CAIRN.INFO : Matières à réflexion

  

1 Joseph Bonaparte mourut au palais Serristori de Florence, où il avait élu domicile trois ans et demi plus tôt, le 28 juillet 1844. Il succomba aux suites d’attaques d’apoplexie – nous dirions AVC – à répétition, à l’âge de 76 ans et demi. Ses obsèques eurent lieu le 3 août et furent, selon l’ambassadeur de France en Toscane, Bellocq, d’une « modestie et [d’]un recueillement remarquables » [1]. Il fut inhumé dans la chapelle Bonaparte de l’église Santa Croce, non loin de sa fille cadette Charlotte, décédée en 1839. Sur ordre de Napoléon III, ses restes seront transférés au caveau des Gouverneurs des Invalides, le 22 juin 1862. Son cercueil sera placé dans son tombeau définitif de l’église Saint-Louis, dû à Alphonse-Nicolas Crépinet, le 22 mars 1864.

2 Malade et affaibli depuis plusieurs années, Joseph avait parfaitement préparé sa succession. Son testament se composait d’un texte principal, daté de Londres, le 17 juin 1840, et d’un codicille, daté de Florence, le 21 septembre 1841. Ces deux documents ont été publiés de façon conforme aux originaux par Albert du Casse au volume X des Mémoires et correspondance du roi Joseph[2]. Les originaux du testament et du codicille sont conservés aux Archives d’État de Florence. Plusieurs copies certifiées conformes, en français et en italien, figurent dans les papiers de Louis Maillard, l’exécuteur testamentaire, déposés par ses descendants à la bibliothèque de l’université de Yale [3], une autre dans les archives de Zénaïde Bonaparte, fille de Joseph, conservées au Museo Napoleonico de Rome [4]. D’autres existent probablement dans d’autres fonds.

3 Le codicille de Florence avait été rendu nécessaire par les circonstances de rédaction et de la signature du texte principal à Londres, en présence du notaire James Flood et du médecin Granville. La signature de ce dernier était précédée de la mention : « A.-B. Granville, M. D., qui a conduit la main affaiblie par un reste de paralysie, mais lui-même étant bien sain d’esprit. James Flood. » Le texte proprement dit était écrit de la main de William Thibaud, fils d’un intendant de Joseph tué en défendant les biens de son maître à la bataille de Vitoria et resté depuis à son service. C’est donc pour éviter toute contestation que le codicille florentin fut rédigé. Il commence par un paragraphe d’explication : « Après avoir reporté mes réflexions sur le testament ci-annexé, et sur la circonstance qui s’y trouve énoncée relativement à ma seconde signature du 17 juin 1840, en présence de deux témoins, suivant la forme autorisée par les lois anglaises, signature qui ne put être apposée sans que l’on me conduisît la main ; cette circonstance m’a fait craindre la possibilité de quelques doutes sur la validité de mes dispositions : c’est pourquoi je vais consigner à un notaire ce testament, suivant la forme prescrite par les lois toscanes […] [5]. »

4 Car la succession du plus riche des frères Bonaparte attisait bien des convoitises, notamment de la part de Jérôme et Louis, les deux survivants de la fratrie. L’ouverture du testament fut donc attendue avec impatience. Le texte désignait deux exécuteurs testamentaires : Louis Maillard, au service de Joseph depuis 1808, et le juriste étasunien Joseph Hopkinson, fils d’un des rédacteurs de la Déclaration d’Indépendance, qui avait été un des fondés de pouvoir de l’ex-roi pendant son séjour américain de 1815 à 1839. Hopkinson étant décédé depuis la rédaction du testament, c’est Maillard qui officia seul dès le lendemain du décès. Il se fit assister du notaire florentin Lorenzo di Domenico Gargiolli. Pour l’établissement des copies et l’inventaire des biens du défunt, Adolphe Maillard, fils de Louis, alors âgé de 25 ans, et William Thibaud furent employés. Un secrétaire, Jean-Baptiste Presle, fut chargé de préciser l’inventaire des biens situés à Rome. Des pouvoirs furent envoyés aux États-Unis pour que l’on y procédât à la même opération, notamment dans le vaste domaine de Point Breeze que Joseph possédait non loin de Philadelphie. Plusieurs avocats furent intégrés à la petite équipe, afin que rien ne fût laissé dans l’ombre du point de vue juridique. Toutes ces opérations se déroulèrent avec l’assentiment et en présence de Julie Bonaparte, née Clary, épouse de Joseph depuis 1794, et de leur fille survivante, Zénaïde, mariée à Charles-Lucien Bonaparte, fils de Lucien.

5 Quelles étaient les dernières volontés de Joseph ? Sa fortune était-elle aussi considérable qu’on le pensait ?

I. Le testament et son codicille

6 Joseph était un homme pratique, très habile en affaires et conscient des appétits de ses frères et de ses neveux. Il avait donc limité les déclarations générales ou politiques au strict minimum, se concentrant sur les dispositions pratiques. Son legs faisait la plus belle part à Julie et à Zénaïde, avec toutefois une longue liste de legs particuliers.

A. Les legs particuliers

7 Les legs particuliers consentis par Joseph avaient trois types de destinataires : les hommes et femmes l’ayant servi, dont beaucoup pendant de longues années et au fil de ses changements de continent ; la famille Clary et la famille Bonaparte, avec laquelle il avait toujours conservé son rôle d’aîné et de protecteur, sans jamais avoir été avec elle d’une générosité excessive ; les amis survivants.

