CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 À l’époque impériale, le renseignement ne désigne ni des institutions de renseignement ni une culture de renseignement, comme c’est le cas aujourd’hui [2]. Cette lacune du vocabulaire ne signifie pas pour autant qu’il n’existe ni structure dédiée au renseignement ni culture de renseignement. Au regard des correspondances de Napoléon, la collecte d’information est omniprésente. L’Empereur demande ainsi fréquemment d’« espionner » ou de « reconnaître » un territoire, une ville, un fleuve. Le terme anachronique de renseignement sera toutefois employé dans cette contribution et adopté comme convention de langage.

2 Le renseignement militaire s’attache en priorité au renseignement opérationnel, c’est-à-dire au renseignement utile à la menée d’opérations militaires. Il peut donc être de différents niveaux : stratégique, opératif et tactique. Les objets essentiels de ce renseignement sont, d’une part, l’appréhension du terrain et de l’espace des opérations et, d’autre part, l’appréhension de l’ennemi sur un théâtre, et ce afin de connaître ses positions et dévoiler ses intentions. Napoléon est le premier à demander constamment ce type d’information, et ce que l’information soit fermée ou ouverte, c’est-à-dire protégée ou accessible.

3 Une définition du renseignement s’impose ici. Sébastien Laurent reprend celle de l’historien Sherman Kent [3], professeur à Yale dans les années 1950 et fondateur de la première revue sur le renseignement publiée en 1955 par la CIA, Studies in Intelligence : « Terme polysémique, d’où de multiples confusions, le renseignement désigne […] les structures de renseignement ; il renvoie aux activités mises en œuvre par ces organes ; il s’agit enfin d’un savoir [knowledge] sur des matières aussi diverses que le sont les applications potentielles de l’activité de renseignement [4]. »

4 L’ère napoléonienne doit être considérée comme une période d’acculturation des militaires, c’est-à-dire de transmission générale des savoirs (ou d’interactions des savoirs et des techniques) qui constituent la culture de renseignement. Appréhender la culture de renseignement, c’est appréhender les pratiques. Le renseignement militaire opérationnel dans les armées napoléoniennes procède de deux cultures d’armes qui se construisent tout au long du XVIIIe siècle. Les pratiques de ces deux cultures se cristallisent chez les militaires sous la Révolution et l’Empire.

5 Au-delà des pratiques de renseignement opérationnel, les militaires mettent en œuvre sous l’Empire des pratiques propres au renseignement policier. Il s’agit ainsi de surveiller les populations et l’esprit public, que ce soit à l’intérieur des départements français comme à l’extérieur.

Les pratiques de collecte du renseignement opérationnel provenant des armes savantes

6 Au XVIIIe siècle, la cartographie devient une science qui se développe, tant dans les milieux scientifiques que dans les milieux militaires, d’une part avec l’évolution du corps des ingénieurs topographes de Louis XIV au Consulat et, d’autre part, avec l’évolution du corps des officiers du génie.

7 L’ordonnance royale du 31 décembre 1776 donne le droit aux officiers du génie de lever carte à l’instar des ingénieurs géographes [5]. La porosité des savoirs dans les deux corps sera dès lors une constante. Dans la Grande Armée, trois décennies plus tard, les officiers de ces deux corps armeront le service topographique.

8 Parallèlement à la constitution des cartes, des cahiers topographiques ou mémoires de reconnaissance vont être constitués. Ces mémoires trouvent leurs origines tant dans les savoirs topographiques que dans les savoirs statistiques qui se développent et se normalisent depuis le XVIIe siècle. Il s’agit de rendre compte de l’état du terrain, comme des ressources naturelles et humaines qui s’y trouvent. Ainsi, la reconnaissance se trouve être une discipline enseignée à l’école du génie de Mézières, puis à celle de Metz, où sont regroupés en 1794 officiers d’artillerie et du génie [6]. De même, les reconnaissances font partie des travaux pratiques des ingénieurs géographes mis en place par le père du maréchal Berthier en 1761, en pleine guerre de Sept Ans, puis repris par le lieutenant général Berthier dans les années 1780 afin de reconnaître les régions frontalières, comme celles des Alpes.

9 En 1802, le chevalier Allent, officier du génie affecté au dépôt de la Guerre, chargé de la collecte et de la documentation – notamment des archives cartographiques, topographiques et statistiques – distingue dans son Essai sur les reconnaissances deux types de reconnaissances, celle de temps de guerre et celle de paix, celle de niveau tactique et celle de niveau stratégique.

10 Dans les armées napoléoniennes, les officiers d’armes savantes, comme ceux d’armes légères, ont produit ainsi de nombreuses reconnaissances tactiques que l’on peut qualifier d’« aide au mouvement », telles que les reconnaissances de cours d’eau lors des campagnes : le Rhin, le Danube, l’Oder, la Spree, la Vistule, le Niémen… Parallèlement, des reconnaissances stratégiques réalisées par des officiers d’armes savantes, ingénieurs géographes et officiers du génie notamment, permettent de préparer d’éventuelles opérations militaires.

11 À la suite des contacts pris dès 1805 avec le shah de Perse, en guerre avec la Russie, le général Gardane [7], aide de camp de l’Empereur, affecté au quartier général de la Grande Armée, est chargé d’une mission diplomatique et militaire en Perse. Le plan de renseignement de la mission Gardane a été fixé par l’Empereur et le ministre des Relations extérieures en avril 1807 :

12

Le 2 juin, le général Gardane aura à ses ordres des ingénieurs de la guerre et de la marine et des officiers d’artillerie, qui parcourront les routes, examineront les places, visiteront les ports de l’empire de Perse, non seulement sur le golfe Persique, mais aussi sur la mer Caspienne, dresseront les cartes et lui fourniront le moyen d’envoyer, après quatre mois de séjour, des mémoires détaillés et dignes de confiance sur les divers objets de ces reconnaissances… [8]

13 Dans sa lettre du 12 avril à Talleyrand, Napoléon précise les objectifs de la mission :

14

« 1. Reconnaître les ressources de la Perse, tant sous le point de vue militaire que sous le point de vue du commerce, et nous transmettre des renseignements fréquents et nombreux ; bien étudier surtout la nature des obstacles qu’aurait à franchir une armée française de 40 000 hommes, qui se rendrait aux Grandes Indes et qui serait favorisée par la Perse et par la Porte ;
2. Considérer la Perse comme alliée naturelle de la France, à cause de son inimitié avec la Russie ; entretenir cette inimitié, diriger les efforts des Persans, faire tout ce qui sera possible pour améliorer leurs troupes, leur artillerie, leurs fortifications, afin de les rendre plus redoutables aux ennemis communs ;
3. Considérer la Perse sous le point de vue de l’Angleterre ; l’exciter à ne plus laisser passer les dépêches, les courriers anglais, et entraver par tous les moyens le commerce de la Compagnie anglaise des Indes ; correspondre avec l’île de France, en favoriser le commerce autant que possible ; être en correspondance suivie avec notre ambassadeur à Constantinople, et resserrer les liens entre la Perse et la Porte [9]. »

15 Dans un décret, annexé à la lettre, Napoléon nomme le général Gardane ministre plénipotentiaire et fixe l’organisation de la mission, notamment en désignant :

16

« 4 élèves de l’École orientale, ayant déjà les principes et la langue persane et étant nés dans nos provinces françaises, de père et de mère français, [qui] seront envoyés à la cour de Perse pour être à la suite de la légation et s’instruire dans la langue.
[Et]
1 chef de bataillon du génie, 2 capitaines, 1 chef de bataillon d’artillerie, 1 capitaine d’ouvriers, 2 sergents d’ouvriers, 4 capitaines d’artillerie, 1 capitaine d’infanterie bon manœuvrier ayant été adjudant-major, et 3 sergents instructeurs [qui] seront envoyés de Constantinople en Perse avec l’ambassadeur, conformément à la demande de l’ambassadeur de Perse. Ils continueront de jouir en France du traitement attaché à leur grade. »

17 Après le départ de la mission en juin, la paix ayant été signée à Tilsitt entre la France et la Russie, le général Gardane reçoit l’ordre de ramener la paix entre les Russes et les Perses. L’objectif prioritaire de la mission est la guerre contre l’Angleterre et la reconnaissance des routes vers les Indes.

