CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 – Introduction

1Depuis les élections de juin 2007, la Belgique est confrontée à de nouvelles tensions communautaires. D’un côté, la Flandre revendique une « grande » réforme de l’État impliquant le transfert de nouvelles compétences importantes vers les Régions et les Communautés, et, parallèlement, un accroissement significatif de l’autonomie fiscale. Ces revendications sont connues de longue date. Elles sont synthétisées dans les cinq résolutions du Parlement flamand de 1999 [1], dont la deuxième concerne plus spécifiquement le financement des entités fédérées. Même si une partie d’entre elles a été rencontrée en 2001, elles ont été au centre de la campagne électorale flamande de 2007. Plusieurs arguments sont avancés à l’appui de ces revendications : les compétences seraient excessivement dispersées entre les différents niveaux de pouvoir, ce qui nuirait à l’efficacité des politiques menées, le modèle actuel serait un fédéralisme de consommation où les entités fédérées ne seraient pas suffisamment responsables, le financement actuel mettrait en péril l’État fédéral et la Sécurité sociale, les critères de répartition des moyens entre les entités fédérées ne seraient pas suffisamment objectifs, etc.

2De l’autre côté, les francophones sont réticents, craignant, à la fois, le démantèlement de l’État fédéral et de la Sécurité sociale, une concurrence fiscale accrue aux effets néfastes, et une réduction de la solidarité au bénéfice des Régions les moins riches.

3Pour comprendre les enjeux des débats actuels sur le financement des entités fédérées, il faut le resituer dans le carré magique, autonomie – responsabilité – solidarité – concurrence fiscale, qui traverse les réformes institutionnelles depuis 1970 [2]. Pour cela, il faut d’abord revenir sur les principes fondamentaux du financement régional et communautaire, tels qu’ils sont définis dans la loi spéciale de financement du 16 janvier 1989 (voir le point 2) et les modifications qui y ont été apportées depuis lors (voir le point 3). On peut alors examiner le système de financement qui en résulte (voir le point 4) et le comparer avec les principaux enseignements de la théorie du fédéralisme financier (voir le point 5). Enfin, sur cette base, on peut explorer les enjeux qui pourraient découler, pour les citoyens et les entreprises, d’une nouvelle réforme institutionnelle fondée, peu ou prou, sur les revendications du Parlement flamand (voir le point 6).

2 – Les principes de base du système de financement mis en œuvre en 1989

4Le financement des entités fédérées est organisé par la loi spéciale du 16 janvier 1989 [3]. Le système de financement qui en résulte combine des recettes fiscales propres, des recettes non fiscales propres (liées à l’exercice de leurs compétences), des recettes fiscales fédérales rétrocédées, des dotations, la capacité d’emprunt et un mécanisme de solidarité pour les Régions (tableau 1). La réforme de 1989 se caractérise initialement par une dissymétrie entre l’importance relative des transferts de compétences et le caractère limité de la décentralisation fiscale mise en œuvre.

2.1 – Les recettes fédérales rétrocédées aux entités fédérées

5En 1989, l’essentiel des moyens fiscaux restent prélevés par les administrations fédérales en vertu de règles et de lois fédérales. Une partie d’entre eux (une partie de l’impôt des personnes physiques et de la taxe sur la valeur ajoutée) sont, ensuite, rétrocédés aux entités fédérées.

6La part attribuée de l’IPP a été calculée sur la base des crédits budgétaires liés aux compétences transférées (à l’exception de l’enseignement). Elle est annuellement indexée et répartie entre les entités selon la clé « du juste retour » qui assure un lien direct entre les ressources des entités fédérées et le rendement de l’impôt des personnes physiques perçu sur leur territoire. Quant aux ressources des Communautés destinées à financer l’enseignement (la partie attribuée de la TVA), leur montant initial a été estimé sur la base des dépenses d’enseignement en 1988. Il est annuellement indexé et corrigé en fonction d’un facteur d’adaptation démographique. La répartition entre les Communautés se fait selon le critère des besoins fondé sur le nombre d’élèves.

Tableau 1

Les ressources financières des Communautés et des Régions

Tableau 1
Ressources Régions Communautés Part attribuée des recettes de l’IPP Part attribuée des recettes de l’IPPP art attribuée des recettes de la TVA Ressources fiscales Centimes additionnels à l’IPP Impôts régionaux Taxes régionales propres Taxes communautaires propres Ressources non fiscales Recettes non fiscales propres Emprunts Dotations Recettes non fiscales propres Emprunts Dotations Intervention de solidarité nationale

Les ressources financières des Communautés et des Régions

7Dans ce dispositif, l’autonomie financière des entités fédérées est relativement faible et consiste, pour l’essentiel, dans la libre affectation dans leur budget de ces moyens financiers. La marge de manœuvre est plus large pour la Communauté et la Région flamandes qui, par l’effet de la fusion de leurs ressources, peuvent affecter librement l’ensemble de leurs moyens financiers au financement tant de leur politique régionale que communautaire. Dès lors, l’existence de sources propres de financement est très importante car elles constituent réellement l’autonomie des entités fédérées.

2.2 – Le pouvoir fiscal des entités fédérées [4]

8La Constitution (art. 170 et 173) octroie un pouvoir fiscal aux entités fédérées. A priori, elles disposent d’un pouvoir d’imposition général et illimité. L’autorité fédérale peut, cependant, restreindre ce pouvoir, ce qu’elle a fait en votant la loi du 23 janvier 1989. Ainsi, les entités fédérées ne peuvent lever d’impôt que dans les matières non encore imposées par le législateur fédéral. La loi du 16 juillet 1993 a assoupli cette restriction en réservant aux Régions le monopole des impôts en matière d’eau et de déchets.

9Le pouvoir fiscal des Régions défini dans la loi spéciale du 16 janvier 1989 se compose des impôts régionaux (voir le tableau 3, ci-dessous) et de la possibilité d’instaurer des centimes additionnels ou des remises à l’impôt des personnes physiques. Jusqu’en 2001, le pouvoir fiscal des Régions en matière de base, de taux et d’exonération variait fortement d’un impôt à l’autre. Seules la taxe sur les jeux et paris, la taxe sur les appareils automatiques de divertissement et la taxe sur l’ouverture des débits de boissons fermentées constituaient de véritables impôts régionaux. Pour les autres impôts, les Régions ne bénéficiaient pas d’une autonomie complète et pour certains, elles ne bénéficiaient même pas de la totalité (droits d’enregistrement) ou d’une partie du produit des recettes (taxe de circulation). La loi du 16 janvier 1989 prévoyait également que les Régions pouvaient prélever des centimes additionnels et accorder des remises sur l’IPP. Néanmoins, elle imposait de nombreuses conditions qui rendaient très difficile la mise en œuvre de ce pouvoir fiscal (voir Bayenet et al., 2005).

