CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Les élections locales du 30 mars 2014 se sont déroulées dans un contexte « national » plutôt pesant, voire tendu – que nous n’allons pas analyser ici dans le détail –, après les révélations faites sur certains proches du Premier ministre et les débuts d’instructions judiciaires vite interrompues par une contre-offensive musclée du gouvernement. En outre, ces élections sont les premières élections survenues à la suite du « mouvement de Gezi » de la fin mai 2013 et de juin 2013 – un mouvement dont les ondes de choc se font encore sentir aujourd’hui [1] –, qui a consisté en premier lieu en une mise en cause des modes de gestion urbaine, peu transparents, peu participatifs et peu soucieux de l’environnement comme du patrimoine.

2Par ailleurs, il faut rappeler que les élections locales en Turquie sont toujours multidimensionnelles [2]. À Istanbul, il s’agissait le même jour d’élire, le maire métropolitain, les 39 maires d’arrondissement, les membres des assemblées municipales d’arrondissement et plus de 800 maires de quartier … Les valeurs chiffrées que nous allons utiliser dans cette note sont celles des élections des maires d’arrondissements et du maire métropolitain, et non pas celles des assemblées municipales. Or on note fréquemment des écarts sensibles entre les différents scrutins locaux, les électeurs votant davantage en faveur des « grands partis » pour l’élection des maires ; et les petits partis obtenant de meilleurs pourcentages pour les élections des membres des assemblées municipales [3]. Pour ces différents scrutins regroupés, un peu plus de 10 millions d’électeurs étaient inscrits dans le seul département d’Istanbul (soit près d’1,5 million de plus que pour les dernières élections locales et près d’un cinquième de l’ensemble des électeurs du pays). Parmi eux, 8,7 millions ont voté.

3Comme nous ne disposons pas encore des résultats définitifs [4] – qui seront publiés et mis en ligne par l’institution compétente, le Conseil Supérieur des Elections ou YSK [5] –, la chronique proposée ici a seulement pour objectif de présenter « à chaud » quelques tendances. On se demandera si par rapport aux précédents scrutins locaux – ceux de mars 2009 – des infléchissements notables sont survenus et si une quelconque usure du soutien au Parti de la Justice et du Développement (AKP) qui contrôle la métropole depuis mars 2004 est perceptible [6], à l’échelle métropolitaine comme à l’échelle de chacun des arrondissements.

Candidats, campagne et conditions du vote

Des candidats tardifs, nommés par le centre et très homogènes

4Les deux principaux partis en lice se sont différenciés au niveau du calendrier d’annonce de leurs candidats. Le Parti républicain du peuple (CHP) a, pour certaines municipalités d’arrondissement, annoncé ses candidats au dernier moment. Les tensions internes aux différents partis et les rivalités on été mal dissimulées. L’AKP quant à lui les a rendus publics plus tôt, mais en plusieurs vagues [7], des hésitations persistant pour certains arrondissements considérés comme non acquis.

5Pour le Parti de la Justice et du Développement (AKP), la stratégie principale a consisté à reconduire les maires déjà en place, pour jouer la stabilité et la continuité. Pour parler trivialement, « on a pris les mêmes », même ceux qui avaient été directement concernés par les mises en garde à vue de décembre 2013 (à l’instar du maire de l’arrondissement de Fatih). Stratégie assumée de défi et de déni. Un des principaux arguments de campagne de l’AKP a d’ailleurs été celui de la stabilité, les électeurs étant invités à ne pas s’exposer « aux risques » d’une alternance présentée comme une menace à l’encontre du supposé état de prospérité. Pour la municipalité métropolitaine, l’AKP a donc joué pour un troisième mandat le maire en place (Kadir Topba?, né en 1945). Fidèle compagnon du Premier ministre, Topba? avait pourtant été particulièrement en retrait – voire très effacé – lors des événements du parc Gezi.

6La stratégie du CHP dans le choix des candidats fut moins évidente. D’un côté les instances dirigeantes du parti ont finalement préféré ne pas représenter les maires en place dans les arrondissements « acquis », qu’il s’agisse de Be?ikta?, de Bak?rköy [8] ou de Kad?köy.

7De l’autre, dans certains arrondissements à profil dominant « conservateur-religieux » le choix s’est porté sur des personnalités au profil atypique pour ce parti : un ancien müftü à Üsküdar, un spécialiste de théologie musulmane à Ba?c?lar ou un bureaucrate apparenté au fondateur des premiers partis de l’islam politique turc, Necmettin Erbakan, à Fatih. Pour la mairie métropolitaine, le CHP a finalement préféré une personnalité populaire [9] – et contestée au sein même du parti à bien des égards –, maire depuis mars 1999 d’un arrondissement-phare de la métropole, sous diverses étiquettes et en indépendant.

