CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Au début du XIXe siècle, le Maghreb était divisé en quatre grandes entités : le royaume (on disait parfois : l’Empire) du Maroc, les régences d’Alger et de Tunis et le royaume de Tripoli (on disait alors «Tripoli de Barbarie »). Si l’Afrique du Nord passionnait moins les Français que l’Orient, le gouvernement napoléonien et les milieux d’affaires n’ignoraient rien de son importance. Elle pouvait constituer un point de contrôle de la Méditerranée (Napoléon allait envisager la conquête d’Alger pour en faire un « Gibraltar français ») et, par la diversité de ses productions, participer au développement du commerce extérieur. Parmi les entités nord-africaines, le Maroc pouvait être un partenaire particulièrement intéressant. Royaume millénaire et indépendant, il était le seul État musulman riverain de la Méditerranée ne dépendant pas de l’Empire ottoman dont les trois autres territoires constituaient des « régences », gouvernées par des Deys, dépendant nominalement du sultan de Constantinople. Il ne rejetait pas les échanges commerciaux avec l’Europe, luttait contre la piraterie et jouissait d’une organisation étatique moderne (encore qu’un peu incompréhensible aux Européens). Il constituait « le trait d’union entre l’Europe et l’Afrique [1] » en raison du contrôle par lui d’une des rives du détroit de Gibraltar. Napoléon s’intéressa donc à ce pays pour des raisons commerciales et, surtout, stratégiques.

I – Le Maroc de Moulay Slimane

2La création du « royaume » du Maroc remonte au VIIIe siècle [2]. À l’époque napoléonienne, il n’avait pas tout à fait les frontières que nous lui connaissons aujourd’hui, notamment celle avec l’Algérie qui allait être définitivement fixée par un traité du 18 mars 1855. Avec ses presque 1 300 kilomètres de côtes, sur la Méditerranée et l’Atlantique, il était ouvert aux échanges maritimes et se livrait avec l’Europe et les États-Unis à une intense activité commerciale. L’état civil n’étant pas organisé, il est difficile de connaître sa population exacte à cette époque. Les chiffres avancés par les historiens oscillent entre sept et neuf millions d’habitants dont la moitié étaient des Berbères répartis sur tout le territoire, un tiers des Maures, surtout sur le littoral, environ 750 000 Arabes majoritairement urbains sauf pour les Bédouins qui voyageaient et commerçaient sur des milliers de kilomètres. « Les Maures et les Arabes n’ont jamais cessé de former des nations très distinctes à Alger, à Tunis, à Tripoli ; il n’en est pas ainsi au Maroc. Vraisemblablement, les Arabes s’y trouvèrent trop peu nombreux [ …] », écrivait un contemporain [3]. Cette population côtoyait environ 140 000 noirs et sans doute plus de 100 000 juifs. Les chrétiens étaient peu nombreux, soit un millier tout au plus, généralement employés dans les maisons de commerce et les établissements consulaires [4].

A – Le souverain et son règne

3À l’avènement de Napoléon Bonaparte [5], le « sultan de Fès » ou « chérif » ou « roi du Maroc » ou parfois « empereur du Maroc » Slimane ou Soliman ou Sulaiman (1760-1822) régnait sur le Maroc depuis le 12 mars 1792. Envoyé auprès de lui par Napoléon, le capitaine Burel le décrivait ainsi :

4

Moulay Soliman Empereur de Maroc est d’une taille supérieure ; il est blond d’un teint très blanc ; sa physionomie est douce, imposante et passablement belle, il a quarante-cinq ans environ, il a le défaut de bégayer un peu et de loucher. Il est de la classe des Talbes [NDLA: Tolba] ; c’est-à-dire des hommes de loi ou lettrés, il est le chef de la religion musulmane dans tout l’Occident, il est d’un caractère doux et peu belliqueux, il administre beaucoup mieux que ses ancêtres et cependant il est peu aimé de ses soldats à cause de sa parcimonie[6].

5Moulay Slimane appartenait à la dynastie des Alaouites, au pouvoir depuis 1666 [7]. Originaire selon la tradition de Yanboâ an-Nakhil, oasis de la péninsule arabique, et composée de descendants du Prophète par sa fille et son gendre Ali, cette dynastie avait ses racines marocaines dans la région du Tafilalet, à l’ouest de Marrakech [8]. Le plus important souverain alaouite avait été jusqu’alors Ismaïl, qui avait régné de 1672 à 1727, assurant une relative unité du Maroc autour de la couronne. Sous son règne, le pouvoir central (Makhzen) avait été renforcé et les pouvoirs locaux abaissés, sans pour autant disparaître totalement. Il avait installé sa capitale à Meknès. Parfois surnommé le « Louis XIV marocain », en raison des grands travaux réalisés dans sa capitale, il aurait demandé au roi de France la main de la princesse de Conti, ce qui lui fut refusé.

6On ne doit évidemment pas envisager l’émergence d’un pouvoir central marocain en le comparant à une quelconque forme de centralisation « à la française ». L’organisation politique du royaume était certes celle d’un État unitaire organisé en provinces avec à leur tête des gouverneurs (pachas) dépendant du pouvoir central, mais une autre organisation, pas plus informelle d’ailleurs, subsistait autour des confréries religieuses, des tribus et des survivances d’anciennes principautés indépendantes, ce qui explique les nombreuses révoltes et guerres intestines. Le gouvernement marocain fonctionnait en gros sur un principe de négociations permanentes a fin de maintenir l’unité du royaume et avec peu de lois écrites en dehors du Coran. Si le roi était chef de l’exécutif, législateur et juge, les gouverneurs et potentats des provinces en prenaient souvent à leur aise, d’où l’existence au sein du gouvernement d’un ministre particulier (le wazir) chargé de maintenir le contact avec les différentes forces locales : « Le gouvernement central n’a pas une autorité sur tout le pays, note un historien marocain ; une large décentralisation est reconnue et la nomination d’un caïd à la tête d’une circonscription représente dans la plupart des cas un compromis entre la volonté du sultan et celle de la population [ …]. Il existe alors une gamme de degré de décentralisation qui va du fonctionnaire révocable au véritable prince qui reconnaît une simple suzeraineté, et les distinctions entre domaine de souveraineté directe et domaine de suzeraineté sont mouvantes [ …]. Le pouvoir alaouite ne commande pas, il négocie : avec les étrangers, avec les autorités locales, et la force militaire n’est utilisée que pour hâter les négociations [9] ». Le moins qu’on puisse écrire est que les Européens – et singulièrement les Français gagnés par le rationalisme et l’uniformité prônée par la Révolution – étaient incapables de comprendre l’organisation complexe des sociétés du Maghreb : ils jugeaient ainsi le commerce « arbitraire et despotique », dépendant de « la volonté ou les caprices des gouverneurs [10] ». Un contemporain écrivait encore : « Dans une région où l’on ne connaît aucun genre de noblesse ; où il n’y a point de corps de magistrature où le peuple n’a aucune sorte de représentants ; où l’on ignore jusqu’au nom des sciences les plus nécessaires [ …] ; où les fortunes sont toutes précaires ; où celui qui occupe la veille les postes les plus élevés se trouve le lendemain dans l’esclavage ; où les talents et les vertus ne peuvent espérer ni considération ni récompense ; dans une telle région, il ne saurait y avoir de différence bien marquée entre ceux qui sont emprisonnés dans des murs et ceux qui respirent un air plus libre [11] ». Partant, les litiges commerciaux furent toujours très nombreux.

7Commandeur des Croyants (aspect de sa légitimité sur laquelle il s’appuyait fortement), le sultan était profondément respecté, y compris par ses adversaires intérieurs. Il prélevait pour sa cassette une partie des recettes fiscales (dont environ un dixième des droits de douane, principale ressource de l’État), ce qui fit écrire au même observateur du règne de Slimane : « La misère est partout universelle, quoique la douceur et la justice de l’empereur actuellement régnant donne un air d’aisance à l’empire [12] ». Un peu comme aujourd’hui, le souverain – « juxtaposition dans la même personne d’un roi, d’un empereur, d’un chef militaire et d’un chef religieux [13] » – voyageait sans cesse dans son royaume, de palais en palais, et ne résidait pas en permanence dans sa capitale, si bien que les visiteurs à qui il accordait une audience devaient parfois patienter plusieurs jours, voire plusieurs semaines, avant d’être reçus.
Fils de Mohammed III (Sidi Mohammed Ibn’Abd Allah) qui avait régné de 1757 à 1790, Slimane avait succédé à son frère Yazid, souverain éphémère (1790-1792) tué en combattant des rebelles dans la région de Marrakech. Son règne avait mal commencé, une sécheresse exceptionnelle provoquant disette et mécontentement. Puis la peste avait sévi, sans doute ramenée de La Mecque par des pèlerins. L’épidémie dura trois ans, de 1797 à 1800, et fit des centaines de milliers de morts, dont le premier ministre Ebn-Othman. On a dit que, par exemple, 20 000 des 30000 habitants de l’agglomération de Salé-Rabat avaient succombé et que Marrakech, alors peuplée de 60000 habitants, compta jusqu’à 1800 morts par jour [14].
Dans l’ensemble, Slimane gouverna autoritairement, comme ses ancêtres, s’appuyant sur son dernier frère, Taïbi. Il travailla à la centralisation du gouvernement depuis Fès – où son autorité n’était pas contestée –, et – pour ménager les puissances européennes – mit fin aux actes de pirateries, allant jusqu’à destituer les gouverneurs qui les favorisaient. Il conforta le système fiscal mis en place et poursuivit la modernisation des administrations. En politique intérieure, il ne fut pas plus épargné que ses prédécesseurs. Il dut combattre ceux qui contestaient son pouvoir, à commencer par deux de ses frères, Hicham et Abderahmane, finalement contraints de se soumettre en 1795. Le sultan connut dès lors un relatif calme intérieur, même s’il dut reprendre les armes en 1802 contre son neveu Ibrahim ( fils de Yazid) dans la région de Fès et de Meknès [15]. Ce ne fut qu’une trêve. Il dut faire face, en 1809, à des troubles frontaliers avec la régence d’Alger puis, en 1810, à une grande révolte dans le Rif, le haut et le moyen Atlas. Il l’emporta encore, après trois années de lutte. En 1811, ce furent les Berbères de la région de Mekhnès qui se soulevèrent et furent écrasés lors des combats de Sefrou et Azrou. Après quelques années de calme, Slimane allait encore devoir repartir en guerre contre les tribus du moyen Atlas, au moment même où la peste était de retour: il allait être battu et fait prisonnier (1818). Parce que descendant du Prophète, il fut bien traité et la dynastie ne fut pas remise en question. Mais son pouvoir fut désormais affaibli. Il choisit pour successeur son neveu Abderrahmane, fils d’Hicham, qui allait régner jusqu’en 1859.

