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Combien de personnes partagent-elles leur temps entre plusieurs logements ? Le recensement, qui se base sur la liste des logements et veille à ne compter chaque habitant qu’une fois, ne permet pas d’y répondre précisément. C’est le cas en revanche de l’enquête Famille et logements menée en 2011, et sur laquelle s’appuient Christophe Imbert, Guilhem Deschamps, Éva Lelièvre et Catherine Bonvalet pour dénombrer les personnes concernées et nous en présenter les caractéristiques.

1 Occuper un autre logement en plus de sa résidence principale ou encore partager son temps entre deux logements sont des pratiques de plus en plus fréquentes avec la mobilité étudiante ou professionnelle, l’augmentation du nombre de ruptures conjugales et l’arrivée à la retraite des générations du baby-boom. Combien de personnes sont-elles concernées par ce phénomène ? À quels moments de la vie et à quelles occasions occupe-t-on deux résidences ?

La double résidence : surtout avant 25 ans

2 Selon l’enquête Famille et logements de 2011 (encadré), 11 % des adultes vivant en France habitent deux logements ou plus. Le phénomène s’observe surtout chez les jeunes adultes mais il décroît fortement de 18 à 30 ans, passant de 26 % à 10 % (figure 1). Il progresse à nouveau à la fin de la vie professionnelle, passé la cinquantaine, pour culminer autour de 13 % vers 67 ans puis diminuer après.

3 Pour les enquêtés les plus jeunes (moins de 25 ans), les raisons de la bi-résidence sont à la fois d’ordre familial (conjoint-famille) et d’ordre scolaire (études) (figure 2). Le second logement cité est plus fréquemment occupé les week-ends et lors des vacances (figure 3) et presque toujours associé à un membre de la famille.

4 Après 30 ans, la seconde résidence est utilisée pour les vacances et les loisirs ; c’est encore plus vrai après 60 ans, lorsque la cessation d’activité accroît le temps libre et que la condition physique et les ressources financières permettent d’entretenir un second logement [1]. Entre 55 et 70 ans un tiers des personnes fréquentant une seconde résidence pour des raisons familiales ou de loisirs déclarent le faire « plusieurs mois dans l’année » ou « une partie du temps en alternance », contre seulement 13 % chez les actifs. Dans 64 % des cas, en revanche, ces derniers s’y rendent pendant « les week-ends ou les vacances ».

Figure 1

Proportion de personnes fréquentant plusieurs logements selon l’âge

Proportion de personnes fréquentant plusieurs logements selon l’âge

Proportion de personnes fréquentant plusieurs logements selon l’âge

Champ : ensemble des enquêtés.
Source : enquête Famille et logements, Insee, 2011.
Figure 2

Motifs justifiant un autre logement selon l’âge

Motifs justifiant un autre logement selon l’âge

Motifs justifiant un autre logement selon l’âge

Champ : enquêtés multi-résidents
Source : enquête Famille et Logements, Insee, 2011
Figure 3

Temps d’occupation de l’autre logement selon l’âge

Temps d’occupation de l’autre logement selon l’âge

Temps d’occupation de l’autre logement selon l’âge

Champ : enquêtés multi-résidents
Source : enquête Famille et logements, Insee, 2011

Surtout des urbains et des cadres

5 La bi-résidence est plus fréquente chez les habitants des grandes villes : 57 % des personnes qui déclarent un autre logement ont leur résidence principale dans une unité urbaine de plus de 200 000 habitants, contre à peine 40 % dans le cas contraire. Les bi-résidents comprennent une part élevée d’inactifs : 12 % d’entre eux sont étudiants et 25 % retraités. Mais comme leur poids reste faible dans la population totale, ils sont minoritaires chez les bi-résidents, même s’ils y sont surreprésentés.

6 La double résidence atteint son maximum parmi les classes moyennes et supérieures des grandes villes. À la veille de la retraite, le fait d’occuper un appartement dans une grande agglomération – spécialement en région parisienne –, d’être cadre ou ancien cadre et de ne plus vivre dans son département de naissance se conjuguent pour accroître la probabilité de partager son temps entre deux logements. C’est le cas pour plus de la moitié des enseignants du secondaire et du supérieur et des professions scientifiques qui louent un appartement dans une grande agglomération (plus de 200 000 habitants hors Île-de-France). C’est vrai aussi pour près de 40 % des cadres retraités de l’agglomération parisienne qui sont propriétaires de leur appartement. Les Franciliens qui vivent encore dans leur département de naissance ont une plus forte probabilité de fréquenter un second logement, généralement une résidence secondaire liée à un lieu d’origine familial. Pour d’autres catégories, le second logement est une résidence de vacances récurrente (hôtel, location, club de vacances, camping) ou un mobil-home utilisé pour des déplacements touristiques. Ces pratiques sont les plus fréquentes chez les habitants des régions Nord - Pas-de-Calais, Haute-Normandie et Picardie.