8Du point de vue du profil socioprofessionnel, on doit souligner que celui des candidats AKP n’était en rien différent de celui des candidats du CHP (et même du MHP) : hommes d’affaires, ingénieurs, architectes ou avocats en majorité. Parmi les partis les plus en-vue, seuls les candidats de la gauche kurde (HDP) avaient un profil plus diversifié [10].

9Enfin, seul le HDP a pratiqué une stricte parité entre les sexes – en tout cas pour les maires d’arrondissement – avec un système de coprésidence (e?ba?kanl?k) systématique, innovation assez audacieuse compte tenu de l’inertie de la domination masculine dans le champ de la politique.

Une campagne assez peu locale ?

10Par rapport aux élections précédentes (2009), les moyens mobilisés pour la campagne ont tendance à être de plus en plus conséquents, l’inégalité flagrante entre les deux principaux partis et les autres étant à souligner. C’est même tout un secteur économique à part entière qui paraît s’être structuré, que l’abaissement récent du pourcentage minimal de voix requis pour pouvoir bénéficier d’un remboursement des dépenses de campagne a sans doute stimulé. Pour cette campagne, les cadeaux en nature distribués aux électeurs par les maires soucieux d’être réélus ont été encore plus massifs et diversifiés : montres (comme à Tuzla), bicyclettes, couches pour bébés, horloges, stylos, cravates, clés USB, lampes, calendriers, foulards, ou écharpes … Des sommes considérables ont été ainsi dépensées à cette fin : près de 200 000 euros pour la municipalité anatolienne de Çekmeköy [11].

11L’autre caractéristique, qui n’est pas nouvelle, a consisté en un usage massif – surprenant pour les observateurs extérieurs comme pour certains citoyens avisés – des ressources publiques (panneaux publicitaires municipaux, personnel municipal réquisitionné et utilisation des moyens de transport publics pour l’acheminement de la foule des meetings de l’AKP …) au bénéfice d’un seul parti. De nombreux recours ont été déposés par les partis d’opposition, sans succès.

12Si on considère les thèmes mis en avant, on peut dire que l’AKP a mené une campagne très nationale et très centrée sur la personne du Premier ministre. Comme si l’enjeu principal de ces scrutins locaux était de re-légitimer celui-ci après les mises en garde à vue du 17 décembre 2013 et les révélations et autres exfiltrations de leaks sur Youtube qui les ont suivies. Les enquêtes de la société de sondage d’opinion Konda [12] réalisées après le vote montrent que cette stratégie semble avoir payé et qu’une grande partie des électeurs s’est appropriée cet enjeu de défense d’un homme politique d’exception injustement accusé. L’autre thématique très mise en avant a été celle des grands projets, infrastructures de transport ou grands projets urbanistiques, offerts à la population à la fois pour flatter les rêves de grandeur et l’orgueil national. Istanbul demeure pour l’AKP un sujet de fierté nationale et la vitrine brandie au monde entier de la Nouvelle Turquie[13], pour reprendre la phraséologie AKP. Il faudrait évidemment distinguer la campagne pour l’élection du grand maire de celles pour l’élection des maires d’arrondissement, les argumentaires déployés n’étant pas les mêmes.

13De ce fait, rarement élections « locales » n’auront été aussi parasitées par des enjeux nationaux, voire internationaux. L’AKP, qui pour les élections locales de mars 2004 s’était attaché à promouvoir la notion de développement local, semble s’être concentré, cette fois-ci, sur les arguments nationaux autour de la personne du Premier ministre. Ces élections locales, hormis les quelques allusions « écolo [14] » – en écho à la crise du Parc Gezi –, les promesses relatives à l’extension du réseau de métro [15] et à l’accroissement de la capacité de parking, furent indexées à un seul homme en quête de relégitimation populaire pour contrer toute opposition.

14Provocation pour certains, manifestation de puissance ou d’assurance extrême pour d’autres, quelques jours avant le scrutin, le maire-candidat AKP du Grand Istanbul s’est permis de déclarer que la place Taksim ne serait pas accessible aux manifestants pour le 1er mai 2014. Rien ne l’obligeait à faire cette annonce ainsi à l’avance. On comprend qu’il l’ait faite en direction d’un électorat de petits commerçants et d’usagers « excédés » – habilement entretenus dans leur colère – par les désordres entraînés par les manifestations répétées dans le secteur de Taksim. Le calcul est simple : plutôt scandaliser un nombre restreint de syndicalistes, d’étudiants et d’intellectuels que de passer pour un faible qui recule aux yeux d’une base conservatrice de petits entrepreneurs et propriétaires entretenue dans la peur du désordre.

15Parallèlement on a noté une difficulté à « localiser » la campagne pour le CHP, plus tenté de jouer le registre « national » eu égard au contexte.

