CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Les programmes d’avions de combat, au-delà des aspects symboliques et de puissance militaire, sont économiquement considérés comme des programmes structurants pour l’industrie aéronautique et plus largement d’une Base industrielle et technologique de défense (BITD) dans son ensemble en raison des effets amonts (R&D, fournisseurs) mais aussi avals (services, MCO, update, retrofit, etc…).Les débats actuels autour du Système de combat aérien futur (SCAF) en Europe illustrent particulièrement bien la complexité de ces enjeux [1]. Dans le domaine aéronautique militaire, le SCAF sera le projet structurant des années à venir pour les BITD des pays partenaires. Le coût total du programme est évalué entre 50 et 80 milliards d’euros [2]. Il implique actuellement la France, l’Allemagne et l’Espagne. Le SCAF sera un système de plateformes et d’armements interconnectés, centré autour d’un aéronef de combat polyvalent. Un démonstrateur est attendu pour 2026 avec une première capacité opérationnelle en 2040 [3]. Mais la coordination en matière d’équipements de défense en Europe est difficile car un projet concurrent, le Tempest, est porté par le Royaume-Uni (BAE), avec comme partenaires l’Italie (Leonardo) et la Suède (Saab). Autrement dit, rien n’est gagné d’avance dans le SCAF car il faut s’entendre et négocier sur les caractéristiques techniques du système, le partage de l’activité industrielle et des technologies qui seront développées, sur les droits de propriété intellectuelle associés à ces technologies, et les conditions d’exportation des produits.

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Tornado et Jaguar britannique, 2005 (© SHD 05 160 450)

1 Bien que ce programme ne soit pas le premier programme d’avions de combat mené en coopération en Europe (par exemple Jaguar, Alphajet, Tornado, Eurofighter), une telle dynamique d’intégration à l’échelle européenne est inédite sur le segment des avions de combat, notamment parce que le SCAF doit être conçu comme un système de systèmes, avec notamment des interconnexions entre plateformes déjà en service dans les différentes armées et souvent hétérogènes. Ainsi, il est utile de questionner les différentes dynamiques à l’œuvre depuis la fin de la guerre froide qui peuvent expliquer les choix actuels. En la matière, les enjeux économiques et budgétaires relatifs aux coûts des programmes, comparativement aux générations précédentes, jouent un rôle fort de catalyseur [4]. Néanmoins d’autres forces comme les enjeux industriels, stratégiques ou encore politiques peuvent être évoquées. L’objectif de cet article est de proposer une évaluation globale de ces phénomènes.

2 Cet article s’intéresse au marché des avions de combat en Europe (UE-28) [5]. Nous cherchons à comprendre comment se construisent et évoluent les préférences des États en matière d’équipement de défense, en nous appuyant sur le cas des avions de combat en Europe. L’approche multidimensionnelle que nous adoptons est originale dans la mesure où si elle est centrée sur l’économie, nous nous efforçons de tenir compte d’autres dimensions plus stratégiques comme la souveraineté, les partenariats stratégiques et diplomatiques qui, comme le montre l’exemple du SCAF ci-dessus, pèsent fortement dans les choix opérés par les pays en matière d’avions de combat. Nous nous situons en « longue période » (1990-2019) ce qui permet de questionner l’évolution des préférences des pays et d’observer et quantifier les changements ou les continuités dans les différents choix des pays en matière d’avions de combat.

3 La suite de l’article est articulée comme suit : la section 1 discute les choix qui président à l’évolution des flottes d’avion de chasse, en insistant sur la dimension du coût des programmes. La section 2 décrit les données utilisées et les résultats empiriques. La section 3 propose une typologie des pays sur la base d’un « gradient d’acquisition ».

Section 1 : de l’évolution de la taille des flottes

4 Si les facteurs économiques comptent dans l’achat d’avions de combat, en particulier pour les petits États disposant de ressources financières plus restreintes, les négociations politiques et diplomatiques, ainsi que les enjeux stratégiques sous-jacents jouent un rôle fondamental. Cette section présente donc une taxonomie des stratégies envisageables.

5 L’une des raisons historiques en matière de détermination des choix d’avions de combat est la participation historique à la défense contre un ennemi commun, notamment dans le cadre de la guerre froide avec d’un côté l’OTAN (et les matériels américains) et de l’autre côté l’URSS (et les matériels soviétiques). Ainsi, acheter un avion d’un pays allié, c’est bénéficier en retour de sa protection et participer à la défense commune aux côtés de cet allié. Dans le cadre de l’OTAN par exemple, le fait que certains pays soient capables d’emporter l’arme nucléaire américaine (Belgique, Italie, Allemagne) va conditionner en partie les choix d’équipements pour des raisons techniques mais dont les fondements sont diplomatiques et stratégiques. Ces effets peuvent perdurer dans le temps avec des formes de « contrainte de sentier » et de dépendance [6]. Les États sont alors d’autant plus susceptibles d’acheter des appareils de l’allié qu’ils dépendent de la sécurité de cet allié ou qu’ils sont menacés par des pays dont le fournisseur d’armement est un ennemi de l’allié. Le soutien à la BITD, activité industrielle de souveraineté, est aussi un déterminant important dans le choix d’acquisition d’un avion de combat [7]. La préférence nationale fait alors très souvent partie des options privilégiées lorsqu’il s’agit de conserver des technologies de souveraineté. Lorsque le programme est en coopération, l’acquisition de technologies ou les retombées sont aussi à prendre en compte. Par exemple, grâce à son inscription dans le programme Tornado, l’Allemagne de l’Ouest a pu relever le niveau de compétitivité de son industrie aéronautique [8]. Plus récemment, dans le cadre du programme F-35, le Royaume-Uni par exemple, seul partenaire de niveau 1 dans le programme, est responsable de 15 % de la fabrication de l’appareil, ce qui représente 30 milliards de livres sur la durée du programme et près de 24 000 emplois [9]. L’unité de production européenne du F-35, localisée à Cameri en Italie (production de l’appareil et maintenance du moteur), devrait avoir des retombées économiques estimées à plus de 15 milliards d’euros [10]. Au-delà de l’équipement des forces aériennes italiennes, cela garantit des emplois industriels sur le territoire national tout en laissant espérer pour le pays des retombées et des transferts de technologies sur son industrie aérospatiale nationale (via notamment le réseau de sous-traitance). A contrario, un pays qui ne possède pas de compétences industrielles peut choisir de dépendre d’un fournisseur unique, assez généralement les États-Unis, et ainsi bénéficier d’économies d’échelle aussi bien au niveau de l’acquisition (grâce au volume de production) mais aussi sur l’ensemble du cycle de vie (grâce au caractère éprouvé du matériel, d’effets d’apprentissage dans la maintenance, etc…).

