CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 Huit images peuvent – sans prétendre évidemment à l’exhaustivité – aider à comprendre le contexte dans lequel se situent les débats sur le développement et les difficultés du pays émergent – voire déjà émergé – qu’est aujourd’hui le Brésil.

Carte n° 1

Occupation du territoire

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Occupation du territoire

2 Le Brésil est un pays géant mais il n’allait pas de soi qu’il le devienne, le domaine alloué au Portugal par le traité de Tordesillas (qui délimita en 1494 les possessions espagnoles et portugaises) était borné par un méridien passant par les bouches de l’Amazone. Deux siècles et demi plus tard, au traité de Madrid, les frontières actuelles, près de trois mille kilomètres plus à l’Ouest, étaient presque partout atteintes et la diplomatie brésilienne les a encore repoussées en ayant gain de cause – suite à des arbitrages soigneusement préparés – dans tous les conflits qui l’opposaient à ses voisins, dont la France sur la frontière guyanaise.

3 Ces frontières englobaient toutefois des territoires faiblement occupés, acquis pour avoir été parcourus très tôt par des explorateurs audacieux s’avançant bien au-delà des limites assignées au Portugal, au cours d’expéditions lancées à travers le continent, avec la bénédiction lointaine de la Couronne. Ces expéditions, les bandeiras, contribuèrent puissamment à étendre les domaines portugais, leur foyer principal étant la bourgade née autour d’un collège fondé par les jésuites, São Paulo.

4 De ce village plus qu’à moitié indien, où l’on parlait plus tupi que portugais, partaient des groupes composés d’une poignée de Blancs rassemblés derrière un drapeau (bandeira en portugais), de quelques dizaines de métis et surtout de centaines d’Indiens ralliés qui connaissaient mieux que les Portugais les anciens chemins et les ressources du milieu. Les bandeiras ont joué un rôle fondamental dans l’expansion du domaine portugais et fortement travaillé à donner au pays qui naquit en 1822 une étendue proche de l’actuelle : sans elles, les succès des diplomates portugais qui obtinrent la reconnaissance de jure de l’occupation de facto n’auraient évidemment pas été possibles

Carte n° 2

Densité de peuplement

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Densité de peuplement

5 La population brésilienne est très inégalement distribuée sur le territoire, il persiste une nette opposition entre les régions littorales et intérieures qui reflète aujourd’hui encore les effets d’un processus de colonisation et de peuplement du territoire mené à partir des côtes. C’est donc dans les parties les plus proches de la mer que se trouvent les densités les plus élevées, au-dessus de 40 habitants par kilomètre carré, qui peuvent monter jusqu’à plus de 10 000 dans les capitales. À l’opposé, la majeure partie de l’Amazonie (Norte) et de vastes surfaces du Centre-Ouest présentent des densités très basses, entre 0,13 et 15 habitants par kilomètre carré, dont ne se détachent que les capitales et quelques municípios (communes) où elles se situent entre 15 et 40 habitants par kilomètre carré.

6 La zone littorale n’est toutefois pas homogène : à peu près déserte au nord de l’Amazone, elle voit s’opposer nettement, de part et d’autre d’un centre peu densément occupé, les deux régions les plus importantes du pays. Dans le Nordeste, le contraste national entre littoral et intérieur se répète entre la zona de mata (bande étroite le long de l’Atlantique) densément occupée et la brousse du sertão semi-aride, alors que dans le Sudeste et le Sud (Sul) la densité reste forte jusque dans les régions proches des frontières occidentales du pays : c’est le seul endroit où le Brésil peuplé ait une certaine « profondeur », et la carte des densités y fait apparaître, de la mer aux confins occidentaux du pays, le cœur – agricole, industriel et urbain – du Brésil « utile ». Sur le reste du territoire la répartition de la population est étroitement corrélée avec les réseaux de transport, fleuves en Amazonie et routes dans le Centre-Ouest.

Carte n° 3

Modifications anthropiques

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Modifications anthropiques

7 L’état actuel de l’occupation du territoire associe des portions encore très étendues des écosystèmes naturels et des espaces que l’Institut Brésilien de Géographie et Statistique (IBGE) qualifie d’« anthropisés », pour ne dire ni « mis en valeur » ni « dévastés » par l’action humaine.

8 L’écosystème amazonien est constitué principalement de forêts équatoriales et tropicales, c’est l’un des écosystèmes brésiliens les plus connus mondialement, à cause des grands déboisements dont il est victime, des émissions de CO2 et de la perte de biodiversité qu’ils provoquent, mais aussi grâce aux perspectives de rétribution des services environnementaux qui s’y dessinent.