10Pour les Communautés, la mise en œuvre du pouvoir fiscal se heurte à l’absence d’assise territoriale complète et exclusive. En particulier, l’exercice d’un pouvoir de taxation autonome soulève des difficultés car elles ne disposent pas de compétences directes à l’égard des contribuables dans la Région bilingue de Bruxelles-Capitale. Ainsi, si les Communautés bénéficiaient d’une partie des recettes de la redevance radio-télévision, cette redevance ne constituait pas un véritable impôt communautaire, les compétences qui y étaient liées ne relevant pas des Communautés mais des Régions ou de l’État fédéral.

2.3 – Le mécanisme de solidarité

11Pour compenser les différences objectives de richesse entre les Régions et leurs effets en termes de « juste retour », la loi de financement prévoit un mécanisme de solidarité qui attribue une compensation à la (aux) Région(s) pour laquelle (lesquelles) le produit moyen de l’impôt des personnes physiques par habitant est inférieur à la moyenne nationale. Ce mécanisme contribue à garantir l’équité horizontale entre les Régions. En effet, en raison même des écarts de revenus, à effort fiscal égal, l’entité fédérée plus pauvre disposera d’un éventail plus restreint de biens et services collectifs. Le mécanisme de solidarité répond à cette préoccupation, mais uniquement en matière d’IPP.

2.4 – Les dotations

12La loi spéciale du 8 août 1980 dispose que, pour chaque chômeur complet indemnisé, ou chaque personne assimilée, placé(e), dans le cadre d’un contrat de travail, dans un programme de remise au travail, l’État fédéral octroie une intervention financière. La loi spéciale du 16 janvier 1989 dispose que cette intervention financière est octroyée aux Régions. De plus, la Région de Bruxelles-Capitale bénéficie, en raison de son statut spécifique, d’une compensation pour la mainmorte. En effet, certains bâtiments bénéficient d’une exemption de précompte immobilier, communément appelée « mainmorte ». Le précompte est un impôt fédéral sur lequel les communes prélèvent des centimes additionnels. Afin de combler partiellement le manque à gagner résultant de cette exemption, les communes touchées bénéficient d’un crédit spécial inscrit au budget du SPF Intérieur et Fonction publique. Ce crédit spécial couvre à 72 % au moins la perte des centimes additionnels subie par les communes touchées. Les communes de la Région de Bruxelles-Capitale sont particulièrement touchées par ce phénomène compte tenu du statut de capitale de cette Région et de la concentration élevée d’organisations internationales et nationales. À la différence des autres Régions, la part de ce crédit afférente aux communes bruxelloises est attribuée à la Région de Bruxelles-Capitale. Ces communes ont, en effet, accepté que la dotation soit versée à la Région en échange de la reprise, par la Région, de certaines de leurs dettes.

13Les Communautés bénéficient de moyens supplémentaires destinés à couvrir les dépenses ayant trait à l’accueil des étudiants étrangers pour l’enseignement universitaire. En effet, les élèves et étudiants étrangers inscrits dans l’enseignement fondamental, secondaire et supérieur non universitaire sont pris en considération dans le calcul de la part attribuée des recettes de TVA aux Communautés. Le mécanisme de financement basé sur la population de 0 à 18 ans ne pouvait être appliqué à l’enseignement universitaire car la répartition de ces étudiants était plus importante du côté francophone.

3 – Les principales modifications de la loi de financement

14Même si les principes de la loi spéciale du 16 janvier 1989 sont toujours en vigueur aujourd’hui, des modifications importantes y ont été apportées en 1993, 1999 et 2001.

3.1 – Les modifications introduites en 1993

15Un des éléments essentiels de la réforme de l’État de 1993 est incontestablement le refinancement des entités fédérées et notamment de la Communauté française, dont le rythme d’évolution des dépenses, avait, pendant la période 1989-1992, dépassé celui des moyens financiers, seulement indexés année par année, surtout dans le domaine de l’enseignement [5].

16Les accords institutionnels de 1993 ont permis un refinancement des entités fédérées par deux mécanismes. Il s’agit, d’une part, du transfert de nouveaux moyens financiers, à savoir, outre le financement des nouvelles compétences transférées aux Régions et aux Communautés, la liaison progressive de la part attribuée de l’IPP à la croissance économique, l’augmentation du montant de base de la part attribuée de l’IPP, la ristourne intégrale de la redevance radio-télévision aux Communautés et l’instauration d’un huitième impôt régional (les écotaxes) [6]. Il s’agit, d’autre part, de la possibilité de transférer des compétences des Communautés vers les Régions [7]. Ainsi, dans le cadre des accords intra-francophones, la Communauté française a transféré à la Région wallonne et à la Commission communautaire française une partie de ses compétences, sans transférer l’entièreté des moyens budgétaires y afférant (520,6 millions €). Ces accords prévoyaient également un deuxième mécanisme d’aide régional à la Communauté française via la vente d’une partie de ses bâtiments scolaires à des sociétés publiques créées pour l’occasion et subventionnées par les Régions bruxelloise et wallonne. La Communauté française faisait ainsi supporter par les Régions les emprunts qu’elle ne pouvait plus contracter (991,57 millions €).

3.2 – Les modifications introduites en 1999

17La répartition de la part attribuée de la TVA entre les Communautés était basée sur le nombre d’élèves de 0 à 18 ans inscrits dans chaque Communauté en 1988, ce qui donnait 57,55 % pour la Communauté flamande et 42,45 % pour la Communauté française. L’application immédiate de cette clé n’était pas envisageable financièrement pour la Communauté française car la répartition des crédits destinés à financer l’enseignement était, en 1988, de 43,51 % pour la Communauté française et de 56,49 % pour la Communauté flamande. Il a dès lors été décidé de passer progressivement (de 1989 à 1998) de la répartition budgétaire à la répartition basée sur le nombre d’élèves. Cependant, à partir de 1999, la clef devait être adaptée à la répartition effective du nombre d’élèves définie sur la base de critères objectifs. La Communauté française avait connu, pendant les années 1990, une évolution démographique plus favorable qui devait se traduire par une nouvelle clé de répartition également favorable. Le gouvernement Dehaene II ne parviendra cependant pas à finaliser ce dossier devenu politiquement sensible à la veille des élections du 13 juin 1999 [8].