6 Ensuite, les coûts des avions de combat augmentent de façon tendancielle, ce qui pousse les pays à mettre en place différentes stratégies d’acquisition. Nous passons en revue cette dimension centrale, observée aussi bien lors des changements générationnels qu’au sein d’une même génération.

7 À la fin des années 1970, l’industriel Norman Augustine postule que les budgets de défense augmentent de façon linéaire lorsque le coût unitaire d’un nouvel avion militaire croît exponentiellement. Suivant cette conjecture, il explique – non sans humour – qu’en 2054, le budget de défense américain permettra d’acheter un seul avion tactique. Cet avion devra être partagé par les forces aériennes et navales trois jours et demi chacun par semaine, sauf pour les années bissextiles où il sera mis à la disposition des Marines [11]. Cette « loi » est en réalité un problème classique de pouvoir d’achat où les prix augmentent plus vite que le revenu et conduisent à être « désarmé par l’inflation » [12].

8 Quelques résultats empiriques permettent de mieux cerner le problème. Dans le cas américain sur la période 1974-2005, Keating et Arena [13] montrent que le taux de croissance annuel moyen du coût des avions de combat de l’US Air Force et de l’US Navy est estimé à 7,6 % [14]. Des années 1950 aux années 2000, les travaux britanniques font état d’une croissance annuelle moyenne du coût de production des avions de combat allant de 4,7 % [15] à 11,5 % [16]. Dans le cas suédois sur la période 1960-2010, Nordlund [17] montre que le taux de croissance annuel moyen des coûts des avions de chasse se situe environ 7 % au-dessus du taux d’inflation. Dans une perspective multi-pays et sur une longue période, l’étude de Hove et Lillekvelland [18] montre que les coûts des avions de combat ont un taux de croissance annuel moyen compris entre 4 et 6,8 % au-dessus de l’inflation. Hartley [19] montre que le coût des avions militaires serait au moins multiplié par quatre tous les dix ans, notamment dans le cas des chasseurs embarqués ou des avions de transport.

9 Cette augmentation tendancielle des coûts est liée à une recherche systématique d’un avantage militaire marginal sur l’adversaire qui entraîne une augmentation de l’intensité technologique des équipements dans une forme de « course aux armes qualitative ». Un pays est alors prêt à dépenser beaucoup pour obtenir des améliorations marginales parce qu’en termes militaires, un « petit plus » en termes de performances peut permettre la survie. Cette caractéristique qui fait des équipements militaires des « biens de tournois » est un facteur fondamental dans la hausse tendancielle des coûts [20]. Une autre explication concomitante tient dans l’existence de rendements d’échelle décroissants dans la recherche et développement (R&D) : il existe une relation croissante entre gains technologiques et investissement en R&D de défense mais moins que proportionnelle.

10 Les figures 1 [21], 2 [22] et 3 [23] présentent, à des fins illustratives, l’évolution du coût unitaire des avions de combat aux États-Unis, au Royaume-Uni et en France depuis les années 1950. Les données disponibles et toutes exprimées en volume – en tenant compte des effets de l’inflation – montrent une forte croissance des coûts unitaires.

Figure 1

Coût unitaire des avions de combat américains, en dollars US de 2017

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Coût unitaire des avions de combat américains, en dollars US de 2017

Source : auteurs, d’après Kosiak, données issues du CBO (Congressional Budget Office) et DoD (Department of Defense)
Figure 2

Coût unitaire des avions de combat britanniques, en milliers de livres sterling de 2018

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Coût unitaire des avions de combat britanniques, en milliers de livres sterling de 2018

Source : auteurs, d’après Hartley, d’après données Ministry of defence (MoD)
Figure 3

Coût unitaire des avions de combat français, en millions d’euros de 2015

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Coût unitaire des avions de combat français, en millions d’euros de 2015

Source : auteurs, d’après Hébert et rapports parlementaires (Rafale)

11 La principale conséquence de la tendance à l’accroissement des coûts est que le pouvoir d’achat en termes d’avions de combat diminue et la taille des flottes également. Par exemple, si la France dépensait la totalité de son budget d’équipement de défense en avions de combat, elle pourrait s’offrir 170 Rafale contre près de 5 000 Ouragan. Certes, l’exemple est fictif et probablement dénué de sens opérationnel car plus de 50 ans d’évolution technologique séparent les deux appareils, mais la baisse de pouvoir d’achat existe bel et bien. Ainsi, le nombre d’avions de combat produits et vendus chaque année diminue sur le long terme. Dans le monde, presque 10 000 appareils ont été fabriqués entre 1980 et 1989, 4 250 appareils ont été produits dans les années 1990 et les estimations pour la période 2010-2022 faisaient état de moins de 3 000 appareils [24].

12 En réponse à la loi d’Augustine, plusieurs stratégies peuvent alors être mises en place par les États. Le premier choix est l’abandon capacitaire. Dans ce cas, le pays renoncerait alors purement et simplement à disposer d’une flotte d’avions de combat. Mais, il y a des effets de verrouillage et l’histoire récente montre, qu’une fois abandonnée, il est difficile et coûteux de revenir en arrière

13 Une autre stratégie consiste à compenser la baisse de la taille des flottes par l’utilisation d’avions plus polyvalents, capables de mener un spectre de missions plus large. C’est par exemple le cas en France avec le passage au Rafale. Lors de l’expression du besoin à la fin des années 1970, la marine nationale et l’armée de l’air souhaitaient un avion de combat susceptible de remplacer sept types d’avions en service à l’époque [25]. Or, les appareils polyvalents et multi-missions deviennent de plus en plus coûteux à concevoir, produire et entretenir. Plus ces derniers sont polyvalents, plus ils sont complexes et coûteux, et à budget constant (ou pire décroissant), moins on en possède. La polyvalence n’a donc pas stoppé l’envolée des coûts, mais l’a en réalité alimentée [26].

