CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Deux voies d’investigation s’offrent au chercheur qui souhaite étudier le rapport de la population âgée à la télévision. Il lui est possible, tout d’abord, de considérer le groupe d’âge des « personnes âgées » – ou de retenir une catégorie connexe comme celle des « retraités » ou des « seniors » – et de proposer une caractérisation de la manière dont la télévision se trouve utilisée par ce groupe d’âge. Une telle stratégie de recherche permet d’observer l’importance de l’écoute de ce média chez les plus âgés – la télévision apparaît alors comme la « dévoreuse du temps libre des anciens [1] » –, la spécificité de cette écoute par rapport à celle des jeunes en ce qui concerne le choix des émissions, ainsi que la grande diversité des pratiques télévisuelles au sein de la population âgée [2]. Une autre manière de procéder consiste à s’intéresser non pas aux « personnes âgées », mais au processus de vieillissement. Cette seconde approche présente, à nos yeux, un double intérêt : elle invite, d’une part, à étudier le rapport à la télévision dans une perspective diachronique, à le saisir en tant que processus ; elle ouvre, d’autre part, sur une connaissance plus fine du processus de vieillissement en donnant l’occasion de l’observer à travers un analyseur particulièrement fécond, le rapport à la télévision. C’est ce type d’analyse, attentive aux changements, que cet article se propose de développer en se fondant sur un matériau qualitatif constitué d’entretiens réalisés avec des couples de retraités sexagénaires (N = 21), avec des veufs et des veuves sexagénaires et septuagénaires [3] (N = 20) ainsi qu’auprès de personnes « très » âgées de plus de 75 ans [4] (N = 25). Dans un premier temps, nous nous interrogerons sur les transformations des pratiques d’écoute de la télévision au cours de l’avancée en âge – et corrélativement sur ce que ces changements donnent à voir du processus de vieillissement. Puis, adoptant une perspective en termes de construction identitaire, nous examinerons de quelle manière la télévision peut être un « partenaire » de la construction de l’identité au cours du vieillissement.

LES TRANSFORMATIONS DES PRATIQUES D’ECOUTE AU COURS DU VIEILLISSEMENT

2Le vieillissement des personnes âgées peut être appréhendé en articulant deux perspectives. La première envisage l’avancée en âge comme l’occupation de positions successives dans le parcours de vie [5] : le vieillissement est alors marqué par le franchissement de moments de transition, comme la retraite et le veuvage, qui marquent le passage de l’une à l’autre de ces positions [6]. La seconde perspective considère que le vieillissement au grand âge se caractérise, sinon par un « désengagement » généralisé et massif de tous les investissements antérieurs [7], du moins par une « déprise » marquée par le souci d’économiser ses forces, l’abandon de certaines activités et la réorientation de l’existence vers l’espace domestique [8]. Concevoir l’avancée en âge comme la combinaison de ces deux processus – l’occupation de positions successives dans le parcours de vie et la déprise – présente l’avantage de restituer à la variable âge sa dimension sociale, trop souvent réduite à un simple repère chronologique : l’âge est ici considéré selon la position occupée dans le parcours de vie d’une part, selon les manifestations physiologiques et psychologiques du vieillissement, d’autre part. Une telle modélisation du vieillissement invite à étudier la manière dont les pratiques d’écoute se transforment au cours de l’avancée en âge en interrogeant trois moments du vieillissement : les premières années de retraite, la période qui suit le décès du conjoint et la phase de déprise.

Les premières années de retraite

3Les enquêtes quantitatives montrent que la durée d’écoute de la télévision s’accroît au moment de la retraite. Ainsi, la comparaison des données des enquêtes « Pratiques culturelles » de 1973 et 1988 permet d’observer que les 40-59 ans de 1973 (âgés de 55-74 ans en 1988) ont augmenté, en quinze ans, leur écoute hebdomadaire de six heures et demie, augmentation qui s’explique non seulement par un effet de période, l’ensemble des téléspectateurs étant plus assidu en 1988 qu’en 1973, mais aussi par un effet de position dans le cycle de vie – le passage à la retraite [9]. Le même phénomène se donne à voir dans l’enquête longitudinale réalisée par la Fondation nationale de gérontologie qui indique, de plus, que l’augmentation du temps consacré à la télévision est progressive, la durée d’exposition aux médias augmentant entre la première année de retraite et les deux suivantes [10]. Cette augmentation de l’écoute témoigne de la réorganisation temporelle qui s’opère lors de la retraite : en développant de nouvelles activités, en ralentissant le rythme de celles qu’ils effectuaient auparavant, par un ensemble de petites modifications de leurs habitudes, les retraités élaborent un nouveau rythme afin de restructurer leur vie quotidienne et de combler le temps libéré par l’arrêt de l’activité professionnelle [11]. L’écoute s’accroît ainsi par une légère dilatation du temps qui était auparavant consacré à la télévision : en soirée, elle est allumée un peu plus tôt et éteinte un peu plus tard puisqu’il est désormais possible de décaler l’heure du lever.

4Cependant, au-delà de cette augmentation générale de l’écoute, il convient de souligner que les durées d’écoute sont très variables, notamment en fonction de la position sociale [12], et que les discours tenus sur la télévision sont également contrastés : certains semblent minimiser le fait qu’ils regardent un peu plus la télévision depuis la retraite et mettent plutôt en avant leur refus de lui consacrer trop de temps alors que d’autres n’ont pas ces réticences et reconnaissent que la télévision est aujourd’hui un passe-temps privilégié. Ces deux attitudes renvoient à des conceptions différentes – et socialement situées – de la retraite. La télévision apparaît, en effet, comme un loisir plus ou moins légitime selon que la retraite est considérée comme un temps d’épanouissement de soi ou comme un moment de repos. Ceux qui font en sorte de ne pas trop la regarder et qui prennent leurs distances avec elle sont plutôt les tenants d’un modèle « activiste » de la retraite, qui enjoint de faire quelque chose de cette nouvelle période de l’existence. Regarder la télévision apparaît à leurs yeux comme une activité « passive », une distraction valable pour les personnes très âgées et invalides, mais qui ne saurait convenir à de jeunes retraités « actifs ». M. Verdier [13] note ainsi qu’

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on sort tous les jours, on s’oblige à sortir (…). On a évité, justement, de…
l’usage de la télévision pendant notre retraite pour éviter de rester assis dans un fauteuil en train de faire…

6A l’inverse, ceux qui accroissent leur pratique télévisuelle après avoir cessé leur activité professionnelle sans ressentir de culpabilité particulière voient dans la retraite un droit au repos après une vie consacrée au travail. La télévision constitue alors pour eux une distraction appréciée, qui sied à leur condition de retraité : « C’est un passe-temps, c’est la détente » explique une ancienne employée, Mme Gerfaut, tandis que son mari, qui était ouvrier, indique qu’« on est en retraite ou on ne l’est pas ».

7Un dernier phénomène mérite d’être noté : l’augmentation récente du multiéquipement chez les jeunes retraités [14]. Ce développement du multiéquipement, en même temps qu’il témoigne de la banalisation de la télévision, s’explique par le souci d’une plus grande égalité dans les relations conjugales : un second poste permet d’éviter que l’un des conjoints – l’épouse le plus souvent – ne sacrifie ses goûts personnels sur l’autel conjugal. M. et Mme Gerfaut ont ainsi acheté récemment une seconde télévision, qu’ils ont placée dans leur chambre car, explique M. Gerfaut,

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Moi, j’aime bien le football, ma femme, non. Alors, si y’a un beau film en même temps qu’il y a un match à la télé, alors comme ça, on est tranquilles chacun de son côté.

9Cependant, ce multiéquipement ne conduit pas nécessairement à une forte individualisation de l’écoute. Le cas de M. et Mme Loriot, qui expliquent que « depuis qu’on est retraités, il a fallu deux télés » et qui s’exclament de concert « oh oui, le soir, chacun sa télé ! », apparaît assez exceptionnel. En effet, lorsqu’un nouveau bien technologique est introduit dans l’espace domestique, il s’intègre dans les modes de fonctionnement familiaux antérieurs, dans l’« économie morale de la famille [15] ». Or, la soirée est souvent considérée, dans les générations actuelles de retraités, comme un moment important de la vie conjugale, qui réclame que les conjoints ne soient pas séparés dans des pièces différentes de la maison. Aussi le second poste se trouve-t-il souvent assez peu utilisé.