1. Les hommes de confiance et les domestiques

a. Louis Maillard

8 Né en 1795 à Mortefontaine où sa famille demeurait depuis au moins deux générations, fils d’un postillon et d’une employée du domaine, secrétaire, homme de confiance et ami jusqu’à sa mort de Joseph [6], Louis Maillard était le premier cité dans le testament : « Je proclame ici que nul homme n’a plus de droit à ma confiance, à mon estime, que Louis Maillard. Je voudrais lui témoigner mon attachement par un legs plus considérable ; mais sa modération égale sa loyauté ; je sais que ce que je vais faire pour lui le satisfera. » En foi de quoi, il recevait une ferme aux États-Unis (Grosville, 250 acres), 30 000 francs d’actions sur le canal de Pennsylvanie, l’autorisation de demeurer jusqu’à sa mort à Point Breeze avec une pension de 400 dollars par mois (2 000 francs) à la charge de Joseph-Lucien Bonaparte, petit-fils de Joseph (voir ci-dessous, I-A-2-a). Joseph avait encore ajouté un portrait de lui en miniature et une montre en or à répétition. Maillard recevait en outre la mission de gérer les domaines américains en attendant que leur légataire soit majeur (voir ci-dessous, I-A-2-a). De même, il devait conserver les archives et papiers de son maître, en attendant de pouvoir les remettre à un de ses petits-enfants à sa majorité (voir ci-dessous, II-A-9).

9 L’homme de confiance devait en outre s’acquitter d’un legs dont lui seul devait connaître le destinataire. Joseph écrivait en effet : « Je charge M. Maillard (Louis) d’un legs spécial de 10 mille dollars [50 000 francs], dont je lui ai indiqué l’usage, et pour l’exécution duquel je veux que l’on s’en rapporte absolument à son honneur, sans qu’aucune question ou réclamation puisse jamais lui être adressée à cet égard. Les 10 mille dollars seront comptés à M. Maillard dans l’année de mon décès. Il n’en devra jamais aucun compte. » Sans en avoir la preuve formelle, nous pensons que cette somme était destinée à aider une fille naturelle que Joseph avait eue aux États-Unis, avec Annette Savage : Caroline-Charlotte, née en 1819 et (mal) mariée en 1839 [7].

b. Adolphe Maillard et les Thibaud

10 Le fils de Louis Maillard, Adolphe, William Thibaud et la fille de celui-ci, Joséphine, recevaient également 30 000 francs d’actions chacun et, respectivement, une miniature, un nécessaire de toilette en argent et un portrait en camée.

11 Selon le testament lui-même, les titres évoqués avaient été remis aux légataires dès 1840, date à laquelle ils avaient pu en jouir librement. En mai 1844, Thibaud avait transformé ses 30 000 francs d’actions en tableaux et en numéraire [8].

c. Les domestiques

12 Les principaux domestiques devaient recevoir : 10 000 francs chacun pour ceux qui avaient été employés plus de cinq ans, 5 000 francs pour ceux qui avaient cinq ans d’ancienneté, deux années de gages pour quatre ans, quinze mois pour trois ans, dix mois pour deux ans et six mois pour un an. Les sommes furent versées dès le 13 août 1844, Julie et Zénaïde décidant de prendre à leur charge les éventuels impôts et charges qui les grevaient. Elles ajoutèrent un couvert en argent au chiffre de Joseph pour chacun. Le voyage de ceux qui voulaient rentrer chez eux, en France ou aux États-Unis, fut de même mis à la charge de la succession [9]. Les bénéficiaires étaient : Mme Arsène-Lalande (femme de chambre pendant 22 ans), Léopold Stocker (valet de chambre pendant 18 ans), Joseph Dickes (maître d’hôtel pendant 16 ans), Jacques Chandelier (chef de cuisine pendant 10 ans) [10], M. Langhorn-Thorn (régisseur et concierge de Point Breeze pendant 15 ans), Théophile Bignet (valet de chambre pendant 8 ans), Adolphe Bignet (valet de chambre pendant 6 ans), Ann Hobson (femme de chambre pendant 5 ans), John Todd (valet de chambre pendant 4 ans), Al Wood (cocher pendant 5 ans), Ferdinando Burdi, Pietro Balbi, Giovanni Gandi (respectivement cocher, deuxième cocher et garçon de cuisine florentins) [11].

2. La famille

13 Mis à part sa fille (voir ci-dessous I. B.) et ses petits-enfants, Joseph ne se montrait guère généreux avec ses frères, neveux et nièces Bonaparte. Il est vrai que, de son vivant, il les avait beaucoup soutenus, ce qui ne les avait pas empêchés de le chicaner à tout bout de champ, notamment, nous le verrons, sur une inextricable affaire de bons sur des coupes de bois provenant de Napoléon.

a. Les petits-enfants

14 Né à Philadelphie, le 12 février 1824, Joseph-Lucien était l’aîné des douze enfants de Zénaïde et Charles-Lucien (dont huit étaient vivants). Il recevait deux legs particuliers d’importance :

15

  • la nue-propriété des domaines américains de son grand-père. L’usufruit était légué à Julie jusqu’à sa mort et le bien était grevé du droit de Louis Maillard d’y séjourner jusqu’à sa mort, droit dont l’intéressé ne jouira que pendant quelques années, avant de rentrer en France sous le Second Empire [12]. Maillard était en outre désigné comme gestionnaire des domaines américains jusqu’à la majorité de Joseph-Lucien [13].
  • L’exécuteur testamentaire devait enfin remettre de précieuses archives de son maître à Joseph-Lucien à sa majorité et, s’il décédait d’ici là, à un autre petit-fils de son choix.

