CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1L’âge est une variable discriminante importante pour comprendre les usages de l’internet. Selon le SESSI (ministère de l’Industrie), si plus d’un tiers des Français utilisaient l’internet au moins occasionnellement en octobre 2002, c’était le cas pour plus de 68 % des jeunes de 15 à 25 ans. Nombre d’études s’accordent pour montrer que le téléchargement et l’échange de contenus figurent parmi les principales occupations des jeunes sur l’internet. Or, selon une idée très répandue, les échanges non autorisés de contenus sur l’internet [1] menaceraient gravement les intérêt des producteurs de contenus et, en particulier, le commerce électronique des biens culturels. Grands utilisateurs de contenus et des outils communicationnels, les jeunes copieurs issus de la Netgen (Net Generation) sont alors accusés d’être les principaux responsables de cette situation et des pertes économiques supposées causées par la piraterie numérique.

2La problématique de la « marchandisation » du culturel ne se limite plus alors à la question de l’extension des droits de propriété intellectuelle et de leur mise en œuvre effective dans tel domaine ou pour tel type d’utilisation. Elle s’étend également au problème de l’application du droit d’auteur en fonction des caractéristiques socio-économiques des utilisateurs et en particulier, leur âge. Une première question tourne alors autour de l’idée de « cycle de vie » du copieur. Existe-t-il une relation inverse entre l’âge et le copiage ? Les technologies numériques ne remettent-elles pas en cause la pertinence d’une telle représentation ? Il convient ensuite d’intégrer la question de l’âge à propos des effets potentiels des politiques de lutte contre le copiage : faut-il empêcher ou dissuader les jeunes d’échanger des contenus et le cas échéant, quelle régulation mettre en œuvre ? Dans quelle mesure l’âge du copieur influe-t-il sur les résultats de ces politiques ? Et quels seront à terme les effets des politiques répressives actuelles sur la dynamique des industries culturelles ?

LE CHANGEMENT DE NATURE DU COPIAGE ET L’IMPORTANCE CROISSANTE DE L’AGE

3La pratique de la copie est entendue ici comme le recours par un individu à une technologie de reproduction afin de dupliquer un exemplaire quelconque d’un bien immatériel dans le but de créer une copie de sauvegarde, de donner ou d’échanger les supports ainsi copiés, ou encore de changer le format de stockage de l’information [2]. Le copiage est apparu dans les années 1960 avec la cassette audio, puis s’est progressivement répandu dans les années 1980 avec la banalisation des technologies de reproduction électromagnétique dans la musique et la vidéo. Il semble que, durant cette première phase, l’âge n’ait pas été un facteur décisif pour expliquer la nature et l’intensité du copiage audio et vidéo [3].

4Durant cette même décennie, la micro-informatique a donné lieu à une forme inédite de copiage à travers la reproduction numérique et la réduction considérable des coûts de duplication à qualité quasi identique des contenus sur des supports différents. Le copiage numérique a d’abord concerné les logiciels et les jeux vidéo, de disquette à disquette et de disquette à disque dur. Les copieurs eux-mêmes changent de nature, puisque cette forme de copiage exige des compétences nouvelles et notamment des connaissances en informatique. Dans le segment très particulier des jeux vidéo, la pratique de la copie concerne pour l’essentiel les jeunes utilisateurs des micro-ordinateurs grand public commercialisés dans les années 1980 parmi lesquels figuraient des marques telles que Commodore, Atari et Amstrad.

5Le copiage se banalise ensuite dans les années 1990 avec le perfectionnement des différentes techniques (l’apparition des graveurs de CD-Roms), l’amélioration très nette de la qualité des reproductions de contenus non informatiques et la généralisation du CD dans la musique, puis dans le jeu vidéo. Les fictions cinématographiques suivent actuellement la même évolution avec l’explosion du DVD et l’apparition de graveurs de salon. Un indicateur important de cette banalisation est l’explosion des ventes de CD enregistrables au cours de cette période [4].

6Depuis la fin des années 1990, la pratique de la copie change de nature en se « dématérialisant » à travers l’échange non autorisé par l’internet de fichiers compressés aux formats MP3 et DivX. Cette mutation est d’autant plus important qu’elle a lieu au sein de réseaux de copieurs dépassant largement le cercle des amis, de la famille ou des relations professionnelles en élargissant ainsi leurs caractéristiques socio-économiques. De ce fait, les frontières entre piraterie et copiage deviennent difficiles à mettre en évidence.

7S’agissant du profil des copieurs de biens culturels, les études disponibles [5], le plus souvent partielles, mettent toutes en évidence l’influence de l’âge des individus sur leur pratique de copiage. En particulier, les « jeunes » copieurs seraient ceux qui reproduisent le plus les contenus protégés par le droit d’auteur. Derrière ces différents sondages, outre la sempiternelle dénonciation des pertes économiques attribuées au copiage, émerge très souvent l’idée selon laquelle il pourrait exister un cycle de vie du copieur allant d’un comportement de copieur très actif vers un assagissement progressif se traduisant à terme par l’achat d’exemplaires originaux plutôt que la copie. Dans une autre perspective, fondée également sur un modèle de cycle de vie du copieur mais favorable à la liberté de copiage, les premières générations de jeunes copieurs n’ont pas empêché historiquement les industries des contenus ainsi copiés de prospérer, à l’instar du logiciel et du jeu vidéo.

EXISTE-T-IL UN « CYCLE DE VIE » DU COPIEUR ?

