CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Si, depuis maintenant près de trois décennies, la crise du syndicalisme français est une thématique récurrente dans les champs médiatique et scientifique – ce dernier subissant d’ailleurs en partie les questionnements que lui adressent les journalistes –, peu d’études portent, en revanche, sur la façon dont les organisations syndicales mettent en œuvre, de façon concrète, des stratégies de redéploiement ou de conquête de nouveaux secteurs professionnels. L’enjeu du taux de syndicalisation de la population active et celui de l’évolution des effectifs syndiqués, entretenus par les projets de réforme des règles de représentativité – qui ont couru tout au long de la décennie 2000 pour aboutir à l’accord du 14 avril 2008 – contribuent le plus souvent à restreindre l’angle de vue adopté. En effet, à dresser un rapide bilan critique des analyses relatives au syndicalisme français, force est de constater combien celui-ci est principalement appréhendé au travers du prisme de la crise et de l’exception française [1]. L’accent est mis sur un ensemble de singularités produites par l’histoire, à commencer par la division du mouvement syndical, laquelle s’est encore accrue à partir de la fin des années 1980 [2]. La deuxième singularité, souvent érigée en preuve d’un profond dysfonctionnement du mouvement syndical, qui devrait dès lors nécessairement « s’adapter », est un nombre d’adhérents décrit comme historiquement bas. Or, dans ce périmètre d’analyse balisé par la nécessité d’expliquer l’affaiblissement des organisations sur le plan numérique, les discussions théoriques portent essentiellement sur l’importance à accorder au poids relatif des facteurs internes et des facteurs externes [3]. Elles tournent également autour des effets attendus de la dynamique d’institutionnalisation des syndicats via l’adaptation aux normes de la négociation collective. Ainsi, bien qu’un certain nombre de travaux aient commencé à renouveler les perspectives en étudiant les processus d’engagement au niveau local [4], une part importante de la production sur le syndicalisme français en reste, de fait, à des considérations très générales et n’évite pas toujours un biais normatif. L’établissement d’une taxinomie syndicale qui classe les organisations du pôle réformiste au pôle contestataire, conduit d’ailleurs certains auteurs à interroger les raisons de l’« anomalie » que constituerait le maintien de syndicats dits « protestataires [5] », et à mettre en cause les modalités de financement d’organisations qui, ne vivant pas des cotisations de leurs adhérents mais de subventions publiques, auraient tendance à se satisfaire d’un « syndicalisme sans syndiqués [6] ».

2Cette focalisation sur les causes de la crise et sur les modèles de syndicalisme a contribué, nous semble-t-il, à appauvrir relativement le champ d’étude consacré à ce dernier, l’isolant d’autres débats théoriques, notamment ceux développés par la sociologie des mobilisations collectives. Sans même établir de rapprochements avec d’autres mouvements sociaux, il est à noter qu’un large pan de la littérature anglo-saxonne sur le syndicalisme discute ainsi, depuis maintenant plus d’une décennie, des stratégies d’adhésion et de création de nouvelles implantations, des façons de concevoir ces campagnes, des effets de ces dernières sur les organisations et de leurs impacts auprès des salariés [7]. Il ne s’agit évidemment pas d’ignorer les contraintes spécifiques, en particulier juridiques, qui pèsent sur le syndicalisme dans les différents États occidentaux ni de négliger les profondes différences qui existent dans les systèmes de relations professionnelles. Pour autant, malgré ces obstacles, un renouvellement de l’approche des transformations du syndicalisme et plus précisément des pratiques mises en œuvre au sein des organisations nous semble pouvoir naître des questionnements forgés à partir d’expériences menées aux États-Unis et, de façon plus restreinte, au Royaume-Uni.

3Edmund Herry et Lee Adler ont par exemple confronté les stratégies syndicales destinées à revitaliser des organisations en déclin en termes d’effectifs et d’implantations dans cinq pays [8]. Comment envisage-t-on dans les syndicalismes américain, britannique, allemand, espagnol et italien d’« organiser les inorganisés » ? Les stratégies étudiées se révèlent très contrastées et conduisent à distinguer un premier groupe constitué des syndicalismes américain et britannique d’un second où figurent les syndicalismes d’Europe continentale. Les auteurs définissent plusieurs critères pour comparer ces démarches : l’importance des ressources financières et militantes (budget spécifique, détachement de permanents) qui y sont consacrées, la mise en place de structures internes spécialisées dans le suivi des campagnes, la définition de cibles spécifiques au sein du salariat (les précaires, les jeunes, les « bas salaires », les travailleurs d’origine immigrée). Ils retiennent également les conceptions de ces actions en interne. S’agit-il de lancer des campagnes spécifiques ou bien de penser la syndicalisation comme une tâche supplémentaire que les militants prennent en charge en plus de leurs différentes activités ? S’agit-il de « placer des cartes », d’augmenter le nombre d’adhérents et d’électeurs potentiels, ou bien de créer des réseaux militants et de chercher à les maintenir dans la durée ? L’étude de ces différentes options permet effectivement de constater de fortes divergences entre une partie du syndicalisme américain qui, dès le début des années 1990, fait des campagnes de syndicalisation ciblées une priorité centrale – suivi en cela, avec des effets d’imitation, par certains syndicats britanniques [9] – et, à l’opposé, les organisations espagnoles et italiennes qui tentent, à la marge, de renouveler leur structuration. Au sein de ces dernières, les débats sur la nécessité d’atteindre les salariés précaires sont certes présents, mais ils sont formulés en des termes très généraux et ne se traduisent pas par des changements majeurs dans les pratiques ou le répertoire d’action. Pour E. Herry et L. Adler, les facteurs explicatifs de ces contrastes seraient principalement à rechercher du côté de l’influence exercée par le cadre institutionnel, soit le système de relations professionnelles et le type de négociation qui y prédomine (centralisée au niveau de l’État et des branches ou décentralisée dans l’entreprise), les procédures légales de reconnaissance de la représentativité, mais aussi du côté des principes de légitimation du syndicalisme tels qu’ils sont co-produits par les pouvoirs publics, les employeurs et les syndicats eux-mêmes.

4Si de telles analyses demeurent très macrosociologiques, elles nous semblent déjà présenter le mérite, en se centrant sur les dispositifs d’action déployés par les organisations, d’inviter à observer le syndicalisme français sous un angle encore peu adopté dans la littérature spécialisée sur le sujet. Des démarches plus fines sont également mises en œuvre. Partant du constat d’un renouveau partiel de syndicats dont l’ancrage et l’influence au sein du salariat ont largement diminué, Kim Voss et Rachel Sherman retournent ainsi la problématique classique sur le processus de bureaucratisation au sein du mouvement ouvrier pour se demander comment des organisations rompent avec des modalités d’action devenues routinières et renouent avec des formes d’intervention et de mobilisation plus radicales [10]. Elles constatent ainsi que si nombre d’études, tant du côté de la sociologie des mobilisations collectives que du côté de la sociologie des organisations, ont cherché à prolonger ou à nuancer la théorie de Roberto Michels sur le caractère inévitable du processus de bureaucratisation, peu ont exploré les conditions et la dynamique du phénomène inverse. Comment des organisations qui se sont stabilisées sur plusieurs décennies, qui se sont étoffées en termes d’effectifs et dont les buts, les pratiques, les formes de représentation, mais aussi la stratégie générale sont marqués par ce que les auteurs désignent comme une forme de conservatisme connaissent-elles des changements internes ? La question de recherche est nourrie par l’observation des actions menées par des syndicats locaux aux États-Unis, lesquels, au travers de campagnes ciblées de syndicalisation, ont contribué à changer de l’intérieur d’importantes composantes de l’AFL-CIO [11]. Une telle perspective s’appuie sur l’appréhension des syndicats comme des organisations traversées par une tension permanente entre des pratiques de sensibilisation et de mobilisation visant à préparer le recours à l’action collective, et des pratiques plus institutionnalisées de représentation et de négociation [12]. Cette approche suggère également de ne pas saisir les organisations syndicales comme des blocs monolithiques, mais de comprendre comment des « activités de mouvement social » peuvent se déclencher au sein d’organisations dont les directions sont fortement bureaucratisées. La rupture partielle avec un syndicalisme gestionnaire (business unionism) et l’émergence de ce qui est désigné comme un nouveau modèle, l’organizing model, recouvre, de fait, plusieurs dimensions. Elle procède d’une nouvelle allocation des ressources (avec une augmentation des cotisations) pour financer les expériences de syndicalisation, mais aussi de la mise en place de structures plus souples favorisant la mobilisation, et de la redécouverte de certains éléments de répertoire d’action syndicale (boycotts, manifestations festives, etc.). La conjonction de ces évolutions provient aussi d’un ensemble de trajectoires individuelles, avec l’engagement dans le syndicalisme de militants ayant eu d’autres types d’investissements associatifs [13].

