CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Dispositifs participatifs institutionnalisés et mobilisations collectives ont longtemps été étudiés séparément au sein des recherches sur la participation [1]. Le conflit est un des éléments majeurs opérant cette distinction, à la fois en tant que finalité, mais également en tant que modalité d’interaction. Les procédures de participation apparaissent en effet souvent comme des tentatives de réduction voire d’épuisement du conflit (Blatrix, 2000), orientées vers la recherche d’un accord collectif, tandis que les mobilisations collectives évoquent davantage l’idée d’un rapport de force et de visions du monde incompatibles. La philosophe et politiste Chantal Mouffe (2000) a tout particulièrement théorisé cette opposition des finalités. Celle-ci défend une démocratie « agonistique », fondée sur l’irréductibilité des conflits, contre le modèle de la démocratie délibérative qui invite au contraire à leur dépassement par la recherche du consensus [2]. Quant aux modalités d’interaction, « l’usage de menaces et de mobilisations » (Fung, Wright, 2005, p. 51) visant la construction d’un contre-pouvoir en situation de conflit s’oppose à « l’argumentation raisonnée » et aux idéaux délibératifs sur lesquels sont fondées la plupart des procédures participatives, les deux nécessitant des compétences politiques différentes (Urfalino, 2005).

2Toutefois, depuis quelques années, certains observateurs proposent d’aller au-delà de cette opposition formelle entre mobilisation collective et participation instituée, jugée réductrice de la complexité des situations. Loïc Blondiaux défend par exemple l’idée que l’institutionnalisation de la participation ne conduit pas nécessairement à l’éradication du conflit, et relève « la possibilité de concevoir une pratique et un modèle agonistique de démocratie délibérative » (2008, p. 135). La pensée d’une hybridation entre conflit et délibération se retrouve également sous la notion de « contre-pouvoir délibératif » d’Archung Fung et Erik Olin Wright (2005). De son côté, Catherine Neveu (2001) rappelle que la revendication et l’expérimentation de la participation ou de la délibération sont bien souvent au cœur des mobilisations agonistiques. Ces travaux témoignent d’une même volonté de mise à distance des regards normatifs sur ces deux modalités de participation : il s’agirait de « dépasser une vision binaire attribuant un ensemble de vices ou de vertus, selon les points de vue, à l’un ou à l’autre, et qui reste du même coup prisonnière d’alternatives trop simplistes pour rendre compte de la richesse des phénomènes à l’œuvre » (Neveu, 2011, p. 205). De même, plutôt que de radicaliser leur opposition, Yves Sintomer en appelle à « l’étude des parallèles entre les dispositifs institutionnalisés – participatifs ou délibératifs – et les mouvements sociaux » (2011, p. 268).

3Cette contribution s’inscrit dans ce programme de travail, en proposant d’analyser les relations paradoxales entre conflit et participation à partir de la notion d’apprentissage. Cette entrée permet de saisir de manière empirique l’hybridation entre conflit et participation. J’interroge en effet un exemple de procédure participative et un exemple de mobilisation collective en centrant l’attention sur ce que les différents acteurs y apprennent et sur les manières dont ils apprennent. Ainsi, il s’agit de répondre à deux types de questions. La première concerne les produits des apprentissages : apprend-on la coopération ou davantage le conflit ? La construction du consensus ou celle des antagonismes ? Ces deux types d’apprentissages ne seraient-ils pas identifiables aussi bien au sein d’arènes participatives que de mobilisations ? La seconde question est celle du processus d’apprentissage lui-même : comment les acteurs apprennent-ils ? L’analyse consiste alors à saisir les modalités pratiques dont les apprentissages sont issus. Ces deux acceptions de la notion d’apprentissage – comme produit et comme processus – justifient par ailleurs le choix de l’entrée par cette notion. Celle-ci permet de ne pas se limiter à un recueil « après coup » des apprentissages de la participation, mais de saisir aussi les processus éducatifs qui y ont mené. Cela conduit notamment à montrer qu’un même effet d’apprentissage peut être issu de modalités différentes. Ainsi, après avoir présenté les deux cas d’étude et les modalités d’enquête, je montre que le conflit, s’il est initialement appréhendé par des modalités agonistiques, peut également s’instruire par la coopération. Je m’attache ensuite à décrire les modalités d’apprentissage de la participation en tant que finalité, c’est-à-dire en tant que construction d’accords collectifs.

Deux terrains entre conflit et participation

Une conférence de citoyens en contexte conflictuel

4Dans le premier cas, j’ai observé et pris part à la mise en œuvre d’une conférence de citoyens sur l’enjeu particulièrement conflictuel de la gestion de l’eau en région Poitou-Charentes. Celle-ci s’inscrit dans un moment charnière entre cristallisation du conflit local sur l’eau et tentative de mise en place d’une concertation. En effet, depuis 2004, le Conseil régional a ouvert le débat sur l’eau opposant les tenants d’une agriculture conventionnelle basée sur l’irrigation (principalement la maïsiculture) et les défenseurs de pratiques agricoles plus respectueuses de l’environnement et de la ressource en eau. Après plusieurs années de controverses particulièrement conflictuelles [3], les acteurs publics envisagent la concertation et l’élaboration d’une politique commune au sein d’une Commission locale de l’eau (CLE) pour le bassin versant du fleuve Charente [4]. Mais avant même la création de cette commission, c’est la participation des citoyens « ordinaires » qui est expérimentée, via l’organisation d’une conférence de citoyens. Celle-ci a lieu en 2011, et est orchestrée par l’Établissement public territorial du bassin (EPTB) de la Charente, qui est alors pressenti pour être la structure porteuse de la concertation au niveau local [5]. C’est toutefois l’Institut de formation et de recherche en éducation à l’environnement (Ifrée) qui est à l’origine de ce projet et du partenariat avec l’EPTB. Structure de formation spécialisée dans l’accompagnement de la concertation, l’Ifrée est une association à forte sensibilité militante qui a activement participé à l’ouverture du débat sur l’eau au côté des associations environnementales et du Conseil régional. Proches des « artisans de participation » identifiés par Marion Carrel, les membres de la structure sont des « professionnels-militants » qui, issus du militantisme (éducation populaire, écologie, économie sociale et solidaire) ont ensuite choisi de « reconvertir leurs ressources militantes en savoir-faire professionnel » (Carrel, 2013, p. 206).

La mobilisation contre le gaz de schiste : du débat « sauvage » au débat « d’élevage » [6]

5La deuxième situation observée est un processus de mobilisation collective concernant une controverse environnementale. L’actualité du mouvement contre le gaz de schiste a déterminé le choix de ce second terrain d’enquête, au sein du collectif ardéchois Stop aux gaz et huiles de schiste. La dynamique du mouvement offre un autre exemple d’articulation entre conflit et participation. Le Collectif 07 regroupe depuis 2011 des élus locaux, des associations, syndicats et partis politiques, mais aussi des citoyens non initialement organisés et/ou politisés [7]. Lorsque ceux-ci apprennent l’existence de permis de recherche attribués par le ministère de l’Environnement aux industriels gaziers, leur mobilisation est, à l’image de la mobilisation nationale, « fulgurante » (Chateauraynaud, Debaz, 2011). Usant tout d’abord d’un répertoire d’actions agonistiques, notamment la manifestation et la menace d’actions de blocage en cas de démarrage des travaux, les mobilisés ont ensuite recours à des modalités plus délibératives, à la fois dans les règles d’organisation interne, mais aussi à l’égard des acteurs publics. Cela se traduit par le choix de la non-violence comme modalité d’action et stratégie de communication, par la constitution en association et par la professionnalisation du mouvement via le recrutement d’un salarié « coordinateur ». Ce travail lui permet de construire une interface avec les pouvoirs publics, et de faire valoir son expertise jusque dans les espaces de dialogue prévus par le ministère de l’Environnement. En 2012, il est par exemple invité à prendre part à la rédaction du cahier des charges pour une mission d’expertise sur un permis de recherche. Parfois, le collectif préfère en revanche ne pas participer, par exemple dans le cas d’un débat « dépolitisé » portant sur les modalités techniques d’une potentielle exploitation. Enfin, les mobilisés initient un important débat local sur l’énergie, organisant par exemple en 2013 un « forum citoyen » sur la transition énergétique, volontairement en marge du débat national sur le même thème.