18 Deux ingénieurs géographes sont en fait chargés de ces travaux ; l’un, Bernard, meurt en arrivant en Perse après avoir relevé la route de Constantinople à Bayazid ; il est remplacé par le capitaine du génie Truilhier, qui effectue une reconnaissance des communications entre Téhéran et Alep. Il tombe malade et doit être rapatrié en janvier 1809. L’autre ingénieur géographe est Trezel [10], qui rédige un long rapport qui se compose :

19

  • Du rapport général, qu’il rédige au camp de Sultanieh, sur les itinéraires qu’il vient de parcourir ;
  • D’observations, notées à son retour en France, sur les prix des denrées dans la Perse de l’époque ;
  • De tableaux relatifs aux « itinéraires d’Ispahan aux principales villes de Perse et des frontières de Turquie », établis d’après ses observations et celles des autres membres de la mission.

20 Le capitaine Trezel ne s’est pas limité aux notes techniques : difficultés du terrain, points d’eau, ressources en vivres ou en fourrages. Il observe les populations rencontrées et termine sa reconnaissance par des tableaux quantitatifs. En note liminaire à sa reconnaissance adressée au général Gardane, Trezel souligne qu’« après avoir reçu vos derniers ordres, je sortis de Constantinople, le 8 septembre dernier, accompagné de Monsieur Dupré fils du consul de Trébizonde et guidé par un Tartare de son altesse le vizir de Bagdad » [11]. L’auteur décrit les obstacles provoqués par l’administration locale. La libre circulation n’est pas de mise. De plus, l’ordre du Pacha est contesté par le Dezebey, commandant du port. Comme réglementairement appris et admis dans les instructions de son corps [12], l’ingénieur géographe présente la description de la route qu’il emprunte, fixe les points d’habitations qui la jalonnent, puis décrit la topographie qu’elle traverse, la végétation, les élévations et les cours d’eau, en prenant soin de préciser, comme le préconise l’instruction aux ingénieurs géographes du 22 décembre 1802, la force du courant, les points guéables et les ponts qui les traversent.

21 Une difficulté demeure cependant pour l’observateur français en terre persane : l’orthographe des toponymes. Ils sont rapportés par l’ingénieur militaire de manière phonétique et, de ce fait, apparaissent francisés dans la reconnaissance. Nous sommes ici dans la limite de l’exercice au début du XIXe siècle. La connaissance de la Perse reste limitée à la vision occidentale. Elle doit être intelligible par le décideur français qui a à en connaître. Cette pratique souligne une vision occidentale de l’Orient, qui correspond en partie à l’état des connaissances de l’époque [13].

22 Au milieu de la description physique du territoire, l’auteur introduit des informations politiques, conformément au déroulé de son compte rendu. Au niveau stratégique, les reconnaissances mêlent informations techniques découlant de la statistique descriptive ou quantitative, et informations politiques, qui rendent compte des intentions des décideurs étrangers ou de l’état d’esprit de leurs populations.

23 Arrivé à Diarbekir, le capitaine fait une description de la place. Il ne manque pas de faire des remarques d’ordre ethnographique dans sa description de l’espace urbain. Le capitaine décrit Merdine, « ville peuplée d’environ 20 000 âmes et bâtie sur la pente méridionale d’une chaîne de rochers », et livre des informations militaires.

24 Le mémoire porte également sur les chemins et le relief du pays :

25

« On sort à Merdine des chemins pénibles de l’Anadolie, mais l’on ne trouvera plus d’ombrages frais, de ruisseaux, ni de ces fontaines que la piété des musulmans a multipliées sur les routes de l’Asie mineure pour les besoins des voyageurs alliés.
De ce roc escarpé on plonge sur l’immense plaine de la Mésopotamie semblable à la mer. »

26 De cette observation, Trezel ne manque pas d’évaluer les risques pour des troupes en armes. L’auteur livre des solutions pour lutter contre un environnement hostile – une zone désertique – et permettre de planifier un mouvement militaire ; chaque soldat devra être muni d’une provision d’eau.

27 Trezel décrit par la suite la ville de Mossoul, puis le mémoire porte sur la description de Bagdad. L’auteur y livre les limites physiques du territoire que gouverne le pacha de Bagdad. Puis il donne la physionomie de ce prince et la situation de son pays au regard de celle de ses voisins [14]. Trezel s’intéresse encore au réseau hydraulique du pays. Il projette la production du sol envisageable. Suivent également la production, le commerce et les populations rencontrées :

28

« Les Wahabis occupent maintenant l’île de Baharein et le petit port d’El Katif compris autrefois dans le gouvernement de Bagdad. »

29 Trezel nous indique les coordonnées de la ville de Bagdad :

30

« Cette ville est à 33° 22’ 05” de latitude et à 43° 2’ 9” du méridien de Paris. Elle est bâtie sur les deux rives du Tigre réunies par un pont de 33 bateaux attachés les uns aux autres et aux rivages par des forts câbles mais sans ancres. Le canal est beau, presque en ligne droite, et de 90 à 100 toises de largeur. »

31 Une nouvelle fois, ces lignes témoignent des connaissances scientifiques de l’officier, voire de l’apport des connaissances civiles dans le savoir géographique partagées entre scientifiques et militaires. L’analyse est suivie de l’état hydrographique de la ville, puis porte sur les travaux de fortifications sur les informations militaires de défense d’une place. Les informations sur les effectifs de la garnison suivent, ainsi que les descriptions de l’agglomération. La diversité des connaissances de l’auteur apparaît dans ces lignes. S’ajoutent des connaissances climatiques et leurs éventuelles conséquences :

32

« Les coups de soleil sont aussi très dangereux. On périt souvent en douze heures par une hémoragie [sic]. Le remède ordinaire est d’envelopper le malade avec des linges imbibés de Yoghourt, espèce de crème aigrie. On les saigne et on lui fait boire ensuite une grande quantité d’Airan [sic]. C’est du yoghourt dépouillé de sa partie butireuse [sic] et mêlés avec de l’eau. »

33 Il livre sa connaissance des maladies et des risques épidémiologiques :

34

« La peste n’est pas très fréquente mais elle y est très meurtrière. La dernière en l’année emporta 17 000 personnes. Elle vient ordinairement de Constantinople, de Mossul et Erzeroum. On assure qu’elle ne se communique jamais par les caravanes du désert d’Alep… »

35 Avant de fournir les données sur la production du pays, l’auteur décrit le système des impôts – « on estime que le gouvernement perçoit un cinquième des impôts » – puis il analyse les rapports entre le gouvernement et la Sublime Porte :

36

« Après douze années d’investiture successive, les pachas prennent le titre de califes. Ils se font précéder dans les grandes cérémonies par des Peïks. Ce sont des gardes portant des haches d’argent et coiffés de casques d’argent dorés, surmontés de plumes, honneur qui n’est réservé dans le reste de l’Empire qu’au sultan seul. L’autorité des pachas de Bagdad est absolument illimitée sur tous ceux qui habitent son territoire mais, soit droit ou abus, il jouit encore de très grandes prérogatives dans ses rapports avec la Porte. »

37 Enfin, dans sa partie descriptive, il passe en revue les forces armées du pachalik, qu’il estime au total à 41 350 soldats.

38 Dans la dernière partie de sa reconnaissance, Trezel fournit 126 tableaux chiffrés qui complètent sa description analytique. Ils portent sur les itinéraires entre les villes et agglomérations de Perse. Le nom de chaque lieu, le nombre de résidences ou de maisons et les distances en toises ou en lieux qui les séparent sont indiqués. La statistique descriptive doit pour l’auteur être complétée par une statistique qualitative simple, mais complète et synthétique. D’un coup d’œil le lecteur peut appréhender l’ensemble des itinéraires de la Perse, son niveau d’urbanisation, sa démographie et sa capacité militaire.

39 D’autres reconnaissances ont un but militaire attesté. En 1808, le chef d’escadron du génie Boutin se rend en Algérie en se faisant passer pour un voyageur de commerce. Le but de sa mission est clairement établi : permettre la prise d’Alger et ses environs. Il rédige un long rapport intitulé Reconnaissance générale des villes, forts et batteries d’Alger, des environs, etc. [15].

40

« Du relief des côtes aux ouvrages bâtis par l’homme, des fortifications d’Alger aux batteries qui les arment [16] » : tels sont les premiers chapitres qui composent ce mémoire. Mais à la description géographique et topographique sont ajoutés des éléments statistiques pour établir un plan de débarquement. La force militaire en temps de paix du dey d’Alger, celle en temps de guerre, ainsi que le nombre de batteries sont des éléments quantitatifs nécessaires à l’intelligence du pays. Ces données sont accompagnées de données issues de la statistique descriptive : l’état des chemins, les itinéraires praticables entre les villes, la langue, les maladies, les vivres, les eaux, les bois, la production, ainsi que les mœurs.