8Parmi les déterminants permettant d’expliquer la pratique du copiage et son intensité figurent le revenu réel, la catégorie socioprofessionnelle du copieur et de son entourage, la familiarité avec les techniques existantes, ainsi que l’âge. Ce dernier facteur est particulièrement intéressant, car il peut servir peu ou prou d’estimateur pour les autres déterminants. Partant, il convient de s’interroger sur l’existence d’un cycle de vie du copieur et sur la pertinence d’un tel modèle.

L’âge du copieur : un poids prépondérant des 12-24 ans

9Selon une première analyse, l’intensité du copiage serait codéterminée par l’âge et par l’accroissement du revenu au cours du temps. Jeunes, les individus ne disposent pas d’un revenu suffisant pour satisfaire leurs envies en matière de connaissance, de culture et de divertissement. Ils optent alors pour un comportement de copiage qu’ils substituent complètement ou partiellement à l’achat d’originaux. Plus tard, alors que leurs revenus ont augmenté, deux hypothèses sont envisageables concernant le mode d’accès aux contenus culturels : soit les individus achètent des exemplaires originaux dès lors que leur revenu le leur permet, soit ils continuent à copier car ils ont pris l’habitude d’accéder à la culture par ce biais. Dans les deux cas, l’âge du copieur apparaît comme un facteur à prendre en compte en matière de stratégies et de politiques à mettre en œuvre face au copiage.

10Pour défricher le terrain, caractérisons tout d’abord le copieur sur la base des quelques études disponibles. En matière d’équipement, une étude menée en juin 2001 par l’IFOP pour le compte du SNEP (Syndicat national de l’édition phonographique) montre que si le taux d’équipement en lecteurs de CD est de 100 % chez les 15-24 ans, 23 % d’entre eux disposaient d’un graveur de CD pour une moyenne de 18 % pour la population totale [6]. Un rapport du SNEP montrait en 1998 que plus de 50 % des 15-24 ans déclaraient avoir fait copier ou avoir copié au moins une fois un CD grâce à un graveur. Selon une étude Ipsos-Reid datant de juin 2002,40 % des jeunes Américains de 12 à 18 ans et 37 % des 18-24 ans en sont équipés. Selon un sondage Ipsos réalisé du 3 au 5 janvier 2000 auprès d’un échantillon national représentatif de 699 français âgés de 12 à 34 ans, 35 % des acheteurs de CD audio interrogés possèdent des CD audio gravés. Cette proportion atteint 46 % pour les individus de 25 à 34 ans.

11Néanmoins, de telles données ne sont guère significatives en soi. Il faut en outre caractériser la finalité de l’acte de copiage en prenant en compte les pratiques d’échanges. Concernant tout d’abord les pratiques d’échanges illicites d’exemplaires physiques (CD musicaux, jeux vidéo), elles se sont multipliées depuis 1998 dans les collèges et les lycées, la presse en a largement fait l’écho. De très jeunes consommateurs équipés de graveurs de CD organisent de petits commerces en proposant à leurs camarades de leur fournir l’album musical, la compilation ou les jeux vidéo de leur choix. Mais, à notre connaissance, aucune donnée n’existe afin de chiffrer ces pratiques.

12En revanche, les données sont relativement plus abondantes s’agissant des échanges sur l’internet de contenus dématérialisés, c’est-à-dire désincarnés de leur support originel [7]. Selon un sondage Ipsos-Tiscali réalisé en septembre 2002 à propos des relations qu’entretiennent les jeunes avec l’internet, 71 % des 15-24 ans utilisaient l’internet contre 44 % pour la population française [8]. Plus de 90 % d’entre eux utilisent l’internet pour leur travail scolaire ou universitaire, 84 % des 15-18 ans et 87 % des 19-24 ans pour communiquer par e-mails, à travers des forums ou des chats. Le téléchargement de musique et de vidéo est la troisième utilisation courante déclarée (plus de 50 % des sondés [9] ). Un sondage réalisé auprès de 682 internautes en France par Ipsos-Reid en juin 2000 montrait quant à lui que 44 % des 15-24 ans avaient téléchargé de la musique sur l’internet contre 21 % des plus de 35 ans. Néanmoins, l’année suivante, cette proportion avait diminué à 38 % selon la même source.

13Selon une étude menée en France par Netvalue en avril 2001, sur les 764 000 jeunes de moins de 17 ans qui se sont connectés à l’internet depuis leur domicile (contre 689 000 en janvier 2001), 34,5 % d’entre eux ont téléchargé de la musique et regardé des vidéos, 29,5 % des jeunes ont visité des sites du secteur jeux, 27,1 % ont visité des sites de messagerie (soit 208 000 internautes), 23,8 % font l’usage de connexions sécurisées, 21,2 % du chat et 15,2 % des transferts de fichiers. Sur cette dernière pratique, aucune précision n’est donnée quant à la nature des fichiers échangés. Mais cela suppose que les jeunes sondés adoptent massivement (entre 34,5 % et 50 %) un comportement des copieurs.

14D’une manière plus explicite, l’idée d’un cycle de vie du copieur est suggérée dans une étude récente consacrée aux « Français et Internet » et menée depuis septembre 2002 par le cabinet Universal McCann Connections. Ce travail basé sur des entretiens hebdomadaires avec des groupes de jeunes de 12 à 20 ans montre qu’ils privilégient les pratiques ludiques comme le téléchargement, les jeux en ligne et le dialogue sur l’internet essentiellement depuis leur domicile. D’après la même méthode appliquée à des adultes âgés de 25 à 60 ans, ces derniers utilisent l’internet principalement depuis leur lieu de travail et à domicile après 22 heures afin d’échanger des e-mails, de gérer leurs comptes bancaires, de consulter les sites d’administration et accessoirement d’acheter en ligne sur les principaux sites marchands (SNCF, FNAC, Amazon…). Ainsi il apparaît que les pratiques sérieuses prennent le pas sur les pratiques ludiques selon l’âge des internautes.