Quelques éléments méthodologiques

6Dans les deux cas, j’ai réalisé une enquête ethnographique, conjuguant observation (parfois participante) et entretiens semi-directifs auprès des acteurs publics et des citoyens mobilisés. J’ai participé au comité de pilotage de la conférence de citoyens [8] et pris part à la mise en œuvre de celle-ci en tant que stagiaire au sein de l’Ifrée, ainsi qu’aux différents moments de sa valorisation et restitution [9]. Des entretiens ont été menés avec les acteurs publics ainsi qu’avec les participants en amont de l’expérience, à son issue, et plus de deux ans après. Ma posture d’observatrice participante a dû être négociée avec certains acteurs qui y voyaient une fonction de « garant » méthodologique et déontologique, bien que l’Ifrée, à l’origine de la demande d’association avec des chercheurs, l’envisageait davantage comme une manière de porter un regard réflexif sur la démarche. Mon apport a finalement été une évaluation, que j’ai choisi de co-construire avec les participants, notamment à travers la réalisation d’un film de recherche à partir des entretiens menés avec eux à l’issue de la démarche (Seguin, 2013).

7J’ai démarré mon enquête sur la mobilisation ardéchoise début 2013, deux ans après les premières manifestations. Celle-ci a tout d’abord porté sur les espaces de débat et de décision interne au Collectif 07 (assemblées mensuelles, réunions de commissions thématiques et un « forum ouvert » destiné à redynamiser le collectif), mais j’ai aussi participé à plusieurs débats publics sur les gaz de schiste. Je me suis également intéressée au débat local sur la transition énergétique initié à la suite de la mobilisation, en participant au forum « Oui à la transition énergétique et écologique » organisé en avril 2013 à Villeneuve-de-Berg. Ces observations ont été complétées par des entretiens avec un large panel de mobilisés : élus locaux, représentants des organisations pionnières du collectif et citoyens membres des collectifs locaux. Ma posture n’a pas spécifiquement dû être négociée puisqu’aucune attente forte n’a été formulée, sinon celle d’une restitution de ma recherche.

8Du point de vue de l’apport spécifique des méthodes employées, l’observation permet de saisir les processus d’apprentissage à l’œuvre (le « comment » apprend-on), tandis que les entretiens en renseignent la portée sur les individus. Dans les deux cas, l’observation a surtout l’avantage de mettre en lumière l’importance du rôle joué par les « artisans de participation » (Carrel, 2013). Issus de mouvements d’éducation populaire et d’éducation à l’environnement, ceux-ci œuvrent à faire de ces expériences des moments d’apprentissages politiques, aussi bien pour les acteurs publics que pour les citoyens engagés dans ces processus.

Apprendre le conflit par la participation

9Apprend-on le conflit uniquement en expérimentant une situation d’affrontement ou bien peut-il s’apprendre aussi au cours d’interactions coopératives ? Si la conflictualisation, entendue comme la reconnaissance de clivages sur un enjeu (Duchesne, Haegel, 2001, 2004 ; Hamidi, 2006), se développe d’abord dans un registre contestataire, voire violent, la poursuite du conflit ainsi que son ouverture au plus grand nombre nécessitent souvent, en revanche, des modalités d’interaction pacifiées.

Des enjeux particulièrement conflictuels

10Alors que la participation est souvent pensée en termes de réduction des conflits, A. Mazeaud (2011) montre que le conflit sur l’eau en Poitou-Charentes se développe suite à l’impulsion de la « démocratie participative » par le nouveau Conseil régional élu en 2004. Celui-ci œuvre en effet à faire entendre la voix des associations de protection de l’environnement, de pêcheurs et de consommateurs, face aux représentants de l’agriculture intensive qui bénéficiaient jusqu’alors de négociations favorables avec les acteurs publics [10]. L’ouverture du débat sur l’eau conduit à un processus d’« empowerment » (Mazeaud, 2011, p. 68) des associations, dont le principal moyen d’action devient l’attaque des projets de retenues de substitution – symbolisant le soutien à l’irrigation intensive – devant le tribunal administratif. C’est ainsi qu’est initié un débat « sauvage » qui échappe ensuite au contrôle des pouvoirs publics. En effet, le conflit ne prend alors pas toujours la forme relativement policée de l’attaque en justice. Les manifestations d’agriculteurs irrigants sont nettement moins pacifiques (blocage de routes, feu de pneus et de bottes de paille) [11], et les médias se font l’écho d’actes de violence ou d’agressions physiques ou verbales, attribués tantôt aux militants de la désirrigation, tantôt aux agriculteurs irrigants. Recrutés par tirage au sort pour leur statut de citoyens « dépourvus d’intérêts propres » (Sintomer, 2007) par rapport à l’enjeu, la majorité des participants à la conférence de citoyens connaissent ce conflit principalement à travers la presse locale. Certains en ont toutefois directement fait l’expérience. Georges, maïsiculteur irrigant [12], raconte ses interactions houleuses avec la police de l’eau, le sabotage de matériel d’irrigation dont son voisin a été victime, mais aussi le dialogue devenu impossible avec son entourage : « J’ai un copain qui est boulanger, quand j’ai voulu lui parler du panel de l’eau, il m’a dit “Oh, mais toi, t’es mal placé pour parler de ça, t’irrigues alors t’as rien à dire !” » [13]. D’autres relatent des altercations de voisinage avec des exploitants agricoles (dues à la gêne suite à l’épandage de fumier, le passage de tracteurs détruisant les fossés, ou encore le traitement par pesticides à proximité des habitations), tout en soulignant également l’impossibilité de discuter avec eux.

11Concernant l’enjeu du gaz de schiste, le secret dans lequel les permis de recherche sont accordés par le ministère de l’Environnement provoque une vive indignation sur le territoire ardéchois. Début 2011, le Collectif 07 multiplie les réunions publiques d’information dans les communes afin de soutenir cette émotion collective, notamment grâce à une sélection efficace des passages « chocs » du film Gasland. En ce début de mobilisation, les compétences de « tribun » [14] de certains militants écologistes aux parcours « à dominante politique » (Ollitrault, 2001, p. 11) sont particulièrement sollicitées. Ce sont notamment celles du président de la Frapna Ardèche : « Je ne sais pas si tu l’as vu en discours, sa capacité à drainer les foules… ça le prend tellement viscéralement, les gens partagent sa colère ! » [15]. Pour certains, cette colère pourrait, en cas de démarrage des travaux, se transformer en réaction violente, qui apparaît alors comme une réplique légitime à cette violence symbolique. Ainsi, le directeur de la Frapna Ardèche raconte que « certains étaient prêts à prendre les armes, les fourches, à aller au combat » [16], et donne l’exemple d’un appel reçu proposant de fournir des explosifs et de former une dizaine de personnes à leur utilisation. De leur côté, certains élus locaux contribuent à légitimer le choix du registre agonistique, par exemple en réactualisant un héritage politique local de résistances et de luttes, notamment lors des manifestations : « Oui, nous nous rebellons ! Notre région du Sud Ardèche a d’ailleurs un passé de rebelle depuis les protestants, les maquisards, la Résistance et bien d’autres… » [17]. La mobilisation prend donc tout d’abord les formes du conflit ouvert à l’égard des hautes administrations étatiques et des industriels gaziers, voire à l’égard de toute institution et tout représentant politique pour les militants les plus radicaux. Dans les deux cas étudiés, le conflit est donc tout d’abord expérimenté par le biais de l’affrontement, la protestation, voire la violence menant à la rupture du dialogue.

Instruire le conflit par la coopération

12La conflictualisation suppose que des « camps se donnent à voir » (Duchesne, Haegel, 2004, p. 884), c’est-à-dire que des lignes de partage entre groupes sociaux soient clairement identifiées. Mais la dimension conflictuelle des enjeux n’est pas nécessairement présente dès le départ pour l’ensemble des participants à un débat public, surtout s’il s’agit d’individus jusqu’alors peu politisés. Les travaux de sciences politiques nous apprennent en effet que « la politisation effective des discussions – au sens où les interlocuteurs reconnaissent, à propos d’une question d’intérêt collectif, l’existence de points de vue divergents – est bien un phénomène rare » (Duchesne, Haegel, 2004, p. 883). Mais si défendre une position face à des interlocuteurs en désaccord apparaît comme une « pratique sociale risquée » (p. 884), certaines conditions peuvent favoriser ce processus. Dans les deux terrains étudiés, des artisans de participation jouent un rôle facilitateur dans l’« instruction » des conflits [18]. Mettant en œuvre des modalités d’échange coopératives, ils contribuent à faire du conflit une pratique sociale moins risquée, notamment pour les individus initialement les moins politisés.