Le veuvage et ses conséquences

10Le veuvage constitue la seconde grande transition du vieillissement, qui intervient en moyenne plus tardivement que celle de la retraite et qui concerne majoritairement les femmes [16]. Cette transition provoque souvent une importante réorganisation du mode de vie [17] dont il est possible de dégager certains aspects en étudiant de quelle manière évolue le rapport à la télévision.

11Evoquons, pour commencer, les premiers temps qui suivent la disparition du conjoint, même si notre matériau est sur ce point incomplet – nous n’avons pas posé de question systématique sur la phase de deuil et nos informations proviennent donc de remarques spontanées de nos interlocuteurs. On peut tout d’abord noter que, parmi les personnes enquêtées, certaines ont évoqué la phase de deuil survenue après le décès pour signaler qu’elle avait été marquée par une moindre écoute de la télévision. L’« indifférence compréhensible par rapport aux trivialités de l’existence » qui, selon Freud [18], caractérise la phase de deuil s’est traduit, dans leur cas, par un désintérêt à l’égard des émissions diffusées. Mme Glück raconte ainsi qu’elle avait perdu le goût de vivre et avait presque cessé de regarder la télévision, jusqu’à ce qu’une amie l’encourage à reprendre le dessus et à allumer à nouveau son poste. Mme Messiaen signale aussi la prise de distance par rapport à la télévision qui a suivi le décès de son conjoint :

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Après, ça a été la mort de mon mari, bah vous savez… On regarde pas la télé quand les siens ils s’en vont comme ça. Les plus proches tout au moins…

13Il semble cependant que cette prise de distance par rapport à la télévision au cours de la phase de deuil ne soit pas générale. M. Ré raconte, pour sa part, de quelle façon une émission de télévision a accompagné ses nuits d’insomnie avant qu’il ne retrouve un sommeil plus régulier :

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Après le décès de mon épouse, là je… j’ai été longtemps où je dormais peu et je me réveillais la nuit alors quoi faire ? ... Et ben vous vous rendormez pas, alors par hasard je me suis levé comme ça la nuit et puis j’ai découvert sur TF1 des émissions qui m’intéressaient, qui sont intitulées « Histoires naturelles ». Elles débutent à trois heures et cinq heures du matin. (…) Ça je l’ai regardé systématiquement pendant très longtemps et après ça je me recouchais et je me rendormais. Voilà, donc j’ai découvert ça, ça a été accidentel, maintenant je ne le fais plus.

15Par ailleurs, nous avons pu observer, à quelques reprises, les grandes difficultés éprouvées par le conjoint survivant pour continuer à utiliser le même poste de télévision que précédemment. Ce poste peut, en effet, se trouver fortement associé au conjoint disparu et susciter des souvenirs douloureux lorsque celui-ci en a fait un usage intensif dans les derniers temps de sa vie. Le malaise est parfois tel qu’un nouveau téléviseur est acheté – à moins qu’il ne soit offert par les enfants – afin de remplacer l’appareil devenu, au moins temporairement, inaccessible. C’est ainsi que Mme Brahms a acquis un nouveau poste, qu’elle a placé dans sa chambre :

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Bein c’est parce que… quand il est décédé… j’étais… je pouvais pas rester ici en bas je le voyais toujours là ! alors je faisais que pleurer ! Et puis ma fille une fois elle arrive et puis elle dit : pourquoi tu n’achètes pas une télévision ?… Bein heu… je suis partie avec elle et elle l’a achetée et puis je l’ai mis…

17Une importante fonction assurée par la télévision après le décès du conjoint réside dans l’ambiance sonore qu’elle est susceptible de créer : elle donne le sentiment d’une présence et permet de « combler le vide » produit par la disparition de son compagnon ou de sa compagne. La radio ou la chaîne hi-fi peuvent d’ailleurs se trouver sollicités dans le même but. Les propos sont, sur ce point, très semblables d’un entretien à l’autre car, s’il est une expérience commune à l’ensemble des veufs et des veuves, c’est bien celle de la solitude. Mme Hoëdic explique ainsi qu’elle laisse désormais sa télévision allumée dans l’après-midi et pendant la soirée car cela « fait une présence » et « empêche d’avoir un vide dans la maison » :

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J’ai pas été habituée à être toute seule dans une maison. Bon ben il arrive un moment où on y est, seule, bon ben il faut combler ce vide par quelque chose, ben ça comble par la télé.

19Mme Groix, elle aussi, souligne l’importance de la télévision :

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Le matin, ça la télé, c’est un objet dans la maison que dans le temps, quand mon mari il était là, je ne regardais pas, que depuis que je suis veuve, c’est un objet on dirait une… c’est, c’est une personne qui est dans la maison. C’est ça. Moi je descends, en premier je vais allumer ma télé.

21Et même M. Wight qui, pourtant, « s’accommode assez volontiers du silence », sollicite davantage les appareils domestiques sonores, la chaîne hi-fi et la télévision :

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L’activité professionnelle plus le fait que je sois veuf, donc seul, bon ben ça réintroduit un besoin et il m’arrive de… d’allumer la chaîne ou d’allumer la télévision, la télévision que je ne regarde pas forcément mais parce que ça fait dans la pièce des voix.

23La disparition du conjoint conduit à une réorganisation de la vie quotidienne qui prend des formes diverses, celles-ci variant en fonction de l’âge au moment du décès [19], du sexe et du type de relations conjugales antérieures : il peut consister en un repli sur soi et sur l’espace domestique ou en une ouverture sur autrui, se traduire par la réduction des activités extérieures ou par le développement de centres d’intérêt nouveaux [20]. L’écoute de la télévision s’inscrit dans cette nouvelle organisation de l’existence qu’elle contribue, dans le même temps, à façonner. Ainsi, dans la plupart de nos entretiens, le veuvage apparaît comme un événement qui, une fois la phase de deuil passée, provoque une nette augmentation de l’écoute de la télévision [21]. Celle-ci constitue un loisir domestique facilement accessible, qui « comble » certains des moments auparavant occupés par des activités aujourd’hui abandonnées (comme les sorties en commun) ou effectuées plus rapidement (comme la préparation des repas). Mme Brahms, par exemple, explique que, du vivant de son mari, la télévision était une occupation du soir alors que, désormais, elle la regarde pendant les repas et une partie de l’après-midi. Et Mme Vivaldi apprécie de pouvoir occuper les heures creuses de la fin d’après-midi en la regardant :

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Surtout l’hiver, entre 17 h 00 et 20 h 00, elle m’occupe. Si je n’avais pas quelque chose à regarder ou à écouter ça me serait difficile. Ça serait un moment difficile, disons, parce que les soirées sont très longues. Alors j’apprécie d’avoir… Sauf quand mon mari était là, bah il fallait quand même que… Maintenant je n’ai plus tellement de repas à préparer, là. Si j’ai une petite salade, je l’épluche le matin, elle sert pour le midi et le soir. Alors là, j’avais toujours des choses à m’occuper, donc y’avait pas de problèmes entre 17 h 00… Mais maintenant, j’ai moins d’occupations…

25C’est dans ce contexte d’une importance accrue de la télévision dans l’existence que certains s’équipent d’un magnétoscope, souvent offert par les enfants qui s’efforcent ainsi d’éviter l’ennui à leur parent âgé. Les enfants ne se contentent d’ailleurs pas d’offrir l’appareil, ils assurent souvent un travail d’accompagnement afin qu’il soit approprié et utilisé : ils aident leur parent à surmonter ses réticences à l’encontre de cette technologie jugée complexe, ils l’initient à sa manipulation et ils l’approvisionnent en cassettes vidéo qu’ils achètent, louent ou enregistrent pour lui.