15Au niveau international, les données sont les mêmes. Ainsi aux Etats-Unis, selon un sondage réalisé par Ispos-Reid, la part de la population téléchargeant de la musique ou des fichiers MP3 serait en septembre 2002 de 28 %, soit 61,3 millions d’internautes de plus de 12 ans [10]. Les 18-24 ans sont la classe d’âge la plus représentée (26,3 % des individus téléchargeant de la musique sur l’internet). Viennent ensuite les 12-17 ans et les 25-34 ans représentant chacun 22 % de la population des copieurs. Dans une étude précédente menée par le même cabinet en janvier 2001 sur 16 pays, la proportion des jeunes internautes ayant téléchargé de la musique était la suivante :
Les jeunes copieurs en France se situent donc au-dessous de la moyenne. Cependant, étant donné l’insuffisante représentativité de l’échantillon, aucune observation significative ne peut être formulée sur la relation entre les taux d’équipement en informatique et de connexion à l’internet, d’une part, et la proportion de jeunes copieurs par pays, d’autre part.

Tableau 1.

Proportion de jeunes internautes (12-24 ans) ayant téléchargé de la musique (source : Ipsos-Reid, janvier 2001)

Tableau 1.
Tableau 1. Proportion de jeunes internautes (12-24 ans) ayant téléchargé de la musique (source : Ipsos-Reid, janvier 2001) Ensemble des 16 pays étudiés 47 % Canadiens 75 % Suédois 64 % Taiwanais 59 % Américains 54 % Italiens 54 % France 38 % Royaume-Uni 28 % Espagne 21 % Japon 16 %

Proportion de jeunes internautes (12-24 ans) ayant téléchargé de la musique (source : Ipsos-Reid, janvier 2001)

16Symétriquement, il est possible de comparer les résultats obtenus par les copieurs de musique aux Etats-Unis en analysant les données portant sur les acheteurs de disques. La Record Industry Association of America (RIAA), le syndicat américain représentant les majors du disque, fournit en effet des données assez précises sur le profil des consommateurs de disques. Le tableau 2 montre une diminution forte de la proportion d’acheteurs de disques pour les 15-24 ans et, dans une moindre proportion, pour les 25-34 ans entre 1990 et 2001, alors que la proportion d’acheteurs de 35 ans et plus augmente. En valeur, les achats de ces différentes classes diminuent à partir du milieu des années 90 de manière significative pour les 15-24 ans et dans une moindre mesure pour les 25-34 ans, alors qu’ils continuent à progresser pour les 35 ans et plus.

17Au-delà de ces différentes études, émerge finalement l’idée d’une surreprésentation des adolescents et des jeunes adultes parmi les copieurs.

Tableau 2.

Les consommateurs de musique aux Etats-Unis par tranche d’âge

Tableau 2.
Tableau 2. Les consommateurs de musique aux Etats-Unis par tranche d’âge 1990 1995 2001 Variation 1990-2001 15-24 ans 34,8 32,4 25,2-9,6 25-34 ans 27,8 24,4 21,2-6,6 35 ans et plus 29,1 34,4 44,2 15,1 15-24 ans 2 624,3 3 991,78 3 462,71 25-34 ans 2 096,43 3 006,15 2 913,07 35 ans et plus 2 194,46 4 238,18 6 073,48 Source : RIAA, pourcentages et points.

Les consommateurs de musique aux Etats-Unis par tranche d’âge

RIAA, pourcentages et points.

Quelles sont les motivations des copieurs jeunes et moins jeunes ?

18Selon une première explication à l’acte de copiage, les prix des exemplaires originaux sont (jugés) trop élevés par rapport à la disposition à payer des copieurs et notamment des jeunes copieurs. Une étude menée en 1998 dans les magasins FNAC par le groupe Actilog allait dans ce sens en montrant que les motivations de la catégorie « jeunes et étudiants » semblent être principalement économiques. Les graveurs de CD-Roms apparaissent alors comme un « instrument de démocratisation de la culture », puisque cette population n’aurait pas accès aux biens culturels autrement étant donné le prix des exemplaires originaux. L’organisation des copieurs en « clubs » leur permet alors de diminuer le prix d’acquisition des originaux en le divisant par le nombre de participants au club (effet club ou externalités de réseau côté demande, cf. Besen et Kirby, 1989). Ces clubs ou réseaux de copieurs revêtent une importance particulière chez les jeunes qui constituent la classe d’âge dont les pratiques culturelles et de loisirs informatiques sont les plus intensives d’après les études établies par le ministère de la Culture sur ces thèmes. Nonobstant les problèmes juridiques et économiques spécifiques, ces échanges de supports copiés participent à l’identification de chacun au sein du groupe.

19D’autres facteurs concourent par ailleurs à abaisser les coûts associés au copiage bien en deçà du prix d’acquisition des originaux. En premier lieu, l’internet a bouleversé le schéma classique d’échange de contenus copiés en permettant à quiconque d’accéder au contenu sans contribuer au coût d’acquisition de l’original. Les réseaux d’échange se dématérialisent et ne nécessitent aucune relation en face à face. De plus, les adolescents et les étudiants bénéficient généralement d’un accès libre et au moindre coût au matériel de reproduction soit au domicile, soit sur le lieu des études (pour les seconds en tout cas). S’organisent alors des réseaux d’échanges de contenus téléchargés sur l’internet. Il serait intéressant d’avoir des études plus fines sur ces nouvelles pratiques mêlant usage de l’internet et pratiques déjà existantes [11]. A cela s’ajoutent, d’une part, la capacité à assimiler les technologies informatiques et, d’autre part, les faibles risques encourus sur le terrain légal (faible probabilité d’être pris et sanctionné) favorisant des comportements de resquillage de la part des jeunes copieurs.