Des hommes mobiles pour exercer leur métier

7 L’occupation d’un second logement pour raisons professionnelles n’est évoquée que par 1 % seulement des adultes, soit à peine un neuvième des personnes en situation de bi-résidence. C’est entre 30 et 55 ans que l’emploi est le plus souvent cité comme motif de double résidence, sans pour autant être prédominant (figure 2). La famille reste généralement dans la résidence principale, mais, dans plus d’un cas sur deux, un autre membre de la famille occupe ou possède ce second logement.

8 Entre 25 et 45 ans, la bi-résidence concerne seulement 4 % de la population, mais le taux se rapproche de 10 % dans certaines professions majoritairement masculines, comme les policiers et les militaires, prompts à déclarer une seconde résidence pour motif professionnel lorsqu’ils sont en début de carrière et vraisemblablement encore rattachés au ménage parental. Viennent ensuite des professions relativement mobiles, comme les artistes et les journalistes, ainsi que les cadres techniques d’entreprise et les chefs d’entreprise de 10 salariés ou plus.

Figure 4

Variations régionales de la proportion de bi-résidents selon le groupe d’âges

Variations régionales de la proportion de bi-résidents selon le groupe d’âges

Variations régionales de la proportion de bi-résidents selon le groupe d’âges

Champ : ensemble des enquêtés
Source : enquête Famille et logements, Insee, 2011 (C. Imbert et al., Population et Sociétés, n° 507, Ined, janvier 2014)

Des retraités franciliens et des étudiants auvergnats et bretons

9 À l’exception de l’Île-de-France, qui est la seule région où elle dépasse 15 %, la fréquentation d’une seconde résidence augmente à mesure qu’on se déplace vers le Sud et l’Ouest (figure 4.1). Toutefois, chaque groupe d’âges offre une cartographie particulière. Pour les jeunes adultes (18- 25 ans), la bi-résidence s’observe surtout en Auvergne et en Bretagne mais beaucoup moins à l’Ouest et au Nord du bassin parisien (figure 4.2). La géographie régionale de la bi-résidence des jeunes évolue avec le taux de scolarisation dans l’enseignement supérieur (la proportion de bi-résidents est d’autant plus élevée qu’il y a d’étudiants dans ces classes d’âges). Elle dépend aussi du rayonnement territorial des universités : au-delà d’une heure de trajet, les étudiants cherchent un logement de proximité.

10 Rien de tel pour les 55-74 ans (figure 4.4). La bi-résidence dans cette tranche d’âge est nettement plus répandue chez les Franciliens que dans les autres régions : 20 % contre 14 %. Dans les autres régions, la bi-résidence des 55-74 ans augmente à mesure qu’on descend vers le Sud. Elle concorde avec la cartographie des cadres : plus la part des cadres est importante, plus les bi-résidents sont nombreux chez les 55-74 ans. Ce lien disparaît en revanche en Alsace et en Bretagne, qui comptent une forte proportion de cadres (12 % de la population active) mais peu de bi-résidents, tandis que c’est l’inverse en Corse, où le taux de cadres n’atteint pas 10 % de la population active. Les différences interrégionales présentent à peu près les mêmes caractéristiques pour les 26-54 ans avec une part de bi-résidents en Île-de-France largement supérieure à celle observée dans les autres régions (figure 4.3).

