CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1« Le caractère historique de ma confirmation ne m’échappe pas […] », déclare la représentante du Nouveau Mexique Deb Haaland en mars 2021 après la validation par le Sénat américain de sa nomination au poste de Secrétaire à l’intérieur. « Il est difficile de ne pas ressentir l’obligation de protéger cette terre, et je crois que c’est une chose que tous les autochtones de ce pays comprennent », poursuit celle qui est la première femme amérindienne à occuper ce poste [1]. L’événement revêt une dimension d’autant plus symbolique que deux mois auparavant, Donald Trump avait cédé le refuge faunique national de l’Arctique à l’industrie pétrolière pour la somme dérisoire de quinze millions de dollars. La transaction aurait dépossédé la tribu des Gwich’in des 6 500 km2 de terre qui fournissent les ressources nécessaires à leur subsistance. Elle aurait également entraîné la destruction de l’habitat naturel des ours polaires, des loups, comme de nombreuses espèces d’oiseaux migrateurs, et privé les caribous de leur aire de mise bas [2]. Si la transaction n’a pas encore été officiellement annulée par l’administration Biden, les acteurs de la cause environnementale ont pu se réjouir de l’arrêt momentané du forage dans la réserve de l’Alaska et du moratoire sur l’exploitation des réserves fédérales de gaz et de pétrole, décrétés par le président dès son investiture.

2 Les nominations aux postes clés pour la politique environnementale confirment elles aussi la volonté de Joe Biden de rompre avec l’administration Trump, tout autant qu’elles montrent une conscience accrue des enjeux sociaux de la crise environnementale. Le poste de Secrétaire à l’intérieur n’est pas le seul à faire l’objet d’une nomination historique. En mars 2021, le Sénat confirme également Michael S. Regan au poste d’administrateur de l’Environmental Protection Agency (EPA). Ardent défenseur des politiques promouvant les énergies renouvelables, Regan est le premier Africain-Américain à diriger l’EPA. Il sera assisté dans sa mission par l’Environmental Justice Advisory Council, conseil dépendant de la Maison-Blanche nouvellement créé, dont la composition reflète la diversité sociale et ethnoraciale des acteurs de la lutte pour la justice environnementale sur le terrain [3]. Avec celle de Brenda Mallory, nommée à la tête du Council on Environmental Quality de la Maison-Blanche, ces confirmations attestent la volonté de la nouvelle administration de prendre en compte la façon dont la crise environnementale exacerbe les effets délétères des inégalités économiques et sociales sur les minorités ethnoraciales et les classes défavorisées. « Nous savons que nous ne pouvons pas atteindre la justice sanitaire, la justice économique, la justice raciale ou la justice éducative sans justice environnementale » déclare la vice-présidente Kamala Harris à l’annonce de la composition du nouveau conseil [4].

3 Biden, qui considère la crise environnementale comme une « menace existentielle », montre donc toute sa détermination à prendre le dossier de l’environnement à bras le corps. Il se met d’ailleurs à l’ouvrage dès les premières heures qui suivent son investiture et signe deux décrets essentiels. Le premier relance la procédure d’adhésion des États-Unis à l’Accord de Paris ; le second révoque le permis de construction de l’oléoduc XL Keystone qui était censé acheminer le pétrole brut canadien vers les États-Unis et suspend l’exploitation des énergies fossiles dans le refuge faunique de l’Alaska [5]. Ce décret ordonne également que soient passées en revue toutes les décisions prises par l’administration Trump en matière environnementale de façon à déterminer dans quelle mesure celles-ci reflètent le consensus scientifique, améliorent la santé publique et protègent l’environnement, garantissent la qualité de l’eau et de l’air, contribuent à réduire les émissions et engagent la responsabilité des pollueurs, en particulier ceux qui causent du tort aux communautés ethnoraciales et aux populations touchant de faibles revenus.

4 À plus long terme, l’administration Biden s’est fixé l’objectif d’atteindre la neutralité carbone à échéance de 2050 et entend investir massivement dans les énergies renouvelables. Dans ce domaine, elle cherche à mettre en place un critère d’efficacité énergétique – l’Energy Efficiency and Clean Electricity Standard –, qui permettrait d’atteindre la neutralité carbone dans la production d’électricité en 2035 [6]. Inclus dans le projet de loi de rénovation des infrastructures présenté au public début avril, le standard imposerait aux fournisseurs du pays de produire une partie de leur électricité en utilisant le nucléaire, l’hydraulique ou l’éolien. Dans ce dernier domaine, l’administration a également proposé un projet ambitieux de développement du parc éolien offshore au large de la côte Est de façon à produire les trente gigawatts nécessaires à fournir en électricité dix millions de foyers américains et réduire les émissions de dioxyde de carbone de 78 millions de tonnes d’ici la fin de la décennie [7]. Il y a fort à parier que ces projets susciteront des débats houleux au Congrès, où ils doivent maintenant être présentés et discutés.