16En outre, le CHP a du mal à se démarquer de l’AKP en termes de politique urbaine. Au sujet de la politique du logement, de la transformation urbaine, des relations sphère politique/secteur de la construction, des projets d’infrastructures de transport, de la perpétuation de la tyrannie automobile, comme au sujet de la primauté donnée à l’économie de la consommation, le CHP ne s’est pas fondamentalement distingué de l’AKP.

17La seule thématique « vraiment urbaine » que le CHP a pu mobiliser – même si on ne peut pas réduire le phénomène à cela – a été celle de la résistance de Gezi. Mais si on considère que la résistance de Gezi est d’abord un mouvement contre un mode de gouvernance urbaine jugé autoritaire, opaque, non participatif et peu soucieux des biens publics, le CHP s’est saisi surtout de la question de l’autoritarisme et de la contrainte faite aux individus et aux libertés.

18À noter enfin que la campagne s’est caractérisée par une « guerre des sondages », conduite par des entreprises souvent très et trop organiquement liées aux différents partis. Du fait des écarts considérables entre les différentes estimations lâchées en pâture à l’opinion, les organismes de sondages ont perdu de leur légitimité aux yeux de l’opinion – sans parler des différents médias qui les relayaient [16] –, à l’exception d’un seul (qui d’ailleurs a proposé les estimations les plus proches des résultats finaux). Globalement pacifique, cette campagne a été néanmoins entachée par l’attaque armée sanglante (un mort et plusieurs blessés) d’une permanence du parti d’extrême droite – au moment même de son ouverture festive le 26 janvier 2014 –, dans l’arrondissement périphérique d’Esenyurt [17].

Les conditions du vote et des dépouillements

19D’abord – et il convient de la souligner –, la participation a été élevée : plus de 89% pour le département d’Istanbul. On a même vu se ruer vers les urnes – pour des raisons très différentes : sauver la patrie en danger, sauver le Premier ministre menacé ou au contraire en finir avec lui [18] … – des personnes peu habituées des rituels électoraux. En outre, les nouveaux électeurs et ceux qui n’étaient pas inscrits sur les listes en 2009 se sont mobilisés – ou plus exactement ont été mobilisés.

20Si Istanbul n’a pas été le théâtre [19] de violences et de pressions manifestes sur les électeurs comme dans d’autres départements – les violences ont principalement concerné les élections de maires de villages (muhtar), à l’est du pays –, il ne faudrait pas pour autant passer sous silence les irrégularités constatées çà et là au moment de l’ouverture des urnes, du décompte des bulletins, et du transport des urnes. Sans parler des suspectes coupures d’électricité survenues au moment du dépouillement [20]. Une candidate arménienne à la mairie d’un quartier de Fatih a ainsi souffert d’irrégularités discriminantes, les bulletins à son nom ayant disparu dans plusieurs bureaux de vote. Dans l’arrondissement de Ka??thane, il semble que près de 3 000 voix destinées au CHP aient été détournées [21]. De plus on ne peut manquer de se poser des questions à la vue de centaines de bulletin détruits (Esenyurt [22]) ou abandonnés dans des poubelles.

21L’usage de la photographie téléphonique – les observateurs des partis d’opposition prenant en photo et postant sur Twitter les récapitulatifs du décompte des urnes dont il avait la charge – a peut-être permis de limiter les abus. On dit que ce sont surtout les petits partis – qui n’ont pas la capacité d’avoir des représentants partout … et de déposer des recours – qui se font « voler des voix ». Il est à signaler que tous les recours déposés par le CHP auprès du Haut Conseil des Elections pour recompter les bulletins ont été rejetés.

L’AKP largement confirmé, voire plébiscité… et le CHP en hausse

Le triomphe de l’AKP

22Au niveau de la mairie métropolitaine comme des assemblées municipales d’arrondissement, le triomphe de l’AKP est sans conteste. Le parti au pouvoir à Ankara depuis la fin 2002 augmente même son score par rapport à mars 2009 et s’arroge 47,9% des suffrages pour l’élection du maire métropolitain (alors qu’il avait obtenu 44,2% en 2009). Son adversaire principal le CHP atteint 40,1% (soit plus que les 37% du précédent scrutin et beaucoup plus que ce que les principales agences de presse avaient annoncé le soir du 30 mars). En termes de voix, l’écart entre les deux partis est supérieur à 500 000. Les partis suivants ont tous moins de 5% ; c’est dire l’ampleur du vide interstitiel : 4,8% pour le parti kurde HDP (4,6% en 2009), 4% pour l’extrême droite MHP (soit un recul en pourcentage et en voix par rapport à 2009 où le parti avait obtenu 5,1%) et 1,4% pour le parti islamo-conservateur Saadet (SP), soit une érosion très sérieuse au regard de mars 2009 (4,9% et près de trois fois plus de voix !). Le parti d’extrême droite MHP n’a ainsi pas réalisé la remontée que certains avaient prédite ; il paraît même avoir perdu en influence.