16 Deux autres petits-fils étaient de même particulièrement choyés : Lucien-Louis (né en 1828) et Napoléon-Charles (né en 1839) recevaient chacun 250 000 francs à prélever sur les capitaux américains, estimés à 2 millions de francs (voir ci-dessous, II-A-D).

17 Enfin, le reste de ces capitaux devait être divisé en huit parts égales pour chacun des petits-enfants survivants [14], à leur remettre après la mort de Julie et de Zénaïde, déclarées usufruitières successives.

b. Les familles Bonaparte et Clary

18 Les legs aux autres membres de la famille Bonaparte étaient modiques mais se voulaient symboliques, à l’instar de ce qu’avait décidé Napoléon dans son testament [15] :

19

  • à Lucien, « un écritoire en vermeil qui me fut donné en 1812 par ma mère, et qui renferme son portrait » ; Lucien étant mort en 1840, cet objet sera remis à son fils Charles-Lucien ;
  • à Louis, une tabatière en or ornée du portrait de leur père ;
  • à Félix Bacciochi, veuf d’Elisa, un camée représentant sa femme monté sur une bague ;
  • à Charles-Lucien, mari de Zénaïde, un portrait de son père Lucien ;
  • à Arrighi de Casanova, duc de Padoue, une épingle avec un portrait en camée de Madame Mère ;
  • à sa belle-sœur Honorine Villeneuve, sœur de Julie, une écuelle et une assiette en vermeil ;
  • à Désirée Clary, épouse du roi de Suède Bernadotte, un portrait de Julie ;
  • au neveu Marius Clary, une décoration de l’ordre royal espagnol en rubis ;
  • au neveu Joachim Clary, une décoration, sans plus de précision ;
  • à Rosine Clary, veuve de l’amiral Decrès, deux portefeuilles ornés des portraits de Zénaïde et Charlotte ;
  • au neveu François Clary, deux grands tableaux de Sneyders représentant la chasse au sanglier et la création.

20 On aura relevé que Jérôme ne figure pas dans cette liste. L’explication en est simple : Joseph lui avait consenti une pension de 8 000 francs par an, par un acte du 21 juin 1844, un mois avant sa mort, dans le but de « servir à l’entretien convenable de [sa] personne et de [sa] maison » [16]. Cela ne l’empêcha pas de se montrer odieux avec Louis Maillard et, indirectement, avec Julie et Zénaïde après l’ouverture du testament. L’ancien roi de Westphalie jugeait, pour la galerie, que le testament de son frère n’était pas assez « politique » et, pour ses intérêts, que lui-même et ses propres enfants étaient « spoliés » [17].

3. Les amis

21 De nombreux amis, français et américains étaient eux aussi gratifiés de legs particuliers, à savoir :

22

  • Jean-Baptiste Presle, ancien secrétaire, un écritoire en or et laque chinoise et 5 actions sur des canaux français remis plusieurs années auparavant ;
  • Claude-François de Méneval, ancien secrétaire de Napoléon et de Marie-Louise, qui avait été le correspondant politique de Joseph en France pendant ses séjours aux États-Unis et en Angleterre, une médaille en or frappée à l’occasion du mariage de l’empereur et de Marie-Louise et une Légion d’honneur longtemps portée par Joseph ;
  • Jean-Mathieu Sari, ancien employé de Madame Mère et de Joseph, un camée monté sur une épingle au portrait du cardinal Fesch et un couvert en vermeil de Madame Mère ;
  • James Carret, secrétaire-interprète aux États-Unis, une tabatière en or provenant du cardinal Fesch ;
  • André-François Miot de Melito, vieux compagnon de route, trois décorations portées par Joseph en France, à Naples et en Espagne ;
  • Joseph Hopkinson, ami américain décédé, un bas-relief en marbre représentant Bonaparte Premier Consul ;
  • Nathanaël Chapmann, médecin américain, une édition des œuvres de Voltaire reliée en veau ;
  • William Short, ami américain, un bas-relief en marbre représentant Pauline Bonaparte « dont il admirait la beauté » ;
  • Charles Ingersoll, ami américain, une statuette de bronze représentant Bonaparte, général en chef de l’armée d’Italie.

B. Julie et Zénaïde

23 Le legs du principal s’ouvrait par une courte déclaration concernant Julie : « Dans le cours de notre longue et heureuse union, ma confiance en elle a été pleine et entière ; nos biens ont été confondus, ainsi que nos cœurs. » Elle recevait la moitié de l’usufruit de tous les biens et de tous les capitaux situés ou placés en France, la nue-propriété revenant à Zénaïde. Cette dernière devait cependant verser à sa mère trois cinquièmes des revenus générés par sa part sur les autres biens. Joseph expliquait dans ses dernières volontés qu’il souhaitait ainsi libérer sa veuve des soucis de la gestion – elle était en effet très affaiblie – en même temps qu’il entendait respecter le Code Napoléon. Dans le codicille, Joseph était toutefois revenu en partie sur ce premier mouvement. Il avait en effet disposé que ses biens français ainsi entendus ne comprenaient pas ceux restants du domaine de Mortefontaine et s’en expliquait : « Les fermes qui restent sont d’une valeur bien inférieure à la part qui appartient à ma femme, et au montant de ses apports et capitaux, qui furent employés à l’achat des biens dont se composait ce domaine : elle a donc le droit d’être reconnue seule propriétaire de ce qui en reste. »Le reste des biens et titres était légué à Zénaïde : « En tous mes autres biens meubles, immeubles, capitaux et droits de toute nature, en un mot tout ce que je possède ou que je posséderai au jour de mon décès, et dont je n’ai pas disposé dans le présent testament, je nomme et institue en toute propriété, sans aucune limitation, mon unique et bien aimée fille Julie-Charlotte-Zénaïde. » Cette dernière devenait donc une femme très riche, même si, on l’a vu, l’universalité du legs la concernant était relative, compte tenu des legs particuliers consentis.