41 Ces données descriptives d’ordre ethnographique soulignent le souci de l’auteur de donner à ses autorités des éléments de compréhension du pays en vue de son occupation par des troupes et de son éventuelle administration par celles-ci.

42 En conclusion de sa reconnaissance, Boutin donne ces éléments récapitulatifs :

43

« Récapitulation des principaux articles :
Point de descente : Sidi Ferruch.
Point d’attaque : le château de l’Empereur.
Mode d’attaque : batteries de brèche à l’extrémité des communications soutenues par des portions circulaires. L’assaut ne doit être tenté qu’avec les plus grandes possibilités de succès.
Forces du dey en temps : de paix, 15 000 hommes au plus ; de guerre, 60 000 hommes au grand maximum.
Troupes jugées nécessaires pour l’expédition : 35 à 40 000 hommes.
Vivres : il en faut pour deux mois au moins en mettant pied à terre, sans préjudice des précautions prises pour en assurer l’arrivage.
Approvisionnement de toute espèce : il est nécessaire d’être bien informé de toutes les choses nécessaires, on ne trouverait rien sur les lieux.
Eaux, air, maladies : tout est satisfaisant sur ces différents objets.
Époque de débarquement : du mai au 10 juin, au plus tard.
Police : juste et sévère. Payer exactement. Respecter scrupuleusement les mœurs et usages du pays.
Armement : 907 embrasures, 658 pièces actuellement en batteries, dont 529 sont dirigées contre la mer (voir tableau ci-joint)
Tableau général de l’armement [17]. »

44 C’est dans le même sens qu’est conduite la reconnaissance menée par le capitaine du génie Burel au Maroc et présentée à Napoléon en juin 1810 [18]. Cette reconnaissance est effectuée dans le cadre d’une mission diplomatique. Il est accompagné d’un guide marocain qui connaît son statut de militaire français. Ce mémoire de temps de paix, long de 78 pages, porte sur des informations militaires et géographiques, mais essaie aussi d’appréhender l’organisation sociale du pays étudié. Dans cet exercice, l’officier fait montre de talents d’observateur, de géographe, de géologue, mais aussi d’ethnographe, rendant compte des us et coutumes des tribus marocaines et de leur force militaire, s’appuyant parfois sur des démonstrations historiques. Ces trois reconnaissances soulignent les savoirs mis en œuvre par les officiers d’armes savantes pour la réalisation de mémoires de reconnaissance stratégique.

Les pratiques de collecte du renseignement opérationnel provenant des armes de mêlée

45 Les pratiques et savoirs des fantassins et cavaliers en matière de renseignement nous sont connus par deux sources – les rapports et situations de forces ennemis et les rapports d’interrogatoires des prisonniers et déserteurs – mais aussi par les manuels et traités traitant du service, tels l’essai sur l’infanterie légère du général Duhesme [19] ou les manuels publiés après l’Empire des généraux de cavalerie légère Brack ou la Roche Aymon [20]. Ces manuels sont également des témoignages.

46 On découvre que les officiers légers sont formés aux reconnaissances. On peut cependant distinguer celles d’aide au mouvement, lorsqu’il escorte un officier du génie ou un ingénieur géographe servant en état-major, et celles qui correspondent à une formation tactique.

47 La reconnaissance d’arme légère est constituée d’au moins une centaine d’hommes, chargés de reconnaître ou d’éclairer l’avant-garde de l’armée afin de trouver les positions de l’ennemi. Selon la nature du terrain, on enverra, soit des fantassins – comme dans un sous-bois –, soit des cavaliers sur un terrain vallonné. Cette méthode a été parfois critiquée par des officiers, car la formation tactique ne garantit pas toujours la discrétion.

48 L’officier d’arme légère a aussi en charge de collecter de l’information auprès d’individus. Ces pratiques, appelées communément « renseignement humain », sont amplement décrites dans les manuels destinés aux officiers comme celui de De Brack.

49 Les rapports des prisonniers, déserteurs et voyageurs constituent une méthode de collecte du renseignement. De Brack aborde dans son manuel [21] l’interrogatoire, dans le chapitre des Questions à faire :

50

« Quel est le premier soin qu’on doit avoir lorsqu’on interroge ? C’est de juger des dispositions morales de celui qui va vous répondre [22]. »

51 Il livre une liste de questions différentes selon que la personne interrogée est un prisonnier, un déserteur ou un voyageur. Les interrogatoires correspondent à des situations :

52

« Quand on arrive dans un village, qui d’abord interroge-t-on ?  Le maire, ou celui qui remplit les fonctions municipales, le maître de poste, le curé ou le pasteur, le maître d’école, le seigneur, les hommes désignés pour avoir servi de guides à l’ennemi. »

53 Pour interroger leurs sources, espions, prisonniers ou déserteurs, le général de cavalerie légère de Brack propose l’emploi de plans de renseignement normalisés. Pour l’interrogatoire des prisonniers ou des déserteurs, les questions à poser sont celles-ci [23] :

54

« 1. Le numéro ou le nom de son régiment, sa force ;
2. La brigade à laquelle il appartient, le nom du général qui la commande ;
3. De quelle division cette brigade fait partie, le nom de celui qui commande cette division ;
4. À quel corps d’armée appartient cette division ; le nom, le grade du général en chef et le siège de son quartier général ;
5. Si le régiment, la brigade ou la division cantonnent, campent ou bivouaquent. Si le corps est posté, on demandera s’il est couvert par beaucoup d’avant-postes. S’il se garde avec soin, enfin s’il est retranché ;
6. Quels sont les corps d’armée ou divisions à la droite et à la gauche, leur éloignement ;
7. Où il a laissé son régiment, sa brigade ; si ce corps avait des détachements, s’il attend des renforts ;
8. S’il y avait des ordres pour faire un mouvement prochain, ou quelques-uns de ces préparatifs qui le dénotent d’avance ;
9. Que contenaient les derniers ordres du jour ;
10. Quels sont les bruits qui circulent dans l’armée ;
11. Si les subsistances sont abondantes, où sont les magasins, les dépôts, les entrepôts ;
12. S’il y a beaucoup de malades, où est le grand hôpital, où sont les ambulances ? »

55 Ce plan cherche à connaître les situations des forces ennemies, mais permet aussi de recouper les informations pour vérifier leur fiabilité et leur authenticité. Avec le rapport d’interrogatoire de l’officier de cavalerie légère, les officiers d’état-major authentifient les informations lorsqu’ils emploient le même plan de questionnement pour interroger à nouveau un prisonnier après qu’un certain temps se soit écoulé [24].

56 Le général Grimoard préconise lui aussi dans son manuel d’état-major qu’on recoupe les sources :

57

« On doit questionner séparément les guides [25] pris dans le pays, et ne les confronter que quand ils ne s’accordent pas. »

58 On parle aussi d’espions locaux pour désigner les habitants qui peuvent renseigner les armées.

59 On se trouve ici face à une autre acception du terme espion, celui de la source. L’espion d’armée du XVIIIe siècle mis en lumière par les travaux de Stéphane Genet [26] n’existe plus. Charles-Louis Schulmeister [27] est une exception, un idéal type. On préfère utiliser des officiers pour recueillir de l’information, même sous de fausses identités : Murat en colonel Beaumont, ou Boutin à Alger en voyageur de commerce.

60 Enfin, c’est notamment dans les états-majors que la porosité des savoirs se fait. Que ce soit pour appréhender le terrain ou l’ennemi, les officiers se transmettent les techniques de leur culture d’armes. Les officiers d’armes de mêlée seront amenés à faire des croquis respectant les conventions scientifiques des topographes ou à utiliser les cartes, tandis que les officiers d’armes savantes se doivent de connaître les techniques d’interrogatoire afin de certifier l’authenticité des renseignements

Les pratiques de renseignement policier : des divisions territoriales aux armées d’observation

61 À côté du renseignement opérationnel, l’armée participe à la surveillance de l’esprit public.