20A cet égard, une autre raison donnée au copiage est qu’une part non négligeable des copieurs semble insuffisamment informée sur la législation relative au droit d’auteur et sur les éventuels risques économiques que la piraterie ferait peser sur les industries de contenus. Selon l’étude FNAC, 22 % des adolescents et des étudiants interrogés se déclarent « mal informés » contre 15 % pour l’ensemble. A contrario, dans une récente étude menée par Ipsos-Reid, une des raisons avancées pour expliquer la légère diminution des téléchargements MP3 illicites aux Etats-Unis durant le second semestre 2002 (-4 points) serait une « recrudescence morale » (sic) des internautes prenant conscience de l’importance de rémunérer les maisons de disques et ainsi de faire vivre leurs artistes préférés [12].

21Dans cette perspective, selon l’étude FNAC, un deuxième groupe de copieurs se distingue, même s’il est moins important et moins homogène que le groupe « jeunes et étudiants ». Il s’agit d’individus plus âgés, exerçant une activité professionnelle et mieux équipés en matériel de reproduction : plus des trois quarts disposent de graveurs qui ont la particularité d’être des graveurs micro-informatiques utilisés à des fins personnelles et professionnelles. Ils sont en même temps les plus gros consommateurs de CD originaux, en moyenne les plus connectés au réseau internet que l’échantillon des personnes sondées et ils ont une utilisation plus intensive du graveur. Pour cette catégorie, la dimension économique du copiage est moins présente que pour la catégorie la plus jeune. Le copiage relèverait ici d’une « maturité hypocrite » : le fait que l’adulte copie en ayant certes connaissance de la loi mais également des faibles risques encourus, tout en disposant d’un revenu suffisant pour acheter des contenus originaux.

22Les TIC ont introduit une dimension supplémentaire en donnant la possibilité d’accéder au moindre coût à des copies parfaites et à une diversité très importante. La perception du prix des contenus originaux a donc profondément évolué : ils sont trop chers car il existe des possibilités de s’approvisionner auprès de sources diversifiées allant du cercle d’amis échangeant des exemplaires gravés aux réseaux impersonnels peer-to-peer. Une étude Ipsos-Reid en juin 2002 met en avant le faible taux de pénétration des offres payantes chez ces internautes et souligne cette concurrence entre les téléchargements illicites et le commerce électronique. Un problème majeur se pose alors : la banalisation du copiage et son changement de nature sur la période récente ne relèvent plus du seul effet de mode pour davantage s’ancrer dans les mœurs. Or, contrairement à ce qui a prévalu jusqu’à une période récente, les jeunes copieurs d’aujourd’hui ne risquent-ils pas de maintenir leur pratique au cours du temps en menaçant de la sorte l’existence même des industries de contenus ?

L’AGE DANS LE DEBAT SUR LE COPIAGE

23Les différentes raisons données au copiage sont bien entendu interprétées très différemment dans le débat opposant les tenants et les adversaires de cette pratique [13]. Pour les premiers, il s’agit d’une source appréciable d’accès à la culture, tandis que pour les seconds, elle menace l’existence même de la création et de la production de biens culturels. L’âge est souvent présent en filigrane dans les arguments déployés de part et d’autre, sans qu’il n’ait fait l’objet d’analyses spécifiques. Ainsi les jeunes sont une cible importante des campagnes contre le copiage puisqu’ils figurent traditionnellement parmi les plus gros consommateurs de biens culturels édités – l’achat de disques était la principale dépense des jeunes de 8 à 19 ans selon une étude du ministère de la Culture (DEP) –, tout en étant également la tranche d’âge qui copient le plus actuellement. A partir de l’idée de cycle de vie du copieur, il convient d’envisager les différentes évolutions possibles de cette pratique avant de s’interroger sur les effets des politiques de prévention et de répression sur le copiage.

Le prix trop élevé des contenus originaux : un faux argument ?

24Selon les défenseurs du droit d’auteur, l’argument du revenu insuffisant face au prix élevé des contenus (albums de musique, jeux vidéo, DVD) n’est guère pertinent en soi. Les adolescents disposent ainsi généralement de revenus suffisants, en particulier pour acheter d’autres produits plus onéreux comme les vêtements ou les chaussures de marque. Qui plus est, il est évidemment plus risqué et donc plus coûteux pour un consommateur final d’enfreindre les droits de propriété des magasins de vêtements que de transgresser les droits d’auteur protégeant les contenus copiés (pas de violence et faible probabilité d’être pris ou sanctionné).

25Néanmoins, le budget des adolescents et des étudiants étant relativement limité, il est tout aussi concevable que ces derniers doivent effectuer des arbitrages lorsqu’ils le dépensent. Or, l’habillement, l’apparence relèvent généralement de besoins et donc de choix de consommation prioritaires. En outre, les coûts de constitution d’une « Cdthèque » et de son renouvellement (au rythme des sorties de nouveaux titres) sont plus élevés par rapport à l’acquisition d’une paire de chaussures de sport. En d’autres termes, ce qui intéresse l’adolescent n’est pas l’acquisition d’un seul titre mais bien évidemment de plusieurs, que ce soit en matière musicale, de DVD ou de jeux vidéo.