II. L’inventaire après décès

24 Les biens et valeurs de Joseph étaient répartis entre Florence (où il s’était installé en 1840), Rome (où il avait toujours eu des comptes et valeurs, plus encore depuis le décès de sa mère et du cardinal Fesch), la France (où il avait toujours conservé des biens et des comptes), les États-Unis (où il avait vécu de 1815 à 1839) et l’Angleterre (où il avait fait deux longs séjours pendant la décennie 1830). Heureusement pour son exécuteur testamentaire, les livres étaient très bien tenus et les premiers éléments d’inventaire furent confirmés sans grandes modifications dans les mois qui suivirent le décès. L’ensemble est relativement clair et compréhensible, à l’exception de la part de Joseph dans l’héritage Fesch dont tous les développements juridiques n’étaient pas achevés, cinq ans après la mort du cardinal. Louis Maillard ne porta donc rien de ce « paquet » peu sûr dans ses comptes.

A. Les biens de Florence

25 L’inventaire des biens de Florence fut achevé dès le 16 août 1844. Il a été établi par les experts Luigi Coliva et Giuseppe Brandani. Il en existe deux exemplaires dans les papiers de Louis Maillard : le premier est exprimé en francesconi, une monnaie d’argent de Toscane [18], le second en dollars américains [19]. Selon les différents guides des commerçants de l’époque, la valeur du francesconi par rapport au franc est située entre 8 et 11 francs. Nous avons retenu ici les sommes en dollars, en prenant pour base le change adopté par l’exécuteur testamentaire (un dollar = cinq francs) qui est sans doute légèrement inférieur au cours de l’époque.

26 Ce premier inventaire a l’apparence d’un inventaire « à la Prévert », mais en réalité il confirme le luxe dans lequel l’ancien grand dignitaire et roi avait vécu ses dernières années. Voici sa composition poste par poste :

27 1. Le mobilier se compose de pièces assez banales – fauteuils, chaises, tables, tapis, candélabres, bustes en marbre de Louis, Jérôme, Félix Bacciochi, Elisa et Pauline, le tout estimé à environ 10 000 francs.

28 2. Les tableaux et portraits de famille détenus par Joseph à Florence sont des huiles sur toile, des miniatures et des portraits sur porcelaine, estimés à 15 000 francs. Les plus précieuses œuvres de ce sous-ensemble sont le fameux portrait de Julie en compagnie de ses filles par Gérard (estimé à 3 000 francs pour la succession), le portrait des deux filles seules par David (estimé à 2 000 francs), deux vases de Sèvres représentant une chasse de l’empereur et un déjeuner de chasse (estimé à 3 500 francs) et un service à déjeuner de Sèvres décoré de miniatures représentant la famille impériale (estimé à 2 000 francs).

29 3. Des vêtements ayant appartenu à Napoléon, estimés à 2 500 francs : un grand manteau de velours rouge, un habit de velours blanc, un gilet, une redingote en drap vert, une robe de chambre blanche, une culotte de soie blanche, un caleçon, un gilet de flanelle, un ceinturon d’épée en buffle, une chemise de batiste, une cravate de mousseline, un madras, une paire de bas de soie, une paire de gants de peau, une paire de chaussons, une paire de pantoufles.

30 4. Des effets vestimentaires de Joseph, estimés à 7 000 francs, dont un costume complet de prince français, avec manteau, toque, ceintures, etc.

31 5. Des livres imprimés estimés à 3 000 francs pour environ 600 volumes. Une cinquantaine d’entre eux provenaient de la bibliothèque de Napoléon à Sainte-Hélène : une histoire du cardinal Mazarin en quatre volumes, une histoire de Louis XI en quatre volumes, deux volumes des Commentaires de César, l’essai sur les mœurs des Nations de Voltaire en huit volumes, l’Histoire de la Pologne de Ruthière en quatre volumes, douze volumes d’Homère, cinq de Racine, huit de Molière et six de Cleveland.

32 6. Des bijoux, médailles et effets précieux, pour 100 à 110 000 francs, dont les principaux étaient un nécessaire de toilette en argent utilisé par Napoléon à Sainte-Hélène, un écritoire en vermeil au portrait de Madame Mère, un médaillon avec miniatures de Napoléon et Marie-Louise entouré de douze gros brillants et de cinq petits, un camée antique en onyx, des décorations françaises, napolitaines et espagnoles serties de diamants.

33 7. L’argenterie, pour 23 000 francs, un service de vermeil aux armes impériales, pour 65 000 francs, des porcelaines et de la verrerie, pour environ 5 000 francs.

34 8. L’inventaire s’achevait par le linge (10 000 francs), la batterie de cuisine (400 francs), les chevaux, voitures et harnais (8 000 francs).