23Comme l’indiquent des sondages effectués au lendemain du vote [23], pour les personnes qui ont voté AKP, il semble que la volonté de soutenir un Premier ministre « injustement critiqué » a été déterminante. Donc bien au-delà des questions de gestion locale, vu le sens qui leur a été a priori dévolu, ces élections peuvent être interprétées comme l’expression d’un soutien populaire assez massif au chef du gouvernement Erdo?an.

24En conséquence, il n’y a pas eu d’effets négatifs sur les comportements électoraux des affaires de corruption et des instructions judiciaires engagées quelques mois avant les élections – mais interrompues sur intervention ferme du Premier ministre. Pas de « vote sanction » donc ; au contraire un vote de compassion avec un leader mis en cause par une fraction « marginale » de la population. Il y a sans doute eu une grossière erreur d’appréciation des effets possibles de ces révélations de la part de nombreux observateurs qui se sont laissés aveuglés par les réactions de milieux sociaux finalement assez restreints (parce qu’éduqués et ouverts aux réseaux internationaux) et sans doute ont sous-estimé la résilience et la puissance du parti « installé » dans l’ensemble de la société. Sans parler des effets d’inertie et de la crainte largement partagée dans l’opinion silencieuse d’un changement politique qui hypothèquerait une relative prospérité et une stabilité (ou le sentiment d’une stabilité).

25Par ailleurs, il n’y a pas eu « d’effet Gezi » sensible sur les comportements électoraux. Autrement dit, contrairement aux attentes de certains observateurs et analystes et aux désirs des partis politiques qui se sont efforcés de récupérer à leur seul compte le « phénomène Gezi », ce qui est apparu sur les réseaux sociaux et dans la presse internationale comme une mise en cause radicale du pouvoir AKP ne s’est pas traduit dans les urnes … Le candidat-AKP à la mairie métropolitaine s’est même permis – alors même qu’il aurait pu faire cette déclaration plus tard – d’annoncer officiellement le 28 mars 2014, soit la quasi-veille du scrutin, que la place Taksim serait interdite aux manifestants pour le 1er mai.

26De même, par rapport au contexte du conflit au sein du camp conservateur à références religieuses, entre l’AKP et la mouvance Fethullah Gülen (dite « communauté », cemaat ou « Mouvement du Service ») – contexte qui a sans doute trop retenu l’attention de certains analystes -, on peut dire que cette dissension spectaculaire et surmédiatisée au sein des élites aspirant à contrôler le pouvoir ne s’est pas traduite dans les comportements électoraux à la base [24]. La discrétion et l’incurie de la cemaat au sein de l’arène partisane ont été confirmées, avec une espèce de disproportion entre la forte place occupée dans l’arène médiatique et la faible incidence sur les tendances de l’opinion.

27Outre l’usage de l’appareil policier et la manipulation du système judiciaire, l’hégémonie de l’AKP – en-deçà des discours critiques portés par les réseaux sociaux et certains médias – a surtout tenu à son contrôle de la distribution des ressources publiques, avec la complicité d’un milieu d’entrepreneurs redevables, impliqués dans l’économie développée par le parti, au travers d’un tissu d’associations et de fondations caritatives. Cette domination bien établie est aussi liée à la capacité du parti à mobiliser un imaginaire de la puissance reconquise et de la croissance bénéfique à tous, ainsi qu’à convoquer des communautés intégratrices – symboliques et affectives – offertes à l’identification positive de tous.

Le principal parti d’opposition en peine… et l’absence flagrante d’un vote kurde

28Si, avec juste un peu plus de 40%, il a amélioré son score par rapport à 2009 – où le candidat d’alors, l’actuel Secrétaire Général du parti Kemal K?l?çdaro?lu, n’avait recueilli que 37% –, le CHP n’a pas réussi à combler l’écart qui le sépare de l’AKP. Comme en 2009, il y a sept points d’écart entre les deux partis et comme en 2009 un total de 500 000 voix les différencie. La (re)descente du CHP dans les quartiers populaires amorcée en 2009 ne s’est pas poursuivie, pas plus que la réconciliation avec les dynamiques sociales de la Turquie. Le CHP semble être resté le parti de classes favorisées : d’après l’étude de Konda déjà mentionnée [25], les électeurs au revenu mensuel inférieur à 1200 LT ont voté à 45% pour l’AKP et à 18,5% seulement pour le CHP ; de même 20% des électeurs du CHP sont diplômés de l’université alors que seulement 9% de ceux de l’AKP le sont. Par ailleurs le CHP n’a manifestement pas su se faire entendre des jeunes générations, dont les votes se sont portés davantage vers l’AKP ou le MHP.