5Dans le sillage de ces problématiques centrées sur l’analyse des tentatives de renouvellement des pratiques syndicales via des campagnes pour atteindre des salariés non organisés, cet article se propose d’étudier deux expériences locales menées par la CGT en direction de salariés précaires. Les enjeux de syndicalisation ne recouvrent pas exactement ceux de l’action syndicale face au processus de précarisation, même si l’importance des formes d’emplois atypiques dans le salariat d’exécution contribue à une forte distanciation de celui-ci vis-à-vis des organisations syndicales [14]. L’objectif de recrutement peut être formulé en des termes très généraux, sans que les effets produits par les différentes formes de précarité [15] soient pris en compte. Or, ce qui nous intéresse ici est justement la façon dont, au niveau local, des équipes syndicales se saisissent du problème de la représentation et de la défense des salariés précaires, et contribuent à poser, sur des bases très concrètes, le problème non seulement de la syndicalisation, mais aussi de la perpétuation de l’action collective. Cette entrée par le bas permet d’éclairer sous un autre jour ce qui se joue dans la confrontation quotidienne des militants syndicaux avec les limites de la forme de syndicalisme dans laquelle ils sont investis.

6Très présent lors du 48e Congrès confédéral de 2006 avec l’affichage de l’objectif du « million d’adhérents », le discours de la CGT sur la syndicalisation demeure très général. C’est à l’ensemble des structures et des militants de l’organisation, dans chaque fédération professionnelle, dans chaque union locale (UL) et union départementale (UD), qu’il est demandé de réaliser des adhésions afin de permettre au syndicat d’accroître son influence. L’initiative des actions à mener, leur traduction en campagnes ciblées, est d’ailleurs laissée à ces niveaux intermédiaires. En même temps, tout en donnant une très grande latitude à ces structures fédérées, la confédération ne cesse d’être confrontée à l’impératif de renouvellement de ses adhérents, mais aussi de ses bases militantes. Une certaine inflexion s’est ainsi produite au cours des années 2000 dans la conception de la politique de syndicalisation, dans la mesure où, après avoir réussi à stabiliser ses effectifs, la CGT est de nouveau entrée dans une période d’affaiblissement en raison de l’importance des départs à la retraite des générations nées juste après la Seconde Guerre mondiale. Suite à la définition d’un « plan national de syndicalisation » en 2004, des tentatives de coordination d’actions plus ciblées ont été lancées au niveau confédéral. De même, une réflexion est engagée sur les innovations à introduire dans les structures de l’organisation afin d’essayer de faire face à des situations d’éclatement du salariat, en raison de la sous-traitance et de l’intérim. Les expériences de syndicat de site sont ainsi encouragées, sans qu’il y ait pour autant – dimension sur laquelle nous reviendrons plus loin – de véritable systématisation de ces expériences ni une politique volontariste pilotée par la confédération avec des moyens spécifiques. Ce qui est présent dans le discours des instances confédérales est avant tout une rhétorique de changement et de valorisation de l’adhérent individuel : « Nous n’allons pas demander aux salariés de s’adapter à la CGT, mais nous allons bouger la CGT pour aller vers eux [16]. »

7Dans l’objectif de dépasser, justement, la dimension déclarative des discours produits au sommet de l’organisation, il semble indispensable de saisir de plus près les pratiques auxquelles ces incitations à des expériences innovantes de syndicalisation donnent lieu. Comme le note Mona-Josée Gagnon, l’une des postures de recherche sur le syndicalisme consiste le plus souvent à étudier le discours d’une organisation en postulant une continuité de celui-ci dans ses pratiques non discursives [17]. Une telle approche se révèle largement insuffisante pour comprendre ce qui se joue dans les tentatives menées au niveau local pour modifier les manières de faire militantes en matière de syndicalisation et, par là même, la conception des actions à mener pour atteindre en particulier les salariés connaissant différentes formes de précarité. Dans ces expériences locales se nouent des contradictions, qui ne sont pas nécessairement dites ni discutées par les militants, entre les attentes et la prescription de rôles que produit le syndicalisme comme institution et le potentiel de mobilisation que fait naître le déplacement du répertoire d’action.

8Les deux initiatives que nous étudions relèvent de terrains contrastés. L’une se déploie dans des entreprises de la métallurgie où l’implantation syndicale est ancienne et demeure relativement forte, l’autre dans le secteur du commerce, dénué de traditions d’organisation et de lutte. Les enjeux ne sont donc pas exactement les mêmes [18] : dans le premier cas, il s’agit pour le syndicat de se redéployer vers des catégories de salariés qu’il n’atteint pas et qui sont devenues majoritaires dans les postes d’exécution ; dans le deuxième, le défi est celui de l’implantation dans une entité – un centre commercial – dénué de représentation collective, où la quasi-totalité du salariat connaît des formes de précarité. Malgré leurs différences, ces deux initiatives parlent pourtant du même processus de mise à l’épreuve de l’organisation syndicale. Elles nous renseignent sur les tâtonnements qui existent à l’intérieur d’une même confédération et qui sont réalisés, quasiment en autonomie vis-à-vis des fédérations, par des individus ou parfois des collectifs militants confrontés à la nécessité de repenser le périmètre de l’influence syndicale. En même temps, ces expérimentations – dans le sens où elles soumettent l’organisation syndicale à des changements – sont loin de déboucher sur de la syndicalisation et, de ce point de vue, elles entrent en contradiction partielle avec une conception plus linéaire du renforcement de l’organisation. Atteindre et représenter les précaires renvoie à des difficultés et à une temporalité propres qui peuvent être sources de tensions dans le syndicat, dans la mesure où les résultats ne sont pas immédiats. Ce sont justement ces tensions que nous mettons au centre de notre analyse.

La première enquête a été réalisée entre 2005 et 2007 dans le cadre d’une recherche collective menée pour la DARES sur le thème « Syndicalisme et flexibilités ». Couvrant le site industriel de Renault Trucks à Vénissieux (Rhône), nous avons réalisé une quinzaine d’entretiens semi-directifs avec l’ensemble des membres du « Collectif emploi », tous délégués syndicaux ou élus du personnel CGT, observé trois réunions de cette instance et rassemblé toutes les archives (tracts, questionnaires, lettres aux élus, aux médias, dossier juridique) du collectif.
La deuxième enquête sur le centre commercial de la Part-Dieu (Lyon) a comporté plusieurs étapes, puisque nous avons d’abord étudié en 2005 et 2006 l’expérience de l’association Actes !, avant de retourner sur le terrain pour suivre la création du syndicat de site CGT. L’enquête se poursuit grâce à une équipe de recherche [19]. Nous avons réalisé à l’heure actuelle une vingtaine d’entretiens semi-directifs avec les animateurs du syndicat de site, des élus du personnel, des délégués syndicaux, des responsables de l’union locale, de l’union départementale et du comité régional CGT. Nous avons également observé trois réunions de « pilotage » de l’initiative. Les questionnements soulevés par le premier terrain nous ont conduits à intégrer un volet complémentaire dans cette deuxième enquête consacré aux salariés non syndiqués et à leur perception des possibles de l’action collective.