35 Jusqu’ici, le total des biens matériels détenus à Florence était estimé à plus de 250 000 francs.

36 9. Il faut y ajouter sept grandes malles de manuscrits et documents d’archives, soit les papiers personnels, les liasses et les caisses d’archives contenant les correspondances avec Napoléon, Marie-Louise, les frères Bonaparte, les nombreuses personnalités avec lesquelles Joseph avait échangé au cours de sa vie, les archives du cardinal Fesch. Nous en donnons le détail ci-dessous :

N° 1, boîte en fer blanc Principaux documents :
599 lettres de Napoléon à Joseph (1795-1815)
5 cahiers d’instructions de Napoléon à Joseph
15 lettres des impératrices Joséphine et Marie-Louise
131 lettres à diverses personnalités (Pie VI, Consalvi, Murat, Moreau, Talleyrand, etc.)
N° 2, boîte en fer blanc 6 registres de lettres de Joseph à Napoléon (1807-1813)
2 liasses de copies de lettres de Joseph à Napoléon (1814)
1 liasse de copies de lettres diverses
402 minutes de lettres de Joseph à Napoléon
1 liasse de mémoires de Joseph jusqu’en 1806
N° 3, cartonCopies de notes importantes pour les mémoires
N° 4, cartonCopies de lettres de Napoléon à Joseph (an III-1815)
N° 5, cartonRéponses à divers auteurs, France, Naples, Espagne
N° 6, cartonJournal de Joseph (1815-1844)
N° 7, cartonDivers comptes acquittés avec MM. Clary, Presle, Baring, etc.
N° 8, carton« Papiers peu importants » (antérieurs à 1794)
N° 9, cartonPièces et lettres concernant l’ambassade de Joseph à Rome
N° 10, cartonLettres et pièces (an V-an VII)
N° 11, cartonLettres et pièces sur les négociations de Lunéville
N° 12, cartonCorrespondances (1801-1802)
N° 13, cartonPièces sur le Concordat et le traité de Mortefontaine
N° 14-37, cartonLettres et minutes de lettres de Joseph (1797-1844)
N° 38, cartonCopie des campagnes du général Bonaparte en Italie
N° 39, cartonCopie des campagnes du général Bonaparte en Égypte. Vieux papiers sur la famille
Manuscrits Campagnes d’Égypte et de Syrie, reliées en veau rouge (11 volumes)
Campagne d’Italie, reliée en veau rouge (13 volumes)
Campagnes d’Italie et d’Allemagne, reliées en veau rouge (23 volumes)
Mémoires du maréchal Jourdan sur la guerre d’Espagne (4 volumes)
128 liasses de papiers divers Principales liasses :
282 lettres du cardinal Fesch
270 lettres de Lucien Bonaparte
265 lettres de Jérôme Bonaparte et de Catherine de Wurtemberg
118 lettres de Louis Bonaparte, d’Hortense et de leurs enfants
54 lettres à Murat et à Caroline
43 lettres de Napoléon au cardinal Fesch
340 lettres de famille
8 registres de correspondance du cardinal Fesch
Source : Papiers Maillard, Ms 341, boîte 5, dossier 60.

37 Toutes les archives et tous les papiers devaient être remis à Maillard pour qu’il les donne au petit-fils de son maître choisi par lui à ses vingt-cinq ans. Joseph-Lucien les recevra en 1849. Sans alliance ni descendance, il en léguera une partie à son cousin Louis-Napoléon, devenu entre-temps Napoléon III. Le second empereur en déposera lui aussi une part aux Archives de l’Empire. Le reste sera emporté en exil par l’impératrice Eugénie, passera aux princes Victor et Louis Napoléon avant d’être remis aux Archives nationales en 1979. Pour autant que nous ayons pu en juger à l’examen des inventaires du fonds Napoléon (400 AP), l’ensemble des papiers possédés à sa mort par l’ex-roi de Naples et d’Espagne est loin d’avoir rejoint les Archives nationales. Certains figurent bien dans les « archives Joseph » (400 AP 13) ou ont été répartis dans les fonds de ses parents, frères et oncle, mais ces versements sont incomplets. Il est probable que l’ensemble des papiers Joseph a été séparé au fil des héritages des enfants et petits-enfants de Zénaïde. Ils sont à rechercher essentiellement en Italie.

B. Les biens de Rome

38 Les biens romains étaient constitués de la partie de la collection Fesch encore détenue par Joseph dont un tiers lui appartenait en propre (les négociations sur le reste étaient en cours) et de quelques hypothèques, pour une somme de 79 000 dollars, soit environ 400 000 francs [20]. Rien d’autre ne fut porté de l’héritage Fesch à l’inventaire après décès de Joseph, tous les détails de la succession du cardinal oncle n’étant pas réglés [21].

39 On inscrivit en revanche les biens et titres propriétés de Joseph : des « mobiliers, effets, bijoux, tableaux et objets divers », pour 41 666 dollars (205 000 francs) et une hypothèque dite « Bonaccordi », pour 17 170 dollars (85 500 francs) [22].

40 Le total des biens et titres romains se montait donc à 690 500 francs.

C. Les biens de France

41 En France, les valeurs et créances déposées chez Hottinguer se montaient à 3,339 millions de francs, soit 1 million en actions sur des canaux et des ponts [23] et 2,339 millions en « délégations sur les bois de 1815 » sur divers départements [24]. Ces dernières valeurs étaient issues de rentes apanagères et des dons consentis par Napoléon sur sa liste civile pendant les Cent-Jours [25]. L’inventaire après décès estima qu’ils pouvaient être comptés, quand bien même le gouvernement français ne consentirait jamais à les réaliser. Vivant sans le sou aux États-Unis, Lucien Murat, fils du roi de Naples et de Caroline Bonaparte, réclama une part de ces millions et fut débouté [26].

