CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1L’ouvrage collectif dirigé par Justine Simon comprend cinq chapitres émanant de spécialistes appartenant à différentes disciplines, principalement les sciences du langage et les sciences de l’information et de la communication. Ces contributions s’efforcent de développer une réflexion sur les méthodologies appliquées en analyse du discours numérique en général, plus précisément sur le discours hypertextualisé dans sa dimension interdiscursive. En proposant des études minutieuses appliquées à des corpus variés allant des pure players aux réseaux socionumériques, l’ouvrage interroge le rôle des hyperliens dans le discours numérique et la méthodologie la mieux adaptée pour les analyser, questions qui nécessitent une démarche interdisciplinaire centrée sur la révision des méthodes et théories d’analyse appliquées au discours hors ligne.

2L’ouvrage s’ouvre avec une introduction intitulée « Analyse du discours hypertextualisé : théories, méthodes, interdisciplinarité » (pp. 7-17) dans laquelle Justine Simon revient sur les objectifs de l’ouvrage et décrit le contexte des études portant sur le discours hypertextualisé. De fait, elle se fixe l’objectif fort ambitieux de « jeter les premières bases d’une réflexion autour de la notion de “discours hypertextualisés” » (p. 7). Devenue essentielle pour l’analyse des discours numériques, cette notion nécessite une approche spécifique étant donnée la présence des hyperliens sur différents dispositifs numériques comme les sites, les réseaux socionumériques, les portails, etc. Son importance (sa complexité aussi) réside dans le fait qu’elle « correspond à un discours relié à d’autres discours, c’est-à-dire un ensemble interdiscursif plus large, contenant des points de rencontre concrétisés par des hyperliens » (ibid.). Par conséquent, analyser le discours hypertextualisé nécessite la prise en compte de plusieurs « niveaux d’hétérogénéité » qui renvoient, entre autres aspects, aux genres du discours, à la « multiplicité des matérialités sémiotiques utilisées » (p. 8) ainsi qu’à la diversité des sources énonciatives. Par ailleurs, ce discours développant des « espaces énonciatifs mosaïques », il est primordial de considérer le caractère foncièrement dialogique du discours hypertextualisé qui se situe toujours au centre d’une interactivité et se trouve relié et traversé par d’autres discours, représentés par l’insertion de liens hypertextes. Cette dimension dialogique signifie que le discours hypertextualisé s’inscrit « dans un projet de négociation des points de vue » où un sujet énonciateur « cherche à orienter les manières de voir et de penser » (p. 9).

3Ainsi se pose la question de la méthode utilisée pour analyser ce discours hétérogène et multimodal (verbal, acoustique, audiovisuel, etc.), qui requiert une révision profonde des notions et méthodes déjà appliquées au discours hors ligne. L’ouvrage se distingue par sa démarche interdisciplinaire, faisant principalement appel à l’analyse du discours et aux sciences de l’information et de la communication. Ce « rapprochement » vise à renouveler la réflexion sur les procédures de constitution des corpus, analyser des « stratégies énonciatives et argumentatives au niveau des dispositifs communicationnels » (p. 11) et apporter de nouvelles perspectives sur « les mécanismes hypertextuels de circulation des discours ». La démarche permet aussi d’interpréter les pratiques sociales, le discours étant considéré comme « une activité langagière socialement située » (p. 11).

4Les cinq chapitres s’efforcent d’expliquer le lien entre la dimension sociale et les caractéristiques du dispositif technique utilisé (p. 12). La diversité des corpus et approches utilisées n’entame nullement la cohérence de l’ensemble qui constitue une référence solide pour qui désire s’initier à l’analyse du discours hypertextualisé.

5D’abord, dans le premier chapitre, intitulé « Je est un lien : hyperliens d’identification et discours journalistiques » (pp. 19-39), Marie Chagnoux aborde la question de l’usage des hyperliens dans la presse en ligne et de « la construction de l’identité numérique dans l’espace médiatique » (p. 19). L’auteure part du constat que l’hyperlien « est l’une des modalités d’écriture numérique les plus discutées parmi les journalistes et les observateurs de la presse en ligne » (p. 20). Dans cette presse, qui se situe dans le prolongement de l’écriture journalistique classique, le processus hypertextuel permet de documenter un nom afin de définir son identité. En travaillant essentiellement sur un corpus constitué d’articles du pure player Mediapart, Marie Chagnoux démontre que ce type d’hyperlien permet de sortir d’une lecture linéaire et offre « aux journalistes des stratégies discursives complexes qui aident à qualifier et à authentifier le discours » (p. 19). Il permet également « de documenter une personne en associant son nom à une page cible » (pp. 19-20).