Vie et mort d’un collectif pour l’emploi des intérimaires dans l’automobile

9Comme nombre d’études l’ont pointé, la construction automobile est devenue à partir de la moitié des années 1990 l’un des premiers secteurs pour l’intérim [20]. Alors que le recours à cette forme d’emploi est théoriquement réservé aux périodes d’accroissement temporaire d’activité ou aux activités saisonnières, il sert dans ce secteur à transformer en profondeur le mode de gestion du personnel. Permettant de maintenir en permanence un volant de main d’œuvre mobile, l’usage massif de l’emploi intérimaire « agit de façon invisible comme levier managérial de mobilisation-disciplinarisation de la force de travail [21] ». Cette stratégie contribue à fragmenter les collectifs de travail et plus précisément la main-d’œuvre ouvrière, opposant de jeunes opérateurs condamnés à l’emploi précaire [22], sans horizon d’embauche, à des ouvriers plus âgés en emploi stable. Plusieurs clivages se superposent, renvoyant au rapport au travail, à l’entreprise, mais aussi à l’intériorisation de ces divisions. Les travaux de Stéphane Beaud et de Michel Pialoux ont particulièrement montré comment ces relations de concurrence et de subordination internes au groupe ouvrier sont reproduites dans le temps [23]. Elles le sont au travers des techniques de management, avec l’assignation de ces jeunes opérateurs dans des missions d’intérim à répétition (grâce à des définitions de postes légèrement transformées), mais aussi, de façon plus indirecte, au travers d’une acceptation de ces situations duales par les salariés en emploi stable et surtout par leurs représentants syndicaux.

10Le cas étudié ici, celui du site industriel de Vénissieux dans le Rhône, structuré autour de l’usine Renault Trucks (auparavant Renault Véhicules Industriels), de sa filiale Arvin Meritor et de ses sous-traitants historiques, Bosch et Koyo Smi, correspond pleinement à la situation qui vient d’être décrite. Depuis le milieu des années 1990, un volet massif d’intérimaires – que les syndicats vont estimer, au moment de leurs actions, entre 40 et 70 % de la catégorie ouvrière dans chacun de ces établissements – circule d’une entreprise à l’autre. Après dix-huit mois d’intérim dans l’une d’entre elles, ils sont embauchés par la seconde, puis par la troisième, etc., avant de revenir au point de départ, sans aucun droit à l’ancienneté, recommençant à chaque fois au bas de l’échelle des salaires horaires. Cette circulation est connue de tous. Les jeunes intérimaires portent même parfois dans l’entreprise le tee-shirt de celle où ils viennent d’achever leur mission. C’est donc un volant en quelque sorte captif de main-d’œuvre qui a été constitué par les directions de ces quatre entreprises, sous l’égide de Renault Trucks, sans que les syndicats, et notamment la CGT, organisation majoritaire, n’aient véritablement réagi. Une double distance s’est ainsi instaurée : entre les opérateurs en CDI et les opérateurs en intérim sur les chaînes de montage, entre ces derniers et les représentants du personnel qu’ils assimilent aux premiers. « Quelque part, explique un délégué syndical CGT, on s’était habitué à la situation. Cent, cent cinquante intérimaires en permanence, c’était devenu quelque chose de normal pour nous [24]. » Des pratiques discriminatoires sont ainsi tolérées au quotidien. L’une des plus marquantes – là encore relatée par un militant CGT après coup, soit après la mise en mouvement d’une partie du syndicat – se déroulait lorsque le management convoquait une ligne de production à une réunion : seuls les salariés en CDI arrêtaient alors le travail, profitant de ce qui constitue pour eux, de fait, une « heure de repos », tandis que les intérimaires restaient en poste, sans qu’aucun délégué syndical ne formule d’objection.

11Chez Renault Trucks et dans les entreprises qui l’entourent sur ce site industriel on observe donc, durant des années, une véritable apathie des syndicats à l’égard des conditions d’emploi et de travail des jeunes intérimaires. De plus, en ne s’opposant pas à la cristallisation de ces pratiques, les syndicats les cautionnent indirectement, tout en voyant peu à peu se réduire leur influence au noyau restreint des salariés en emploi stable. C’est d’ailleurs ce deuxième phénomène, plus que l’aspect critique d’une forme de consentement vis-à-vis des politiques de division de la main-d’œuvre, qui contribue à ouvrir un espace de discussion et d’initiative au sein de la CGT.

12

« Parce qu’on a fait le constat que quand on faisait des appels à la grève ou à l’action, quand t’as 50 % d’intérimaires sur une ligne de montage, ben le patron, il nous regarde partir déjà si t’arrives à faire partir 100 % des embauchés, c’est un exploit, alors 20 à 30 %. Et les intérimaires, ils ne sortaient pas. Parce qu’ils savent que s’ils se mettent en grève, à la fin de leur mission ils sont rayés en rouge. Nous ne sommes plus dans la capacité de créer un rapport de force parce qu’il y a des gens qui sont précaires et qui sont éjectables comme ça [25]. »

13La définition d’une ligne d’action syndicale différente vis-à-vis des salariés précaires naît principalement de ces inquiétudes par rapport à l’affaiblissement de la capacité à déclencher une action collective sur les lignes de production. Mais elle relève plus de la convergence de plusieurs facteurs que d’une seule cause. Un élément important provient de l’entrée dans le syndicat de quelques jeunes salariés qui ont connu des périodes d’intérim dans leur trajectoire professionnelle et qui s’étonnent que la CGT ne soit pas plus active dans la défense des salariés précaires. Leur attention au problème en lien avec leur expérience biographique et leur position syndicale – ils ne sont pas encore en responsabilité forte dans le syndicat, bien que déjà titulaires de mandats – contribue à faire d’eux les animateurs potentiels d’une démarche de syndicalisation en direction des intérimaires. De plus, il est intéressant de noter que ces jeunes militants, notamment celui qui prendra en charge la coordination de l’initiative, ne sont ni en rupture ni même critiques envers le syndicat CGT et ses responsables. Ils adhèrent au discours de l’organisation et se retrouvent en phase avec la façon dont la confédération appelle à des efforts spécifiques en direction des non-syndiqués. Enfin, un troisième facteur intervient avec l’interpellation dont fait l’objet le syndicat de la part de salariés intérimaires. En effet, quatre d’entre eux ont accepté de suivre les conseils syndicaux et d’entamer une procédure auprès des prud’hommes en raison d’irrégularités dans leur contrat. En fait, l’opération participe d’une démarche plus globale lancée depuis le début des années 2000 par la fédération des travailleurs de la métallurgie (FTM) de la CGT. La fédération s’efforce de judiciariser le maximum d’affaires, non seulement pour obtenir des compensations individuelles, mais aussi pour faire constater par la justice un usage de la main-d’œuvre intérimaire devenu structurel dans les entreprises du secteur automobile. Or la situation revêt une tournure différente lorsque les quatre salariés se retrouvent « interdits d’embauche » dans les trois autres entreprises du site contre lesquelles ils n’ont pourtant pas engagé de démarche judiciaire. Pour les syndicats de ces entreprises, et en particulier le plus important d’entre eux, la CGT chez Renault Trucks, la mise au ban de ces salariés les oblige à sortir du périmètre de leur seule entreprise pour envisager des interventions sur l’ensemble du site industriel.