F 35 en approche sur l’USS Nimitz

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F 35 en approche sur l’USS Nimitz

14 En complément, les États peuvent également choisir de rationaliser leur parc en optimisant les matériels déjà en service. L’intérêt d’une telle stratégie tient également dans l’optimisation du soutien. Les innovations vont ici être contractuelles, organisationnelles et technologiques dans le but d’optimiser la disponibilité de la flotte, i.e. atteindre un niveau de disponibilité donné en minimisant son coût. Toujours dans le MCO, une option peut consister à garder des flottes plus nombreuses avec des appareils moins coûteux à l’heure de vol. Cette solution présente un intérêt à court terme, surtout lorsque les flottes en service sont nombreuses avec de fait beaucoup de pièces détachées en circulation et de personnels formés, mais est non viable à long terme car les coûts de MCO augmentent aussi avec l’âge [27].

Figure 4

Nombre d’avions de combat (1990-2019)

Figure 4

Nombre d’avions de combat (1990-2019)

15 Il y a également une option consistant à acheter moins cher à un pays tiers. Dans ce cas de figure, les États-Unis sont particulièrement bien placés en raison de leur compétitivité coût basée sur des effets d’échelle. Ces effets d’échelle et de série expliquent pour une grande partie la domination américaine sur le marché d’exportation d’armement. Cet « effet taille de marché » est relativement plus fort pour les économies industrialisées par rapport aux économies moins développées.

16 Il y a ensuite le choix de la coopération. Pour faire face à la croissance des coûts, les stratégies d’acquisition visant à développer et produire en commun des équipements de défense sont une option possible. La coopération s’apparente alors à une sorte « de club », offrant la possibilité à ses membres d’éviter des duplications concernant les coûts de R&D et, plus largemen, t de bénéficier d’effets d’échelle et d’apprentissage [28]. Entre la politique des années 1960-1970 et celle des années 2000, « la coopération passe du statut de forme d’organisation d’appoint en cas de difficultés économiques à celui de forme normative de développement » [29]. Depuis le début des années 2000, la coopération avec les pays partenaires ou alliés est devenue le cadre de référence pour la plupart des opérations d’armements.

17 Enfin, pour les pays ayant une BITD positionnée sur des marchés « de niche » ou trop fragmentée pour répondre aux besoins capacitaires, le choix d’importer des avions de combat est le seul pertinent. Schématiquement, deux options sont envisageables : soit acheter directement auprès d’entreprises européennes, soit acheter américain. Ici le critère de décision répond à un arbitrage entre enjeux budgétaires, disponibilités des matériels et besoins stratégiques.

18 En fonction des stratégies mises en place, une perte d’autonomie stratégique est plus ou moins observée. Les commandes de matériels et notamment les avions de combat sont pensées dans une optique politico-opérationnelle puisqu’elles s’alignent sur les équipements, les technologies voire les doctrines des pays partenaires et fournisseurs.

Section 2 : Données et résultats

19 Afin d’illustrer les stratégies évoquées plus haut, nous constituons une base de données sur les pays de l’UE depuis la fin de la guerre froide. Nos données permettent de mettre en évidence un processus de rationalisation des flottes à travers l’étude de leur taille, de leur composition, de leur âge et de leur origine.

Taille des flottes

20 Les données sur les avions de chasse sont issues des Military Balance de 1990, 1995, 2000, 2005, 2010, 2015 et 2019 de l’International Institute for Strategic Studies (IISS). Les données sur les dates d’entrée en service sont issues de « sources libres » (par exemple presse spécialisée, Wikipédia). Sur les sujets concernant la défense les sources libres sont particulièrement intéressantes [30].

21 Une tendance nette de baisse de la taille des flottes d’avions de chasse se dessine sur la période. En 1990, les pays de l’actuelle UE-28 possédaient un total de 4 830 avions, contre seulement 1 829 en 2019, soit une diminution globale de 62 %.

22 Nous observons de fortes disparités selon les pays, l’ancien bloc soviétique enregistrant la diminution la plus drastique. Ainsi, l’Allemagne tout juste réunifiée possédait encore des avions soviétiques en 1990 et a réduit sa flotte de 75 % entre 1990 et 2019. Des résultats similaires sont observables en Bulgarie, Hongrie, Pologne et Roumanie, qui enregistrent une diminution de leur flotte supérieure à celle de la diminution globale. Hormis ces exceptions, les autres pays voient la taille de leur flotte diminuer de 44 % en moyenne.

23 En menant une comparaison alternative entre 1995 et 2019 permettant d’inclure la Croatie, la République Tchèque et la Slovaquie, la flotte totale a diminué de 58 %.

24 La baisse n’est pas linéaire puisque que la perte totale d’avions de chasse est de 9 % entre 1990 et 1995, elle est ensuite particulièrement marquée entre 1995-2000 et 2000-2005, avec respectivement une diminution des flottes de 19 % et 25 %, pour ralentir après 2005. Cette tendance suggère un effet d’inertie lié à la guerre froide et à la course aux armements qui a particulièrement caractérisé les années 1980, suivie des « dividendes de la paix » et enfin d’une période dans laquelle les pays cherchent à préserver un socle capacitaire, dans une forme de « lutte contre la loi d’Augustine ». La décroissance reste cependant à l’œuvre. Par exemple, la Belgique prévoit de remplacer sa soixantaine de F16 par une trentaine de chasseurs de nouvelle génération.

Variétés

25 La rationalisation dans la quantité se retrouve également dans la baisse du nombre de variétés, comptabilisées pour cette étude comme étant le nombre de versions différentes d’un appareil comptabilisées dans le Military Balance. Par exemple, nous distinguons ainsi les F-16A des F-16B, ou les Gripen A des Gripen C, etc. En effet, si la diversité permet de couvrir un spectre plus large de missions, sur un plan économique elle nuit à la rationalisation dans la mesure où elle entraine des duplications en termes d’infrastructures de formation, de maintenance ou de personnel. Une trop forte hétérogénéité freine les effets d’échelle et d’apprentissage.

Tableau 1

Évolution de la taille de la flotte d’avions de chasse par pays (1990-2019)

Tableau 1

Évolution de la taille de la flotte d’avions de chasse par pays (1990-2019)

Source : Military Balance, IISS, calculs des auteurs

26 La tendance à la rationalisation est claire. Les pays comptaient en moyenne, au sein de leurs forces armées, 4,9 variétés d’avions en 1990 contre 3,5 en 2019. Cette rationalisation par une réduction globale de la diversité se retrouve en calculant l’indice de concentration de Herfindahl-Hirschman [31].