42 Deux fermes étaient encore la propriété de l’ex-roi près de Mortefontaine : Survilliers et Parent. En Corse, la valeur de ses propriétés – Maison Bonaparte et créances diverses – était estimée à 12 000 francs.

43 Les biens et titres de France se montaient donc à 3 351 000 francs, sans compter les fermes dont nous ne connaissons pas l’estimation.

D. Les biens aux États-Unis

44 Aux États-Unis, outre le domaine de Point Breeze et ses dizaines d’hectares, estimés alors à 92 000 dollars (460 000 francs), une ferme à Grossville (40 000 francs), du mobilier, des tableaux, une bibliothèque de plusieurs milliers de volumes (60 000 francs), Joseph possédait des fonds et valeurs représentant environ 400 000 dollars (2 millions de francs), en actions américaines essentiellement. En voici le détail :

Valeur (en dollars)
141 actions de la Banque de Louisiane, en dépôt chez Baring’s frère à Londres141 000
308 actions de l’Union Canal de Pennsylvanie61 600
2 certificats d’intérêts sur les actions de l’Union Canal de Pennsylvanie3 300
1 014 actions du chemin de fer de Baltimore50 700
700 actions du Schuylhill Navigation35 000
2 certificats de l’emprunt de Pennsylvanie30 525
2 droits de l’emprunt de Pennsylvanie4 000
262 actions de la Banque des États-Unis26 200
1 certificat de la Banque de Commerce de New York20 000
4 certificats de l’emprunt de la ville de Philadelphie12 900
65 actions de la Banque de Vicksbourg6 500
56 actions de la Banque du Kentucky5 600
Total397 325
Source : Papiers Maillard, Ms 341, boîtes 5 et 6, dossiers 62 et 75.

45 Les fonds et titres américains étaient donc inscrits pour 2 560 000 francs à l’inventaire après décès.

E. Les biens en Angleterre

46 En Angleterre, d’importantes sommes étaient placées chez Baring’s, probablement de l’ordre de 100 000 francs [27], sans compter des actions américaines mises en garde chez ce banquier. Il fallait y ajouter des tableaux et caisses d’effets conservés chez diverses relations, pour environ 30 000 francs [28]. Nous estimerons donc le total « anglais » à 130 000 francs, ce qui est sans doute en dessous de la réalité.

F. La collection de tableaux

47 Restait l’immense collection d’environ 12 000 tableaux. Deux ventes furent organisées sans attendre, concernant 1 496 pièces considérées de « seconde et troisième classes ». Elles produisirent 35 000 écus romains (entre 175 000 et 210 000 francs) [29]. 7 288 autres tableaux, classés dans la « troisième classe », furent remis sans avoir été estimés à Zénaïde Bonaparte, en janvier 1845. Les plus importantes œuvres, classées dans ce qu’on appelait la « grande galerie » dans les inventaires, étaient au nombre de 3 333 et estimés à 130 246 écus romains, soit plus de 600 000 francs [30]. Les tableaux les plus chers, Tarquin voulant violer Lucrèce du Titien et la Nativité de Raphaël Mengs étaient estimés chacun à 80 000 francs. On donne ci-dessous une partie de l’inventaire des tableaux de la grande galerie :

Estimation par Joseph (en francs)
Vierge à l’Enfant (Raphaël)Non estimé
Vierge au lapin (Corrège)Non estimé
Pyrame et Thisbé (Veronèse)Non estimé
Martyr de Saint Sébastien (Titien)Non estimé
Tarquin voulant violer Lucrèce (Titien)80 000
Nativité de Jésus-Christ (Mengs)80 000
Chasse aux toiles (Velázquez)60 000
Saint Jean dans le désert (Murillo)40 000
Vierge à l’Enfant (Van Dick)30 000
Deux enfants avec un agneau (L. de Vinci)25 000
Madeleine (Titien)25 000
Une Vierge (Murillo)20 000
Vierge à l’Enfant (Murillo)20 000
Village et château romains (J. Vernet)15 000
La reine Julie et les princesses (Gérard)12 000
Bonaparte franchissant les Alpes (David)12 000
Paysage avec figures et fruits (Rubens)10 000
Bergers et troupeaux (Poussin)6 000
Le jugement de Pâris (Rubens)3 000
Les Grâces (Rubens, sur cuivre)3 000
Source : Papiers Maillard, Ms 341, boîte 5, dossier 53.

48 Le total des tableaux était donc, au bas mot, de 800 000 à 810 000 francs.

49 Hors les fermes de Mortefontaine, les tableaux ne faisant pas partie ni de la grande galerie ni des premières ventes et des sommes inconnues détenues par Baring, la valeur de la succession de Joseph était donc de près de 7,8 millions de francs :

Florence250 000
Rome690 500
France3 351 000
États-Unis2 560 000
Angleterre130 000
Grande galerie600 000
Premières ventes de tableaux200 000
Total

50 Les biens et valeurs disponibles étaient donc considérables, d’autant que la moitié pouvait être rapidement liquide. On était certes loin du chiffre de 20 millions que Napoléon avait avancé à Sainte-Hélène [31], mais il faut ajouter que, dans le ménage Joseph, Julie possédait elle aussi une importante fortune personnelle, que nous n’avons pas réussi à évaluer dans son testament, son inventaire après décès étant absent des papiers Maillard [32].