9 Les cerrados et le meio Norte sont des savanes arborées déjà profondément transformées par l’expansion d’un puissant front pionnier agricole depuis les années 1970, quand les recherches de l’Entreprise brésilienne de recherche agronomique (Embrapa) ont permis de mettre au point des modes de cultures (notamment la correction de l’acidité des sols par des épandages de calcaire) adaptés à cet écosystème jusque-là réputé inutilisable.

10 La Caatinga (« forêt blanche » en tupi) est une brousse épineuse qui occupe l’intérieur semi-aride du Nordeste. Le Pantanal est la plus vaste surface de marais continentaux au monde, avec près de 140 000 kilomètres carrés. Il est recouvert par les eaux une partie de l’année et doit à cette inondation périodique la très grande richesse de sa flore et de sa faune. Les écosystèmes côtiers et de la forêt atlantique se relaient le long du littoral du nord au sud, se réduisant à une étroite bande côtière au nord et au nord-est, alors qu’au sud ces formations prennent de l’ampleur jusqu’à occuper une bonne part des États plus méridionaux.

11 Comme ces régions littorales ont été les premières occupées par la colonisation portugaise, puis celles où se sont déroulées la plupart des « cycles » économiques de l’histoire brésilienne, ce sont aussi celles où la transformation des milieux naturels a été la plus profonde. Les forêts semi-caducifoliées (qui perdent en partie leurs feuilles à la mauvaise saison, contrairement aux forêts équatoriales qui les perdent et les reconstituent en permanence) sont une zone de transition vers les climats subtropicaux. Elles couvrent – ou couvraient – l’Ouest de São Paulo et le Nord du Paraná avant le passage du front du café : elles ont été abattues à partir de la première moitié du XXe siècle et il n’en reste aujourd’hui que des lambeaux, en général le long des fleuves.

12 L’écosystème des pinèdes occupe les plateaux basaltiques de l’ouest du bassin du Paraná, ici aussi les bûcherons ont été à l’œuvre à partir du début du XXe siècle et après leur passage a été mise en place une région agricole, d’abord productrice de grains (maïs et blé) et plus tard de soja. Les écosystèmes de l’extrême Sud, la Campanha gaúcha, sont formés de collines couvertes de savanes ouvertes, annonçant les herbages uruguayens et argentins.

13 La carte montre l’ampleur des transformations intervenues au cours des quarante dernières années. Les zones « anthropisées » (et donc, dans leur immense majorité, défrichées) entre 1960 et 1997 traduisent la continuité, mais aussi l’accélération des processus d’occupation entamés avec l’arrivée des Portugais sur le littoral, il y a cinq siècles. Les déboisements de cette période touchent essentiellement les cerrados et l’Amazonie, incorporés par les fronts pionniers à l’espace agropastoral du pays, conquête encouragée, voire suscitée, par des politiques publiques incitatives (crédit, infrastructures, etc.) qui ont déclenché l’afflux des migrants et les transformations des paysages.

14 Le mouvement lancé sous la présidence de Juscelino Kubitschek (1956-1961), le promoteur de Brasília et de la « marche vers l’Ouest », a consommé un grand écosystème à chaque décennie, les cerrados dans les années 1970, les aires de transition entre cerrados et forêts dans les années 1980 et il a, dans les années 1990, nettement progressé dans ces dernières. Plus de 550 000 kilomètres carrés (soit la superficie de la France) ont été défrichés en Amazonie jusqu’en 2000 selon l’Institut National d’Études Spatiales (INES).

Carte n° 4

Territoires légalement réservés

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Territoires légalement réservés

15 La marche pionnière vers le nord-ouest doit tenir compte du fait qu’une bonne partie des territoires qu’elle aborde sont protégés par plusieurs types de réserves.

16 Les réserves naturelles et les réserves indigènes sont un élément important d’une politique d’aménagement du territoire de fait, même si elle n’est pas conçue comme telle ni menée par un ministère qui en ait la responsabilité explicite, mais respectivement par les ministères de l’Environnement et de la Justice. Il en va de même pour les zones militaires, dont certaines, les plus grandes, sont destinées à l’entraînement à la guerre en forêt. Ces trois types de réserves se situent principalement dans les régions périphériques, et au tout premier chef en Amazonie à l’intérieur de laquelle les superficies qui leur sont consacrées sont de beaucoup supérieures à ce qui a pu être fait dans les régions littorales, où la pression des activités rurales et urbaines ne laisse plus guère d’espaces assez vastes pour en créer.