13En collaborant avec les acteurs publics, l’Ifrée rencontre initialement une volonté d’évitement du conflit. Alors qu’il tient à soumettre la question des conflits d’usage de l’eau à l’avis du public, certains membres du comité de pilotage expriment de fortes réticences :

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« Je pensais qu’il fallait peut-être lui donner moins d’envergure que ça. C’est-à-dire peut-être faire se prononcer les habitants sur leur quotidien face à l’eau, c’est-à-dire ils utilisent de l’eau, ils l’économisent plus ou moins… Peut-être les faire parler sur ce qu’ils étaient prêts à faire eux pour protéger la ressource, pour l’économiser[19]. »

15Opposé à cette tentative de dépolitisation du débat sur l’eau, l’Ifrée mène un travail pédagogique avec les membres du comité de pilotage : de nombreuses réunions visent à les convaincre de ne pas confiner les citoyens à de la « petite politique » (Bacqué, Rey, Sintomer, 2005, p. 123), voire à un statut de « citoyen-consommateur » (Barbier, Bédu, 2008). Grâce à un patient travail d’argumentation, l’Ifrée parvient finalement à un compromis concernant la question posée aux participants : « Comment concilier les différents usages de l’eau avec le bon état des eaux sur le bassin de la Charente ? ». Une formulation de compromis puisqu’elle ne contient pas directement la notion de conflit, mais qui laisse toute marge de manœuvre à son instruction. C’est par le biais de modalités participatives que les animateurs de l’Ifrée amènent ensuite les participants à appréhender les conflits d’usage de l’eau sur leur territoire. Ces derniers apprennent parfois à les repérer en expérimentant eux-mêmes les antagonismes, néanmoins de manière artificielle et pacifiée. C’est par exemple l’objectif d’un jeu de rôle où chacun, incarnant un usager, doit placer son personnage sur une maquette de bassin versant et énoncer la quantité et la qualité d’eau dont il a besoin et avec quels autres usagers il pense avoir des « besoins antagonistes ». Les antagonismes internes au groupe sont d’ailleurs appréhendés dès le premier week-end, lorsque les participants sont invités à choisir parmi une multitude d’objets et de photos celui ou celle qui représente le mieux leur rapport à l’eau [20]. Les lignes de partage au sein du groupe se dessinent donc progressivement, et au fil des week-ends, c’est l’enjeu de l’irrigation qui fait surtout l’objet d’une conflictualisation. Mis en situation d’enquête, les participants clarifient peu à peu les camps en opposition, notamment lors des rencontres avec des représentants d’usagers de l’eau [21] :

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« Les différentes interventions m’ont permis d’ouvrir les yeux sur les visions très contradictoires qui existent : pro/anti-irrigation ; pro/anti-maïs. »

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« On voit qu’il y a une diversité d’acteurs et qu’il y a des difficultés politiques, et même culturelles, pour s’accorder. »[22]

18Les échanges sont parfois vifs entre Georges, l’agriculteur, et certains participants ne cachant pas leur sensibilité environnementale. Mais pour que tous s’engagent de manière non risquée dans le débat, les animateurs œuvrent à construire une dynamique coopérative. Favorables à l’expression du conflit, ils n’y coupent court qu’en cas de risque de rupture du dialogue, comme c’est le cas lors d’une altercation entre Georges et Nathan :

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Au début du troisième week-end, Nathan s’emporte lorsqu’il apprend que ce sont les consommateurs qui paient le traitement de l’eau alors que les agriculteurs en sont les principaux pollueurs. Se sentant « mis en accusation », Georges proteste, se lève et rassemble ses affaires pour partir :
– « Animateur : [Georges], ne le prenez pas personnellement, [Nathan] n’a pas voulu vous blesser.
– Nathan : Mes propos étaient un peu durs, excuse-moi. Mais c’est vrai qu’on a payé un système et là on nous demande de le resubventionner…
– Animateur : Le sujet est sensible, on va reprendre nos discussions à tête froide… Deux mots de régulation avant de partir en pause : c’est un sujet sensible, si les élus ont souhaité mettre en place ce panel c’est bien parce que c’est sensible. Mais il faut s’entendre et s’expliquer. [Nathan] n’avait pas de mauvaises intentions. Il faut essayer de comprendre quel est le souci qui nous occupe, et ne heurter personne.
– Georges : Il a heurté ma profession, on a été utile pour un moment, les gens n’avaient rien à bouffer, il fallait nourrir les gens…
– Animateur : Personne n’a remis ça en question.
– Nathan : Vous êtes encore utiles, et vous serez utiles demain. J’ai été dur, ces modèles ont été choisis, mais vous aussi vous les avez choisis…
– Georges : Je regrette ce modèle-là, on a des modèles aberrants.
– Fabienne [sur le ton de la plaisanterie] : C’est comme les toilettes sèches !
– Marie : Oui j’allais le dire ! [rires au sein du groupe] »
Le groupe part en pause sur cette touche d’humour amenée par Fabienne, rappelant un moment de plaisanterie partagé par le groupe avant cette séquence[23].

20Sans être explicitement une « sanction » de l’attitude agonistique des protagonistes, l’intervention de l’animateur valorise en revanche un comportement coopératif ou délibératif : l’entente, l’explication, la compréhension, la discussion « froide » (plutôt que chaude) le registre rationnel (plutôt que sensible). Julien Talpin montre l’importance de ces sanctions et récompenses symboliques octroyées par les animateurs de dispositifs délibératifs « pour sanctionner ou récompenser symboliquement les arguments et les comportements déviants ou vertueux » (2006, p. 24). Ce phénomène jouerait un rôle capital dans l’acquisition de compétences civiques permettant de « jouer les bons citoyens », et ainsi de voir sa parole reconnue car elle correspond à la « langue » légitimée dans de telles arènes. Dans l’exemple relaté ci-dessus, la plaisanterie sert à désamorcer les tensions et sortir de la situation agonistique que l’ensemble du groupe ne souhaite pas voir durer, à l’exception de Nathan qui, tout en s’excusant, relance par deux fois le débat. Les autres participants ont par ailleurs jugé ses prises de parole « non constructives » et ont davantage soutenu les animateurs dans la promotion des attitudes coopératives. Le groupe a apprécié le cadre de discussion réglée que ces derniers se sont efforcés de maintenir, permettant par exemple à Georges de trouver un rare espace de discussion : « J’ai apprécié parce que j’ai pu quand même discuter avec les gens, même si on avait des divergences d’idées » [24], et aux plus réservés d’entrer sans risque dans le débat, comme Fabrice : « Il n’y a jamais eu d’attaques, on était un groupe et on était unis sur le sujet. […] Justement ce que j’ai apprécié là, c’est que je n’ai ressenti aucune agression, c’est très ouvert au contraire [25]. » Mais au final, le conflit qui oppose Georges et Nathan, suspendu par une pause, ne sera ensuite que partiellement résolu lors de la délibération : s’accordant à reconnaître que les responsabilités sont partagées (« Les pratiques agricoles sont tributaires d’une demande des industriels et des consommateurs. Les agriculteurs ne sont donc pas les seuls responsables du développement de ces pratiques [26]. »), la question de la répartition des coûts de la dépollution est néanmoins esquivée par le groupe.

