CAIRN.INFO : Matières à réflexion
Abondante en richesse, ou puissante en crédit,
Je demeure toujours la fille d’un proscrit.
Scribe, La Czarine, 1855

1De mars à mai 2004, l’exposition Rachel, une vie pour le théâtre, organisée par le Musée d’art et d’histoire du Judaïsme, en partenariat avec la Comédie-Française, a permis une évocation inédite de la tragédienne française Élisa Félix dite Mademoiselle Rachel (1821-1858). L’accueil que le public et les médias ont fait à cette entreprise a révélé la grande curiosité que cette tragédienne éveille encore. Cependant, des réserves discrètes ont été exprimées quant au lieu de l’exposition. Rarement explicitée, la crainte d’une «récupération possible» dans un but «communautariste» résonna sous la critique. La grandeur de cette artiste, nous opposa-t-on, résidait dans son art et non dans sa vie. La judéité de Rachel «n’apporterait rien d’intéressant» et risquerait davantage de «ghettoïser» l’artiste au lieu de l’ancrer dans une identité française, voire dans l’universalité.

2Pourtant, l’exposition a montré que, bien que singulière, la vie de Rachel est emblématique de l’acculturation et de l’intégration des juifs dans la société française dans la première moitié du xixe siècle. Elle appartient, en effet, à ce faisceau de trajectoires individuelles qui a caractérisé l’acculturation massive de provinciaux et d’immigrés en France. Parmi ces groupes, celui des israélites s’est révélé un des plus dynamiques pour des raisons sociales, historiques et culturelles identifiables. En comparant la carrière de Rachel avec celles d’autres membres de la communauté juive ou de personnalités non juives issues de milieux modestes, on peut mesurer l’ouverture de la société française. Ne pas prendre en compte la judéité de Rachel en revient à s’abstenir de l’inscrire dans l’histoire pour la maintenir du côté de l’inexplicable; c’est suivre la ligne «politiquement correcte» adoptée par ceux (admirateurs ou détracteurs) qui l’ont isolée du contexte socio-culturel pour la présenter comme un phénomène sui generis, une enfant que son seul génie aurait élevée sans transition de la mendicité au luxe, de la rue au sanctuaire du théâtre tragique, de l’analphabétisme au cœur de la culture. Dans cette vision, les origines de Rachel sont davantage des obstacles courageusement surmontés que la source de sa volonté de réussir son intégration. Dernièrement, quelques travaux d’historiens ont renouvelé l’approche historiographique de Rachel, mais il manque encore [1] une biographie qui conduirait de concert une recherche approfondie sur Rachel et son entourage et une réflexion critique sur sa perception – et sur celle des juifs dans la culture française – du xixe siècle à nos jours [2]. De manière très succincte et sans prétendre à l’exhaustivité, cet article propose une analyse nouvelle des aspects significatifs de la vie de la tragédienne, en les reconstituant à partir des traces laissées par Rachel – son abondante correspondance, les témoignages de ses contemporains (chroniques, lettres, mémoires, articles de presse, critiques théâtrales), les documents administratifs et last but not least les œuvres des artistes qui la représentèrent. Il s’efforce d’articuler les phases majeures de la vie de l’actrice en les confrontant aux attentes parfois contradictoires des juifs et des non-juifs dans la société française.

Élisa Félix – juive et comédienne

3«Bohémiens», «juifs» et «israélites» furent les termes employés pour décrire la famille de Rachel et son genre de vie par les contemporains qui jugèrent utile d’en faire état [3]. Alfred de Musset, Théophile Gautier, Jules Janin et Auguste Bolot, Védel et Louis Véron s’appliquèrent plutôt à ménager la vie privée de l’artiste et de ses proches; au contraire, Charles Maurice, Madame Samson, Mademoiselle Judith et d’autres ne se firent pas faute d’y mettre un goût de scandale [4]. Plus tard, le médecin Cabanès classa la star parmi les «poitrinaires et grandes amoureuses», conformément au préjugé courant – notamment sous la Troisième République – qui considérait la tuberculose comme le stigmate de l’abandon aux instincts libidineux et à la dépravation morale. On retrouve aussi ici le préjugé antisémite attribuant aux juifs une sexualité débridée.

4Élisa Félix appartenait à un monde plus marginal que minoritaire: elle était à la fois juive, pauvre, mendiante itinérante et comédienne. Bien que citoyens français, les membres de sa famille ont connu le statut de parias lors de leurs pérégrinations en Allemagne et en Suisse. Dès sa naissance clandestine dans un village suisse où les juifs n’avaient pas le droit de séjour, Rachel fut placée sous le signe du paria. La figure maudite et pathétique du Juif-errant, en vogue dans les milieux populaires, hanta sans doute la conscience qu’elle eut de sa condition familiale et de celle des juifs en général. Ses parents, Jacob (Metz, 1796-Paris, 1872) et Esther Hayyah Félix (Gerst, 1798-Paris, 1873), étaient tous deux issus de familles de colporteurs. Les difficultés grevant les conditions de vie des juifs alsaciens à partir de la Révolution française et durant toute la première moitié du xixe siècle, notamment la virulence de l’antijudaïsme à l’origine de pogromes récurrents, plongèrent les colporteurs – dont les Félix – dans une grave précarité et en poussèrent beaucoup à émigrer.