29Enfin ces résultats généraux semblent montrer combien les Kurdes d’Istanbul sont intégrés au jeu politique turc et ne peuvent – contrairement à ce que certains tendent à laisser croire – être considérés comme se reconnaissant principalement dans le principal « parti kurde [26] » légal. En effet, les voix obtenues par le HDP, outre que dans certains quartiers ils sont plus le fait d’une certaine gauche que de populations identifiées comme kurdes, ne sont aucunement à la mesure de la présence kurde dans la métropole. En ce sens, non seulement le HDP doit être considéré comme un « parti de Turquie » – et cessé d’être rapporté à une seule région ou à une seule population captive –, mais il n’est décidément plus pertinent de parler « des Kurdes » comme d’une force politique unique s’exprimant dans un parti spécifique.

Les inflexions locales : formation/durcissement des bastions et bipolarisation

30À l’échelle des arrondissements cette fois-ci, on note un renforcement des positions de l’AKP dans de nombreux arrondissements, phénomène remarquable pour un parti aux affaires locales sans discontinuer depuis mars 2004. On est même revenu aux scores de 2004, après le léger infléchissement de 2009 ; soit, très en-dessus des 47,4% de la moyenne départementale, dans l’ordre des performances (tableau 1) : Esenler (62,3%), Sultanbeyli (61,2), Sultangazi (58,5), Ba?c?lar [27] (57,2), Pendik (52,9), Arnavutköy (51,7), Ka??thane (51,3), Gaziosmanpa?a ou GOP (51,3), Bayrampa?a (50,4), Tuzla (50,4%), Güngören (50,2) et Ba?ak?ehir (50,1). À Esenler, le meilleur élève de l’AKP pour ces élections, la progression enregistrée est frappante puisqu’en mars 2009 l’AKP n’avait totalisé que 47,5% des voix.

Tableau 1

Les treize arrondissements « incontestés[28] » de l’AKP en mars 2014 (et la progression par rapport à mars 2009)

Tableau 1
Nom AKP-09 CHP-09 AKP-14 CHP-14 Esenler 47,53 18,1 62,3 15 Sultanbeyli 50,97 7,6 61,2 7 Sultangazi 48,36 20,01 58,5 23,1 Ba?c?lar 49,21 18,7 57,2 19,7 Pendik 43,3 31,9 52,9 29,4 Arnavutköy 41,65 7,4 51,7 8,4 GOP 44,44 20,4 51,3 25,1 Ka??tane 44,94 22,7 51,3 29,6 ?ile 45,2 21 50,93 15,5 Tuzla 44,46 38,8 50,4 39,3 Bayrampa?a 44,46 35,7 50,4 39,3 Güngören 43,8 28,4 50,2 30,8 Ba?ak?ehir 39,02 31,7 50,1 33,9

Les treize arrondissements « incontestés[28] » de l’AKP en mars 2014 (et la progression par rapport à mars 2009)

31Parmi ces arrondissements, seul Ba?ak?ehir – arrondissement institué en mai 2008 – ne peut être caractérisé comme « populaire » puisqu’il est davantage peuplé par des nouvelles classes moyennes « produites » par l’AKP, classes en ascension par le biais du système d’accès à la propriété mis en place par l’Administration du Logement Public (TOK?) et ses grandes opérations de logements collectifs comme Kaya?ehir (ville satellite nouvellement émergée où les résultats de l’AKP à l’échelle des quartiers ont dépassé les 70%). L’affirmation de Ba?ak?ehir comme « citadelle » de l’AKP est nette, puisque le score du parti est passé de 39,02 % en 2009 à plus de 50%. De même Gaziosmanpa?a, l’arrondissement le plus affecté par les opérations de transformation urbaine – si l’on se base sur le nombre des zones à transformer officiellement désignées par le Conseil des ministres – a enregistré une consolidation de l’adhésion à l’AKP, conjointement à un maintien relatif du SP.

32En fait – et c’est principalement ce qui explique la progression entre 2009 et 2014 – la machine AKP semble avoir broyé le parti-frère-ennemi de l’islam politique le Saadet Partisi (SP), qui perd des points partout où il était encore notablement présent en 2009 : dans l’arrondissement d’Ümraniye, il recule ainsi de 21% des suffrages en 2009 à 5,2% et à Üsküdar, de 20,5 à 2,2% ! De même à Fatih, un des berceaux de l’islam politique, le SP est passé de 13,4 en 2009 à 6,4% des suffrages et à Beyo?lu, de 12,8 en 2009 à 3,2% des suffrages ou à Eyüp (de 11% à 3,4). Beyo?lu, arrondissement central, constitue d’ailleurs un cas particulièrement intéressant. Théâtre de la révolte de Gezi, cœur du divertissement nocturne, du consumérisme et du tourisme international, Beyo?lu se caractérise par un renforcement notable de l’AKP, qui passe de 37,4 en 2009 à 47,8 en 2014.