62 D’abord sur le territoire national et impérial. Lorsqu’il parvient au pouvoir, le Premier Consul hérite d’un système établi peu avant la Révolution, qui divise l’ensemble du territoire national en divisions militaires regroupant plusieurs départements, quand l’Ancien Régime n’établissait de gouverneurs militaires que dans les provinces frontières. Bonaparte conserve ce système, en le doublant d’une autorité civile par l’établissement de préfets dans les départements. Les gouverneurs divisionnaires ont autorité sur les troupes, sur les commandants des subdivisions territoriales et sur les commandants de places. Ce réseau de vingt-six – puis trente-deux – divisions à l’apogée du Grand Empire représente pour Napoléon l’un des principaux outils de sa politique [28]. Chaque jour, les généraux commandant les divisions rendent compte au pouvoir central de la situation de leur territoire ; à ces informations relevant de la surveillance s’ajoutent celles sur l’état de la conscription, sur les déserteurs et sur les mouvements des troupes, ce qui constitue un ensemble de renseignements d’ordre opératif ; la surveillance des côtes de l’Empire et tout ce qui touche à leur défense, notamment l’approche des vaisseaux britanniques, constituent des renseignements d’ordre stratégique.

63 Ces divisions ont produit une masse archivistique de première importance composée de rapports au ministre de la Guerre, portant tant sur l’opinion publique et le renseignement policier que sur des données militaires, sur les positions de l’ennemi sur nos côtes, la conscription et les projections d’unités. Ces rapports sont aujourd’hui conservés au Service historique de la Défense dans la sous-série GR 1 I [29]. Ces rapports ont eux-mêmes permis de produire les Rapports du ministre de la Guerre adressés au Premier Consul, puis à l’Empereur, rapports établis à partir de la correspondance du ministre avec les généraux commandant les divisions militaires [30].

64 Pour appréhender ces structures permanentes, il faut d’abord étudier leurs origines.

65 Dans les deux premiers tiers du XVIIIe siècle, seules les provinces frontières eurent des gouverneurs militaires chargés de renseigner le gouvernement et de servir de bras armé de l’État monarchique. Cette situation tenait à la position géographique de ces provinces et à leur rôle dans la défense du territoire [31]. Dans l’intérieur du royaume, le vrai pouvoir revenait aux intendants de province [32].

66 Les divisions militaires constituèrent la base d’une administration militaire territoriale homogène à l’échelle de l’ensemble du pays. L’ordonnance du 17 mars 1788, portant règlement sur le commandement dans les provinces ainsi que sur la division et l’organisation de l’armée, instituait en effet en France des circonscriptions territoriales militaires permanentes dénommées divisions [33]. Cette ordonnance fut suivie de trois autres textes : le règlement du 13 mai 1788 arrêté par le roi, concernant les archives de commandement ; l’instruction du 21 juin 1788 arrêtée par le roi concernant les rapports et la correspondance des commandants et intendants de province, commandants des divisions, officiers généraux divisionnaires, commandants des régiments, inspecteurs, directeurs ou officiers en résidence du corps royal de l’artillerie et celui du génie, commissaires ordonnateurs des divisions, commissaires des guerres, et généralement tous membres, ou employés de l’administration militaire ; le règlement du 1er juillet 1788 arrêté par le roi concernant les moyens de correspondance militaire  [34]. Cette réglementation posait les principes d’homogénéisation et de rationalisation de la gestion des troupes par l’endivisionnement du territoire. Un commissaire ordonnateur fut attaché à chacune des divisions comme chef de l’administration militaire. Les prérogatives des commandants en chefs de provinces et des généraux divisionnaires commandant les divisions furent fixées. Les principes hiérarchiques étaient réaffirmés. L’uniformité de la production administrative était imposée par l’envoi de modèles uniques d’état de situation pour les services des différentes armes.

67 Sous la Révolution, ce principe d’endivisionnement fut conservé. À partir de 1791, les divisions militaires furent composées de plusieurs subdivisions formées par les départements. Le général de division eut autorité dans l’étendue de son commandement sur les troupes, les commandants des subdivisions territoriales et les commandants de places, les commandants de subdivisions territoriales ayant eux-mêmes autorité sur ces derniers [35]. Cet endivisionnement constituait de fait un véritable réseau militaire couvrant tout le territoire. Puis, « en juillet 1792, la législative décréta que les 83 départements seraient regroupés en divisions militaires de telle manière que chacun des généraux des armées du Rhin, du Centre, du Nord, et du Midi aient à leur réquisition un nombre de départements proportionnés à l’importance et à l’étendue des frontières qu’elles avaient à défendre » [36].

68 Sous le Directoire, la carte de ces circonscriptions militaires fut modifiée pour, d’une part, défendre les nouvelles frontières et, de l’autre, répondre aux missions d’ordre intérieur. Si les troupes avaient pris l’habitude d’assurer des missions de police et de maintien de l’ordre au XVIIIe siècle dans les villes où elles tenaient garnison [37], avec le régime directorial l’attribution de ces missions aux militaires augmenta considérablement.

69 L’application de l’état de siège explique ce phénomène [38]. En permettant de déclarer des territoires en état de siège, le pouvoir civil augmenta les prérogatives des militaires en général et des commandants de place et des généraux divisionnaires en particulier. Ces militaires se voyaient conférer des pouvoirs très élargis de police et de maintien de l’ordre. L’état de siège avait été défini par l’article X de la loi du 10 juillet 1791 : « Dans les places de guerre et postes militaires, lorsque ces places et postes seront en état de siège, toute l’autorité dont les officiers civils sont revêtus par la Constitution, pour le maintien de l’ordre et la police intérieure passera au commandant militaire, qui l’exercera exclusivement sous sa responsabilité personnelle [39]. » Cette loi fut étendue aux départements de l’Ouest – dans le cadre de la contre-insurrection le 28 décembre 1795 – et aux départements du Midi. Les événements de thermidor an V, qui s’achevèrent par le coup d’État du 18 fructidor, ouvrirent un grand débat sur l’état de siège. Une loi du 10 fructidor (26 août 1797) détermina la manière dont les communes de l’intérieur de la République pourraient être mises en état de guerre ou de siège [40] :

70

« Le Conseil des Cinq-cents, considérant que la Constitution n’a point déterminé les cas et les formes dans lesquels les communes de l’intérieur pourront être déclarées en état de guerre et en état de siège ; considérant qu’il est instant d’établir les règles fixes à cet égard, déclare qu’il y a urgence. »

71 Le Conseil, après avoir déclaré l’urgence, prend la résolution suivante :

72

« Article I. Le Directoire exécutif ne pourra déclarer en état de guerre les communes de l’intérieur de la République qu’après y avoir été autorisé par une loi du Corps législatif.
Article II. Les communes de l’intérieur seront en état de siège aussitôt que, par l’effet de leur investissement par des troupes ennemies ou des rebelles, les communications du dedans au dehors ou du dehors au dedans, seront interceptées à la distance de trois mille cinq cent deux mètres (dix-huit cents toises) des fossés ou des murailles : dans ce cas le Directoire en préviendra le Corps législatif. »

73 En considérant que la présence déclarée de « rebelles » suffisait pour imposer l’état de siège aux communes de l’intérieur, le Directoire se donnait de plus larges moyens pour mater les rébellions et maintenir l’ordre par la force armée. Après le coup d’État de fructidor an V, le Directoire devait étendre l’état de siège à un grand nombre de communes.

74 De telles missions devaient s’accompagner d’un développement de la surveillance de la population et d’un accroissement de renseignements. Dès lors, les commandants militaires prirent l’habitude d’adresser des rapports de situations politiques et militaires au pouvoir exécutif [41]. Nombre de ces rapports sont conservés dans la sous-série AF III des Archives nationales. Un vocabulaire particulier fut appliqué dans cette littérature administrative pour désigner les opposants à l’ordre. Les « exclusifs », les « tenants de l’anarchie » désignaient les Jacobins ; les « tenants de l’ordre ancien » désignaient les royalistes. Un terme polysémique revient souvent dans ces rapports pour désigner les opposants, celui de « brigands ». Ils désignaient tour à tour les opposants politiques, les déserteurs, les réfractaires ou les voleurs [42]. Cette pratique, signe de politisation du renseignement, perdura dans les rapports des généraux de division sous le Consulat et l’Empire.

75 À côté de leurs missions d’ordre public, les généraux de division continuèrent à assurer le recrutement, la mise en route des troupes envoyées à l’armée, l’approvisionnement en vivres, en armes, en matériels et en chevaux, et aussi la police militaire, incluant la recherche des déserteurs et des réfractaires, à partir de la loi Jourdan-Delbrel de 1798, qui établit la conscription [43]. Ces missions demeurèrent sous le Consulat et l’Empire.