B – Les relations commerciales avec l’Europe : de l’ouverture à l’isolationnisme

8Le Maroc ne laissait pas l’Europe des affaires indifférente. Elle commerçait avec lui depuis des siècles, les Phéniciens y ayant par exemple installé des comptoirs plus de mille ans avant Jésus-Christ. Le pays disposait d’importantes ressources minières (or, argent, cuivre, étain, antimoine de fer, etc.). En dehors du cuivre, elles étaient peu exploitées. La grande force du Maroc résidait dans son agriculture. On avait coutume de dire que c’est elle qui nourrissait l’Espagne et, en période de disette, la France. Le Maroc exportait des céréales (orge, froment, millet, etc.) récoltées trois fois par an dans certaines régions. Il produisait aussi du tabac, du coton et de la canne à sucre, ce qui, à partir de la Révolution, ne pouvait qu’intéresser les marchands français, compte tenu de la perte des colonies antillaises. Malgré des inégalités sociales criantes et des troubles intérieurs endémiques, le royaume de Slimane apparaissait dans l’ensemble comme un pays prospère. Il occupait en outre une position stratégique de premier ordre à l’entrée de la Méditerranée. Tanger faisait face à Gibraltar [16] et voisinait avec les présides espagnols dont les fleurons étaient Ceuta (Sebkha) et Melilla (Mlilya) [17].

9Sous le règne de Mohammed III et au début de celui de Slimane, le commerce avec les Européens et les États-Unis se développa, au risque de déséquilibrer un régime dont l’organisation ne favorisait pas une exploitation rationnelle et centralisée des relations avec l’extérieur. Le Danemark, le Portugal, la France et la ville libre de Hambourg passèrent des accords commerciaux avec le Maroc. Mais c’est toujours et encore l’Espagne qui se taillait la part du lion. Elle avait des droits de pêche exclusifs et jouissait seule du privilège de pouvoir exporter du blé par Casablanca, alors petit port de la côte atlantique. Tout n’allait pas toujours pour le mieux entre les deux royaumes. Leurs différends sur l’avenir des présides se réveillaient périodiquement. Les litiges commerciaux s’envenimaient rapidement, comme lorsque, en février 1799, huit vaisseaux de ligne marocains bloquèrent pendant quelques jours le port de Cadix. On signa la paix par le traité de Meknès, du 1er mai 1799 [18]. L’Autriche avait, elle aussi, des relations privilégiées avec le Maroc, à la suite d’un traité de 1784 qui fut renouvelé le 20 février 1805 : les produits autrichiens bénéficiaient de droits de douane réduits de 50 % [19]. Autre grand partenaire, les États-Unis commerçaient avec le Maroc et profitaient de ses ports pour faire relâcher leurs vaisseaux de guerre. De nombreux voyageurs arrivant à Tanger signalent la présence de navires américains dans le port [20]. Mais à cette époque, l’Angleterre fit une remarquable percée. Un traité de commerce de 1783 fut renouvelé le 8 avril 1791. Les Britanniques en tiraient le droit d’aller et venir, résider, bâtir et commercer dans tout le Maroc. Après Trafalgar et plus encore après l’avènement de Joseph Bonaparte à Madrid, ils monopolisèrent quasiment les marchés. Ils envisagèrent même d’ouvrir depuis le Maroc une route vers le Soudan. En 1809, un Allemand du nom de Roetgen fut envoyé sur place par l’African Company de Londres. Il partit de Mogador, en juillet, en se mêlant à une caravane. Il fut retrouvé assassiné quelques jours plus tard.

10Malgré le succès du commerce avec l’Europe, et contrairement à ce qu’avait fait Mohammed III qui avait par exemple con fié la création du port de Mogador (Essaouira) à un ingénieur français ou laissé ouvrir de nombreux consulats à Tanger et des maisons de commerce un peu partout, Slimane chercha toujours à libérer son pays de toute mainmise étrangère, même simplement commerciale. Il s’offusquait que les Européens viennent surtout acheter des matières premières et rechignent à vendre à son pays les produits manufacturés dont il avait besoin. Il savait aussi qu’avec d’aussi puissants « partenaires », les négociations commerciales pouvaient déboucher sur une intervention politique, voire militaire. Si le commerce avec les chrétiens resta autorisé, le sultan lui fixa des limites : « Je viens d’ordonner que tout marchand qui n’apportera point dans le pays ou dans les ports des choses utiles, ou qui n’apportera que du lest, soit renvoyé sur le champ avec son vaisseau vide », déclara-t-il, le 6 mai 1807. Cet isolationnisme alla jusqu’à interdire la sortie du territoire à ses sujets sans verser une caution [21]. Cette politique comportait de nombreux risques allant d’une intervention croissante, voire militaire, des étrangers dans la politique intérieure marocaine à la réduction des recettes fiscales majoritairement constituées par les droits de douane.
Il y avait six maisons de commerce françaises installées en permanence au Maroc au moment de la Révolution. Elles vendaient essentiellement des draps et de la soie (qu’on ne produisait pas sur place) et achetaient du blé, des chevaux, de l’huile et des produits apportés du Soudan par des caravanes (plumes, poudre d’or). Leur chiffre d’affaires était faible : un million de livres par an, soit moins qu’avec la régence de Tunis [22]. Ces commerçants étaient essentiellement marseillais car la chambre de commerce de la cité phocéenne s’étaient vue reconnaître le privilège d’avoir seule « à connaître de toutes les affaires du commerce du Levant et de la Barbarie ». Cet « impérialisme marseillais [23] » avait quasiment réduit à néant les échanges entre Rouen, La Rochelle et le Maroc pourtant florissants un siècle plus tôt. Avec le Consulat et l’Empire, la guerre maritime puis le Blocus continental, le commerce maritime marseillais s’effondra, plongeant le grand port français de la Méditerranée dans la « détresse économique [24] ». Le rétablissement de la Chambre de commerce, devenue seulement consultative, n’y changea rien : les négociants ne purent plus rien envoyer ni recevoir. Le préfet Thibaudeau en a donné le triste témoignage dans ses Mémoires [25]. Nombre de bateaux de commerce pourrissaient dans le port (qui pouvait en accueillir 1 200) et la centaine de « négociants banquiers armateurs [26] » connurent leurs jours les plus difficiles.
L’activité commerciale entre la France et le Maroc devint insignifiante au moment même où les relations politiques entre les deux pays se gâtèrent.

II – Les relations franco-marocaines sous Napoléon

11En dehors des voyages et activités commerciales, les relations diplomatiques entre la France et le Maroc furent institutionnalisées au XVIe siècle. Le premier envoyé du roi de France (alors François Ier) fut reçu par le « sultan de Fès », Ahmed el-Ouatassi (de la dynastie des Saadiens), en 1533. Le premier traité d’amitié signé entre les deux États le fut entre Louis XIII et Moulay al Wahid, qualifié dans le texte de « Roy de Fès, de Sous et de Salé ». Il fut renouvelé en 1635 et 1682. Le premier consul français accrédité fut Bérard (1582). Il y aurait toujours désormais au moins un représentant de la France au Maroc [27] jusqu’en 1912, sauf durant la « guerre » franco-marocaine provoquée par l’activité des pirates barbaresques agissant à partir des ports du royaume, de 1718 à 1767 [28]. Mettant fin à cette longue crise, un traité du 30 mai 1767 régla les relations franco-marocaines jusqu’au début du XXe siècle avec comme base trois principes : une représentation consulaire française était acceptée par le Maroc dans les ports que la France choisissait ; une chapelle catholique pouvait être consacrée dans le consulat ; le consul de France jouissait d’une préséance sur ses collègues. Cela étant, les relations entre les deux royaumes restaient marginales, s’exprimant « politiquement d’une façon occasionnelle, des ambassades extraordinaires, exceptionnelles et pittoresques suffisant à entretenir l’idée et l’image d’une relation de paix [29] ». En froid avec les Anglais, les Portugais et les Ottomans, le sultan avait intérêt – sans plus – à rester proche de la France et bien sûr de l’Espagne.

12À la suite du traité de 1767, Louis Chénier (1722-1795) [30] fut nommé consul général à Salé. Il y resta jusqu’en 1782 et marqua le poste de son empreinte, le transférant à Tanger, en face de Gibraltar. Il dut quitter le pays à la suite d’un grave incident diplomatique : on avait refusé de recevoir à Versailles l’envoyé du sultan ; celui-ci convoqua Chénier à Marrakech et lui enjoignit de rentrer en France [31]. Il fallut attendre la Révolution pour que Jean-Baptiste Durocher (1743-1798) vienne le remplacer avec les fonctions de consul et chargé d’affaires (1790) [32]. Deux ans plus tard, lors d’un congé en France, il fut chargé de porter des cadeaux somptueux au sultan. Il ne partit qu’à la fin de 1794, fut arrêté par les Anglais à Gibraltar et mourut à Cadix sans avoir pu remplir sa mission [33]. Ce furent des diplomates subalternes qui assurèrent l’intérim, soit Henry Mure (consul à Salé), Charles Guillet puis Dominique Fournet. Il fallut attendre le début de l’Empire pour qu’un consul général soit nommé, en la personne de d’Ornano. Signalons encore que le chancelier du consulat de France au Maroc fut, de 1792 à 1803, Mathieu de Lesseps (1774-1832), le père de Ferdinand [34].

A – Premières relations de Bonaparte avec le Maroc

13À son avènement, Bonaparte n’était pas un inconnu pour les autorités marocaines qui avaient suivi avec attention la campagne d’Égypte. À cette occasion, les représentants de la France et de l’Angleterre s’étaient livrés à une véritable guerre de propagande. Le premier faisait traduire les proclamations favorables à l’Islam du général en chef de l’armée d’Orient et les articles du Moniteur vantant ses hauts faits. Le second mettait en garde le Makhzen contre un soi-disant projet français de s’emparer de toute la côte du Maghreb [35]. Moulay Slimane resta prudent, d’autant que Bonaparte multiplia les bonnes manières à l’égard de ses sujets. La libération des esclaves de Malte, dont beaucoup étaient Marocains (la femme d’un shérif en faisait partie), fut fort appréciée, de même que les efforts déployés par le général pour permettre au frère du sultan de rejoindre son pays par mer à son retour de La Mecque [36] ou la protection spéciale accordée aux pèlerins marocains. Ces derniers emmenèrent dans leurs bagages une lettre de Bonaparte à Moulay Slimane :

Il n’y a d’autre dieu que Dieu, et Mahomet est son prophète !
Au nom de Dieu clément et miséricordieux !
Au sultan du Maroc, serviteur de la sainte Kasbah, puissant parmi les rois et fidèle observateur de la loi du vrai prophète.
Nous profitons du retour des pèlerins pour vous écrire cette lettre et vous faire connaître que nous leur avons donné toute l’assistance qui était en nous, parce que notre intention est de faire, dans toutes les occasions, ce qui peut vous convaincre de l’estime que nous avons pour vous. Nous vous recommandons, en échange, de bien traiter tous les Français qui sont dans vos États ou que le commerce pourrait y appeler[37].
Selon Mathieu de Lesseps, le sultan n’aurait alors « cessé de montrer la plus vive admiration pour le héros qui [venait] de conquérir l’Égypte [38] ». Cela étant dit et écrit, Moulay Slimane ne se départit pas de sa neutralité dans les conflits européens. Tout au plus quelques bateaux marocains apportèrent-ils des vivres à Alexandrie dans les années qui suivirent : mais il s’agissait de commerce bien plus que de politique. Après Brumaire, Moulay Slimane se refusa d’entrer dans une alliance explicite et exclusive avec la France.