Encadré. L’enquête Famille et logements et la bi-résidence

La bi-résidence, une pratique difficile à mesurer
Le recensement se faisant logement par logement, il se prête difficilement au décompte des personnes dont la vie se partage entre plusieurs logements [2]. C’est pourtant une pratique répandue, en particulier chez les enfants d’un couple séparé [3], les étudiants, les couples non cohabitants ou les retraités. Si les enquêtes auprès des ménages réalisées par la statistique publique peuvent inclure à l’occasion des questions sur l’ensemble des logements occupés habituellement par les membres du ménage [4], la taille des échantillons est généralement insuffisante pour décrire la double résidence sur des populations particulières. Il y faut une enquête spécialisée de grande ampleur. Aussi l’enquête Famille et logements de 2011 permet-elle pour la première fois en France de dresser un état des lieux précis des situations de bi-résidence des personnes âgées de 18 ans et plus.
L’enquête Famille et logements (EFL)
Associée à l’enquête annuelle de recensement de 2011, l’enquête Famille et logements (EFL) a été réalisée en France métropolitaine par l’Insee auprès d’un échantillon représentatif de 360000 personnes âgées de 18 ans ou plus. Elle décrit la diversité des configurations familiales et la répartition spatiale des familles, en particulier les situations de bi-résidence. La taille de l’échantillon permet pour la première fois de détailler les pratiques de résidence selon l’âge, la situation familiale, l’implantation régionale et le milieu social.
Plus d’informations : http://lili-efl2011.site.ined.fr/
La bi-résidence dans l’enquête Famille et logements (EFL)
Multirésidence, pluri-résidence, bi-résidence, ces trois expressions désignent le fait d’avoir plusieurs lieux de résidence. Par convention, on parle de « pluri-résidence » quand les logements occupés ont des statuts ou des usages hétérogènes et correspondent à différents types de relations familiales ou amicales. « Multirésidence » est un terme plus général, qui ne tient pas compte de ces différences.
Le questionnaire de l’enquête Famille et logement se limite à recueillir des informations sur une seule résidence en plus de la résidence principale où les individus sont recensés (bi-résidence). Son existence est repérée par le biais de trois questions, dont deux relatives au temps passé dans la résidence principale. Une troisième question permet de citer l’existence de cette autre résidence (« Logez-vous également de façon habituelle ailleurs ? ») en fonction de motifs précis (« Pour retrouver le conjoint ou de la famille », « Études », « Travail », « Loisirs ou vacances », « Autre motif »). On demande dans ce cas de préciser le type de logement, la commune, le propriétaire et les autres personnes qui le fréquentent.

11 Si plus d’une personne adulte sur dix déclare habiter régulièrement deux résidences au moment de l’enquête, un nombre important d’individus, variable selon l’origine et la catégorie sociale, a vécu ou vivra au cours de sa vie une partie de son temps dans un autre logement que sa résidence principale. La double résidence doit donc être envisagée en fonction des grandes évolutions sociétales, comme celle de la mobilité des Français pour leurs études ou leur carrière, l’allongement du temps de la retraite et les transformations des modes de cohabitation dans le couple et avec la famille.

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Français

Onze pour cent des adultes vivant en France en 2011 habitent deux logements ou plus. Le phénomène s’observe surtout chez les jeunes adultes (26 % des 18-19 ans). La bi-résidence tient chez eux à la fois à des raisons familiales et scolaires. Le second logement est plus fréquemment occupé les week-ends et lors des vacances. Chez les adultes en activité, seules 9 % à 10 % des personnes utilisent plusieurs logements, la seconde résidence servant principalement aux vacances et aux loisirs ; c’est encore plus vrai après 60 ans, lorsque la cessation d’activité accroît le temps libre et que la condition physique et les ressources financières permettent d’entretenir un second logement. Parmi l’ensemble des adultes occupant un second logement, on trouve plus particulièrement les retraités franciliens et les étudiants bretons ou auvergnats.

Références

  • [1] Anne Gotman et al., 1999, « Variations saisonnières de la vie familiale : enquête sur les secondes résidences » dans P. Bonnin, R. de Villanova (dir.), D’une maison l’autre, parcours et mobilités résidentielles, Paris, Créaphis, p. 177-212.
  • [2] Catherine Bonvalet, Éva Lelièvre, 2012, De la famille à l’entourage, Paris, Ined, 472 p.
  • En ligne [3] Céline Clément, Catherine Bonvalet, 2005, « Familles recomposées et ancrage résidentiel : le rôle de la résidence secondaire », Espaces et sociétés, 120-121, p. 79-97.
  • En ligne [4] Laurent Toulemon, Sophie Pennec, 2010, « Multiresidence in France and Australia : Why count them ? What is at stake ? Double counting and actual family situations », Demographic Research, 23 (1), p. 1-40. http://www.demographic-research.org/volumes/vol23/1/
Christophe Imbert
Ined et Université de Poitiers (UMR 7301 Migrinter).
Guilhem Deschamps
Institut national d’études démographiques.
Éva Lelièvre
Institut national d’études démographiques.
Catherine Bonvalet
Institut national d’études démographiques.
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Mis en ligne sur Cairn.info le 01/10/2019
https://doi.org/10.3917/popsoc.507.0001
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