5Le couple mena une vie itinérante, d’abord au sein d’un réseau de foires en Allemagne et en Suisse, puis en France. Ils y vendaient des fripes et de la menue mercerie. Les étapes de leur parcours sont repérables aux dates et lieux de naissance des enfants, mentionnés sur un acte administratif de 1843. On y lit que les parents de Jacob moururent tous deux en Allemagne, Joseph Félix en Prusse en 1829 et Régine Samuel en Hesse, en 1830, tandis que les parents d’Esther, Alexandre Félix et Jeannette Salomon moururent à Prague, respectivement en 1818 et 1819. L’aînée des enfants, Sophie (Sarah) naîtra à Gelnhausen en 1819 et Élisa (Rachel), à Mumpf dans le canton d’Argovie en Suisse en février 1821. Jusqu’en 1826 (date de la naissance de Raphaël à Besançon) les Félix circulèrent en pays germaniques. Las des discriminations, ils choisirent de vivre en France. C’est alors que Jacob a dû se détourner de la culture allemande et choisir le modèle français. Il mettra tout en œuvre pour l’inculquer à ses enfants, à commencer par la langue. Outre le judéo-alsacien, assimilable au yiddish, les Félix parlaient l’allemand – à Lyon, Jacob donna des cours d’allemand pour vivre – et le français. Jacob était sans doute un homme peu instruit, mais informé et curieux. Esther savait lire et écrire en yiddish, ce dont fait état une lettre de Lia [5] se plaignant de ne pouvoir lire la lettre en caractères hébraïques écrite par sa mère. Parce que le yiddish parlé à la maison n’est plus la langue de l’avenir, les enfants Félix ne sauront ni l’écrire, ni le lire. Le français est désormais la langue élue, et les auteurs lus et admirés sont le cœur de la culture classique française. Rachel s’est faite l’écho de son père: elle refuse, raconte Musset, de parler yiddish avec sa sœur et place Racine au-dessus de tout; à Devrient, elle déclare préférer Corneille et Racine à Schiller [6].

6Selon Sylvie Chevalley, en tenant compte de la date de naissance de Sophie-Sarah (le 12 mai 1819) et d’un acte portant le timbre royal, le mariage de Jacob et Esther eut lieu à Zillesheim à la fin de 1817 ou au début de 1818 [7]. Le couple eut beaucoup d’enfants dont seuls six survécurent puisque, le 14 décembre 1843, un mois après que Rachel eut perdu le premier enfant qu’elle attendait de Walewski, les Félix déclarent leurs enfants à la mairie du 3e arrondissement de Paris. Une lettre de Rachel indique qu’à l’automne 1844, Esther se trouva enceinte en même temps qu’elle [8]. Dans leur Journal, les Goncourt rapportent qu’Esther leur dit avoir «porté quatorze enfants dans ses flancs de juive». Déclarer aux autorités un enfant dont on ne savait s’il survivrait ne devait pas leur paraître nécessaire. Le but de la démarche de 1843 répondit donc plutôt à la nouvelle position sociale de Rachel, ceci d’autant plus que Walewski voulait reconnaître son enfant.

7Les naissances de Raphaël (1826), Rébecca (1829) et Lia (1830) accrurent la pauvreté des parents. Pour y pallier, les aînées furent mises au travail. L’itinérance étant un obstacle au placement en apprentissage, les fillettes mendièrent en chantant dans les rues des villes traversées. L’expérience fut douloureuse surtout pour l’aînée: dans une lettre à Rébecca, Rachel lui rappelle que Jacob envoya Sophie-Sarah, alors âgée de six ans, mendier dans les rues, sans s’inquiéter de la manière dont elle gagnait l’argent qu’elle rapportait à la maison. Cette période de mendicité joua un rôle fondamental dans la légende de Rachel et ternit considérablement l’image de Jacob. En février 1839, lors de son conflit avec le Théâtre-Français et Samson au sujet du contrat de Rachel, Jacob se défendra publiquement contre les attaques de ses adversaires: «Oui, je suis pauvre et père de six enfants; mais en France cette misère et ces charges énormes sont des titres de plus à la bienveillance.» [9] Fréquemment dépeint comme un «bon à rien» vivant aux crochets de sa femme puis de ses enfants, Jacob Félix passa à la postérité sous les traits d’un «israélite obstiné» enclin aux négociations sordides et aux intrigues [10].

8Jacob Félix transmit à ses enfants sa passion pour le théâtre et fut leur premier professeur. Quelques témoins ont remarqué sa sensibilité théâtrale: «Le père […] dans les veines duquel coulait évidemment un sang mêlé de globules dramatiques, cherchant à utiliser leur enfance, leur donnait des leçons.» [11] Son métier de fripier l’aida-t-il à s’approcher des artistes? L’effervescence théâtrale et la présence d’un réseau communautaire dynamique ont incité Jacob à s’installer à Paris. À l’été 1831, au lieu de placer ses filles dans un apprentissage artisanal ou ouvrier dans lequel elles auraient plus vite contribué au revenu familial, Jacob les confia au musicien Alexandre Choron: «Sur la recommandation de quelques-uns de ses coreligionnaires, M. Félix fut mis en rapport avec M. Choron en 1833. Il lui présenta Sarah et Rachel. Toutes deux sous les noms de Sophie et Élisa, furent admises dans sa classe et comme pensionnaires à l’essai.» [12] En 1833, Esther s’installa à Paris et ses deux filles travaillèrent pour l’aider: après un passage au Conservatoire, Sarah joua à l’essai au Théâtre du Panthéon; encore élève de Choron, Élisa vendait des brochures dramatiques le soir. Au printemps 1835, Jacob monta sa propre troupe enfantine, dont les représentations se donnaient au Théâtre du Ranelagh. Témoin direct de la vie de la famille à cette époque, Julie Bernat (future Mlle Judith) fut l’élève de Jacob, et en donna – alors qu’elle ne l’estimait guère – une description assez fiable: «Il avait un accent tudesque qui faisait de lui un professeur de diction assez singulier; mais il était fort intelligent et, somme toute, ses conseils n’étaient pas mauvais.» [13] Dès les premiers succès de Rachel, Jacob se consacra à gérer la carrière de sa fille et chercha – en vain – à se faire une place comme directeur de théâtre (par exemple à l’Odéon en 1849).

