CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Les modalités de construction de l’identité masculine dans les sociétés sahéliennes sont en nette mutation. Si le fait de se marier reste une étape essentielle à l’autonomisation des hommes, il est aujourd’hui compliqué par le contexte socio-économique comme par la transformation des attentes individuelles. Pour les jeunes hommes (moins de 35 ans), trois tendances fortes sont repérables : une baisse relative de l’allégeance aux aînés masculins, une plus grande diversité de statuts au sein d’une même classe d’âge, et enfin une précarisation socio-économique. L’argent marque l’ensemble des relations sociales et particulièrement la relation hommes/femmes : tout attachement sérieux dans les relations amoureuses se manifeste par le don [1], le respect du mari envers ses épouses par un soutien financier constant. Si la précarisation économique rend plus nécessaire mais aussi plus difficile l’accès à l’argent, elle engendre ce faisant un durcissement de la relation de couple.

2Saisir les changements de l’identité masculine nécessite d’analyser ensemble les modifications qui affectent les rapports entre les âges et les sexes qui sont étroitement imbriqués. Dans cette perspective, l’analyse des transformations du choix du ou de la conjoint·e et des cérémonies de mariage permet de prendre en compte simultanément ces dimensions, et en même temps les enjeux économiques et sociaux propres à la société considérée : le mariage est à la fois un indicateur et un producteur du changement social. Des conditions de sa réalisation dépendent le statut de l’homme et de la femme mais aussi l’idée que chacun·e développe de lui ou d’elle-même. Au-delà d’un certain âge, le célibat constitue pour tous une honte (Badini, 1994 ; Ouattara, 1999). Analyser les transformations qui affectent le choix de la conjointe d’un point de vue masculin permet de prendre la mesure du lien entre argent, prestige social et relation conjugale. Par l’étude des pluralités dans le choix du ou de la conjoint·e en pays mossi et des nouvelles valeurs qui président aux alliances, cet article envisage les mutations de la construction des identités masculines dans la société mossi du Burkina Faso [2]. La ville de Ouahigouya et sa région constituent le cadre de cette recherche.

3Quatrième ville du pays [3], Ouahigouya est profondément rurale ; en 1985, près de 72 % de ses habitants vivent de la pêche, de l’élevage ou de l’agriculture, 5 % sont employés dans les services, et autant dans l’artisanat, à peine plus (6,2 %) vivent officiellement du commerce, et enfin 2,3 % de la population active sont employés par l’administration. De tels chiffres, déjà anciens, relativisent d’emblée l’autonomie financière des jeunes hommes. En ville comme au village, la plupart vivent à la fois des revenus de leurs propres champs, des départs en migration durant la saison sèche et du soutien des aînés masculins qui sont membres de leur famille. Toutefois un relatif relâchement de l’autorité de ces aînés est perceptible : on le verra, il est perceptible en particulier dans les différentes modalités de choix du ou de la conjoint·e. Ces dernières révèlent également les nouvelles contraintes qui pèsent sur les jeunes hommes.

Une allégeance relative aux aînés sociaux

4Dans la société mossi précoloniale, les aînés masculins – c’est-à-dire les hommes les plus âgés des segments de lignage [4] – décidaient de la grande majorité des alliances des membres masculins et féminins de leur famille. La compensation matrimoniale était modeste ; pour obtenir une épouse, un cadet devait faire allégeance durant de longues années à l’aîné masculin d’un segment de lignage. Celui-ci entretenait de vastes réseaux de relations sociales avec les aînés des autres lignages auprès desquels il pouvait obtenir une fille en mariage qu’il offrait ensuite à son puîné – c’est ce que localement les francophones désignent par le terme de « mariage forcé ». Dans tous les cas, un homme devait obéissance aux aînés masculins de son lignage et éventuellement à ceux de lignages dont il espérait une épouse. Peu à peu, la relation aînés/cadets, toujours marquée par un rapport de subordination des plus jeunes aux anciens, s’est modifiée. Si dans la société précoloniale chacun dépendait des aînés pour ses moyens de subsistance, la pratique de sa religion, le choix de son conjoint etc., au cours du XXe siècle les départs en migration, la participation aux deux guerres mondiales, la scolarisation, l’extension du commerce, la christianisation et l’islamisation ont distendu les relations d’ascendance. Ces mutations ont de lourdes incidences dans la société mossi quant au choix des conjoints. Les discours des personnes que j’ai interrogées laissent penser que le mariage librement consenti a, depuis la fin des années 70, pris le pas sur toutes les autres formes de mariage et que le « mariage forcé » n’existe que dans les villages où l’autorité des aînés est restée entière.

5Les unions d’inclination, signe d’autonomie par rapport aux anciens, sont présentées par Capron et Kohler (1975) comme un phénomène nouveau en milieu mossi. Or, mes données recueillies dans trois familles différentes sur trois générations infirment cette idée. Les grands-pères de ces familles, tous nés vers 1880, vivaient au village ; un seul, en tant qu’ancien combattant, jouissait d’un statut valorisé. Ils étaient polygynes et, parmi leurs épouses, ils ont pu en choisir au moins une (deux d’entre eux en 1920 et le troisième vers 1939). Ces trois femmes ont dû accepter un premier mari imposé par leur famille avant de le fuir pour épouser l’homme de leur choix. Pour ces hommes, l’accès à une relative autonomie vis-à-vis de leurs aînés masculins passaient par la réalisation d’au moins une alliance désirée.