21Des processus similaires d’apprentissage du conflit par le biais de modalités participatives sont-ils repérables au sein d’une mobilisation collective ? Deux temporalités sont identifiables dans le cours de la mobilisation ardéchoise contre le gaz de schiste : impulsé sur un mode agonistique, le mouvement devient ensuite davantage coopératif avec les acteurs publics. Afin d’instaurer une interface de dialogue avec ces derniers, il est tout d’abord nécessaire de proposer des alternatives aux réactions violentes susceptibles d’échapper au collectif et de lui porter atteinte : « On était sûr que ça allait flamber, mais pas aussi vite que ça, il fallait quand même structurer le machin ! » [27]. Des militants activistes, en particulier un membre de Greenpeace, œuvrent ainsi à l’instauration d’un protocole d’action collective très cadré tout en organisant une formation à la désobéissance civile non violente [28]. Avant chaque manifestation sont désignés des « négociateurs/pacificateurs » chargés de contenir les éventuels débordements. La non-violence confère une acceptabilité au mouvement, condition première de toute coopération avec les acteurs publics. Ce sont alors les compétences de militants écologistes « professionnels » (Ollitrault, 2001) ou de « debater » (Bourdieu, 1981) qui sont sollicitées, notamment celles du directeur de la Frapna Ardèche. Habitué au militantisme « de dossier » et au lobbying, ce dernier réactive ses réseaux et sociabilités politiques locales jusqu’à obtenir des subventions régionales pour le recrutement d’un salarié « coordinateur » [29]. La non-violence est également la règle de la communication interne et externe du collectif qui œuvre à unifier celle-ci, non sans susciter des désaccords. Un ancien référent de collectif local relate par exemple le refus du Collectif 07 d’utiliser les tracts d’information proposés par son collectif, car ceux-ci ont été jugés trop violents :

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« Il y avait une certaine tiédeur des associations. Ils ne voulaient pas de vagues, “on y va doucement” et ça servait aussi à avoir des rapports avec les pouvoirs publics […] Et nous, on a été jugés extrémistes dans ce qui était écrit dans les tracts. C’est vrai que je faisais pas dans la dentelle[30]  ! »

23Ce militant a quitté le collectif car il ne se reconnaissait pas dans le choix de la non-violence, mais également sous l’effet de sanctions de son comportement agonistique. On retrouve ici le même usage de sanctions et récompenses symboliques de la part des animateurs des réunions du collectif, allant parfois jusqu’à l’exclusion « douce » d’individus dont les attitudes ne correspondent pas aux normes fixées par le groupe :

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« Il y a eu des gens qui se sont retirés discrètement, la première année surtout […] On n’a exclu personne, deux ou trois personnes se sont retirées limite avant qu’on ne les exclue. L’un c’était pour le ton avec lequel il parlait aux gens : insultant, dénigrant, violent… Donc des gens comme ça faut qu’ils apprennent à parler autrement aux gens, faut qu’ils se calment sinon ils sèment la panique dans tout le groupe, et trois personnes suffisent à faire qu’un groupe ne fonctionne plus[31]. »

25Également issus de mouvements d’éducation populaire ou d’éducation à l’environnement, certains protagonistes jouent un rôle majeur dans l’instruction du conflit par la participation. Il s’agit notamment d’enseignants, parfois retraités, qui ont « réinvesti leur éthos professionnel » (Simon, 2010, p. 120) dans l’animation de débats publics. Un animateur « Nature » formé à la pédagogie s’illustre par exemple dans l’animation des réunions du collectif. Un ancien enseignant et militant du mouvement de la coopération à l’école [32] initie et anime de nombreux débats mouvants (voir ci-dessous). Enfin, une personne spécialisée dans le théâtre-forum est sollicitée lors de l’organisation du débat local sur l’énergie. Ces deux outils illustrent parfaitement la volonté d’instruire le conflit par le recours à des modalités coopératives.

Débat mouvant et théâtre-forum : expérimenter le conflit sans violence

26Le débat mouvant est une technique d’animation de débat contradictoire fondé sur l’échange réglé d’arguments, issue de l’éducation populaire, notamment de la SCOP Le Pavé [33]. Il invite les participants à se positionner physiquement dans l’arène de débat par rapport à des affirmations polémiques qui sont censées les diviser et à argumenter pour défendre leur positionnement. Le Collectif 07 l’a utilisé pour animer le débat local sur l’énergie, rendant ainsi visibles les antagonismes existants sur cet enjeu, par exemple autour des énoncés suivants : « Tant qu’il y aura du pétrole et du gaz dans le sous-sol, il serait bête de s’en priver », « En France, la transition est déjà mise en marche par le gouvernement » [34]. Le débat mouvant met en scène le conflit et rend l’ensemble des participants acteurs de celui-ci, et non pas seulement ceux qui osent, dans un format plus classique de débat, exprimer leurs points de vue et désaccords. Il permet en effet de participer par des modalités non discursives, simplement en se positionnant et en se déplaçant d’un camp à un autre pour exprimer son accord ou son désaccord avec les arguments avancés :

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« Je trouve ça super parce que c’est vivant, c’est pas comme une réunion où il y en a qui sont dans leur coin et d’autres qui parlent tout le temps. Même si on ne s’exprime pas par la parole, on s’exprime par le corps, même si après je n’ose pas dire pourquoi je suis d’accord ou pas, n’empêche que je me suis exprimée. Et c’est ludique, c’est marrant en même temps, donc je trouve ça bien[35]. »

28Ainsi, les participants les moins habitués au militantisme trouvent dans le débat mouvant des modalités d’expression facilitant leur inclusion, malgré la dimension conflictuelle des enjeux débattus.

29Le théâtre-forum invite également à mettre en scène et à expérimenter de manière non risquée le conflit. Proposé par une salariée de Polénergie Ardèche [36], il est animé par une personne formée à cette technique mise au point par Augusto Boal dans les années 1960 [37]. Il s’agit d’un membre de L’atelier du Déclic, association locale spécialisée dans le théâtre-forum pour les problématiques environnementales. Le théâtre-forum repose sur une mise en scène d’un conflit comme support du débat avec les spectateurs, qui deviennent également acteurs de la scène jouée. Il se déroule en deux étapes : des comédiens jouent d’abord une scène de la vie courante illustrant une problématique sociale, économique ou environnementale. Celle-ci met en évidence de forts désaccords entre personnes aux intérêts divergents et se termine par la rupture du dialogue. La seconde partie fait intervenir les spectateurs qui deviennent alors « spect’acteurs », et qui, guidés par le metteur en scène (souvent appelé joker), peuvent interrompre la scène à tout moment pour venir prendre la place d’un des comédiens et jouer la suite en proposant des alternatives à la rupture du dialogue. Les alternatives sont testées afin d’en explorer les conséquences sur le groupe et l’action au cours d’une sorte d’enquête collective. Il s’agit avant tout de mettre en évidence les désaccords internes au groupe : « Le joker doit aussi travailler les tensions qui circulent dans la salle, jusqu’à la diviser au besoin pour qu’apparaisse la nature du conflit. Un forum réussi, c’est quand il y a du débat contradictoire dans la salle même » (Chatelain, Boal, 2010, p. 191). La forme théâtrale permet d’expérimenter le conflit tout en ne courant pas le risque d’en payer les conséquences, ce qui encourage les participants à y prendre part alors qu’ils n’oseraient peut-être pas le faire dans une situation réelle de conflit (potentiellement violente) [38]. La scène jouée lors du théâtre-forum observé en Ardèche oppose principalement la présidente d’une copropriété et une habitante, militante écologiste, sur la question du remplacement de la chaudière collective. La rupture du dialogue est provoquée par la militante écologiste, et lorsque les spect’acteurs sont invités à y rechercher des alternatives, c’est son comportement jugé « trop agressif, trop violent », qui est corrigé et remplacé par un effort d’argumentation pour défendre son point de vue. Cette proposition a l’avantage de ne pas conduire à la rupture du dialogue entre les deux protagonistes, même si celles-ci ne se mettent pas pour autant d’accord sur une solution au problème. Il s’agit donc bien de « sortir de la violence par le conflit », comme le précise l’animateur en guise de conclusion à l’issue de la séance, se référant à l’approche de la thérapie sociale développée par Charles Rojzman (2008).

30Ces observations font écho aux effets de pacification que l’expérience d’une mobilisation non violente peut avoir sur certains militants. C’est le cas d’Aurélien, activiste antinucléaire usant habituellement de compétences agonistiques :

31

« Je suis quelqu’un de chaud, c’est-à-dire que je réagis facilement au quart de tour, et ça m’a vraiment appris à poser, prendre du recul dans l’instant, en disant “attends parce que ça va peut-être froisser des gens, c’est peut-être que ton point de vue”… J’étais très réactif avant, mais c’est vrai que souvent, quand tu es très réactif, dans un premier temps c’est pas cohérent, tu n’as pas tous les arguments parce que tu réagis par rapport à un argument. Donc voilà, prendre du recul… »[39].