B – La représentation française au Maroc

14Le régime napoléonien maintint un important réseau consulaire dans le monde entier [39]. Pour ne pas que les consuls dépendant des Relations extérieures soient confondus par leur titre avec le triumvirat qui gouvernait la France, on leur donna ceux de commissaires généraux, commissaires et sous-commissaires des relations commerciales [40]. Les titres de consul général, consul et vice-consul ne refirent leur réapparition que sous l’Empire [41].

15Le sous-commissaire Fournet faisait fonction de commissaire général par intérim au moment de la proclamation de l’Empire. Il notifia l’évènement au sultan, espérant obtenir de lui une lettre de félicitation à Napoléon Ier, ce qui lui fut refusé au motif que le « sultan des Croyants » ne pouvait pas écrire à celui des Chrétiens. Les relations franco-marocaines, déjà au point mort, n’en furent pas réchauffées. Elles se gâtèrent même franchement dans les années suivantes, après la nomination d’un commissaire général puis consul général à Tanger, en la personne d’un parent de Napoléon, Michel-Ange d’Ornano (1771-1859), ancien commissaire des relations commerciales en Sardaigne [42]. Cet ancien officier était rigide, imbu de lui-même, dispositions naturelles qui ne furent guère contrariées par le ton de ses instructions [43]. Celles-ci lui prescrivaient notamment de se présenter au sultan sans lui faire les cadeaux d’usage.

16Un tel ordre allait à l’encontre d’une tradition bien ancrée – et pas seulement en Afrique du Nord – de remettre des présents, qui pouvaient être somptueux (objets en or ou en argent, du drap, de la porcelaine, etc.), tant aux scheiks et chefs de tribus dont on traversait le territoire, aux grands de la cour, aux gouverneurs ou aux chefs militaires qu’au monarque, lors des audiences de présentation et de congé. Celles-ci étaient spectaculaires. Le consul, à pied, était reçu par son hôte, à cheval, entouré de soldats et des dignitaires du royaume [44]. Le diplomate recevait des cadeaux en retour [45]. Cette frugalité ne devait pas empêcher d’Ornano d’assurer le roi « des dispositions sincères et amicales [de l’empereur] et de son désir de les maintenir et de resserrer l’union et la bonne intelligence » entre les deux empires.

17Pour le reste, ses instructions étaient de faire preuve de la fermeté qui seyait à un grand et puissant empire européen. Dès son arrivée, d’Ornano devait s’occuper des conséquences de la réunion de la Ligurie à la France, obtenir que le pavillon français soit traité de la même façon que celui de Gênes. Il devait obtenir sans délai la libération des esclaves génois qui pourraient se trouver sur le territoire du « Roy du Maroc » pour n’en laisser « aucun en captivité ». Ils devaient être peu nombreux, compte tenu de la politique anti-esclavagiste du pays. D’Ornano devait encore informer le Makhzen des suites données à deux réclamations faites par des sujets du sultan à l’occasion de la capture de navires anglais par des corsaires français. La première concernait la saisie de 12 000 piastres et de quelques marchandises que des Maures de Tétouan revendiquaient. La seconde touchait à la confiscation de la cargaison de deux navires anglais pris à leur sortie de Tétouan. Le conseil des prises avait rejeté les deux demandes au motif qu’aucune pièce ne prouvait la propriété des plaignants marocains [46]. S’il était interrogé sur ces affaires, l’envoyé de l’empereur devait répondre que les deux réclamations « [avaient] été examinées avec la plus grande attention mais qu’aucune pièce de bord n’ayant constaté la propriété des Marocains, il [n’était] pas au pouvoir du gouvernement d’arrêter le cours de la justice et qu’il n’y [avait] pas à revenir sur des jugements rendus d’après les lois établies et reçues par toutes les puissances maritimes de l’Europe ».

18Outre ces tâches diplomatiques, le commissaire général devait entretenir une correspondance « active » avec le ministère des Relations extérieures, notamment sur le trafic maritime dans le détroit de Gibraltar. C’est ainsi que les consuls participaient au réseau d’espionnage entretenu par la France. En fin, comme tous les agents consulaires, il était invité à veiller avec soin à la protection des citoyens et commerçants français dans le pays [47].
À Tanger et dans tout le pays, d’Ornano allait devoir contrer les menées de ses concurrents, qu’il s’agisse des représentants des alliés, comme l’Espagnol Antoine Gonzales Salmon (qui jouissait d’un grand crédit), des neutres, comme l’Américain Websler Blound (25 ans de présence à Tanger), ou bien sûr des pays en guerre avec la France dont le redoutable consul britannique, James Mario Malra, présent dans le grand port depuis 20 ans, qui pouvait compter sur l’appui du Portugais Georges-Pierre Colasso (lui aussi en poste depuis 20 ans) et du Suédois Suède, Pierre Wyh (un quart de siècle de présence) [48].
Dans l’ensemble, le consul français allait remplir sa mission avec maladresse [49]. Il se montra cassant et peu respectueux des coutumes locales. Ainsi, en 1806, ayant accidentellement blessé un Marocain lors d’une partie de chasse, il refusa de comparaître devant le sultan : il fallut que le gouverneur de Tanger intervienne en sa faveur pour qu’on évite un incident diplomatique majeur [50]. Partant, le consul général n’était guère aidé par le Makhzen dans son activité quotidienne. C’est ainsi que le projet d’un achat de chevaux pour les haras de l’empereur des Français échoua : Moulay Slimane ne laissa pas l’affaire se réaliser, prétendit offrir les montures mais ne donna que de mauvaises bêtes [51]. Dans ces conditions, d’Ornano n’avait que peu de chance d’entraîner le Maroc dans une alliance avec la France, et surtout pas contre l’Angleterre invincible sur mer après Trafalgar.

C – Des relations directes épisodiques

19Sous Moulay Slimane, la neutralité fut véritablement au cœur de la politique étrangère du Maroc. Compte tenu de la fragilité du consensus intérieur et des puissances en cause (Angleterre, France, Espagne), le sultan, homme au demeurant pacifique, ne souhaitait pas se lancer dans des aventures extérieures : « La politique du Maroc n’est ni étendue ni compliquée, écrivait alors Mathieu de Lesseps. Cette puissance ne peut ni ne doit tenter de s’étendre, et l’aristocratie locale est trop occupée du soin de contenir et de réprimer ses sujets toujours mécontents pour entreprendre jamais des conquêtes », notamment pas aux dépens de son voisin, la régence d’Alger, à qui il ne cause « aucune inquiétude », en dépit de l’occupation de l’Oranais par les Marocains depuis 1797 [52]. De même « ceux qui soupçonneraient les Ottomans d’être mal disposés au Maroc et de chercher des raisons de lui causer des embarras seraient dans l’erreur [53] ». L’Empire ottoman n’exerçait en effet qu’une autorité nominale sur les régences d’Alger et de Tunis et celles-ci n’avaient pas intérêt à se frotter à l’armée marocaine. Avec les Européens, les relations devaient désormais se borner au commerce [54], et encore le sultan refusait qu’il soit à sens unique. Surtout, il ne voulait pas se mêler des différends titanesques qui déchiraient le continent, ce que la situation en Espagne pourrait pourtant l’obliger à faire un jour ou l’autre. En octobre 1807, le ministre français des Relations extérieures, Champagny, avait en effet obtenu des autorités espagnoles le blocus de Gibraltar [55]. D’Ornano devait convaincre le Makhzen d’appliquer ce blocus à partir de ses ports, notamment celui de Tanger. Le consul général échoua. Il écrivit à son ministre : « Je redouble d’efforts pour engager le gouvernement maure à prendre des mesures de rigueur contre les Anglais [ …], mais je doute fort de pouvoir amener ce gouvernement à une rupture [56] ».

20On peut mettre au crédit de d’Ornano d’avoir obtenu l’envoi d’un ambassadeur marocain auprès de Napoléon, en la personne de El-Hadj Idriss Rami, « fils de la famille des Chorfa idrissites de Fès ». Accompagné de plusieurs de ses compatriotes et de Jean Larbre-Clermont, commerçant français de Larache qui devait servir d’interprète, il arriva à Marseille le 6 juillet 1807. Le bulletin de police du 16 juillet en informa l’empereur : « Le commissaire général de police de Marseille annonce que le 6 de ce mois, l’ambassadeur du roi du Maroc près la cour de France est entré en rade et, le même jour, au lazaret avec toute sa suite, pour une quarantaine de 25 jours. Parmi les présents dont cet ambassadeur est chargé, on distingue quatorze chevaux de prix [57] ». Après dix-sept jours de quarantaine, l’ambassadeur fit une entrée remarquée dans la cité phocéenne avant de remonter vers la capitale. Il fut reçu par l’empereur lors de l’audience diplomatique du 6 septembre 1807, au château de Saint-Cloud.

21Lors de cette courte audience, il adressa au vainqueur de Friedland le discours suivant :

22

« La Louange est à Dieu.
Au sultan des sultans, au plus glorieux des souverains, le Magnifique et Auguste Empereur Napoléon.
Nous offrons à Votre Majesté un nombre de salutations in fini et proportionné à l’étendue de notre amitié pour elle. Notre Seigneur et Maître Suleyman, empereur du Maroc (que Dieu fortifie et éternise la durée de son empire) nous a envoyé auprès de Votre Majesté pour la féliciter sur son heureux avènement au trône de la puissance. Il est, à votre égard, ce que ses prédécesseurs ont été constamment à l’égard des vôtres, fidèle aux traités. Vous êtes à ses yeux le plus grand, le plus distingué parmi tous les souverains de l’Europe, et l’amitié de Votre Majesté lui est extrêmement précieuse. Il m’a envoyé auprès d’elle avec des présents. Qu’elle daigne les accepter. Nous prions le Tout-Puissant qu’il continue à accorder à Votre Majesté un bonheur et une satisfaction inaltérable[58] ».

