R.G. Zbinder and Co., 1961, article «virtus». «Virtuosité», lui, est apparu bien plus tard (on le trouve dans les textes littéraires vers le milieu du xixe siècle) et n’est attesté que dans la 8e édition du Dictionnaire de l’Académie française, en 1935, avec cette définition qui n’est pas musicale: «VIRTUOSITÉ. n.f. Talent d’exécution, habileté technique dans la pratique d’un métier ou d’un art quelconque. Écrivain d’une virtuosité surprenante.» Voir C. Reynaud, Liszt et la virtuosité romantique, Honoré Champion, à paraître.
  • [2]
    Dictionnaire de l’Académie française, Coignard, 1718, entrée «Virtuose».
  • [3]
    Idem, Firmin-Didot, 1835 [6e éd.], entrée «Virtuose».
  • [4]
    Claude Victor Boiste, Dictionnaire universel de la langue française avec le latin, 3e éd., 1808, entrée «Virtuose».
  • [5]
    W. von Wartburg, ouvr. cité.
  • [6]
    La base de données Frantext donne comme texte de première occurrence du mot virtuoso, Les Entretiens de Jean-Louis Guez de Balzac, publiés en 1657: le mot se rapporte, ironiquement puisque c’est pour le critiquer, à un écrivain.
  • [7]
    Madame de Sévigné, lettre du 28 février 1680, dans Correspondance, Roger Duchêne (éd.), Gallimard, coll. «Bibliothèque de la Pléiade», 1974 (3 vol.), t. II, p. 852.
  • [8]
    S. de Brossard, Dictionnaire de musique, contenant une explication des termes grecs, italiens et français les plus usités dans la musique […], C. Ballard, 1703, article «Virtù».
  • [9]
    Le Grand Dictionnaire universel du xixe siècle de Pierre Larousse réservera à l’instrumentiste seul la qualification de virtuose, affirmant qu’on peut être «un grand artiste» sans être «un virtuose très habile». Voir dans ce numéro l’article d’Éric Bordas, «Ut musica poesis? Littérature et virtuosité».
  • [10]
    Joël-Marie Fauquet, Les Sociétés de musique de chambre à Paris de la Restauration à 1870, Aux amateurs de livres, 1986, p. 22, «La poussée du professionnalisme». Sur le déclin du mécénat musical des cours, voir aussi Henry Raynor, Music and Society since 1815, New York, Schocken Books, 1978.
  • [11]
    Voir Franz Liszt, Marie d’Agoult, Correspondance, Serge Gut et Jacqueline Bellas (éd.), Fayard, 2001, p. 293, et Alan Walker, Franz Liszt, t. 1, traduit de l’anglais par Hélène Pasquier, Fayard, 1989, p. 259.
  • [12]
    Dans certains de ses concerts d’ailleurs, Paganini, sans doute conscient du besoin de dramatiser ses apparitions sur scène, demanda un décor et une mise en scène. Voir dans ce numéro l’article d’Anne Penesco, «Portrait de l’artiste violoniste en virtuose». Pour les «mises en scène du moi» dans le concert virtuose, voir, ici également, l’article de Bruno Moysan, «Virtuosité pianistique: les écritures de la subjectivité».
  • [13]
    F. Danjou, «Biographie: Benedetto Marcello», Revue et Gazette musicale de Paris, 20 juin 1839, p. 198-200.
  • [14]
    Benedetto Marcello, Le Théâtre à la mode, trad. par Ernest David, Librairie Fischbacher, 1890, p. 77-81.
  • [15]
    Beethoven est sans doute l’un des premiers pianistes à avoir introduit dans ses programmes des œuvres d’autres compositeurs: il joue des concertos pour piano de Mozart alors qu’il est encore à Bonn (et que Mozart est toujours en vie); on sait que dans un de ses premiers concerts à Vienne, en 1795, il exécute le Concerto pour piano en ré mineur, K. 466, car il a laissé des cadences pour ce concert. Liszt marchera ensuite sur les pas de Beethoven.
  • [16]
    Katalin Komlos, «Mozart the performer», dans Simon P. Keefe (dir.), The Cambridge Companion to Mozart, Cambridge, Cambridge University Press, 2003, p. 215 et suiv.
  • [17]
    Cette sorte de duel artistique – Vienne fut encore le théâtre d’une confrontation de ce type en 1797-1798, entre Beethoven et le jeune Joseph Wölffl, relevée par l’Allgemeine musikalische Zeitung du 22 avril 1799 – allait devenir habituelle après 1830 dans les carrières de pianistes virtuoses: elle opposa par exemple en 1837 Liszt et Thalberg dans une joute pianistique mondaine restée célèbre dans l’histoire musicale de la décennie.
  • [18]
    Mozart, lettre à son père du 16 janvier 1782, dans Correspondance, t. IV, 1782-1785, Geneviève Geffray (éd. et trad.), Flammarion, coll. «Harmoniques», 1991, p. 34.
  • [19]
    Ibid., p. 95 (lettre à son père du 7 juin 1783).
  • [20]
    Liszt, lettre à Pierre Wolf du 2 mai 1832, dans Pierre-Antoine Huré et Claude Knepper (éd.), Correspondance, Lattès, 1987, p. 59.
  • [21]
    La firme Pleyel devait procéder exactement de la même façon.
  • [22]
    Liszt, lettre à Pierre Erard, 26 décembre 1845, dans Julien Tiersot (éd.), Lettres de musiciens écrites en français du xve au xxe siècle, t. II, (1831-1885), Turin, Bocca frères, 1937, p. 363.
  • [23]
    Jean-Jacques Rousseau, Dictionnaire de musique, Veuve Duchesne, 1768; Genève, réimpression Éditions Minkoff, 1998, article «Sonate», p. 460.
  • [24]
    Voir Annie Beck, Genèse de l’esthétique française moderne, 1680-1814, Albin Michel, 1994, p. 789-790.
  • [25]
    E.T.A. Hoffmann, «Compte rendu de la Cinquième symphonie de Ludwig van Beethoven» (avril-mai 1810), dans Hoffmann, Écrits sur la musique, Brigitte Hébert et Alain Montandon (éd. et trad.), L’Age d’Homme, 1985, p. 38.
  • [26]
    Il s’agit de la fin de la lettre à Pierre Wolff citée en note 20.
  • [27]
    Carl Dahlhaus, Die Musik des 19. Jahrhunderts, Akademische Verlagsgesellschaft Athenaion, Wiesbaden, 1980, «Virtuosité et interprétation», p. 145 [Je traduis]. Voir C. Reynaud, Liszt et la virtuosité romantique, ouvr. cité.
  • [28]
    Sur les liens entre la virtuosité et la composition musicale chez Berlioz, voir dans ce numéro l’article de Peter Bloom, «Virtuosités de Berlioz».
  • [29]
    Carl Dahlhaus, ouvr. cité, ibid.
  • [30]
    Voir Léon Plantinga, Schumann as critic, New Haven and London, Yale University Press, 1967, p. 204 et suiv.
  • [31]
    Paul Bénichou consacre un chapitre à Liszt dans Le Temps des prophètes, doctrines de l’âge romantique, Gallimard, 1977, p. 280 et suiv.
  • [32]
    Liszt, «De la situation des artistes et de leur condition dans la société», sept articles parus dans la Revue et Gazette musicale de Paris entre le 3 mai et le 15 novembre 1835.
  • [33]
    Idem, «Sur Paganini à propos de sa mort», Revue et Gazette musicale, 23 août 1840.
Français