32Mais apprendre nécessite aussi de désapprendre, et parfois les nouvelles attitudes acquises peuvent ne pas être considérées comme des apports bénéfiques [40]. Ici, c’est parce qu’ils encouragent, in fine, l’adoption de comportements qui sont justement la cible de leurs critiques envers les professionnels de la politique :

33

« Je me trouvais un peu emporté, nerveux […] c’est vrai qu’il a fallu faire des efforts parfois pour prendre sur soi, et donc forcément on acquiert plus de maturité, de diplomatie… Mais la diplomatie parfois c’est de l’hypocrisie donc je me méfie un peu. Être diplomate, apprendre à calmer, être tolérant, mettre de l’huile dans les rouages, faut le faire, c’est bien, mais faut faire attention de ne pas tomber dans le piège des politiciens, qui font toujours des sourires, qui te passent la main dans le dos, et puis par-derrière… il faut arriver à trouver le bon équilibre, faut pas que ça devienne une technique[41]. »

34Se faisant animateurs du débat tout en étayant la dimension conflictuelle des enjeux, les salariés de l’Ifrée comme les militants ardéchois sont donc les artisans de contre-pouvoir de type délibératifs. Dans les deux cas, ce n’est pas le conflit qui est exclu des arènes de débat, mais ses modalités d’expression violentes. Instruire le conflit consiste donc à accompagner les participants dans l’identification des camps en opposition « au sens où le locuteur admet l’existence de clivages sur la question en jeu et non pas au sens où il mobiliserait nécessairement un registre discursif revendicatif ou contestataire » (Hamidi, 2006, p. 10). Ainsi, les animateurs et les cadres d’échanges assurent le passage « de la violence au conflit argumenté » (Carrel, 2006, p. 36), et permettent aux participants d’entrer de manière non risquée dans des débats conflictuels en leur donnant les « moyens d’assumer la différence éventuelle d’opinion avec leurs interlocuteurs » (Duchesne, Haegel, 2011, p. 101). Notons enfin que les possibilités de s’exprimer à travers des objets, des photos, le théâtre ou le corps sont autant de « médiations non langagières » (Berger, 2014, p. 3) facilitant l’inclusion de tous dans ces arènes.

Apprendre à construire des accords collectifs

35L’instruction du conflit est-elle une finalité suffisante pour les acteurs engagés dans ces processus ? Ne sont-ils pas également à la recherche d’une efficacité politique, c’est-à-dire d’effets directs sur la décision, impliquant alors plutôt la construction d’accords collectifs ?

Apprendre à délibérer

36Les dispositifs de discussion analysés ont pour effet d’instituer le conflit de manière pacifiée. Dans les deux cas observés, cette étape apparaît systématiquement comme un préliminaire à la recherche d’accords collectifs par la délibération. Ainsi, les animateurs de la conférence de citoyens œuvrent certes d’abord à instruire les antagonismes au sein d’espaces d’échanges réglés, mais la procédure a pourtant bien comme objectif de produire une parole collective, et non pas une juxtaposition d’avis contradictoires. Si les participants sont invités à expérimenter le conflit, ils sont donc également incités à envisager les possibilités de le dépasser, du moins partiellement (sans pour autant viser un consensus collectif). En d’autres mots, il ne s’agissait pas seulement d’un processus d’apprentissage du conflit, il y a aussi un apprentissage de la délibération et de la conciliation. C’est lors de la rédaction de l’avis final que les animateurs incitent les participants à s’entendre sur un état des lieux et des propositions d’action : « Ce week-end, c’est le plus exigeant pour vous. On arrête de se poser des questions, il faudra faire avec ce qu’on a et produire des propositions collectives [42]. » Les principales interventions des animateurs visent alors soit à répondre négativement aux demandes d’informations supplémentaires, soit à amener les participants à trouver des points d’accord lorsque ceux-ci expriment des points de vue divergents. Le dispositif et l’animation jouent donc un rôle capital dans l’apprentissage de la délibération : répartis en sous-groupes, les participants doivent d’abord prendre connaissance des propositions des autres groupes sur chacune des thématiques avant de pouvoir soit les compléter, soit les réfuter de manière argumentée, mais jamais les supprimer. L’avis final témoigne bien de la construction d’un collectif, visible par la forte présence du « nous » (« nous pensons », « nous proposons », etc.). Les participants parviennent finalement à s’accorder collectivement sur des propositions, par exemple concernant les moyens de lutter contre les pollutions agricoles, notamment par le biais de compromis intégrant les préoccupations de Georges : « Nous proposons de généraliser les pratiques agricoles peu consommatrices en nitrates et en pesticides tout en conservant la rentabilité économique de l’entreprise [43]. » Ils ne sont cependant pas contraints au consensus lorsque les dissensions sont trop importantes. Ainsi, deux désaccords ne sont pas conciliés – à propos de la désalinisation de l’eau de mer pour « produire » de l’eau, et des aides financières aux agriculteurs afin que ceux-ci s’équipent de technologie de gestion de l’irrigation – et apparaissent dans l’écrit final : « Certains d’entre nous proposent […] alors que d’autres… ».

37Au sein du Collectif 07, la construction d’accords collectifs fait également l’objet d’un processus d’instruction dans les multiples formats de débat observés. Si le théâtre-forum invite par exemple les participants à expérimenter le conflit, ils sont aussi des espaces où ces derniers en explorent les possibilités de sortie. Lorsque les spect’acteurs entrent sur scène, c’est dans l’objectif de proposer des alternatives « dans le sens d’une recherche de solution consensuelle » [44], selon la consigne de l’animateur. Lorsque les propositions peinent à satisfaire l’ensemble des protagonistes, ce dernier invite à en tester de nouvelles, jusqu’à parvenir à un compromis acceptable par tous. La recherche d’accords collectifs se retrouve également dans les modes de décision interne au collectif, la règle étant celle de la prise de décision par consensus collectif plutôt que par vote lors des assemblées mensuelles. Celle-ci incite les participants à délibérer et donc à argumenter leurs positionnements, notamment concernant les modes d’organisation et d’action. Le vote est seulement utilisé lorsque les désaccords sont jugés inconciliables, parfois après plusieurs inscriptions à l’ordre du jour (ce fut le cas de la constitution du collectif en association). Comme le constate Héloïse Nez (2012) pour les assemblées des Indignés espagnols, cette « formalisation de méthodes délibératives » répond à une volonté d’horizontalité et d’inclusion de tous dans les prises de décision [45]. Pour le cas ardéchois, les entretiens montrent que ces pratiques délibératives ont fait l’objet d’un apprentissage collectif au fil du mouvement, puisqu’elles semblent désormais faire partie des habitudes, comme le relève le directeur de Polénergie Ardèche :

38

« J’ai l’impression que le côté que je connaissais il y a trois-quatre ans – la prise de parole intempestive, le manque d’attention au fait que d’autres que moi pourraient s’exprimer – ça tend à disparaître, il y a une sorte de discipline collective qui est en train de s’acquérir et de se mettre en place […] Du coup maintenant c’est assez admis, le fait que quand on va faire une réunion on ne va pas forcément la faire avec une circulation de la prise de parole mains levées, micro… mais qu’on va utiliser un jeu de cartes, un tableau, des Post-it… ça passe dans les pratiques[46]. »

Apprendre le langage des acteurs publics

39La construction d’accords par la délibération apparaît donc comme une étape essentielle pour produire une parole ou une action collective plutôt qu’un agrégat de dissonances individuelles. Dans les deux cas, l’enjeu est surtout que cette parole ou cette action soit lisible par les acteurs publics, afin qu’elle ait finalement une efficacité politique. Rémi Barbier (2005, p. 259) remarque qu’en situation de conflit, les acteurs publics font généralement une distinction entre ceux « avec lesquels il est possible de discuter », et ceux « qui ne veulent rien entendre ». Ces derniers sont aussi ceux qu’on ne veut ou qu’on ne peut pas entendre, parce qu’ils n’utilisent pas le langage légitimé dans les arènes de décision. Ainsi, dans les deux cas étudiés, les acteurs s’efforcent de construire un discours légitimement recevable, qui finit par être proche de l’expertise, à des degrés différents toutefois.