6Pour prendre la mesure de certaines tendances, suivons l’histoire matrimoniale d’une des familles considérées. Le grand-père, Guéma, est né vers 1880 ; en 1915, il est enrôlé sur le front européen et, à son retour, il épouse quatre femmes entre 1920 et 1960. La première, réfugiée chez sa sœur dans le village de Bogoya après avoir fui son premier mari, rencontre Guéma qui lui demande de l’épouser ; les trois autres sont des femmes qui sont données en mariage aux aînés masculins de sa famille en signe de reconnaissance : il s’agit du yelsomde[5]. La première fille de Guéma, Mariam Suuna, née vers 1920, nous raconte le mariage de son père avec sa troisième femme en 1950 :

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« C’est son ami Kabere qui lui a donné cette femme. Ils se sont connus à la guerre [1914-1918]. Son ami avait le bras coupé, c’est notre père qui l’aidait, et ensuite notre père a eu le pied coupé et c’est son ami qui l’aidait. Ainsi est née une amitié. Quand ils sont revenus, son ami l’a récompensé avec une femme, Guéma lui a pris une fille de son grand-père et l’a offerte en mariage à son ami. »

8Parfois, le remboursement des bienfaits peut se faire après plusieurs années et concerner une autre génération. Ainsi, Guéma offre une fille reçue en mariage à son dernier fils Amidou (dernier-né de sa quatrième épouse) :

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« C’est le bugo [prêtre, faiseur de pluie] de Luguri qui a donné la fille à notre père. Notre père l’a donnée à Amidou. Il y avait une mauvaise saison des pluies. Les gens n’avaient pas d’argent pour payer les impôts. On a arrêté des gens, le bugo de Luguri aussi. Notre père est allé à Ouahigouya pour toucher sa pension. Il y avait les gens que l’on a arrêtés et on les frappait. Il a vu le bugo de Luguri parmi eux. […] Notre père lui a demandé combien il lui manquait, il lui a dit que c’était la moitié [de la somme due comme impôt]. Notre père a payé pour lui et il lui a donné 50 fr. pour qu’il aille se soigner avant de repartir à Luguri. […] C’est grâce à ce yelsomde qu’il a donné la fille à notre père un an après cet événement. Notre père a décidé de donner cette fille à son fils Amidou car sa première femme était morte. Le mariage a été célébré en 1979 ou 1980. La fille avait 12 ans quand les fiançailles ont eu lieu, le mariage a eu lieu cinq ans après. »

10Enfin, à la troisième génération, Ousman, né en 1969, vit au village ; après quelques années de scolarité, il travaille aujourd’hui aux champs durant la saison des pluies et s’affaire au maraîchage sur les parcelles de son père durant la saison sèche. C’est également lui qui élève les moutons de son père et part les vendre en Côte-d’Ivoire au moment de l’Aïd-el-Kebir [6]. En 1997, il épouse sa première femme qui a été offerte en mariage par un des amis de son père, ce dernier l’a confié à Ousman.

11Le frère aîné direct de Ousman, Amadé, né en 1963, connaît un destin matrimonial différent. Fils aîné de cette génération, il est allé à l’école jusqu’à l’université et est aujourd’hui fonctionnaire à Ouagadougou. Il rencontre à Ouahigouya son amie. Après quelques années de relation, elle donne naissance en 1994 à un garçon. À partir de cette naissance, elle rejoint le père de son enfant à Ouagadougou et vit maritalement avec lui. En 1995, le mariage est célébré à Ouahigouya.

12Cet exemple montre les disparités au sein d’une même fratrie. Reprenons les histoires matrimoniales de l’ensemble des descendants de Guéma. Dix-huit enfants naissent de ses quatre unions : huit filles et dix garçons. Sept des huit filles ont été données en mariage par leur père, la huitième a épousé un homme de son choix. Les dix garçons ont épousé vingt-six femmes, neuf d’entre elles ont été données par leur famille, deux ont été mariées une première fois avant de choisir leur époux dans la grande famille, huit étaient leurs petites amies, deux ont fui afin de pouvoir épouser les fils de Guéma. Parmi les dix garçons, neuf ont épousé au moins une femme qu’ils ont rencontrée eux-mêmes, alors que sept des huit filles de Guéma ont été mariées, on l’a vu, sur l’initiative de leur père. Les disparités de liberté de choix entre les filles et les garçons sont patentes. Deux des garçons ont quatre épouses. Les deux garçons, les plus âgés, ont dû fuir avec la femme désirée pour pouvoir finalement l’épouser. Ainsi, il apparaît que dans cette deuxième génération (les fils de Guéma) née entre 1925 et 1950, ce sont les premiers nés qui se sont vu imposer une épouse et qui ont dû, parallèlement, organiser une fuite pour vivre avec la femme de leur choix. En revanche, dans la troisième génération, née à partir de 1960, les fils aînés de la fratrie se marient de leur propre initiative, alors que les cadets ont des mariages arrangés par leur père ou le frère aîné de leur père.

13Les données recueillies dans les trois familles révèlent que, jusque dans les années 60, les doyens de segment de lignage ont tendance à imposer un mariage au plus âgé de leur fils et au fils aîné de leur frère cadet. En se soumettant à la décision du père réel ou classificatoire, le fils maintient son rang d’aîné auprès de ses frères, sans cela son père, dont il tient son pouvoir, le rejette. La tendance s’inverse pour la génération suivante, celle née après 1960 : le premier-né maintient sa position d’aînesse sur ses frères et sœurs en montrant son indépendance matrimoniale vis-à-vis du chef de famille, c’est-à-dire en choisissant lui-même son épouse. Il fait ainsi la preuve de son propre pouvoir économique et social. L’allégeance des frères cadets vis-à-vis de leur père est plus forte.