26De surcroît, acheter une paire de chaussure de sport ou un vêtement de telle marque (non contrefait) est un élément important pour marquer visuellement son appartenance à tel groupe social, à telle « tendance », son adhésion à telle ou telle valeur, mais également pour se distinguer par rapport aux autres. En revanche, en matière de musique, c’est le contenu et non le support sur lequel est fixé le contenu (et ce qui est inscrit dessus) qui joue cette fonction sociale [14]. Pour un adolescent, « Nike » est une marque dont l’utilité est largement supérieure à Vivendi-Universal. A la limite, dans son système de valeur, il semble moins grave de posséder des CD copiés illicitement que de s’exhiber arborant une contrefaçon de telle ou telle marque vestimentaire. L’individu veut avant tout accéder à l’œuvre de tel artiste ou au contenu relevant de tel genre et pour cela, le copiage constitue un moyen essentiel.

Vers un assagissement des copieurs ?

27L’idée d’un cycle de vie du copieur peut être utilisée pour évaluer les effets à long terme du copiage. Un premier schéma d’évolution peut être formulé en ne retenant que la seule hypothèse du prix trop élevé des originaux par rapport au budget du copieur. Or, celui-ci varie en fonction de son âge. Il existerait alors un cycle de vie du copieur allant du stade du jeune copieur boulimique à celui de l’adulte acheteur (copiant parfois, pour braver quelque interdit…, mais le plus souvent achetant des contenus originaux pour accéder aux œuvres). En effet, le revenu du copieur augmente en moyenne avec l’âge et à mesure que son pouvoir d’achat s’accroît, il préfère acheter plutôt que copier. Cette première interprétation pourrait être illustrée par le fait que l’industrie du disque n’a pas disparu avec la banalisation de l’audiocassette, mais au contraire, elle a continué à se développer. Les jeunes copieurs d’hier sont les acheteurs d’aujourd’hui.

28Si cette thèse est valide, alors il n’existe aucun intérêt à combattre cette pratique, notamment en ciblant les jeunes copieurs. Il est socialement moins coûteux de maintenir, voire d’élargir les exceptions pour copie privée afin de faciliter la diffusion des œuvres auprès des jeunes utilisateurs et donc l’accès à la culture. Ainsi ces derniers formeraient mieux leurs goûts en bénéficiant d’une diversité de titres nettement plus importante par rapport à une situation où chaque exemplaire devrait être payé [15]. Parallèlement, un tel choix réglementaire facilite la création d’externalités positives et les effets d’exposition et de promotion [16].

29Un avantage appréciable serait la remise en cause des positions acquises par les grands éditeurs et producteurs de biens culturels, lesquels seraient de fait incités à innover tant dans leurs choix éditoriaux que dans leurs stratégies de commercialisation. En effet, dans une situation où le copiage et l’échange seraient totalement libres, les adolescents et les étudiants n’achèteraient pas suffisamment pour permettre un niveau adéquat d’appropriation directe de la valeur. Les offreurs seraient alors tentés de multiplier les initiatives en matière d’appropriation indirecte ou d’innovations commerciales à la manière des offres d’albums livrés avec un code personnalisé donnant accès à plus de morceaux sur l’internet [17]. Ou encore à l’instar du modèle du DVD offrant des bonus (sous-titrages, court métrage, clips, documentaires, making off) que les versions piratées en DivX ne peuvent offrir [18]. De telles stratégies se fondent au demeurant sur l’idée que les jeunes sont également ceux qui utilisent le plus l’informatique de loisir.

30Certes, dans les industries culturelles, les modèles économiques basés sur la gratuité ne se sont pas révélés très efficaces. Ils n’ont guère pu prouver leur capacité à contribuer de manière significative au financement des œuvres. Une raison probable est que les majors du disque ont très tôt concentré leurs efforts afin d’éliminer les sites proposant du téléchargement (mp3.com) et facilitant les échanges (Napster, puis Kazaa et ses multiples clones). Ce faisant, elles se sont focalisées sur les risques économiques associés au copiage et, en particulier, sur l’idée que ces usages de l’internet pourraient créer des irréversibilités et se propager d’une génération à l’autre.

Un risque de généralisation du comportement de copiage ?

31Selon un deuxième schéma d’évolution, basé sur le changement radical provoqué par le numérique, il n’y aurait pas d’assagissement du copieur, mais une propagation de ce comportement au cours du temps à travers les classes d’âge. Devenus adultes, les individus continueraient à copier plus qu’ils n’achètent pour accéder à la culture, et ce d’autant plus que l’usage des ordinateurs et des appareils de reproduction numérique se généralise à domicile, dans les établissements scolaires, au travail et dans les associations [19].

32Si ce dernier scénario devait prévaloir et surtout empêcher la mise en place de modèles d’appropriabilité efficaces qu’ils soient directs ou indirects, alors la stratégie actuelle des majors (développement de technologies de protection, pressions institutionnelles pour un durcissement du droit d’auteur) et le renforcement de la politique antipiraterie se justifieraient en grande partie. L’enjeu serait alors davantage de casser dès leur apparition des effets de propagation néfastes à moyen terme s’agissant de la production d’œuvres nouvelles plutôt que de réprimer des comportements qui sur le court terme peuvent ne pas menacer la viabilité de ces activités. De surcroît, les modèles d’appropriabilité indirecte peuvent apparaître d’autant plus fragiles qu’ils reposent sur des adolescents et des étudiants dont les pratiques ne sont pas stabilisées et difficiles à prévoir. Si l’on se contente de ce type d’arguments, alors le copiage devrait être interdit et soumis à de sanctions suffisamment lourdes pour avoir un effet significatif sur le comportement des adolescents et des étudiants.