40La construction d’une expertise constitue l’une des activités principales du collectif anti-gaz de schiste, ce registre étant au cœur des échanges avec les acteurs publics. Il s’agit en effet de se distinguer de la posture Nimby d’un certain nombre d’habitants et de « faire un effort de connaissance pour ne pas dire “n’importe quoi” » (Rui, 2009, p. 82), tout en faisant de cet effort une ressource stratégique et une modalité tactique, puisque cela lui permet de faire entendre sa voix. C’est en effet grâce à la construction d’un argumentaire scientifique et technique [47] que le collectif est reconnu en tant qu’interlocuteur légitime par les pouvoirs publics, comme l’exprime une députée :

41

« C’est super ce qu’ils ont fait, du point de vue de l’expertise scientifique. Le rendez-vous qu’on a eu fin septembre avec Delphine Batho puisqu’on a été reçu au ministère, il y avait de vrais arguments […]. Et c’est ce qui a permis de déboucher sur la mission d’expertise. Il y a vraiment des compétences dans ce collectif, d’ailleurs les personnes du BRGM [Bureau de recherches géologiques et minières] ils l’ont tous intégré ça, ils ont tous vu qu’ils ne pouvaient pas raconter n’importe quoi parce qu’il y avait des compétences[48]. »

42Ainsi, les mobilisés prennent part au jeu du débat d’expert, tout en apprenant les subtilités des règles du jeu politique et de la coopération avec les acteurs publics, dont le compromis semble être un élément incontournable : ils font le choix de l’expertise alors même qu’il existe vis-à-vis de celle-ci une grande méfiance quant à ses effets en termes de dépolitisation des débats.

43L’incitation à adopter le langage légitimé dans les arènes de décision se retrouve également dans la conférence de citoyens. Pour les acteurs publics à son origine, celle-ci doit en effet mener à produire une parole « entendable », terme notamment utilisé par le président de l’EPTB Charente pour qualifier une parole modérée :

44

« Si c’est vraiment pas entendable, on ne le remettra pas […] Dire par exemple que dès demain il faudrait arrêter toute irrigation, dire qu’il faudrait arrêter tout prélèvement en eau dans la Charente c’est pas entendable, dire que les associations écologistes ne devraient pas se mêler des problèmes de l’eau, c’est pas entendable non plus […] Donc tout ce qui serait position extrême[49]. »

45Le caractère « dicible » (Rancière, 1998) du discours produit apparaît ainsi comme une condition à la restitution auprès de la CLE. Conscients de cette difficulté, les animateurs de l’Ifrée sont parfois tentés de modérer les propositions des citoyens :

46

« Je suis intervenu sur les grandes surfaces en disant “c’est une idée qui peut être intéressante, mais si vous le dites comme ça, ça risque d’apparaître comme une idée extrémiste et donc d’être balayé d’un revers de main”. J’ai eu envie d’intervenir quand ils ont dit “il faut revoir la PAC [Politique agricole commune]” : la CLE peut entendre qu’il faut inciter les agriculteurs à évoluer, mais qu’il faut changer la PAC… la CLE va les envoyer bouler en disant “c’est pas à nous de le faire”. Mais je ne suis pas intervenu[50]. »

47L’écrit final traverse ainsi des « épreuves de traduction » (Bedu, 2010), qui le rendent « dicible » : structuré, argumenté et nourri de données précises [51]. Pour chaque point développé, un état des lieux précède la formulation de propositions, donnant finalement à cet avis une forme proche de l’expertise [52]. Nos deux cas, de démocratie participative et de mobilisation collective, s’inscrivent effectivement dans un cadre institutionnel où ce registre jouit d’une légitimité particulière, parce qu’il est envisagé comme un moyen de dépasser les antagonismes (Robert, 2008). Les acteurs ont donc appris à construire une parole collective argumentée afin d’être légitimement entendus par les acteurs publics, et à adopter les « savoir-dire » (Claeys-Mekdade, 2006) propres à ces derniers.

Apprendre à identifier les points de rupture

48Si dans les deux cas les participants adoptent des attitudes coopératives dans le but de trouver des accords collectifs, ou du moins de s’accorder sur un langage commun, l’apprentissage de la participation demeure pourtant un parcours chaotique dans lequel les désaccords peuvent à tout moment mener à la rupture de la coopération. C’est au moment de la restitution de leur travail devant la CLE que les participants à la conférence de citoyens éprouvent le plus les limites de la coopération. Souhaitant présenter la démarche sous forme de film, l’EPTB et l’Ifrée convient les participants à lire ensemble l’avis final devant une caméra. Georges, qui avait pourtant adopté une attitude coopérative lors du troisième week-end après son altercation avec Nathan, refuse de prendre part à cette lecture filmée. Cela le placerait effectivement dans une situation paradoxale, puisque le film rend public un avis auquel il a certes contribué, mais dont il n’assume pas certains passages. Une fois sorti du huis clos de la procédure, « l’épreuve du réel » (Barbier, Bedu, Buclet, 2009) lui rappelle effectivement que le débat sur l’eau et l’agriculture reste profondément conflictuel, notamment après avoir reçu, peu de temps après sa participation à la procédure, une contravention pour ne pas avoir respecté les restrictions d’irrigation. Ainsi a-t-il adopté lors du tournage du film une attitude très distante, visible dans le film par son positionnement physique, assis à bonne distance des autres participants, mais tout de même présent.

49Cette posture d’« adhésion distanciée » (Rui, Villechaise-Dupont, 2005), voire non participante, est également parfois adoptée par les militants anti-gaz de schiste. En effet, même si les acteurs des mouvements sociaux sont souvent très critiques vis-à-vis des procédures participatives, rares sont ceux qui refusent toute forme de participation, quitte ensuite à adopter cette attitude. C’est le cas lorsqu’un membre du collectif est convié à la première Conférence environnementale sur le développement durable [53] pour représenter la Coordination nationale des collectifs anti-gaz de schiste :

50

« C’est de la parlotte, mais je ne me plains pas d’y avoir été parce que j’ai foutu le feu ! On avait droit à deux minutes pour se présenter, mais au lieu de me présenter j’ai parlé du permis du bassin d’Alès, j’avais un langage un peu fleuri, j’ai dit “y’a des puits bizarres, on sait pas trop ce que c’est…”. Donc j’en ai profité ! »[54]

51En effet, la ligne de conduite du collectif est d’être présent, d’une part pour prendre la mesure de ce qui s’y échange, et d’autre part pour faire passer le message du collectif. Pourtant, prendre part au débat comporte également le risque d’être pris en otage, c’est pourquoi le collectif prévoit également une marge de manœuvre : la personne déléguée peut « se permettre de quitter la réunion en cas de point de rupture pour ne pas servir d’alibi » [55]. L’apprentissage de la mobilisation consiste donc aussi à apprendre à identifier ces moments où la poursuite de la coopération deviendrait risquée. Cet apprentissage se construit au fil des expériences de dialogue avec les acteurs publics, par exemple lorsque le Collectif 07 est invité à prendre part à la rédaction du cahier des charges pour une mission d’expertise sur le permis du bassin d’Alès. D’abord satisfait d’une première réunion au ministère de l’Environnement, le collectif refuse ensuite de poursuivre la coopération : « Le but était de nous faire intervenir dans le cadre de référence de l’expert. Les remarques faites par les personnes présentes étaient prises comme étant des propositions… Ce qui a tendu la réunion car ce n’était pas le cas [56]. » Tout comme les militants du Réseau Sortir du Nucléaire étudiés par Sezin Topçu (2008), le collectif refuse donc parfois de mobiliser ses compétences scientifiques, notamment lorsqu’il juge le risque d’instrumentalisation trop important. Enfin, les mobilisés ardéchois apprennent aussi à identifier les moments où la rupture avec les pouvoirs publics n’apporte pas de bénéfice au mouvement. C’est par exemple le cas lorsqu’ils ne souhaitent pas inscrire le débat local sur la transition énergétique dans les cadres que leur offre à ce moment-là le débat national sur le même thème [57], considérant que ce dernier ne permet pas de « rendre discutables » (Barthe, 2002) certains choix énergétiques, notamment le nucléaire. Cependant, la plupart regrettent ensuite de ne pas avoir bénéficié d’aides financières et logistiques, mais surtout que ce choix rende finalement difficile la prise en compte des issues de leur débat :