14Ainsi, le statut de l’aîné du lignage ou du père de famille est déterminant sur l’avenir matrimonial des enfants. Lorsque sa position sociale lui permet d’obtenir auprès des aînés des autres lignages des filles en âge de se marier, demander à ses fils cadets de les épouser est un moyen de maintenir son autorité sur eux. L’exemple suivant, pris dans une famille de Ouahigouya, illustre ce phénomène. Ce récit d’un mariage imposé, en 1995, par les parents directs des conjoints, est fait spontanément par le jeune époux en présence de sa femme. Le jeune homme, âgé de 25 ans, gère une boutique à Ouahigouya, non loin de la cour familiale [7].

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« On m’avait proposé, je ne voulais pas accepter. Tu sais maintenant les vieux disent que quand tu es jeune et que tu commences à travailler, si on ne te donne pas une femme tu vas gaspiller tout ce que tu gagnes mais si tu as quelqu’un à côté tu n’as pas besoin d’aller ailleurs… Tu sais maintenant (si tu es avec quelqu’un) une fille ne peut pas venir te dire, je veux de l’argent des mèches[8] ou quelque chose comme ça. »

16Présentée succinctement, son histoire est la suivante : le jeune homme vit dans la concession familiale. Son père veut qu’il épouse cette jeune fille, originaire d’un village situé à 20 km de Ouahigouya. Mais le boutiquier a déjà une petite amie et l’annonce à son père. Ce dernier demande à la rencontrer. Encouragé par la réaction paternelle, le jeune homme propose à son amie de l’épouser. Elle lui répond alors qu’elle a une liaison avec un étudiant à l’Université de Ouagadougou mais lui annonce que si ce dernier refuse de l’épouser, elle acceptera de se marier avec lui. Dans l’intervalle, les procédures de mariage engagées par le père du boutiquier se sont poursuivies : le jeune homme est informé un jeudi matin de la célébration de son mariage le samedi suivant. Dès lors, cette nouvelle l’obsédant, il appelle un ami à Ouagadougou pour lui faire part de son désarroi. Le boutiquier raconte :

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« Cet ami m’a dit que si je laisse ma boutique pour partir, vraiment, je vais aller recommencer à zéro à cause d’une femme, que ce n’est pas bon ! Et puis que si je fais ça aussi, on ne va pas s’entendre avec le vieux pendant de longues années. »

18Le soir de son mariage, alors que sa famille accueille la mariée, le jeune mari désespéré part au dancing avec une autre fille. Le lendemain soir, alors que sa jeune épouse est conduite dans sa chambre, il va dormir dans la boutique. Le mariage n’est consommé qu’après une semaine. Le jeune boutiquier est obligé de laisser sa petite amie ; il dit qu’il était excédé par l’attitude de sa femme et cherchait par ailleurs à se faire craindre d’elle. Il pense que l’amour pourra peut-être venir un jour entre eux, mais il n’aime pas la forte gêne qui préside à leur relation, gêne qu’il explique par le fait que leur union n’est pas née d’une relation amoureuse. De son côté, la jeune femme se souvient que, dès son arrivée, son mari lui disait des choses désagréables et qu’elle en pleurait. Elle tentait d’aider son mari à accepter cette décision en lui disant : « C’est vrai, on dit aux vieux de ne pas forcer les gens et pourtant ils le font, c’est comme ça. » Ses propos rendaient son mari fou de colère.

19La douleur que le mariage a représenté pour les deux membres du couple est nettement perceptible durant tout l’entretien. Le jeune homme, éconduit par la femme aimée, se trouve dans l’obligation d’accepter la décision paternelle par pragmatisme. La dépendance du jeune homme à l’égard de son père est une contrainte forte : c’est grâce à l’argent que celui-ci lui a octroyé qu’il gère sa boutique, et de plus il vit dans la cour familiale. Refuser ce mariage l’obligerait à tout perdre : c’est précisément ce que son ami, appelé à Ouagadougou, lui a rappelé. Par ailleurs, le refus de la jeune femme aimée est aussi lié à la situation matérielle et sociale du boutiquier : elle lui préfère un étudiant. Ce récit montre également la différence de statut que le jeune homme accorde à son amie en titre et à sa jeune épouse. Alors que la première entretient parallèlement une autre relation, elle reste une femme qui correspond davantage à ses aspirations. Citadine, scolarisée, émancipée, elle représente à ses yeux la modernité, épouser une telle femme le classerait immanquablement parmi les jeunes hommes modernes. Il n’ose pas sortir avec sa jeune épouse car elle vient du village et l’attitude entre eux – faite de distance et d’une grande réserve de la part de la jeune femme – n’est pas « digne » dans les relations du dancing. Il se permet d’être désagréable avec elle car il se sent en droit d’exercer doublement son autorité de mari : elle, villageoise non scolarisée, lui citadin parlant le français, il s’estime supérieur à elle. Schématiquement, les représentations des jeunes citadins rattachent le village aux traditions ancestrales typiquement africaines mais aussi à l’archaïsme. Dans ces conditions, une villageoise ne peut pas, selon eux, prétendre aux mêmes exigences de respect mutuel et de dialogue dans le couple qu’une citadine « branchée ». Il s’agit là de représentations auxquelles le jeune boutiquier recourt afin d’asseoir son pouvoir sur son épouse. Dans les faits, son autorité n’est jamais acquise et les rapports de couple sont sans cesse renégociés.