26A l’inverse des cas précédents, il arrive parfois que le veuvage entraîne la disparition de moments auparavant consacrés à la télévision et se traduise par une moindre écoute. C’est le cas notamment lorsque le décès du conjoint est l’occasion de développer des activités extérieures plus nombreuses. Mme Mahler, par exemple, ne regarde plus la télévision l’après-midi, ce qu’elle faisait quelquefois du vivant de son mari : elle explique qu’elle a « changé d’optique ». En effet, depuis qu’elle n’est plus retenue à la maison par son mari malade, elle sort davantage et s’est investie dans des activités de loisirs qui occupent ses après-midi. De la même façon, M. Ouessant observe qu’il regarde beaucoup moins la télévision depuis qu’il est veuf. Auparavant, il faisait en sorte de modérer ses activités bénévoles car son épouse lui reprochait d’être trop peu présent à la maison :

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Depuis la retraite, effectivement on regardait certaines émissions, certains films ensemble. Bon je limitais mes activités extérieures mais donc on… je la regardais plus avec elle.

28Après son décès, il a accru son engagement associatif et les responsabilités dont il a aujourd’hui la charge l’accaparent. Aussi son écoute de la télévision se limite-t-elle désormais au journal télévisé de vingt heures.

29Par ailleurs, on observe dans certains cas une évolution dans le choix des programmes. A chaque fois, il s’agit de femmes dont les goûts étaient différents de ceux de leur mari et qui le laissaient regarder ses émissions favorites. Après son décès, leurs goûts personnels ont trouvé plus facilement à s’exprimer : leur identité personnelle est réapparue alors qu’elle s’effaçait auparavant derrière leur identité conjugale [22]. Ainsi, le changement d’optique évoqué par Mme Mahler ne s’est pas seulement traduit par une moindre écoute de la télévision l’après-midi : elle l’a aussi plus volontiers regardée après le repas du soir. Auparavant, c’était son mari qui décidait du programme et ses choix ne lui convenaient pas toujours :

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Pour les programmes télé, ça change un peu, parce que lui il n’y avait que les films de guerre qui l’intéressaient. Les variétés tout ça ou les films que je pouvais regarder, en principe ça ne l’intéressait pas. Alors souvent je me taisais, parce que je le laissais choisir son émission, étant donné qu’il était handicapé, il ne pouvait pas parler alors... je le laissais plutôt choisir pour le distraire quoi, c’est tout.

La télévision au cœur de la déprise

31Au-delà des événements précis qui, tels la retraite et le veuvage, ponctuent l’avancée en âge, le vieillissement est marqué par une tendance au « désengagement ». Telle est du moins l’idée que l’on peut retenir du travail pionnier réalisé par Cumming et Henry et des recherches qui, reprenant de manière critique leur intuition principale, ont forgé la notion de « déprise [23] ». Celle-ci vise à rendre compte du processus de « réaménagement de la vie » qui se produit lorsque les personnes vieillissent et se trouvent confrontées à « une sorte d’amoindrissement de l’impulsion vitale » dont le manque d’envie et la fatigue constituent les manifestations les plus tangibles. Un désir de se mettre en retrait apparaît alors et se traduit par l’abandon de certaines activités et par la baisse des relations sociales. Cependant, cette déprise – contrairement au désengagement théorisé par Cumming et Henry – n’est pas générale et ne s’étend pas à tous les domaines de l’existence : elle est sous-tendue par « une logique de substitution et de sélection des activités ». Les personnes s’efforcent de conserver autant que possible les « registres d’intérêt qui leur tiennent à cœur » et les activités à leurs yeux les plus signifiantes. L’étude du rapport au monde matériel et de ses transformations au cours de l’avancée en âge constitue un point d’observation privilégié de ce processus de déprise [24]. C’est le cas notamment lorsqu’on examine comment se produit la « démotorisation » i.e. l’abandon progressif de l’usage de la voiture [25]. De même, le rapport à la télévision apparaît comme un bon analyseur de la déprise, qu’il permet d’observer dans deux de ses dimensions : celle des activités pratiquées, à travers l’étude de l’importance quantitative de l’écoute et celle de l’intérêt pour le monde, approché à partir de l’intérêt manifesté pour les émissions de télévision [26].

32L’écoute de la télévision au cours des années de retraite présente une évolution remarquable : une expansion de l’écoute jusque vers quatre-vingt-cinq ans, suivie par une diminution de la pratique télévisuelle [27]. On peut interpréter cette évolution comme le résultat de deux processus de déprise qui se succèdent au cours du vieillissement [28] : d’une part, une déprise par rapport aux activités extérieures, qui est favorable à une écoute accrue de la télévision, d’autre part, une déprise par rapport à la télévision elle-même. Examinons comment, dans un premier temps, l’avancée en âge se traduit par l’abandon d’activités qui amenaient à sortir de chez soi. Sans revenir sur les répercussions – très variables, nous l’avons vu – de la retraite et du veuvage sur la présence dans l’espace domestique, d’autres phénomènes contribuent à réduire les opportunités et les possibilités d’engagement dans des activités extérieures. Ainsi, les grands-parents se trouvent moins sollicités lorsque leurs petits-enfants grandissent. Le décès des proches fait aussi disparaître certaines occupations, comme les visites et les services rendus à son père ou sa mère âgés ou les moments passés avec des amis. Par ailleurs, les personnes qui vieillissent apprécient de plus en plus la quiétude de leur domicile, qui constitue un refuge contre les incertitudes de la confrontation avec les plus jeunes dans l’espace public [29]. Enfin, les problèmes de santé s’accentuent et la fatigue se fait plus présente. Tout un ensemble de mécanismes concourent ainsi à la déprise des activités extérieures et à la réorientation progressive de l’existence vers le domicile et les occupations qu’il offre. La télévision bénéficie souvent de ce surcroît de présence domestique. Elle dispose, en effet, de plusieurs atouts. Tout d’abord, comme nous l’avons indiqué en étudiant le veuvage, elle assure une compagnie, à la fois comme bruit de fond qui donne le sentiment d’une présence et comme moyen d’occuper les moments d’ennui. Ensuite, l’écoute de la télévision permet de prendre un moment de pause au cours de la journée, de se ménager avant d’entreprendre une activité plus fatigante. C’est le cas pour Mme Debussy qui, depuis qu’elle a été hospitalisée et sur les conseils de son médecin, s’installe devant son poste pendant une heure après le déjeuner :

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Depuis 4,5 ans, j’apprécie la télévision parce que de temps en temps je dois me reposer et donc le but c’est de me reposer.

34Enfin, regarder certaines émissions permet de rester en prise sur des choses dont il a fallu se déprendre par ailleurs et que l’on remplace par leur succédané télévisuel, par exemple en regardant la messe à la télévision quand il devient difficile de se rendre à l’église ou encore en suivant des reportages faute de pouvoir voyager. Cependant, si la déprise des activités extérieures se traduit souvent par une augmentation de l’écoute, il serait excessif de considérer que la télévision vient nécessairement se substituer aux activités délaissées. Certaines personnes investissent en effet des occupations domestiques d’un autre type comme la lecture ou les mots croisés, ce qui leur permet de maintenir à distance la télévision qui présente l’inconvénient d’être un loisir peu valorisé dont la trop forte consommation se trouve associée à l’inactivité, la grande vieillesse et la mort. Il n’est pas certain, cependant, que la représentation – très répandue – de la personne très âgée rivée à son poste de télévision soit conforme à la réalité. En effet, se dessine aux âges élevés un mouvement inverse du précédent, une seconde phase de déprise qui se traduit cette fois-ci par une baisse de l’écoute de la télévision. Ce phénomène s’explique par la fatigue accrue qui conduit à avancer son heure de coucher et donc à ne plus regarder les émissions de la soirée, ainsi que par certaines déficiences sensorielles qui amènent à choisir avec soin les quelques moments qu’il est possible de lui consacrer. Cependant, cette limitation de l’écoute ne doit pas être perçue comme une conséquence mécanique de la fatigue ou des difficultés physiques, mais plutôt comme une stratégie permettant de préserver d’autres activités jugées plus importantes. Ainsi, pour Mme Berlioz, se coucher tôt est un moyen de pouvoir continuer à se lever aux aurores car elle consacre les premières heures de la journée à écrire des poèmes. Quant à Mme Lully, qui a perdu un œil et voit mal de l’autre, elle évite désormais de regarder la télévision l’après-midi afin d’être en mesure de suivre le téléfilm de la soirée :

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Si je fatiguais [les yeux] l’après-midi je ne saurais plus écouter mon film le soir, et moi il me faut mon film !

