CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés est en charge actuellement de 33,9 millions de personnes : 14,7 millions de déplacés internes, 10,5 millions de réfugiés, 3,1 millions de rapatriés, 3,5 millions d’apatrides, plus de 837 000 demandeurs d’asile et plus de 1,3 million d’autres bénéficiaires. Il a reçu deux fois le prix Nobel de la paix et son personnel compte plus de 7 685 employés. Il est actuellement déployé dans 126 pays. Plus de 85 % de son personnel travaille sur le terrain, souvent dans des lieux d’affectation difficiles et dangereux. Le budget total de l’agence pour 2012 s’élève à 3,59 milliards de dollars. Il a célébré son soixantième anniversaire le 14 décembre 2010. Mais son origine est bien antérieure et doit beaucoup à une célèbre initiative individuelle. Créé par l’onu, son statut et ses fonctions ont été modifiés à plusieurs reprises. La situation des réfugiés palestiniens lui échappe car, en raison de circonstances géopolitiques, une institution spéciale particulière, l’unwra (United Nations Relief and Works Agency), a été mise en place à leur intention. L’action du hcr, largement positive, n’est cependant pas à l’abri d’une évaluation nuancée de la part de certains gouvernements, parmi les plus gros contributeurs, et de certaines ong parmi les plus actives.

Origine : l’initiative de Nansen

2Universitaire norvégien, Fridtjof Nansen est d’abord connu comme explorateur de l’Arctique. Dans le domaine humanitaire, il utilise ses fonctions de président de la délégation norvégienne à la Société des Nations pour s’attaquer à deux situations particulièrement préoccupantes à l’époque : le rapatriement des prisonniers de guerre et la réinstallation des réfugiés.

Le Passeport

3En 1922, après la victoire turque contre la Grèce, Nansen milite en faveur du million de Grecs réfugiés d’Asie mineure, et des 100 000 Arméniens qui les accompagnent dans leur fuite. Il obtient de la conférence de Lausanne l’échange des Grecs de Turquie contre les Turcs de Grèce, puis, ayant fait éradiquer la malaria de Macédoine, il y organise la réinstallation des réfugiés grecs, tandis que les Turcs regagnent leur pays.

4La plus célèbre mesure de protection prise sur le plan international l’est également à l’initiative, et grâce au dévouement, de Nansen. Elle consiste simplement, mais c’est un progrès majeur, à munir le réfugié de certificats d’identité et de titres de voyage afin de lui permettre de franchir les frontières et de refaire sa vie. Ainsi naît, en 1921, pour les réfugiés russes, le passeport Nansen, ancêtre du document de voyage aujourd’hui largement reconnu. Nansen est nommé haut commissaire de la sdn la même année, et à sa mort un service est mis en place : « l’Office international Nansen pour les réfugiés ». On étend le bénéfice du passeport Nansen aux réfugiés arméniens, en 1924, puis, en 1926, aux réfugiés assyriens et syro-chaldéens.

Trois étapes normatives

5Une première tentative de systématisation normative apparaît avec les arrangements provisoires du 12 mai 1926 et du 30 juin 1928 relatifs aux réfugiés russes et arméniens [1]. Il s’agit de dispositions d’urgence, essentiellement transitoires, destinées à faire face au plus pressé. Cette étape est suivie d’une seconde : la conclusion de la convention du 28 octobre 1933 relative au statut international des réfugiés qui s’applique aux expatriés russes et assimilés. En vigueur depuis 1935, cette convention contient plusieurs limitations qui en altèrent la portée. Elle a tout d’abord reçu un nombre de ratifications dérisoire (huit en tout) et certaines d’entre elles sont assorties de réserves ayant pour effet de réduire son champ d’application dans ses dispositions relatives aux droits économiques et sociaux des destinataires.

6En 1933, le problème des réfugiés d’Allemagne est confié à un Haut Commissariat indépendant de la Société des Nations. Celui des réfugiés espagnols l’est, peu après, également. En 1938, dans un dessein de coordination et de centralisation, l’action d’assistance à tous les réfugiés est rassemblée sous l’autorité d’un seul et unique haut commissaire de la sdn. Toutefois, à l’initiative des États-Unis, un nouvel organisme, le comité intergouvernemental pour les réfugiés, se trouve, à partir de 1938, spécialement chargé d’aider les réfugiés d’Allemagne et d’Autriche à émigrer vers d’autres pays.

7La troisième étape normative concerne précisément cet exode de milliers de réfugiés d’Allemagne qui tentent d’échapper au nazisme et à sa politique de persécutions non seulement raciales, mais aussi intellectuelles et politiques. Elle est marquée aussi par la nécessité de répondre aux afflux d’Espagnols chassés par le franquisme. Une convention spéciale est conclue en 1938 en faveur des réfugiés allemands. Elle est étendue par la France aux Espagnols. Elle sera, comme celle de 1933, abrogée par la convention de 1951.

8Bien que les activités du haut commissaire aient été très diversifiées (elles allaient de la protection juridique, comprenant notamment l’établissement du document d’identité, jusqu’à la coordination de toute une série de mesures pratiques d’aide), il faut en convenir, les ressources attribuées par la sdn à Nansen étaient très modestes et n’ont pratiquement couvert que ses dépenses administratives. Les fonds nécessaires à l’aide matérielle devaient être recherchés à l’extérieur de l’organisation, auprès de certains gouvernements ou d’organisations charitables privées. L’ampleur des besoins était d’autant plus dramatique que, phénomène constant, les déracinés en exil se trouvaient dans le dénuement le plus complet.

9Le recours à des organismes privés ne connaît pas, dans l’entre-deux-guerres, l’essor qu’il rencontre au lendemain du second conflit mondial. Il n’en demeure pas moins que sans le secours financier, matériel, en personnel et en bonnes volontés mobilisées par les organisations non gouvernementales, Nansen et ses successeurs n’auraient pas pu faire face aux situations qu’ils avaient entrepris de traiter. D’ores et déjà relais de l’action intergouvernementale, les associations privées ont progressivement étendu leurs fonctions au point de dépasser, à certains moments, l’action officielle, en suscitant cette dernière, en la canalisant, parfois même en l’imposant. Elles ont, dans certains cas, survécu à la guerre. Au contraire, les mécanismes de la sdn ont généralement cessé leur activité avant que leur tâche ne soit entièrement accomplie. Ils ont donc, le plus souvent, laissé bien des questions non résolues aux institutions qui allaient leur succéder, au lendemain de 1945.