L’argent, un gage d’autonomie ?

20Pour les jeunes hommes, gagner de l’argent – sans constituer une garantie suffisante – est un des moyens essentiels pour être libre dans leurs choix matrimoniaux. Dans ce cas, plusieurs possibilités s’offrent à eux pour imposer à leur famille un mariage souhaité : fuir avec la femme aimée dans un pays côtier, apporter un soutien financier indispensable au fonctionnement de la cour paternelle, ou vivre maritalement avec la femme désirée. La fuite était déjà dans la société précoloniale un moyen pour de jeunes amants d’imposer leur choix quand la fille était promise à un autre homme. Les parents de la fille n’acceptaient cette liaison qu’après une grossesse. Le mariage venait alors régulariser une union de fait. Dans la période contemporaine, être le principal soutien financier de son père assure son consentement. Parallèlement, il est de plus en plus fréquent d’observer parmi la génération des jeunes adultes (jusqu’à 35 ans) des mariages qui surviennent à l’issue d’une longue relation maritale. L’arrivée d’un enfant pousse le couple à célébrer un mariage.

21Voici le cas d’un jeune homme de 27 ans qui « se débrouille ». Pour lui, les choses sont claires : « Les papas des filles ferment les yeux et laissent la fille venir chez toi toutes les nuits car ils savent que tu l’entretiens. » Depuis trois ans, il paie la scolarité de son amie qui, exclue de l’école publique, est en classe de troisième dans une école privée. Chaque année, la scolarité s’élève à 30 000 fr. CFA (48 euros). Il lui fait régulièrement coudre ses vêtements et lui offre ses coiffures. C’est également lui qui tous les jours lui donne 200 francs (30 centimes d’euros) [9] pour son café et son pain. Il lui laisse sa mobylette et lui paie son essence. Il assure tout ce qui est du devoir d’un homme marié. Elle vient régulièrement dormir dans sa chambre, et si au début de leur relation, il la reconduisait chez elle avant le lever du jour, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Ce type de relation amoureuse, à l’instar du mariage, peut être à terme perçu comme une réelle contrainte par chacun des membres du couple. Le jeune homme se sent engagé vis-à-vis de la jeune fille et des parents de celle-ci. Même si rien d’officiel n’a été conclu, pour éviter d’être déjugé par les parents de la fille et par ses propres amis, il doit parvenir au mariage. Dans ce cas précis, le jeune homme a été convoqué trois fois en six mois par le père de la fille pour lui rappeler qu’il était temps de se marier. Quant à la jeune femme, sa réputation est en jeu, il est difficile de quitter un homme qui assume tout sans risquer d’être déconsidérée auprès de ses amies et des maris potentiels.

22Les conditions matérielles des jeunes gens ainsi que leurs relations avec leurs familles respectives déterminent leur marge de manœuvre. Le mariage par consentement mutuel reste hétéromorphe, il n’est jamais complètement libre ni imposé. Il porte un coup à l’autorité des aînés mais il est à la fois la conséquence et le révélateur d’un relâchement de cette autorité.

La diversité des statuts masculins

23Le mariage par inclination est une construction historique qui s’élabore sous nos yeux sans pour autant supplanter les mariages pragmatiques et/ou imposés par les aînés sociaux. Le mariage d’amour représente aujourd’hui la norme la plus valorisée parmi les jeunes générations. Y déroger expose chacun aux moqueries de ses amis, de ses frères et sœurs ; mais en faire la seule raison de l’union est jugé utopique et inconséquent. Finalement, on l’a vu, les contraintes sociales et économiques déterminent le choix des époux. Dans la génération des jeunes hommes apparaît la possibilité de vivre maritalement afin d’imposer son choix. Mais cette alternative n’est offerte qu’à ceux qui, indépendants financièrement, ont la possibilité d’accéder à un mariage. Les situations des jeunes hommes sont différentes selon les milieux sociaux.

24Les petits fonctionnaires (instituteurs, infirmiers…), les employés dans des projets de développement, les petits entrepreneurs (gérants de télé-centres, de secrétariats ou de web-cafés), ont des pratiques identiques : ils cherchent à épouser une femme de leur choix. Le fait d’avoir été longtemps à l’école, l’éloignement de leur famille (souhaité dès l’obtention de leur nouveau statut et souvent imposé par la nomination à un poste éloigné), leur relative autonomie financière leur confèrent une marge de manœuvre plus grande vis-à-vis de leurs aînés sociaux et des projets que ces derniers ont formulés pour eux. Ils aspirent à l’autonomie et déploient un ensemble de stratégies dans ce but. Le choix d’une épouse devient déterminant. Toutefois, la faiblesse de leur revenu ne leur permet pas toujours d’épouser la femme de leur choix s’ils n’ont pas le soutien d’une partie de leur parenté. Ils vont donc rechercher l’accord de leurs parents proches puis demander l’autorisation des hommes aînés restés au village. Cette demande aux aînés du segment de lignage est davantage une marque de politesse et de respect qu’une recherche d’approbation nécessaire à la réalisation de l’union. Le consentement des aînés leur est acquis si le géniteur de l’enfant a déjà donné son accord. La simple demande se transforme en de véritables négociations si l’un des membres aînés de la famille (homme ou femme) ou une personne lettrée plus âgée qu’eux s’oppose au mariage. Alors ils recourent à la médiation des personnes parentes en ville comme au village, des amis sages, des proches de la famille ou à celle de leur supérieur hiérarchique.