14La conjonction de ces différents facteurs contribue à conférer une visibilité nouvelle à un phénomène qui jusqu’alors n’était pas dit, mais indirectement admis. Avec l’accord des structures existantes (les syndicats d’entreprise), quelques militants de la CGT décident de créer en 2005 un « collectif emploi » commun aux quatre établissements. L’une des premières tâches que se donne ce collectif dont la structuration reste souple – les réunions, qui se tiennent dans le local de la CGT de Renault Trucks, sont annoncées par courriel aux membres des syndicats, il n’y a ni mandat, ni poste officiel de secrétaire – consiste à produire un discours sur la précarité, à la mettre en mots. Ses animateurs sont tous titulaires de mandats (délégués du personnel, délégués syndicaux, élus au comité d’entreprise ou au comité d’hygiène et de sécurité) et bénéficient à ce titre d’heures de délégation. Ils vont d’abord s’atteler à mettre en forme un cadre d’interprétation syndical du phénomène de circulation des intérimaires entre les quatre entreprises en lançant une enquête qu’ils élaborent eux-mêmes. Il s’agit d’un questionnaire d’une page, relativement simple, permettant de noter pour chaque intérimaire le nombre de missions effectuées, les dates, les entreprises, le salaire. Si l’objectif est de rassembler des données et de pouvoir avancer des chiffres indépendamment de ceux fournis par les directions des ressources humaines, l’administration du questionnaire sert surtout à impliquer une part plus importante des militants CGT, par-delà la poignée des initiateurs. Il s’agit de collecter ces informations durant les heures de travail, en allant discuter sur la ligne de production, lors des pauses, avec les collègues intérimaires. L’opération pourrait constituer un acte élémentaire du travail syndical au quotidien, mais tel n’était plus le cas ; le processus de mise en visibilité des conditions d’emploi et de travail des intérimaires contribue à la redécouverte de modalités d’action telle que la tournée des ateliers. La passation du questionnaire, les discussions qu’elle favorise, permet de l’aveu même des militants les plus anciens de la CGT une (re)prise de contact avec toute une partie de la main-d’œuvre ouvrière, à la fois marginalisée et perçue sur un mode hostile. Les jeunes intérimaires cessent d’être vus comme simplement indifférents à l’action collective et peu investis dans leur travail – deux formes de dépréciation qui pointent avec récurrence dans le discours des militants syndicaux – pour devenir, au minimum, sources de questionnements. Lors d’une réunion du collectif que nous avons observée [26], l’un des animateurs raconte ainsi, à la pause, comment, suite à cette première opération, des jeunes de son quartier (les Minguettes) sont venus le saluer dans la rue, hors de l’espace de l’entreprise, ce qu’ils ne faisaient jamais auparavant, opérant une césure nette entre les deux espaces.

15Plus de trois cents questionnaires sont ainsi recueillis en quelques semaines dans les quatre entreprises et permettent au collectif, d’une part, de mener une première opération transversale et, d’autre part, d’avoir des éléments à présenter aux médias afin d’intéresser ces derniers. Un discours centré sur la dénonciation du « triangle de la précarité » (le groupe Renault et ses deux entreprises sous-traitantes) est ainsi établi pour désigner la connivence entre les entreprises de travail temporaire et les constructeurs automobiles. Deux caractéristiques importantes marquent le lancement de ce collectif. La première est que celui-ci mène une action qui est pensée comme extérieure au périmètre habituellement couvert par les syndicats dans l’entreprise. Il faut ainsi une structure ad hoc pour délimiter, en quelque sorte, l’intervention en direction des salariés précaires. En même temps, les militants ne cherchent pas à s’appuyer sur les structures territoriales déjà existantes dans la CGT, soit l’union locale, pour établir une jonction entre les entreprises. Ils préfèrent rester dans le domaine circonscrit de l’industrie métallurgique et ne cherchent pas à développer la dimension interprofessionnelle. Le collectif est donc transversal aux quatre entreprises, ce qui renvoie à une part d’innovation, mais révèle aussi une faible confiance des militants de la métallurgie dans la capacité à agir des structures déjà existantes, telle l’UL. La deuxième singularité de ce collectif est que sa dizaine d’animateurs décident de ne pas viser, de façon immédiate, la syndicalisation des intérimaires. Un tel objectif est jugé irréalisable par les militants, au regard de leurs expériences de terrain. Ils considèrent qu’il leur faut d’abord obtenir une transformation massive des emplois intérimaires en emplois stables pour atteindre les salariés précaires, en faisant la démonstration d’une efficacité réelle de l’action collective.

16La syndicalisation est dès lors pensée comme une étape ultérieure, une fois la légitimité du syndicalisme établie au travers de l’obtention d’avancées. Les réunions du collectif sont ouvertes aux intérimaires, mais peu y participent de fait. Le seul moment où les militants CGT réussissent à élargir leur cercle est lorsqu’ils organisent des manifestations « kleenex », consistant à lancer des mouchoirs en papier symboles des salariés jetables, dans les halls des entreprises d’intérim aux Minguettes, à Vénissieux ou à Saint-Priest. De façon symbolique, les animateurs du collectif cherchent à relier les deux bouts de la chaîne : depuis le lieu du recrutement jusqu’aux directions des ressources humaines des entreprises qui organisent la rotation de la main-d’œuvre intérimaire. L’ensemble des délégués du personnel CGT est ainsi formé pour lancer, de façon simultanée et durant une semaine en janvier 2006, un contrôle des registres du personnel dans les quatre entreprises. L’opération ne débouche cependant pas sur de nouveaux dépôts de plaintes. Le relais est plutôt recherché du côté de l’Inspection du travail et de la direction départementale du travail et de l’emploi (DDTE). Lors d’une conférence de presse, les membres du collectif remettent ainsi au directeur de celle-ci les photocopies de mille dossiers où figurent des irrégularités. Cette interpellation de la puissance publique, qui se double de courriers en direction des élus, vise à publiciser l’action, mais aussi à gêner les entreprises dans leur communication externe. L’idée est moins de déclencher de nouvelles affaires judiciaires que de pousser, peu à peu, les directions d’entreprise à céder et à embaucher. Mais c’est finalement la victoire obtenue au tribunal des prud’hommes par les quatre salariés dont la situation est à l’origine du collectif qui ouvre la brèche à une plus large victoire syndicale : environ trois cents intérimaires obtiennent ainsi fin 2006 la requalification de leurs postes en contrats à durée indéterminée (CDI).

17En quelques mois, cette initiative syndicale réussit à rassembler un certain nombre de ressources, tant sur le plan juridique que dans la mise au point de techniques d’action et d’intervention. Les opérations telles que le questionnaire et les manifestations « kleenex » en dehors des usines et, bien sûr, le grand nombre d’embauches obtenues contribuent à infléchir et les modalités d’action de la CGT et l’image du syndicat dans ces entreprises. Les adhésions d’anciens intérimaires ayant obtenu un CDI demeurent cependant limitées dans les quatre établissements. Or cette absence de résultats tangibles sur le plan de la syndicalisation – telle qu’elle est vue par l’organisation et sans qu’il y ait de véritables démarches pour en saisir les motifs – contribue à la mise en sommeil progressive du collectif. Les animateurs de ce dernier, repérés par la fédération de la métallurgie (dont les syndicats de l’entreprise Renault représentent une composante importante), se voient proposer des mandats plus importants, devenant des éléments à promouvoir dans une politique de renouvellement des « cadres ». Loin de les libérer de leurs tâches pour développer davantage l’expérience en direction des précaires et pour contribuer à la diffusion de celle-ci, l’organisation les aspire. Durant le deuxième semestre de 2007, les réunions du collectif commencent à s’espacer. Elles deviennent de plus en plus rares en 2008, sans que celui-ci ne soit officiellement dissous. Plusieurs phénomènes se conjuguent : les militants qui y participaient sont pris par les affaires internes au sein de leurs établissements et ne parviennent plus à dégager du temps pour faire vivre le collectif ; les stratégies des DRH changent, avec l’acquisition d’un logiciel de suivi plus strict de l’emploi intérimaire.