33Il existe néanmoins un certain nombre de contre-arguments non négligeables face à ce deuxième scénario et au renforcement de l’arsenal juridique répressif. Tout d’abord, d’autres méthodes d’appropriabilité que la vente de contenus ou le modèle publicitaire peuvent être inventées, notamment sur la base de partenariats commerciaux avec les fournisseurs d’accès, principaux bénéficiaires du comportement de copiage sur l’internet. Ensuite, la baisse actuelle des ventes de disques, notamment dans les classes d’âge les plus jeunes, dans la plupart des pays (à quelques exceptions près dont celle notable du marché français) est le plus souvent attribué à la piraterie et au copiage numériques. Cette thèse serait confortée par le fait que les œuvres musicales le plus échangées sur les réseaux peer-to-peer correspondraient majoritairement aux meilleures ventes [20]. Mais il est possible d’envisager la question différemment. Le support CD ne serait-il pas en fin de cycle de vie, inadapté par rapport aux nouvelles pratiques culturelles des adolescents et des étudiants ? Si pertes économiques il y a, ne sont-elles pas avant tout dues aux erreurs stratégiques des majors qui n’ont pas su anticiper les évolutions liées au développement de l’internet ?

34Là encore, il serait intéressant d’obtenir des données sur la nature des œuvres musicales échangées sur les nombreux réseaux peer-to-peer. Un parallèle peut être fait avec l’industrie florissante du jeu vidéo qui a su depuis longtemps non seulement faire face à un copiage très important mais également utiliser les réseaux d’échanges entre adolescents pour valoriser leurs productions ou s’informer sur les évolutions de la demande [21].

35Pour autant, que le copiage en ligne ou hors ligne ait une incidence négative sur les marchés traditionnels, que les majors aient commis des erreurs stratégiques, les producteurs de contenus réclament et ont déjà obtenu des mesures légales visant à prévenir ces pratiques. Quels peuvent être les effets de ces politiques en fonction de l’âge du copieur ?

LEGALISATION, PREVENTION OU REPRESSION ? LA PRISE EN COMPTE DE L’AGE

36La réaction des pouvoirs publics et des offreurs de contenus face au développement des pratiques de copiage consiste à renforcer les mesures techniques et légales allant même jusqu’à protéger légalement les mesures techniques [22]. Ce mouvement n’aura vraisemblablement pas les mêmes effets en fonction de l’âge en matière de politiques publiques. En d’autres termes, le fait d’autoriser ou non les jeunes copieurs à échanger et reproduire des contenus, de mener des campagnes de prévention en leur endroit ou de mettre en place des politiques de répression n’a évidemment pas le même impact.

37Contrairement à la légalisation, les campagnes de prévention ou les politiques répressives reposent toutes deux sur l’idée que le copiage a forcément des effets négatifs sur le développement des industries de contenus. Si tel est le cas, alors effectivement ces politiques se justifient et ce d’autant plus que le copiage peut avoir des effets inter-temporels préjudiciables en forgeant des habitudes chez les jeunes copieurs. A l’inverse, si les effets positifs du copiage l’emportent, alors ces politiques peuvent s’avérer préjudiciables.

38Concernant d’abord les campagnes de prévention, elles peuvent avoir des effets ambivalents. Certes, informer les copieurs par des campagnes médiatiques en direction des jeunes et ciblées sur les « risques » associés au copiage peut permettre d’éliminer la part de copiage attribuable à un manque d’information sur la législation du droit d’auteur et sur les conséquences de cette pratique pour l’économie des industries culturelles. Elle révèle aux jeunes utilisateurs de contenus potentiellement « honnêtes » leurs véritables préférences : vouloir assurer une rémunération aux artistes ou permettre à l’industrie de se maintenir à long terme.

39Néanmoins, le message véhiculé lors de la campagne de prévention peut agir comme un faux signal. Si, d’un côté, l’information selon laquelle les échanges en ligne de contenus sont illégaux et contreviennent à la loi sur le droit d’auteur est exact, d’un autre côté, faire croire au public et en particulier aux jeunes que « la piraterie et le copiage tuent la création [23] » peut avoir des effets négatifs si tel n’est pas le cas en réalité. En effet, si à l’inverse le copiage s’avère à l’origine d’effets de réseaux et de formation culturelle bénéfiques à terme pour l’industrie, le fait d’empêcher ces effets de jouer pleinement peut être préjudiciable aux offreurs comme aux utilisateurs de contenus.

40Supposons d’un point de vue purement théorique que, convaincus par une campagne anticopiage, une partie des copieurs arrête de copier et d’échanger des jeux vidéo. S’ils ne remplacent les copies par un niveau d’achats équivalent, l’accès à la culture est de facto restreint, alors même que les bénéfices des producteurs n’augmentent pas. Et si dans les faits, le développement de cette activité tant du côté de la demande [24] que de l’offre reposent pour une bonne partie sur de telles logiques d’échange via le copiage, alors les effets de cette campagne seront in fine négatifs pour tout le monde. En effet, les revenus des producteurs risquent de diminuer, soit parce qu’ils seront obligés de mener des campagnes de promotion plus importantes (par exemple, dans le jeu vidéo) pour faire connaître leur production, soit parce que, les œuvres circulant moins, ils réaliseront automatiquement moins des ventes, soit encore qu’à long terme, avec des consommateurs moins « formés », le renouvellement de l’offre risque d’être plus coûteux.

41S’agissant des politiques répressives, elles présentent également le risque de casser les effets de réseaux et d’exclure une partie des copieurs dont la disposition à payer est dans tous les cas inférieure au prix exigé sur le marché licite. Si elle s’avère efficace, la prohibition du copiage en affectant essentiellement les jeunes utilisateurs de contenus peut ainsi empêcher les processus de formation des préférences des futurs consommateurs, réduire l’accès à la culture et, finalement, accentuer les inégalités entre jeunes qui ont les moyens d’accéder à la diversité et ceux qui n’ont pas les moyens.