Résumé

Avant de désigner le musicien très habile, le mot «virtuose» a qualifié l’homme de bien et le savant. En s’appliquant à la musique, il voit rapidement se défaire le lien entre don, d’une part, morale et savoir, de l’autre: la critique de la virtuosité portera dès lors sur la démonstration superficielle de capacité technique, exercée au dépens de l’expression et de la cohérence. Le romantisme (qui voit se développer le concert soliste et s’accroître les perfectionnements techniques des instruments) ouvre la voie à une ère particulièrement brillante de la virtuosité, qui s’accompagne d’une critique sévère des excès, et d’une volonté, de la part des virtuoses eux-mêmes (Paganini et Liszt, mais aussi Berlioz) de référer leur art à quelque chose d’autre qu’à lui-même: la virtuosité devient alors le cadre dans lequel peuvent s’épanouir une quête de la transcendance et les inventions propres à l’esthétique romantique.

English

Abstract

Before designating a highly adroit musician, the word “virtuoso” referred to a man who was virtuous, a man who was learned. When the word began to be employed in the musical arena, the link – between its connotations of possessing a special gift, on the one hand, and of possessing a sense of morality and wisdom, on the other – was broken. Critics of virtuosity from that time forward concentrated on superficial demonstrations of technical wizardry deployed at the expense of expression and coherence. Romanticism (and in particular the development of the solo concert and the concomitant technical progress in instrumental manufacture) opened the way to an era conspicuously characterized by brilliant virtuosity, an era that thus saw much criticism of the excesses of the virtuosos, but an era that also witnessed considerable efforts, on the part of those same virtuosos (Paganini and Liszt, but also Berlioz), to have their art focus upon issues other and larger than themselves. Virtuosity thus became a kind of framework within which the search for transcendence and for creations attuned to romantic aesthetics could take place.

Cécile Reynaud
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Mis en ligne sur Cairn.info le 01/01/2010
https://doi.org/10.3917/rom.128.0003
Pour citer cet article
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