23Après quelques mots de bienvenue qui lui furent adressés, l’envoyé marocain remit à Napoléon une lettre de Moulay Slimane :

24

Au sultan illustre, au très Grand Prince, très respectable, très puissant, le roi Napoléon Premier, Empereur de France et Roi d’Italie.
Votre très honoré consul d’Ornano, résidant actuellement dans notre empire, nous a instruit des guerres et des combats que vous avez eu à soutenir avec quelques nations chrétiennes, vos ennemies et qui se sont terminés par la victoire complète que vous avez remportée sur elles, victoire tel qu’aucun roi n’en a obtenu de semblable. C’est ce qui nous a engagé à vous envoyer notre ambassadeur et serviteur Hadji Idriss Rami pour vous féliciter de l’heureux état de tout votre empire et de la victoire que vous avez remportée sur vos ennemis, et pour vous informer en même temps de l’estime toute particulière que nous avons pour vous et que jamais autre prince n’a obtenue auprès de nous. Nous conservons avec vous la bonne intelligence et l’amitié telle qu’elle a été précédemment entre les deux empires, suivant en cela les traces de notre père, notre très honoré maître, dont Dieu daigne protéger la cendre. Nous espérons, s’il plaît à Dieu, que rien ne troublera cette union, attendu que nous avons une estime inappréciable, et qu’aucun autre roi ne partage la haute considération dont vous jouissez auprès de nous.
En témoignage de ces sentiments, nous vous avons envoyé en toute diligence avec notre susdit ambassadeur de légers présents pour nous rappeler à votre souvenir. Nous désirons que vous les acceptiez gracieusement. Sachez qu’ils n’ont d’autre objet que d’entretenir entre nous l’amitié et la bonne intelligence. Nous espérons, s’il plaît à Dieu, que notre alliance avec vous demeurera ferme et n’éprouvera aucun changement[59].

25L’audience ne dura que quelques minutes, et selon le cérémonial en vigueur, Idriss Rami fut reconduit à son domicile et l’empereur des Français passa à la suite de son programme, soit la réception d’une députation des villes hanséatiques et de l’ambassadeur du grand-duc de Hesse [60]. On ne peut donc dire qu’il y eut de longs entretiens entre le monarque et l’ambassadeur. Celui-ci ne fut même pas reçu par le ministre des Relations extérieures mais par le chef de bureau responsable de suivre les affaires du Sud. Dès le mois d’octobre, la délégation quitta la capitale. Elle fut de retour au Maroc en mars 1808. Les résultats de l’ambassade étaient faibles, voire négligeables, sauf pour Larbre-Clermont, nommé vice-consul français à Larache, à la demande de l’ambassadeur marocain. D’Ornano marqua d’ailleurs sa surprise en apprenant cette décision : le nouveau vice-consul était selon lui un illettré à la réputation d’ivrogne bien établie [61]. On n’avait rien obtenu des Marocains, et surtout pas l’application du Blocus continental. L’ambassadeur marocain était en outre porteur d’une lettre de Napoléon au sultan :

26

Napoléon [ …] au Très Haut, Très Puissant et Très Excellent Empereur, Notre Très Cher Frère et Excellent Ami, Salut.
Une parfaite amitié a toujours subsisté entre vos États et la France. Nous avons reçu avec plaisir la lettre où vous nous exprimez les mêmes dispositions et nous désirons que nos relations avec vous deviennent chaque jour plus intimes. Vos sujets seront toujours accueillis dans notre Empire avec bienveillance ; nous espérons que les nôtres jouiront dans vos États d’une même faveur.
Votre ambassadeur, le sage émir El-Hadj Idriss Rami a dignement rempli la mission que vous lui avez con fiée et il nous a offert vos présents en témoignage de votre amitié ; recevez aussi, comme un gage de la nôtre, ceux que nous lui remettons pour vous. Nous prendrons toujours un vif intérêt à la prospérité de votre Règne, et nous chargeons notre Consul général à Tanger de vous exprimer en toute occasion notre estime et notre affection pour vous.
Sur ce, nous prions Dieu qu’Il vous ait, Très Haut, Très Puissant et Très Excellent Empereur, en sa digne garde[62].
La lettre de Napoléon à Moulay Slimane était aussi vide de sens politique que celle que Idriss Rami avait remise au nom de son maître. Les relations franco-marocaines ne paraissaient devoir se cantonner qu’à de diplomatiques protestations d’amitié et de politesse. La prise de contrôle de l’Espagne par l’Empire français allait modifier cette situation et leur donner, si l’on ose dire, plus de substance.
Comme en prélude à ces événements, probablement poussé dans cette direction par le consul général anglais Malra qui l’alertait sur le danger que représentait la présence française à Lisbonne et l’entretenait de projets d’invasion de l’Afrique du Nord par Napoléon, Moulay Slimane ordonna à ses troupes de bloquer Ceuta (février 1808) qui subissait par mer un blocus hermétique de la Royal Navy [63]. Quelques semaines plus tard, le 22 mars 1808, trois cents soldats anglais occupèrent l’îlot de Peregil, à dix kilomètres de Ceuta [64]. Cette opération aurait dû être le prélude à une offensive plus vaste permettant de chasser les Espagnols de Ceuta mais, finalement, elle fut remise à plus tard [65]. Les Français ignoraient évidemment ce changement dans les plans anglais. Ils étaient au demeurant mal informés de ce qui se passait dans ces contrées. Lieutenant général de l’empereur en Espagne, Murat n’en donna pas moins l’alerte concernant Ceuta : « Il paraît que les Marocains et les Anglais se proposent sérieusement d’attaquer cette place [66] ».

III – Une quasi-guerre après 1808

27Napoléon ne renonça jamais à une politique maritime ambitieuse et au rêve de « contrôler les échanges maritimes planétaires [67] ». Sa politique extérieure se voulut toujours mondiale : « Nos différends avec l’Angleterre ne se bornent point à l’Europe, écrivait-il. L’équilibre des villes de la Méditerranée, des mers, sont autant d’objets importants qu’il faudra décider [68] ». La Méditerranée était évidemment incluse dans les préoccupations stratégiques de l’empereur. Désireux de « vaincre la mer par la terre », il n’avait jamais renoncé à prendre de solides positions sur ses rivages a fin de priver le commerce britannique de points d’entrées dans les régions commerçantes. Le Maroc était concerné. Napoléon voulut toujours y implanter des forces. C’est ainsi que, dès 1801, il demanda à son ambassadeur à Madrid, son frère Lucien, de voir avec le gouvernement de Charles IV ce qui serait possible : « Je désire que vous m’envoyiez des renseignements sur les possessions qu’ont les Espagnols sur la côte du Maroc et surtout sur la situation des ports et des fortifications des villes qui leur appartiennent. J’aimerais assez avoir un point fortifié dans l’empire du Maroc et situé sur le détroit [69] ». Le roi d’Espagne n’avait pas donné suite, se contentant de faire ressentir qu’en tant qu’allié de la France, il mettait les présides à sa disposition. On en resta là pendant plusieurs années. Ceuta ne servit jamais de point de contrôle du détroit de Gibraltar.

28La défaite française de Trafalgar – à peu de distance de la côte nord du Maroc – changea la donne franco-marocaine, et pour longtemps, si l’on en croit un historien marocain : « Cette bataille a déterminé les rapports entre le Maroc et les pays européens pendant un siècle [70] ». Jusqu’à la naissance de l’Entente cordiale, le Maroc apparut comme un allié privilégié de l’Angleterre et presque un adversaire de l’Espagne et de la France. La mainmise anglaise sur la Méditerranée (et sur toutes les mers) était pour longtemps confirmée et, dès les semaines qui suivirent Trafalgar, Moulay Slimane tira les conséquences de ce renversement stratégique en se rapprochant franchement de Londres, accordant par exemple des facilités commerciales aux Britanniques, alors même qu’il rendait plus difficiles les activités des marchands des autres nations.
Plus tard, avec l’affaire d’Espagne, les relations entre les deux pays se gâtèrent tant qu’on peut parler de « quasi-guerre » : « Il était logique que, devenu maître de l’Espagne, [Napoléon] portât tout spécialement son attention sur le Maroc [71] ». L’empereur pensa qu’il pourrait mettre la main sur les présides à peu de frais, tandis que les Marocains virent immédiatement le danger que constituait l’arrivée d’un Bonaparte sur le trône madrilène.

A – Les conséquences de l’occupation de l’Espagne et du Portugal

29Les Marocains ne virent pas l’avènement de Joseph Bonaparte d’un très bon œil. Ils se félicitèrent sans doute d’avoir pris des mesures préventives autour de Ceuta [72]. Sans entrer immédiatement dans le jeu de l’Angleterre, ils ne voulaient pas que l’ambition stratégique des Français se réalise. Ils avaient compris que « Napoléon [voulait] utiliser les présides espagnoles au Maroc comme base de départ d’une conquête de l’Afrique du Nord, nouvelle source de fourniture de coton et de sucre [73] ». Selon l’article 2 du traité de Bayonne, qui entérinait le changement de dynastie à Madrid, les présides restaient certes espagnols [74] mais Napoléon entendait les mettre au service de ses plans. Parlant de Ceuta, l’empereur allait écrire : « La perte de cette place serait immense pour l’Espagne et pour la France [75] ».

30Pendant son long séjour au château de Marrac, il se préoccupa donc beaucoup du Maroc. Il demanda des informations, donna des ordres, réfléchit au meilleur moyen de prendre pied à Ceuta et ailleurs. C’est ainsi qu’il reçut une sorte d’aventurier, l’espagnol Domingo Badia y Leblich. En 1803, se faisant passer pour un Turc d’Alep, cet homme habile avait voyagé au Maroc sous le nom d’Ali-Bey el-Abassi. Il avait su gagner la confiance du sultan et préparé, pour le compte de Charles IV, une expédition au Maroc. Celle-ci n’avait pas eu lieu mais il venait à présent offrir ses services à Napoléon. Pressé, l’empereur demanda au préfet du palais Bausset de s’occuper de cette affaire : Je viens de causer avec un Espagnol que vous avez pu voir dans le salon ; je n’ai pas assez de temps à moi pour donner une attention suivie à son histoire, qui d’ailleurs me paraît fort longue. Voyez-le, causez avec lui et prenez connaissance des manuscrits dont il m’a parlé ; vous m’en rendrez compte [76] ». Bausset rendit un rapport dans lequel il proposait de poursuivre la collaboration avec Badia. L’empereur ne suivit pas son avis [77]. Il avait décidé d’utiliser une diplomatie menaçante et la force des armes, donnant rétrospectivement raison aux Marocains qui le soupçonnaient de visées particulières sur leur pays.