9En tant qu’acteurs, les Félix eurent conscience d’appartenir à un groupe marginal au sein d’une minorité confessionnelle. Leur attachement au judaïsme ne se signala pas par la pratique religieuse mais par leur revendication de cette position. Un indice du lien que Jacob établit entre le judaïsme et le théâtre, nous est fourni par la source biblique des noms de scène qu’il donna à ses filles: Sarah, Rachel, Rébecca, Lia et Dinah. Par ailleurs, une lettre de Rachel mentionne que son père savait peu sur les rites et l’histoire du judaïsme [14]. Jacob fit sa bar-mitsvah mais, contrairement à ce qu’il aurait prétendu, il n’étudia pas pour devenir rabbin. Durant leur séjour en Allemagne et en Suisse, leur statut de parias a certainement maintenu les Félix au contact d’un réseau de sociabilité où ils ont observé les prescriptions religieuses. À Paris, à défaut de fréquenter la synagogue, ils conservèrent une forme de piété juive populaire. Seul garçon de la fratrie, Raphaël fréquenta l’école consistoriale en 1831 et 1832 et il fit probablement sa bar-mitsvah. Ses deux épouses, l’actrice Amédine Luther et Henriette Bloch étaient juives. Ses sœurs Rachel et Lia virent avec pragmatisme le baptême de leurs enfants dont les pères étaient catholiques. Alors qu’elle n’observait pas les fêtes juives – on sait qu’elle jouait le jour de Kippour –, Rachel ne se dédit pas d’un devoir moral: la charité. Elle refusa rarement sa participation à une œuvre charitable, juive ou chrétienne, ce dont le journal L’Univers israélite la félicita souvent. Les sollicitations faites à sa bourse ne cessaient jamais et il lui arrivait d’en être exaspérée: «Le rabbin s’est conduit en homme reconnaissant…» écrivit-elle à son secrétaire, avant de poursuivre: «Renvoyez le juif au consistoire, je ne peux donner des deux côtés…» [15] Sa correspondance montre qu’elle était persuadée que sa fortune lui venait d’une intervention divine: «Dieu nous a tirés de la boue où nous nous trouvions!» écrivit-elle à Sarah en la tançant pour ses frasques. De fait, sa fulgurante ascension sociale ne lui semblait pas naturelle; elle était hantée par un sentiment du tragique, du «coup du sort» et craignait de retomber dans la pauvreté. Rachel connaissait trop bien la réalité des taudis et les ravages de la maladie pour parvenir à s’en défaire. Elle vit la misère où étaient tombées de grandes actrices comme Mlle Georges ou Marie Dorval, et la tuberculose qui emporta sa sœur Rébecca.
Les autres enfants suivirent le chemin que leur traçaient la passion de leur père et la réussite de Rachel. La «pépinière Félix», pour reprendre les termes de Bolot et de Gautier, forma une troupe de comédiens turbulents, fiers de leur talent familial et forts de leur solidarité. Soudés autour de Rachel malgré leurs disputes, ils l’accompagnaient en tournée, s’occupaient de ses enfants et faisaient leurs les priorités de sa carrière et de son succès. De son côté, elle ne ménagea pas ses efforts pour les soutenir dans leurs ambitions professionnelles. Ils partagèrent avec elle l’expérience d’une double marginalité: celle d’être des comédiens juifs.
Mais à quelles conditions cette double marginalité s’avéra-t-elle une possibilité d’existence acceptable aux yeux de la société? Il est indubitable que dès les prémices du débat sur la régénération morale et physique et sur l’émancipation civique des juifs en Allemagne et en France, beaucoup d’entre eux ont développé une conscience aiguë de l’exemplarité de leur propre parcours pour l’ensemble des juifs en France et à l’étranger et ce durant tout le xixe siècle jusqu’aux années 1940. Non seulement ils adhérèrent aux idées émancipatrices, y compris celle de leur propre régénération, mais ils se sentirent redevables de constituer une véritable exception dans le monde. En exprimant inlassablement leur sentiment de dette envers la France, ils eurent longtemps une attitude mentale «d’obligés» et s’astreignirent à justifier et «mériter» leur jouissance de la citoyenneté.

Rachel – le désir d’exemplarité

10L’impératif d’exemplarité a joué très tôt un rôle important dans la construction de Rachel et de son image, par elle-même et par les autres. Il est sans doute partiellement responsable de son succès. Au cours de son ascension vers la renommée, Rachel, avec la complicité des siens, s’en est forgé une identité nouvelle et s’est complu à nourrir sa propre légende. Exposée très jeune au regard public, elle n’en a pas moins farouchement défendu sa vie privée, ne se dévoilant que dans des lettres confidentielles dont nous ne connaissons, pour l’essentiel, que celles adressées à sa sœur et complice, Sophie-Sarah [16].

