Habituellement passée sous silence, la crise des prisons a été révélée au grand jour lors de la pandémie du Covid-19, via une couverture médiatique inédite des mouvements d’affolement et de révolte de prisonniers dans des établissements surpeuplés aux quatre coins du monde. Cette « crise » de surpopulation s’est en réalité normalisée depuis plusieurs décennies, en France comme dans une grande partie des pays d’Europe et d’autres continents. Elle découle d’un « tournant punitif » à la fin du xxe siècle, qui a transformé le monde carcéral à la fois dans son ampleur, par un phénomène d’emprisonnement massif, et dans sa nature, par une sévérité et une « volonté de punir » largement accrue. C’est aux États-Unis que ce tournant punitif a pris sa source au début des années 1980. Le modèle américain a exercé dès lors une influence majeure à l’échelle mondiale et a entraîné, avec quelques années de décalage, une forte convergence internationale des politiques pénales et carcérales. Cette mondialisation ou « américanisation » des politiques pénales, sécuritaires et pénitentiaires a été documentée par de nombreuses études qui ont notamment mis en lumière le rôle des think tanks, des réseaux d’experts et des envoyés gouvernementaux états-uniens dans la diffusion des politiques de répression pénale, ainsi que des solutions architecturales en matière carcérale. C’est en Amérique latine, en Europe occidentale et en Océanie que l’importation des discours et des pratiques issus du tournant punitif américain a été la plus manifeste, entraînant une très nette augmentation des taux d’incarcération à partir des années 1990. En ce qui concerne l’Europe, si une majorité de pays s’est engagée dans une croissance carcérale sans précédent au tournant d…