L’onu : de l’oir au hcr

10Dès avant la fin de la Seconde Guerre mondiale, les « Nations unies » (expression qui désignait alors les puissances alliées et non l’organisation universelle qu’ils créeront plus tard) mettent en place, le 9 novembre 1943, l’unrra (United Nations Relief and Rehabilitation Administration).

Prémisses durant le second conflit mondial

11L’unrra avait pour fonctions de préparer, coordonner ou exécuter toutes les mesures nécessaires à la mise en œuvre de secours aux victimes de la guerre dans toute région placée sous le contrôle de l’une quelconque des « Nations unies ». Ces mesures comportaient la fourniture d’aliments, de combustibles, de vêtements, de logements et d’autres articles de première nécessité, ainsi que les services médicaux d’urgence. Parmi ces objectifs généraux, figuraient évidemment l’entretien, la réadaptation et le rapatriement des ressortissants de ces « Nations unies » qui avaient été déplacés par suite de la guerre et qui auraient souhaité éventuellement retourner dans leur pays dès que les circonstances l’auraient permis. Or, il est rapidement apparu qu’un grand nombre de ces personnes déplacées n’acceptaient pas volontiers l’idée d’un rapatriement, soit parce que plus rien ne les rattachait à leur pays d’origine, soit parce que la situation y avait changé radicalement et qu’ils ne s’y sentaient plus chez eux.

12La plupart des personnes déplacées en Europe appartenaient, en effet, à des groupes ethniques qui avaient été transférés de pays de l’Est vers l’Allemagne, durant le second conflit mondial. Les rigueurs du stalinisme naissant ne les incitaient pas à retourner dans leur patrie. Ces personnes se trouvaient généralement dans des camps, en Allemagne, en Autriche, en Grèce et en Italie. Réfugiés du temps de guerre et de l’avant-guerre, ils n’avaient pas été réinstallés et constituaient un problème qui n’a pu être résolu réellement que vers les années 1960. Au début de 1949, on estimait à environ 1 675 000 le nombre des individus considérés comme réfugiés et pour qui il fallait trouver des moyens de subsistance et de nouveaux foyers.

Protection des persécutés

13Dès le lendemain de sa création, l’onu affirmait que, conformément à l’esprit de la charte de San Francisco, l’ensemble des États devait assurer une responsabilité collective à l’égard de ceux qui tentaient de se soustraire à la persécution. Dès sa première session, l’Assemblée générale adoptait une résolution [2] qui devait servir de base à toute l’action de l’organisation dans ce domaine et selon laquelle les réfugiés ou personnes déplacées qui avaient fait valoir des raisons valables pour ne pas retourner dans leur pays d’origine n’y seraient en aucun cas contraintes. Quatre jours plus tard, le Conseil économique et social créait un comité spécial des réfugiés [3] et personnes déplacées dont les premiers travaux ont permis de préciser qu’au premier rang des « raisons valables » évoquées par l’Assemblée générale, devaient figurer les raisons de caractère politique.

14Il convenait toutefois d’éviter une trop grande dispersion des efforts et des dysfonctions dues à un éparpillement des institutions et organismes œuvrant dans le même secteur. Un besoin de centralisation et de rationalisation s’imposait donc. Il a été satisfait lors de la seconde session de l’Assemblée générale par la création de l’Organisation internationale pour les réfugiés (oir) rassemblant les fonctions de l’unrra et du comité intergouvernemental de l’office Nansen. La mission consistait essentiellement à organiser et surveiller la réinstallation d’environ 2 millions de personnes. Prévue à l’origine comme une institution spécialisée des Nations unies, l’oir avait un caractère temporaire. Mais le problème traité s’est révélé rapidement comme durable et du même coup l’organisation devait être pérennisée.

15En période de plein fonctionnement, l’oir a employé jusqu’à 3 000 fonctionnaires auxquels s’ajoutaient les milliers d’experts recrutés localement. C’est dire l’importance d’une institution qui assurait des fonctions et des responsabilités qui, dans des circonstances normales, auraient dû incomber aux gouvernements. Or, les circonstances de l’immédiat après-guerre étaient celles de la dévastation ou de l’occupation (par les quatre puissances pour ce qui concerne l’Allemagne). Les fonctions étaient celles d’administrer les camps, d’assurer la protection juridique des réfugiés tant qu’ils n’avaient pas acquis une nouvelle nationalité, de négocier tous accords de réinstallation, d’assurer le transport des intéressés, etc. Au terme de son mandat, en mars 1952, l’oir avait réinstallé plus d’un million de réfugiés d’origine européenne à travers le monde, elle avait, de surcroît, aidé environ 70 000 réfugiés à regagner leur patrie. Au total, elle avait accordé son assistance, sous une forme ou une autre, à plus de 1 600 000 personnes. Ces efforts ont coûté plus de 400 millions de dollars à la communauté internationale, sans compter les dépenses importantes effectuées par les autorités d’occupation. En dépit de tous ces efforts, l’oir n’est point parvenue à résoudre entièrement le problème des réfugiés engendré par la Seconde Guerre mondiale. Elle a laissé derrière elle une situation résiduelle d’une ampleur considérable à laquelle devait s’attacher l’organe créé le 1er janvier 1951 (et qui est toujours en fonction) : le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, le hcr.

Le hcr, nouvelle structure indépendante

16En effet, l’oir ayant cessé ses activités, l’Assemblée générale décidait de poursuivre l’action en faveur des réfugiés. Deux options différentes s’offraient alors sur le plan institutionnel : soit confier cette tâche à un service du secrétariat, ce qui n’était pas sans inconvénients liés à la composition de ce dernier et à la relative contrainte qui pesait sur lui du fait de sa soumission à l’Assemblée générale, soit créer un organe spécial capable d’agir avec toute l’indépendance, l’autorité morale et la magistrature d’influence nécessaires, auprès des gouvernements. L’Assemblée générale a opté pour la seconde solution, en utilisant le droit que lui confère l’article 22 de la charte de mettre en place des organes subsidiaires. Le hcr, créé par la résolution 428 (v) du 14 décembre 1950, est entré en fonction le 1er janvier 1951 pour une période de trois ans. Son mandat a été régulièrement renouvelé depuis pour des périodes plus longues (cinq ans). Selon le statut (§ 13), le haut commissaire est élu par l’Assemblée générale sur proposition du secrétaire général.