27 En moyenne pour tous les pays l’indice évolue de 0,385 en 1990 à 0,532 en 2019. Ceci est révélateur d’une concentration globale, avec néanmoins des disparités selon les pays. Les Allemands qui étaient relativement diversifiés en 1990 ont rattrapé la moyenne en 2019. Certains pays sont bien en-dessous de cette moyenne et restent historiquement très diversifiés : France et Grèce particulièrement, mais aussi Espagne et Italie. Au contraire, le Royaume-Uni qui était très diversifié en 1990, fait partie en 2019 des pays ayant les flottes les plus concentrées, à l’instar de la Bulgarie (dans une moindre mesure), atteignant des niveaux similaires aux pays historiquement concentrés comme la Belgique, le Danemark ou la Finlande par exemples. Un seul pays évolue à contre-courant, la Pologne, dont la flotte est plus diversifiée en 2019 qu’en 1990. À cela il faut ajouter les Pays-Bas qui diversifient leur flotte sur la fin de période avec l’entrée en service du F-35, qui cohabite avec les F-16.

Figure 5

Évolution de l’indice HHI par pays et évolution globale (1990-2019)

Figure 5

Évolution de l’indice HHI par pays et évolution globale (1990-2019)

Figure 6

Évolution de l’âge moyen des flottes par pays (1990-2019)

Figure 6

Évolution de l’âge moyen des flottes par pays (1990-2019)

Allemagne (GER), Autriche (AUT), Belgique (BEL), Bulgarie (BLG), Croatie (CRO), Danemark (DNK), Espagne (ESP), Finlande (FIN), France (FRA), Grèce (GRC), Hongrie (HUN), Italie (ITA), Pays-Bas (NLD), Pologne (POL), Portugal (PRT), République Tchèque (CZE), Roumanie (ROM), Royaume-Uni (UK), Slovaquie (SVK), Suède (SWE) ; selon les dénominations OTAN
Source : Military Balance, calculs des auteurs

Vieillissement des flottes

28 Il est ensuite possible de s’intéresser à l’âge des flottes. leur âge avancé peut entraîner un besoin accru de renouvellement. Par ailleurs, les armées européennes ayant des ambitions stratégiques plus poussées, peuvent vouloir maintenir un âge moyen plus faible afin de préserver leur supériorité opérationnelle. Il s’agit ici d’approximer la frontière technologique via une prise en compte plus fine de l’âge des appareils. En effet, si la supériorité aérienne est une question de tactique, de stratégie, d’expérience opérationnelle et bien entendu de nombre d’appareils, elle est aussi fondée sur la technologie. En ce sens, dans une perspective de « biens de tournois », l’âge des flottes est vu comme une approximation de la position d’un pays par rapport à la frontière technologique.

29 Nous calculons alors un proxy de l’âge moyen des appareils en pondérant leur date d’entrée en service par leur poids relatif de l’appareil dans l’ensemble du parc. Cet indicateur « d’âge moyen calculé » des flottes montre un vieillissement (+ 12 ans en moyenne, allant d’un rajeunissement de la flotte de quelques années pour la Hongrie ou la Suède par exemple à un vieillissement de 29 ans pour la flotte belge).

30 En 2019, les pays ayant les plus vieilles flottes sont la Croatie et la Roumanie (60 et 54 ans respectivement). Ces pays possèdent encore des MiG-21 russes, ces derniers étant toutefois panachés avec des F-16A/B en Roumanie. La Belgique, le Danemark et le Portugal possèdent des flottes de F-16 A/B ayant en moyenne 41 ans. Viennent ensuite l’Autriche, la Bulgarie, la Finlande, la Grèce, les Pays-Bas, la Pologne et la Slovaquie avec une flotte âgée en moyenne de 33 à 38 ans. Les pays ayant des flottes âgées de 21 à 30 ans en moyenne sont l’Allemagne, l’Espagne et l’Italie, qui produisent les Tornado et les Eurofighter en coopération, tout en s’approvisionnant aussi du côté américain pour l’Espagne et l’Italie. Viennent enfin la France (20 ans), la Hongrie (18 ans), la République Tchèque (20 ans), le Royaume-Uni (15 ans) et la Suède (18 ans). Le jeune âge des flottes hongroises et tchèques est aussi expliqué l’entrée en service des Gripen C et D suédois en 2002.

31 On voit donc ici se dégager plusieurs groupes de pays en fonction de l’âge moyen de leur flotte. Certains ont eu les moyens de rajeunir leur flotte tandis que d’autres pays n’ont fait que très peu voire pas de remplacement d’avions. Ce constat est à mettre en relation avec l’effet technologique et la croissance des coûts. Dans une logique de croissance des coûts des équipements, certains pays réussissent à rester plus proche de la « frontière technologique », ici approximée par l’âge moyen du parc, ce qui implique un effort d’investissement plus important ; tandis que d’autres sont relativement plus éloignés de cette frontière, voire s’en éloignent, probablement sous le double effet d’un impératif opérationnel limité et de contraintes budgétaires fortes.

Origine du constructeur

32 Le graphique ci-dessous présente l’évolution de l’origine des appareils en service dans les armées en pourcentage du total des flottes, en fonction de la nationalité du constructeur.

Figure 7

Origine du constructeur des avions de chasse en Europe (% du total)

Figure 7

Origine du constructeur des avions de chasse en Europe (% du total)

33 Cette origine du constructeur est révélatrice des grandes tendances ayant lieu en Europe, à savoir une augmentation des parts respectives des avions européens et américains, une réduction de la part des russes sur un total d’appareils en décroissance. Ceci ne permet pas toutefois d’affiner l’analyse des préférences en matière d’avions de combat à l’échelle du pays. C’est ce que nous proposons de faire dans une troisième section avec la construction du gradient d’acquisition.

Section 3. Typologie des pays

34 À l’aide d’un indicateur que nous construisons, appelé « gradient d’acquisition », nous synthétisons les choix des États en matière de flotte d’avions de combat. À l’intersection des enjeux industriels et stratégiques, une typologie des pays est ainsi présentée.

Définition du gradient d’acquisition

35 Compte tenu des différences en matière d’industrie de défense, il apparait intéressant d’analyser comment les stratégies d’acquisition évoluent depuis 1990 selon l’origine du constructeur de l’appareil. Plusieurs sont observables et l’on peut construire un gradient d’acquisition allant d’une préférence axée sur la préférence nationale (et la souveraineté) à la préférence internationale (et à la dépendance). Entre les deux, se situent des stratégies intermédiaires avec la coopération internationale sous ses différentes formes. Un telle lecture du paysage d’acquisition d’équipements de défense qui suivrait un spectre d’indépendance est inspirée des travaux existants dans la littérature (Hartley, 2019). Notons que ces stratégies ne sont pas mutuellement exclusives car certains pays peuvent utiliser une forme de « panachage ». Par ailleurs, il faut souligner que le critère industriel n’est pas purement économique car les enjeux de souveraineté impliquent également la BITD et notamment la préservation des compétences et l’acquisition de technologies de souveraineté.