51 C’est Zénaïde qui fut rapidement la principale bénéficiaire des legs. En effet, Julie ne se remit pas de la mort de son époux. Elle s’alita à la fin de l’hiver 1844, pour ne plus se relever. Elle rendit l’âme le 7 avril 1845 et alla rejoindre son époux et Charlotte dans la chapelle Giugni de Santa Croce, appelée « chapelle Bonaparte » depuis le rachat du patronat par Joseph, en 1840 [33].

52 Une fois réglées les sommes dues à ses enfants, le transfert de propriété de Point Breeze à Joseph-Lucien et de Grosville à Louis Maillard, il restait près de 5 millions de francs à la fille de Joseph.

Notes

  • [1]
    Bellocq à Guizot, 9 août 1844, Archives du ministère des Affaires étrangères, Correspondance politique, Toscane, 128 CP 177. Le coût des funérailles et des divers frais qu’elles engendrèrent fut arrêté à 3 513 dollars et 35 cents, soit environ 17 600 francs (« Bordereau des dépenses des funérailles et frais divers », Papiers Maillard, Yale University Library, Ms 341, boîte 6, dossier 74).
  • [2]
    Mémoires et correspondance du roi Joseph publiés, annotés et mis en ordre par A. du Casse, aide de camp de S. A. I. le prince Jérôme Napoléon, Perrotin, 1854, t. X, pp. 466-475.
  • [3]
    « Maillard Family Papers », Yale University Library, Ms 341.
  • [4]
    Information communiquée par les responsables du musée.
  • [5]
    Mémoires et correspondance du roi Joseph, t. X, p. 474.
  • [6]
    F. Beaucour, « Une implantation française en Californie et en Illinois : les Maillard, serviteurs de Joseph Bonaparte », The Consortium on Revolutionary Europe Proceedings, 1998, pp. 460-466. Louis Maillard orthographiait parfois son nom « Mailliard ».
  • [7]
    L’acte de mariage de Caroline-Charlotte Savage avec un colonel Benton mentionne que la mariée est « la fille de Joseph Bonaparte, comte de Survilliers » (P. Tyson Stroud, The Man who has been King, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 2005, p. 143). Joseph avait eu une autre fille avec Annette, en 1822, qui était morte en bas âge. Un autre enfant naturel avait vu le jour de ses amours avec Émilie Hémart, épouse d’un de ses associés en affaires. Ce petit Félix-Joseph, né en 1825, vivait alors en France et, apparemment, ne manquait de rien.
  • [8]
    Papiers Maillard, Ms 341, boîte 5, dossier 59 et 60.
  • [9]
    Quittances dans les papiers Maillard, Ms 341, boîte 5, dossier 60.
  • [10]
    Chandelier avait aussi servi Napoléon à Sainte-Hélène.
  • [11]
    « Succession de Monsieur le comte de Survilliers, 13 août 1844 », Papiers Maillard, Ms 341, boîte 5, dossier 59.
  • [12]
    Louis Maillard mourra le 21 septembre 1872 à Mortefontaine. Son fils Adolphe fera souche aux États-Unis et mourra en 1896.
  • [13]
    Malgré un procès intenté contre Maillard par Charles-Lucien en 1849 pour récupérer des intérêts des placements de Joseph aux États-Unis (la cour américaine lui donna tort), le testament de Joseph sera exécuté comme il l’avait souhaité sur ce point.
  • [14]
    Outre Joseph-Lucien, il s’agit de Lucien-Louis (né en 1828), Julie-Charlotte (née en 1830), Charlotte-Honorine (née en 1832), Marie-Désirée (née en 1835), Augusta (née en 1836), Napoléon-Charles (né en 1839), Bathilde (née en 1840).
  • [15]
    Dans son testament, Napoléon s’était contenté de remercier « [sa] bonne et très excellente mère, le cardinal, mes frères Joseph, Lucien, Jérôme, Pauline, Hortense, Catherine [de Wurtemberg] de l’intérêt qu’ils [lui avaient] conservé ». Il n’avait légué que des souvenirs aux membres de sa famille qu’il jugeait suffisamment nantis, et à Joseph « une paire de boucle de souliers en or » et « un manteau brodé, veste et culotte » (Testament de Napoléon, 15 avril 1821, Correspondance de Napoléon Ier publiée par ordre de l’Empereur Napoléon III, t. XXXII, p. 480 et suivantes).
  • [16]
    Copie certifiée conforme par Zénaïde, 19 novembre 1844, Papiers Maillard, Ms 341, boîte 6, dossier 75.
  • [17]
    Journal de Maillard, 5 août 1844, Papiers Maillard, Ms 341, boîte 7, dossier 81.
  • [18]
    Plusieurs monnaies d’argent avaient alors cours en Toscane : le francesconi ou leopoldini, aussi appelés « écus de Toscane », le tallari, le testoni, le paoli et la lire (ou livre) de douze crazies.
  • [19]
    « Inventaire de la succession de M. le Comte de Survilliers » et « Succession de Son Altesse le Prince Joseph Napoléon Bonaparte, comte de Survilliers », Papiers Maillard, Ms 341, boîte 6, dossiers 75 et 74.
  • [20]
    « État de la succession de Mons. Le Comte de Survilliers », Papiers Maillard, Ms 341, boîte 6, dossier 74.
  • [21]
    Mort à Rome le 13 mai 1839, Fesch avait en effet laissé un testament alambiqué et juridiquement mal fondé. Bien que Joseph ait été désigné comme son légataire universel, l’interprétation de ce texte était encore en cours. Les enjeux n’étaient pas minces : si l’on avait réussi à se partager les liquidités ‒ environ 280 000 francs ‒, le sort de la collection de 14 000 tableaux et objets amassés par le cardinal tout au long de sa vie n’était pas totalement réglé. Inscrite pour 144 000 francs à l’inventaire après décès du cardinal, elle pouvait valoir 5 millions si les enchères étaient fructueuses (voir le dossier conservé dans les Papiers Maillard, Ms 341, boîte 6, dossier 73). Il fallut encore des mois pour que la succession Fesch soit liquidée, en raison notamment d’un legs compliqué à une institution d’éducation à créer en Corse. On attendra pour y voir plus clair les travaux en cours de Carole Blumenfeld pour le compte du musée Fesch.
  • [22]
    Papiers Maillard, Ms 341, boîte 6, dossier 75.
  • [23]
    Canaux d’Orléans et du Loing, ponts sur la Seine.
  • [24]
    Côte d’Or, Vosges, Ardennes, Doubs, Marne, Meuse, Moselle, Saône-et-Loire et Haute-Saône. L’ensemble des documents attestant de ces valeurs sera transféré à Zénaïde Bonaparte par Hottinguer le 25 septembre 1844, après renonciation à son usufruit par sa mère.
  • [25]
    Cette affaire est très complexe. Au total, pendant les Cent-Jours, Napoléon avait théoriquement débloqué 12,6 millions, dont une partie devait revenir aux princes et princesses qui n’avaient jamais touché les pensions prévues par le traité de Fontainebleau du 11 avril 1814. Le Trésor public ne put remettre les sommes en numéraire et elles furent transformées en délégations de bois au porteur. Aucun des Bonaparte ne toucha le premier centime de ces sommes et lesdites délégations furent annulées par un décret royal du 18 septembre 1815. Le 21 juin 1815, Napoléon se fit remettre 8,6 millions de francs en délégations et les emporta ensuite à Malmaison puis Rochefort (P. Branda, Le prix de la Gloire. Napoléon et l’argent, Fayard, 2007, p. 73). Il remit un peu plus de 6 millions à Joseph avant leur séparation. Après la mort de Napoléon, Joseph s’était servi de la majeure partie de la somme pour gratifier divers anciens serviteurs de Napoléon (selon une consultation signée par Me Adolphe Crémieux, contresignée par le bâtonnier Marie et Odilon Barrot, le 9 mars 1846, Papiers Maillard, Ms 341, boîte 5, dossier 62). Il ne disposait donc plus que de ce qui restait chez Hottinguer qui lui appartenait en propre, puisque n’ayant rien à voir avec les 12,6 millions d’origine.
  • [26]
    Document du 3 février 1845, Papiers Maillard, Ms 341, boîte 5, dossier 62.
  • [27]
    Nous le déduisons de plusieurs cessions consenties par Julie à Zénaïde après la mort de Joseph. Exemple : 3 198 livres abandonnées en usufruit le 19 novembre 1844 (Papiers Maillard, Ms 341, boîte 5, dossier 60).
  • [28]
    « État de la succession de Mons. Le Comte de Survilliers », Papiers Maillard, Ms 341, boîte 6, dossier 74.
  • [29]
    Papiers Maillard, Ms 341, boîte 5, dossier 62.
  • [30]
    Une évaluation réalisée par Joseph lui-même aux États-Unis en 1836 donnait la somme de 722 000 francs (Georges Bertin, Joseph Bonaparte en Amérique, Librairie de la Nouvelle Revue, 1893, pp. 415-419). Celle des exécuteurs testamentaires était donc plus basse, même si, redisons-le, ils avaient adopté une valeur du dollar inférieure d’environ 10 % à la réalité.
  • [31]
    Général Bertrand, Cahiers de Sainte-Hélène. 1816-1817, Albin Michel, 1959, p. 93.
  • [32]
    « Testament de la Reine Julie », Papiers Maillard, Ms 341, boîte 5, dossier 59.
  • [33]
    Comte d’Hérisson, Le cabinet noir, Ollendorf, 1887, p. 112.
Français