31Dès son installation à Madrid, Murat fut abreuvé d’ordres concernant Ceuta où l’empereur souhaitait que des troupes soient promptement envoyées : « Faites filer des troupes sur Ceuta et sur Minorque par Barcelone [78] ». Napoléon avançait même le chiffre de 6 000 hommes, ce qui n’était guère possible, compte tenu de la domination anglaise sur les mers. Le lieutenant de l’empereur commença par ordonner aux commandants des places de Cadix, Tarifa, Algésiras et Malaga de faire tout ce qui leur était possible pour ravitailler le préside : « Ceuta est menacée, cette place n’est pas suffisamment approvisionnée, sa garnison est trop faible. Employez tous les moyens qui sont en votre pouvoir pour y faire passer des renforts et des vivres, employez même des moyens extraordinaires, j’approuve tout d’avance [79] ». Dans le même temps, il adressait à Napoléon des informations glanées ça et là qui lui permettaient de conclure que « les Marocains [favorisaient] ouvertement les Anglais, et qu’il se [faisait] des mouvements de troupes sur Tanger et Ceuta [pour] s’opposer à une invasion des Français [80] ».

32Napoléon dut sans doute se rendre compte que les puissants raids qu’il envisageait n’étaient pas réalisables. Il décida donc d’écrire une fois de plus à Moulay Slimane pour l’engager à débloquer Ceuta et à laisser les forces franco-espagnoles s’y installer : « Je vous enverrai par le prochain courrier ma lettre au roi du Maroc, par laquelle je lui déclarerai que, s’il ne donne pas tous les secours à Ceuta et ne protège pas l’arrivage des bâtiments espagnols, ce serait une insulte qu’il me ferait [81] ». Pour porter cette missive, l’empereur demanda à Murat de désigner un officier du génie capable de prendre de bons renseignements sur l’armée, les places fortes et l’organisation du royaume marocain :

Vous trouverez ci-joint une lettre pour l’empereur du Maroc. Vous chargerez un officier du génie intelligent, qui pendra l’uniforme d’aide de camp, de se rendre à Ceuta et de là à Tanger, où il prendra mon consul et se rendra avec lui à Fez, où il remettra ma lettre en main propre au roi du Maroc. Il s’entendra avec mon consul pour faire toutes les démarches et tout ce qui est nécessaire pour déjouer l’influence des Anglais. Il observera à Fez et sur la route, en bon ingénieur, et se mettra en état de me rendre compte de l’état des fortifications, de la nature du terrain, de la force des armées, de la population, en fin de tout ce qui m’intéresse sur le point de vue militaire[82].

B – La mission du capitaine Burel

33Pour porter la lettre de Napoléon à Moulay Slimane et mener à bien la mission d’espionnage, Murat désigna le capitaine Antoine Burel (1773-1832) [83]. Il semble qu’il ne l’ait pas choisit lui-même mais l’ait fait sélectionner par quelque membre de son état-major. Brurel se vit remettre la lettre suivante :

34

Monsieur l’officier, vous trouverez ci-joint une lettre de l’Empereur pour l’Empereur du Maroc que je vous charge de lui porter et de lui remettre en mains propres. Vous vous rendrez d’abord à Tanger d’où vous partirez avec le consul de France pour Fès. Vous ferez toutes les démarches et emploierez tous les moyens pour déjouer l’influence des Anglais. Votre voyage de Tanger à Fès doit être une reconnaissance militaire. Vous prendrez tous les renseignements possibles sur l’état des fortifications, sur la nature du terrain, sur les subsistances, sur la nature des routes, sur la force des armées du Maroc de toute arme, en fin sur la disposition des esprits en face de la France et des Espagnols, et sur tout ce qui peut intéresser sous un point de vue militaire.
Vous reviendrez à mon quartier général après que vous aurez obtenu la réponse du roi du Maroc et les renseignements que je vous demande. Je vous autorise à prendre l’uniforme d’aide de camp d’un général quelconque. Vous devez savoir vos instructions par cœur, de manière à pouvoir les brûler ou les jeter à l’eau en cas d’événement[84].

35L’envoyé impérial était muni d’une lettre de recommandation à d’Ornano :

36

Monsieur le Consul, l’Empereur me charge d’envoyer un officier du génie intelligent pour porter une lettre à l’Empereur du Maroc et la lui remettre en mains propres. L’Empereur ordonne que vous l’accompagniez et me charge de vous faire connaître que le but de cette mission est de détruire par toute espèce de moyens l’influence que les Anglais pourraient avoir à la Cour du Maroc. Combinez tous vos efforts et toute votre adresse pour parvenir à ce but. L’officier du génie est en outre chargé de faire une reconnaissance militaire et de me faire un rapport sur l’armée du Maroc, sur les meilleures routes, les positions, sur les subsistances que l’on peut se procurer dans le pays, sur les fortifications, en un mot sur tous les points de vue militaires. L’Empereur compte beaucoup sur votre zèle et vos talents pour le succès de la mission dont vous êtes chargé. Je connais tout votre attachement à sa personne et je ne doute nullement de sa pleine réussite. Je sais avec empressement cette occasion de vous renouveler l’expression de mes sentiments[85].

37Antoine Burel quitta Madrid le 23 mai 1808. Il arriva à Tanger deux semaines plus tard. Moulay Slimane étant en campagne contre des insurgés du Rif, il dut patienter jusqu’au 18 août avant d’être reçu en audience solennelle à Fès. Flanqué de d’Ornano, ils remirent la lettre de Napoléon « enveloppée dans un brocart d’or et dans un mouchoir de soie [86] » :

38

Très Haut, Très Puissant et Très Excellent Empereur, notre Très Cher Frère et grand Ami, Salut.
Nous avons toujours mis du prix à l’état de paix et d’amitié qui existait entre vous et la France, et aujourd’hui que nous sommes plus à la portée de vous donner des preuves de notre affection par la cession que le roi d’Espagne nous a faite de sa couronne et de ses droits, nous désirons plus que jamais rester complètement votre ami.
L’Espagne conservera son territoire et son indépendance ; son nouveau souverain aimera à entretenir avec vous des relations de bon voisinage. Mais il faut que vous vous comportiez envers Nous et envers l’Espagne comme un bon voisin et un fidèle ami. Les Anglais se vantent que vous leur êtes attaché et que vous favorisez leurs projets : ils trouvent asile et secours dans vos ports ; c’est par vos États que la place de Gibraltar est approvisionnée ; on dit même que les bâtiments de vos sujets servent au transport de ces approvisionnements ; en fin, les Anglais se sont établis et fortifiés sur une île voisine de votre territoire et d’où ils interceptent la navigation du port de Ceuta.
Un tel état de choses est inconciliable avec les principes d’un bon voisinage. Nous exigeons que vous le fassiez cesser ; nous vous demandons de ne pas tolérer plus longtemps l’établissement que les Anglais ont fait dans votre voisinage sur l’île de Peregil, de vous opposer à tout débarquement d’hommes et de munitions qu’ils pourraient faire sur votre territoire pour attaquer la place de Ceuta et de favoriser l’approvisionnement de cette place. Que Gibraltar ne reçoive de vous aucun secours ; éloignez les Anglais de vos côtes : bientôt ils auraient anéanti tout le commerce de vos sujets, car eux seuls veulent faire le commerce ou en recueillir tous les profits. Si vous favorisez leurs vues contre Nous, Nous serions forcés de vous confondre avec nos ennemis, et nous ne sommes ni amis ni ennemis à moitié. De la Baltique jusqu’au détroit de Gibraltar, tout est occupé par nos armes. Les forces de l’Espagne sont aujourd’hui réunies à celles de la France et c’est avec ces forces que nous saurions repousser une offense ou venger les torts qui nous seraient faits, soit ouvertement, soit par une neutralité perfide.
Mais c’est au nom de la France et de l’Espagne que Nous vous exprimons le vœu d’entretenir avec vous les relations les plus amicales. Tant qu’elles subsisteront, vos intérêts seront les nôtres ; vos sujets seront protégés dans Notre Empire et leur commerce avec nos peuples sera pour vos États une source de richesse.
Nous faisons des vœux pour votre prospérité et nous prions Dieu qu’Il vous ait, Très Haut, Très Puissant et Très Excellent Empereur, en sa digne garde[87].

39La lettre était menaçante et désobligeante, dans la ligne du ton épistolaire de Napoléon à cette époque. D’Ornano devait écrire à son ministre qu’elle avait rendu « le sultan de mauvaise humeur [88] ». Le lendemain de l’audience, les deux représentants français eurent un long entretien avec Moulay Abdlessam, frère du sultan. Ils se plaignirent encore de la trop grande sollicitude de Slimane envers les Anglais, en s’appuyant contre le peu de réactions du Maroc après l’opération de Peregil et les menaces sur Ceuta. Ils protestèrent contre la réception au Maroc d’un consul représentant les insurgés espagnols. Le frère du sultan leur répondit qu’il n’y avait pas lieu de s’inquiéter : le Maroc menait une politique équilibrée et ne prenait parti pour personne, ce qui était inexact. Il les informa cependant que son frère ferait la guerre « à qui le voudrait », sorte de réponse sèche à la lettre de l’empereur. Les deux Français furent fermement invités à rentrer à Tanger. On ne leur accorda pas d’audience de congé. Le 13 septembre, ils reçurent la réponse de Slimane à Napoléon [89]. En raison du blocus anglais, Burel allait attendre jusqu’en avril 1810 pour gagner l’Espagne et, de là, Paris. Il fut reçu par Napoléon à Compiègne puis Saint-Cloud, le 21 mars et le 3 juin 1810. Avant la seconde audience, il déposa au secrétariat du cabinet impérial deux documents : un rapport diplomatique (rendant compte de l’échec de sa mission [90]) et un mémoire militaire (très précis, faisant le point sur l’armée marocaine).