18Cette gestion des ressources et des savoir-faire militants au sein du syndicat est l’un des éléments qui contribuent à la faible capitalisation de telles expériences. Certes, l’exemple du collectif emploi circule dans la fédération ; il est présenté lors des congrès fédéraux et même lors du congrès confédéral en 2006. Pour autant, l’exemple semble se suffire à lui-même : il n’ouvre pas la porte à une politique volontariste – à l’image de celles mises en œuvre dans le syndicalisme étatsunien –, qui serait pensée à partir d’un retour critique sur les limites rencontrées. Plusieurs caractéristiques de l’expérience sont, de fait, significatives de la façon dont la CGT tente d’investir le terrain de la syndicalisation des précaires. En premier lieu, la démarche n’est jamais envisagée sous l’angle de la coopération intersyndicale. Première organisation chez Renault Trucks sur le plan électoral comme en termes d’adhérents, la CGT n’est pas menacée dans cette entreprise par un autre syndicat qui lui contesterait le monopole de la combativité (SUD-RVI n’est implanté que sur le site normand de Blainville). Dans ce contexte, l’enjeu de la défense des salariés précaires n’est pas appréhendé comme décisif au point de chercher un terrain d’entente avec les autres organisations. En second lieu, si la syndicalisation est pensée comme le résultat possible d’un rétablissement de la crédibilité de l’action collective, elle est envisagée dans un temps très court. Elle doit logiquement faire suite à la victoire syndicale que représente la requalification des emplois. Le fait qu’elle puisse relever d’un processus plus long semble entrer en contradiction avec le rythme interne et les logiques de l’organisation. Enfin, le collectif emploi n’a pas réussi à créer les conditions pour que se structure une représentation durable des salariés précaires ni surtout pour qu’émerge une représentation assumée par les intérimaires. Les porte-parole des salariés précaires se sont institués comme tels, tout en appartenant non seulement au monde des salariés en emplois stables, mais aussi à celui des militants syndicaux. Or, si l’un des enjeux pour le syndicalisme consiste, à travers l’acte de représentation, à produire le groupe en exprimant un certain nombre de solidarités, à rassembler diverses fractions du salariat en façonnant des principes de cohésion [27], le groupe des intérimaires reste, en l’occurrence, un groupe « parlé [28] ».

Produire du collectif dans un centre commercial : à la recherche de points d’appui

19La deuxième expérience étudiée concerne le secteur tertiaire et plus précisément le commerce puisqu’il s’agit d’implanter un syndicat de site dans un des plus grands centres commerciaux établis en zone urbaine, celui de la Part-Dieu à Lyon. La comparaison repose ici sur la configuration prise par l’initiative, lancée non pas dans l’entreprise, mais dans l’environnement immédiat de celle-ci afin d’atteindre des salariés que le syndicalisme, de fait, n’organise pas. Or, là encore, les militants ne vont pas faire appel à l’existant – soit l’union locale –, mais ils tentent d’inventer de nouvelles formes syndicales, de façon très fortement autonome vis-à-vis des autres structures de la CGT.

20Le centre commercial de la Part-Dieu, vaste ensemble de 3500 salariés, ne constitue pas à proprement parler un désert syndical puisque des sections (pour la CFDT et FO), des syndicats d’entreprise (pour la CGT et SUD) existent dans les grandes enseignes, telles que le BHV, Carrefour, les Galeries Lafayette, la FNAC… Pour autant, quelques données permettent d’objectiver une présence syndicale particulièrement faible et surtout des dispositifs institutionnels de représentation des salariés relativement rares. Seules cinq enseignes disposent effectivement, sur place, d’un comité d’entreprise (CE) et d’un comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), ces institutions représentatives du personnel (IRP) n’existant qu’au niveau national pour les autres établissements qui relèvent de groupes. Surtout, seuls 80 magasins sur 230 comptent plus de onze salariés. Espace de travail où se cumulent les formes de précarité, à commencer par la prédominance des temps partiels et des horaires éclatés pour un salariat majoritairement féminin, le centre commercial renvoie à des employeurs multiples, depuis le petit patron de la boutique franchisée à l’administrateur du site qui décide notamment des horaires de fermeture et d’ouverture de celui-ci. Le contexte est donc particulièrement compliqué pour l’action syndicale, le caractère privé du centre et la faible visibilité du pouvoir de son gestionnaire venant renforcer les difficultés d’implantation spécifiques au secteur du commerce en raison de la taille des entreprises et de la forte rotation de la main-d’œuvre. En décembre 2006, la direction du centre a ainsi décidé de prolonger son ouverture jusqu’à vingt heures (soit une demi-heure supplémentaire) sans que les contraintes qui en ont découlé, en termes de transports pour les salariés mais aussi de réorganisation des temps de travail, n’aient déclenché de réaction organisée.

21Créer une structure transversale susceptible de parler au nom de l’ensemble des salariés de la Part-Dieu, et non des salariés de telle ou telle entreprise, constitue dès lors presque une gageure pour des organisations syndicales qui ne disposent même pas de locaux dans les parties communes du centre. Au début des années 2000, devant les difficultés à obtenir la moindre avancée de la part de la direction pour instaurer un lieu de négociation et notamment un CE inter-entreprises, une initiative est lancée par des militants syndicaux présents dans plusieurs enseignes, et en particulier une militante CGT de la FNAC. Leur idée est de créer une association destinée à promouvoir les pratiques culturelles des salariés du site, afin d’instaurer un lieu de rencontre et de favoriser l’établissement de liens interpersonnels. En effet, l’absence d’un espace commun aux salariés – qui ne soit pas celui des galeries marchandes – constitue l’un des obstacles à toute initiative collective. Bien qu’ils travaillent dans le même lieu, les salariés, une fois passée la devanture de chaque enseigne, ne se connaissent pas. La démarche est à l’origine syndicale, mais ces initiateurs ne souhaitent pas l’afficher en tant que telle : l’association réunit des élus du personnel de toutes les organisations présentes dans le centre commercial et affiche avant tout son objectif culturel (résidences d’artistes et promotion d’activités telles que la constitution d’une fanfare des salariés).

22Alors qu’elle est au départ soutenue par la municipalité et par des institutions comme la Direction régionale des affaires culturelles (DRAC), l’initiative se heurte à de fortes réticences de la part des responsables du secteur commerce de la CGT au sein de l’union départementale. Les animateurs du projet, en se situant dans un registre non revendicatif, tentent de susciter la participation ponctuelle des salariés et de créer du collectif, malgré l’éclatement des temps de travail. Or une telle démarche n’est pas identifiée comme relevant du périmètre syndical par les permanents de l’UD. De plus, la dimension intersyndicale de l’association déplaît fortement à ces mêmes responsables qui entendent privilégier des expériences strictement liées à la CGT. Enfin, l’association demeure très fragile en termes d’investissements militants. Elle subit à la fois le contrecoup de la surcharge d’activités des représentants du personnel impliqués dans leur propre entreprise (la période est celle de la négociation des trente-cinq heures) et du retrait soudain de ceux qui voient leurs contrats à durée déterminée (CDD) non reconduits ou leurs emplois supprimés.