Joseph Bonaparte mourut au palais Serristori de Florence le 28 juillet 1844. Malade et affaibli depuis plusieurs années, il avait parfaitement préparé sa succession. Son testament se composait d’un texte principal, rédigé à Londres le 17 juin 1840, et d’un codicille rédigé à Florence le 21 septembre 1841, rendu nécessaire par l’état de santé de Joseph lors de la rédaction et de la signature du texte principal. L’étude du testament révèle la volonté de Joseph de respecter les liens du sang et de récompenser la fidélité de ses proches au sein de sa famille, ses amis, ses domestiques. Ainsi, mis à part son épouse Julie, sa fille Zénaïde et ses petits-enfants, il ne se montra guère généreux avec ses frères, neveux et nièces Bonaparte, qu’il avait cependant beaucoup soutenus de son vivant. L’analyse de l’inventaire après décès confirme, elle, le luxe dans lequel l’ancien grand dignitaire et roi avait vécu ses dernières années. La mort de sa mère intervenant le 7 avril 1845, Zénaïde hérita finalement d’une fortune de 5 millions de francs sur les 7,8 millions estimés, une fois réglées les dispositions testamentaires respectueusement assurées par le fidèle Louis Maillard, choisi comme exécuteur testamentaire.

Thierry Lentz
Thierry Lentz est directeur de la Fondation Napoléon et chargé de cours à l’Institut catholique d’Études supérieures de La Roche-sur-Yon.
Mis en ligne sur Cairn.info le 02/12/2016
https://doi.org/10.3917/napo.026.0005
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