17Depuis sa création en 1950, dix hauts commissaires se sont succédé à la tête de l’agence. Certains d’entre eux ont marqué de leur personnalité à la fois l’institution et l’onu tout entière. Gerrit Jan van Heuven Goedhart (1951-1956), un journaliste néerlandais mort subitement, a été le premier. Ses réalisations en faveur des réfugiés ont été publiquement reconnues avec la remise au hcr, en 1954, de son premier prix Nobel de la paix. Un autre ancien journaliste lui a succédé, le Suisse Auguste Lindt (1956-1960) rapidement confronté au défi de venir en aide à quelque 200 000 Hongrois fuyant leur pays à la suite de la répression soviétique du soulèvement de 1956. C’est Félix Schnyder, également suisse, qui lui a succédé (1960-1965), avant la nomination, en 1965, du très célèbre Iranien Sadruddin Aga Khan (1965-1977). Ce dernier a travaillé à la tête du hcr douze ans. Il détient le plus long mandat jamais réalisé. Le haut commissaire suivant, Poul Hartling (1978-1985) occupait auparavant les fonctions de ministre des Affaires étrangères du Danemark de 1968 à 1971, puis de Premier ministre de 1973 à 1975. Le mandat de huit ans de Poul Hartling a été celui de l’exode massif depuis l’Indochine et des opérations majeures dans la corne de l’Afrique et en Amérique centrale, ainsi que pour les réfugiés afghans en Asie. Sous sa direction, le hcr a reçu son second prix Nobel de la paix en 1981. Le Suisse Jean-Pierre Hocké a occupé le poste de haut commissaire de 1986 à 1989, suivi par un bref passage de l’homme politique norvégien Thorvald Stoltenberg (de janvier 1990 à novembre 1990). En 1990, la Japonaise Sadako Ogata est devenue la première femme haut commissaire pour les réfugiés et elle a dirigé l’agence pendant dix ans. Sous son mandat s’est déroulée la crise dans les Balkans et dans la région des Grands Lacs ainsi que le rapatriement de 360 000 réfugiés au Cambodge. Elle a été suivie par Rudd Lubbers (2001-2005).

18Le haut commissaire actuel est M. António Guterres depuis le 15 juin 2005. Ancien Premier ministre portugais, M. Guterres avait été initialement élu par l’Assemblée générale des Nations unies pour un mandat de cinq ans. Le 22 avril 2010, l’Assemblée générale a voté le renouvellement de son mandat pour une durée de cinq ans. Avant de rejoindre le hcr, António Guterres a passé plus de vingt ans au sein du gouvernement portugais et dans le service public. Il a été Premier ministre de son pays de 1995 à 2002, période au cours de laquelle il a participé activement à l’effort international pour résoudre la crise au Timor oriental. En tant que président du Conseil de l’Union européenne au début des années 2000, il a mené à l’adoption de l’Agenda de Lisbonne et il a également coprésidé le premier sommet de l’Union européenne avec l’Afrique. Il a par ailleurs fondé le Conseil portugais pour les réfugiés en 1991 et il a été membre du Conseil d’État du Portugal de 1991 à 2002. De 1981 à 1983, António Guterres a été membre de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Union européenne, ainsi que président du Comité de la démographie, des migrations et des réfugiés. De plus, il est engagé dans l’Internationale socialiste, dont il a été président entre 1999 et juin 2005, après en avoir été vice-président de 1992 à 1999.

19L’usage s’est établi de confier à une personnalité mondialement connue le rôle d’ambassadeur de bonne volonté, qualifiée d’envoyé spécial du hcr. Depuis 2012, c’est Angelina Jolie qui assure ces fonctions. Elles consistent à lancer des appels auprès des gouvernements pour solliciter leur contribution financière. L’actrice a depuis 2001 rencontré les réfugiés dans une vingtaine de pays. Bien que peu nombreux, les envoyés spéciaux aident le hcr à rayonner dans le monde entier grâce à leur célébrité, leur popularité, leur influence et leur travail. Parmi les anciens ambassadeurs de bonne volonté du hcr, figurent le styliste de mode italien Giorgio Armani, les acteurs Richard Burton et James Mason, la comédienne Sophia Loren, la princesse Märtha Louise de Norvège et le musicien Riccardo Muti …

Extension géographique des compétences : vers l’universalisation du hcr

20Initialement conçues pour répondre aux besoins des victimes européennes des conflits, les compétences du hcr ont connu une extension planétaire liée à l’émergence de crises majeures surgies dans d’autres régions du monde avec la décolonisation et les troubles postcoloniaux.

21L’européocentrisme de ses débuts cantonnait l’institution aux seules victimes de la Seconde Guerre mondiale et de la guerre froide. L’article 1A2 de la Convention de Genève de 1951 est à cet égard explicite. Il ne s’applique qu’aux « événements intervenus avant son adoption ». Cette disposition, supprimée en 1971, limitait donc en pratique les bénéficiaires du statut aux seuls réfugiés européens. En France, durant la période 1951-1972, les réfugiés reconnus comme tels par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (ofpra) [4] sont, en effet, à 98 % européens, essentiellement espagnols, russes, arméniens, polonais, hongrois et yougoslaves. En 1964, l’Organisation de l’Unité africaine (oua) décidait de se doter de sa propre convention sur le droit des réfugiés, ce qui, implicitement, était de nature à porter atteinte à l’autorité du hcr. Ce dernier prit donc l’initiative de convoquer une conférence d’experts, qui adopta un projet de protocole additionnel dit « de Bellagio ». Celui-ci fut adopté par l’Assemblée générale de l’onu en 1967 sous le nom de « protocole de New York ». Il supprimait juridiquement la référence temporelle et du même coup la limitation géographique de l’article 1A2. Cette adoption a coïncidé avec une période d’accroissement des demandes d’asile en provenance de pays en développement et de restriction progressive de l’accueil offert par les pays développés. Les rejets des demandes sont désormais de plus en plus nombreux.

Extension personnelle des compétences : le hcr au secours des apatrides

22Deux traités concernent cette catégorie de personnes : la convention de New York du 28 septembre 1954, relative au statut des apatrides, et celle du 30 août 1961, sur la réduction des cas d’apatridie. Leur application relève initialement des seuls États signataires mais, à partir de 1994, les compétences du hcr ont été étendues à leur égard.