76 La Révolution fut donc marquée par l’acculturation des militaires à la pratique de la surveillance « politique ». Bonaparte hérita de ce système divisionnaire sur lequel il allait appuyer son pouvoir. Quelques jours après le 18 brumaire (9 novembre 1799), les consuls envoyèrent dans les départements des délégués du gouvernement afin de faire adhérer les populations à la constitution nouvellement rédigée. Ces délégués eurent ordre de « se concerter avec les généraux, commandant les divisions militaires » [44] afin de mener à bien leur mission :

77

« Ces délégués sont chargés d’instruire le peuple [….] des journées des 18 et 19 et les heureux résultats qu’elles doivent opérer.
Ils prendront des renseignements sur les principes et la moralité des fonctionnaires publics. Ils pourront (en) suspendre et remplacer. »

78 S’appuyant sur les circonscriptions militaires, le Premier Consul décida, sans changer la nature de ces structures, une rationalisation des effectifs servant en état-major de division militaire, par un arrêté du 3 fructidor an VIII (21 août 1800) [45] :

79

« Article I. À dater du 1er vendémiaire prochain, il ne sera employé pour le commandement des divisions militaires, que deux cent trente officiers ; savoir :
  • Généraux de division : 26 ;
  • Généraux de brigade : 50 ;
  • Adjudants-commandants ou chef de brigade : 52 ;
  • Aides de camp : 102 ;
  • Total : 230.
Article II. Il est expressément prohibé au ministre de la Guerre d’employer dans lesdites divisions un grand nombre d’officiers, sous prétexte de dépôt de conscrits, de levées de chevaux, de tribunaux militaires, ou sous tout autre ; les deux cent trente officiers conservés en activité devant suffire à ces divers objets.
Article III. Il sera attaché à chaque division militaire, un général de division et deux généraux de brigade. Chacun desdits généraux de brigade aura le commandement de l’un des départements de la division.
Le commandement de chacun des autres départements de la division sera confié à l’un des cinquante-deux adjudants-commandants ou chefs de brigade conservés en activité de service.
Article V. Il ne sera conservé pour les divisions territoriales militaires, que cent vingt-huit commissaires des guerres ; savoir :
  • 26 commissaires ordonnateurs ;
  • 102 commissaires ordinaires, dont cinquante-un [sic]de première classe, et cinquante-un de deuxième. »

80 À côté de ce pouvoir militaire, le Premier Consul établit dans les départements le pouvoir civil en la personne des préfets par la loi du 28 pluviôse an VIII (17 février 1800). Pour Édouard Ébel, « ces fonctionnaires avaient l’œil sur tout ce qui concernait le maintien de l’ordre » ; cependant, « les préfets obéissaient en partie à des règles non écrites et l’expérience y jouait un rôle important » [46]. Ainsi, aucune règle ne codifiait les rapports entre préfets et autorités militaires. Dans la loi du 28 pluviôse, aucun article ne faisait mention des prérogatives de chacun. Cet état fut souvent source de conflit entre généraux de division et préfets. Le général divisionnaire Cervoni, commandant la 8e division militaire, envoyait le 20 frimaire de l’an X (11 décembre 1801) au général Bonaparte, de son quartier général de Marseille, une lettre où il indiquait : « Des cinq préfets de la 8e division militaire, le citoyen Florent, préfet des Basses-Alpes maritimes, reste seul inconciliable avec les officiers généraux [47]. » En septembre 1801, le grand-juge Abrial, ministre de la Justice, dans un rapport portant sur un projet de règlement concernant les relations de la force armée avec l’administration, considérait les deux institutions distinctement :

81

« On ne voit rien qui établisse de substitutions entre le militaire et les autorités civiles. En observant de près, on remarque même qu’il ne dérive de la nature des fonctions respectives aucun rapport de supériorité ou d’infériorité, de prééminence ou de subalternité, entre ceux qu’ils exercent à différents degrés [48]. »

82 La force armée pouvait être l’auxiliaire des préfets en matière de maintien de l’ordre, mais elle restait indépendante de ces derniers. Cette structure duale ne fut pas sans conséquence sur la circulation de l’information : des rapports de source différente remontaient jusqu’au pouvoir central.

83 Une circulaire du ministre de l’Intérieur du 1er prairial an VIII (21 mai 1800) ordonnait aux préfets de fournir des rapports mensuels. Lucien Bonaparte demandait pour cette tâche de l’exactitude et un travail de synthèse concerté. En l’an IX, Chaptal réaffirma un plus tard le besoin d’information et « de connaissance exactes et positives de l’état de la France » [49].

84 Parallèlement, les généraux de division continuèrent à envoyer leurs rapports, qui portent bien souvent le titre de « rapport politique et militaire ». Cependant, le nouveau ministre de la Guerre de l’an VIII, le général Alexandre Berthier, ancien chef d’état-major de Bonaparte à l’armée d’Italie, rationalisa cette source de renseignement en instituant tout d’abord des rapports d’analyse des correspondances des généraux de division, puis des rapports décadaires, confectionnés à partir de ces correspondances, qui venaient compléter les extraits de correspondance générale du ministre de la Guerre. En 1807, le général Clarke, successeur de Berthier, fit évoluer les pratiques, en faisant rédiger des rapports journaliers qui rassemblaient les extraits de la correspondance des généraux de division et les extraits de la correspondance générale.

85 Ainsi, Bonaparte, Premier Consul, puis Napoléon, empereur, reçut toutes les décades d’abord, puis tous les jours, des informations d’ordre politique et militaire émanant des généraux des divisions militaires.

86 La répartition des divisions militaires a été fixée tout d’abord par le décret du 20 avril 1791 qui fut une conséquence directe de la création des départements, qui remplaçaient les anciennes provinces et gouvernements militaires. Ce décret divisa tout d’abord le territoire en vingt-trois divisions militaires, puis il y eut jusqu’à trente-deux divisions militaires dans le grand Empire de 1811 à 1813 ; aux vingt-trois divisions de 1791 s’ajoutèrent celles de Bruxelles, Liège, Mayence, Turin, Gênes, Florence, Amsterdam, Rome, Groningue et Hambourg.

87 L’intérêt porté par le gouvernement aux rapports fournis par les divisions militaires ne se dément pas durant le régime napoléonien. Les rédacteurs négligents sont rappelés à l’ordre : en brumaire an XI (novembre 1802), « le ministre [de la Guerre] a prescrit, au général commandant [la 24e division], de lui adresser, avec plus d’exactitude que par le passé, les états de situation de la division ». Par ailleurs, l’orientation de la surveillance – notamment celle des côtes – qui transparaît dans ces rapports illustre l’adoption d’une politique de renseignement. Mesurer l’application de la politique de blocus adoptée contre l’Angleterre devient une des priorités de l’Empereur. Les généraux de division, étendant leur commandement sur des départements côtiers, orientent la collecte d’information dans ce sens.

88 Les sources d’information dont disposent les généraux de division sont multiples. Les officiers généraux et supérieurs à la tête des départements, subdivisions des circonscriptions militaires, sont, pour les généraux commandant les divisions et pour le ministre, des sources de première importance. Ces officiers collectent l’information, soit par les comptes rendus qui leur parviennent des commandants de place, des gouverneurs ou des commandants d’unités positionnées sur leur territoire, soit par les tournées qu’ils effectuent en personne, à l’instar des préfets [50]. Le 30 vendémiaire an IX (22 octobre 1800), le général Motte, commandant le département du Vaucluse, est ainsi envoyé en tournée par le général de Saint-Hilaire, commandant la 8e division militaire [51]. Le général Rigau, commandant le département de la Sarre, rend compte de ses tournées au ministre de la Guerre le 8 octobre 1809 :

89

« J’ai l’honneur de vous rendre compte à Votre Excellence que je viens de parcourir à la tête des détachements que j’ai reçu de Mayence et de Deux-Ponts les communes de l’arrondissement de Pruni, un de ceux des départements où des séditions ont eu lieu ; les mécontents se sont enfuis dans les Forêts, et jusqu’à ce moment, il a été impossible d’arrêter aucun des meneurs de ces troubles, je me suis assuré par moi-même que l’esprit est on ne peut pas plus mauvais. Je pars dans une heure avec les mêmes détachements pour me porter sur Birkenfeld, qui paraît être le foyer ou le principal lieu de l’insurrection et où les rassemblements paraissent être très nombreux.
Je ne doute pas que l’arrivée de quelques troupes ramènera le calme et la tranquillité suivant les renseignements qu’on a pu prendre ; il paraît que ceux qui sont à la tête de la rébellion cherchent à persuader aux révoltés qu’ils n’ont rien à craindre, qu’il est impossible qu’on envoie contre eux la force armée, qu’il n’y a plus un soldat en France. Différents rapports que j’ai reçus paraissent confirmer ce dire. On peut donc présumer que la vue de quelques troupes dans ces contrées déconcertera à dessein les instigateurs ; malgré cela, je considère qu’il est impossible que ce département reste sans troupes ; sa situation favorise trop facilement le brigandage et les rassemblements, et offre en tout temps une retraite trop assurée aux coupables.
J’aurai l’honneur d’informer Votre Excellence du résultat de ma démarche, dans l’arrondissement de Birkenfeld [52]. »

90 Une autre source est importante pour la rédaction de ces rapports : il s’agit de la gendarmerie, qui envoyait des rapports réguliers, tant au préfet qu’aux généraux de division.