17 Les réserves indiennes (terras indígenas) y sont très étendues et faiblement peuplées alors qu’elles sont très petites et très peuplées dans le sud du pays. Cette situation est le reflet de l’évolution de la conception que se fait la société brésilienne de la place qui doit être accordée aux groupes indigènes, la vision actuelle (fondée sur le respect du droit à l’existence des groupes indigènes et de leurs territoires) ne s’étant toutefois imposée qu’après les années 1970. Depuis la Constitution de 1998, le droit à la terre est devenu la règle, le territoire considéré étant celui qui garantit aux groupes indiens les moyens de leur subsistance et le maintien de leurs traditions. Ce droit a ensuite été étendu aux quilombos, les territoires occupés par des descendants d’esclaves fugitifs.

18 Par ailleurs, sous la pression du MST, le « mouvement des sans-terre », une vaste campagne de colonisation a été lancée, et des milliers de familles ont été installées par l’INCRA (Institut National de Colonisation et Réforme Agraire) dans des assentamentos, des zones de colonisation créées sur des terres expropriées ou sur des terres publiques (les terras arrecadadas, le long des routes transamazoniennes). Malheureusement, ces dernières se situent principalement en Amazonie, dans des régions lointaines et mal desservies, si bien que les invasions illégales de terres continuent de plus belle, dans des régions plus attirantes.

Carte n° 5

Secteurs du PIB

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Secteurs du PIB

19 Bien qu’il soit un très grand producteur et exportateur de denrées agricoles – au point d’être souvent considéré comme la « ferme du monde », le Brésil n’est plus depuis longtemps un pays agricole et si l’on observe la composition du PIB de ses 557 « microrégions », on constate que moins d’un quart d’entre elles ont une économie fondée sur le secteur agropastoral. À peine plus ont leur base économique industrielle, quelques-unes en Amazonie (zone franche de Manaus et mines de la Serra dos Carajás), la plupart dans le Sud et le Sudeste et principalement sur l’axe Rio de Janeiro – São Paulo. Dans près de la moitié d’entre elles l’économie repose sur les services, avec des volumes de transactions élevés dans les grandes métropoles, São Paulo, Rio de Janeiro et Brasília, beaucoup plus limités dans les villes des autres régions.

Carte n° 6

Réseaux de transport

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Réseaux de transport

20 La carte des divers modes de transport montre de forts contrastes entre des situations bien distinctes. Des zones bien structurées comme le Sudeste, le Sud et une partie du Centre-Ouest, d’une part, le Nordeste d’autre part disposent de réseaux denses et bien maillés. À l’opposé, de vastes régions vides de tout réseau (du moins sans routes asphaltées ou voies navigables permanentes) persistent en Amazonie et dans le Centre-Ouest. Le centre du bassin amazonien dispose de l’un des plus beaux réseaux navigables de la planète, mais au nord et surtout au sud, sur les plateaux où le drainage est moins dense et coupé par de nombreux rapides, la navigation n’est plus aussi commode et d’immenses superficies ne disposent d’aucun axe de transport de masse.

21 Des axes pionniers les franchissent toutefois et les relient au Brésil « utile » du Sud. Le plus ancien et le plus dense est celui de la Brasília – Belém, construite juste après la nouvelle capitale. La BR364, qui relie, via Cuiabá, Porto Velho à São Paulo ouvre un autre axe vers le Nord-Ouest. C’est aussi de Cuiabá que part, vers le Nord, la Cuiabá – Santarém qui ouvre tout le nord du Mato Grosso, un des axes où la progression pionnière est actuellement la plus forte.

Carte n° 7

Influences urbaines

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Influences urbaines

22 L’IBGE a réalisé en 2007 une analyse de l’aire d’attraction des villes brésiliennes, l’enquête Regic (REGião de Influência das Cidades). Fondée sur toute une batterie d’indicateurs (commandement administratif, aire d’attraction des services éducatifs et de santé, aire de chalandise, etc.), ces investigations ont déterminé vers quelle métropole se tournent les habitants quand ils ne trouvent pas sur place les biens ou les services dont ils ont besoin.

23 Le fait le plus visible est la taille de l’aire d’attraction de São Paulo qui englobe désormais une grande partie du Centre-Ouest et de l’Amazonie. Aucune autre ville ne peut rivaliser avec une métropole qui est devenue la véritable capitale du pays, sauf Brasília qui partage désormais avec elle le rôle de polarisation du Mato Grosso et du Rondônia (ce n’était pas le cas dans les enquêtes précédentes). Les autres villes du sommet de la hiérarchie urbaine sont, sans surprise, les communes-centres des autres grandes régions métropolitaines. Rio de Janeiro gardait encore naguère de son passé de capitale fédérale (un statut qu’il a perdu en 1960 au profit de Brasília) quelques positions dans les anciens territoires fédéraux d’Amazonie, Roraima et Acre, mais son aire propre est désormais fort réduite. Aux frontières même de son État c’est l’attraction de São Paulo qui vient lui disputer la primauté, il ne lui reste hors de ses frontières que l’État d’Espírito Santo et des portions réduites de ceux de Bahia et du Minas Gerais.