Tableau 2

Les faibles scores relatifs de l’AKP

Tableau 2
Nom AKP-09 AKP-14 Kartal 37,9 42,8 Maltepe 37,9 38,1 Çatalca 28,6 35,5 K.çekmece 47,18 41,9 B.çekmece 43,8 44,9 Sar?yer 31,8 39,2 Avc?lar 37,4 40,9

Les faibles scores relatifs de l’AKP

33Enfin, l’AKP ne perd pas de points dans le seul arrondissement qu’il abandonne au CHP (Beylikdüzü) et n’en perd en fait que dans de rares arrondissements : quatre sur trente-neuf ; soit deux citadelles du CHP, Bak?rköy et Kad?köy, ainsi que Küçükçekmece (en raison de la transformation du profil social de la population avec l’intégration progressive de cette ancienne périphérie à l’économie immobilière de haut standing) et ?ile (où l’extrême droite a opéré une poussée exceptionnelle).

34Le CHP ne perd pas d’arrondissement, mais il recule dans onze, soit dans près du tiers. Ainsi l’érosion est-elle sensible à Çekmeköy (42,4 à 38,1%) comme à Avc?lar, où il conserve cependant la mairie, avec un infléchissement de 48,5% à 44%. Pour ce parti on peut parler d’une présence en archipel. Le parti d’opposition a amélioré ses scores dans les quelques arrondissements qu’il contrôle, avec parfois des valeurs impressionnantes, comme à Kad?köy (où on atteint les 72,5%, contre 68,3 en 2009) ou à Be?ikta? (qui bat tous les records avec 76,1%, contre 68,9 en 2009) et Bak?rköy (progression de 56,5 à 68,6%). Sar?yer, conquis lors des élections précédentes, a même fait l’objet d’une bastionnisation : alors que l’arrondissement avait été arraché de justesse à l’AKP en mars 2009, avec 37,54% des voix, en 2014 le CHP a obtenu un pourcentage de 51,1% (augmentation largement due à l’effondrement local du MHP – passé de 18,1% en 2009 à 5,5% en 2014 – puisque l’AKP a nettement progressé, passant de 31,8 à 39%).

35Cet archipel-CHP correspond aux îlots de prospérité relative, la social-démocratie turque recrutant davantage dans les milieux aisés attachés à un certain mode de vie et à une conception stricte de la laïcité.

36Par contre, même s’il augmente son influence par rapport à mars 2009, à la différence de l’AKP qui dépasse les 15% même à Be?ikta?, le CHP est quasi-absent dans plusieurs arrondissements très populaires : Sultanbeyli (7%), Arnavutköy (8,4%) ou Ba?c?lar (19,7%) (pour une moyenne départementale de 40% !). Le seul arrondissement « conquis » par le CHP – avec une remarquable augmentation de 20 points, de 30,6 à 50,8%, est un arrondissement périphérique nouvellement formé où le succès du premier parti d’opposition semble – un peu comme à Sar?yer – en grande partie lié à l’effondrement du parti d’extrême droite, qui passe de 23,3% à 4,7%.

37L’idée d’une territorialisation partisane croissante n’est infirmée que par quelques arrondissements « partagés » selon des modalités diverses. À Küçükçekmece l’AKP perd en influence du fait de changements dans la structure sociodémographique (enrichissement) : passage de 47,18 en 2009 à 41,9 en 2014, sans que le parti perde la mairie. Le CHP en revanche y gagne sensiblement des points, sans pour autant emporter un arrondissement qui possède un passé (1999-2004) de gestion social-démocrate. Il passe de 29,4% des suffrages en 2009 à 39,6% en 2014. L’autre cas, celui de Beylikdüzü est différent, puisqu’il s’agit du seul arrondissement « conquis » par le CHP aux dépens de l’AKP (qui paradoxalement voit son score augmenter sensiblement entre 2009 et 2014, de 32,11 à 39,6%). Nouvel arrondissement – il a été créé en 2008 – Beylikdüzü s’est développé sous la forme de grands programmes de logements collectifs portés par des groupes privés ou par des coopératives de construction. En ce sens, l’emprise de TOK? – institution y est bien moindre.

38Le MHP a perdu des positions dans des arrondissements où il était assez bien implanté, comme Beylikdüzü (de 23,3% à 4,7) – on l’a vu –, Sar?yer (de 18,1% à 5,5%), Eyüp (de 13,6% en 2009 à 5,9% en 2014), Beykoz (de 11,8 à 9,8) et Beyo?lu (de 9,6 à 6,7). Il n’y a que dans les arrondissements très périphériques d’Arnavutköy (augmentation de 15,2 à 22,2%) et de ?ile qu’il a non seulement confirmé sa position de deuxième parti local derrière l’AKP, mais notablement augmenté sa part. À ?ile, il a même fait un bond de 23,4% en 2009 à 35,9 % –, et est parvenu à faire reculer les deux partis dominants, unique cas de figure, sans doute liée à un « effet-candidat » [29].