91 La surveillance de l’esprit public est aussi une mission des militaires hors des frontières de l’Empire.

92 Parallèlement à ces divisions qui couvrent les départements français, des commandements militaires et des gouverneurs sont nommés dans les territoires alliés ou occupés et les places étrangères [53]. Ainsi, le 12 novembre 1807, les territoires occupés par la Grande Armée sont divisés en grands commandements : la région de Berlin sous le commandement du maréchal Victor, la région de Breslau sous le commandement du maréchal Mortier, la région de Posen sous commandement du maréchal Davout, la région de Stettin sous les ordres du maréchal Soult, la région de Lübeck sous les ordres du prince de Pontocorvo et la place de Dantzig aux ordres du général Oudinot. Les structures de renseignements s’adaptent, on l’a vu, tant à la collecte d’information militaire qu’à la surveillance policière.

93 Lorsque les campagnes de 1805 à 1807 se terminent, la Grande Armée forme d’un côté l’armée d’Espagne et de l’autre l’armée du Rhin en 1808 [54] sous les ordres de Davout, où les services et les organes de renseignement perdurent [55] : Davout conserve ses structures de renseignement au sein de son état-major de l’armée du Rhin. Son armée passe d’une armée de campagne à une armée d’observation pré-positionnée et ayant notamment pour mission la protection du grand-duché de Varsovie.

94 On voit s’opérer un changement dans les objets du renseignement collecté : les organes de l’état-major surveillent tant les frontières du territoire polonais que sa population. Renseignement policier et militaire se côtoient. L’interception des lettres et la pratique communément appelée du « cabinet noir » [56] sont usitées pour la surveillance des nouveaux territoires par les militaires. Les archives du prince d’Eckmühl en témoignent. Suite aux traités de Tilsit, signés le 7 et le 9 juillet entre Napoléon et Alexandre Ier, le maréchal Davout est nommé le 15 juillet 1807 gouverneur général du grand-duché de Varsovie. À ce poste, il administre et surveille le territoire qui lui est confié jusqu’en 1808 et réorganise l’armée polonaise. À son état-major, il reçoit de nombreuses copies de lettres interceptées et traduites provenant des élites polonaises [57].

95 La pratique du cabinet noir accompagne aussi l’Empereur en campagne lorsqu’il s’agit de surveiller sa propre armée composée de plusieurs nations. Une lettre d’octobre 1812 écrite par Domon, directeur en chef des postes à la Grande Armée, au comte de Lavalette, directeur général des postes à Paris, en apporte la preuve [58]. D’une part, Domon rappelle qu’il a été témoin de cette pratique d’ouvrir la correspondance durant la campagne de 1809 ; d’autre part, il demande des instructions pour appliquer le même procédé à Moscou et le justifie ainsi : « S.E. M. le comte Daru et M. l’intendant général m’ont témoigné que, d’après les ordres de S. M., ils désireraient que je fisse l’ouverture des lettres qui passent dans mon bureau et de leur communiquer celles qui, par la nature des choses qu’elles renfermeraient, pourraient mériter l’attention du gouvernement [59]. » Ainsi, Domon demande à Lavalette son aide puisqu’il « ignore encore de quelle manière procédaient les agents employés à ce service pour recacheter les lettres […]. Comme ils n’ont pas suivi cette fois-ci l’armée ». Et d’ajouter : « Je n’ai personne dans les bureaux qui connaisse cette manipulation. Je vous prie de m’envoyer des instructions sur la manière d’opérer avec les instruments nécessaires, en attendant les agents que S.E. M. le comte Daru fait appeler pour cela. »

Conclusion

96 L’état de guerre quasi permanent que connaît la période impériale cristallise les habitudes et les savoirs des militaires. L’acculturation au renseignement opérationnel se fait dans l’ensemble de l’armée, et ce, bien que l’on distingue des traditions propres entre cultures d’armes.

97 Les armes savantes mettent en œuvre un savoir scientifique et académique, tandis que les armes de mêlée développent un savoir issu de l’expérience. Les différentes acceptions du mot reconnaissance témoignent de ce phénomène d’acculturation (reconnaissance d’appui au mouvement ; reconnaissance stratégique, mémoires de reconnaissance comportant données statistiques et topographiques, reconnaissance formation d’unité légère, et enfin dans les dossiers d’administration militaire, terme utilisé pour désigner des missions sous le feu afin de faire valoir ses droits à pension).

98 Le militaire s’acculture aussi à la surveillance des esprits, et ce depuis que l’armée est employée au maintien de l’ordre, ainsi qu’à la surveillance des territoires de l’Empire.

99 L’acculturation du militaire au renseignement de tout type sous l’Empire, c’est-à-dire le partage d’habitudes socio-professionnelles, marque une première étape du rôle du militaire dans le renseignement d’État que la fin du XIXe siècle révélera. La normalisation et la standardisation des documents en témoignent. Que ce soit pour représenter l’espace, avec les cartes, croquis, plans ou routes d’étapes, que ce soit pour évaluer les forces, avec les livrets et situations, ou que ce soit pour surveiller les territoires avec les rapports quotidiens.

100 Le travail en état-major participe à l’acculturation des officiers à ces différentes pratiques de renseignement et à leur normalisation.