36Elle est d’ailleurs décidée à « tenir » sur ce rendez-vous avec ses « amis » télévisuels, qui est sa raison de vivre, même au prix d’une fatigue oculaire et auditive. C’est ce qu’elle explique en évoquant un récent épisode de la série L’Instit qui lui « a trop fatigué les oreilles » :

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Ah oui j’ai regardé jusqu’au bout, le lendemain ça me faisait du mal, mais j’abandonnerai pas hein !

38Examinons maintenant de quelle manière l’intérêt pour les émissions de télévision se manifeste dans nos entretiens et comment celui-ci évolue, dans certains cas, au cours de la déprise. Le premier point à souligner est l’intérêt soutenu de beaucoup de personnes de notre échantillon pour les émissions de télévision, intérêt qui repose sur un triple fondement : le lien social, la connaissance et le spectacle. Tout d’abord, les médias sont un moyen de « s’informer » et de « rester au courant » : ils ont une fonction de « lien social » [30]. Le flux d’informations qui pénètre par leur intermédiaire dans l’espace domestique permet en effet de soutenir quotidiennement le sentiment d’appartenance à une communauté locale ou nationale et de maintenir un lien avec le monde : savoir ce qui s’y passe, c’est encore en faire partie. Ensuite, la télévision constitue un moyen de perfectionnement et d’enrichissement de soi : elle est un lointain prolongement de l’école – avec laquelle la comparaison est quelquefois explicite – qui donne l’occasion d’« apprendre », de « s’instruire » et de « découvrir ». Enfin, la télévision permet d’assister à divers « spectacles » (émissions de variétés, compétitions sportives, jeux télévisés, œuvres de fiction, reportages, émissions politiques, etc.) et d’éprouver ainsi un plaisir de (télé)spectateur fondé sur la participation intellectuelle ou émotionnelle ou encore sur la joie de retrouver des personnages auxquels on est attaché [31]. Cependant, en dépit de la diversité des motifs d’écoute et d’attention, un certain désintérêt est perceptible dans certains entretiens. Ce désintérêt se manifeste, tout d’abord, au travers de formules qui trahissent la lassitude à l’égard d’émissions auparavant appréciées : « y’en a marre », « ça me lasse », « c’est toujours la même chose », « on les a déjà vus je ne sais combien de fois ». Mme Rameau exprime ainsi à plusieurs reprises ce sentiment de lassitude :

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Ah j’aimais bien cette émission de Derrick mais... je les connais tous, y’en a beaucoup que je voyais en double hein (…). Je vois maintenant on nous montre toujours des chevaux, des chiens, c’est toujours pareil. Ça m’intéresse plus. Tandis qu’avant on nous montrait des choses que je connaissais pas, des bêtes sauvages qu’on nous montrait, etc. Maintenant on nous en montre aussi m’enfin c’est pas pareil… les chiens et les chevaux on les connaît (…).
J’aime bien quelquefois voir la danse, par exemple sur glace, mais y’en a pas souvent. Et puis, c’est toujours pareil, les mêmes figures !

40D’autres évoquent un même sentiment de lassitude pour expliquer leur peu d’intérêt pour les rediffusions de films. Parallèlement à cette lassitude devant le déjà-vu et le trop connu, un sentiment inverse s’exprime à l’encontre d’autres programmes : une impression d’étrangeté face au nouveau, à l’inconnu et à l’incongru. Les émissions de variétés sont ainsi jugées trop bruyantes et peu attractives car présentant des artistes inconnus aux musiques extravagantes et aux chansons incompréhensibles. Mme Mahler, par exemple, souligne combien elle se reconnaît peu dans ces émissions :

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Je sais pas c’est… c’est toujours des yéyés, et des yayas, et des tam-tam, et des party, c’est tout ça quoi. Mais enfin quand il y a des émissions de variétés avec des beaux chants ou de la belle musique je regarde. Un beau concert par exemple, ça je regarde toujours hein. Mais malheureusement y’en a pas souvent.

42Quant aux films récents, ils sont réputés violents, complaisants pour les scènes de sexe et les personnes âgées n’ont pas, avec les acteurs contemporains, le même sentiment de familiarité qu’avec ceux qui ont marqué l’après-guerre ou même les années 1970. On voit combien la combinaison de l’étrangeté et de la lassitude restreint le champ des émissions susceptibles de susciter de l’intérêt, certaines personnes renonçant à découvrir de nouveaux films tout en se déclarant fatiguées de toujours voir les mêmes. Enfin, le désintérêt se manifeste quelquefois par une certaine indifférence à l’égard de ce qui se passe dans le monde. Par exemple, lorsqu’on demande à Mme Lully, qui n’aborde pas d’elle-même la dimension informative des médias, si elle s’y intéresse, elle répond, laconique :

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Oui, oui [ton peu convaincu]. Quand ils parlent de guerre et tout ça, on en a assez, Kosovo, non…

44De la même façon, Mme Rameau évoque le Kosovo pour signifier qu’elle ne souhaite plus être confrontée aux images de souffrance qui s’introduisent chez elle par l’intermédiaire de son écran de télévision :

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Maintenant les informations, c’est triste. J’aime bien les avoir mais ça me stresse. Ça me stresse parce que je ne vois que des choses vraiment qui sont… qui me rendent malade, je vois le Kosovo, je vois les horreurs, des gens qui meurent de faim, des pauvres gosses, ben ça, ça me touche, ça me stresse. Ça doit être parce que je vieillis, ça me marque. Parce qu’on est plus vulnérables certainement. Bon quand ça commence… qu’on commence à parler de ça ben je tourne le bouton. Je vais pas me stresser pour ça, ben oui.
C’est tout.

46De tels propos expriment le refus de prendre en charge, sur le plan émotionnel, les problèmes et les malheurs du monde, cette « souffrance à distance » étudiée par Luc Boltanski [32] : ces personnes ne souhaitent pas être interpellées par le spectacle du malheur qui risque de les émouvoir, de résonner en elles et de compromettre la quiétude à laquelle elles aspirent [33]. Une telle attitude ne signifie pas pour autant un désintérêt complet pour le monde, la même personne pouvant exprimer à la fois un désir d’informations et une certaine indifférence : il n’y a pas là de réelle contradiction, mais l’expression d’un souci de rester un peu au courant sans être affecté outre mesure par les nouvelles du monde. C’est ce qui ressort des propos de Mme Rameau que nous avons cités : elle « aime bien » avoir les informations mais éteint le poste quand elle y voit des « horreurs ». Plus fondamentalement, il convient de ne pas généraliser à l’ensemble des personnes très âgées les manifestations de lassitude et d’indifférence que nous avons évoquées : présentes chez plusieurs personnes de notre corpus, elles contrastent avec la volonté de se maintenir au courant fortement affirmée par d’autres personnes du même âge alors même qu’elles aussi ont dû se déprendre de certaines de leurs activités antérieures. Ces manifestations de moindre intérêt sont cependant particulièrement intéressantes car elles donnent à voir les symptômes d’une prise de distance avec le monde qui accompagne parfois la déprise.

LA TELEVISION, PARTENAIRE DE LA CONSTRUCTION DE L’IDENTITE AU COURS DU VIEILLISSEMENT

47C’est dans le dialogue avec autrui que l’individu élabore et transforme sa vision du monde et que, parallèlement, se construit son identité sociale [34]. Certains jouent un rôle particulièrement important dans ce processus : les parents, interlocuteurs privilégiés au cours de la phase de la « socialisation primaire » ; le conjoint, « autrui par excellence » qui oriente et stabilise la vision du monde et l’identité sociale de son partenaire [35]. Dans cette perspective, la télévision peut être considérée comme un autrui particulier qui alimente la construction de la réalité subjective et qui nourrit le dialogue intérieur sur soi. Dominique Pasquier a ainsi montré le rôle joué par certaines séries, comme Hélène et les garçons, au moment de l’adolescence : « La télévision, plus qu’un loisir ou un mode d’information sur le monde, est sans doute fondamentalement pour les adolescents une pratique identitaire qui permet d’explorer un moi social en transition » écrit-elle [36]. Cette approche mérite d’être transposée au cas des personnes très âgées [37] et invite à se demander quelles sont, pour elles, les « pratiques identitaires » dont la télévision constitue le support. Trois éléments de réponse ressortent de nos entretiens : la télévision permet le « branchement » sur le soi passé, elle procure des ressources utiles à la réaffirmation de soi et elle contribue à l’interrogation sur l’identité présente confrontée à la question de la vieillesse.