23Par une série de résolutions adoptées à partir de 1994, l’Assemblée générale des Nations unies a attribué au hcr le mandat officiel consistant à prévenir et à réduire les cas d’apatridie dans le monde, ainsi qu’à protéger les droits des apatrides. Vingt ans plus tôt, l’Assemblée avait demandé au hcr de fournir une assistance aux personnes en vertu de la convention de 1961 sur la réduction des cas d’apatridie. Le comité exécutif du hcr a donné des orientations sur la manière de mettre en œuvre ce mandat dans une « Conclusion sur l’identification, la prévention et la réduction des cas d’apatridie ainsi que la protection des apatrides » publiée en 2006. Ce texte demande à l’agence de renforcer sa coopération avec les gouvernements, les autres organisations des Nations unies et la société civile pour traiter ce problème. Les activités du hcr dans ce domaine sont regroupées en quatre catégories.

24Le hcr estime approximativement à 12 millions le nombre d’apatrides dans le monde. Toutefois, en raison de la nature même du problème, il est difficile de donner un chiffre précis. Des informations contradictoires, combinées aux différentes définitions de l’apatridie, rendent le problème difficile à saisir. Pour surmonter ces écueils, le hcr s’efforce de mieux faire connaître la définition juridique internationale de l’apatridie, tout en améliorant ses propres méthodes de recueil de données sur les populations apatrides. Le hcr a constaté que le problème était particulièrement aigu en Asie du Sud-Est, en Asie centrale, en Europe de l’Est et au Moyen-Orient.

25Identification : Elle consiste à rassembler des informations sur les cas d’apatridie, leur ampleur, leurs causes et conséquences. Les causes de l’apatridie, les caractéristiques de la population et les problèmes auxquels ces personnes sont confrontées sont les problèmes à examiner par le hcr et ses partenaires pour élaborer une stratégie de réponse. Dans de nombreux pays, le fait que les apatrides vivent en marge de la société et soient dépourvus de documents d’identité rend difficile la compréhension de leur situation. Afin de recueillir des informations statistiques, le hcr coopère avec les gouvernements et les autres organisations du système des Nations unies mais l’agence apporte aussi son soutien lors de recensements de population par exemple. Au-delà des simples chiffres, le hcr analyse la législation pour identifier les lacunes ayant conduit à l’apatridie et étudie la situation des personnes qui n’ont pas de nationalité. Si une telle recherche est importante pour comprendre le problème, elle n’a de sens que sur la base d’une information de première main. Lorsque c’est possible, le hcr s’entretient avec des personnes apatrides sur leur situation et leur demande leur avis sur des solutions.

26Prévention : Elle consiste à s’attaquer aux causes de l’apatridie et à encourager l’adhésion à la convention de 1961 sur la réduction des cas d’apatridie. Le hcr travaille activement pour combler les lacunes dans les législations conduisant à l’apatridie. Dans de nombreux pays, il fournit des conseils sur la manière de modifier la législation pour la mettre en conformité avec la convention. L’une des garanties les plus importantes contre l’apatridie consiste à ce que chaque enfant qui serait sinon apatride devrait avoir le droit de bénéficier de la nationalité du pays où il est né. Les conseils du hcr en matière législative sont encore plus importants quand il s’agit de succession d’États, c’est-à-dire quand de nouveaux États sont créés ou quand un territoire est transféré d’un État à un autre. Toutefois, la prévention de l’apatridie liée à des pratiques discriminatoires est plus difficile à traiter. Le hcr forme les fonctionnaires gouvernementaux aux normes juridiques ainsi qu’aux bonnes pratiques administratives et les sensibilise aux conséquences de l’apatridie. Conjointement avec des organisations comme le Fonds des Nations unies pour l’enfance (unicef), il veille également à ce que les enfants soient enregistrés à la naissance pour prouver leur lien avec un État. En se fondant sur les traités internationaux interdisant la discrimination pour des motifs comme la race, l’appartenance ethnique ou sexuelle, le hcr surveille la situation dans les pays et intervient pour régler les problèmes de protection liés à l’apatridie. Le fait de posséder une nationalité ne peut cependant pas réparer du jour au lendemain les conséquences de plusieurs années de discrimination. Le hcr fait donc pression pour que les anciens apatrides soient inclus dans les programmes de développement afin de garantir qu’ils deviennent des membres de la société à part entière jouissant des mêmes droits que les autres citoyens.

27Protection : Elle consiste à intervenir pour aider les apatrides à exercer leurs droits et encourager l’adhésion à la convention de 1954 relative au statut des apatrides. Le hcr fait pression sur les pays pour qu’ils ratifient cette convention, par laquelle ils s’engagent à accorder aux apatrides les mêmes droits qu’aux étrangers ou, dans certains cas, qu’aux nationaux. Plus de soixante pays sont actuellement parties à la convention. Les apatrides sont également protégés en vertu des traités généraux des droits de l’homme et le hcr s’appuie sur toutes ces normes internationales pour revendiquer un meilleur traitement des apatrides. Assurer que les apatrides soient reconnus comme tels par les pays dans lesquels ils résident est un élément clé de la protection, sinon ils ne peuvent jouir de tous les droits leur étant accordés. Le hcr fournit des conseils aux gouvernements sur la manière de mettre en œuvre les procédures de détermination du statut. Dans certains cas, il apporte également une assistance directe aux apatrides, souvent par l’intermédiaire d’organisations non gouvernementales partenaires. Ces efforts visent à promouvoir l’intégration des apatrides et la pleine jouissance de leurs droits. L’agence apporte également son aide pour des cas individuels, par exemple quand une personne est détenue pour des raisons liées à son apatridie.

28Réduction : Le hcr s’efforce d’aider les apatrides à acquérir une nationalité ou à obtenir la confirmation de leur nationalité. Il apporte son soutien aux modifications législatives et à l’organisation de campagnes de citoyenneté à grande échelle consistant à identifier les apatrides grâce à des équipes mobiles chargées de l’enregistrement et à sensibiliser le public. À plus petite échelle, dans de nombreux pays, le hcr coopère avec les organisations non gouvernementales locales et internationales apportant une aide et des conseils précieux aux apatrides dans leur quête de citoyenneté. Le hcr s’efforce également d’aider les apatrides en plaidant pour des critères de naturalisation moins stricts.

Les réfugiés palestiniens, ignorés du hcr

29On sait comment, en dépit de l’hostilité britannique et arabe, des Juifs survivants de la Shoah ont établi l’État d’Israël, le 14 mai 1948, tandis que l’Angleterre renonçait au mandat que lui avait confié la sdn pour administrer la région.