42Se pose au demeurant la question de la mise en œuvre effective des politiques répressives et de leur efficacité. Pour que la prohibition soit efficace, il faut qu’elle empêche le copiage à grande échelle. Ce qui pose au moins trois problèmes classiques en matière d’enforcement : qui sanctionner, comment détecter l’infraction et quel degré de sanction appliquer ?

43Qui sanctionner ? On retrouve ici le problème classique en économie du « pollueur-payeur [25] ». S’en prendre aux copieurs directement, c’est principalement s’attaquer aux adolescents et aux étudiants. Or, selon toute vraisemblance, ces derniers ne sont pas les seuls à bénéficier du copiage. En effet, les industriels de la communication, de l’informatique et de l’équipement audiovisuel vendent d’autant plus leurs marchandises ou leurs services que le nombre d’actes de copiage augmente. Au-delà de la seule observation des règles juridiques, les procès « pour l’exemple » ne sont-ils pas alors injustes et inefficaces ? Ils le sont en fait à double titre. D’abord, parce que tous les « bénéficiaires » de l’acte de copiage le long de la chaîne de valeur ne sont pas condamnés. Ensuite, parce que, nous l’avons souligné plusieurs fois, il n’est pas prouvé que l’acte de copiage ne bénéficie pas in fine aux offreurs de contenus [26].

44Face à la prévention et à la répression découlant de la prohibition, une option envisageable est d’autoriser le copiage et l’échange des fichiers copiés. Ce serait bien entendu admettre et donner le primat aux effets positifs associés à ces pratiques du point de vue de l’accès à la diversité culturelle et de la formation culturelle des jeunes. Au fond, pour trancher ce débat particulièrement sensible, il conviendrait de mener sur une large échelle une évaluation économique des coûts et des bénéfices du copiage et en particulier, des rapports de complémentarité (ou non) entre les actes d’achat et de copiage.

Conclusion

45L’âge du copieur est un facteur essentiel pour comprendre les effets économiques du copiage. Il apparaît que, dans une période de pratiques culturelles intensives, les adolescents et les jeunes adultes trouvent à travers le copiage un moyen d’accéder à une large diversité de contenus, en même temps qu’ils acquièrent des habitudes susceptibles de remettre en cause à terme les modèles classiques de valorisation des biens culturels. Cette pratique est une forme majeure d’initiation à la culture en favorisant l’accès à la diversité culturelle sur une grande échelle. Le copiage, devenu plus facile et peu coûteux avec l’économie numérique, se développe sur une base sans cesse élargie, notamment par la propagation au cours du temps de cette pratique d’une classe d’âge à une autre. Le modèle d’un cycle de vie du copieur allant vers un assagissement et un comportement d’achat semble donc remis en cause de nos jours. Par conséquent, les politiques et les stratégies actuelles visant à éliminer cette pratique pour en empêcher la propagation peuvent non seulement s’avérer très coûteuses à mettre en place sans certitude quant à leurs résultats, mais également très coûteuses d’un point de vue social car elles pourraient en cas de succès réduire fortement l’accès aux contenus et creuser les écarts entre les individus en fonction de leur savoir-faire technique, de leur revenu et, finalement, de leur âge.