40À cette époque, le torchon avait fini de brûler entre la France et le Maroc. Le grand vizir Si Mohammed Slaoui qualifiait alors Napoléon de « grand criminel qui est sans cesse appelé à injurier les serviteurs de Dieu [91] », tandis que Moulay Slimane avait passé une alliance formelle avec le consul général britannique à Tanger en échange du retour de Ceuta au Maroc [92]. Le préside fut d’ailleurs occupé par les Anglais qui, désormais, bouclaient totalement l’entrée de la Méditerranée. Tanger était même devenue une place financière par laquelle transitaient les fonds et lettres de change qui auparavant passaient par Lisbonne [93]. Au moment de l’instauration du système des licences [94], les bateaux anglais firent relâche à Tanger ou Tunis. Ils y pratiquèrent la man œuvre qui permettait de rendre les denrées importables dans l’Empire, à savoir le déchargement et le rechargement de la cargaison pour que celle-ci ne soit pas réputée venir d’Angleterre. Pour les autres navires, la Royal Navy assura un filtrage quasi-total des entrées et sorties.
Ainsi, l’alliance franco-marocaine s’était pour longtemps délitée au pro fit de l’Angleterre. Le Maroc n’en tira pas tous les bénéfices qu’il escomptait puisqu’à la chute de Napoléon, la monarchie espagnole fut rétablie dans ses droits antérieurs à 1808. Elle conserva donc les présides, dont Ceuta, que Moulay Slimane avait tant voulu récupérer. Quant à Napoléon, tout à sa course vers le renforcement de son système continental, il ne s’était plus guère occupé du Maroc après la mission Burel.

Annexe

Rapport du capitaine du génie Burel sur sa mission auprès de l’Empereur de Maroc en l’année 1808

41Le 22 mai 1808, Son Altesse Impériale le grand-duc de Berg, alors lieutenant général de l’Espagne, me chargea de porter et de remettre moi-même à l’empereur de Maroc une lettre de Sa Majesté l’Empereur des Français et d’employer tous mes moyens conjointement avec le Consul général Monsieur d’Ornano, pour diminuer l’influence des Anglais à la cour de Maroc.

Instructions qui me furent données

42Il m’ordonna de plus, de faire autant que possible, la reconnaissance militaire de la route de Tanger à Fez et de rapporter tous les renseignements que je pourrais me procurer sur la composition et la force des armées mauresques, ainsi que sur la manière de subsister, de marcher et de combattre. Ces renseignements militaires sont détaillés dans le mémoire et les quatre dessins ci-joints ; voici ce que j’ai à ajouter par ordre de Sa Majesté l’Empereur des Français sur l’objet politique de ma mission.

Mon départ de Madrid et mon arrivée à Tanger

43Je partis de Madrid le 23 mai 1808 ; les troubles qui agitèrent l’Andalousie et qui éclatèrent le 26 me forcèrent de quitter la route de Séville à Ecija, je passai par Ronda et j’arrivai le 25 à Algésiras où le général espagnol Corstagnos [Castanos] me reçut assez bien, visa mes papiers et me procura les moyens de passer de suite par Tarifa à Tanger. J’avais informé le grand-duc de Berg de mon arrivée à Algésiras, je lui annonçai aussi mon arrivée à Tanger, par une lettre du 27 mai. Celle-ci fut ma dernière, la révolte de l’Andalousie ayant coupé dès ce moment toute correspondance entre le Maroc et l’armée française.

44Monsieur le Consul général d’Ornano vint me recevoir au port et voulut que je logeasse chez lui ; je lui communiquai le double objet de ma mission, et le lendemain il me présenta à Mohamed ben Selaoüé el Fekir [Mohammed el-Slaoui el-Bokhari el-Fekir], ministre de l’Empereur de Maroc et pacha des provinces du nord, qui dans la conversation nous apprit que son maître marchait à la tête de 25 000 hommes contre les rebelles de la province du Rif et ne pourrait probablement recevoir ma dépêche qu’à son retour.

45Monsieur le Consul écrivit directement au souverain, annonçant qu’un officier lui apportait une lettre de l’Empereur des Français, que le Consul devait m’accompagner et qu’il le priait de nous faciliter les moyens de nous rendre à sa cour ; il répondit : qu’étant engagé dans une expédition militaire il ne pourrait nous recevoir qu’à son retour dont il ne fixait pas l’époque.

Départ de Tanger

46Monsieur le Consul insista le 13 juin sur l’urgence de nos dépêches et le pacha Mohamed ben Selaoüé répondit en son nom, que vers le 20 juillet nous serions appelés à la cour ; en fin le 30 juillet il nous écrivit que nous pouvions partir pour Miquénez [Meknès]. Il nous assigna une escorte de quinze cavaliers dont sept étaient des officiers ; il y fit ajouter les chevaux de selle et dix-huit mules pour porter nos bagages et les présents d’usage ; nous partîmes de Tanger le 5 août 1808. Notre petite caravane était composée du Consul général et moi, des deux vice-consuls, de deux officiers de la marine marchande, d’un chirurgien, de trois domestiques français et dix domestiques maures, le tout suivi de notre petite escorte de quinze cavaliers. Le gouverneur de Tanger à la tête de cent hommes nous accompagna jusqu’à un quart de lieues de la ville.

47– chaque campement, des détachements de vingt à quarante hommes, venaient se joindre à notre escorte, caracolaient et tiraillaient pendant la marche, faisant la garde des tentes pendant la nuit, et étaient relevés tous les matins par de nouveaux détachements ; les vivres nous étaient fournies par les villages.

48Après neuf jours de marche nous arrivâmes sous les murs de Miquénez où nous campâmes dans un bois de très beaux oliviers, le gouverneur de Miquénez vint nous complimenter amenant avec lui environ quatre cents cavaliers et deux cents piétons à qui il fit faire diverses manœuvres autour de nous, nous vîmes ensuite douze cents hommes de cavalerie provenant de l’armée qui défilèrent devant nous. La chaleur était insupportable et montait à 37 degrés à l’ombre.

49Le 14 août un officier étant venu me dire que son maître nous recevrait à fez où des affaires importantes le retenaient, nous partîmes de Miquénez le 15 août, nous fûmes coucher à Ouad Enza [N’ja] la rivière du plaisir où nous célébrâmes de notre mieux la trente-neuvième année de l’Empereur des Français.

Arrivée à Fez

50Le 16 à six heures et demie du matin nous étions aux portes de Fez. L’intendant du Palais Hagi anno ben ayounn [El-Hajj Anoun ben Hayoun] vint au-devant de nous avec vingt-cinq ou trente pages de l’Empereur et nous fit faire le tour du nouveau Fez pour nous conduire dans son jardin, situé entre les deux villes. Le logement n’étant que de deux chambres, il fallut que les domestiques et l’escorte campassent sous les arbres du jardin, bientôt un officier vint nous dire de la part de l’Empereur que nous pouvions prendre deux jours de repos et que le 18 après la prière de trois heures, ce prince nous donnerait audience.

Audience publique de l’Empereur de Maroc

51Le 18 août au matin on nous amena deux chevaux enharnachés à neuf, avec l’observation que ce présent était une faveur particulière qui n’était accordée même aux ambassadeurs, que le jour de leur départ ; à quatre heures un quart du soir hagi annon ben ayounn avec le gouverneur de Fez et dix ou douze officiers vinrent nous prendre et par diverses rues fort étroites nous firent remonter au nouveau Fez ; nous fûmes introduits dans les jardins de Bougeloud [Ben Jeloud] attenant au palais et nous attendîmes une demi-heure sous un berceau de vigne ; l’arrivée de l’empereur fut annoncée par une multitude de voix s’écriant à la fois Alla ibarek ma el Sidi [Allah ibarek fi âmer Sidi] que Dieu conserve mon maître : deux officiers vinrent nous dire en courant que nous devions approcher ; nous entrâmes sur une esplanade qui précède un grand kiosque : l’Empereur était à cheval à l’extrémité d’un quarré long formé de cinq à six cents gardes à pied, ayant à ses côtés divers grands officiers tous à pieds nus et le capuchon du burnous abattu en arrière. Le souverain ne se distinguait que parce qu’il était à cheval couvert d’un capuchon de son burnous et qu’un officier tenait derrière lui un grand parasol marque distinctive de la souveraineté au Maroc ; ses vêtements étaient d’une blancheur et d’une finesse extrême; sa selle était couverte de velours rouge et ses bottes étaient jaunes, mais je n’aperçus sur lui ni broderie ni dorure ni bijoux.

Observations sur le Prince

52Moulay Soliman Empereur du Maroc est d’une taille supérieure ; il est blond d’un teint très blanc ; sa physionomie est douce, imposante et passablement belle, il a quarante-cinq ans environ, il a le défaut de bégayer un peu et de loucher. Il est de la classe des Talbes [Tolba] ; c’est-à-dire des hommes de loi ou lettrés, il est le chef de la religion musulmane dans tout l’Occident, il est d’un caractère doux et peu belliqueux, il administre beaucoup mieux que ses ancêtres et cependant il est peu aimé de ses soldats à cause de sa parcimonie.

53Tous les Français qui nous accompagnaient furent retenus à l’entrée de l’enceinte quarrée formée par les gardes. Monsieur le Consul général et moi y fûmes introduits : avec un premier et un second salut, les officiers qui nous conduisaient nous retenaient par nos habits, mais l’Empereur fit signe qu’on nous fît approcher davantage et notre dernier salut fut fait à six pas de lui; Monsieur le Consul d’Ornano lui adressa une petite harangue de neuf à dix phrases ce qui n’est pas ordinaire chez ces peuples sérieux et laconiques. Quatre fois l’empereur l’interrompit par autant de réponses aux principaux points, comme si à chaque fois il eut cru le discours achevé ; Monsieur le Consul d’Ornano présentait l’Empereur des Français comme son grand ami que la main de Dieu conduisait, et qui tenait sous sa domination la majorité des peuples chrétiens ; après cela il me présenta comme porteur de la lettre de notre souverain.

54Je lui adressai alors un petit discours dont il écoutait attentivement la traduction et qu’il interrompit trois fois par des réponses assez précises.

55« Haut et puissant souverain : Napoléon Ier, Empereur des Français et roi d’Italie, salue le grand Soliman, son auguste ami et prie Dieu de faire réussir toutes ses entreprises ; il t’envoie cette lettre pour resserrer l’amitié qui a toujours lié ta famille à la sienne. »

56L’Empereur répondit qu’il avait été et qu’il serait toujours fidèle à cette amitié.

57« Charles IV, son ami lui ayant cédé la couronne d’Espagne, il a choisi parmi les rois de sa famille, son frère le plus chéri Joseph Napoléon, roi de Naples, pour gouverner ses nouveaux États. Par ce voisinage, l’union de l’Espagne, de la France et du Maroc va se resserrer de plus en plus, ainsi que leur position et leurs intérêts mutuels l’exigent. »

58L’Empereur répondit que pour lui il était prêt à faire tout ce que son ami l’Empereur des Français trouverait nécessaire et même agréable, Monsieur le Consul ayant observé que l’Empereur des Français ne demandait que la continuation de sa conduite amicale, il répondit qu’il ne s’en départirait jamais, parce que son amitié lui était acquise depuis longtemps.

