CAIRN.INFO : Matières à réflexion
Carte n° 1

Modélisation graphique des flux commerciaux triangulaires dans la dynamique de diasporisation Afrique-Amérique-Europe, XVe-XIXe

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Modélisation graphique des flux commerciaux triangulaires dans la dynamique de diasporisation Afrique-Amérique-Europe, XVe-XIXe

1 Au cours des XVe, XVIe , XVIIe , XVIIIe et XIXe siècles, la cartographie du monde va être profondément transformée, avant tout par les nouveaux territoires incorporés et les « nouvelles » frontières constituées et imposées, sans compter une évolution significatives des techniques. Cette longue période de l’histoire des êtres humains va se caractériser par une nouvelle phase d es relations entre ces derniers et la nature et c’est dans ce contexte que géographie et cartographie vont se développer et servir le grand projet de domination mondiale de la sorte justifié. Les tropiques étaient perçus par les peuples européens comme un « monde sans frontière définie » qui pourrait leur offrir un ensemble de produits n’existant pas sur leur continent ; par cette stratégie ils justifièrent les conflits visant à une expansion de leur pouvoir ; ici s’incarnait une stimulation de la politique mercantiliste, du capitalisme commercial de même qu’un renforcement de l’État et de la domination sur les civilisations africaine, asiatique et du Nouveau Monde. Ce n’étaient pas seulement les richesses de l’Afrique qui intéressaient l’Europe moderne, les êtres humains aussi parce qu’ils allaient servir les colonisateurs dans l’agriculture et l’exploitation des mines. L’apparition d’une nouvelle phase de l’esclavage associé à l’accumulation du capital dans un système politique, juridique et économique allait permettre le développement d’une entreprise commerciale gigantesque et l’expansion du capitalisme.

2 Le grand triangle des flux économico-commerciaux des XVe-XIXe siècles qui impliquait l’Europe, l’Afrique et l’Amérique trouvait dans l’océan Atlantique un immense tremplin. Sur ses eaux naviguaient les marchandises d’Europe, d’Orient ainsi que des colonies et les « navires négriers » qui partaient du réseau des ports européens et des côtes africaines. Ce dernier océan fut le grand cimetière marin de la diaspora afro-américaine. Dans le flux Europe-Afrique-Europe les navires sortaient des ports négriers européens avec des armes, des textiles, des boissons et autres marchandises ; des ports africains venaient le sel, les pierres précieuses, le café, le sucre, l’ivoire, les êtres humains, entre autres produits tropicaux. Le flux Amérique-Afrique-Amérique se caractérisait en priorité par les délocalisations de groupes ethniques distincts avec leurs bagages culturels et technologiques pour l’occupation et la formation de nouveaux territoires coloniaux et on exportait à partir du versant oriental entre autre le tabac (à chiquer), les spiritueux (cachaça), les pommes de terre. Le flux Amérique-Europe-Amérique transportait le sucre, l’eau de vie, le cacao, le tabac, le café, le caoutchouc, les pierres précieuses, le coton, la pomme de terre, le tournesol, la tomate, le maïs, le poivre et la vanille dans le Vieux Monde, tandis qu’étaient acheminés vers le Nouveau Monde l’orge, le bétail, l’avoine et le seigle.

Carte n° 2

L’Afrique, l’Amérique, l’Europe, le Brésil et le système esclavagiste. Quelques références d’ordre historiographique

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L’Afrique, l’Amérique, l’Europe, le Brésil et le système esclavagiste. Quelques références d’ordre historiographique

3 Le maintien de la structure politique, économique et territoriale de l’esclavage pendant presque quatre siècles sur le territoire brésilien et l’importation, incorrectement quantifiée, d’une masse d’Africains jusqu’en 1850 montrent comment la consolidation de la société esclavagiste parvint à se stabiliser et à évoluer même avec les conflits politiques et les contradictions économiques et sociales. La première moitié du XIXe siècle se caractérisa par les différends traités destinés à abolir la traite négrière, ce qui se produisit effectivement en 1850. En ce qui concerne l’illégalité et la clandestinité, les données statistiques demeurent fort imprécises. Les zones géographiques de l’Afrique touchées par ce dernier cycle correspondent aujourd’hui au Ghana, au Togo, au Bénin, au Nigeria, au Gabon, à l’Angola, à la République démocratique du Congo, au Mozambique et à Madagascar. C’est dans cette période que se dénouèrent les liens bilatéraux avec entre les continents africain et américain, les routes du commerce triangulaire entre l’Amérique, l’Afrique et l’Europe étant effacées. Cependant, l’esclavage se poursuivit au Brésil pendant 66 ans et plus de 90 ans aux État-Unis après les indépendances.