Notes

  • [1]
    Occupant entre 60 % et 90 % du trafic haut débit.
  • [2]
    Avant la banalisation des supports numériques, un bon exemple était l’enregistrement du contenu musical d’un disque vinyle sur une audiocassette afin de l’écouter sur son baladeur ou son autoradio. Des « passerelles technologiques » entre supports d’écoute hétérogènes ont donc été créées avant l’ère numérique comme un avant-goût de la dématérialisation.
  • [3]
    DAVIES, HUNG, 1993.
  • [4]
    FARCHY, ROCHELANDET, 2001.
  • [5]
    En particulier, certaines études commandées par des syndicats professionnels tels que le Syndicat national des éditeurs de phonogrammes (SNEP) et le Syndicat national des éditeurs de vidéos (SEV) auprès de cabinets d’études comme Médiamétrie, IFOP et Benchmark Group.
  • [6]
    Cette même étude montrait que la discothèque moyenne (70 CD) comprenait 10 % de CD copiés (les données communiquées ne faisant malheureusement pas de distinction en fonction de l’âge).
  • [7]
    Ces dissymétries d’informations peuvent s’expliquer par le fait que, outre le coût d’élaboration de telles études (et les risques encourus par les jeunes pirates), les seuls « gagnants » des échanges illicites dans les cours d’écoles, collèges et lycées sont les « pirates privés » comme les désignent certains syndicats professionnels. En revanche, les enjeux sont nettement plus considérables concernant les échanges via l’internet, car le téléchargement et les échanges non autorisés génèrent des flux importants de communication et donc de la valeur pour les intermédiaires techniques. Ces derniers ont donc quelque part un intérêt à mener des études et à les dévoiler.
  • [8]
    On constate que les plus jeunes se connectent moins, puisque 79 % des 19-24 ans se connectent, contre 66 % des 15-18 ans. Le domicile est un des principaux lieux de connexion puisque 66 % des jeunes interrogés se connectent depuis leur domicile, 50 % des internautes se connectent depuis leur établissement scolaire en région contre 25 % à Paris et 20 % seulement depuis un cybercafé.
  • [9]
    34 % de 15-18 ans d’entre eux déclarent pratiquer les jeux en réseaux contre 18 % des 19-24 ans, lesquels utilisent davantage l’internet pour s’informer (57 %).
  • [10]
    Selon une autre étude menée par Ipsos-Reid en juin 2002 sur 1 113 individus, les internautes téléchargeant de la musique représentaient près de 19 % de la population américaine et 21,3 % sont âgés de 12 à 24 ans.
  • [11]
    Une pratique intéressante est la constitution de catalogues de films téléchargés et l’organisation d’échanges sur cette base, chacun évitant alors d’avoir à télécharger tous les films à succès du moment.
  • [12]
    Néanmoins, le consultant ajoute une seconde raison plus plausible selon lui et tenant à la stratégie des majors visant à faire fermer les sites et les logiciels de téléchargement gratuit. Devant l’obligation de changer sans cesse de « fournisseurs », les internautes risqueraient de se lasser et de se tourner plutôt vers les services des sites de téléchargement payant qui sont plus stables et qui ont accru la qualité de leurs services. Pour autant, devant les nombreuses faillites et fermetures des commerçants électroniques dans le domaine de la musique (Liquid Audio, Audiosoft, par exemple), l’argument est plutôt faible.
  • [13]
    FARCHY, ROCHELANDET, 2001.
  • [14]
    Cette idée rejoint l’hypothèse de BESEN et KIRBY (1989) selon laquelle il faut raisonner en termes d’usage des œuvres. Les originaux ou les copies ne sont que des supports à partir desquels les consommateurs font une utilisation des œuvres. Au-delà d’un certain prix des originaux, les jeunes copieurs seraient alors indifférents au type de support sur lequel est fixée l’œuvre.
  • [15]
    Voir LIEBOWITZ, 1986 ; FARCHY, ROCHELANDET, 2001.
  • [16]
    Le manque à gagner à court terme des offreurs de contenus copiés – au demeurant, limité puisque, en cas de mesures anticopiage efficace, rien ne prouve que les exemplaires copiés se transformeraient en exemplaires achetés…– est plus que compensé par ces effets positifs de long terme. De surcroît, ces bénéfices sociaux nets sont augmentés par l’économie des moyens mis en œuvre dans la lutte contre le copiage.
  • [17]
    Voir les solutions proposées par SHAPIRO, VARIAN, 1999.
  • [18]
    Certes, les graveurs DVD de salon pourraient remettre en cause cette différenciation. Mais, d’un autre côté, le développement du haut débit pourrait inciter les éditeurs de DVD à fournir leur offre complémentaire sur l’internet avec code d’accès.
  • [19]
    Selon un rapport commandé au cabinet Peter D. Hart Research Associates par la RIAA en 2002 sur 860 consommateurs de musique âgés de 12 à 54 ans, les internautes qui téléchargent davantage de musique de manière illégale au cours des six derniers mois, 41 % déclarent avoir acheter moins de disques durant la même période contre 19 % qui en ont acheté davantage. Parmi ceux qui ne téléchargent pas davantage au cours de cette période, la même proportion est constatée (25 % contre 13 %). Cette étude va à l’encontre des résultats d’une étude menée par Forrester Research en août 2002. Concernant les individus âgés de 12 à 18 ans, 35 % déclarent préférer télécharger gratuitement les morceaux d’artistes méconnus ou inconnus contre 10 % se déclarant près à l’acheter. Cette proportion est encore une fois supérieure à la moyenne (20 % contre 14 %).
  • [20]
    Toutefois, à notre connaissance, aucune étude significative n’existe concernant les titres échangés via l’internet. En revanche, les données fournies par la SOFRES dans le domaine de la copie privée analogique confirment l’idée que sont copiés essentiellement les œuvres des artistes les plus connus (FARCHY, ROCHELANDET, 2001).
  • [21]
    Nous avons néanmoins montré ailleurs que l’industrie du jeu vidéo, à l’image de l’industrie du logiciel, reposait davantage sur les effets de réseau que les industries culturelles traditionnelles (FARCHY, ROCHELANDET, 2001).
  • [22]
    ROCHELANDET, 2002.
  • [23]
    Par exemple, en avril 2000, le Syndicat national de l’édition phonographique (SNEP) a lancé une campagne télévisuelle d’une dizaine de jours très éloquente et culpabilisante (d’un montant de 3,8 millions de francs) : « Pirater la musique c’est voler les artistes que vous aimez. »
  • [24]
    Dans le domaine du cinéma, il a été montré maintes fois que les échanges de cassettes vidéo concourent à former la culture cinématographique des individus. Voir par exemple J.M. Guy (2000), La culture cinématographique des Français, La Documentation Française.
  • [25]
    Faut-il condamner le conducteur qui profite des services de son automobile, le constructeur qui n’innove pas suffisamment ou qui profite des ventes de voitures sans contribuer à l’élimination de la pollution qu’elles engendrent ensuite ou le producteur d’essence ?
  • [26]
    Plus généralement, se pose l’épineuse question de la responsabilité des fournisseurs d’accès et des moyens de surveillance et de détection des contrevenants. Or, plus les moyens de surveillance et les sanctions sont élevés, plus les contrevenants prennent leurs précautions et donc « innovent » pour éviter d’être pris et sanctionnés, ce qui risque ainsi de criminaliser davantage les actes des copieurs jeunes ou moins jeunes.
Français

Grands utilisateurs de contenus, les jeunes copieurs issus de la « Netgen » (internet génération) sont souvent accusés d’être les principaux responsables des difficultés actuelles de l’industrie musicale en matière de piraterie et de commerce électronique. La problématique de la « marchandisation » du culturel ne se limite plus alors à la question de l’extension du droit d’auteur en fonction du type d’utilisation. Elle s’étend également au problème des caractéristiques socio-économiques des utilisateurs et en particulier leur âge. S’interrogeant sur l’idée d’un « cycle de vie du copieur », ce papier analyse les stratégies et les politiques à mettre en œuvre face à cette pratique dans le contexte du numérique.

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Mis en ligne sur Cairn.info le 01/01/2007
Pour citer cet article
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