18Lors de la constitution du nouveau gouvernement, les négociateurs francophones exigent l’exécution de la loi de financement. Étant donné les réticences de la Flandre, le futur Premier ministre s’engage à trouver le moyen de refinancer la Communauté française à hauteur de 61,97 millions € [9] en échange de l’ouverture d’un débat sur l’autonomie fiscale revendiquée par la Flandre. Un accord est trouvé en décembre 1999 : la répartition de la part attribuée des recettes de TVA sera fondée sur le nombre réel d’élèves de 6 à 17 ans de chaque Communauté sans que cela ne diminue la dotation de la Communauté flamande. Pour aboutir à ce résultat, l’accord prévoyait un refinancement des étudiants universitaires étrangers, et la revalorisation des droits de tirage régionaux pour les programmes de remise au travail. Il tentait, en outre, de régler les modalités d’octroi de centimes soustractionnels régionaux à l’IPP.

3.3 – Les modifications introduites en 2001 [10]

19La réforme de 2001 accroît l’autonomie fiscale des Régions et apporte aux besoins financiers des Communautés une réponse structurelle.

3.3.a – L’accroissement du pouvoir fiscal des Régions

20Les Régions se voient attribuer l’entièreté des droits d’enregistrement sur les transmissions à titre onéreux et la totalité de la taxe de circulation sur les véhicules automobiles et reçoivent la compétence sur de nouveaux impôts (droits d’enregistrement sur les donations entre vifs de biens immeubles ou meubles, taxe de mise en circulation, eurovignette et redevance radio-télévision). Par contre, les écotaxes deviennent un impôt fédéral. Désormais, les Régions disposent d’une compétence fiscale presque totale sur l’ensemble des impôts régionaux. Afin d’éviter des risques de concurrence fiscale déloyale, de migration fiscale et de délocalisation et pour assurer un exercice correct des compétences fiscales des Régions et de l’État fédéral, des mécanismes d’accompagnement de l’exercice de la compétence fiscale régionale sont prévus.

21L’accroissement de l’autonomie fiscale des Régions devait, cependant, être une opération neutre pour le budget fédéral. Pour atteindre cet objectif, la partie de l’IPP attribuée à chaque Région est réduite d’un « terme négatif » égal à la moyenne des recettes des impôts régionaux transférés en 2001 pour les années 1999 à 2001 exprimée en prix de 2002. Depuis 2003, le terme négatif est indexé et lié à 91 % de la croissance économique. Au cours de la période 1990-2000, les recettes des impôts régionaux transférés en 2001 ont connu une croissance annuelle moyenne de 6,2 % alors que la croissance annuelle moyenne du PIB sur la même période était de 4,3 %. L’élasticité globale des impôts régionaux était donc supra-unitaire (voir Conseil Supérieur des Finances, 2001, ainsi que Bayenet, 2002). L’accroissement de l’autonomie fiscale des Régions en 2001 s’est rapidement traduit par de nouvelles mesures fiscales (voir Bayenet et Turner, 2005).

22La réforme de 2001 étend également les compétences des Régions en matière d’IPP. Elles peuvent désormais accorder des centimes additionnels ou soustractionnels généraux, forfaitaires ou proportionnels ou instaurer des déductions générales d’impôts liés à leurs compétences dans les marges fixées dans la loi (6,75 % du produit de l’IPP localisé dans la Région). Les Régions ne peuvent porter atteinte à la progressivité de l’IPP et doivent s’abstenir de toute concurrence fiscale déloyale. Les revendications flamandes de 1999 reçoivent ainsi satisfaction de manière partielle puisqu’elles comprenaient le transfert complet de l’IPP. Le décret flamand sur la réduction de 61,97 € voté le 22 décembre 2000 en était l’application pour l’exercice d’imposition 2001.

3.3.b – Le refinancement structurel des Communautés

23Le mécanisme de financement communautaire instauré en 1989 s’était traduit par une diminution structurelle de part des moyens octroyés aux Communautés dans les recettes publiques totales. La réforme de 2001 met en œuvre un refinancement structurel. Entre 2002 et 2006, les Communautés reçoivent, à prix courants, un montant supplémentaire de 991,57 millions €. De 2007 à 2011, 24,79 millions sont ajoutés chaque année aux moyens supplémentaires en plus de l’indexation. Les recettes de TVA attribuées aux Communautés sont en outre adaptées à 91 % de la croissance du revenu national brut depuis 2007.

24En ce qui concerne la répartition des moyens entre les deux Communautés, la réforme de 2001 introduit une nouvelle distinction. Ainsi, la part initialement attribuée des recettes de TVA (indexation comprise) est toujours répartie entre les deux Communautés selon le critère du nombre d’élèves. Par contre, les montants supplémentaires (y compris la liaison à la croissance) sont répartis entre les deux Communautés selon la clé du juste retour [11]. L’application de la clé du juste retour n’est pas sans conséquence. En 1989, la nature particulière de la compétence « enseignement » avait justifié une dérogation au principe du « juste retour », la répartition entre les Communautés française et flamande étant basée, pour cette matière, sur le nombre d’élèves. Ce critère prend en compte les besoins respectifs de chaque Communauté pour des raisons d’égalité de chance pour les élèves (Scholsem, 1989). La répartition des nouveaux moyens financiers accordés aux Communautés ne répond plus à ce principe. Dans le cadre de l’application du principe du juste retour pour la répartition de la part attribuée d’IPP entre les Régions, il est prévu un mécanisme de solidarité nationale permettant de compenser les différences éventuelles entre les Régions. Ce mécanisme n’a pas été prévu pour les Communautés. Or l’évolution de la clé du juste retour entre les deux Communautés n’est pas favorable à la Communauté française.

25Enfin, la redevance radio-TV a été régionalisée. Les Communautés ne disposent donc plus d’impôt propre. En compensation, elles reçoivent une dotation de l’État fédéral. Afin de conférer aux Communautés une plus grande autonomie dans l’affectation des moyens en provenance de la Loterie nationale, la réforme institutionnelle de 2001 transfère également un pourcentage fixe du bénéfice à distribuer de la Loterie (27,44 %).