5 Au total, au cours des trois premiers mois de la présidence Biden, dix-sept nouvelles mesures de protection de l’environnement ont été ajoutées et vingt-deux des mesures régressives introduites par la précédente administration ont été abrogées. Si l’administration Biden se montre aussi active sur le front de la crise environnementale, c’est que le bilan dont a hérité le nouveau président est désastreux et que la tâche est immense. Il faut dire que Trump avait étendu le périmètre des culture wars à la question environnementale pour mettre à profit la polarisation de l’électorat. Au cours de son mandat, la crise a été politisée à des fins d’affrontements partisans. Les mesures existantes pour y répondre ont été habilement présentées comme des attaques contre les valeurs socles de l’Amérique et des menaces susceptibles de mettre à mal l’identité de ses soutiens. Ardent partisan du retrait maximal de l’État fédéral du secteur de l’économie et des affaires, Trump considérait le renforcement par l’administration Obama de l’édifice des règles environnementales comme faisant partie d’un agenda « anti-croissance [8] ».

6 Ainsi, outre la sortie des États-Unis de l’Accord de Paris, les quatre années que Trump passe à la Maison-Blanche sont celles d’un démantèlement méthodique du dispositif réglementaire, dont une grande partie est héritée des années Obama. Sans qu’il soit possible de faire état de toutes ces mesures, on pourra citer l’annulation du Clean Power Plan (octobre 2017), qui prévoyait la réduction des émissions de carbone de 32 % à échéance de 2030, la délégation aux États fédérés par l’EPA du pouvoir de régulation des émissions de méthane, ou encore la modification des modalités de mise en application de l’Endangered Species Act (été 2019) – dont les spécialistes considèrent qu’il a permis d’empêcher l’extinction de quelque 200 espèces dont le grizzly –, qui autorisent désormais l’État fédéral à prendre en compte les intérêts économiques dans l’attribution du statut d’espèce menacée [9].

7 Cette actualité de la politique environnementale doit nous amener à établir un premier bilan de l’administration Trump. Sur quoi se nouent les controverses ? Comment se positionnent Démocrates et Républicains ? La politique de l’administration Biden peut-elle tracer de nouvelles perspectives, notamment en matière de climat ? C’est à ces questions que le dossier thématique de ce numéro de Politique Américaine, constitué de contributions d’universitaires français et chercheurs ou experts américains, ambitionne d’apporter des réponses.

Notes

  • [1]
    Clare Foran et Ted Barrett, « Senate Confirms Deb Haaland as Biden’s Interior Secretary in Historic Vote », CNN Politics, 15 mars 2021.
  • [2]
    Karlin Itchoak, « Trump Sold Off the Arctic Refuge – Biden Can Help Save It », The Hill, 15 janvier 2021.
  • [3]
    Zack Budryk, « White House Names Members of Environmental Justice Panel », The Hill, 29 mars 2021.
  • [4]
    White House, « White House Announces Environmental Justice Advisory Council Members », Statements and releases, 29 mars 2021.
  • [5]
    Elizabeth Janowksi, « Here’s the Full List of Biden’s Executive Actions So Far », NBC News, 25 janvier 2021.
  • [6]
    Scott Waldman, « Biden’s Infrastucture Plan Would Make Electricity Carbon-Free by 2035 », Scientific American, 1er avril 2021.
  • [7]
    Juliet Eilperin et Brady Davis, « Biden Administration Launches Major Push to Expand Offshore Wind Power », The Washington Post, 29 mars 2021.
  • [8]
    Anne van Oorschot, « The Presidential Candidates and the Environment », FAWCO, 31 août 2020.
  • [9]
    Sarah Gibbens, « 15 Ways the Trump Administration Has Changed Environmental Policies », National Geographic, 1er février 2019.
Sébastien Mort
Sébastien Mort est maître de conférences en sociétés et cultures des États-Unis à l’Université de Lorraine et membre du Centre de Recherche sur les Médiations (CREM). Il travaille sur l’intersection entre politique, médias d’information et journalisme aux États-Unis, sur les médias conservateurs et sur le phénomène d’intimidation politique des journalistes pendant l’ère Trump. Il a récemment publié « Les médias conservateurs dans la campagne de 2020 : un soutien unanime au président ? » pour l’Institut Français de Relations Internationales.
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Mis en ligne sur Cairn.info le 16/07/2021
https://doi.org/10.3917/polam.036.0005
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