52

« Malheureusement c’était une erreur de ma part, parce que si on avait décidé de l’inscrire on aurait pu être financés un peu plus, et toutes nos conclusions auraient pu enrichir le débat et donner un peu plus de poids à ce vers quoi on tendait. […] Ça a été une erreur pour essayer de faire entendre plus notre parole et les conclusions de ce forum. Je me suis laissé vraiment prendre dans le jeu du “non à la récupération”, “c’est citoyen 100 %”, etc.[58] »

53Cet extrait témoigne d’un apprentissage « en négatif » (Gardesse, 2011, p. 11), c’est-à-dire via un processus de réflexivité par rapport à l’action passée. La vigilance face à la généralisation actuelle de la participation et ses « effets de cadrage » (Neveu, 2011, p. 196) sur les modes d’action collective conduit effectivement au choix de ne pas participer, qui est ensuite revu en fonction des bénéfices qu’aurait pu apporter le choix inverse.

Conclusion

54Malgré leur apparente opposition, les deux processus étudiés sont en réalité source d’apprentissages comparables sinon similaires pour ceux qui y prennent part. Il s’agit en effet d’expériences tout aussi conflictuelles que coopératives, plaçant les acteurs dans une situation d’« enquête sociale » – selon le sens donné à cette notion par John Dewey (1927, 1938) –, faite d’essais, d’échecs et de réussites. On a d’abord vu que le conflit, loin d’être évacué par la participation, fait au contraire l’objet d’une instruction conduite par des animateurs à forte sensibilité militante. Leurs pratiques, relevant plus ou moins directement de l’éducation populaire, montrent qu’identifier les antagonismes ne s’apprend pas seulement en étant engagé dans des situations d’opposition ou de protestation, mais peut également s’apprendre de manière apaisée et coopérative. Elles invitent à penser le conflit non comme un état, mais comme un processus (conflictualisation) : la dimension conflictuelle d’un enjeu n’est pas nécessairement une donnée a priori, mais peut se construire au cours de l’expérience de participation. Loin de conduire à la dépolitisation et à la réduction des conflits, ces expériences participatives donnent lieu au contraire à une politisation des enjeux comme de certains individus qui y ont parfois donné suite par d’autres engagements, notamment associatifs. Dans un second temps, on a vu que, dans les deux cas, l’instruction des conflits se complète par une enquête sur les moyens de parvenir à des accords collectifs. La participation est alors entendue dans ses finalités : il s’agit de s’entendre sur un langage commun, et l’expertise apparaît notamment comme le plus à même de contribuer à la coopération avec les acteurs publics. Mais parfois, la recherche d’un accord trouve des limites : alors même que les acteurs sont engagés dans des espaces de participation, ils apprennent aussi à repérer les moments où la poursuite de la coopération deviendrait risquée. Ainsi, le choix de participer ou de ne pas participer peut être revu à la lumière des expériences et des bénéfices apportés, et conduire finalement à un apprentissage de la participation, paradoxalement issu d’une situation agonistique.