26Les accords de 2001 semblent relativement équilibrés : la Région flamande acquiert l’autonomie fiscale qu’elle réclamait en partie dans ses résolutions de 1999 et la Communauté française est refinancée. Cependant, en obtenant elle aussi un refinancement, la Communauté flamande engrange des marges financières importantes qui lui permettront ultérieurement de réduire la pression fiscale dans le Nord du pays, ou de supprimer sa dette en quelques années (Brassine, 2005). Mais cette réforme a un impact important sur les finances de l’État fédéral. Les mécanismes d’évolution du terme négatif ne garantissent pas complètement la neutralité budgétaire pour les finances fédérales et le refinancement progressif des Communautés limite les marges budgétaires de l’État fédéral, budget qui doit également supporter les conséquences de la réforme fiscale mise en œuvre au même moment par l’État fédéral [12].

4 – Le financement des Régions et des Communautés en 2007

27En 2007 (budgets ajustés), les ressources les plus importantes des entités fédérées proviennent des recettes fiscales prélevées au niveau fédéral et rétrocédées aux entités fédérées (IPP et TVA) ainsi que des impôts régionaux (tableau 2).

Tableau 2

Moyens financiers des Communautés et des Régions en millions d’euros et en % du total (budget ajusté 2007)

Tableau 2
2007 Région de Bruxelles-Capitale Région wallonne Communauté flamande Communauté française Communauté germanophone millions € En % millions € En % millions € En % millions € En % millions € En % Recette collectées au niveau national Recettes IPP attribuées à la Région 772,04 30,50 3.319,74 53,79 5.432,54 25,11 Recettes IPP attribuées à la Communauté 3.618,35 16,72 1.858,57 24,52 Recettes TVA attribuées à la Communauté 7.061,21 32,64 5.209,45 68,72 Dotations fédérales 124,44 71,92 Remise au travail des chômeurs 42,55 1,68 182,24 2,95 261,56 1,21 Dotation étudiants étrangers 31,83 0,15 64,61 0,85 Dotation fédérale pour certaines communes 29,99 1,18 Mainmorte 40,56 1,60 ww Impôts régionaux 1.114,77 44,04 2.180,87 35,34 4.261,04 19,69 Fiscalité régionale spécifique 107,01 4,23, 37,07 0,60 1,5 0,0 Recettes Agglomération 168,88 6,67 Dotation Redevance radio-TV 504,97 2,33 280,07 3,69 5,41 3,13 Dotation de la Communauté française 289,58 4,69 Autres recettes 255,25 10,08 161,91 2,62 462,63 2,14 168,42 2,22 % 43,18 24,95 Recettes totales 2.531,05 100,00 % 6.171,41 100 % 21.635,62 100,00 % 7.581,12 100,00 % 173,03 100,00 % Source : Bulletin de documentation du ministère des Finances annexes statistiques ; édition 2008.

Moyens financiers des Communautés et des Régions en millions d’euros et en % du total (budget ajusté 2007)

4.1 – Les impôts fédéraux rétrocédés aux entités fédérées

28Depuis 2000, la part attribuée des recettes d’IPP aux entités est calculée sur la base des montants attribués en 1999. Ces montants sont annuellement indexés et adaptés à l’évolution de la croissance, puis répartis entre les entités concernées sur la base du juste retour (rendement de l’impôt des personnes physiques localisé dans chaque entité), soit, en 2007, 63,31 % pour la Flandre, 28,25 % pour la Région wallonne et 8,44 % pour la Région de Bruxelles-Capitale [13]. Pour les Communautés, on répartit le produit de l’impôt localisé sur le territoire de la Région de Bruxelles-Capitale, selon une clé forfaitaire 80/20. Les montants repris au tableau 2 pour les Régions comprennent également l’intervention de solidarité nationale et la déduction du « terme négatif ».

29Le montant des recettes de TVA attribuées aux Communautés a été estimé sur la base des dépenses d’enseignement en 1988. Ce montant est, chaque année, indexée en fonction de l’évolution de l’indice des prix à la consommation et d’un facteur d’adaptation reflétant l’évolution démographique annuelle depuis le 30 juin 1988 de la population de moins de 18 ans de chaque Communauté. Les habitants de moins de 18 ans de la Région de Bruxelles-Capitale sont repris forfaitairement à raison de 80 % pour la Communauté française et 20 % pour la Communauté flamande. Le facteur d’adaptation le plus élevé (soit le taux de dénatalité le plus faible, soit le taux de natalité le plus élevé) est retenu pour les deux Communautés, autrement dit la situation la plus favorable est appliquée aux deux Communautés. Ce mécanisme a toujours été favorable à la Flandre puisque le facteur d’adaptation retenu est celui de la Communauté française. En 2001, pour la première fois depuis l’entrée en vigueur de la loi spéciale de financement, le facteur d’adaptation est supérieur à l’unité. Cette tendance s’est confirmée ces dernières années.

4.2 – Le mécanisme de solidarité

30L’analyse des recettes d’IPP par habitant met en évidence la divergence d’évolution rencontrée dans les trois Régions depuis 1989. La Flandre a connu une croissance quasi constante de ses revenus alors que les deux autres Régions connaissaient une décroissance. En 2007, le montant de l’intervention de solidarité nationale était ainsi estimé à 229,98 millions € pour la Région de Bruxelles-Capitale et 775,07 millions pour la Région wallonne.

4.3 – Les recettes fiscales propres [14]

31Les recettes des impôts régionaux s’élèvent en 2007 à 1114,8 millions € en Région de Bruxelles-Capitale, 2180,9 millions € en Région wallonne et 4261,0 millions € en Région flamande (tableau 3).