Des centaines de milliers de nouveaux réfugiés

30Les États arabes, qui avaient déjà rejeté le plan de partage établi par l’onu en 1947 en vue de créer deux États, déclenchaient immédiatement les hostilités contre Israël. Le jeune État était ainsi en guerre avec l’Égypte, l’Iraq, la Jordanie, le Liban et la Syrie auxquels se joignaient les populations arabes et palestiniennes autochtones. Les Israéliens, équipés militairement par l’urss et la Tchécoslovaquie, résistaient victorieusement, et les Palestiniens quittaient leurs villages par centaines de milliers. Ils se réfugiaient en Transjordanie (440 000), dans la bande de Gaza (170 000), au Liban (145 000) et en Syrie (120 000). Au total, c’est environ un million de réfugiés palestiniens qui s’étaient déplacés et constituaient désormais une nouvelle source de préoccupation pour les organisations de secours. Particulièrement démunis, ils arrivaient dans des pays eux-mêmes peu développés. L’intervention des Nations unies était donc indispensable, elle était déclenchée l’année même par la création de l’unrpr (United Nations Representation for Palestinians Refugees), le 19 novembre 1948. Ce fut essentiellement un service de liaison qui s’est efforcé de répondre aux besoins dont le comte Folke Bernadotte (médiateur des Nations unies pour la Palestine, assassiné au cours de cette mission par le groupe sioniste Stern) avait dressé la liste en août 1948 : nourriture, vêtements, abris et protection contre les maladies endémiques.

31Or, on le sait aussi, bien que les hostilités se soient provisoirement interrompues, aucun règlement du conflit n’a été négocié. Le problème des réfugiés palestiniens est demeuré entier, et, à mesure qu’il s’installait dans la permanence, s’organisaient des secours eux-mêmes permanents, par la création, le 8 décembre 1949, d’un autre organisme, l’unrwa, toujours en fonction.

Pourquoi les réfugiés palestiniens sont-ils exclus du mandat du hcr ?

32Leur situation très particulière tant à l’égard des pays arabes dans lesquels ils n’ont pas pu ou pas voulu être intégrés, qu’à l’égard d’Israël dont ils ont longtemps récusé l’existence, en fait sans doute une catégorie de réfugiés difficilement comparable aux autres et explique la constitution à leur intention d’une organisation distincte non intégrée au hcr.

33Depuis trente-cinq ans, l’unrwa vit un paradoxe : sa survie dépend chaque année de la bonne volonté des gouvernements et continue de fonctionner avec le statut d’organisme temporaire. À la veille des événements du Liban de l’été 1982 et selon les chiffres communiqués par l’olp (Organisation de libération de la Palestine), le peuple palestinien comptait environ 4,5 millions de personnes dont la majeure partie en exil. Il se répartissait ainsi : bande de Gaza : 451 000, Syrie : 222 525, Liban : 358 207, Koweït : 299 710, Irak : 20 604, Libye : 23 759, Égypte : 45 605, Arabie Saoudite : 136 779, Émirats arabes unis : 36 504, Qatar : 24 233, Bahreïn : 2 000, Oman : 50 706, États-Unis : 104 856, divers pays : 140 165, en suivant une proximité géographique décroissante. On notera que la population de la Jordanie est presque entièrement arabe : elle est constituée pour près de 40 % par des réfugiés palestiniens.

34Un certain nombre de Palestiniens du Liban ont, depuis, été répartis dans différents pays, mais les proportions ci-dessus demeurent approximativement correctes. Leur valeur absolue, en revanche, est difficile à vérifier, à la différence de celles fournies par l’unrwa qui sont très précises. 1,9 million de Palestiniens réfugiés sont immatriculés à l’Office qui leur accorde son aide dans cinq zones où il opère (Jordanie, Cisjordanie, Gaza, Liban, Syrie).

35L’unrwa a dû opérer, depuis l’origine, à la fois dans un climat politique international tendu et dans une situation financière précaire. Son fonctionnement n’a pas toujours été sans « bavures ». L’institution humanitaire a parfois couvert et même facilité des activités militaires de l’olp. Ainsi, une enquête menée à la suite d’accusations portées par Israël révéla que, dans le centre de formation de l’unrwa à Siblin, près de Sidon [5], quinze membres du personnel militaire de l’olp avaient été autorisés à occuper des salles situées près de la clinique et des dortoirs du centre, ainsi que le sous-sol du centre où ils ont stocké des archives, de la nourriture, des armes, des munitions et divers équipements. L’enquête a également montré que le centre avait été utilisé pour la formation militaire des étudiants.

36À cette difficulté nouvelle née d’un certain discrédit qui affecte l’Office, il faut ajouter les difficultés chroniques de l’unrwa, difficultés d’origine essentiellement financière. Les pays de l’Est n’ont jamais participé à son financement, estimant qu’il traite d’une question concernant exclusivement les Occidentaux responsables de la situation. Et oubliant un peu vite qu’ils ont soutenu l’établissement de l’État d’Israël à son origine. Les pays arabes n’y ont pas participé régulièrement. Seuls, les pays à économie de marché (cee, États-Unis, Suède, Japon, notamment) y versent des contributions.

Le hcr, administration de l’urgence

37L’humanitaire s’accommode mal des procédures longues, complexes et bureaucratiques. Les secours visent, le plus souvent, la sauvegarde de la vie et de la santé des victimes en situations d’urgence. Mais, en même temps, l’improvisation est interdite en ce qu’elle est source de dysfonctionnements funestes. D’où la nécessité d’une administration équipée pour anticiper les réponses aux catastrophes humaines génératrices d’exodes massifs. L’ampleur des tâches auxquelles le Haut Commissariat est confronté exige un personnel de plus en plus nombreux et des moyens financiers croissants. L’urgence ne concerne pas seulement les personnes qui ont dû fuir leur pays et qui cherchent asile à l’étranger, mais aussi, et c’est un phénomène en expansion, les personnes déplacées dans leur propre pays.