39En ce qui concerne le « parti kurde » – HDP –, sa plus forte valeur est située dans les fronts pionniers du nord-ouest de l’aire urbaine, à Arnavutköy, là où l’extrême-droite est forte (22,2) et le parti social-démocrate inconsistant. L’incompatibilité entre la gauche kémaliste « laïque » des beaux arrondissements et le parti kurde se vérifie partout : les citadelles du CHP évoquées plus haut sont des arrondissements où le parti kurde est inexistant. Et l’inverse est aussi vrai. Le parti kurde perd même des parts dans les arrondissements périphériques d’Esenyurt (passant de 14,7% à 10,1%) – c’était l’arrondissement où le parti kurde avait obtenu les meilleurs résultats en mars 2009 - et de Ba?ak?ehir (de 9,8 en 2009 à 7,2) ou Sancaktepe (de 9 à 7,3).

Conclusion

40S’il y a une exceptionnalité d’Istanbul par la taille, les processus de polarisation cristallisés par la métropole et par sa force historico-symbolique, quand on y examine les comportements électoraux, la capitale économique turque ne paraît pas vraiment se distinguer. Le pouvoir de l’AKP s’exerce à Istanbul comme dans tout le reste du pays. Le parti qui tient les rênes du pouvoir national depuis la fin 2002 semble perpétuer sa domination à Istanbul depuis 2004 selon des modalités assez indifférenciées. On observe des verrouillages du champ politique et des inerties des comportements – les positions acquises sont ainsi confortées, à de très rares exceptions près (quand on observe à l’échelle des arrondissements) –, et une professionnalisation/privatisation de l’exercice du pouvoir qui dépossède l’administré moyen. En conséquence, on peut parler de territorialisation croissante des partis – le parti AKP, qui conforte ses positions presque partout, étant cependant indéniablement le plus ubiquiste –, de tendance à la bipolarisation du jeu politique (l’AKP ne recule en pourcentage que dans quatre arrondissements sur 39 et le CHP que dans onze), voire de laminage des petits partis (l’effondrement du SP expliquant en de nombreux arrondissements le renforcement des positions de l’AKP). Enfin, il est frappant de constater que les débats qui agitent la scène urbaine, comme les évolutions qui affectent la fabrique urbaine – opérations de transformation urbaine ou grands projets – semblent avoir peu d’effets directs sur les comportements électoraux. En revanche, certaines dynamiques sociétales, enrichissement relatif, endettement [30], individualisation des comportements, entrée massive dans l’ère de la consommation à crédit paraissent plus déterminantes.