Le « branchement » sur le soi passé

48Commençons par évoquer un mode d’expérience identitaire pour lequel la télévision constitue un médiateur particulièrement apprécié par les personnes très âgées : la reviviscence. Comme l’écrit Anne Muxel, celle-ci consiste à « revivre », à « ressentir à nouveau », à « revivifier sa propre existence passée [38] ». La reviviscence est ainsi l’expérience émotionnelle à travers laquelle le soi présent rejoint le soi passé par un mouvement qui abolit le temps qui les disjoint. Or, certaines émissions de télévision constituent des auxiliaires précieux de cette connexion avec le passé. C’est le cas de vieux films qui offrent la possibilité de se replonger, pour un moment, dans l’ambiance d’une époque que l’on a connue et de retrouver des acteurs appréciés et aujourd’hui disparus. Mme Brahms évoque ainsi son plaisir des vieux films « parce qu’on voit quelle vie qu’on avait avant » avant de citer des artistes appartenant à des générations différentes – Gabin, Montand, Coluche – qu’elle rassemble dans une même nostalgie. C’est le cas également de La Chance aux chansons, une émission de Pascal Sevran diffusée en milieu d’après-midi et dont la disparition récente a privé les personnes âgées d’une « machine à remonter le temps » efficace et appréciée. Ainsi, à l’époque où nous l’avons rencontré, M. Schubert en était un fidèle :

49

J’aime bien la chanson et j’aime bien les anciens chanteurs, les anciennes chansons. Parce que moi, ça me rappelle aussi des anciens souvenirs ça, j’aime bien !

50Mme Berlioz la regardait aussi chaque jour, puisant dans les vieilles chansons ainsi retrouvées quelques paroles à partir desquelles elle laissait courir son imagination pour écrire ses poèmes. L’un d’eux, publié dans le journal de la maison de retraite où elle vit, suggère comment s’opère le cheminement de l’émission de télévision vers les sensations et les plaisirs d’autrefois [39] :

51

Quand j’écoute La Chance aux chansons On parle des fleuves d’un peu partout mais Moi qui suis d’ici près de Lille je m’étonne Qu’on ne parle pas la Deule [40] bien sûr elle Ne bouge pas oui mais moi ça me rappelle Mon enfance quand on allés avec maman et Ma sœur à la foire de Lille c’était près de la Deule d’abord on allés voir les manèges les regarder Seulement car maman n’avait pas d’argent Après ont revenés à Hellemmes avec une barre De pain d’épices et l’ont étés tous les deux contentes Quand on arrivé à la maison de pouvoir En manger

La réaffirmation de soi

52Regarder la télévision, réagir à ce que l’on voit, parler des émissions que l’on a vues avec ses proches, avec des amis ou en répondant aux questions du sociologue sont autant d’occasions de réaffirmer qui l’on est : d’une part, en revendiquant ses goûts et ses dégoûts personnels, d’autre part, en affichant ses convictions morales pour juger de la société d’aujourd’hui et sauvegarder le sentiment de sa propre valeur.

53Déclarer que l’on aime ou que l’on n’aime pas telle chose – la télévision en général ou telle émission en particulier – revient à formuler une assertion sur la personne que l’on est. De ce point de vue, il faut tout d’abord rappeler que la télévision est un objet symboliquement chargé, qui se trouve pris dans des enjeux de distinction culturelle et donc de classement social. Les discours de prise de distance par rapport à la télévision, les jugements portés sur les émissions constituent donc des opérations de définition de sa propre valeur sociale. On le perçoit bien dans les propos de Mme Schumann, qui se récrie lorsqu’on lui demande si elle regarde Les Feux de l’Amour :

54

Ah non ! Certainement pas ! C’est pas mon genre du tout ! Non j’étais directrice d’école quand même, je ne vais pas regarder ça !

55D’autres discours qui expriment un attachement ou un jugement critique, moins immédiatement réductibles à des classements de type culturel, permettent tout autant d’affirmer qui l’on est, en revendiquant ce que l’on aime et ce que l’on rejette. Ainsi, M. Schubert explique qu’il regarde les émissions sur les animaux car il « aime les bêtes », trait de sa personnalité qu’il exprime également en « gâtant » son chien ou en nourrissant les petits moineaux qui viennent dans son jardin. Ailleurs, il affirme son intérêt pour les émissions sportives et explique combien ce goût se trouve enraciné dans son passé et fait partie de lui-même :

56

Le sport j’aime bien. Le rugby, foot, tennis. Oui, j’aime bien un petit peu tout. Même l’athlétisme... Tout ce qui est sport, j’aime bien. Cyclisme, tout ça… C’est comme ça. J’ai toujours bien aimé. Etant jeune, j’ai pratiqué un petit peu de vélo, quoi. J’ai fait un petit peu de courses à vélo.

57« Aimer le sport » fait ainsi partie de l’identité de M. Schubert, au même titre qu’« aimer les bêtes ». Ces éléments de son identité, il les revendique au cours de l’entretien et il les maintient vivantes en regardant des émissions sportives et sur les animaux. Son identité d’amateur de sports est d’ailleurs davantage dépendante des médias que son identité d’ami des bêtes : la seconde s’exprime aussi dans les relations avec son chien et dans son attitude envers les moineaux alors que la première ne se trouve plus actualisée, aujourd’hui, que par l’intermédiaire de la télévision.

58La valorisation de soi se manifeste également d’une manière plus indirecte, à travers les jugements très favorables portés sur le passé auquel les personnes très âgées ont souvent le sentiment d’appartenir – ce qu’indiquent des expressions comme « de mon temps » ou « à mon époque ». De ce point de vue, l’écoute de la télévision constitue une occasion de réaffirmer la valeur de son existence. On peut soutenir en effet, en adaptant une formule de Tamar Liebes, que les téléspectateurs âgés se confortent dans leurs propres valeurs morales en se confrontant à l’immoralité qu’ils perçoivent dans certaines émissions [41]. Par exemple, en dénonçant l’inconstance sentimentale des personnages des Feux de l’Amour, puis en s’en prenant aux publicités pour les plats cuisinés qui symbolisent à ses yeux le travail des femmes et l’indisponibilité des mères, Mme Berlioz réaffirme sa croyance dans la supériorité des valeurs qui ont été au fondement de son existence : la fidélité qui l’a liée pendant soixante ans à son mari et la répartition traditionnelle des rôles entre les sexes qui enjoint aux femmes de rester au foyer. Interrogée sur cette même série télévisée qu’elle regarde pour sa part assidûment, Mme Bartok a cette formule percutante :

59

Ah ben j’aimais mieux Les Feux de l’Amour dans mon temps avec les familles que maintenant !

60Et elle précise :

61

Ah, on voudrait tout de même que c’est des familles unies, mais y’a toujours quelque chose qui va pas ! (…) Enfin maintenant j’sais pas si on s’en va vers le meilleur. Avec les inventions qu’y font. Y’a plus de vie de famille, y’a plus rien. Ça, j’comprends pas !

62Autre exemple : les jeux télévisés fondés sur la chance et dans lesquels l’argent coule à flots se trouvent parfois dénoncés au nom d’une éthique du labeur qui conçoit l’argent comme la récompense de l’effort et de la peine. C’est cette même morale de l’effort que réaffirme M. Chopin lorsqu’il explique qu’il ne regarde plus avec autant de plaisir les courses cyclistes à cause des affaires de dopage :

63

C’est dommage parce que l’effort, c’est quelque chose qui devrait être récompensé, l’effort, mais pas de cette façon là hein.

64A l’inverse, des jeux comme Questions pour un champion sont un moyen, pour ceux qui ont cru et croient encore en l’importance des connaissances scolaires, de vérifier que celles-ci ne sont pas tout à fait désuètes, qu’elles ont encore cours et que, sur ce plan, ils valent mieux que certains candidats plus jeunes. Mme Glück s’étonne ainsi que

65

l’autre jour il demandait quel est le chef des apôtres… Ils savaient pas qui !
J’ai dit c’est vrai que c’est simple ! Pourtant, enfin, quand même ! Même si on est pas pratiquant on sait quand même que c’est saint Pierre j’espère !
Hein ? Bein il a pas su le dire… je dis bein ça fait partie de la culture ! On est des judéo-chrétiens qu’on le veuille ou non !… Bein ça !