Tableau 3

Recettes des impôts régionaux en 2007 en millions € et en pourcentage des recettes totales des impôts régionaux

Tableau 3
Région de Bruxelles-Capitale Région wallonne Région flamande € % € % € % Impôts régionaux dont 1.114.771 100,00 % 2.180.867 100,00 % 4.261.041 100,00 % Taxe sur les jeux et paris 20.928 1,87 21.449 0,98 19.579 0,45 Taxe sur les appareils automatiques de divertissement 7.627 0,68 13.054 0,59 37.429 0,87 Taxe d’ouverture de débits de boissons fermentées 40 0,00 100 0,00 0 0 Droits de succession et de mutation par décès 310.037 27,81 447.127 20,50 940.745 22,07 Précompte immobilier 17.426 1,56 27.527 1,26 77.819 1,82 Droits d’enregistrement sur les transmissions à titre onéreux 486.744 43,66 777.800 35,66 1.677.818 39,37 Droits d’enregistrement sur les constitutions d’hypothèque 34.948 3,13 84.578 3,87 145.399 3,41 Droits d’enregistrement sur les partages, … 5.976 0,53 14.351 0,65 0 0 Droits d’enregistrement sur les donations 51.299 4,60 111.889 5,13 214.832 5,04 Redevance radio-télévision - 195.000 8,94 0 0 Taxe de circulation 126.095 11,31 361.638 16,58 839.486 19,70 Taxe de mise en circulation 49.113 4,40 77.889 3,57 210.202 4,93 Eurovignette 4.538 0,40 33.600 1,54 71.785 1,68 Amendes et intérêts 0 0 14.856 0,68 25.947 0,60 Source : Bulletin de documentation du ministère des Finances, annexes statistiques, édition 2008.

Recettes des impôts régionaux en 2007 en millions € et en pourcentage des recettes totales des impôts régionaux

32En 2003, la Flandre a prévu un crédit d’impôt pour tout investissement d’un contribuable domicilié en Flandre dans un fonds géré par une société d’investissement à destination des PME (Fonds ARKimedes). Le crédit d’impôt s’élève à 8,75 % du montant investi, ce dernier étant plafonné à 2.500 €. Il s’agit d’une réduction générale d’impôt. Cette diminution doit s’étaler uniformément sur 4 ans. L’objectif de cette mesure est l’activation structurelle du capital à risque à destination des PME [15]. En 2006, la Flandre a également instauré une réduction forfaitaire de l’IPP de 125 € pour l’année d’imposition 2008, 150 € pour l’année d’imposition 2009 et 200 € pour l’année d’imposition 2010 [16]. Le coût de ces réductions d’impôt vient en déduction du montant de la part attribuée des recettes d’IPP à la Région flamande.

33Les Régions disposent du monopole des impôts en matière d’eau et de déchets. Les Régions ont exercé leurs compétences fiscales de manière différente [17]. L’analyse des recettes dans les budgets publiés par les entités fédérées ne permet cependant pas de juger de l’importance des moyens liés à cette fiscalité régionale. En effet, les budgets, notamment de la Communauté flamande, ne sont plus représentatifs de l’importance de la fiscalité mise en œuvre. Une partie des recettes propres de la Communauté flamande sont allouées à des organismes publics (tels le Fonds de prévention et d’assainissement en matière d’environnement et de la nature ou Fonds MINA) et n’apparaissent pas dans le budget de l’entité flamande. La réaffectation de ces ressources explique ainsi, en partie, le faible niveau de la fiscalité propre dans le budget de la Communauté flamande tel qu’il est publié. Il faut souligner que cette technique budgétaire est utilisée également par les autres entités fédérées, mais, aujourd’hui, dans une moindre mesure. Une évaluation de ces recettes nécessite donc l’analyse des budgets individuels de tous les fonds bénéficiant directement de taxes régionales. Bayenet et Turner (2005) ont réalisé cet exercice budgétaire. Après une analyse des budgets des différents services ou fonds, les recettes fiscales régionales s’élevaient en 2002 à 116,30 millions € pour la Région wallonne, 152,51 millions € pour la Région de Bruxelles-Capitale et 375,06 millions € pour la Communauté flamande.

34La Région de Bruxelles-Capitale bénéficie également d’un pouvoir fiscal particulier lié à la reprise des taxes de la province de Brabant et des taxes de l’Agglomération bruxelloise suite à la réforme institutionnelle de 1993 (voir Bayenet et al., 2005).

4.4 – Les dotations versées aux Régions

35En 2007, les montants octroyés pour le financement des programmes de remise au travail des demandeurs d’emploi aux entités fédérées s’élèvent à 182,24 millions pour la Région wallonne, 261,56 millions pour la Région flamande et 42,55 millions pour la Région de Bruxelles-Capitale. La compensation pour la mainmorte pour la Région de Bruxelles-Capitale se monte à 40,56 millions €. Les montants accordés aux Communautés française et flamande pour couvrir les dépenses liées à l’accueil des étudiants étrangers pour l’enseignement universitaire s’élèvent, respectivement, à 64,61 millions et 31,83 millions €. La dotation compensatoire suite à la régionalisation de la redevance radio-tv est estimée à 280,07 millions € pour la Communauté française et 504,97 millions € pour la Communauté flamande. Enfin, pour financer, partiellement, les compétences transférées en 1993, la Communauté française verse à la Région wallonne une dotation estimée, dans le budget 2007, à 289,58 millions €.

5 – Les enseignements de la théorie du fédéralisme financier

36La théorie du fédéralisme budgétaire [18] constitue une grille de lecture particulièrement pertinente pour analyser l’action publique et ceci, en particulier, quand cette dernière s’inscrit dans une structure à plusieurs niveaux de pouvoir de type fédéral. Cette grille s’applique également à la décentralisation publique à partir du moment où les acteurs locaux, régionaux et nationaux entrent en jeu. L’organisation des finances publiques et le partage du pouvoir fiscal au sein d’un État fédéral doivent garantir la mise en œuvre concrète des lois du fédéralisme politique : l’autonomie et la responsabilité financières des différentes composantes de l’État, l’égalité entre elles et la participation des entités fédérées au niveau de l’État. L’ensemble doit aboutir au difficile équilibre entre ces deux pôles que sont l’autonomie de chaque niveau de pouvoir dans l’État et la nécessaire sauvegarde de l’Union [19]. En Belgique, comme dans de nombreux États fédéraux, les recommandations théoriques en matière de répartition de dépenses publiques et de pouvoir fiscal ont été influencées par des particularités historiques, institutionnelles, culturelles et socio-économiques spécifiques.