Des structures et des moyens pour une action humanitaire

38Le hcr comptait à sa création 34 collaborateurs. Son personnel dépasse aujourd’hui les 7 735 fonctionnaires nationaux et internationaux, dont 960 au siège à Genève et au Centre de services globaux à Budapest. Il travaille dans 126 pays, ses moyens matériels et humains sont basés dans 119 sites principaux comme des bureaux régionaux et des délégations, et 299 sous-délégations et bureaux extérieurs souvent isolés. Son budget est passé de 300 000 dollars la première année à plus de 3,59 milliards de dollars en 2012. On compte plus de 43 millions de personnes déracinées à travers le monde. Le hcr s’occupe actuellement de 33,9 millions de personnes relevant de sa compétence : 14,7 millions de déplacés internes, 10,5 millions de réfugiés, 3,1 millions de rapatriés, 3,5 millions d’apatrides, plus de 837 000 demandeurs d’asile et plus de 1,3 million d’autres bénéficiaires.

39La plupart des opérations du hcr ont lieu sur le terrain. L’administration de cette opération mondialisée est devenue extrêmement complexe. Elle s’étend du recrutement du personnel, sa protection et sa sécurité dans des situations de travail extrêmement dangereuses, à l’approvisionnement en diverses fournitures, matériel médical ou denrées essentielles, en passant par l’organisation de ponts aériens pour le transport des biens ou des réfugiés. Des départements spécifiques, dont la plupart sont établis au siège à Genève, supervisent des secteurs principaux comme les opérations, la protection, les relations extérieures, les ressources humaines et les finances. Des bureaux régionaux assurent la liaison entre les bureaux à l’étranger et le siège. Sur le terrain, le travail principal du hcr est géré par une série de bureaux régionaux, de bureaux de correspondance, de bureaux auxiliaires et de bureaux locaux. Les délégués du hcr dirigent les opérations dans les pays où le hcr travaille. Il y a également un certain nombre de délégués régionaux.

Les personnes déplacées : charge supplémentaire pour le hcr

40Le terme de réfugiés est impropre pour désigner les personnes déplacées internes car elles n’ont pas traversé de frontière internationale pour chercher asile dans un autre pays. Même si elles ont fui pour des raisons analogues à celles des réfugiés (conflit armé, violence généralisée, violations des droits de l’homme), les déplacés internes demeurent légalement sous la protection de leur propre gouvernement, alors que ce gouvernement est parfois lui-même la cause de leur fuite. En tant que citoyens, les déplacés internes conservent l’ensemble de leurs droits, dont celui à la protection en vertu des droits humains et des principes du droit international humanitaire. Pour autant ils entrent dans le champ de compétence du hcr pour des raisons pratiques.

41Le mandat initial du hcr ne couvrait pas spécifiquement les déplacés internes. Cependant, depuis de nombreuses années et compte tenu de son expertise en matière de déplacement, l’agence a été appelée à les aider. Plus récemment, cette aide s’est organisée sur la base du « principe de la responsabilité sectorielle », instaurant une division du travail au sein des Nations unies et entre les autres agences humanitaires. Le hcr joue un rôle de chef de file dans les efforts visant à assurer la protection des déplacés internes, la fourniture d’abris d’urgence à ces populations ainsi que la coordination et la gestion des camps de déplacés internes.

42Fin 2009, la population de déplacés internes dans le monde était estimée à 27 millions. Le hcr portait assistance en 2010 auprès d’environ 14,7 millions de personnes déplacées internes dans 22 pays, y compris les trois pays où se trouvent les plus importantes populations de déplacés internes : le Soudan, la Colombie et l’Iraq. Des millions d’autres civils qui sont sans abri suite à une catastrophe naturelle sont également qualifiés de déplacés internes. Pour ce groupe, le hcr intervient uniquement dans des circonstances exceptionnelles, comme le tsunami dans l’océan Indien en 2004, le tremblement de terre en 2005 et les inondations en 2010 au Pakistan ou le cyclone Nargis au Myanmar en 2008.

Évaluation contrastée de l’action du hcr

Des performances opérationnelles incontestables

43L’agence des Nations unies pour les réfugiés est placée sous la direction de l’Assemblée générale (dont il est un organe subsidiaire) et du Conseil économique et social des Nations unies (ecosoc). Le comité exécutif du hcr, composé de représentants de 85 pays, approuve les programmes biennaux et le budget correspondant. Ils sont présentés par le haut commissaire qui est nommé par l’Assemblée générale des Nations unies. En 2003, l’Assemblée générale a donné un mandat illimité au hcr « jusqu’à ce que le problème des réfugiés soit réglé ». On ne saurait dire de façon plus claire que ce mandat est pérenne. Le haut commissaire présente un rapport annuel sur le travail du hcr à l’ecosoc et à l’Assemblée générale. En tant que chef de l’organisation, le haut commissaire est responsable de la direction et du contrôle du hcr. Il dirige le travail de l’agence avec l’aide du haut commissaire adjoint et de hauts commissaires assistants chargés de la protection et des opérations. Le hcr dispose de personnel local et international.

44Les activités du hcr sont financées en totalité par les contributions volontaires versées par les États membres des Nations unies, le secteur privé et le grand public. L’Agence a entrepris ces dernières années des réformes visant une utilisation plus judicieuse des fonds, ce qui lui a permis de diminuer les coûts et de renforcer son action sur le terrain. Les contributions reçues en 2010 ont atteint un niveau record de 1,86 milliard de dollars et ce montant a été dépassé en 2011. Le hcr peut désormais répondre, en 72 heures, à des situations d’urgence simultanées affectant jusqu’à 600 000 personnes. Pour appuyer ce dispositif, l’organisation a accru de 20 % ses stocks d’urgence en 2011, a renforcé sa capacité pour livrer l’aide aux bénéficiaires, a accru le nombre de gestionnaires de haut niveau en stand by pour un déploiement rapide et a créé de nouveaux postes pour aider à la protection des réfugiés. António Guterres a promis une nouvelle réforme, dans les prochaines années, pour compléter ces mesures avec une recevabilité et un contrôle accrus.

Une action normative originale

45Le comité exécutif du hcr constitué de 85 États membres adopte chaque année des « conclusions » thématiques sur la protection des réfugiés. Elles ont pour rôle de combler le vide juridique laissé par le droit international des réfugiés. Ce sont des recommandations dépourvues de valeur contraignante mais qui, en raison de leur mode d’adoption par consensus, revêtent une autorité morale qui les apparente à cette normativité qui, parfois désignée sous l’expression soft law, exerce une pression politique régulant les conduites. Ces « conclusions sont officiellement adoptées au cours de la session plénière convoquée une fois par an en octobre, en général à un niveau ministériel, ce qui confère [au hcr] un poids important pour leur mise en œuvre. Une illustration de cette procédure originale a été présentée par Marion Fresia en 2012 à propos de la conclusion 107 sur “les enfants dans les situations à risque” [6] ».