66Et une telle ignorance la conforte dans l’idée qu’on n’apprend plus rien aujourd’hui à l’école. Même la reviviscence, facilitée par les émissions permettant un « branchement » sur le soi passé, n’est pas exclusive d’une attitude plus réflexive réaffirmant la supériorité de la société d’autrefois. C’est ce dont témoigne le poème écrit par Mme Berlioz dont nous avons cité plus haut les premiers vers. Ce poème, qui commence comme une rêverie sur les moments heureux du passé qui lui reviennent à l’esprit lorsqu’elle « écoute La chance aux chansons », s’achève en effet par une morale toute simple :

67

(…) vous voyez il ne nous fallait Pas grand chose pour voir la vie en rose Avant c’était comme ça il suffisait d’un rien Pour contenter les enfants et on était plus heureux.

68Ainsi, alors que pour les adolescents, c’est la construction de leur être-en-devenir qui se joue à travers certaines émissions [42], il semble que, pour les plus âgés, c’est le maintien de la valeur de leur être social qui est en jeu dans leur écoute des médias, au-delà des fonctions d’information, d’ouverture sur le monde et de divertissement que ceux-ci assurent par ailleurs : à travers les choix qu’ils font dans les programmes et les jugements qu’ils portent sur eux, ils réaffirment qui ils sont et ce à quoi ils ont cru et croient encore aujourd’hui.

L’interrogation sur le soi vieillissant : être vieux ou ne pas l’être

69Si elle apparaît fortement ancrée dans le passé, la construction identitaire des personnes âgées est, par d’autres aspects, tournée vers le présent. Les personnes qui vieillissent se trouvent en effet confrontées à une question redoutable, qu’il leur est difficile d’esquiver : sont-elles devenues « vieilles » ou ne le sont-elles pas encore ? Dans cette entreprise de positionnement de soi par rapport à la vieillesse, la télévision peut constituer un interlocuteur qui, en donnant à voir les signes du maintien de ses capacités ou, à l’inverse, ceux de son déclin, amène à s’interroger sur la personne que l’on est devenue.

70Comme l’observe Serge Clément dans son étude sur les formes du vieillir, un certain nombre de personnes très âgées, tout en reconnaissant leur avancée en âge, considèrent qu’elles ne sont pas encore vieilles [43]. Elles prennent soin de se différencier des « vieux » en ayant recours à différentes stratégies comportementales et discursives. La télévision constitue une ressource dans cette entreprise de définition de soi à distance de la vieillesse. Certaines des personnes enquêtées marquent ainsi la différence entre leur propre rapport à la télévision et ce qu’elle décrivent comme étant l’attitude des « vieux ». Elles soulignent notamment qu’il n’est pas question pour elles de trop la regarder et de rester inactives devant leur poste comme le font ceux qui sont vraiment « vieux ». M. Haendel, qui continue à jardiner et à entretenir les bâtiments de l’exploitation agricole sur laquelle travaille toujours son frère, décrète ainsi que

71

celui qui reste dans son fauteuil et qui regarde la télévision et bien, tu sais, une paire d’ans après il ne bougera plus.

72Mme Wagner se compare, quant à elle, à sa belle-sœur :

73

Ma belle-sœur qui a 87 ans, elle a un an de plus que moi, on est du mois de mai tous les deux. Et bien elle ne saurait plus se débrouiller toute seule, même marcher dans la rue. Faut qu’elle ait quelqu’un qui lui donne le bras.
(…) Elle ne marche pas. Alors forcément elle écoute beaucoup d’émissions.
Forcément. Tandis que moi je descends presque tous les jours. Alors je ne peux pas faire les deux, c’est pas possible.

74D’autres stratégies distinctives passent par un jugement comparatif sur les capacités de compréhension des émissions de télévision. C’est le cas notamment pour les personnes qui vivent en maison de retraite et qui cherchent à se distinguer des résidants qui n’ont plus toutes leurs facultés mentales :

75

Y’en a, ils regardent la télé, et puis ils comprennent rien. Moi j’aime bien voir et comprendre, hein. Moi j’ai ma voisine, là, elle dit : « Qu’est-ce que vous allez regarder ce soir ? », ben je lui dis, ben elle redescend le lendemain, j’lui dis « Ben alors ? » « Ah oui, c’est beau », elle saurait pas répéter ce qu’elle a vu ! (Mme Lully).
J’aime bien de regarder les informations. Parce que quelquefois, même, j’discute avec le directeur, des informations. Mais les trois quarts, ils comprennent pas, hein ! Mais moi, j’aime bien de regarder les informations (Mme Berlioz).

76Un peu plus tard au cours de l’entretien, Mme Berlioz déclare, toujours à propos des informations, qu’elle s’y intéresse « parce que je retiens ». Il est possible, en effet, de prendre ainsi appui sur la télévision pour juger de l’évolution de ses capacités et se convaincre que si l’on n’est plus tout jeune, on est pas encore tout à fait vieux. Le fait de pouvoir continuer à « apprendre » grâce à la télévision aide ainsi à se définir à distance de la vieillesse :

77

On apprend encore. Il est jamais trop tard… Ah oui, ça fait du bien, ça me fait du bien. Pour les personnes âgées qui sont toutes seules, ça fait une compagnie. Et on apprend des choses. En tout. Ça nous dégourdit à 87 ans (Mme Bartok).

78Mieux, il est possible d’utiliser certaines émissions, notamment les jeux télévisés tels que Questions pour un champion ou Des chiffres et des lettres, pour faire des exercices de maintien de soi :

79

Ça fait travailler la mémoire… Et c’est bon, c’est bon ça. Ah oui, moi, je trouve que c’est bénéfique. (…) D’être obligée de chercher quelquefois. Il faut comprendre aussi. (…) Moi je… pour beaucoup de choses, j’arrive quand même à comprendre tout ce qu’il me demande… ce qu’il demande.
(Mme Vivaldi)

80A l’inverse de ces propos qui visent à se définir à distance de la vieillesse, il en est d’autres qui consistent à reconnaître que, désormais, l’on est vieux. Comme l’écrit Serge Clément : « Il ne s’agit pas ici d’une simple “accumulation des années”, mais bien d’un changement qualitatif qui touche l’être [44]. » Les médias sont des interlocuteurs de la construction de cette identité de « vieux » : dans le « dialogue » avec eux advient, d’une part, l’impression d’en avoir perdu et de ne plus être ce qu’on a été et, d’autre part, le sentiment du temps qui passe et la présence de la mort. Tout d’abord, si les émissions tels que les jeux télévisés de type « scolaire » peuvent contribuer au maintien de soi, ils sont également susceptibles de signifier que l’on ne parvient plus à faire les exercices proposés aussi facilement qu’autrefois, qu’on perd de sa dextérité intellectuelle et de ses facultés de mémorisation. Mme Vivaldi, qui trouve que « c’est bénéfique » et « arrive quand même » à comprendre n’en note pas moins que « pour mon âge, on est limité par le temps ». La même ambiguïté se retrouve chez Mme Prokofiev qui commence à se sentir âgée depuis un an ou deux et indique de quelle façon elle prend conscience, face à son poste de télévision, des changements qui l’affectent :

81

Les Questions [le jeu Questions pour un champion], je retiens plus… je retiens plus comme avant, quand j’étais jeune j’avais une mémoire, mais maintenant je retiens plus beaucoup… Mais enfin y a quand même des… des choses qu’on arrive à retenir et puis ça m’intéresse de voir que les, les… ce que j’admire c’est bien, moi aussi j’avais une mémoire comme ça étant jeune… Maintenant…

82Mme Prokofiev s’interroge encore, mais on voit de quel côté penche la balance interprétative aujourd’hui : les signes du déclin (« maintenant je retiens plus beaucoup ») paraissent l’emporter sur ceux du maintien de soi (« y a quand même des… des choses qu’on arrive à retenir »). Par ailleurs, les téléspectateurs sont confrontés au temps qui passe, notamment à travers le vieillissement et la mort de personnalités du monde du spectacle. Certaines personnes de notre corpus y sont très sensibles, rappelant qu’elles sont les contemporains d’acteurs aujourd’hui disparus :

83

Quand c’est des beaux films, on aime bien. Y’en a pas toujours. Là, avec Les Misérables, c’est bien. Avec Yves Montand aussi, j’aimais bien Yves Montand. Maintenant il est mort

84déclare Mme Wagner, alors que Mme Messiaen apprécie La Chance aux chansons car Pascal Sevran

85

présente souvent des… des artistes qui sont morts hein vous savez. Comme Dalida, comme… Beaucoup d’artistes comme ça hein.