Carte n° 3

Répartition de la population considérée comme noire ou mulâtre par municipalités

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Répartition de la population considérée comme noire ou mulâtre par municipalités

Instituto Brasileiro de Geografia e Estatística (IBGE), recensement de 2010

4 Les statistiques désignent le Brésil comme la deuxième plus grande nation à population d’origine africaine sur la planète. Elles y traduisent aussi la discrimination majeure, à quelques exceptions près, de ces populations. Les Afro-Brésiliens se trouvent en effet dans les pires espaces territoriaux et sociaux. Nous ne pouvons plus nous dissimuler les différences sociales, économiques et territoriales, tant historiques que structurelles, qui nous séparent. Les « remèdes » et les matières sont toujours remis à plus tard. Pour avoir été un contingent de la population issu d’un processus séculaire de « métissage », les Afro-Brésiliens ont été soumis à un ensemble de valeurs systématiquement associées aux peuples européens, en tant que modèle dominant, alors que nombre de décalages dans la façon de penser, de s’intégrer et de s’adapter étaient manifestes. Or, si nous considérons la population mulâtre recensée, avec ses degrés variables d’ascendance africaine, il devient évident que la population brésilienne renvoyant à l’Afrique n’est pas minoritaire, qu’elle constitue même une majorité. Les régions du Nord-Est et du Sud-Est présentent une expression démographique des plus significatives, avec cependant le risque pour la population « mulâtre » d’un auto-blanchiment, de se déclarer soi-même comme blanc au prochain recensement, c’est-à-dire de renforcer le projet colonial de blanchissement du Brésil et d’éradication des références africaines aussi identitaires qu’emblématiques dans le peuple et à l’intérieur de ses territoires. Peut-être y a-t-il là en germe l’un des plus graves conflits structurels du Brésil pour le millénaire à venir ?

Carte n° 4

L’organisation spatiale du territoire Quilombo de Dona Lió. Territoire Kalunga – Ema, communauté quilombola, Teresina de Goiás – GO

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L’organisation spatiale du territoire Quilombo de Dona Lió. Territoire Kalunga – Ema, communauté quilombola, Teresina de Goiás – GO

5 À l’intérieur de la « Géographie africaine invisible dans le Brésil contemporain » on peut mettre en exergue l’oubli délibéré de communautés et de territoires des descendants de quilombos (esclaves fugitifs), soit des espaces géographiques stratégiques où se regroupèrent principalement des populations d’origine africaine, mais aussi des Indiens et des Européens exclus de la société, lesquels se rebellaient contre le système esclavagiste de l’époque et avaient formé des communautés libres, autosuffisantes et dotées d’un fort degré d’organisation territoriale. C’est ainsi que naquit un des problèmes urgents et structurels de la société brésilienne actuelle. Malgré les dispositions constitutionnelles (1988) et de l’obligation faite à certains organismes de traiter et de résoudre les questions posées par les quilombos contemporains, on peut constater que les autorités s’en tiennent de façon presque structurelle à des actions épisodiques et fragmentaires, l’élaboration d’une politique définie avec la résolution des problèmes fondamentaux, c’est-à-dire la démarcation des territoires occupés et leur inscription au cadastre, s’en trouvant compromise. Au fondement de cette problématique, l’absence de priorités et les préjugés retransmis dans la pensée dominante au Brésil actuel. Pointons encore un manque permanent d’engagement afin de constituer une base d’informations unifiée, de produire une cartographie officielle et de créer un espace institutionnel de disputes et de conflits pour conduire les discussions intéressant les communautés de descendants de quilombos en tant qu’obstacle à la résolution de leurs problèmes.

Carte n° 5

Stéréotypes dans l’approche toujours actuelle du Brésil et de l’Afrique

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Stéréotypes dans l’approche toujours actuelle du Brésil et de l’Afrique

6 La stratégie de désinformation de la population brésilienne au sujet de l’Afrique constitue un réel obstacle à une quelconque perspective de démocratie raciale dans le pays. Nous ne devons pas perdre de vue que l’un des principaux obstacles à l’intégration de la population de matrice africaine dans la société brésilienne c’est l’infériorisation de la première dans l’enseignement. Un contexte qui ne pourra évoluer qu’avec une politique pédagogique plus agressive et focalisée sur la démystification du continent africain dans la population brésilienne. Il s’agit ici d’un nœud structurel à partir duquel organiser un processus de changement, l’être humain brésilien d’origine africaine étant alors plus respecté par le système dominant. Une grande partie du problème continue d’apparaître dans la désinformation voire les positions sur l’Afrique qui reste généralement un des derniers continents traités dans les manuels et les documents officiels ; il faut que cela évolue dans l’industrie et pour les professeurs dans la salle de classe. Nous partons en outre du principe que les informations ne constituent pas à elles seules la connaissance. Cela dit, elles nous montrent qu’avec l’aide de la science et de la technologie nous sommes capables de travailler à la modification des politiques ponctuelles et superficielles afin de soutenir l’adoption de mesures concrètes pour faire évoluer les situations d’urgence des populations du « Brésil africain ».

Rafael Sanzio Araújo Dos Anjos [1]
  • [1]
    Mapas Editora & Consultoria
Traduit du portugais par
Esther Baron
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Mis en ligne sur Cairn.info le 17/04/2015
https://doi.org/10.3917/oute1.042.0038
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