25Les fonctionnaires de grade supérieur (professeurs de lycée ou médecins) épousent – sauf exception – une fille de leur choix. Ceux qui sont désireux de montrer leur réussite sociale ou ayant des ambitions politiques font un grand mariage. Le consentement des aînés restés au village leur est plus facilement acquis car les villageois reconnaissent la différence de leurs modes de vie. Souvent tributaires de leur aide financière, les aînés restés au village ne se sentent pas en mesure d’imposer leur choix. Mais si un parent de l’époux, de statut socio-économique comparable ou supérieur au sien, désapprouve le mariage, des négociations doivent avoir lieu. Là encore, les amis proches des différents protagonistes intercèdent en faveur de celui qu’ils soutiennent.

26Les commerçants – anciens élèves de l’école coranique, qui parlent peu le français et sont issus de familles commerçantes – s’établissent le plus souvent grâce à une aide familiale. Malgré les revenus tirés du commerce, ils se voient facilement imposer des épouses. Leur entourage les incite vivement à se marier afin de ne pas dépenser leurs bénéfices dans des conquêtes amoureuses. Du fait de leur activité commerciale, ils appartiennent à des réseaux dont ils seront exclus s’ils ne respectent pas la décision de leur père.

27Les hommes sans autonomie financière, qu’ils soient au village ou en ville, se voient soit imposer une femme par leur père ou les frères aînés de leur père soit rester durablement à l’écart de ces circuits matrimoniaux. Dans ce cas, ils vivent mal leur statut de célibataire. Plus leur niveau d’étude est élevé, plus leur famille sollicite leur avis avant de leur proposer une jeune femme en mariage. Les épouses issues de lignages amis sont offertes en mariage aux frères cadets restés au village ou à ceux qui n’ont pas suivi de scolarité. Ainsi les aînés d’une fratrie peuvent se retrouver dans la position incongrue de célibataires alors même que leurs cadets sont mariés. Ceci crée de véritables ressentiments qui, même s’ils ne sont jamais exprimés publiquement, sont douloureusement vécus. Des disparités fortes peuvent apparaître entre des frères classificatoires qui parfois vivent sous le même toit.

28Les foyers nucléaires, autonomes économiquement, laissent les enfants libres de choisir leur conjoint. Par contre, les foyers plus insérés dans les logiques lignagères (c’est-à-dire dans des liens entre lignages entretenus par des mariages arrangés) imposent plus facilement leurs choix matrimoniaux à leurs enfants. Le niveau scolaire, une relative autonomie financière, la nature de la structure familiale et surtout les rapports qu’entretient le père direct des jeunes avec la grande famille sont des éléments fondamentaux dans les modalités de choix du conjoint. Les mariages conclus à l’initiative des aînés des époux existent toujours : la relation entre aînés et cadets ne peut alors se comprendre qu’en fonction du statut économique, professionnel et social de chacun (degré d’insertion dans la parenté, dans des réseaux politiques ou religieux…). La disparité entre les jeunes d’une même classe d’âge se creuse, des frères peuvent connaître des histoires matrimoniales très différentes.

29Le mariage par consentement mutuel et le mariage forcé répondent donc à des situations sociales particulières dans lesquelles l’individu est engagé de façon différente selon son origine sociale, son rang d’aînesse dans la fratrie, sa formation, son statut professionnel, sa confession, son autonomie financière, les relations de ses parents directs avec la famille élargie, les desseins de la famille à son égard ou encore les ambitions politiques et sociales de ses géniteurs. La réalisation d’une union se trouve donc au cœur de stratégies individuelles et collectives.

Précarisation socioprofessionnelle des hommes

30À travers ces questions matrimoniales, c’est la capacité des jeunes hommes à assumer une épouse mais aussi à soutenir financièrement les leurs qui est en jeu. Cette capacité est, aujourd’hui, perçue comme le premier marqueur de leur valeur personnelle. Dans la société villageoise ancienne, l’ardeur au travail des champs était valorisé, mais si les récoltes pouvaient alors couvrir les besoins familiaux, tel n’est plus le cas aujourd’hui où une ressource monétaire est indispensable. Économiquement, le marché du travail saturé, la crise vieille de quinze ans et les conséquences de l’ajustement structurel n’ont fait qu’amenuiser les possibilités d’accéder à un emploi. Les revenus tirés de l’agriculture sont aléatoires du fait des grands écarts de pluviométrie d’une année à l’autre. Les jeunes hommes des années 80 et 90, avec la montée de la pauvreté et de la dégradation du marché du travail, voient l’accès à la position d’adulte rendue plus difficile qu’elle ne l’a été pour leurs aînés masculins (Antoine et al., 2001). Le risque « d’insignifiance sociale » (Timera, 2001 : 38) plane sur chaque tête, se marier le dissipe. Incontournable et pourtant de plus en plus problématique, le mariage met en jeu des normes concurrentes et des aspirations collectives et individuelles souvent contradictoires.