86Parfois, la mort se fait particulièrement présente dans les propos, certaines personnes paraissant vivre dans un monde « entre-deux [45] ». Ainsi, Mme Messiaen, qui est âgée de 98 ans et sent qu’elle « approche le boulevard des allongés », semble se préparer à son prochain départ en méditant sur le destin de personnages publics ou médiatiques qui – eux aussi –, sont frappés par la maladie ou la mort :

87

C’est des gens qui… Je sais pas moi. C’est des gens… C’est quelqu’un, et puis ils vont peut-être s’en aller aussi hein.

CONCLUSION

88La place occupée par la télévision dans la vie quotidienne des personnes âgées, la multiplicité des fonctions qu’elle est susceptible d’assurer et la charge symbolique qu’elle véhicule en font un « analyseur » du vieillissement particulièrement fécond. L’étude du rapport à la télévision des plus âgés permet tout d’abord d’enrichir la connaissance du processus de « déprise » qui est au cœur de leur avancée en âge : d’une part, deux phases successives de la déprise peuvent être distinguées, la première consistant dans l’abandon d’activités extérieures et dans le repli sur l’espace domestique, favorables à une écoute accrue de la télévision, la seconde marquée par un retrait par rapport à la télévision elle-même ; il apparaît, d’autre part, qu’au cours de cette seconde phase, la déprise prend non seulement la forme d’une baisse de la durée d’écoute, mais peut aussi consister, dans certains cas, en un affaiblissement de l’intérêt pour le monde. Ensuite, l’étude de la télévision – qui contribue à nourrir la « conversation » intérieure des plus âgés – donne l’occasion d’observer certains aspects de leur construction identitaire : la télévision constitue en effet pour eux une ressource pour réaffirmer qui ils sont, marteler leurs convictions morales, soutenir la valeur de leur existence, se replonger dans leur passé grâce à un vieux film ou à une ancienne chanson ou encore se positionner par rapport à la vieillesse. Enfin, l’étude de l’« analyseur » télévision donne à voir la diversité des trajectoires de vieillissement : après la retraite, la forte écoute des uns fait contraste avec la place réduite que d’autres accordent à la télévision ; le décès du conjoint a souvent pour conséquence une réorientation de l’existence vers l’espace domestique et la télévision, mais il arrive aussi qu’il se traduise par un investissement dans des activités nouvelles et par une baisse de l’écoute ; la déprise des activités extérieures se traduit par une augmentation de l’écoute plus ou moins contenue. Si cette diversité est à référer aux fortes inégalités de ressources des personnes âgées (notamment en termes de santé, de capacités physique et d’opportunités d’engagement) qui sont au principe du caractère plus ou moins prononcé de leur déprise, elle renvoie également à des conceptions différentes de la vie à la retraite et de la place que doit y occuper la télévision : le modèle de l’épanouissement de soi, ancré dans les classes moyennes, invite à se tenir à distance de ce loisir « passif » alors que la conception de la retraite comme moment du repos, plus fréquent en milieu populaire, n’a pas ces réticences à son encontre.

89Inversement, l’étude des téléspectateurs âgés – qui se caractérisent en moyenne par une durée d’écoute particulièrement élevée – donne à voir de manière particulièrement nette la multiplicité des fonctions assurées par la télévision : procurer le sentiment d’une présence, occuper le temps laissé libre par d’autres activités, accompagner un moment de repos, divertir, instruire, relier au monde, offrir la possibilité de poursuivre sous une autre forme une activité que l’on a dû abandonner, nourrir la conversation intérieure, aider à se connecter au passé, etc. La question peut alors être posée de la mise en regard de certains des usages observés chez les téléspectateurs âgés avec ceux de téléspectateurs occupant une autre position dans leur parcours de vie. On peut ainsi se demander si l’on observe, dans le cas des chômeurs, une « déprise » du monde extérieur et un engagement dans l’écoute de la télévision analogue à celle que l’on repère souvent au moment du veuvage – et dans une moindre mesure lors de la retraite. Sans doute serait-il intéressant de suivre cette piste et de réaliser une comparaison des usages de la télévision des retraités et des chômeurs, comme ont pu être comparées leurs pratiques téléphoniques [46]. Une autre piste consisterait à s’interroger sur les usages de « reviviscence » de la télévision de téléspectateurs plus jeunes. En effet, même si le phénomène est sans doute accentué dans le cas des personnes âgées, pour lesquelles la télévision constitue une formidable machine à remonter le temps de leur propre existence, il est probable que cet usage « nostalgique » de la télévision ne leur est pas propre. On peut d’autant plus le supposer qu’il se trouve aujourd’hui encouragé par certaines émissions qui, fondées sur le recyclage des archives télévisées, proposent au téléspectateur cette expérience particulière qui consiste à revoir des séquences d’émission qu’il a déjà vues il y a plusieurs années, voire quelques décennies, et à se replonger ainsi dans l’ambiance d’une époque révolue.

ANNEXE : CARACTERISTIQUES DES PERSONNES CITEES

Enquête sur les technologies : couples de retraités

90M. et Mme Gerfaut : 66 ans et 64 ans, ouvrier qualifié et employée, retraite en 1988 et 1995.

91M. et Mme Loriot : 62 ans et 60 ans, mineur et femme au foyer, retraite en 1992.

92M. et Mme Verdier : 67 ans et 67 ans, préparateur en pharmacie et animatrice petite enfance, retraite en 1986 et1992.

Enquête sur les technologies : veufs et veuves

93Mme Groix : 74 ans, femme au foyer, mari ouvrier (mineur), veuve depuis 1993, vit seule.

94Mme Hoëdic : 76 ans, ouvrière, mari ouvrier, veuve depuis 1993, vit seule.

95M. Ouessant : 76 ans, ingénieur, directeur d’usine, épouse au foyer, veuf depuis 1991, vit seul.

96M. Ré : 69 ans ; professeur d’université, épouse professeur, veuf depuis 1994, vit seul.

97M. Wight : 71 ans, professeur d’université, épouse au foyer, veuf depuis 1994, vit seul.

Enquête sur la télévision

98Mme Bartok : 87 ans, ouvrière, mari ouvrier, veuve, vit seule en maison de retraite.

99Mme Berlioz : 91 ans, femme au foyer, mari ouvrier, veuve depuis 1988, vit seule en maison de retraite.

100Mme Brahms : 79 ans, femme au foyer, mari ouvrier, veuve depuis 1991, vit seule.

101M. Chopin : 77 ans, commerçant, épouse commerçante, marié, vit en couple.

102Mme Debussy : 77 ans, agricultrice, mari agriculteur, mariée, vit en couple.

103Mme Glück : 76 ans, employée, mari cadre supérieur, veuve depuis 1976, vit seule.

104M. Haendel : 78 ans, agriculteur, célibataire, vit avec un frère et une sœur.

105Mme Lully : 89 ans, ouvrière, mari ouvrier, veuve depuis 1975, vit seule en maison de retraite.

106Mme Mahler : 75 ans, commerçante, mari commerçant, veuve depuis 1998, vit seule.

107Mme Messiaen : 98 ans, ouvrière, mari employé, veuve depuis 1966, vit seule.

108Mme Prokofiev : 80 ans, employée, mari ouvrier, veuve depuis 1995, vit seule.

109Mme Rameau : 81 ans, secrétaire, célibataire, vit seule.

110M. Schubert : 87 ans, ouvrier, épouse ouvrière, veuf depuis 1976, vit seul.

111Mme Schumann : 85 ans, directrice d’école, mari dessinateur industriel, veuve, vit seule en maison de retraite.

112Mme Vivaldi : 80 ans, commerçante, mari ouvrier, veuve depuis 1991, vit seule.

113Mme Wagner : 86 ans, commerçante, mari commerçant, mariée, vit en couple.