37Le financement de l’actuel modèle fédéral répond partiellement aux principes théoriques définis dans la littérature relative à la coordination verticale, en organisant un financement basé sur un partage de ressources prélevées au niveau fédéral combiné avec une responsabilité partagée du pouvoir fiscal. La répartition horizontale des moyens basée sur le principe du juste retour et l’attribution de recettes fiscales et non fiscales propres récoltées sur leur territoire respectif répondent, elles aussi, partiellement aux préceptes théoriques du principe du bénéfice ou de la responsabilité financière. Les effets négatifs de ce système sont partiellement compensés par une intervention de solidarité nationale pour la ou les Région(s) la (les) plus pauvre(s) ainsi que par l’attribution de certaines dotations spécifiques (remise au travail de chômeurs). Par ailleurs, la répartition du pouvoir fiscal entre les entités fédérées ne contredit pas les principes théoriques du fédéralisme budgétaire en matière de coordination horizontale. En effet, les impôts dont l’assiette est mobile sont perçus au niveau le plus centralisé (notamment l’IPP ou la TVA). À l’inverse, les entités fédérées sont compétentes pour les impôts dont la mobilité est faible et pour lesquels les préférences en matière de taxation peuvent varier selon les entités (précompte immobilier, droits d’enregistrement, etc.). Pour les bases mobiles, des mécanismes de coopération sont prévus pour éviter une concurrence fiscale dommageable. L’introduction d’une intervention de solidarité garantit l’équité horizontale entre les Régions (Bayenet et al., 2000).

6 – Les enjeux

38Dans le contexte évoqué ci-dessus, les enjeux d’une négociation institutionnelle portent principalement, d’une part, sur la fiscalité et, d’autre part, sur le transfert de nouvelles compétences aux entités fédérées.

6.1 – La fiscalité

39Depuis la réforme de 2001, l’autonomie fiscale des régions s’est fortement renforcée. Et pourtant, certains revendiquent encore de nouveaux transferts d’impôts. Pour l’impôt des sociétés, la Flandre revendique que les compétences en matière de base imposable et de taux restent fédérales mais demande d’accorder aux Régions la compétence d’octroyer des avantages pour des questions relatives à leurs compétences (les investissements, l’emploi, la formation…). Selon les responsables politiques du Nord, les recettes de cet impôt devraient être entièrement ou partiellement ristournées aux Régions afin que chaque entité puisse bénéficier des effets des politiques économiques mises en œuvre. La compétence en matière d’impôt des personnes physiques devrait pour sa part être partiellement ou intégralement transférée aux entités fédérées et ce, afin de remplacer en grande partie les dotations existantes. La base imposable devrait être fixée de manière homogène, tandis que chaque entité serait compétente pour la fixation du taux et des réductions éventuelles endéans certaines marges. Les impôts indirects donnent peu de possibilités de différenciation, surtout à cause de la mobilité et des liens économiques entre les Régions. Les compétences relatives à la perception de la TVA sur les travaux immobiliers pourraient cependant être attribuées aux Régions car le lien entre la localisation et la politique économique et du logement est indiscutable.

40Suite à ces revendications, des économistes tant au nord qu’au sud du pays ont analysé et mesuré l’impact d’une modification du niveau de pouvoir compétent en matière fiscale [20]. En matière de fiscalité indirecte, ils sont assez unanimes pour laisser son organisation au niveau du pouvoir fédéral étant donné les risques de distorsions économiques [21] et le fait que ce n’est pas au niveau de ces impôts que les préférences régionales se font sentir. Par ailleurs, des contraintes européennes existent à ce sujet. Même si certains envisagent une fédéralisation partielle du pouvoir fiscal en matière d’impôt des sociétés, la structure économique et géographique de la Belgique plaide en faveur d’une centralisation de cet impôt. Une différenciation des impôts directs sur les revenus des sociétés entraînerait des différences de profitabilité entre les Régions pour des activités économiques identiques et donc aussi des choix de localisation d’investissement en fonction de critères purement fiscaux (Deschamps, 1998). Pour Valenduc et Gérard (2007), il existe un risque important de concurrence fiscale dommageable : la mobilité des sièges sociaux en Belgique est importante et éviter le risque d’un déplacement purement fiscal des sièges sociaux par une taxation au siège d’exploitation ferait entrer le système belge dans une complexité énorme peu compatible avec les normes internationales.

41C’est la régionalisation de l’IPP qui a suscité le plus grand nombre d’analyses et de débats. Pour Van Doren (1998), on peut envisager une régionalisation de l’IPP car la base imposable serait relativement « immobile », les différences d’imposition ne pèsent pas directement sur les prix des facteurs de production, des biens ou des services et il existe des différences régionales en matière de politique budgétaire. Les distorsions économiques ne doivent pas être exagérées car on ne peut échapper à la taxation d’une Région qu’en déménageant et les migrations régionales sont limitées. Cependant, pour Deschamps (1998), les effets d’une régionalisation de l’IPP sont plus complexes. Supposons qu’une Région augmente son taux. Cet impôt porte essentiellement sur l’activité professionnelle. Une hausse de taux diminuerait dans un premier temps le pouvoir d’achat des salariés. Tôt ou tard et en tout cas lors des négociations salariales au niveau des entreprises, les salariés s’efforceraient de retrouver leur pouvoir d’achat initial, ce qui induirait une hausse des coûts salariaux par rapport aux autres Régions et aux pays voisins, avec à moyen terme des effets négatifs sur l’investissement et surtout sur l’emploi régional. Il importe donc que soit limitée la possibilité pour les Régions de moduler l’IPP.

42L’accroissement de l’autonomie fiscale peut aussi faire craindre une baisse de la solidarité nationale. Selon Tulkens (1999), cette crainte provient essentiellement de la confusion entretenue systématiquement entre la fiscalité et les transferts explicites qu’elle organise et la sécurité sociale avec les transferts implicites qu’elle comporte. Et c’est au nom de la sauvegarde de cette dernière que l’on veut ignorer ce que l’on peut faire avec la première. Sur la base d’un relevé de la littérature internationale, Tulkens constate que cette question ne se pose qu’en Belgique.

43Il s’avère que la solidarité fiscale que vivent de nombreux pays fédéraux ne réside pas dans le fait de payer les mêmes impôts ou plus exactement des impôts touchant des assiettes et suivant des barèmes identiques, mais plutôt dans la répartition interrégionale qu’ils opèrent avec le produit de ces impôts (transferts de péréquation). Or Tulkens souligne qu’un tel instrument de solidarité fiscale existe depuis la loi de financement de 1989 et est dénommé « intervention de solidarité nationale ». Son montant n’est pas très élevé et la solidarité fiscale est plus faible que dans la plupart des États fédéraux. Mais l’instrument existe et les modifications envisagées en ce qui concerne l’autonomie fiscale n’empêchent en rien de le modifier à la hausse par exemple si on veut davantage faire preuve de solidarité.