23Cette forte hétéronomie du collectif par rapport à la précarité de l’emploi, mais aussi du travail, contribue à épuiser les forces militantes, d’autant plus que les animateurs de l’association ont aussi à lutter contre la série d’incompréhensions qui marquent leurs relations avec les rares syndicats CGT du centre commercial. Les élus CGT du comité d’entreprise de Carrefour (soit 500 salariés sur 3500) dénient ainsi progressivement tout intérêt à une structure qui investit un domaine culturel à leurs yeux relativement marginal, alors qu’ils souhaitent avancer d’autres revendications comme un parking gratuit et une crèche. Active en 2002 et 2003, l’association connaît d’importantes difficultés l’année suivante et se tourne, peu à peu, vers une activité plus mémorielle (exposition photographique sur le vécu au travail dans le centre, réalisation d’entretiens, etc.).

24Sans qu’un premier bilan soit tiré de cet échec, une nouvelle initiative est lancée sous l’impulsion de la Direction régionale du travail par le comité régional CGT. Des premières réunions se tiennent à partir de décembre 2006 et ont pour finalité de réunir tous les élus et syndiqués CGT présents dans le centre commercial. Ayant obtenu un financement sur la question de la santé au travail, l’organisation cherche à instaurer « un dialogue social » et entend mettre en place un délégué CHSCT de site. L’objectif sera assez vite revu à la baisse, faute de répondant du côté de l’administrateur du centre, pour laisser place à la création d’un syndicat de site CGT. Les conditions de mise en œuvre de cette expérience sont là encore révélatrices du mode de fonctionnement de la centrale. Le militant en charge de la nouvelle entité, le syndicat de site, est adhérent depuis moins de trois ans; il s’agit d’un cadre, directeur adjoint d’un bowling, qui a connu des problèmes personnels avec la direction de son entreprise et qui explique vouloir utiliser autrement, désormais, ses compétences. Sa connaissance des rouages internes de la CGT demeure assez limitée et il rencontre au début de réelles difficultés pour rassembler les coordonnées des syndiqués.

25

« C’était des contacts qui, au départ, étaient très éclatés. Puisqu’il y avait des contacts qui étaient au sein de l’UD, d’autres contacts qui étaient au sein de l’UL, d’autres contacts qui étaient au niveau de l’union syndicale commerce et services du département [29]. »

26L’opération qui consiste à mutualiser les moyens sur un site donné correspondant cependant aux grandes lignes d’action votées lors du 48e congrès confédéral, ce militant bénéficie d’une sorte de blanc-seing des structures, tout en demeurant relativement isolé. En février 2008, le syndicat de site, « Oxygène Part-Dieu [30] », est officiellement institué, avec quarante-cinq adhérents sur le papier et quinze présents, délégués du personnel ou simples adhérents. L’un des buts poursuivis consiste pour ce syndicat de site à se substituer progressivement aux syndicats existant dans les enseignes, lesquels deviendraient à terme de simples sections. Mais, malgré son caractère novateur et apparemment ouvert, l’initiative pâtit d’un manque de participation effective. Les postes de responsabilité sont partagés entre les rares présents : outre le directeur adjoint du bowling, une salariée de Carrefour, caissière, joue un rôle important. Mais, le fait qu’elle réussisse quelques mois plus tard un concours d’entrée à la SNCF prive le syndicat de site d’un de ses membres les plus actifs. Surtout, la nouvelle structure peine à déployer des modalités d’action innovantes : les distributions de tracts dans les allées du centre commercial comme une tentative pour installer un piquet de grève le premier jour des soldes en juillet 2008 déclenchent l’intervention des services de sécurité qui interdisent toute immixtion dans un « espace privé ». Cherchant à définir les problèmes communs aux salariés du site – le bruit, l’absence de lumière, la foule –, le syndicat de site parvient avec peine à réunir de façon ponctuelle les quelques syndiqués CGT. Mais une partie d’entre eux continue à lui échapper. Les plus gros syndicats (Carrefour, Darty, etc.) hésitant à rentrer dans une démarche de mutualisation des revendications, le collectif s’évertue à créer des implantations nouvelles dans des petites enseignes tout en se confrontant à l’existence de multiples conventions collectives et de cinq champs fédéraux différents pour la CGT [31]. Il tend surtout à servir de centre de ressources juridiques pour les syndiqués isolés, remplaçant malgré lui l’union locale dans l’une de ses fonctions.

27À la différence du collectif pour l’emploi des intérimaires dans la métallurgie du Rhône, les initiatives menées à la Part-Dieu révèlent un certain nombre d’hésitations sur les formes et les revendications à adopter. Plusieurs pistes sont avancées – CE inter-entreprises, CHSCT de site – avant que la priorité ne soit donnée à la construction d’un syndicat de site. Si l’objectif affiché est bien de multiplier le nombre d’implantations dans les enseignes, en prenant en compte les caractéristiques propres au salariat du centre, il est implicitement considéré comme extrêmement difficile à atteindre par les militants engagés dans l’expérience. Ces derniers semblent d’ailleurs miser sur la reconnaissance de la dimension institutionnelle d’une forme de dialogue social avec la direction du centre pour conférer à la fois visibilité et efficacité à leur démarche. En ce sens, c’est davantage le « syndicat institution » que le « syndicat mouvement [32] » qui est vu ici comme un moyen pour produire une représentation collective des salariés, à l’opposé des changements internes analysés par Kim Voss et Rachel Sherman via l’apparition de formes plus combatives dans des organisations bureaucratisées [33]. Après l’échec d’un piquet de grève en juin 2008, lors du premier jour des soldes, le responsable du syndicat de site explique ainsi :

28

« C’est que, passé une époque, on avait prévu une opération, on rentrait en force dans le magasin, on distribuait les tracts, on hurlait, on braillait, puis on repartait. Et les faits n’étaient pas souvent positifs puisque les clients se sentaient agressés, les employés se sentaient agressés et la revendication ne passait pas. Donc, où est le bien-fondé ? C’est qu’à un moment il faut trouver d’autres formes. Et puis une autre forme qu’on aimerait bien voir créer, c’est la reconnaissance du syndicat de site par les entités du centre commercial et puis de pouvoir instaurer un dialogue [34]. »

29La quête de ressources du côté institutionnel peut paraître d’autant plus étonnante que la direction du centre commercial n’a jamais donné de signe d’ouverture vis-à-vis de dispositifs de concertation et de négociation auxquels elle n’est en rien contrainte. Elle reflète là encore une très forte incertitude, vécue en interne, quant au potentiel de cette nouvelle structure qu’est le syndicat de site et à sa pérennisation. Si ses animateurs sont parvenus à réaliser des adhésions – les membres sont passés de quarante-cinq à une soixantaine en quelques mois –, celles-ci demeurent en nombre bien trop réduit pour prétendre à une réelle représentativité des salariés du centre et pour créer un rapport de force. De plus, les difficultés à enclencher des actions collectives contribuent à la fragilité d’un dispositif nouveau qui attend finalement sa légitimité, mais aussi sa capacité à obtenir des résultats, de sa reconnaissance par un employeur peu saisissable.

L’organisation des précaires : un objectif qui demeure subordonné

30Différentes de par le secteur d’activité où elles sont lancées, de par leurs résultats, ces initiatives locales nous semblent parlantes de la façon dont l’enjeu du redéploiement de l’action syndicale est vécu, en actes, dans la CGT. Dans les deux cas, il n’est jamais question de simplement susciter des adhésions individuelles : ce qui est pensé est bien le rapport à des salariés inorganisés qui sont, de plus, des salariés précaires. Or le fait de s’affronter à ces situations sociales conduit les équipes syndicales ou parfois simplement quelques militants, à essayer de modifier le cadre organisationnel dont ils disposent, mais aussi à rechercher les modalités d’action plus appropriées. À chaque fois, une étape préalable consiste à faire exister ce qui n’était pas couvert jusqu’alors par le syndicat ou les syndicats existants, à donner une visibilité aux salariés précaires par le discours, mais aussi par la création de nouvelles structures.