11Sur la question de la conversion, source d’une grande anxiété chez les israélites, l’attitude de Rachel a souvent paru ambiguë. Aucun des Félix ne se convertit au christianisme, mais Rachel a joué avec l’ambition de la convertir qu’elle rencontra chez des admirateurs. On a surtout retenu la démarche de l’entourage de madame Récamier qui eut les honneurs de la presse et suscita une réaction publique de la part de Rachel. Le 5 décembre 1846, dans Le Siècle, Eugène Guinot fit état d’une rumeur annonçant la proche conversion de Rachel à la suite de sa fréquentation assidue du cercle de l’Abbaye aux bois; il insinua qu’elle était prête à trahir la synagogue pour des raisons vénales. Le jour même, par une lettre courte et cinglante, Rachel fustigea le manque de respect envers sa vie privée et exigea la publication immédiate d’un démenti. L’affaire sera rapportée et commentée dans L’Univers israélite:

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Le journal Le Siècle […] après avoir annoncé avec une légèreté incroyable que Mlle Rachel, notre noble tragédienne, est sur le point d’abjurer sa religion, dit […]: “Mlle Rachel nous écrit de sa main pour démentir le bruit de sa conversion […] aujourd’hui, nous féliciterons hautement les Israélites de conserver leur éminente coreligionnaire. La fidélité de Mlle Rachel à sa religion primitive laisse dans tout son éclat la gloire de la nation juive, qui compte en France, et dans tous les rangs de la société, tant de représentants si recommandables par les services rendus au pays, si influents par leurs positions, si distingués par leurs talents et par leur caractère”… Tout le monde sait que, quand notre illustre sœur dit “Je vois, je sais, je crois!”, ce n’est qu’une sublime comédie. Elle dit ces mots au théâtre, d’autres les jouent ailleurs. [17]

13Présents durant les derniers jours de Rachel les 2 et 3 janvier 1858, le Dr Tampier et Jean-Jacques Sardou [18] rapportèrent que Sarah, craignant qu’on ne tente de convertir sa sœur, fit appel pour assister la mourante aux membres de la communauté juive de Nice. Les funérailles de Rachel, le 11 janvier 1858, suivirent le rituel juif et le grand-rabbin Lazare Isidor rappela que, contrairement aux rumeurs, Rachel ne s’était jamais convertie.

14Plus que nous éclairer sur l’attachement de Rachel au judaïsme, ces situations illustrent l’importance accordée au comportement de Rachel par les juifs et par les chrétiens. Védel était conscient de ce fait, car il fit reprendre Esther de Racine – qui n’avait pas été joué depuis la mort de Talma en 1826 – au moment de la fête de Pourim, le 28 février 1839. Le public israélite y vint nombreux et Rachel y remporta un grand succès, bien que cela ne fût pas son meilleur rôle. La pièce fut ensuite régulièrement jouée à cette date. Si sa vie d’actrice et de mère célibataire ne la qualifiait pas moralement pour être proposée en modèle aux femmes juives, sa réussite sociale et artistique lui valait du prestige aux yeux des juifs qui en étaient fiers, comme en témoignent un de ses admirateurs, Eugène Manuel, et un de ses détracteurs, Charles Maurice [19].

15Bolot plaça en exergue de son livre cette maxime de La Bruyère: «Efforcez-vous d’être tel que l’on ne vous demande pas si vous avez de la naissance.» [20] Cette exhortation à se dépasser valait pour Rachel. Loin d’être le fruit d’un heureux hasard ou d’un miracle, la carrière de Rachel résulte autant du désir obstiné de Jacob Félix de se lier au théâtre que de l’intervention de personnalités qui, reconnaissant ses dons, œuvrèrent à pousser Rachel au cœur de la langue et de la culture françaises classiques incarnées par les tragédies de Corneille, Racine et Voltaire. Les grandes dispositions artistiques et intellectuelles de Rachel lui attachèrent ses premiers promoteurs. Des hommes cultivés et influents se relayèrent pour l’aider. De 1831 à 1834, Choron l’hébergea et l’éduqua gratuitement puis, voyant qu’elle était plus comédienne que musicienne, il l’envoya en 1834 prendre des cours chez son ami Saint-Aulaire, où elle resta jusqu’à l’été 1836. En septembre de cette même année, grâce à l’aide de Védel, futur administrateur du Théâtre-Français, elle entra au Conservatoire. En décembre 1836, Delestre-Poirson, directeur du Gymnase-Dramatique l’engagea – sur le conseil de Védel ou de Max-Théodore Cerfbeer [21], administrateur du Gymnase – et la fit débuter dans La Vendéenne, pièce écrite pour elle par Duport. En juin 1837, trouvant qu’elle gâchait son talent, Delestre la libéra de ses obligations et lui paya son salaire un an durant afin qu’elle travaillât le répertoire tragique avec Samson. Avec le concours de Védel, Samson la fit engager au Théâtre-Français en mars 1838. Convaincu que Rachel était destinée à une grande carrière de tragédienne et en dépit des oppositions qu’il rencontra [22], Védel s’obstina à prolonger ses débuts au-delà de la période usuelle. Le talent de Rachel grandit en proportion de l’enthousiasme de ses mentors comme le montrent ces lignes écrites par Samson:

16

Oh! les magnifiques soirées! je ne les oublierai jamais, non plus que ces matinées consacrées à l’enseignement dramatique de ma merveilleuse écolière. Je les compte parmi les plus belles heures de ma vie. Quelle promptitude de perception! quelle justesse dans la note! Pensez que cette enfant ne savait rien… mais une fois qu’elle m’avait compris, elle entrait toute entière dans l’esprit du rôle… C’était une diseuse de premier ordre et digne, dès ses débuts, de servir de modèle. [23]

17Le succès de Rachel au théâtre s’accompagna d’un succès social fulgurant. Elle suscita l’engouement dans les salons parisiens les plus fermés. En dépit des moqueries qu’elle eut à endurer jusqu’à sa mort de la part des journalistes, les témoignages concordent sur ce point: Rachel travailla avec acharnement et efficacité à combler ses lacunes culturelles. Guidée et soutenue par des personnalités influentes telles qu’Astolphe de Custine, Adolphe Crémieux, Louis Véron, Paul de Noailles, Virginie Ancelot et Delphine de Girardin, Rachel acquit culture et savoir-vivre. Custine – dès 1837 – et Crémieux seront des plus dévoués à sa cause. La description du salon de Custine par Madame Ancelot nous donne une idée des idéaux servis par les admirateurs de Rachel:

Nous y avons vu des réunions choisies dans toutes les classes de la société, dans toutes les positions de fortune, dans toutes les idées politiques et littéraires, mais reliées par une pensée commune: le goût des choses de l’intelligence […] En effet, il faut le dire et le répéter, la seule égalité qui existe en ce monde est celle de l’intelligence, de l’éducation et du savoir: jamais un homme ignorant et grossier ne sera l’égal d’un homme instruit et bien élevé, et chacun d’eux sentira la distance qui le sépare de l’autre; aussi rien n’est plus étonnant, à mon gré, que de mettre l’égalité dans la loi sans y mettre aussi l’éducation générale. C’est donc à cette égalité de lumière et de vertu que chacun doit chercher à contribuer de son mieux […] Alors […] toute la France ne sera qu’un vaste salon rempli d’égaux par l’instruction, qui tous se tendront amicalement la main! [24]
Parce qu’elle était pauvre et juive, l’ascension de Rachel suscitait l’admiration et prenait une dimension morale exemplaire. Elle démontrait la vertu régénératrice de l’éducation nécessaire à la libération et à l’élévation de l’être humain. Juive d’origine germanique et citoyenne française, elle illustrait une idée héritée des Lumières: celle de la Bildung ou «construction de soi», mêlant les notions d’instruction, d’apprentissage et d’édification morale. Plus basses ses origines, plus méritoires et exemplaires sa carrière et sa personnalité. Bolot se faisait le défenseur de cette vision: «Et depuis quand la misère serait-elle un brevet d’ignorance et d’incapacité? Pourquoi la fortune et la noblesse feraient-elles grands et célèbres?» [25] La «jeune bohémienne», fille d’un obscur et misérable colporteur juif exauçait les vœux de ses contemporains comme le confirma Janin: «On veut savoir leur origine pour leur en faire un piédestal […] À propos même de mademoiselle Rachel, plus d’un chercheur d’origines et de commencements a recueilli des preuves consolantes de l’inspiration, de la force et des bienfaits de toute espèce que la saine et vigoureuse pauvreté inévitablement apporte aux âmes bien trempées.» [26]

Une juive d’exception

18Une véritable synergie est donc à l’origine de la star Rachel. Parce qu’elle répondit à un projet idéologique en mal de réalisation, Rachel n’aura pas d’autre choix que de satisfaire à l’idéal auquel on la convoque. Elle y parvint parce qu’elle nourrissait une ambition propre, un talent exceptionnel et une passion illimitée pour le théâtre. Mais on imagine sans peine que sa situation fut très difficile; les juifs comme les chrétiens attendaient qu’elle se montrât exemplaire mais la traitaient comme une exception. Une lettre à Sarah révèle avec quelle bonne volonté l’adolescente s’astreignit à correspondre au modèle qu’on lui proposait:

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Ne sais-tu pas tout ce que j’ai à faire? D’abord, j’ai à apprendre des rôles: en entrant au Théâtre-Français, mon répertoire n’était pas bien nombreux. Deuxièmement, il faut que je les étudie avec soin, car ce public si indulgent pour moi aujourd’hui m’oubliera peut-être demain si je fais la moindre faute. Et bien, je tâcherai de l’éviter. Il faut qu’on dise tous les jours: ah! c’était mieux, beaucoup mieux que la dernière fois. Déjà, on le dit, mais je veux que cela continue. Ensuite on m’invite de tous les côtés, chez des baronnes et des duchesses, des comtes, enfin si j’acceptais toutes ces invitations, je n’aurais même pas le temps d’ouvrir un livre. La seule société qui convienne à un artiste, ce sont ses rôles, et non ces belles dames et ces beaux messieurs qui vous font des compliments bien flatteurs tant que l’on est chez eux, et ensuite vous abîment et vous déchirent. Tout vu, tout bien calculé, il vaut bien mieux rester chez soi, au sein de sa famille, là au moins, on ne craint pas de s’éloigner du droit chemin. Maintenant maman ne sort plus pour aller vendre et c’est un des avantages que j’apprécie le plus dans notre nouvelle position. Papa se promène; mon frère est au collège, et j’espère qu’il nous fera honneur car ses maîtres sont déjà très contens [sic] de lui; mes petites sœurs sont aussi en pension et deviennent très gentilles. Enfin, tout le monde est très heureux. [27]

20En choisissant le répertoire tragique, Rachel rechercha la reconnaissance culturelle des élites et du public qui lui conférait un statut d’exception dans la société française en transcendant son origine familiale et sa classe sociale. On disait de Félix Mendelssohn – et ensuite des juifs d’Allemagne – qu’il était allemand «par la grâce de Goethe» (durch Goethes Gnade ). Rachel, déjà citoyenne française, voulut le devenir encore davantage par la grâce de Racine.

21Au-delà de la banale représentation d’une personnalité publique, une complexité sur laquelle il convient de s’interroger se dégage des images de Rachel. L’actrice comprit très tôt le pouvoir de l’image pour passer à la postérité. Si elle ne fut pas à l’origine des commandes, elle sut choisir parmi les projets qu’on lui proposait et n’hésita pas à acquérir des œuvres la représentant. L’image de la tragédienne au summum de son art, prolongement de son rôle de Phèdre, généra des icônes comme La Muse Héroïque [28] ou La Muse de la Tragédie auxquelles répondirent les portraits de la femme du monde cultivée et discrète peints par Henri Lehmann vers 1850 ou par Charles-Louis Müller en 1852. Entre ces deux pôles, surgit une vision peu convenue, mutine voire désinvolte, plus proche de la Rachel épistolière: celle d’une femme qui ne prend rien au sérieux. On la retrouve dans La Tragédie au déhanchement suggestif et au regard de défi peinte par Amaury Duval en 1854. Un daguerréotype nous montre une Rachel cabotine faisant un pied de nez. Autre moment encore, licence vite réprimée, la jambe dénudée apparaissant sous la robe fendue de la courtisane Valéria dans Valéria et Lycisca de Lacroix et Marquet (1851). La confirmation du scepticisme perceptible dans la lettre à Sarah vient de Véron qui la décrit «fuyant volontiers l’éclat et le luxe, leur préférant par sentiment, par habitude, le joyeux sans-façon de la médiocrité. Comme les grands seigneurs de la fin du siècle dernier, Hermione eût même aimé à se gaudir quelquefois en mauvaise compagnie, à goûter des pots, à tâter des ragoûts du cabaret.» Et il poursuit:

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Forte de cette philosophie que donnent surtout les fortunes les plus diverses et les plus contraires, mademoiselle Rachel ne s’enorgueillit, ne s’étonne de rien […] Revenant un soir de Windsor, où elle avait dit des vers devant la reine d’Angleterre, encore étourdie de tous les éloges, de toutes les tendresses de cour, elle s’écria en rentrant au logis et en se jetant sur un fauteuil, au milieu d’une compagnie composée de sa mère, de sa sœur et de quelques assidus de sa maison: «Ah mes chers amis, que j’ai besoin de m’encanailler!» [29]

23Ainsi un entre-deux a réellement existé dans la perception que Rachel eut de son succès. Reine de théâtre, elle comprit le pouvoir qu’elle pouvait en retirer, mais elle ne se leurra pas sur les limites imposées à son ascension sociale de femme juive. Elle aima les hommes de pouvoir aux origines marginales ou trop élevées pour elle: le médecin parvenu Véron, le prince de Joinville ou l’enfant illégitime de Napoléon Ier qu’était Walewski. Mais son pouvoir allait de pair avec un statut de célibataire. Son indépendance financière la plaçait hors des nécessités du mariage et elle s’y accrocha avec une volonté farouche: «Je vous assure que tous mes vœux tendent à rester libre, indépendante et à ne chercher tout mon bonheur qu’auprès de mon fils et dans les études de mon rôle.» [30] Dans le cas de Walewski surtout, l’expérience fut douloureuse. Il reconnut son fils, Alexandre, mais refusa de l’épouser. Sa tentative pour l’y obliger fut un échec: «C’est moi qui ai demandé cette séparation mais je ne pouvais vivre sous la domination entière de M. W. avec le titre de sa maîtresse…» [31]

24Comme l’institution, l’artiste de théâtre mit son talent au service du pouvoir. En février 1848, la Comédie-Française fut menacée de fermeture. Élias Régnault demanda à Rachel d’interpréter La Marseillaise. Séduite par l’idée, Rachel s’exécuta d’autant plus volontiers que son ami Adolphe Crémieux faisait partie du gouvernement provisoire. Sa prestation extraordinaire souleva l’enthousiasme des foules au point que Rachel la chanta jusqu’à l’épuisement, surtout lors de ses tournées en province et à l’étranger. Une nouvelle icône de Rachel en surgit, sans commune mesure avec son succès dans le rôle de Jeanne d’Arc. À 27 ans, Élisa Félix, juive alsacienne immigrée à Paris, incarna l’âme de la Révolution. Pour Fanny Lewald, voir cette juive, «fille des opprimés d’autrefois», incarner la liberté était un symbole d’espoir. Mais Rachel aspira bien vite au retour de l’ordre. Sentit-elle que ce désordre n’augurait rien de bon pour les juifs? Déjà inquiétée par l’incendie du château des Rothschild lors de la révolution de février [32], elle dut l’être davantage par les nouvelles des émeutes antisémites de Marmoutier et de Durmenach – non loin de Bouxwiller dont les Félix étaient originaires – contre lesquelles Crémieux, ministre de la justice, prit publiquement position. Le 22 octobre 1852, à la Comédie-Française, en l’honneur du Prince-Président, Rachel récita le poème d’Arsène Houssaye L’Empire, c’est la paix. Ses liens avec les Bonaparte – dont sa longue liaison avec le prince Napoléon – lui assurèrent ses entrées dans les plus hauts cercles du pouvoir.

25En dépit de toutes les faveurs et du pouvoir dont elle jouissait, Rachel se trouva constamment renvoyée à sa qualité de juive. Comme Crémieux ou d’autres juifs français, elle décida d’en rire, se moquant par avance d’elle-même, notamment de son rapport à l’argent. Elle y trouva même la source d’une complicité avec Louis Véron, un parvenu que l’on brocardait pour sa fortune récente. Peut-être se consola-t-elle en se réfugiant dans ce statut d’exception que lui accordaient ses admirateurs parmi lesquels figuraient Delacroix et Stendhal? Alors qu’il n’hésitait pas à dénoncer la vulgarité et la «juiverie peinte sur la figure» d’autres femmes comme La Païva ou Madame Ugalde, Delacroix ne tarissait pas d’éloges pour Rachel. Le même esprit régnait chez Gautier. Contradiction inhérente à l’esprit romantique [33], alors qu’ils débordaient de louanges pour l’actrice et la femme, les écrivains élaboraient dans leurs œuvres les stéréotypes du «juif» et de «la juive» qui feront florès dans la littérature européenne. Dans le cas de Rachel, la rhétorique du génie la plaçait dans un statut d’exception et contournait ses véritables origines en la détachant de son ascendance juive par le biais de l’esthétisation [34]. Démarche que l’on retrouve dans les rôles tragiques écrits par les contemporains, dont Delphine de Girardin [35], qui mettaient en scène des héroïnes juives ou orientales. «Les Juifs», nous dit Hannah Arendt, «sont devenus, dans le relâchement des structures sociales conventionnelles d’alors “fréquentables” de la même manière que les acteurs: aux uns et aux autres, la noblesse atteste qu’ils peuvent, sous certaines conditions, être admis à la cour» [36]; «l’assimilation sociale au sens de la pleine reconnaissance par la société non juive ne leur était accordée que dans la mesure où ils apparaissaient comme des exceptions au sein de la masse des Juifs» [37]. Lorsque des critiques accusèrent Rachel de ne devoir son succès qu’au soutien des israélites, Delphine de Girardin, courant à sa défense sous la signature «vicomte de Launay», s’enthousiasma pour la solidarité juive:

26

Nous ne pouvons nous empêcher d’admirer cette belle union de tout ce peuple qui se parle et se répond du bout du monde à l’autre, qui se comprend avec une si prodigieuse rapidité, qui relève un de ses fils malheureux à son premier cri, et qui court chaque soir applaudir en foule celui de ses enfants qui se distingue par son génie. Cela fait rêver. N’avoir point de patrie, et garder un sentiment national si parfait! Quelle leçon pour nous qui nous desservons mutuellement sans cesse […] Faut-il donc des siècles d’exil et de persécution pour que les enfants d’une même terre apprennent à s’aimer entre eux? [38]

27Toute à sa bonne intention, l’auteur en oubliait toutefois un point fondamental: la plupart de ces juifs décrits comme modèles étaient des citoyens français.
Marginale, exemplaire et exceptionnelle, la situation de la grande tragédienne juive Rachel fut celle formulée sans compromis par Arendt:

Ce qui caractérise les Juifs assimilés c’est d’être devenus incapables de distinguer leurs amis de leurs ennemis, ou de faire la différence entre un compliment et une insulte, et de se sentir flattés lorsqu’un antisémite leur affirme qu’il ne les englobe pas dans son antisémitisme, qu’ils sont des Juifs exceptionnels […] Le Juif d’exception est davantage un Juif qu’une exception. [39]