6Ensuite, Francis Grossmann et Laurence Rosier (« Quelques aspects de l’évidentialité hypertextuelle : relations entre discours rapporté et discours d’arrière-plan », pp. 41-64) analysent les rapports entre les discours rapporté et hypertextualisé. Cette contribution se distingue par la variété des corpus étudiés, issus de sites d’information et d’actualité (Slate et Mediapart) et de sites d’information et de recherche scientifique en littérature et sciences humaines (Fabula, La République des idées, Nonfiction, La Vie des idées), l’objectif étant de « cerner les usages du discours rapporté […] à partir de la notion de discours d’autorité et de ses mécanismes de circulation hypertextuels » (p. 41).

7Sur ce, Fanny Georges (« Le discours hypertextualisé portant sur le décès d’une célébrité », pp. 65-81) étudie le « discours hypertextualisé dans le cadre d’un travail prenant pour objet la représentation des défunts dans les réseaux socionumériques » (p. 65). Pour ce faire, l’auteure a choisi de travailler sur un important corpus de 21 396 tweets postés entre le 4 et le 8 juin 2016 qui ont pour objet l’annonce et le relais de l’annonce de la mort du célèbre boxeur américain Mohamed Ali. Consécutivement, Agata Jackiewicz (« De l’hypertextualité dans des tweets polémiques », pp. 83-105) s’intéresse « aux pratiques d’écriture et d’interaction au sein des réseaux socionumériques. » (p. 83). Les discours issus de ces « univers numériques en ligne » sont de nature composite (verbale, hypertextuelle, iconique, etc.), offrant aux utilisateurs différents moyens d’exprimer leur opinion. L’objectif de cette étude est donc « de mettre en évidence les moyens effectivement mobilisés par les cyberscripteurs pour exprimer leur propos (indexer, légitimer, contextualiser, mettre en scène visuellement, etc.) » (p. 83). Le corpus, qui revient sur un débat polémique posté sur Twitter, comprend une « collection de tweets postés en réaction à un film documentaire qui montre le parcours d’un couple d’hommes ayant recours à la gestation pour autrui » (p. 83).

8Se situant dans le prolongement du chapitre précédent, l’étude présentée par Magali Bigey et Justine Simon dans le cinquième et dernier chapitre (« @TOIDETWEETER ! Rôle des adresses et mentions dans les tweets hypertextualisés », pp. 107-138) tente d’appréhender le célèbre réseau social « Twitter comme un espace socionumérique d’expression, d’interaction et de circulation de l’information » (p. 107). Les auteures tentent de décrire une pratique « réellement signifiante », très répandue sur les dispositifs socionumériques, liée à « l’usage de l’arobase suivie d’un nom de compte d’un utilisateur de Twitter (@xxx) » (pp. 107-108).

9En définitive, l’ensemble des contributions est soigneusement articulé, bien que chacune puisse se lire de manière séparée. Chacune est également accompagnée de références bibliographiques pertinentes permettant d’approfondir les notions traitées. Par ailleurs, et même si l’ensemble est rédigé dans un style accessible pour les non-spécialistes du domaine de l’analyse du discours numérique et des SIC, on regrettera l’absence de résumés en français et anglais qui auraient pu contribuer à faciliter l’accès aux contributions. De plus, même si l’ouvrage comporte un succinct « Glossaire des notions clés » (pp. 139-140) et une « Présentation des auteurs » (pp. 141-142), on regrettera également l’absence d’un index des notions abordées, qui aurait pourtant était indispensable pour que l’ouvrage puisse être considéré comme un véritable outil de travail. Enfin, et malgré ces petites lacunes, nous pouvons dire que le volume apporte un éclairage fort intéressant sur les nombreuses possibilités qu’offre l’analyse des hyperliens dans la compréhension des mécanismes inhérents au fonctionnement du discours numérique. Il constitue une précieuse contribution au domaine de l’analyse du discours numérique où des chercheurs de différentes disciplines essaient de construire une méthodologie capable de transcender les mutations d’un domaine en continuelle évolution.

Abdelkader Sayad
Université de Mostaganem, Algérie, DZ-27000/MoDyCo, université Paris Ouest Nanterre La Défense, F-92000
sayadaek[at]yahoo.fr
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Mis en ligne sur Cairn.info le 15/11/2019
https://doi.org/10.4000/questionsdecommunication.20419
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