31Pour autant, plusieurs points communs montrent combien la question de la prise en charge des précaires est finalement peu pensée dans la CGT et demeure en-deçà d’un objectif général, et d’une certaine façon contraignant, de syndicalisation. En effet, l’un des obstacles majeurs que rencontrent ces expérimentations provient de l’absence de clarté quant à leur finalité première. En raison même des difficultés objectives qui procèdent des situations de précarité, ces initiatives sont dès le départ condamnées à n’obtenir que de faibles résultats en termes d’adhésions. Comme le montre bien l’exemple américain, l’organisation progressive des précaires implique une temporalité beaucoup plus longue ainsi qu’un surcroît de moyens attribués à des opérations dont la fragilité est évidente. Le fait de consacrer un lourd travail militant à faire exister la référence syndicale dans un univers salarial où elle a disparu pourrait être un objectif intermédiaire, revendiqué comme tel par l’organisation. Or tel n’est pas le cas. Cela contribue à ce que ces expériences de redéploiement soient vues au travers de logiques multiples et éclatées. Il n’y a pas un sens dominant – les poser par exemple comme des priorités – imposé par la confédération, et le caractère équivoque de ces initiatives n’est pas non plus au centre de luttes politiques au sein de l’organisation, ce qui pourrait contribuer à leur donner plus d’importance et à rompre l’isolement dans lequel les militants se retrouvent peu à peu.

32L’autonomie dont disposent, de fait, les équipes syndicales dans la CGT, avec sans doute une accentuation au cours des années 2000 du poids des fédérations et un affaiblissement des structures territoriales, se révèle à double tranchant. Ces expériences sont saluées, mais elles ne sont que peu soutenues. Toutes deux conservent un statut que l’on pourrait qualifier de relativement périphérique dans la CGT, y compris au niveau local. Pourtant, l’une et l’autre ne sont pas menées en marge du syndicat (à l’exception du lancement de l’association culturelle), mais bien avec l’aval des instances départementales et régionales, voire du syndicat d’entreprise chez Renault Trucks. Ponctuellement valorisées dans le discours officiel des dirigeants syndicaux (notamment lors de congrès), elles ne donnent cependant pas lieu à une redistribution des moyens logistiques, financiers et militants. Les dispositifs d’action pensés pour atteindre des salariés non organisés, pour les syndiquer à terme, demeurent ainsi appréhendés comme un complément et non comme une priorité par les permanents des UL et des UD. De plus, l’absence de résultats tangibles en termes de syndicalisation chez Renault Trucks a conduit à une marginalisation très rapide du collectif, situation que ces animateurs regrettent mais à laquelle ils ne s’opposent pas, étant eux-mêmes aspirés par le fonctionnement régulier du syndicat.

33Contrairement à ce qui se passe dans le syndicalisme américain dès lors qu’une campagne ciblée a été établie, ces efforts de déploiement en direction de salariés précaires ne font pas l’objet d’une démarche cumulative et réflexive au niveau d’une fédération ou de la confédération. Les expériences demeurent parcellaires. Les animateurs de l’association culturelle à la Part-Dieu ont ainsi quitté l’entreprise et le syndicat sans qu’aucune discussion n’ait eu lieu au sujet des problèmes rencontrés. Bien qu’elles ne soient pas portées par des opposants ni par des militants venant d’autres univers associatifs, éloignés du syndicalisme – ce qui pourrait conduire à les disqualifier a priori –, ces initiatives se heurtent à une profonde tendance à l’inertie des structures déjà existantes. De ce fait, si l’idée de « faire bouger » la CGT pour aller vers les salariés ne cesse d’être répétée dans l’organisation, à partir des injonctions de la direction confédérale, cette mise en mouvement demeure peu coordonnée et n’enclenche pas de remise en cause du type de syndicalisme qui est effectivement mis en œuvre. Une véritable déperdition des savoirs nés de l’expérimentation en découle. Les militants de la Part-Dieu ignorent tout par exemple des tentatives de création d’un syndicat de site pourtant menées par la CGT au centre commercial Euralille. Un tel état de fait parle avant tout de la faiblesse organisationnelle d’une confédération qui ne parvient pas à faire circuler en interne une réflexion sur des innovations pourtant présentées comme nécessaires. Mais il renvoie, là encore, au statut subordonné de telles expériences par rapport à un objectif global de syndicalisation dont l’énoncé demeure relativement abstrait.