31La possibilité de choisir son conjoint pousse les jeunes générations à développer des stratégies individuelles pour favoriser les relations amoureuses conduisant au mariage. Au niveau individuel, des nouveaux modèles de couple diffusés par le cinéma, la télévision et les chansons s’affirment dans une ville comme Ouahigouya. Les hommes comme les femmes, âgés de 15 à 35 ans, aspirent à rencontrer l’âme sœur. Chacun recherche celui ou celle auprès duquel ou de laquelle s’épancher et avec lequel ou laquelle construire un projet commun. Cette aspiration commune se heurte aux qualités prêtées, par ailleurs, à chaque sexe : la relation entre un homme et une femme est le plus souvent empreinte de méfiance réciproque. De part et d’autre, on craint l’adultère et le mensonge, bref « la trahison ». Les hommes reprochent aux jeunes femmes de ne pas exprimer leurs sentiments et de rechercher uniquement un intérêt matériel. Ils redoutent d’être rejetés au profit d’un autre plus riche. Ils ont la certitude que pour garder leur amie, ils doivent donner toujours plus. Entretenir une relation durable implique de bénéficier d’un revenu stable, ce qui n’est le cas que d’une minorité. Les conditions économiques renforcent les attentes des jeunes hommes vis-à-vis de leurs aînés et inversement – chacun cherchant l’argent auprès de celui qui en possède – mais également celles des femmes vis-à-vis de leur conjoint, opérant ainsi un durcissement dans la relation hommes/femmes particulièrement pour les jeunes générations.

32Ce durcissement fait écho aux représentations attachées à la relation hommes/femmes dans les cultures ouest-africaines, représentations véhiculées, entre autres, dans les mythes de fondation (Balandier, 1985) ou les contes (Lallemand, 1985). Le mariage est présenté dans ces derniers comme un lien nécessaire mais peu aisé à respecter. Ils rappellent que l’homme doit se méfier des désirs féminins illimités. Le désir recèle des menaces pour la personne qui en est l’objet. Non assouvi, il peut révéler l’infériorité d’un partenaire vis-à-vis des attentes de l’autre. La relation sexuelle implique la supériorité d’un sexe sur l’autre et non la complémentarité : « à la communauté de l’homme et de la femme durant l’acte amoureux, les contes opposent volontiers le mérite particulier de l’un ou de l’autre » (Lallemand, 1985 : 185). Les contes africains, à la différence des contes occidentaux, ne mettent pas en avant les obstacles à la rencontre mais les difficultés de la vie commune et les antagonismes propres à la relation hommes/femmes.

Une jeune femme exigeante ?

33Les discours quotidiens des jeunes hommes soulignent la cupidité des filles. Ils affirment que les choix amoureux des jeunes femmes sont essentiellement mus par l’intérêt. Les femmes, elles, se méfient de ces hommes qui les flattent pour obtenir d’elles ce qu’ils souhaitent avant de les abandonner. Les grossesses hors mariage ne sont, en effet, pas toujours reconnues par les hommes et entachent durablement le statut d’une jeune fille. Sur le plan économique, les jeunes femmes mossi ont globalement accès à moins de ressources en ville qu’au village [10]. Mais, là encore, il est difficile de généraliser. Les disparités socio-économiques sont importantes au sein d’une même classe d’âge. À Ouahigouya, celles qui accèdent à un emploi salarié représentent une minorité. Pour la majorité, le commerce est la seule activité rémunératrice. De la vente de beignets, de plats cuisinés, de légumes, à celle des robes et des produits de beauté, les revenus commerciaux assurent, le plus souvent, un modeste pécule et, plus rarement, la possibilité d’entretenir toute la maisonnée. Financièrement, une femme dépend largement de son époux et, parallèlement, son prestige personnel s’accroît si elle participe aux réseaux des dons effectués dans le cadre des cérémonies familiales des femmes de leur entourage.

34L’analyse des transformations des cérémonies de mariage, depuis le début du siècle, met en évidence deux phénomènes : la hausse des sommes d’argent échangées et l’augmentation du volume des cadeaux offerts à la mariée par son futur époux mais aussi par sa mère. Ainsi, Mariam Ouedraogo du village de Bogoya, âgée de 55 ans environ, nous décrit le contenu du panier, appelé peogo en moore – cadeau de la mère de la mariée à sa fille – offert pour le mariage de sa fille, Sita, en 1990 :

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« Avant c’était facile mais maintenant comme le monde a changé c’est difficile. Avant on amenait des calebasses, des plats en bois et un pagne noir et blanc et quatre louches. Mais maintenant 44 louches ou 14 louches, les plats c’est selon tes moyens. Pour le peogo de Sita, j’ai mis 70 plats, 40 calebasses, 12 pagnes et 5000 francs [7,6 euros], trois femmes ont porté le peogo chez elle. Pour réunir l’argent, j’ai économisé, mes coépouses m’ont aidé, mes maris[11] aussi. »

36Le volume des cadeaux honore à la fois la mariée et sa mère. L’attachement de l’époux pour sa femme est également mesuré au nombre de cadeaux offerts lors du mariage. La pression d’une jeune femme est d’autant plus forte qu’elle doit – tant qu’elle le peut – tirer profit de sa situation de dépendance économique envers son époux ou son petit ami. Ne pas répondre à une demande de son épouse ou de sa fiancée est interprété par un homme comme un signe de défaillance. Afin de développer une image positive de lui, il cherche à se procurer l’argent nécessaire. Les femmes qui ont peu de revenus en propre exercent une pression plus grande sur leur époux afin d’obtenir de lui les sommes requises à la participation aux baptêmes, mariages et funérailles de leur entourage. Entretenant une relation avec un jeune homme d’une famille aisée de Ouahigouya, Ageratu, âgée de 25 ans, précise :