36 Une valeur de 1 indique donc une préférence nationale en matière de production d’avions de combat, ce qui traduit également le fait que la politique industrielle de défense est un élément central de la politique de défense. La volonté d’autonomie stratégique forte peut être liée à un objectif d’indépendance vis-à-vis de l’extérieur (en particulier les États-Unis) mais aussi des besoins opérationnels qui nécessitent une pleine capacité d’action (par exemple emporter une arme nucléaire ou « entrer en premier » sur un théâtre d’opération).

Tableau 2

Spectre d’indépendance et gradient d’acquisition en matière d’avions de combat

Valeur du gradientExplication
1Pays ayant des capacités de production nationale permettant techniquement de réaliser la totalité d’un appareil (ex. France, Suède).
2La stratégie d’acquisition suit une volonté de coopération européenne et uniquement entre États européens (ex. pays du consortium Eurofighter : Allemagne, Espagne, Italie et Royaume-Uni).
3Importation d’avions européens produits par un seul pays ou produits en coopération, mais sans participation au programme (ex. Autriche qui acquière l’Eurofighter).
4Appareils produits en coopération avec les États-Unis.
5Acquisition d’avions américains « sur étagère » (ex. Belgique qui achète des F-16 dans les années 1980)
6Possession d’avions soviétiques, héritage de la guerre froide (ex les anciennes républiques soviétiques comme la Bulgarie, la Hongrie, la Pologne ou la Slovaquie).

Spectre d’indépendance et gradient d’acquisition en matière d’avions de combat

Source : auteurs

37 Une valeur de 2 souligne les capacités industrielles mais également la nécessité de coopérer, soit parce qu’elles ne sont pas suffisantes pour produire l’intégralité de l’avion, soit pour partager les coûts de développement. En dépit de la coopération qui nécessite le partage d’informations, les ambitions opérationnelles sont également de haut niveau.

38 Il nous a semblé utile d’intégrer les transferts d’avions européens aux pays ne possédant pas de BITD capables de les fournir. Nous les avons donc codés avec la valeur 3. Cela concerne aussi l’achat d’Eurofighter par l’Autriche que les contrats de leasing de Gripen en Hongrie.

39 Les valeurs 4, 5 et 6 traduisent la dépendance à un acteur extérieur de l’UE, à savoir les États-Unis (codés 4 et 5) et la Russie (codé 6). Une valeur de 4 suggère que le pays possède des compétences industrielles spécifiques et peut donc être considéré comme un partenaire du programme américain. À l’inverse, une valeur de 5 indique que les pays renoncent à toute forme de souveraineté industrielle, ce qui peut être un choix tiré par les considérations économiques et industrielles : les capacités industrielles en la matière sont inexistantes (ou très largement insuffisantes) et les contraintes de coût conduisent à privilégier un matériel américain éprouvé, bénéficiant d’économies d’échelle parce que les volumes de production sont conséquents. Pour ces pays, les besoins opérationnels sont plus limités, bien généralement à un objectif de police de l’air. Enfin, la valeur de 6 traduit l’héritage soviétique des pays d’Europe centrale et de l’Est : aucun pays que nous étudions n’a fait le choix d’acquérir des avions soviétiques sur la période étudiée.

Ravitaillement en vol de Super-Étendard pendant l’opération Trident, 1999

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Ravitaillement en vol de Super-Étendard pendant l’opération Trident, 1999

© SHD

Calcul du gradient d’acquisition

40 Nous calculons un gradient basé sur les stratégies présentées dans le tableau 4. Le gradient est compris entre 1 et 6, avec 1 correspondant à la production nationale et 6 correspondant à la production russe (ex URSS). Le gradient est calculé en observant l’origine des avions possédés par un pays donné. Ainsi, si un pays possède 60 % d’avions américains et 40 % d’avions russes, nous multiplions chaque proportion par l’échelle du gradient correspondante et en faisons la somme. Pour cet exemple, le gradient est alors égal à, reflet du panachage du pays et tenant compte de la répartition par origine (pondération).

Tableau 3

Gradient d’acquisition

Tableau 3

Gradient d’acquisition

Source : auteurs

41 Le gradient est calculé pour tous les pays possédant des avions de combat en 1990, 2000, 2010 et 2019.

Analyse du gradient

42 La cartographie présentée page suivante montre les différentes stratégies d’acquisition en les déclinant sur un camaïeu de rouge, allant du plus clair (pour la valeur 1 de production nationale) au plus foncé (pour la valeur 6 de production russe).

43 Deux constats s’imposent. Premièrement les cartes confirment une plus forte tendance à l’européanisation, que cette dernière soit nationale ou en coopération. Deuxièmement, il y a un contraste entre les pays de l’Europe de l’Ouest et de l’Est et ce contraste est particulièrement marqué en 2019.

44 Certains pays en Europe ont une base industrielle de défense forte, tandis que d’autres ne produisent pas d’armes ou en produisent sur une partie limitée du spectre capacitaire. Afin de prendre en compte les enjeux industriels dans notre analyse du gradient, nous prenons comme proxy de l’existence d’une BITD relativement développée le fait d’être un pays signataire de la Lettre d’intention (Letter of Intent, LoI) [32]. La figure 8 montre que les pays signataires de la LoI ont un gradien33t nettement inférieur à celui des pays non-signataires (valeur de 2,3 en moyenne contre 4,9).

Figure 8

Gradient d’acquisition en matière d’avions de combat en Europe (1990-2019)

Figure 8

Gradient d’acquisition en matière d’avions de combat en Europe (1990-2019)

Source : conception des auteurs

45 Toujours entre ces deux groupes de pays, la variation comparée de ce gradient montre par ailleurs qu’elle est très faible pour les pays non-signataires de la Lettre d’intention (-3 % en moyenne) alors qu’elle baisse de 20 % en moyenne pour les autres (figure 9). Autrement dit, un pays, dont la BITD est développée, a une préférence plutôt en faveur d’une coopération européenne ou d’un avion produit nationalement et cette caractéristique a eu tendance à s’accentuer ces 30 dernières années.