Notes

  • [1]
    Prisme que pointait déjà G. Ubbiali en 1993, cf. Ubbiali (G.), « Syndicalisme en crise, syndicalisme en mutation : note critique », Politix, 23, 1993 ; pour une exploration critique de la référence à l’exceptionnalité française, cf. Chafer (T.), Godin (E.), eds, The French Exception, New York, Berghahn Books, 2005.
  • [2]
    Avec la création des premiers SUD en 1989, puis l’éclatement de la FEN, la constitution de l’UNSA et de la FSU en 1993-1994, et enfin les départs successifs d’équipes militantes de la CFDT à la suite des mouvements de 1995 et de 2003 liés à la réforme des retraites. Cf. Béroud (S.), « La rébellion salariale », in Crettiez (X.), Sommier (I.), dir., La France rebelle, Paris, Michalon, 2006.
  • [3]
    Parmi les facteurs externes, R. Mouriaux retient notamment la restructuration de l’appareil productif, le maintien d’un chômage massif et l’évolution des formes d’emplois, ainsi que la crise des grandes représentations du monde, révolutionnaire, réformiste ou inspirée du christianisme social. Parmi les facteurs internes, D. Andolfatto et D. Labbé insistent pour leur part sur le décalage entre les profils socio-professionnels des syndiqués au regard de l’ensemble du salariat, sur les modes d’organisation et les pratiques mise en œuvre. Cf. Mouriaux (R.), Crises du syndicalisme français, Paris, Montchrestien, 1998 ; Andolfatto (D.), Labbé (D.), Sociologie des syndicats, Paris, La Découverte, 2000.
  • [4]
    Duriez (B.), Sawicki (F.), « Réseaux de sociabilité et adhésion syndicale. Le cas de la CFDT », Politix, 16 (63), 2003 ; Ben Soussan (M.), Henri (A.), Piotet (F.), Siblot (Y.), Wagner (A.-C.) et al., La CGT : une configuration militante dans sa diversité. L’adhésion syndicale : dynamique de groupe, contraintes et individualisme, rapport de recherche, CGT-IRES, 2007.
  • [5]
    Parmi quelques références particulièrement marquées par cette lecture normative du « bon modèle » syndical : Amadieu (J.-F.), Les syndicats en miettes, Paris, Seuil, 1999 ; Donnadieu (G.), « Où va le syndicalisme français ? », Futuribles, 234, 1998 ; Andolfatto (D.), Labbé (D.), « La transformation des syndicats français, vers un nouveau “modèle social” », Revue française de science politique, 52 (2), 2006.
  • [6]
    Andolfatto (D.), Labbé (D.), Histoire des syndicats (1906-2006), Paris, Seuil, 2006, p. 348.
  • [7]
    Fantasia (R.), Voss (K.), Des syndicats domestiqués, Répression patronale et résistance syndicale aux États-Unis, Paris, Raisons d’agir, 2003 ; Tilman (R. M.), Cummings (M. S.), eds, The Transformation of US Unions, Lynne Rienner Publishers, Boulder, 1999 ; Turner (L.), Katz (H.), Hurd (R. W.), eds, Rekindling the Movement. Labor’s Quest for Relevance in the Twenty-First Century, Ithaca, Cornell University Press, 2001.
  • [8]
    Heery (E.), Adler (L.), « Organizing the Unorganized », in Frege (C. M.), Kelly (J.), eds, Varieties of Unionism. Strategies for Union revitalization in a Globalizing Economy, Oxford, Oxford University Press, 2004.
  • [9]
    En particulier en ce qui concerne la syndicalisation dans le secteur du nettoyage : sur la campagne américaine, cf. Howley (J.), « Justice for Janitors: the Challenge of Organizing in Contact Services », Labor Research Review, 15, 1990 ; sur l’importance de ce modèle de syndicalisme au Royaume-Uni : Heery (E.) et al., « Organizing Unionism Comes to the UK », Employee Relations, 22, 1, 2000 ; Scandella (F.), « Tel un phénix renaissant des poussières : renouveau syndical dans le secteur du nettoyage », in Béroud (S.), Bouffartigue (P.), dir., Quand le travail se précarise, quelles résistances collectives, Paris, La Dispute, 2009, à paraître.
  • [10]
    Voss (K.), Sherman (R.), « Breaking the Iron Law of Oligarchy: Union Revitalization in the American Labor Movement », American Journal of Sociology, 106 (2), 2000.
  • [11]
    En particulier le syndicat des employés de service (Service Employees International Union, SEIU). Ces divergences dans la conception de la centralité des campagnes de syndicalisation et sur le type de syndicalisme à promouvoir ont débouché sur l’éclatement de l’AFL-CIO, sept syndicats représentant 40 % des effectifs ayant fait sécession en 2005 : Debouzy (M.), « La scission de l’AFL-CIO : pour quoi faire ? », La Pensée, 350, 2007.
  • [12]
    Fantasia (R.), Stepan-Norris (J.), « The Labor Movement in Motion », in Snow (D.), Soule (S. A.), Kriesi (H.), eds, The Blackwell Companion to Social Movements, Londres, Blackwell, 2004.
  • [13]
    Isaac (L.), McDonald (S.), « Takin’It from the Streets: How the Sixties Mass Movement Revitalized Unionization », American Journal of Sociology, 112 (1), 2006.
  • [14]
    Amossé (T.), « Mythes et réalités de la syndicalisation en France », Premières synthèses, Dares, 44-2, 2004 ; Le Lay (S.), « Précarisation salariale et souffrance sociale : une transformation de la gouvernementalité des classes populaires », ¿ Interrogations ?, 4, 1997.
  • [15]
    Sur l’analyse des effets de la précarité sur l’action collective, cf. Boumaza (M.), Pierru (E.), « Des mouvements de précaires à l’unification d’une cause », Sociétés contemporaines, 65, 2007.
  • [16]
    Intervention d’ouverture de Bernard Thibault, 48e Congrès confédéral de la CGT, 24 avril 2006, document de congrès, p. 22.
  • [17]
    Gagnon (M.-J.), « Le syndicalisme : du mode d’appréhension à l’objet sociologique », Sociologies et sociétés, 23 (2), 1991.
  • [18]
    Sur cette différenciation dans le rapport aux précaires selon le secteur d’activité : Bouffartigue (P.), « Précarités et action collective : entre mobilisations autonomes et initiatives syndicales. Questions pour une recherche », in Actes des Xe Journées internationales de sociologie du travail, 2005.
  • [19]
    Composée de Christine Pitiot, Élise Roullaud et Boris Themanns.
  • [20]
    Le taux de recours moyen à l’intérim varie à partir de cette période entre 10 et 12 % de l’effectif global des entreprises. Cf. Bouquin (S.), La valse des écrous. Travail, capital et action collective dans l’industrie automobile, Paris, Syllepse, 2006, p. 155 ; Gorgeu (A.), Pialoux (M.), Mathieu (R.), Organisation du travail et gestion de la main-d’œuvre dans la filière automobile, Dossier du Centre d’études de l’emploi, 1998.
  • [21]
    Bouquin (S.), ibid., p. 155.
  • [22]
    Pialoux (M.) « Jeunes sans avenir et travail intérimaire », Actes de la recherche en sciences sociales, 26-27, 1979.
  • [23]
    Beaud (S.), Pialoux (M.), Retour sur la condition ouvrière. Enquête aux usines Peugeot de Sochaux-Montbéliard, Paris, Fayard, 1999.
  • [24]
    Entretien avec un délégué syndical d’Arvin Meritor, membre du « Collectif Emploi », décembre 2006.
  • [25]
    Entretien avec un délégué syndical CGT, animateur du « Collectif Emploi » Renault Trucks, janvier 2007.
  • [26]
    Réunion du Collectif emploi métallurgie du Rhône, local CE Renault Trucks, Vénissieux, décembre 2007.
  • [27]
    Dufour (C.), Hege (A.), « Emplois précaires, emploi normal et syndicalisme », Chronique internationale de l’IRES, 97, 2005, p. 16.
  • [28]
    Bourdieu (P.), « Une classe objet », Actes de la recherche en sciences sociales, 17-18, 1977.
  • [29]
    Entretien avec le secrétaire du syndicat de site CGT-Part-Dieu, septembre 2008.
  • [30]
    Le nom du syndicat provient de la construction, en cours, d’une deuxième tour « Oxygène » et de l’extension à venir, en 2010, du centre commercial.
  • [31]
    Les différentes enseignes du centre commercial relèvent de la fédération du commerce, de celle de l’agro-alimentaire, du spectacle, des télécoms et des ports et docks (pour le nettoyage).
  • [32]
    Pour reprendre ici une distinction proposée in Groux (G.), Mouriaux (R.), La CGT : crises et alternatives, Paris, Economica, 1992, p. 284-298.
  • [33]
    Voss (K.), Sherman (R.) « Breaking the Iron Law of Oligarchy…», art. cit.
  • [34]
    Entretien avec le secrétaire du syndicat de site CGT-Part Dieu, septembre 2008.
Français

Résumé

Cet article analyse deux tentatives menées par des équipes syndicales de la CGT pour organiser des salariés précaires, l’une dans un site de construction automobile, l’autre dans un centre commercial. Les efforts pour toucher ces salariés, pour adapter les revendications et les modalités d’action à leurs conditions de travail, s’entrecroisent avec les objectifs de syndicalisation, sans les recouvrir complètement. Des tensions en découlent, l’action en direction des précaires relevant d’une temporalité longue pour aboutir éventuellement à des adhésions et posant de nombreuses difficultés aux syndicats. De ce fait, les équipes qui se lancent dans ces expériences de redéploiement se retrouvent peu soutenues par les structures syndicales interprofessionnelles et s’épuisent vite, soit parce que les militants sont aspirés par d’autres tâches, soit parce qu’ils sont soumis eux-mêmes à la précarité. Les deux cas étudiés permettent, dès lors, de réfléchir à la façon dont une organisation comme la CGT envisage l’extension de son champ d’influence et hiérarchise, de façon implicite, ses priorités.

Sophie Béroud
Sophie Béroud est maître de conférences en science politique à l’Université Lyon 2, membre du laboratoire TRIANGLE (UMR 5206, ENS-LSH, IEP, Lyon 2). Spécialiste des transformations contemporaines du syndicalisme français, elle travaille également sur l’évolution des grèves. Parmi ses publications : La lutte continue ? Les conflits du travail dans la France contemporaine, Éditions du Croquant, 2008 (avec Guillaume Desage, Jean-Michel Denis, Baptiste Giraud et Jérôme Pélisse).
sophie.beroud@univ-lyon2.fr
Mis en ligne sur Cairn.info le 30/03/2009
https://doi.org/10.3917/pox.085.0127
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