Notes

  • [1]
    PAILLAT, 1993.
  • [2]
    DONNAT, 1998 ; CARADEC, 2003.
  • [3]
    Ces deux corpus ont été constitués en diversifiant la position sociale des personnes rencontrées. Ils proviennent d’une recherche portant sur le rapport des retraités aux technologies (dont la télévision), qui a été réalisée dans le cadre du programme « Evolutions technologiques, dynamique des âges et vieillissement de la population » animé par la DREES/MiRe et la CNAV. Cette recherche a bénéficié d’un financement du GRETS/EDF. Voir CARADEC, 2000.
  • [4]
    Cet échantillon a été constitué de manière à obtenir une certaine diversité en ce qui concerne l’ancienne activité professionnelle, la situation domestique (personnes vivant seules et en couple, personnes vivant à domicile et en maison de retraite), le sexe et l’âge (qui varie entre 75 et 98 ans). L’enquête portait sur le rapport des personnes âgées aux « médias domestiques » (télévision et radio) et a été réalisée dans le cadre du programme de recherche « Pratiques et consommations culturelles » du ministère de la Culture et de la Communication. Voir CARADEC, BONNETTE-LUCAT, 2001.
  • [5]
    RILEY, FONER, WARING, 1998.
  • [6]
    ROSOW, 1985 ; GEORGE, 1982.
  • [7]
    CUMMING, HENRY, 1961.
  • [8]
    BARTHE, CLÉMENT, DRULHE, 1988.
  • [9]
    DELBES, GAYMU, 1995, graphique 5.
  • [10]
    PAILLAT, 1989, ch. 10.
  • [11]
    KAUFMANN, 1997, ch. 5.
  • [12]
    Si la durée d’écoute hebdomadaire de la télévision est de 28 heures en moyenne pour les retraités, elle est de 19 heures pour les anciens cadres et professions intellectuelles supérieures, de 30 heures pour les anciens ouvriers et de 32 heures pour les anciens employés (exploitation secondaire de l’enquête Pratiques Culturelles, 1997).
  • [13]
    Les caractéristiques des personnes citées sont présentées en annexe.
  • [14]
    En 2000,34 % des ménages de 60-69 ans sont multiéquipés en téléviseur couleur, soit un peu plus que la moyenne nationale (32 %). Ils étaient 27 % en 1996 (DUMARTIN, TACHE, 2001, tableau II-2-1). Dans notre corpus, plusieurs couples se sont équipés d’un second poste de télévision après la retraite.
  • [15]
    MOLLENKOPF, 1992 ; SILVERSTONE, HIRSCH, MORLEY, 1992.
  • [16]
    En 1990, l’âge moyen au veuvage était de 65,5 ans pour les femmes et de 70,6 ans pour les hommes (en 1982, il était respectivement de 63,5 et de 67,7 ans). On comptait, parmi les plus de 60 ans, 2,8 millions de veuves et 500 000 veufs. Voir GAYMU, 1993.
  • [17]
    CARADEC, 2001a.
  • [18]
    Cité par BACQUE, 1992.
  • [19]
    LALIVE D’EPINAY, 1996.
  • [20]
    CARADEC, 2001a.
  • [21]
    Les données statistiques reflètent cette plus forte écoute : les retraités qui vivent seuls regardent la télévision 32 heures par semaine en moyenne, contre 26 heures pour ceux qui vivent en couple (exploitation secondaire de l’enquête « Pratiques culturelles », 1997).
  • [22]
    SINGLY, 2000.
  • [23]
    CUMMING, HENRY, 1961 ; BARTHE, CLÉMENT, DRULHE, 1988.
  • [24]
    CLEMENT et al., 1999.
  • [25]
    CARADEC, 2001b ; DRULHE, PERVANCHON, 2002.
  • [26]
    Nous nous appuyons ici, pour l’essentiel, sur le corpus d’entretiens avec des personnes âgées de plus de 75 ans.
  • [27]
    L’exploitation secondaire de l’enquête « Pratiques culturelles » de 1997 montre que la durée d’écoute de la télévision augmente progressivement jusqu’à 85 ans : elle passe de 24 heures hebdomadaires chez les 55-59 ans à 32 heures dans la tranche d’âge 80-84 ans. Puis, elle recule assez nettement pour atteindre 22 heures par semaine chez les 85 ans et plus. Parallèlement, ceux qui ne regardent jamais ou pratiquement jamais la télévision représentent 8 % des 55-59 ans, 5 % des 80-84 ans et 19 % des 85 ans et plus. Voir CARADEC, BONNETTE-LUCAT, 2001. Une plus faible durée d’écoute parmi les plus âgés est également repérable dans les enquêtes « Emploi du temps », la baisse apparaissant d’ailleurs plus tardive en 1998 qu’en 1986 : voir les tableaux D et E de l’article d’Olivier Donnat et Gwenaël Larmet dans ce numéro.
  • [28]
    Si nous proposons d’interpréter ces données transversales en mettant en avant un effet d’âge plutôt qu’un effet de génération, c’est non seulement parce que les entretiens donnent consistance à cette interprétation, mais aussi parce que d’autres enquêtes quantitatives observent la même évolution (même si ces résultats quantitatifs restent fragiles du fait de la faiblesse des effectifs aux âges élevés). Ainsi, une enquête réalisée par le Cerc en 1989-1990 fait apparaître une moindre écoute de la télévision aux âges élevés : le taux d’écoute quotidienne est de 80,6 % pour les 75-79 ans et de 71,0 % pour les 80 ans et plus. Voir DAVID, STARZEC, 1996.
  • [29]
    CLEMENT, MANTOVANI, MEMBRADO, 1996.
  • [30]
    WOLTON, 1990.
  • [31]
    Ces différents registres de l’intérêt pour la télévision sont développés dans CARADEC, 2003.
  • [32]
    BOLTANSKI, 1993.
  • [33]
    Marcel Jouhandeau en donne une expression extrême : « Plus j’avance en âge, moins j’ai besoin de spectacles, de concert, d’informations. Tout ce qui cherche à s’imposer à moi du dehors, à me distraire de moi, m’offense. Tout ce qui dérange le silence dont j’ai besoin pour assister à mes derniers jours me fait mal, même la beauté. » JOUHANDEAU, 1961 ; cité par PUIJALON-VEYSSET, 1999.
  • [34]
    BERGER, LUCKMANN, 1986.
  • [35]
    BERGER, KELLNER, 1988.
  • [36]
    PASQUIER, 1997, p. 828.
  • [37]
    Cette partie repose sur l’analyse de corpus d’entretiens avec des personnes âgées de plus de 75 ans.
  • [38]
    MUXEL, 1996, p. 24.
  • [39]
    Nous respectons l’orthographe du texte publié.
  • [40]
    La Deule est la rivière qui coule à Lille.
  • [41]
    Tamar Liebes écrit : « En se confrontant à l’immoralité des personnages, comme s’ils étaient des personnes réelles, le spectateur se conforte dans ses propres valeurs morales. » Voir LIEBES, 1997, p. 804.
  • [42]
    PASQUIER, 1998.
  • [43]
    CLEMENT, 1997.
  • [44]
    CLEMENT, 1997.
  • [45]
    CLEMENT, 1994.
  • [46]
    RIVIERE, 2000.
Français

Cet article se fixe pour objectif d’explorer le processus de vieillissement en se fondant sur plusieurs corpus d’entretiens réalisés avec des retraités (âgés de 60 à 98 ans) et en retenant un analyseur particulier : le rapport à la télévision. Dans une première partie, trois moments du vieillissement se trouvent interrogés : les premières années de retraite, la période qui suit le décès du conjoint et la « déprise ». Ce dernier phénomène, qui est au cœur de l’avancée en âge, se trouve notamment précisé grâce au repérage de deux phases – la déprise par rapport aux activités extérieures et la déprise par rapport à la télévision – ainsi qu’à travers la distinction opérée entre le registre des activités pratiquées et celui de l’intérêt pour le monde. Dans une seconde partie, on examine de quelle manière la télévision peut être un « partenaire » de la construction de l’identité des plus âgés. Il apparaît alors qu’elle permet le « branchement » sur le soi passé, procure des ressources utiles à la réaffirmation de soi et nourrit le questionnement sur la manière de se positionner par rapport à la catégorie de « vieux ».

RÉFÉRENCES

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Mis en ligne sur Cairn.info le 01/01/2007
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