44La théorie indique que, si autonomie il y a, il est souhaitable qu’elle s’accompagne de coopération pour atténuer ce que l’autonomie pourrait avoir de dommageable pour les parties en cause. Il faut donc créer un lieu institutionnel où cette coopération peut s’exercer entre les décideurs eux-mêmes, par exemple un Comité ministériel de coopération fiscale interrégionale devant lequel passeraient toutes les propositions de décision fiscale autonome, accompagnées d’études explicites et fouillées sur les effets potentiels de ces décisions pour chacune des parties. Seuls les accords conclus à l’unanimité au sein de ce Comité pourraient alors être soumis aux parlements respectifs pour devenir des décrets ou ordonnances fiscaux régionaux. De plus, il serait nécessaire de donner au Comité la compétence en matière de transferts au titre de l’intervention de solidarité nationale, car ils constituent un élément essentiel de la solidarité fiscale pouvant servir si nécessaire de monnaie d’échange dans les négociations sur les taux et/ou sur les assiettes des divers impôts régionalisés. Un tel lieu de coopération permettrait également de renforcer l’effet multiplicateur de certaines décisions fiscales en matière de politique économique.

45Cependant, on (se) rappellera que, dans le cadre d’un développement de l’autonomie fiscale et donc de la concurrence fiscale, le coût de la mobilité interrégionale dans le voisinage de Bruxelles pour les entreprises (qui pourraient conserver leurs travailleurs) et les personnes (qui pourraient conserver leur emploi) est suffisamment faible pour que cette concurrence se fasse rapidement féroce, soumettant toujours plus les pouvoirs publics aux intérêts et volontés des agents économiques les plus forts. Certains auteurs doutent donc qu’une coopération efficace et contraignante entre les autorités régionales puisse se mettre en place et prônent à ce titre le maintien au niveau fédéral des leviers centraux de la fiscalité (plus simple, plus sûr, moins coûteux, Bayenet et al., 2007).

46Enfin, rappelons que seules les Régions ont un pouvoir fiscal, de sorte que pour les Communautés, en tout cas, l’accroissement de l’autonomie fiscale n’a pas de sens.

6.2 – Le transfert de nouvelles compétences

47L’augmentation de l’autonomie fiscale discutée à la section précédente a pour but, dans les propositions flamandes, de financer de nouvelles compétences qui seraient transférées aux Régions ou aux Communautés, notamment, dans les domaines de l’emploi, de l’économie, de la santé et des allocations familiales. Il s’agit des domaines pour lesquels les entités fédérées sont déjà partiellement compétentes, de sorte que l’objectif principal du transfert envisagé est la constitution de paquets homogènes de compétences de façon à faciliter leur gestion.

48Vu l’implication des domaines visés, l’argument peut aisément être retourné. D’une part, l’homogénéisation peut également être obtenue en centralisant certaines politiques qui ont été décentralisées par le passé. D’autre part, l’argument de l’homogénéité, s’il est appliqué uniquement dans le sens de la décentralisation, pourrait conduire, de proche en proche, à vider complètement, ou, en tout cas, très largement, l’État fédéral de toute substance.

49Enfin, il ne faut pas sous-estimer les coûts de gestion supplémentaires qu’engendrerait l’émiettement des législations sociales et fiscales pour les entreprises multirégionales, brusquement obligées de tenir compte de deux ou trois codes de l’impôt sur le revenu, de deux ou trois législations sur la TVA et de deux ou trois séries de règles pour l’impôt des sociétés.

7 – Conclusion

50Pour conclure, les enjeux d’une nouvelle réforme institutionnelle sont incontestablement primordiaux pour le bien-être des citoyens belges. Les demandes flamandes concernent désormais des domaines centraux de la sécurité sociale, comme l’indemnisation du chômage, les soins de santé et les allocations familiales. Seules les pensions resteraient, dans ce schéma, de la compétence fédérale exclusive. Parallèlement, l’IPP et, pour une part, la TVA et l’impôt des sociétés, seraient régionalisés et un système régional ou communautaire de prélèvements sociaux serait mis en place. Ainsi, alors que, dans les étapes précédentes, la décentralisation concernait uniquement la fonction d’affectation, elle toucherait, cette fois, également, la fonction de redistribution. Seule la fonction de stabilisation resterait alors au niveau centralisé, celui de l’État fédéral ou même, pour la politique monétaire, au niveau supranational, celui de l’Union européenne.

51En termes de carré magique, les demandes flamandes correspondent, d’abord, à un nouvel accroissement de l’autonomie et de la responsabilité des entités fédérées. En soi, la décentralisation de compétences relatives à la redistribution n’est pas nécessairement en contradiction avec la théorie du fédéralisme financier, les avis des théoriciens étant, en cette matière, moins tranchés.

52Cependant, l’impact de ces demandes en termes d’autonomie et de responsabilité ne saurait être dissocié de leurs effets en termes de solidarité et de concurrence fiscale. Parce que le carré magique compte quatre sommets (et non pas seulement deux), on ne peut limiter la réflexion à la question de savoir si une plus grande autonomie et une plus grande responsabilisation des Régions et des Communautés peuvent conduire à une plus grande efficacité. Il faut se demander, plutôt, d’une part, comment cette plus grande efficacité, qui est évidemment souhaitable, peut être atteinte, pour un niveau donné de solidarité, et, d’autre part, jusqu’à quel point la concurrence fiscale est compatible avec le financement normal des services publics.

53Ainsi, s’il est basé sur le juste retour, le financement régional ou communautaire des allocations familiales, des soins de santé et de certains pans de l’indemnisation du chômage se traduirait immanquablement par un recul sans précédent dans l’histoire nationale de la solidarité interpersonnelle. La décentralisation totale de l’IPP, la décentralisation partielle ou totale de la TVA ou de l’impôt des sociétés, et la mise en place d’un système régional ou communautaire de prélèvements sociaux, s’ils sont cohérents, pour le Parlement flamand de 1999, avec l’homogénéisation des compétences qu’il demande, conduiraient d’abord à un alourdissement considérable des procédures fiscales et sociales à charge des entreprises multirégionales. Ils conduiraient ensuite à un renforcement de la concurrence fiscale et sociale, dont on peut certes imaginer qu’elle réduise la pression fiscale et parafiscale globale, mais dont il ne faut pas sous-estimer les effets sur les recettes des différentes entités publiques.