Notes

  • [1]
    Voir Michel ROUCAUD, Le renseignement militaire opérationnel sous le Consulat et l’Empire, 1799-1815, thèse de doctorat, sous la direction de Bernard Gainot, univ. Paris I, 2015, 405 p.
  • [2]
    Sur les institutions et la culture de renseignement, voir notamment Sébastien LAURENT et Olivier FORCADE, Secrets d’État, pouvoirs et renseignement dans le monde contemporain, Paris : Colin, 2005, et Sébastien LAURENT, Politiques de l’ombre. État, renseignement et surveillance en France, Paris : Fayard, 2009. Ces ouvrages reprennent l’historiographie sur l’histoire du renseignement.
  • [3]
    Sherman KENT, Strategic Intelligence for American World Policy, Princeton, N.J.: Princeton University Press, 1966. Sherman Kent incarne les liens qui existent entre l’université et le monde du renseignement américain. En France, cette proximité a été illustrée par l’amiral Pierre Lacoste, ancien directeur de la DGSE, qui en 1993 a créé un séminaire de recherche sur « la culture française de renseignement » au sein de l’Université de Marne-la-Vallée. Il est l’auteur de différents ouvrages parmi lesquels : Approches françaises du renseignement : y a-t-il une culture nationale ? Textes du séminaire de recherche de 1995-1996, Paris : La Documentation française, Fondation pour les études de la Défense, 1997 ; (dir.), Le renseignement à la française, Paris : Economica, 1998.
  • [4]
    Sébastien LAURENT, op. cit., p. 11.
  • [5]
    Vincennes, Service historique de la Défense, GR 1 VA 2, ordonnance royale du 31 décembre 1776 concernant le corps du génie.
  • [6]
    Service historique de la Défense, GR Xe 199, école du génie de Metz, Mémoire expositif (sic) de l’instruction qui se donne actuellement dans l’école du génie à Metz, aux élèves officiers du génie et mineurs envoyés par le gouvernement à ladite école.
  • [7]
    Service historique de la Défense, GR 8 Yd 841, dossier du général de brigade Charles Mathieu Claude Gardane (1766-1818), envoyé comme ambassadeur en Perse (1807-1809).
  • [8]
    Service historique de la Défense, GR 1 M 1673, plan de mission joint aux rapports de la mission Gardane, 1807.
  • [9]
    Correspondance générale de Napoléon Bonaparte publiée par la Fondation Napoléon, 1807, Paris : Fayard, 2010, t. 7, p. 604, lettre n° 15233 du 12 avril 1807.
  • [10]
    Service historique de la Défense, GR 7 Yd 1134, dossier individuel du général de division Camille Alfonse Trezel (1780-1860), ingénieur géographe.
  • [11]
    Service historique de la Défense, GR 1 M 1673, Rapport sur la Perse à monsieur le général comte Gardane par M. Trézel, ingénieur géographe, aide de camp de son excellence, 14 août 1808, p. 2.
  • [12]
    Voir l’« instruction du 22 décembre 1802 aux ingénieurs géographes, par le général Sanson et son annexe, des questions relatives à la tenue des cahiers topographiques par le chef de brigade Vallongue », dans Instruction des ingénieurs géographes du dépôt général de la Guerre. Du 1er nivôse an XI [22 décembre 1802], de l’imprimerie de la République, Paris, thermidor an XI [juillet-août 1803].
  • [13]
    Sur l’étude de l’altérité et de la vision occidentale de la Perse par la mission Gardane, il faut se reporter aux travaux de Maxime PAQUETTE, Les agents du renseignement français en Perse. Étude et comparaison de leurs observations de la fin du XVIIIe siècle au début Second Empire, thèse de doctorat d’histoire contemporaine, cotutelle internationale sous la direction de Tristan Landry et de Sébastien Laurent, univ. de Sherbrooke-univ. de Bordeaux, soutenance prévue en septembre 2015. L’auteur, qui s’inscrit sur les traces de Henry Laurens, veut montrer le choc de civilisations en relevant une vision occidentale de la Perse et en étudiant les missions envoyées par Napoléon, notamment celle de Pierre-Amédée Jaubert, en 1805, et celle du général Gardane, entre 1807 et 1809. Voir aussi sur ce sujet : Nicole GOTTERI, « La mission de Romieu en Perse », dans Revue Napoléon, 2005, vol. 2, pp. 19-26 ; Pierre Amédée JAUBERT, Voyage en Arménie et en Perse, fait dans les années 1805 et 1806, Paris : Pélicier et Nepveu Libraires, 1821 ; Henry LAURENS (dir.), L’expédition d’Égypte, 1798-1801, Paris : Armand Colin, 1989 ; Archives du ministère des Affaires étrangères, Mémoires et Documents. Perse, vol. 7, « Notes sur l’armée persane faites par M. Auguste Bontems le Fort, capitaine du génie, membre de la Légion d’honneur », 1807. Voir aussi : SHD, GR 8 Yd 84, dossier du général Mathieu Claude Gardane (1766-1818).
  • [14]
    Service historique de la Défense, GR 1 M 1673, Rapport sur la Perse…, op. cit., pp. 12-14.
  • [15]
    Service historique de la Défense, GR 1 M 1318, Reconnaissance générale des villes, forts et batteries d’Alger, des environs, etc., faite en conséquence des ordres de son excellence, Monseigneur Décrès, ministre de la Marine et des Colonies, fait en 1808 et présenté au ministre Décrès en 1809.
  • [16]
    Ibid.
  • [17]
    Ibid.
  • [18]
    Service historique de la Défense, GR 1 M 1675, Mémoire militaire sur l’empire de Maroc présenté à sa majesté impériale et royale en juin 1810, par le capitaine du génie Burel, terminé à Paris le 26 avril 1810.
  • [19]
    Lieutenant-général comte DUHESME, Essai sur l’infanterie légère et traité des petites opérations de la guerre, à l’usage des jeunes officiers, Paris : L. G. Michaud, 1814. La première édition de cet essai date de 1806.
  • [20]
    Comte de La ROCHE-AYMON, Manuel du service de la cavalerie légère en campagne, publié par ordre du ministre de la Guerre, Paris : Anselin et Pochard, 1821.
  • [21]
    Fortuné de BRACK, Avant-postes de cavalerie légère, Paris : Berger Levrault, 1942, édité pour la première fois en 1831.
  • [22]
    22 Ibid., p. 106.
  • [23]
    Ibid., p. 122.
  • [24]
    Voir les rapports d’interrogatoire dans Les documents de temps de guerre de la première partie de la thèse de Michel ROUCAUD, op. cit.
  • [25]
    Général GRIMOARD, Traité sur le service de l’état-major général des armées, Paris : Magimel, 1809¸ p. 26. L’acception donnée ici du mot guide est « habitant du pays » (paysan, bergers…), qui recoupe l’acception d’« espion local » des généraux de Brack et Duhesme.
  • [26]
    Stéphane GENET, Les espions des Lumières. Actions secrètes et espionnage militaire sous Louis XV, Paris : Nouveau Monde, 2013.
  • [27]
    Voir notamment : Abel DOUAY, Gérard HERTAULT, Schulmeister, dans les coulisses de la Grande Armée, Paris : Nouveau Monde, 2002.
  • [28]
    Voir notamment : Service historique de la Défense, GR 6 M, GR J 10 A 92, Carte de l’Empire français et du royaume d’Italie avec une partie des États qui sont sous la protection de l’Empereur Napoléon, carte gravée rehaussée d’aquarelle, 1811, sur laquelle on retrouve la composition des divisions territoriales.
  • [29]
    La sous-série GR 1 I des archives de la Guerre conservées au Service historique de la Défense regroupe en 129 cartons les registres de correspondance des divisions militaires de 1793 à 1830. Il est à signaler que les collections ne sont pas complètes pour toutes les divisions.
  • [30]
    Paris, Archives nationales, AF IV 1090 à 1099, rapports du ministre de la Guerre, 1800-1814 ; Service historique de la Défense, GR 1 I, sous-série de la collection des rapports des commandants de division militaires ; voir aussi Service historique de la Défense, GR 10 C 137 bis, registre des rapports journaliers envoyés à l’Empereur, novembre 1808-septembre 1809, rapport journalier du 30 novembre 1808, qui nous renseigne sur la construction de la synthèse administrative.
  • [31]
    Guillaume LASCONJARIAS, « Comme si nous étions présents en notre personne ». Gouverneurs, lieutenants généraux et commandants pour le roi dans la France d’Ancien Régime. L’exemple des provinces de l’est au XVIIIe siècle (Alsace, Lorraine et Trois-Évêchés), thèse de doctorat, sous la direction du professeur Claude Michaud, univ. Paris-I, 2007, 2 vol.
  • [32]
    André CORVISIER, « Armées, État et administration dans les temps modernes », dans Histoire comparée de l’administration (IVe-XVIIIe siècles), München : Artémis Verlag, « Beihefte der Francia », n° 9, 1980, pp. 555-569.
  • [33]
    Capitaine DEMIAU, L’organisation divisionnaire de 1788, documents publiés, Paris : Lucien Gougy librairie, 1901. Le premier essai de divisions militaires remonte à 1776. Le ministre Saint-Germain avait prévu d’en implanter treize sur la frontière du nord-est et sept sur celle du Dauphiné et sur les côtes, celle de l’intérieur comprenant presque tout le royaume. L’ordonnance du 17 mai 1788 reprit ce projet, créant vingt divisions sur le continent (Jean-Paul BERTAUD, Daniel REICHEL, Atlas de la Révolution française, t. 3, L’armée et la guerre, Paris : Éditions de l’école des hautes études en sciences sociales, 1989.
  • [34]
    Ibid.
  • [35]
    « État général compris dans chaque division militaire, avril 1791 », dans Journal militaire, supplément, 7e partie, an XIII, p. 12.
  • [36]
    Jean-Paul BERTAUD, Daniel REICHEL, op. cit., p. 12.
  • [37]
    Pascal BROUILLET, « Armée et maintien de l’ordre dans la seconde moitié du XVIIIe siècle (1750-1789) », dans Armée et maintien de l’ordre, Paris : Centre d’études d’histoire de la défense, 2002, pp. 89-98.
  • [38]
    Voir sur l’ordre public, sous la Révolution notamment, Bernard GAINOT, Denis VINCENT (dir.), Un siècle d’ordre en Révolution. De 1789 à la Troisième République, Paris : Société des études robespierristes, 2009. Voir aussi Jacques-Olivier BOUDON, Ordre et désordre dans la France napoléonienne, Paris : Napoléon Ier Éditions, 2008.
  • [39]
    Service historique de la Défense, GR 2X 56, lois et décrets, juillet 1791, Loi concernant la conservation et le classement des places de guerre et postes militaires, la police des fortifications et autres objets y relatifs, Paris, 10 juillet 1791.
  • [40]
    Bulletin des lois de la République française, 2e série ; quatrième partie, n° 139, an V, loi du 10 fructidor an V (26 août 1797), qui détermine la manière dont les communes de l’intérieur de la République pourront être mises en état de guerre ou de siège.
  • [41]
    Archives nationales, AF III 143 à 201, Directoire exécutif, rapports et correspondances des généraux. Ces rapports étaient envoyés dans leur intégralité au pouvoir exécutif.
  • [42]
    Bernard GAINOT, « La chasse aux brigands. De la petite guerre aux partisans, 1792-1813 », dans Thierry WIDEMANN (dir.), L’art du piège. Ruses, stratagèmes et guérillas, des origines au XXIe siècle, Paris : Centre d’études d’histoire de la Défense, à paraître.
  • [43]
    Sur les différentes formes de recrutement, voir notamment Michel ROUCAUD, « L’anatomie d’un régiment consulaire, ou le 24e de ligne en 1803 d’après ses contrôles », dans Revue internationale d’histoire militaire, n° 82, 2002, pp. 179-193.
  • [44]
    Service historique de la Défense, GR 2 X 141, minutes des arrêtés des consuls, brumaire, frimaire, nivôse an VIII, arrêté du 29 brumaire an VIII (20 novembre 1799).
  • [45]
    Arrêté relatif aux états-majors des divisions et des places du 3 fructidor an VIII, Journal militaire, 2e semestre an VIII, n° 21, p. 797.
  • [46]
    Édouard EBEL, Les préfets et le maintien de l’ordre en France au XIXe siècle, Paris : Documentation française, 1999, p. 7.
  • [47]
    Archives nationales, AF IV 1092, pièce 180, lettre du général divisionnaire Cervoni, commandant la 8e division militaire au général Buonaparte, premier consul de la République, quartier général à Marseille, le 20 frimaire de l’an X (11 décembre 1801).
  • [48]
    Archives nationales, 29 AP 75, rapport du projet de règlement concernant les relations de la force armée avec l’administration, pour la sûreté de celle-ci et sa dignité, section de l’intérieur, août-septembre 1801, cité dans Édouard EBEL, op. cit., p. 66.
  • [49]
    Circulaire du ministre à l’intérieur aux préfets, germinal an IX (mars-avril 1801) ; cité dans Édouard EBEL, op. cit.
  • [50]
    Édouard EBEL, op. cit.
  • [51]
    Archives nationales, AF IV, 1092, op. cit, pièce 185. Copie de la lettre du général Motte envoyée au général Férino le 30 vendémiaire an IX (22 octobre 1800).
  • [52]
    Archives nationales, AF IV, 1096, op. cit, rapport journalier du 14 octobre 1809, copie d’une lettre adressée au ministre de la Guerre, jointe au rapport, par M. le général Rigau, commandant le département de la Sarre, datée de Vitiliche, le 8 octobre 1809.
  • [53]
    Service historique de la Défense, GR 6 M, GR J 10 A 92, Carte de l’Empire français et du royaume d’Italie avec une partie des États qui sont sous la protection de l’Empereur Napoléon, carte gravée rehaussée d’aquarelle, 1811. Voir aussi parmi les situations, notamment : GR 2 C 496, 1er commandement, 3e corps (Davout), avec les situations de la place de Magdebourg. 1808 ; GR 2 C 497, 2e commandement, 4e corps (Soult), avec les situations de Stettin. 1808 ; GR 2 C 498, gouvernement de Dantzig (Rapp), 1807-1808 ; GR 2 C 499, 3e commandement (Mortier, 5e et 6e corps), gouvernements de la Silésie et de Bayreuth, 1808.
  • [54]
    Le 12 octobre 1808, la Grande Armée est dissoute par un décret impérial, daté d’Erfurt, « portant organisation de l’armée du Rhin ».
  • [55]
    Service historique de la Défense, GR 2 C 502, armée du Rhin créée avec les troupes de la Grande Armée restées en Allemagne, 1808-1809. Voir aussi fonds Davout : GR 1 K 1 20 à 24, 3e corps d’armée de la Grande Armée puis de l’armée du Rhin : correspondance reçue et rapports, 1808. Dans le dossier 23, on trouve notamment la pièce 35 : traductions de lettres de Polonais, juillet 1808 ; la pièce 40 : extrait du rapport de l’inspecteur des postes du département de Lomza traitant notamment des troupes russes disséminées en Lituanie, 12 juillet ; la pièce 47 : traduction de lettre : le prêtre Jan Miszewski à madame Dziatynska, Posen 16 juillet ; lettre non signée à Jean Drozdowski à Varsovie, Cracovie, 18 juillet ; et un extrait du rapport d’un maître des postes sur les mouvements de troupes en Galicie, 19 juillet 1808.
  • [56]
    Le « cabinet noir » attaché à l’Empereur est dirigé par Antoine-Marie Chamans, comte de Lavalette (1769-1830). Cet ancien capitaine, engagé dans l’armée des Alpes en 1796, fut aide de camp de Bonaparte de 1796 à 1801. Il devient commissaire central des postes, succédant à Laforest, puis directeur général des Postes lorsque la poste aux lettres devient une direction du ministère des Finances. Fidèle de Bonaparte depuis ses années d’officier d’état-major, il entre dans le cercle intime du général en épousant Émilie de Beauharnais, nièce par alliance du futur empereur. Une telle proximité est propice à l’interception de correspondances au profit unique du chef de l’État par le directeur des Postes, qui est aussi le chef du bureau de la censure appelée communément « cabinet noir ». Cette pratique d’État, violant la vie privée, hors de tout cadre juridique et nécessitant le secret, est justifiée par le contrôle des populations. Catherine BERTHO, « Lavalette », dans Jean TULARD (dir.), Dictionnaire Napoléon, Paris : Fayard, 1995, p. 1042 ; voir aussi Eugène VAILLE, « Les postes du Consulat et du Premier Empire et Lavalette, directeur général », dans Revue des P.T.T.¸ mars-avril 1947, pp. 1-7 ; comte de LAVALETTE, Mémoires et souvenirs, Paris : Mercure de France, 2012.
  • [57]
    Service historique de la Défense, GR 1 K 1/23, fonds privé Davout, correspondance reçue, rapports et copies de correspondance envoyée, juillet 1808 ; pièce 1 : la traduction de lettres du colonel Kvazinski à Krieger son homme d’affaires, en date de Madrid le 19 juillet 1808 ou encore de Ruttier, chef d’escadron du régiment des lanciers au chef de bataillon Hornowski, en date de Bayonne le 16 juillet 1808, avec l’analyse du contrôle postal qui a ouvert et traduit la lettre. Ou encore pièce 17 : Traduction et extraits de la poste militaire : Labienski à son beau-père, Madrid, 3 juillet 1808 ; Aksamitowski à Jalkowki, Varsovie, 30 juillet 1808 […].
  • [58]
    Lettre du directeur en chef des postes à la Grande Armée, Domon, au comte de Lavalette, directeur général à Paris, de Moscou, du 14 octobre 1812 dans « Lettres interceptées par les Russes durant la campagne de 1812, d’après les pièces communiquées par S.E. M. Goriaïnow, directeur des archives de l’État et des Affaires étrangères de Russie et annotées par Léon Hennet et le commandant Emm. Martin », dans La Sabretache, 1913, p. 330.
  • [59]
    Ibid.
Français