Des difficultés budgétaires croissantes

46Il faut distinguer les dépenses de fonctionnement provenant du budget régulier des Nations unies, et le budget opérationnel. Le hcr procède tout au long de l’année à la collecte de fonds pour ses programmes et pour la réponse aux situations d’urgence présentes et à venir. En 2010, le hcr a présenté pour la première fois un budget global basé sur les besoins, s’appuyant sur une évaluation complète effectuée dans tous les pays où il opère. Les crédits nécessaires pour 2012 s’élèvent à 3,59 milliards de dollars et concernent notamment ses programmes actuellement en cours en Iraq, au Pakistan et au Soudan. C’est le montant le plus important qui ait jamais été demandé par le hcr. Lors de la conférence d’annonces de contributions organisée en décembre 2010, les donateurs avaient promis d’allouer une somme initiale de 576,5 millions de dollars. Des contributions supplémentaires sont donc par ailleurs attendues tout au long de l’année.

47Dans l’ordre décroissant les contributeurs principaux sont : 1. États-Unis ; 2. Commission européenne ; 3. Japon ; 4. Suède ; 5. Royaume-Uni ; 6. Pays-Bas ; 7. Allemagne ; 8. Norvège ; 9. Danemark ; 10. Canada ; 11. Suisse ; 12. Finlande ; 13. Italie ; 14. Australie ; 15. France. On observera que parmi eux les États membres de l’Union européenne contribuent au hcr, à la fois à titre national et au titre de l’Union. Les subventions cumulées de contributeurs européens représentent près de la moitié de son budget. L’Europe forme ainsi une sorte de support majoritaire dont la dominance sur le fonctionnement du hcr apparaît notamment lors des nominations de hauts commissaires : sur dix d’entre eux nommés depuis 1950, huit sont européens (Pays-Bas, Suisse, Suisse, Danemark, Suisse, Norvège, Pays-Bas, Portugal), un japonais et un autre iranien.

Des déficiences institutionnelles en matière de coordination

48La multiplicité des acteurs humanitaires qui interviennent lors des grandes migrations consécutives à un conflit interne ou international exige un minimum de coordination. Cette dernière est particulièrement indispensable dans les situations humanitaires complexes liées à l’afflux de réfugiés. Toutes les agences intergouvernementales, notamment les quinze institutions spécialisées de l’onu, et toutes les ong ainsi que les militaires intervenants dans les actions de secours ne sont pas en mesure de traiter l’ensemble des problèmes qui se posent comme les risques de chevauchement des actions, de dispersion des efforts, de dysfonctionnements opérationnels qui hypothèquent la période de reconstruction postérieure à la crise. C’est pour répondre à ces risques qu’une coordination s’est progressivement mise en place. Après divers essais infructueux, notamment celui du Bureau du coordonnateur des secours, c’est au hcr que cette mission a été confiée, à l’occasion de l’éclatement de la guerre en ex-Yougoslavie. Le concept d’agence « chef de file », couramment employé à son égard, n’a jamais été défini mais était justifié en raison de l’ancienneté de l’institution et de sa grande expérience du terrain. Toutefois, en tant que telle, son fonctionnement n’a pas toujours été à la hauteur des espérances.

49D’abord, le hcr n’a pas été investi de ces fonctions dans la région des grands lacs, contrairement à ce qui s’est passé en ex-Yougoslavie. Son mandat s’est limité à l’assistance humanitaire aux réfugiés, pas aux déplacés internes gérés par d’autres organismes. Il s’est donc exercé exclusivement aux pays limitrophes du Rwanda : Ouganda, Zaïre, Tanzanie et Burundi. D’où la faiblesse de la coordination globale, le cloisonnement et même la rivalité avec le Programme alimentaire mondial (pam) chargé du contrôle conjoint de la majorité des fonds, ce qui lui permettait de superviser l’action des ong. Mais leur très grand nombre et l’inadéquation de certaines d’entre elles aux standards professionnels rendirent la coordination difficile et peu efficace. Elle fut néanmoins une réussite à Ngara, sous la pression du gouvernement tanzanien. À Goma, au Congo, beaucoup moins, face à deux cents ong qui se partageaient 800 000 réfugiés, jusqu’au déploiement d’un contingent zaïrois en mars 1995. Chef de file au Kosovo, le hcr s’est heurté à une difficulté liée à un manque de clarté du mandat qui lui était confié et la confusion de son rôle avec celui du Bureau de coordination des affaires humanitaires (bcah) compliqua la tâche. Peter Morris, de msf, déclara plus tard : « De nombreux gouvernements financèrent les ong de manière bilatérale, ce qui réduisit beaucoup la possibilité du hcr d’établir une priorité selon les programmes ou de contrôler leur efficacité [7]. » De fait, de nombreuses ong financées par leur propre gouvernement montèrent des projets sans même en référer au hcr, ni au gouvernement d’accueil, et nombreuses sont celles qui agirent selon leurs propres critères et priorités, sans contrôle. Le hcr fut par conséquent très critiqué, en tant qu’agence chef de file, pour ses déficiences en matière de coordination. La prédominance du bilatéralisme ainsi que la multiplicité des acteurs ne sont pas pour autant les seuls responsables, le hcr ayant ses propres faiblesses liées en partie au manque de personnel et au rôle mineur qu’il joua dans l’assistance.