Figure 9

Distribution du gradient d’acquisition entre signataires de la LOI et les autres pays

Figure 9

Distribution du gradient d’acquisition entre signataires de la LOI et les autres pays

Source : conception des auteurs

46 Enfin, en mettant en relation en prenant la moyenne des gradients et la moyenne des âges calculés sur notre période d’étude (1990-2019), la figure 10 montre une relation croissante entre l’âge moyen et le gradient.

47 En partant des caractéristiques des pays et en suivant notre analyse en termes de gradient d’acquisition, il est possible de définir plusieurs cercles reflétant des comportements différents et donc d’établir une typologie des États.

Figure 9

Variation du gradient entre 1990 et 2019 entre signataires de la LOI et les autres pays

Figure 9

Variation du gradient entre 1990 et 2019 entre signataires de la LOI et les autres pays

Source : conception des auteurs

Premier cercle

48 Appartiennent au premier cercle, les pays avec un gradient autour de 1 sur la période. Ces pays favorisent la production nationale (France, Suède). Leur gradient est stable et leurs flottes sont relativement plus jeunes. Notons que la France, puissance aérienne plus conséquente que la Suède possède une flotte largement plus diversifiée. En matière d’avions de combat, ces pays sont capables de produire des systèmes complets et autonomes. Leur BITD couvre une gamme relativement complète d’armements, y compris nucléaires, sur une base relativement autonome – ou a minima diversifiée – quant aux sous-systèmes et composants.

Deuxième cercle

49 Dans un deuxième cercle, on retrouve les pays favorisant la coopération, notamment européenne mais avec aussi une possibilité de panachage des flottes avec des appareils américains [33]. Il s’agit de l’Allemagne, du Royaume-Uni, de l’Italie et l’Espagne. Leur gradient serait plutôt compris entre 2 et 4. À un moment ou un autre de leur histoire, ces pays, possédant une industrie de défense relativement développée, ont fait le choix d’un partenariat américain relativement fort à la fin de la seconde guerre mondiale (par exemple l’accueil de bases militaires américaines ou l’achat d’avions). On notera que l’Allemagne et l’Italie accueillent des bases militaires de l’OTAN sur leur territoire et possèdent des avions emportant l’arme nucléaire américaine. Le Royaume-Uni a également une dépendance nucléaire et technologique forte vis-à-vis des États-Unis.

50 D’un point de vue technologique, il est possible de considérer que ces pays ne peuvent aujourd’hui pas produire d’avions de combat de façon autonome et ont un degré de dépendance plus élevé vis-à-vis de pays tiers, notamment les États-Unis. Ils conservent cependant une capacité de systémiers ou de maître d’œuvre leur permettant de réaliser nationalement un nombre relativement important d’armements majeurs (par exemple BAE au Royaume-Uni, Leonardo en Italie).

Troisième cercle

51 Le troisième cercle va plutôt rassembler les autres pays européens de l’Europe de l’Ouest qui, de façon schématique possèdent quelques capacités industrielles de défense, ne possèdent pas d’avions soviétiques et ont des ambitions stratégiques limitées (au moins dans la dimension aérienne). Ce troisième cercle est cependant quelque peu hétérogène.

Figure 10

Gradient d’acquisition (abscisses) et âge moyen des flottes (ordonnées)

Figure 10

Gradient d’acquisition (abscisses) et âge moyen des flottes (ordonnées)

Source : conception des auteurs

52 Il y a d’abord les pays qui préfèrent clairement l’achat américain avec par exemple le Danemark, la Finlande, le Portugal, la Belgique ou les Pays-Bas ayant un gradient plutôt compris entre 4 et 5. Ces pays ont une « petite BITD », plutôt spécialisée sur certains créneaux (notamment la Belgique ou les Pays-Bas). Pour le cas belge, les bombes nucléaires américaines localisées en Belgique, ne peuvent être larguées que par des appareils américains. Ces pays ont des industries de défense de plus petite taille, mais spécialisées dans certains segments. Pour certains d’entre eux (Danemark, Grèce, Portugal par exemple), la production d’armements est limitée en volume et d’un niveau technologique relativement plus faible.

53 Dans ce troisième cercle, si les enjeux industriels sont moins forts que pour les pays du deuxième cercle, les transferts de technologies sont cependant recherchés (via l’acquisition de licences notamment ou de mécanismes de compensation). Dans ce cercle, la Grèce et l’Autriche respectent certaines caractéristiques (contraintes budgétaires par exemple), mais la Grèce, avec un gradient supérieur à 4,5 et plutôt stable dans le temps, n’a que très peu d’enjeux industriels liés à l’aéronautique. L’Autriche, avec un gradient de 3, apparaît comme un contre-exemple de l’américanisation de ce troisième cercle de pays.

Quatrième cercle

54 Le quatrième cercle va rassembler les pays d’Europe de l’Est. Il s’agit de nouveaux marchés qui constituent de nouveaux prospects pour les industriels européens et américains.

55 La situation y est, là aussi assez hétérogène avec des pays comme la Hongrie dont la flotte était à 100 % d’origine ex-URSS, puis est passée à une origine 100 % Europe en optant pour le Gripen de Saab (14 appareils en service en 2019) dans le cadre d’un contrat de leasing. Enfin, la Bulgarie et la Slovaquie sont deux pays qui gèrent de petites flottes d’une douzaine de MiG soviétiques hérités de l’ex-URSS et dont l’âge moyen frôle les 40 ans.

56 Certains pays de ce quatrième cercle comme par exemple la Roumanie ou la Pologne s’équipent progressivement en matériel américain (F-16 notamment), tout en gérant un stock d’appareils hérités de l’époque soviétique. Choisir un partenaire américain peut s’interpréter comme une forme d’assurance-vie et de soutien face à la menace russe.

57 Notons que la République Tchèque est un pays à part dans ce quatrième cercle, car elle opère des avions européens (14 Gripen suédois, en leasing comme pour la Hongrie) ainsi que 16 Aero L-159 ALCA construits par Aero Vodochody mais dont le potentiel opérationnel est très limité.

Conclusion

58 En dehors de l’Europe, la plupart des forces aériennes sont engagées dans un processus d’augmentation qualitative et quantitative de leurs capacités air-air, qui passe également par un accroissement des flottes [34]. En Europe en revanche, si la qualité des systèmes augmente lors des renouvellements d’appareils (acquisition de nouveaux appareils, modernisation d’appareils déjà en service), cela se fait dans une tendance globale de réduction de la taille des flottes et d’augmentation de leur âge moyen.