24 Entre Belo Horizonte et Goiânia, Brasília avait bien du mal à trouver son espace propre, sauf à l’ouest de Bahia. Désormais elle rayonne aussi sur une partie des régions productrices de soja du Mato Grosso, les firmes d’appui à l’agriculture y ayant trouvé un relais commode, plus proche que São Paulo, et certains producteurs y résident, rejoignant leurs terres en avion quand il faut aller superviser la bonne marche des opérations.

25 Manaus et Belém se partagent l’Amazonie, avec un recoupement dans l’est du Pará, une région qui est bien loin de Belém et que l’Amazone met en communication facile avec Manaus. Dans le Nordeste l’aire d’attraction de la ville de Fortaleza déborde sur le Piauí et le Maranhão, et Salvador subit la concurrence de Recife au nord et celle de Brasília dans les régions productrices de soja de l’ouest. L’aire de Recife déborde les limites de son État, le Pernambuco, vers ses voisins au nord, incluant la Paraíba, une partie du Rio Grande do Norte et au sud une partie de Bahia le long du fleuve São Francisco où s’est développée la fruiticulture irriguée.

Carte n° 8

Indice de développement humain

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Indice de développement humain

26 Le Brésil a repris du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) l’idée de calculer pour tous ses municípios un Indice de Développement Humain (IDH) de façon à prendre en compte des éléments que le seul PNB ne permettait pas de saisir, comme l’éducation ou la santé. La carte construite à partir de l’Índice de Desenvolvimento Humano Municipal (IDHM) pour l’année 2010 montre bien sûr la prédominance du Sudeste et du Sud, notamment celle de l’État de São Paulo, presque entièrement inclus dans la catégorie des plus hauts indices. Les États du Sud ont des résultats plus contrastés, meilleurs autour des capitales, moins bons dans l’intérieur.

27 Les régions déprimées restent, aujourd’hui comme naguère, la haute Amazonie et le Nordeste, à l’exception de leurs capitales, et séparées désormais par un coin qui progresse vers le Nord, marque d’une progression des axes de modernisation économique et sociale (du moins ceux que prend en compte l’IDHM), progression déjà évidente dans le Mato Grosso mais aussi déjà sensible plus au nord.

28 La progression la plus remarquable par rapport aux décennies précédentes est en effet celle du Centre-Ouest, et plus particulièrement du Mato Grosso où l’arrivée de colons venus du Sud a fait progresser sensiblement l’IDHM des municípios où ils se sont installés. Certains d’entre eux ont pu s’enrichir, ou du moins devenir les plus riches habitants de ces régions pionnières, les plus éduqués aussi et ceux qui ont les meilleures chances de survie, autant d’éléments qui comptent dans la confection de l’IDHM. Tout se passe en fait comme s’ils transportaient avec eux leurs indices élevés, en maintenant dans les régions pionnières où ils s’installent les comportements sanitaires, scolaires et culturels de leurs régions d’origine.

Pour aller plus loin, du même auteur

  • Le Brésil, pays émergé, collection Perspectives géopolitiques, Armand Colin, 2014, 304 p.
  • Le Brésil, Armand Colin, 6e édition 2012, 296 p.
  • Atlas du Brésil, avec Neli Aparecida de Mello, CNRS Libergéo - La Documentation Française, 2003, 304 p.
  • « L’agriculture brésilienne en mouvement : performances et défis », « Les dynamiques de l’agriculture brésilienne » et « Biocarburants, agrocarburants : des filières en forte croissance », dossier Le Brésil, ferme du monde ?, Géoconfluences, geoconfluences.ens-lsh.fr/doc/etpays/Bresil/Bresil.htm, mai 2009
  • Revue franco-brésilienne de géographie Confins, confins.revues.org/.
  • Carnet de recherche Braises, braises.hypotheses.org/.
Hervé Théry [1]
  • [1]
    Directeur de recherche au Creda, UMR7227 CNRS Université Sorbonne Nouvelle, Professeur invité à l’Universidade de São Paulo (USP), Hthery@aol.com
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Mis en ligne sur Cairn.info le 17/04/2015
https://doi.org/10.3917/oute1.042.0024
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