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« Tu sais, pour nous, les femmes, il faut faire attention. D’ailleurs ma maman m’a prévenue, un homme, il faut en profiter tant qu’il tient à toi et que tu es jeune et jolie car tu sais qu’un jour il aura une coépouse. Si c’est pas une coépouse, ce sera une maîtresse. »

38Cette réflexion révèle à quel point les jeunes femmes sont conscientes de la précarité de la relation amoureuse, des difficultés de la vie maritale, ainsi que de leur niveau de dépendance vis-à-vis de l’aide économique et des décisions de leur époux. Elle met également en évidence l’instrumentalisation des relations de couple par l’un et l’autre sexe.

Pour conclure

39La précarisation des jeunes dans les années 80 et 90 par rapport aux jeunes des générations précédentes (Antoine et al., 2001) et la transformation des attentes retardent l’accession au mariage. Accéder à la paternité, même sans passer par une alliance officielle, s’impose comme une « soupape sociale » en conférant aux jeunes hommes une réelle reconnaissance. En revanche, une naissance hors mariage a un coût social très grand pour la jeune fille. Ainsi, les jeunes restés au village ou les commerçants qui se voient imposer une femme sont, certes, en situation d’allégeance vis-à-vis de l’homme de la génération antérieure (leur propre père ou le frère aîné de celui-ci), mais parallèlement ils acquièrent avec une épouse les moyens d’une autonomie future. Certes, ils sont l’objet de moqueries des jeunes hommes de leur âge qui jugent leur dépendance à l’égard des choix matrimoniaux formulés par leurs aînés rétrogrades, mais leur statut d’homme marié est valorisé par la génération de leurs parents. Ces derniers finissent par leur donner des responsabilités qu’ils n’accordent pas aux célibataires. Aussi l’accession au statut d’adulte ne rime pas seulement avec l’autonomie financière ; le mariage et l’accès à la paternité assurent également l’entrée dans le monde des adultes.

40L’autonomie financière d’un jeune homme lui permet plus facilement d’imposer son choix matrimonial et de se conformer au modèle social le plus valorisé dans la jeunesse urbaine : épouser une jeune fille de son choix, d’origine citadine et qui est allée à l’école. En gagnant de l’argent, il a la possibilité de participer lui-même et de faire participer son épouse aux réseaux de dons cérémoniels. Toutefois, cette position d’aînesse relative conférée par sa capacité redistributive n’est jamais définitivement acquise. Il peut choir de ce statut, la surenchère permanente est nécessaire afin de le conserver. Ces mécanismes de promotion sociale entraînent l’exacerbation des pratiques ostentatoires dans le cadre des cérémonies familiales. Sans argent, un homme est maintenu à l’écart des circuits de redistribution, il ne peut pas participer à la hauteur des attentes de son entourage (épouse, parents, frères) ; il est placé à la marge des relations sociales et n’arrive pas à développer une idée positive de lui-même. Dans ce cas, être en situation d’allégeance par rapport à un de ses aînés masculins permet d’en obtenir une épouse et confère ainsi une reconnaissance sociale effective.

41Tiraillés entre le modèle d’une relation amoureuse harmonieuse et la méfiance requise dans la relation aux femmes, entre les vertus dévolues à l’argent (signe de réussite personnelle, de l’étendue de son réseau de relations, de l’attachement d’un homme pour sa femme…) et les difficultés à s’en procurer dans une société où la pénurie est la règle, où la précarisation s’étend dans toutes les couches sociales même les plus instruites, devenir un homme respecté dans le monde des adultes est, aujourd’hui, pour un adolescent, vécu de façon plus problématique que jamais. En dernier ressort, il dépend du soutien financier et social de ses aînés masculins.

Notes

  • [1]
    « En offrant ou en demandant nourriture, vêtements ou argent, il s’agit pour l’homme d’attirer et pour la femme de tester » (Dumestre et Touré, 1998 : 16).
  • [2]
    Les données ethnographiques sont issues d’une recherche doctorale que j’ai menée durant quatorze mois sur les transformations des rapports sociaux entre les sexes, les âges et les générations dans la ville de Ouahigouya et dans sa région. J’ai appréhendé de telles relations à travers les mutations des cérémonies familiales : baptême, mariage et funérailles en milieu mossi. Ici, seules sont envisagées les motivations et les contraintes économiques et sociales qui guident les choix matrimoniaux des hommes.
  • [3]
    En 1991, la ville compte 55 100 habitants selon l’Institut national de la statistique et de la démographie (INSD) du Burkina Faso.
  • [4]
    Le lignage est un groupe de descendance agnatique (patrilinéaire ou matrilinéaire) issu d’un ancêtre commun. La filiation suit, chez les Mossi, la ligne paternelle. Lorsqu’il est trop étendu, le lignage se segmente, seuls les plus anciens gardant la mémoire de ces liens généalogiques.
  • [5]
    Yelsomde (au pluriel yelsoma) signifie « bienfaits » (Alexandre, 1953 : 468).
  • [6]
    Aïd-el-Kebir ou Aïd-el-Adha, de l’arabe « la grande fête », est la fête qui est célébrée – le dixième jour du pèlerinage annuel – en mémoire de Abraham qui accepta de sacrifier son fils à Dieu. Au dernier moment, Dieu substitua un mouton au fils d’Abraham. Pour commémorer ce sacrifice, un mouton est immolé par chaque père de famille musulman à l’occasion de cette cérémonie.
  • [7]
    La cour ou la concession est l’unité d’habitation, elle regroupe la maison du père ainsi que celles de ses épouses et les chambres des enfants. Un mur entoure l’ensemble des maisons.
  • [8]
    Les jeunes femmes, afin de se faire tresser, achètent des mèches de cheveux synthétiques. La beauté d’une coiffure est aussi évaluée au nombre de paquets de mèches qu’elle a nécessité.
  • [9]
    Le revenu journalier d’un agriculteur dans le Yatenga peut être estimé à 250 fr. CFA (38 centimes d’euros), une secrétaire dans l’administration reçoit un salaire mensuel de 40 000 fr. CFA (60 euros). Pour comparaison, un sac de riz de cinquante kilos coûte entre 7000 et 12 000 fr. CFA (entre 10 et 18 euros) selon la saison.
  • [10]
    Même si les revenus d’une jeune épouse sont au village plus faibles que ceux des hommes de la même tranche d’âge pour un travail quotidien plus important (Lallemand, 1982 : 358).
  • [11]
    Les frères aînés et cadets de son époux sont considérés symboliquement comme ses maris.
Français