59 En effet en tendance, sur la période 1990-2019, les flottes diminuent de 60 % en moyenne, ont un âge moyen plus élevé et tendent à être plus homogènes en moyenne avec un recentrage notable sur un nombre plus restreint de variétés. En moyenne, on assiste à une augmentation des parts respectives des avions européens et américains dans le total des appareils, concomitamment à une réduction de la part des avions d’origine russe (ou ex-URSS). L’analyse de notre gradient d’acquisition suggère qu’il y a des tendances communes entre les pays industriels, essentiellement d’Europe de l’Ouest, qui se replient sur leur appareil productif pour satisfaire les besoins opérationnels, et les autres pays qui acceptent de renoncer à une forme d’indépendance stratégique en visant l’optimisation de leur flotte sous contrainte budgétaire forte mais aussi d’ambitions stratégiques plus limitées.

60 Notre analyse permet d’éclairer les futures perspectives européennes. Si le consensus est que les pays européens ne pourront pas développer seuls leur futur avion de chasse, la coopération apparait alors comme la seule voie de salut. Au sein des deux programmes concurrents, la France (SCAF) et la Suède (Tempest) sont ceux qui ont le moins l’habitude de coopérer sur ce segment, ce qui est possiblement vecteur de frictions sur l’organisation industrielle. Par ailleurs, compte tenu de l’âge moyen élevé des avions possédés par les pays d’Europe de l’Est, le remplacement du parc est un impératif à court ou moyen terme. Va-t-on assister à une européanisation du parc ou au contraire une américanisation ?