Un certain malthusianisme soucieux de rendement

50Depuis 1967 la doctrine du hcr s’est infléchie en passant de la défense du « droit de partir » favorable au droit d’asile à celle du « droit de rester » favorable à la fermeture des pays d’accueil. Le hcr développe le concept de demande d’asile « manifestement infondée », notamment en raison de l’accroissement du nombre des « réfugiés économiques » expression impropre mais significative des motivations de ceux qui fuient leur pays, en dehors de toute persécution autre que celle de la faim, de la pauvreté, du chômage ou du sous-développement. Le hcr, sous la pression des pays riches soucieux de contenir la pression migratoire, multiplie les programmes de « retours volontaires » qui sont souvent, de fait, des retours forcés. Cette évolution est bien accueillie par les États financeurs qui augmentent massivement le budget du hcr à cette fin, précisément durant cette période. La même relation s’observe en ce qui concerne le conflit bosniaque pour lequel la préoccupation constante du hcr a été d’éviter un afflux de réfugiés vers les pays de l’Union européenne. De même, Michael Barutciski, auteur d’une thèse sur le hcr[8], observe que l’extension récente du mandat du hcr à la prise en charge des « déplacés internes » est compatible avec les politiques occidentales de fermeture des frontières et de rejet des exilés, l’argument de l’exil interne servant fréquemment à rejeter les demandes d’asile exprimées dans un pays étranger. L’auteur de ces lignes a lui-même été confronté à cette politique du hcr, lors de l’opération « Un bateau pour le Vietnam » qu’il avait organisée avec Bernard Kouchner et diverses personnalités françaises en 1979 pour aller repêcher en mer de Chine les boat people en péril qui fuyaient le régime communiste. Envoyé par le comité du bateau auprès du haut commissaire Poul Hartling pour solliciter son aide, il s’était vu reprocher de créer un pull factor qui allait accroître le nombre de demandeurs d’asile. En d’autres termes, la politique du hcr consistait, sur ce point, à réduire le nombre de candidats réfugiés en freinant les départs, au détriment du droit de quitter son pays. Le rendement de l’institution était donc évalué en fonction de la différence entre le nombre des demandeurs d’asile et celui de ceux qui l’obtenaient. En quelque sorte, une manière de loi de l’offre et de la demande. Il convenait de réduire la demande pour ne pas solliciter davantage l’offre.

51La fonction du hcr, qui possède le pouvoir d’attribuer, ou non, aux migrants et aux populations déplacées le titre et la carte de réfugié du hcr, explique l’émergence de critiques de la part des « déboutés » du droit d’asile visant directement cette institution – ainsi au Caire, lorsque le hcr demande aux autorités égyptiennes d’intervenir pour disperser devant ses bureaux des manifestants soudanais qui n’avaient pas obtenu la carte de réfugié. Cette intervention de la police (6 000 hommes) se solda, le 30 décembre 2005, par la mort de 27 personnes (dont 5 enfants ; chiffres officiels du Caire) et 150 personnes blessées (selon les représentants des réfugiés), 3 635 autres migrants soudanais étaient placés le même jour dans des centres de rétention, et menacés d’expulsion.

52De la même façon, à Kaboul (Afghanistan), dix grévistes de la faim demandaient au hcr, en octobre 2005, leur régularisation par l’agence onusienne ; celle-ci fut partiellement obtenue après la médiatisation de leur lutte. Deux mois plus tard, deux d’entre eux tentent de s’immoler devant le siège de l’onu après que le hcr a cessé son aide et refusé leur resettlement (installation dans un pays tiers). Dans le même sens, en juin 2003, en Guinée, une manifestation de réfugiés du Sierra Leone, visant le hcr, revendique d’être reconnus et aidés par le haut commissariat. Celui-ci répond en exigeant le « transfert » (ses propres mots) des réfugiés vers des camps à six cents kilomètres, refusant de prendre en compte tout réfugié n’obtempérant pas à cet ordre, qui deviendrait alors une cible légitime des forces de l’ordre guinéennes.

53En conclusion on rappellera les propos du haut commissaire António Guterres, le 3 octobre 2011, lors de son discours d’ouverture de la session annuelle du comité exécutif : « En raison de la complexité accrue de l’environnement international, il est encore plus difficile de trouver des solutions pour plus de 43 millions de réfugiés, déplacés internes et apatrides à travers le monde […]. L’imprévisibilité est devenue la nouvelle donne. Les crises se multiplient. Les conflits se font toujours plus complexes. Et les solutions se révèlent de plus en plus insaisissables », a-t-il indiqué. « Dans des circonstances aussi contraignantes, nous devons reconnaître notre responsabilité commune. Et nous devons prendre un engagement commun. » Exhortation conjuratoire pour une institution confrontée quotidiennement à des drames humains dont la banalisation médiatique est génératrice de démobilisation.

Notes

  • [1]
    Recueil des traités de la sdn, vol. 89, n° 2005.
  • [2]
    Résolution A/45 du 12 février 1946.
  • [3]
    Résolution E/3 du 16 février 1946.
  • [4]
    ofpra est un établissement public chargé d’assurer l’application des conventions, accords ou arrangements internationaux concernant la protection des réfugiés.
  • [5]
    ONU, Chronique, décembre 1982 : des sanctions ont été prises.
  • [6]
    Marion Fresia, « La fabrique des normes internationales sur la protection des réfugiés au sein du comité exécutif du hcr », Critique internationale, janvier-mars 2012, n° 54, p. 39 à 60.
  • [7]
    The Economist, janvier 2000.
  • [8]
    Michael Barutciski, Les Dilemmes de protection internationale des réfugiés. Analyse de l’action du HCR, Université Paris-II, 22 janvier 2004, non publiée.
Français

Le hcr est en charge de presque 34 millions de personnes, réfugiés, apatrides et personnes déplacées. Les réfugiés palestiniens ne relèvent pas de son mandat, ils sont confiés à une agence spéciale : l’unwra. L’origine de l’agence réside dans l’initiative de Fridtjof Nansen qui créa le fameux passeport qui porte son nom et qui fut le premier haut commissaire de la sdn. Créé par la résolution 428 (v) du 14 décembre 1950, il est entré en fonction le 1er janvier 1951. Ses compétences se sont élargies du seul plan européen vers l’universalisation et des seuls réfugiés aux apatrides puis aux personnes déplacées. Il exerce une activité normative originale dans ce domaine, mais éprouve des difficultés administratives et financières qui ne le mettent pas à l’abri de critiques.

Mario Bettati
Mario Bettati, doyen honoraire, professeur émérite à l’université Paris-II Panthéon-Assas, directeur puis membre du conseil scientifique de la Revue générale de droit international public. Il fut conseiller de Bernard Kouchner, secrétaire d’État à l’action humanitaire, puis de Georges Kiejman, ministre délégué aux Affaires étrangères ; membre de la délégation française à l’Assemblée générale de l’onu, conseiller et représentant spécial de Bernard Kouchner, ministre des Affaires étrangères et européennes, avec qui il a été initiateur et promoteur du droit d’ingérence humanitaire puis de la responsabilité de protéger. Il est notamment l’auteur de L’Asile politique en question (PUF, 1985) et du Rapport établi à l’issue des travaux de la commission sur les réfugiés, 48 propositions, pour le secrétaire d’État auprès du Premier ministre chargé de l’action humanitaire en 1989.
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Mis en ligne sur Cairn.info le 27/03/2013
https://doi.org/10.3917/pouv.144.0091
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