Notes

  • [1]
    Le slogan « Ce n’est qu’un commencement. La lutte continue » est encore utilisé par des acteurs de l’opposition. Donc pour ces personnes – très présentes sur les réseaux sociaux – le mouvement de Gezi n’est pas terminé et le processus de remise en cause dans l’espace public du pouvoir d’Erdo?an est donc loin d’être clos.
  • [2]
    Un scrutin a cependant été supprimé depuis mars 2009, celui pour l’élection des membres de l’assemblée du département, institution purement et simplement rayée du système des institutions locales.
  • [3]
    À Ba?ak?ehir par exemple, alors que les deux principaux partis ont des scores à l’élection du maire métropolitain supérieurs à ceux de l’élection à l’assemblée municipale, les autres partis obtiennent de meilleurs scores à l’assemblée municipale locale qu’à la mairie métropolitaine (6% contre 4% pour l’extrême droite dans le quartier dénommé « Première Étape »).
  • [4]
    On a utilisé pour cette note les chiffres publiés par le site Internet « Seçim.haberler » : http://secim.haberler.com
  • [5]
    Cf. son site officiel : http://www.ysk.govtr.org/
  • [6]
    Sur ces précédentes élections locales, cf. notre étude: « Les élections locales du 29 mars 2009 : l’avertissement de la périphérie économique à l’AKP? ». https://www.academia.edu/4937820/Les_elections_locales_du_29_mars_2009_ lavertissement_de_la_peripherie_economique_a_lAKP
  • [7]
    Alors que la candidature du maire métropolitain sortant fut officielle le 5 décembre 2013, la première vague des candidats AKP pour les arrondissements fut annoncée le 19 janvier 2014.
  • [8]
    Cette option du renouvellement n’a pas manqué de susciter des remous, comme à Bak?rköy, où une large mobilisation en faveur du maire en place depuis 10 ans – mobilisation au sein de laquelle on trouve à la fois une association arménienne et un club de jeunes d’extrême droite –, a suivi l’annonce de sa non-reconduction, remontant jusqu’à la presse nationale.
  • [9]
    Mustafa Sar?gül, de dix ans plus jeune que Topba?, est un homme d’affaires self-made man dont la carrière politique est indissociable de la carrière d’entrepreneur.
  • [10]
    Ainsi le seul candidat pour la grande mairie à avoir répondu à l’appel de l’« Association pour la Transparence » et accepté de rendre publique sa fortune, est celui du HDP, qui a déclaré ne posséder qu’une automobile.
  • [11]
    Radikal, 13 février 2014, p. 16.
  • [12]
  • [13]
    « Nouvelle Turquie/Yeni Türkiye » est une expression récurrente du discours-AKP, qui consiste à exalter ce parti comme le moteur du réveil récent – à la fois sursaut, sortie de la tutelle des militaires et de la paranoïa obsidionale, normalisation et modernisation - de la Turquie et de son ouverture au grand monde.
  • [14]
    Le programme de l’AKP pour Istanbul, tel que rendu public le 19 février 2014, comporte quelques engagements relatifs à la consultation et aux espaces verts.
  • [15]
    « On fera 430 kilomètres de métro en cinq ans » : déclaration du candidat Topba? du 17 mars 2014.
  • [16]
    Une conversation téléphonique entre le rédacteur en chef d’un grand quotidien national et son « patron », enregistrée mystérieusement et postée sur Youtube, a donné un aperçu des pratiques peu scientifiques en matière de sondage (Radikal, 7 février 2014, p. 15).
  • [17]
    À ce jour le crime n’a pas encore été vraiment élucidé. Si des militants kurdes ont été immédiatement mis en cause par une partie de la presse et de la classe politique, la piste « politique » semble avoir été abandonnée depuis…
  • [18]
    Il est à craindre que les résultats et les conditions dans lesquelles se sont déroulées ces élections ne découragent une grande partie de ceux qui s’étaient exceptionnellement mobilisés.
  • [19]
    La performance de deux militantes françaises de Femen dans le bureau de vote du Premier ministre (dans l’arrondissement tranquille d’Üsküdar) a constitué un des principaux événements survenus à Istanbul durant cette journée.
  • [20]
    Coupures que le ministre de l’Énergie et des Ressources Naturelles a imputées en partie à l’introduction inopinée d’un chat dans un transformateur…
  • [21]
    Cf. Cumhuriyet, 4 avril 2014, p. 5.
  • [22]
    Nouvel arrondissement, à la périphérie instable, Esenyurt avait été secoué le 28 mars 2014 par la démission de 4000 membres de l’AKP, passés au CHP et, quelques jours avant, par la disparition de sceaux (« Oui ») utilisés par les électeurs pour voter, de sceaux de responsable d’urne et d’enveloppes de bulletin de vote.
  • [23]
  • [24]
    Le 26 mars 2014, Zaman, le quotidien de la cemaat – qui dans son édition du même jour (p. 14) accordait une grande et positive interview au candidat du CHP pour la grande mairie –, titrait clairement : « Les promesses électorales d’Erdo?an : interdiction, pressions et chaos » (p. 15).
  • [25]
  • [26]
    Le HDP est l’avatar de partis kurdes légaux présents – sous des noms divers – depuis le début des années 1990. Pour ce scrutin, il était concurrencé par deux autres partis kurdes autorisés, qui ont recueilli un nombre trés réduit de suffrages. À signaler en outre qu`à l’est du pays, l’équivalent du HDP était le BDP ; étrange dédoublement.
  • [27]
    Cf. l’édition du 14 mars 2014 du quotidien Star, proche de l’AKP, consacrée en partie à cet arrondissement promu en « modèle » : « La municipalité de toutes les innovations et la préférée des investisseurs » et « Discrimination positive en faveur des femmes et des handicapés ».
  • [28]
    Cf. notre « Les élections législatives du 22 juillet 2007 dans le département d’Istanbul. Le grand écart de l’AKP » : https://www.academia.edu/4938367/Les_elections_legislatives_du_22_juillet_2007_ a_Istanbul_le_grand_ecart_de_lAKP
  • [29]
    Erol Çelebi, le candidat du MHP – un débonnaire homme d’affaires natif de l’arrondissement, très impliqué dans la vie associative locale –, a manifestement bénéficié d’une popularité locale assez exceptionnelle.
  • [30]
    Le montant total des crédits à la consommation a été multiplié par 13,4 entre 2002 et 2013, c’est-à-dire durant les années AKP ; cf. Fatih Özatay, « Plus de consommation, plus de voix? », Radikal, 19 avril 2014, p. 18.
Jean-François Pérouse
Université Toulouse II, Institut Français d’Études Anatoliennes
Mis en ligne sur Cairn.info le 14/01/2015
https://doi.org/10.3917/psud.041.0181
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