Notes

  • [1]
    Cela est aussi le cas pour d’autres personnalités juives de cette période.
  • [2]
    Sylvie Chevalley, Rachel. J’ai porté mon nom aussi loin que j’ai pu, Calmann-Lévy, 1989; Rachel Brownstein, Tragic Muse, Rachel of the Comédie-Française, New York, A. Knopf, 1993; Anne Martin-Fugier, Comédienne, Seuil, 2001.
  • [3]
    «J’ai reçu aujourd’hui la visite de mademoiselle Rachel: elle est charmante et a tout à fait grand air. On ne dirait jamais la fille de bohémiens», D. de Girardin, lettre à Lamartine, 28 novembre 1838, dans Séché, Delphine Gay, Mercure de France, 1910, p. 237. «Quelle intéressante figure que celle de cette jeune bohémienne, devenue grande dame à l’improviste et à son insu!», dans Louis Véron, Mémoires d’un bourgeois de Paris, Librairie nouvelle, 1856, IV, p. 177.
  • [4]
    Auguste Bolot, Mademoiselle Rachel et l’avenir du Théâtre-Français, Rousseau, 1839; Charles Maurice, La Vérité-Rachel, Ledoyen, 1850; L. Véron, ouvr. cité; Théophile Gautier, Portraits contemporains, Charpentier, 1874 (2e éd.); Jules Janin, Rachel et la tragédie, Amyot, 1859; Védel, Notice sur Rachel, Chaix, 1859; Samson, Mémoires, Paul Ollendorff, 1882 (4e éd.); Madame Samson, Rachel et Samson, Paul Ollendorff, 1898 (3e éd.); Paul Gsell, La Vie d’une grande tragédienne. Mémoires de Madame Judith de la Comédie-Française, Jules Tallandier, 1911.
  • [5]
    Lettre de Lia à Rachel, Nantes, 30 mai 1857. Archives de la Comédie-Française.
  • [6]
    A. de Musset, Un souper chez Mlle Rachel; Lettre d’Édouard Devrient à sa femme, février 1839, cité par S. Chevalley.
  • [7]
    Sylvie Chevalley, ouvr. cité.
  • [8]
    Lettre de Rachel à Sarah, Marly-le-Roi, 3 novembre 1844. Archives de la Comédie-Française. Elle y parle de «Madame Félix et sa nouvelle progéniture» et plaisante: «Dis à cette dernière qu’elle se garde bien de faire un petit garçon car j’ai le projet de les marier un jour.» Cet enfant ne survécut pas.
  • [9]
    Aidé par son avocat Adolphe Crémieux, il rédigera une plaidoirie qu’il fera publier dans le journal Le Siècle, le 2 février 1839. Le manuscrit est aux Archives de la Comédie-Française.
  • [10]
    M.-L. Pailleron, La Revue des deux Mondes et la Comédie-Française, Calmann-Lévy, 1910, p. 266: «Rachel pauvre, à peine éduquée, n’avait pour elle que son père, israélite obstiné, et son génie.»
  • [11]
    Védel, ouvr. cité, p. 7; Gsell, ouvr. cité, p. 13.
  • [12]
    Védel, ouvr. cité. Il se trompe de deux ans.
  • [13]
    Gsell, ouvr. cité.
  • [14]
    Rachel à D. de Girardin à propos de sa pièce Judith: «Mon père ne me semble pas à portée de vous donner les indications nécessaires; mais j’ai pensé, Madame, à M. Crémieux, qui connaît parfaitement tous ces détails», Bordeaux, 24 juillet 1841, dans G. d’Heilly, ouvr. cité.
  • [15]
    Lettre de Rachel, Meulan, 25 juin 1856. Archives de la Comédie-Française.
  • [16]
    Peu soucieuse de la réputation de sa sœur, Sarah vendit ces lettres après la mort de Rachel, alors qu’elle et leur père intentèrent un procès à Frédérique O’Connell pour avoir reproduit une photographie de Rachel sur son lit de mort. Dans sa biographie Rachel, the Immortal, Londres Hutchinson & C°, 1935, Bernard Falk releva l’ambiguïté de l’attitude de Sarah. Raphaël, Lia et Dinah Félix demeurèrent très discrets, aux dires de G. d’Heilly, ouvr. cité.
  • [17]
    L’Univers israélite, 15 décembre 1846.
  • [18]
    Dr Tampier, Les Dernières Heures de Rachel, Labé, 1858. Jean-Jacques Sardou, lettre à Mario Uchard, 6 janvier 1858, dans G. d’Heilly, ouvr. cité, p. 255-258.
  • [19]
    «J’ai vu hier soir Phèdre, j’ai vu Rachel; et, je vous le dis, c’est beau! c’est beau! c’est beau!…», dans E. Manuel, Lettres de jeunesse, lettre à Laurent Pichat, 11 février 1842. «Le charme de sa voix, la justesse de ses intentions frappent de plaisir et d’étonnement l’auditoire, soutenu dans son enthousiasme par une salle où la Judée compte de nombreux représentants, et voilà le succès lancé!». Charles Maurice, ouvr. cité, p. 16.
  • [20]
    Bolot, ouvr. cité, p. 7-8.
  • [21]
    Ancien polytechnicien, l’auteur dramatique Cerfbeer fut un membre actif de la communauté juive parisienne. Dès 1845, avec Crémieux, Salvador et Fould, il adhéra au projet de Goudchaux Baruch Weil de fonder une société pour la défense du droit des juifs (future Alliance israélite universelle). En 1849, il siégea aux côtés de Lazare Isidor dans la section de l’Instruction et des Arts et Métiers du Consistoire central.
  • [22]
    Voir Joël Huthwohl, «Rachel et la Comédie-Française ou la naissance du système directorial», dans Rachel, une vie pour le théâtre (1821-1858), catalogue de l’exposition, Paris, co-éditions Adam Biro-MAHJ, 2004.
  • [23]
    Samson, ouvr. cité, p. 310-311.
  • [24]
    Virginie Ancelot, Les Salons de Paris, foyers éteints, Jules Tardieu Éditeur, 1858, p. 243-245.
  • [25]
    A. Bolot, ouvr. cité.
  • [26]
    Janin, ouvr. cité, p. 24 et 27.
  • [27]
    Lettre de Rachel à Sarah, [1839], Archives de la Comédie-Française. L’orthographe est celle de Rachel.
  • [28]
    Titre d’une ode de Théodore de Banville, récitée par Rachel à la Comédie-Française le 6 janvier 1854.
  • [29]
    Véron, ouvr. cité, p. 176-177.
  • [30]
    Lettre de Rachel à Adèle Samson, Metz, fin août 1845. Archives de la Comédie-Française.
  • [31]
    Ibid.
  • [32]
    Lettre de Rachel à Edmond Geffroy, le 25 ou 26 février 1848. Archives de la Comédie-Française.
  • [33]
    Voir C. Lehrmann, L’Élément juif dans la littérature française, Albin Michel, 1961; J.G. Löwin, «Théophile Gautier et ses Juifs», REJ, juillet-décembre 1972; L.A. Klein, Portrait de la Juive dans la littérature française, Nizet, 1979; K. Kupfer, Les Juifs de Balzac, NM7 Éditions, 2001; M. Lavaud, Théophile Gautier, militant du romantisme, H. Champion, 2001.
  • [34]
    Voir A. H. Hoog, «“L’enfant du miracle”. Ambivalences du discours sur les origines de Rachel et de son génie», dans Rachel, une vie pour le théâtre, ouvr. cité.
  • [35]
    Ses tragédies Judith (1843) et Cléopâtre (1847) furent écrites pour Rachel.
  • [36]
    Hannah Arendt, Rahel Varnhagen, p. 80.
  • [37]
    Ibid., p. 162.
  • [38]
    Lettres parisiennes du vicomte de Launay, Michel Lévy, 1857, p. 29.
  • [39]
    H. Arendt, «Les Juifs d’exception (janvier 1946)», dans La Tradition cachée. Le Juif comme paria, Christian Bourgois éditeur, 1987, p. 124 et 126.
Français

Résumé

Le cas de la tragédienne de la Comédie-Française, Élisa Félix (1821-1858), devenue célèbre sous le nom de Rachel, illustre l’acculturation et l’ascension sociale des juifs, en France, durant la première moitié du xixe siècle. Lorsqu’elle ne fut pas utilisée contre elle par ses biographes, la judéité de Rachel a été, dans le meilleur des cas, traitée en information négligeable. En confrontant la légende à la réalité sociale, il apparaît que sa condition doublement marginale de juive et de comédienne et l’obligation d’exemplarité qui lui fit faite déterminèrent son statut exceptionnel au sein de la société française.

English

Abstract

The life of the great tragedian of the Comédie-Française, Élisa Félix (1821-1858), who became famous as Rachel, illustrates the acculturation and the social rise of the Jews in Nineteenth Century France. Provided her biographs did not use it against her, Rachel’s Jewishness has rather been held for a minor piece of information. By confronting the legend to the social reality, it appears that both her doubly marginal condition, as a Jewess and as an actress, and the expectation of exemplarity played a major part in the forming of her status as an exception in the midst of French society.

Anne Hélène Hoog
Historienne, Commissaire de l’exposition «Rachel, une vie pour le théâtre (1821-1858)», Musée d’art et d’histoire du Judaïsme, Paris
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Mis en ligne sur Cairn.info le 01/01/2010
https://doi.org/10.3917/rom.125.0091
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