59« Pour moi qui dès ma jeunesse ai suivi les drapeaux victorieux de Napoléon le Grand, je ne pouvais désirer une plus grande faveur que celle d’adresser la parole de sa part au grand Soliman lui-même. »

60L’Empereur répondit que tous ceux qui venaient de la part de l’Empereur Napoléon son ami, seraient bien accueillis.

61Je lui présentai de suite la lettre de l’Empereur des Français couverte de brocart d’or et d’un mouchoir de soie : son intime con fident Moulla-Thé [Moul-Atay] s’avança pour la prendre de ma main. Monsieur le Consul ayant remis les présents d’usage, nous fîmes en reculant deux saluts après lesquels nous nous retirâmes sous le berceau de vignes.

62L’Empereur ayant attendu que nous fussions sortis de l’enceinte de ses gardes, fit un signal de la main auquel sa nombreuse musique répondit par un bruit confus et très discordant ; une partie de sa garde le suivit dans l’intérieur du Palais, tandis que cent cinquante alcaïdes [caïds] ou officiers de Fez qui avaient été appelés pour donner plus d’appareil à notre audience défilèrent devant nous pour aller reprendre leurs occupations dans la ville. Nous remontâmes ensuite à cheval pour revenir dans le jardin d’hagi anno ben ayoun; les introducteurs et les valets vinrent demander leurs petits présents.
Le 19, à trois heures du matin, Sidi Mohamed Zouin, pacha de Maroc [Marrakech], que l’Empereur avait retenu en prison à son retour de l’armée, vint nous prier de traduire la lettre de l’Empereur des Français que son maître lui avait remise avec injonction qu’elle fut rendue mot pour mot, ce que le Consul Monsieur d’Ornano fit en ma présence par l’intermédiaire de notre interprète et d’un talbi [taleb] secrétaire particulier de l’Empereur de Maroc. Le pacha était très incommodé pendant ce travail ; notre chirurgien lui prescrivit quelques remèdes qu’il ne fit point.
Le 20 août nous fîmes nos visites, d’abord au prince Abselem [Moulay Abdesslam ben Mohammed ben Abdallah] frère de l’Empereur, ensuite à Moulay Mohamed, son second fils ; le fils aîné étant logé dans l’intérieur du Palais, ne put recevoir notre visite. Hagi Anno ben Ayounn nous annonça ensuite que le prince Abselem était chargé de nous entendre sur l’objet de notre mission.

Audience particulière du Prince Abselem

63Le 21 au soir, Monsieur le Consul et moi eûmes donc audience particulière de Moulay Abselem, frère de l’Empereur. Il paraît âgé de cinquante ans et quoique aveugle, il a toute la sagacité d’un homme versé dans les affaires et toute la confiance de l’Empereur. Après les premiers compliments, il fit retirer tout le monde, sur la prière que nous lui en fîmes, excepté un secrétaire particulier et notre interprète et nous dit que nous pourrions lui exposer toutes nos demandes comme au souverain lui-même.

64Monsieur le Consul d’Ornano lui dit alors que l’Empereur des Français voyait avec peine que les Anglais fussent très bien reçus dans les ports du Maroc et se comportassent sur ses côtes comme si elles étaient territoire anglais et en tirassent toutes espèces de vivres, ce qui était leur fournir dans ces parages des armes réelles contre notre nation ; que déjà les Anglais, enhardis de plus en plus, violaient le territoire Maure en occupant militairement l’île du Persil [Peregil] ou Touara, étendant tous les jours leurs prétentions et leurs manœuvres injurieuses contre la brave nation maure elle-même. Il insinua ensuite qu’en les souffrant, il laisserait peut-être soupçonner aux envieux quelque faiblesse et même quelque intelligence de leur part ; telles furent les principales représentations du Consul d’Ornano.

65Moulay Abselem répondit : que quant au premier point, les Anglais n’usaient que du droit qu’ont toutes les nations chrétiennes au Maroc et que les Français eux-mêmes pouvaient invoquer ; que les vivres qu’ils obtenaient seraient également accordées aux Français s’ils les demandaient ; il ajouta, avec apparence d’humeur, que son frère l’Empereur voulait être en paix avec tous ses anciens amis, observait une neutralité absolue avec tous et ne ferait la guerre qu’à ceux qui la voudraient. Quant à l’occupation de l’île du Persil qui nous choquait, il n’y voyait point comme nous une violation de leur territoire ; que si cela était, ils sauraient bien la reprendre par les armes ; que c’était aux nations qui s’en trouvaient lésées d’en chasser les Anglais.

66(J’observerai ici que, quels qu’en aient été les motifs, l’île du Persil a été évacuée par les Anglais le 15 octobre 1808, deux mois environ après notre audience).

67Je dis ensuite que c’était par de semblables démarches que les Anglais engagent toujours leurs amis ; que leur amitié toujours perfide ne tendait qu’à compromettre et ensuite abandonner leurs alliés : je citai aussi la manière dont les Anglais venaient de s’emparer de l’île de Madère sur les Portugais au moment où ils protestaient de leur attachement et faisaient parade de leur protection pour la cour du Brésil.

68Le prince me répondit que les affaires d’Espagne leur étaient fort étrangères, mais que sur celles qui les touchaient, ils ne se laissaient tromper ni influencer par personne. il répéta une seconde fois qu’ils ne feraient la guerre qu’à ceux qui la voudraient.
J’allais rapporter la conduite actuelle des Anglais dans la Baltique ; mais le peu de connaissances qu’en avaient les Maures ainsi que la réponse du prince et la nouvelle récente de l’évacuation de Madrid par l’armée française nous parurent au Consul et à moi de nouvelles ré flexions. Monsieur le Consul termina cette conférence par des demandes relatives au vice-consulat de Larache et par des représentations sur ce que la cour du Maroc venait de recevoir un consul des Espagnols révoltés : les premières furent accordées, les autres renvoyées à un plus mûr examen.

Demande d’une deuxième audience, refusée

69Deux heures après cette entrevue, l’Empereur nous ayant fait dire que nous pouvions repartir pour Tanger où il nous ferait parvenir sa réponse à l’Empereur des Français, nous lui fîmes demander instamment une seconde audience dans laquelle nous avions résolu de renouveler nos représentations et d’ajouter des plaintes directes contre son ministre Selaoüe qui est évidemment dévoué au parti anglais. Cette dernière audience nous fut absolument refusée avec politesse et en nous offrant une nouvelle entrevue avec le prince Abselem, où nous puissions exposer ce que nous aurions pu oublier dans la première.
Nous délibérâmes, le Consul et moi, sur les dernières nouvelles politiques, sur l’utilité des répétitions auprès du prince Abselem, sur l’imprudence qu’il pourrait y avoir à se plaindre à lui du ministre dont il est soupçonné de partager les dispositions envers les Anglais et nous arrêtâmes de partir sans audience de Moulay Abselem en répondant que nos propositions étaient de nature à n’être reçues que du souverain lui-même. Notre départ fut arrêté pour le lendemain en passant par le pied des montagnes.

Retour à Tanger

70Nous revînmes à Tanger, par le pied des montagnes, mais nous fûmes reconduits et reçus de manière bien différente de celle dont nous avions été amenés à la cour ; nous n’eûmes ni escorte extraordinaire ni course de poudre ; cette froideur me parut causée par l’évacuation de Madrid qui avait été connue à Fez au moment de notre audience.

71Le pacha ministre revint à Tanger le 11 septembre, et le 12, nous eûmes de lui une audience. Je demandai si la réponse qui devait m’être remise était arrivée, observant que je désirais pouvoir profiter des premiers moyens pour mon retour, il me répondit qu’il l’avait dans les mains et qu’elle me serait remise sous deux jours.

Audience du Pacha Ministre

72Monsieur le Consul demanda ensuite quelles réponses il faisait à ses plaintes sur la réception d’un consul espagnol révolté. Il dit que son maître avait trouvé bon de le recevoir et qu’il ne pouvait rien observer sur sa volonté. Monsieur le Consul observant qu’il était plus simple de ne pas renvoyer le consul ancien Salnan [Salmaon], il répondit que ce consul n’avait jamais été agréable aux Maures ni aux Espagnols.

73Monsieur le Consul d’Ornano observa que c’était aller contre les principes et les égards que se doivent les souverains que d’accueillir les représentants des révoltés, que c’était les encourager à s’étayer des princes voisins contre leurs maîtres légitimes, qu’en fin sa correspondance avec les révoltés était aussi injurieuse à son maître qu’à sa Majesté le roi d’Espagne, Joseph Napoléon.

74Le pacha paraît conduit par les mêmes instructions que le prince Abselem, il dit que le Consul se disait envoyé d’un pouvoir légitime et central, que les Maures sont accoutumés à croire aux paroles des Consuls chrétiens comme ils croyaient à la sienne de lui, Consul français ; que les disputes des Européens leur étaient étrangères, qu’ils voulaient être en paix avec tous ceux qui veulent la paix de la part des Maures ; que d’ailleurs son maître faisait tout ce qu’il trouvait bon dans ses États ; que si le roi d’Espagne eut écrit au Maroc sur son entrée à Madrid et sur le Consul de Séville en particulier, on eût reçu ses présents et son Consul en éloignant celui des révoltés ; que jusque-là ce n’était point à l’Empereur de Maroc à changer l’état des choses.

75Le pacha me fit ensuite des protestations d’attachement, j’acceptai l’offre qu’il me fit d’un bâtiment de Maroc et d’un passeport pour Lisbonne ou Marseille, mais bientôt il hésita et je sentis son peu de sincérité.
Le 13, il nous appela encore. Il me remit d’abord une double note de cinq livres arabes demandées par son maître, mais mieux écrite que la première dont elle était la copie ; il me recommanda encore de ne la remettre qu’à l’Empereur des Français en représentant combien son maître y mettait d’intérêt. Je promis d’en presser l’envoi.

Dernière audience du Pacha Ministre

76Il tira ensuite de dessous son bras la lettre de Moulay Soliman à l’Empereur des Français, enveloppée de plusieurs feuilles de papier et d’un mouchoir de lin très commun ; avec instance de ne la remettre qu’à l’Empereur lui-même.

77Il ajouta que dès ce moment, je devenais l’envoyé de son maître et l’ami des Maures. Qu’ayant été très bien reçu au Maroc, je devais faire valoir cette distinction auprès de l’Empereur et des grands de France, qu’il me priait d’être auprès d’eux l’avocat de mes nouveaux amis, etc. Je répondis que j’étais trop flatté de ce nouveau titre pour l’oublier, que j’aurais le plus grand soin de ses recommandations auprès des grands de France, et surtout des dépêches de son souverain.