54Dans ce contexte, les enjeux pour la Wallonie et Bruxelles sont vraisemblablement très proches, car les niveaux des versements à l’IPP par habitant sont désormais, pratiquement identiques dans les deux Régions, or c’est précisément là que se situe la clé du dispositif responsabilisant de financement, « au juste retour », réclamé dans les résolutions flamandes.

55Ainsi, quelles que soient les revendications de l’une ou l’autre des institutions qui composent la Belgique fédérale, et sans même préjuger de leur caractère souhaitable, il paraît prudent, en toute hypothèse, de prendre au préalable, une loi spéciale fixant les dispositions visant, d’une part, à garantir, en toute hypothèse et quelle que soit la matière à décentraliser, le maintien d’une solidarité interrégionale et interpersonnelle dont il faudra convenir ; et, d’autre part, à éviter l’émergence d’une concurrence fiscale ou sociale dommageable pour les entités fédérale ou fédérées complétant ainsi les dispositions prévues dans la loi spéciale de financement.

56Enfin, les mécanismes de péréquation existants dans la loi de financement ne tiennent pas compte de l’évaluation des effets de débordement propres à la Région de Bruxelles-Capitale [22]. Étant donné le rôle important de la Région de Bruxelles-Capitale pour le développement de la Belgique et des autres Régions, des mécanismes de financement appropriés doivent être envisagés dans le cadre des principes définis précédemment.

Notes

  • [*]
    B. Bayenet est docteur en Sciences économiques et chargé de cours à l’ULB. G. Pagano est docteur en Sciences économiques appliquées et professeur à l’Université de Mons-Hainaut. A. Accaputo est assistant à l’Université de Mons-Hainaut.
  • [1]
    Pour une analyse, voir Pagano (2002) ainsi que Bayenet, Capron et Liégeois (2007).
  • [2]
    Voir Pagano (2002).
  • [3]
    La loi spéciale du 16 janvier 1989 s’applique aux Régions et aux Communautés française et flamande. Pour une analyse du financement de la Communauté germanophone, voir Bayenet et Veiders (2007). Le financement des Commissions communautaires bruxelloises est organisé par la loi spéciale du 16 janvier 1989 et de la loi spéciale du 12 janvier 1989 relative aux institutions bruxelloises ; voir Bayenet et al. (2000). Pour une analyse historique, voir aussi Pagano (2002).
  • [4]
    La Région de Bruxelles-Capitale connaît également un régime spécifique en matière de fiscalité provinciale et d’agglomération (voir Bayenet et Turner, 2005).
  • [5]
    Pour une analyse des problèmes de financement de la Communauté française, voir notamment Bayenet et al. (2000).
  • [6]
    Loi spéciale du 16 juillet 1993.
  • [7]
    Article 138 de la Constitution.
  • [8]
    Pour une analyse de ces événements, voir Henry, Filleul et Pagano (2000).
  • [9]
    Ce montant correspondait à l’application du principe de l’âge de l’obligation scolaire pour déterminer la nouvelle clé de répartition des recettes de TVA, soit la tranche d’âge de 6 à 18 ans. L’application de cette clé répartissait la part attribuée des recettes de TVA à concurrence de 56,88 % pour la Communauté flamande et 43,12 % pour la Communauté française.
  • [10]
    Loi spéciale du 13 juillet 2001 « portant transfert de diverses compétences aux Régions et Communautés » et loi spéciale du 13 juillet 2001 « portant refinancement des Communautés et extension des compétences fiscales des Régions ».
  • [11]
    Une période transitoire de 10 ans est prévue pour passer progressivement de la clé du nombre d’élèves à la clé du juste retour.
  • [12]
    Selon le Bureau Fédéral du Plan, le coût budgétaire de la réforme fiscale (y compris la suppression de la contribution spéciale de crise) est estimé à 3.658,9 millions ex ante (avant effets de retour), soit 1,2 % du PIB. Voir Saintrain (2001).
  • [13]
    Calculs propres et Budget des voies et moyens de l’État fédéral pour 2008, Chambre des représentants, Documents parlementaires DOC 52 0993/001.
  • [14]
    Pour une analyse, voir notamment Bayenet et Tuner (2005), ainsi que Sepulchre (2007).
  • [15]
    Décret du Conseil flamand du 19 décembre 2003 (M.B. ,17 février 2004).
  • [16]
    Décret du 30 juin 2006.
  • [17]
    Pour une analyse détaillée de l’utilisation du pouvoir fiscal et des références légales, voir Bayenet et Turner (2005), ainsi que Sepulchre (2007).
  • [18]
    Bien que le cadre théorique défini dans la littérature relative au fédéralisme budgétaire (fiscal federalism) fasse explicitement référence à la situation des grandes métropoles notamment américaines, il reste néanmoins intéressant pour analyser le fédéralisme belge. Pour un relevé de la littérature du fédéralisme budgétaire, voir Bayenet et al. (2000).
  • [19]
    Anastopoulos (1989).
  • [20]
    Pour une analyse, voir notamment Bayenet et al. (2000) et Pagano (2000).
  • [21]
    En effet, comme les impôts indirects constituent une composante importante de la structure des prix, une différenciation de taux de taxation indirecte entre les Régions induirait immédiatement des différences de prix entre les Régions, ce qui impliquerait des modifications dans la localisation d’activités économiques, d’emplois et d’investissement (Deschamps, 1998).
  • [22]
    Les différents surcoûts et manques à gagner que supporte la Région de Bruxelles du fait des diverses fonctions qu’elle assume (grande agglomération, pluri-capitale, siège d’organisations internationales, etc.).

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Benoît Bayenet
Giuseppe Pagano
Aurélien Accaputo [*]
  • [*]
    B. Bayenet est docteur en Sciences économiques et chargé de cours à l’ULB. G. Pagano est docteur en Sciences économiques appliquées et professeur à l’Université de Mons-Hainaut. A. Accaputo est assistant à l’Université de Mons-Hainaut.
Mis en ligne sur Cairn.info le 30/03/2009
https://doi.org/10.3917/rpve.481.0067
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