Notes

  • [1]
    Je remercie Patrice Melé, Luigi Bobbio et Hélène Bertheleu pour leurs relectures attentives.
  • [2]
    Voir également les critiques de la démocratie délibérative de Nancy Fraser (2005) et Iris Marion Young (2000).
  • [3]
    Alice Mazeaud relève la récurrence du terme « guerre de l’eau » dans la presse locale, et le fait que la région est « un principal pourvoyeur de contentieux en matière de gestion de l’eau » (2011, p. 63).
  • [4]
    La CLE, véritable « parlement local de l’eau » est une instance de concertation chargée d’élaborer un Schéma d’aménagement et de gestion des eaux (SAGE) qui définit les orientations de la gestion de l’eau sur un bassin versant. Elle regroupe élus, représentants de l’État et usagers du bassin versant.
  • [5]
    Afin d’assurer la maîtrise d’ouvrage du SAGE, la CLE doit s’adosser à une structure intercommunale ayant une existence juridique ; il s’agit le plus souvent d’un EPTB.
  • [6]
    Je reprends ici une distinction de Laurent Mermet (2007).
  • [7]
    Le collectif se compose d’organisations initialement réunies autour de la Fédération Rhône-Alpes de protection de la nature (Frapna) Ardèche. Parmi les organisations pionnières du mouvement figurent une autre association environnementale (Vigi-Nature), des partis politiques (Europe-Ecologie-les-Verts, le Parti de Gauche, les Alternatifs), un syndicat (Sud-Solidaires) et des organisations « citoyennes » (le Comité de résistance et d’initiative citoyenne et l’Observatoire des pratiques de développement local et mondial). Pour être membre du Collectif 07 et participer à ses assemblées mensuelles, les habitants doivent d’abord s’organiser en collectifs locaux dans leur commune.
  • [8]
    Inscrivant la démarche dans les financements alloués à la constitution de la CLE et l’animation du SAGE, l’EPTB et l’Ifrée ont convié les partenaires et financeurs du SAGE (services de l’État, Conseil régional et conseils généraux) à participer à son comité de pilotage.
  • [9]
    Les trois week-ends de la procédure (information, rencontre d’acteurs, délibération) ont été complétés par une journée de finalisation de la rédaction collective, une autre de tournage d’un film destiné à la présentation de l’avis final, et enfin la restitution de ce dernier lors d’une réunion de la CLE.
  • [10]
    C’est-à-dire avec les collectivités locales et le préfet qui n’appliquaient pas systématiquement les mesures de restriction des prélèvements.
  • [11]
    Comme en témoignent des articles de presse : S. Urbajtel, « Charente-Maritime : les irrigants en rogne contre les restrictions d’arrosage bloquent les routes », Charente Libre, 21 mai 2011 ; Th. Brosset, « Charente-Maritime : le printemps s’annonce chaud pour la gestion de l’eau », Sud Ouest, 23 mars 2012.
  • [12]
    Tous les noms des protagonistes ont été remplacés par des pseudonymes. Le recrutement de Georges a fait l’objet d’un compromis entre l’EPTB qui souhaitait que la profession agricole soit représentée au sein du panel et l’Ifrée qui ne souhaitait que des citoyens « ordinaires ». Ce dernier y a consenti car Georges était retraité et non syndiqué, ce qui semblait atténuer ses « intérêts propres ». Mais, dans les faits, il travaillait toujours autant, accompagnant son fils dans la reprise de l’exploitation.
  • [13]
    Entretien avec Georges, participant à la conférence de citoyens, 15 novembre 2011.
  • [14]
    Lorsque Bourdieu explore les modes de pensée et d’action des professionnels de la politique, il distingue la capacité du « tribun, indispensable dans les rapports avec les profanes », et celle du « debater, nécessaire dans les rapports entre professionnels » (1981, p. 6).
  • [15]
    Entretien avec le directeur de la Frapna Ardèche, membre du Collectif 07, 12 juin 2013.
  • [16]
    Ibid.
  • [17]
    Discours du maire de Villeneuve-de-Berg (PC) lors de la manifestation du 26 février 2011.
  • [18]
    Je reprends une expression d’Alexia Morvan (2011) dans sa thèse sur une expérience de recherche-action en éducation populaire. S’inspirant de la philosophie de Ricœur, Castoriadis et Rancière, A. Morvan évoque une nécessaire « pédagogie d’instruction rigoureuse des conflits » (p. 129), plaçant la reconnaissance des divisions qui traversent la société comme une étape essentielle à toute expérience d’éducation populaire.
  • [19]
    Entretien avec le représentant de l’Agence de l’eau Adour-Garonne, 7 février 2011.
  • [20]
    Atelier intitulé par l’Ifrée « Bric-à-brac » de l’eau, similaire au photolangage.
  • [21]
    En particulier en confrontant les propos d’un tenant de pratiques agricoles alternatives, militant à la Confédération Paysanne et engagé contre l’irrigation intensive, et ceux d’un président d’un syndicat d’irrigants.
  • [22]
    Compte rendu de travail en petit groupe, deuxième week-end, 9 avril 2011.
  • [23]
    Compte rendu d’observation du troisième week-end, 7 mai 2011. La plaisanterie porte sur le cas d’un homme poursuivi en justice pour avoir installé des toilettes sèches chez lui. Le groupe trouve « aberrant » que les pouvoirs publics incitent les consommateurs à réduire leur consommation d’eau tout en n’encourageant pas – voire en entravant – les installations de toilettes sèches, économes en eau et contribuant à régler la question du traitement des eaux usées domestiques.
  • [24]
    Entretien avec Georges, participant à la conférence de citoyens, 10 février 2014.
  • [25]
    Entretien avec Fabrice, participant à la conférence de citoyens, 14 novembre 2011.
  • [26]
    Extrait de l’avis final de la conférence de citoyens.
  • [27]
    Entretien avec le président de la Frapna Ardèche, membre du Collectif 07, 12 juin 2013.
  • [28]
    Pour Albert Ogien et Sandra Laugier, la désobéissance apparaît comme l’ultime forme d’expression « acceptable » face à quelque chose jugé illégitime (2011), et la non-violence comme l’une des règles des mouvements sociaux contemporains qui se veulent être le contre-modèle de ce qui est critiqué (2014).
  • [29]
    Le Conseil régional a refusé la demande de subvention sous forme d’enveloppe fermée, mais proposé une convention avec le Collectif 07 pour l’emploi d’un salarié coordinateur du réseau Rhône-Alpes des collectifs Stop au gaz de schiste. Il s’agissait d’un photographe, recruté pour ses compétences en communication.
  • [30]
    Entretien avec Victor, ancien membre du Collectif 07, 9 avril 2014.
  • [31]
    Entretien avec Clément, référent d’un collectif local et à plusieurs reprises animateur des assemblées plénières du Collectif 07, 24 juin 2013.
  • [32]
    Celui-ci était engagé au sein de l’Office central de la coopération à l’école (OCCE), association défendant le fait d’« apprendre avec les autres, par les autres, pour les autres, et non pas seul contre les autres » (http://www.occe.coop/, accès le 15 juin 2013).
  • [33]
    Le Pavé est la première SCOP d’éducation populaire à voir le jour à Rennes en 2007. Pour en savoir plus sur le débat mouvant : http://www.scoplepave.org/pour-discuter.
  • [34]
    Compte rendu d’observation du débat mouvant organisé en introduction au forum citoyen « Oui à la transition énergétique et écologique », Villeneuve-de-Berg, 13 avril 2013.
  • [35]
    Entretien avec Catherine, aide-soignante et référente d’un collectif local, 20 juin 2013.
  • [36]
    Polénergie Ardèche est l’Espace info-énergie du département. Engagé dans la mobilisation contre le gaz de schiste, il joue ensuite un rôle important dans l’animation du débat local sur l’énergie.
  • [37]
    Le théâtre-forum a aussi été appelé « théâtre de l’opprimé » par A. Boal en hommage à Paulo Freire et à sa « pédagogie de l’opprimé ». Les scènes jouées représentent souvent des situations d’oppression sociale, mettant en scène « un conflit de volontés entre des personnages (les opprimés) qui veulent changer le cours des choses et ceux qui les réduisent au silence ou résistent au changement (les oppresseurs) » (Chatelain, Boal, 2010, p. 22).
  • [38]
    Clémence Bedu (2010) relève également les « propriétés inclusives » du théâtre-forum utilisé à l’occasion de l’atelier citoyen Dem’eau à Nantes.
  • [39]
    Entretien avec Aurélien, référent d’un collectif local et militant antinucléaire, 9 avril 2014.
  • [40]
    Louis Simard et Jean-Michel Fourniau (2007) écrivent que les acteurs engagés dans un processus de concertation ont de « bonnes raisons » d’apprendre, mais on peut aussi considérer que parfois l’apprentissage peut être vécu de manière négative, et que les acteurs d’un débat public ont aussi de « bonnes raisons » de ne pas apprendre, par exemple lorsque certains savoirs vont à l’encontre de leurs intérêts propres.
  • [41]
    Entretien avec Clément, référent d’un collectif local et à plusieurs reprises animateur des assemblées plénières du Collectif 07, 24 juin 2013.
  • [42]
    Compte rendu d’observation, troisième week-end, 7 mai 2011.
  • [43]
    Extrait de l’avis final.
  • [44]
    Compte rendu d’observation, théâtre-forum « Énergie en scène – la copropriété », 13 avril 2013.
  • [45]
    Pour une analyse stimulante de l’« air de famille » entre mouvement sociaux et dispositifs participatifs, voir le travail de Julie Le Mazier (2014) qui montre que celui-ci n’est pas dû à la diffusion récente d’un impératif délibératif au sein des mouvements sociaux, mais qu’au contraire les idéaux délibératifs qui inspirent les dispositifs participatifs sont en partie issus d’une culture militante protestataire plus ancienne.
  • [46]
    Entretien avec le directeur de Polénergie Ardèche, membre du Collectif 07, 18 juin 2013.
  • [47]
    Le collectif bénéficie des compétences de deux hydrogéologues, de deux géologues (dont l’un a travaillé dans le secteur pétrolier) et d’un ancien technicien ayant travaillé dans les puits de forage pétroliers.
  • [48]
    Entretien avec une députée de l’Ardèche, 26 juin 2013.
  • [49]
    Entretien avec le président de l’EPTB Charente, 3 mai 2011.
  • [50]
    Entretien avec l’animateur de la conférence de citoyens, 11 mai 2011.
  • [51]
    Ces épreuves de traduction ainsi que le rôle des animateurs en tant que coproducteurs de l’avis final ont fait l’objet d’une analyse plus détaillée (Seguin, 2013).
  • [52]
    Selon une définition de l’expertise comme « production d’une connaissance spécifique pour l’action » (Lascoumes, 2002, p. 369).
  • [53]
    Organisée par le ministère de l’Écologie les 14 et 15 septembre 2012, elle avait pour objectif d’écrire une « feuille de route » pour la transition écologique.
  • [54]
    Entretien avec le président de Vigi-nature, membre du Collectif 07, 7 avril 2014.
  • [55]
    Compte rendu de réunion plénière, 8 septembre 2012.
  • [56]
    Compte rendu de réunion plénière, 6 avril 2013.
  • [57]
    Le débat national sur la transition énergétique a été décliné au niveau régional de février à juin 2013, le forum ardéchois « Oui à la transition énergétique et écologique » s’est déroulé les 13 et 14 avril 2013.
  • [58]
    Entretien avec Gilles, militant EELV, membre du collectif 07, 16 avril 2014.
Français

Cet article analyse les relations paradoxales entre conflit et participation à partir de la notion d’apprentissage. Il montre que des expériences apparemment aussi opposées qu’une conférence de citoyens et une mobilisation collective entraînent des apprentissages politiques comparables – sinon identiques – chez les acteurs qui y prennent part. Ceux-ci apprennent à la fois à identifier les antagonismes (apprentissage du conflit) et à construire des accords collectifs (apprentissage de la participation ou de la délibération). L’analyse s’inscrit dans une réflexion globale sur la possibilité d’identifier des pratiques agonistiques de démocratie délibérative.

Mots-clés

  • démocratie délibérative
  • mobilisation collective
  • apprentissage
  • politiques de l’eau
  • gaz de schiste

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Laura Seguin
Laura Seguin est doctorante en sociologie et aménagement de l’espace à l’Université de Tours, membre de l’UMR Cités, territoires, environnement, sociétés (CITERES). Sa thèse propose une analyse des apprentissages et effets issus d’expériences de participation dans le domaine de l’environnement, en étudiant de manière conjointe un dispositif institutionnalisé (conférence de citoyens dans le domaine de l’eau) et une expérience de mobilisation collective (contre le gaz de schiste). Elle a publié : « Faire entendre la parole des citoyens par le recours au film. Analyse d’un panel de citoyens dans la gestion de l’eau », Participations, 7, 2013, p. 127-149.
Mis en ligne sur Cairn.info le 22/01/2016
https://doi.org/10.3917/parti.013.0063
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