L’ère napoléonienne doit être considérée comme une période d’acculturation des militaires, c’est-à-dire de transmission générale des savoirs (ou d’interactions des savoirs et des techniques) qui constituent la culture de renseignement. Appréhender la culture de renseignement, c’est appréhender les pratiques en ce domaine. Le renseignement militaire opérationnel dans les armées napoléoniennes procède de deux cultures d’armes (armes savantes (génie, artillerie, ingénieurs géographes) et armes de mêlée (infanterie et cavalerie)) qui se construisent tout au long du XVIIIe siècle. L’état de guerre quasi permanent que connaît la période impériale cristallise les habitudes, les pratiques et les savoirs des militaires dans ce domaine. La normalisation et la standardisation des documents produits par les officiers dans leur activité de renseignement en témoignent. Au-delà des pratiques de renseignement opérationnel, les militaires mettent en œuvre sous l’Empire des pratiques propres au renseignement policier. Il s’agit ainsi de surveiller les populations et l’esprit public, que ce soit à l’intérieur des départements français comme à l’extérieur. Le travail en état-major participe à l’acculturation des officiers à ces différentes pratiques de renseignement et à leur normalisation.

Michel Roucaud [1]
Michel Roucaud est docteur en histoire et chargé d’études documentaires au Service historique de la Défense.
  • [1]
    Voir Michel ROUCAUD, Le renseignement militaire opérationnel sous le Consulat et l’Empire, 1799-1815, thèse de doctorat, sous la direction de Bernard Gainot, univ. Paris I, 2015, 405 p.
Mis en ligne sur Cairn.info le 20/06/2017
https://doi.org/10.3917/napo.027.0062
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