Indicatrices et productrices des changements sociaux, les mutations des modalités de choix des conjoints permettent d’analyser les transformations qui affectent la construction de l’identité masculine dans les sociétés d’Afrique de l’Ouest. Dans cet article, la pluralité des identités masculines est mise en évidence à partir de l’exemple mossi au Burkina Faso. L’auteure montre comment les jeunes hommes, marqués par des valeurs d’autonomie économique et affective, aspirent à conquérir un statut d’adulte. Le mariage et la participation aux circuits des dons cérémoniels confèrent ce statut mais restent difficiles à obtenir sans le concours des aînés masculins. Du point de vue d’une analyse en termes de genre, l’article démontre que les hommes en tant qu’ensemble continuent d’exercer une certaine domination sur les femmes, malgré les reformulations des rapports de pouvoir entre eux.

English

Plural identities among Mossi men (Burkina Faso): between autonomy and economic dependence

This study takes changes in the ways in which marriage partners are chosen as a key indicator of the ways in which male identity is being transformed in West African societies today. The plurality of masculine identities is illustrated through an example from the Mossi in Burkina Faso. The author demonstrates how young men increasingly value economic and emotional independence in their quest for adult status. Marriage and participation in the circuit of ritual gift-giving grant this status, but remain difficult to engage in without the cooperation of elder lineage males. From the gender perspective, this article shows how changes in power relations between men do little to alter the favorable balance of power that men as a group enjoy over women.

Références

  • Alexandre, R. Père (1953). La langue moore (2 vol., Dictionnaire Möré-Français). Dakar : Mémoires de l’Institut français d’Afrique noire.
  • En ligneAntoine, Philippe, Mireille Razafindrakoto et François Roubaud (2001). « Contraints de rester jeunes ? Évolution de l’insertion dans trois capitales africaines : Dakar, Yaoundé, Antananarivo ». Autrepart, 18 : 17-36.
  • Badini, Amadé (1994). Naître et grandir chez les Moose traditionnels. Paris-Ouagadougou : SEPIA-ADDB.
  • Balandier, Georges (1985 [éd. orig. 1974]). Anthropo-logiques. Paris : Le Livre de poche.
  • Capron, Jean et Jean-Marie Kohler (1975). Migrations de travail et pratiques matrimoniales. Paris : ORSTOM.
  • Dumestre, Gérard et Seydou Touré (1998). Chroniques amoureuses au Mali. Paris : L’Harmattan.
  • Lallemand, Suzanne (1982). « Respect des ancêtres et amour du père chez les Mossi de Haute-Volta. » In Jean-Pierre Bardet, Éléna Cassin et al., La première fois. Le roman de la virginité à travers les siècles et les continents (pp. 356-372). Paris : Ramsay.
  • Lallemand, Suzanne (1985). L’apprentissage de la sexualité dans les contes de l’Afrique de l’Ouest. Paris : L’Harmattan.
  • Ouattara, Fatoumata (1999). Savoir-vivre et honte chez les Senufo Nanerge (Burkina Faso). Thèse de doctorat : EHESS-Marseille.
  • En ligneTimera, Mahamet (2001). « Les migrations des jeunes sahéliens : affirmation de soi et émancipation ». Autrepart, 18 : 37-49.
Anne Attané
Anne Attané achève un doctorat d’anthropologie sociale et culturelle à l’École des hautes études en sciences sociales de Marseille sur les transformations des rapports des sexes, des âges et des générations, en milieu mossi au Burkina Faso. Parallèlement, elle a travaillé en France sur les questions des pratiques liées à l’environnement, et sur les modes de vie originaux développés par les populations néo-rurales. En collaboration avec un photographe professionnel et une anthropologue, elle mène une réflexion sur l’utilisation de l’image en anthropologie. Ensemble, ils ont réalisé trois expositions alliant réflexions anthropologiques et regard photographique et préparent un ouvrage sur ce thème.
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Mis en ligne sur Cairn.info le 03/08/2015
https://doi.org/10.3917/nqf.213.0014
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