Notes

  • [1]
    Renaud Bellais, « L’avenir des systèmes de combat aériens, un enjeu partagé pour la France et le Royaume-Uni », Revue défense nationale, no. 834, 2020, pp. 81-86 ; Joseph Henrotin, « Redistribution des cartes dans l’industrie aéronautique européenne », Défense et Sécurité Internationale, n° 137, 2018, pp. 36-41.
  • [2]
    Ronan Le Gleut et Hélène Conway-Mouret, L’odyssée du SCAF. Le Système de combat aérien du futur, Rapport d’information n° 642, Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, Sénat, 2020, p. 96.
  • [3]
    Dans les faits, il existera un SCAF pour chaque pays, qui devrait connecter les capacités nationales actuelles comme les chasseurs, les drones, les avions de surveillance, de ravitaillement en vol, les systèmes de commandement et les futures capacités (porteur principal et remote carriers notamment).
  • [4]
    Il s’agit ici du discours martelant que plus aucun pays n’a aujourd’hui les moyens financiers de développer un appareil de combat seul.
  • [5]
    En particulier, nous retenons dans notre analyse le Royaume-Uni, puisqu’en dépit du Brexit voté en 2016, il n’est rentré en vigueur au 1er février 2020. Pratiquement, l’analyse ne compte que 20 pays sur les 28 car 8 pays ne possèdent pas d’avions de combat (Chypre, Croatie, Estonie, Irlande, Lettonie, Lituanie, Luxembourg, Malte).
  • [6]
    Luca F. Hellemeier, « The United States and European Defense Cooperation European Strategic Autonomy and Fighter Aircraft Procurement Decisions », Peace Economics, Peace Science and Public Policy, vol. 45, n° 4, 2019.
  • [7]
    Catherine Hoeffler et Frédéric Mérand, « Avions de combat. Pourquoi n’y a-t-il pas d’européanisation ? », Politique Européenne, vol. 2015/2, n° 48, 2015, pp. 52-80.
  • [8]
    Keith Hartley, NATO Arms Co-operation : A study in Economics and Politics, London, George Allen & Unwin, 1983.
  • [9]
    André Adamson, « Between the devil and the deep blue sky. Le dilemme de la transformation de 5e génération », Défense et Sécurité Internationale, n° 127, 2017, pp. 76-83.
  • [10]
    Ibid.
  • [11]
    In the year 2054, the entire [U.S.] defense budget will purchase just one tactical aircraft. This aircraft will have to be shared by the Air Force and Navy 3½ days each per week except for leap year, when it will be made available to the Marines for the extra day.” Norman Augustine, Augustine’s Laws and major develoment programs - Revised and enlarged, Washington, American Institute of Aeronautics and Astronautics, 1983, p. 55.
  • [12]
    Andrea Ellner, « Le projet NFR-90 (frégate de l’OTAN pour les années 1990) », in Histoire de la coopération européenne dans l’armement (Hébert J-P et Hamiot J, Dir.), CNRS éditions, 2004, p. 127.
  • [13]
    Edward G. Keating et Mark V. « Defense inflation : what has happened, why has it happened, and what can be done about it ? », Defence and Peace Economics, vol. 27, n° 2, 2016, pp. 176-183.
  • [14]
    L’inflation moyenne, taux de croissance annuel moyen du niveau général des prix est estimée à 4,2% par ces auteurs sur cette période.
  • [15]
    Neil Davies et al., « Intergenerationnal equipment cost escalation », Defence Economic Research Paper, 2012, p. 32.
  • [16]
    David L.I. Kirkpatrick, « The rising unit costs of defence equipment - the reasons and the results », Defence and Peace Economics, vol. 6, n° 4, 1995, pp. 263-288.vol. 6, \\uc0\\u160{}no. 4, 1995, pp.\\uc0\\u160{}263\\uc0\\u8209{}288.»,»plainCitation»:»Kirkpatrick, D.L.I., « The rising unit costs of defence equipment - the reasons and the results », Defence and Peace Economics, vol. 6, no. 4, 1995, pp. 263-288. »,»noteIndex»:16},»citationItems»:[{«id»:560,»uris»:[« http://zotero.org/users/1194215/items/PSFP6I89 »], »uri »:[«http://zotero.org/users/1194215/items/PSFP6I89 »],»itemData»:{«id»:560,»type»:»article-journal»,»container-title»:»Defence and Peace Economics»,»issue»:»4»,»page»:»263-288»,»title»:»The rising unit costs of defence equipment - the reasons and the results»,»volume»:»6»,»author»:[{«family»:»Kirkpatrick»,»given»:»D.L.I. »}],»issued»:{«date-parts»:[[«1995»]]}}}],»schema»:»https://github.com/citation-style-language/schema/raw/master/csl-citation.json »}
  • [17]
    « Defence-Specific Inflation – The Swedish Perspective », Defence and Peace Economics, vol. 27, n° 2, 2016, pp. 258-279.
  • [18]
    « Investment Cost Escalation – An Overview of the Literature and Revised Estimates. », Defence and Peace Economics, vol. 27, n° 2, 2016, pp. 208-230.
  • [19]
    « Rising Costs : Augustine Revisited », Defence and Peace Economics, vol. 31, n° 4, 2020, pp. 434-442.vol. 31, \\uc0\\u160{}no. 4, 2020, pp.\\uc0\\u160{}434\\uc0\\u8209. », »plainCitation»:»« Rising Costs : Augustine Revisited », Defence and Peace Economics, vol. 31, no. 4, 2020, pp. 434-442.»,»noteIndex»:19},»citationItems»:[{«id»:10,»uris»:[« http://zotero.org/users/1194215/items/A6ZGZHK5 »],»uri»:[«http://zotero.org/users/1194215/items/A6ZGZHK5 »],»itemData»:{«id»:10,»type»:»article-journal»,»abstract»:»Rising military equipment costs were famously identified by Norman\ nAugustine with forecasts of a single aircraft air force by 2054. This paper\npresents and analyses an original data set for UK military aircraft. It\nprovides evidence on cost escalation for various UK aircraft types comprising\nfighter/strike, bombers, military transports, maritime patrol aircraft,\nhelicopters, trainers and civil aircraft. Continued cost escalation is identified\ nfor almost all types but with different cost escalation factors. It is\nconcluded that the specific Augustine hypothesis of costs rising by\na factor of four every 10 years might be an under-estimate.»,»container-title»:»Defence and Peace Economics»,»DOI»:»10.1080/10242694.2020.1725849»,»issue»:»4»,»page»:»434-442»,»title»:»Rising Costs : Augustine Revisited»,»volume»:»31»,»author »:[{«family»:»Hartley»,»given»:»K »}],»issued» :{«date-parts»:[[«2020»]]}},»suppress-author»:true}], »schema»:»https://github.com/citation-style-language/schema/raw/master/csl-citation.json »}
  • [20]
    Kjetil Hove et Tobias Lillekvelland, « Investment Cost Escalation – An Overview of the Literature and Revised Estimates. »
  • [21]
    Steven Kosiak, « Is the U.S military getting smaller and older ? And How Much Should We Care ? », Center for a New American Security (CNAS), 2017.
  • [22]
    Keith Hartley, « Rising Costs : Augustine Revisited » Defence and Peace Economics, vol. 31, n° 4, 2020, pp. 434-442.bombers, military transports, maritime patrol aircraft,\nhelicopters, trainers and civil aircraft. Continued cost escalation is identified\nfor almost all types but with different cost escalation factors. It is\nconcluded that the specific Augustine hypothesis of costs rising by\na factor of four every 10 years might be an under-estimate.»,»container-title»:»Defence and Peace Economics»,»DOI»:»10.1080/10242694.2020.1725849»,»issue»:»4»,»page»:»434-442»,»title»:»Rising Costs : Augustine Revisited»,»volume»:»31»,»author»:[{«family»:»Hartley»,»given»:»K»}],»issued»:{«date-parts»:[[«2020»]]}},»suppress-author»:true}],»schema »:»https://github.com/citation-style-language/schema/raw/master/csl-citation.json »}
  • [23]
    Production d’armement : mutation du système français, Paris, La Documentation française, 1995, p. 148.
  • [24]
    Source : Forecast International in Air & Cosmos, 13 décembre 2013, n° 2386, numéro spécial « Avions de combat », p. 13
  • [25]
    Jaguar, Super Etendard, Crusader, Mirage F1, Mirage IV et deux versions du Mirage 2000.
  • [26]
    Renaud Bellais, op. cit.
  • [27]
    Josselin Droff, « Technological change and disruptive trends in the support of defense systems in France », Journal of Innovation Economics & Management, vol. 12, n° 2, 2013, pp. 79-102.
  • [28]
    Keith Hartley et Stephen Martin, « International collaboration in aerospace », Science and Public Policy, vol. 17, n° 3, 1990, pp. 143-151.
  • [29]
    Jean-Paul Hébert, « Un demi-siècle de coopérations dans les programmes d’armement pour préparer l’Europe de la défense », in Jean-Paul Hébert et Jean Hamiot, Histoire de la coopération européenne dans l’armement, CNRS éditions, 2004, p. 8.
  • [30]
    Pour une discussion sur cet intérêt des sources libres dans la défense voir Ron Smith, Military economics. The interaction of power and money, Palgrave Macmillan, 2009.
  • [31]
    L’indice de Herfindahl-Hirschman (HHI) est utilisé pour mesurer la concentration sur les marchés. Il est compris entre 0 et 1, avec 0 indiquant une faible concentration (soit dans notre cas une grande variété d’appareils) et 1 indiquant une forte concentration (soit une faible variété d’appareils).
  • [32]
    La lettre d’intention (Letter of Intent), signée en juillet 1998 par les ministres de la Défense des six principaux pays producteurs d’armement en Europe (Allemagne, France, Espagne, Italie, Royaume-Uni, Suède).
  • [33]
    Tout en sachant que le panachage est aussi conditionné aux moyens disponibles pour la défense et donc in fine à la richesse du pays. Les petits pays, i.e. avec relativement peu de moyens à allouer à la défense, vont préférer les économies d’échelle d’une flotte relativement homogène.
  • [34]
    Joseph Henrotin, « Supériorité aérienne. Les forces européennes bientôt battues ? », Défense et Sécurité Internationale, n° 95, 2013, pp. 38-44.
Josselin Droff
Chercheur à la Chaire économie de Défense, il est docteur en sciences économiques de l’Université de Bretagne Occidentale (UBO). Ses recherches portent principalement sur l’organisation du maintien en condition opérationnelle des matériels de défense (MCO), les conséquences économiques des opérations extérieures, la coopération européenne dans la défense et les questions d’innovation dans la défense.
Julien Malizard
Titulaire adjoint de la Chaire économie de Défense, il a été boursier de la Direction générale de l’armement (DGA) et a soutenu sa thèse en sciences économiques à l’Université de Montpellier en 2011, pour laquelle il a reçu le prix de thèse de l’IHEDN. Son expertise porte sur l’impact économique de la défense et l’analyse budgétaire. Ses travaux actuels sont liés aux exportations d’armes, à la dynamique des budgets de défense et aux conséquences des engagements en OPEX.
Laure Noël
En apprentissage à la Chaire économie de Défense, elle poursuit en parallèle ses études à l’Université Paris Dauphine-PSL en Master 2 Diagnostic économique International. Elle travaille sur les thématiques de coopération européenne, d’exportations d’armements et d’organisation de la Base industrielle et technologique de défense (BITD).
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