78Il m’offrit de nouveau de faciliter mon départ par mer, m’assurant qu’il allait envoyer un bâtiment à Livourne avec ordre de me déposer à Marseille, et que sous mon nouveau titre d’envoyé de l’Empereur de Maroc, il m’allait procurer un passeport anglais. Ces dispositions favorables et l’évacuation de l’île du Persil qui eut lieu le mois suivant me parurent commandées par l’approche de la grande armée française qui s’avançait alors sur l’Espagne ; mais bientôt tout changea et le bâtiment maure, non plus que le passeport anglais, ne parurent pas.
Toutes mes tentatives pour revenir rendre compte de ma double mission furent inutiles, comme le Consul français l’a déclaré dans plusieurs certificats. Ce ne fut que le 27 février 1810 que je pus, après vingt et un mois d’absence, aborder à Touil [Conil] avec vingt ou vingt-deux officiers français réfugiés au Maroc. À mon départ, la cour du Maroc ne m’envoya aucune dépêche nouvelle et nous ne crûmes pas, le Consul et moi, qu’il fut de la dignité de notre maître d’en solliciter.

Mon retour en Espagne

79Le prince de Berg m’avait ordonné de ne rapporter qu’à lui le résultat de ma double mission, cet ordre et les nombreux changements politiques, autant que les recommandations de l’Empereur de Maroc me déterminèrent à les apporter directement à l’Empereur des Français lui-même, à qui j’eus l’honneur de les remettre à Compiègne, le 21 mars 1810.

80Terminé à Paris, le 20 avril 1810.

81BUREL

82Capitaine du génie de 1re classe

Notes

  • [*]
    Thierry LENTZ, directeur de la Fondation Napoléon.
  • [1]
    Ali ZBITOU, « La bataille navale de Trafalgar est-elle à l’origine des convoitises européennes sur le Maroc ? », Puissance terrestre et maritime à l’époque de la bataille de Trafalgar, actes du XXIe congrès international d’histoire militaire, Madrid, Ministerio de la Defensa, 2005, p 453 [453-462].
  • [2]
    C’est en 788 qu’Idriss Ier fut intronisé, douze ans avant le couronnement impérial de Charlemagne.
  • [3]
    Mémoire de Mathieu de Lesseps sur le Maroc, 12 novembre 1809, Archives du ministère des Affaires étrangères (AMAE), Mémoires et documents (MD), volume 3, Maroc.
  • [4]
    Chiffres de Larousse, Grand dictionnaires universel du XIXe siècle et du Mémoire de Mathieu de Lesseps, précité.
  • [5]
    Les Marocains appellent généralement Napoléon « Napoléon Bonaparte », voire « l’empereur Bonaparte », l’usage du seul prénom a même tendance à les dérouter.
  • [6]
    « Rapport du capitaine du génie Burel sur sa mission auprès de l’Empereur de Maroc en l’année 1808 », 20 avril 1810, reproduit par Jacques Caillé, La mission du capitaine Burel en Maroc en 1808, Institut des Hautes Études marocaines, Notes et documents, n° XIII, 1953, p. 41-57. Ce rapport est conservé au Service Historique de la Défense, Terre, 1 M 1675. Nous le publions en annexe du présent article.
  • [7]
    La dynastie des alaouites est toujours au pouvoir. Elle avait succédé à celles des Idrissides (788-974), des Almoravides (974-1147), des Almohades (1147-1248), des Mérinides (1248-1465), des Wattasides (1465-1555) et des Saadiens (1555-1666). Cette suite de dynastie a été présentée dans la synthèse de Bernard Lugan, Histoire du Maroc, des origines à nos jours, Paris, Perrin, 2000, 368 pages. À noter que ces descendants d’Ali sont sunnites, c’est-à-dire qu’ils ne considèrent pas leur ancêtre comme le « successeur » (celui qui montre la voie) de Mahomet, contrairement aux chiites. De nos jours, neuf musulmans sur dix environ sont sunnites.
  • [8]
    On appelait encore Marrakech : « Maroc ». C’est en effet cette ville qui a donné son nom européen au pays. L’empire du Maroc était alors appelé el-Gharb par ses habitants.
  • [9]
    Voir Abdallah LAROUI, L’Histoire du Maghreb. Un essai de synthèse, Casablanca, Centre Culturel Arabe, 2e édition, 2001, p. 258-259.
  • [10]
    CHAPTAL, De l’industrie française, Paris, Imprimerie nationale, réédition 1993, p. 139.
  • [11]
    Mémoire de Mathieu de Lesseps sur le Maroc, 1809.
  • [12]
    Ibid., 1809.
  • [13]
    Abdallah LAROUI, op. cit., p. 259.
  • [14]
    Léon GODARD, Description et histoire du Maroc, Paris, Tanera éditeur, 1860, t. II, p. 574.
  • [15]
    Selon le Moniteur du 21 prairial an X [10 juin 1802], la bataille finale aurait fait 8 000 morts du côté des rebelles, chiffre à prendre avec prudence.
  • [16]
    Anglaise depuis le traité d’Utrecht mettant fin à la guerre de Succession d’Espagne (1713).
  • [17]
    Prise aux Arabes en 1415 par les Portugais, Ceuta avait été conquise par les Espagnols en 1580. La ville se situait non loin de la montagne qui, avec Calpé, ancien nom de Gibraltar, forme les « colonnes d’Hercule ». Melilla avait été occupée par les Espagnols dès 1496. Des villes comme Tanger (1471) et Agadir (1505) avaient été occupées par les Portugais ou les Espagnols. Ils durent reculer à la suite de la bataille d’Alcazar-Quivir ou Ksar el-Kébir au cours de laquelle fut tué le roi Sébastien
    du Portugal, le roi de Fès et un prétendant Maure, d’où le nom de « bataille des trois rois » que l’on donne à cette journée du 4 août 1578. Les souverains marocains n’avaient jamais accepté (et n’acceptent toujours pas) l’existence des présides. C’est ainsi que Mohammed III tenta de reprendre par la force Mazagan, place forte portugaise de la côte atlantique (1769) et, surtout, Ceuta en 1771. Ce furent deux échecs.
  • [18]
    On relèvera qu’à l’article 13 de ce traité, Slimane avait fait inscrire que les deux parties devaient arriver rapidement à l’abolition de l’esclavage. Outre l’acte d’humanité, son geste visait aussi à détourner du Maroc les rédempteurs et missionnaires chrétiens. La lutte contre l’esclavage était un aspect traditionnel de la politique intérieure marocaine, au risque d’handicaper l’agriculture qui avait besoin de main d’œuvre à bon marché.
  • [19]
    Un envoyé autrichien, MOGNIAL DE POUILLY, a laissé de sa visite au sultan un récit qui est conservé aux Archives du Ministère des Affaires étrangères français : Mémoire sur le Maroc par M. de Pouilly (1805), AMAE, MD, volume 1, Maroc, folios 247 à 351.
  • [20]
    C’est ce que constata POUILLY dans son Mémoire précité.
  • [21]
    Henri DE LA MARTINIÈRE, Souvenirs du Maroc, Paris, Plon, 1919, p. 24.
  • [22]
    Chiffre de Michel DEVÈZE, L’Europe et le monde à la fin du XVIIIe siècle, Paris, Albin Michel, 1970, p. 287.
  • [23]
    Expression de Xavier DAUMALIN, citée par Gilbert BUTI et Gérard LE BOUËDEC, « Les mutations économiques : un bilan mitigé », Les Français, la terre et la mer. XIIIe-XXe siècle, Paris, Fayard, 2005, p. 502.
  • [24]
    Raoul BUSQUET, Histoire de Marseille, Robert LAFFONT-Jeanne LAFFITTE, rééd. 1998, p. 328.
  • [25]
    Mémoires de A.-C. THIBAUDEAU (1799-1815), Plon, 1913.
  • [26]
    Almanach du Commerce, Paris, Dela Tynna, 1805, p. 539-541.
  • [27]
    Sous l’Ancien Régime, il y en eut parfois deux : un à Salé, l’autre à Tétouan.
  • [28]
    Voir Jacques CAILLÉ, La représentation diplomatique de la France au Maroc, Paris, éditions Pédone, 1951.
  • [29]
    Jean-Claude ALLAIN, « La représentation de la France au Maroc avant le protectorat », Méditerranée, Moyen-orient. Deux siècles de relations internationales, Paris, L’Harmattan, 2003, p. 45 (45-53).
  • [30]
    Il était le père du poète André CHÉNIER et du littérateur, bien plus célèbre en son temps, Marie-Joseph CHÉNIER.
  • [31]
    À son retour en France, CHÉNIER publia un gros ouvrage : Recherches historiques sur les Maures et l’histoire de l’Empire du Maroc.
  • [32]
    À partir de cette époque, les consuls près les régences barbaresques et le Maroc furent tous chargés d’affaires (Jean BAILLOU, dir., Les Affaires étrangères et le corps diplomatique français, Paris, C.N.R.S., 1984, t. I, p. 472).
  • [33]
    À l’occasion de l’affaire DUROCHER, un événement à la limite de la diplomatie et du cocasse se produisit. Le gouverneur anglais de Gibraltar avait dérobé les cadeaux destinés au sultan. Il les envoya ensuite à Moulay SLIMANE comme étant des cadeaux de l’Angleterre. Le sultan ne fut pas dupe et fit remettre les cadeaux à GUILLET, consul intérimaire.
  • [34]
    Après le Maroc, LESSEPS fut sous-commissaire des relations commerciales à Damiette en Égypte (1803-1806) puis consul général à Livourne (1809-1814) puis, brièvement, dans les îles Ioniennes. Il fut encore préfet du Cantal aux Cent-Jours. Écarté par la seconde Restauration, il ne fut réemployé qu’en 1818, en devenant consul général à Philadelphie. En 1821, il fut muté à Alep puis à Tunis. Bien qu’ayant quitté Tanger depuis plusieurs années, le ministre des Relations extérieures lui commanda un rapport sur le royaume de Moulay SLIMANE. Il le remit en 1809. Nous l’utilisons plusieurs fois dans ce travail.
  • [35]
    La propagande anglaise ne jouait que dans les régions reculées. Selon un naufragé français du nom de Cochelet, cité par Jacques CAILLÉ, « Napoléon et le
    Maroc », RIN, n° 80, juillet 1961, p. 66 [65-74], Bonaparte y était parfois considéré comme « une incarnation du diable ».
  • [36]
    Voir la lettre de Bonaparte au général MENOU, 7 frimaire an VII [27 novembre 1798], Napoléon Bonaparte, Correspondance générale publiée par la Fondation
    Napoléon, n° 3798.
  • [37]
    Lettre du 28 thermidor an VII [15 août 1799], Napoléon Bonaparte, Correspondance générale, n° 4728.
  • [38]
    Cité par Jacques CAILLÉ, « Napoléon et le Maroc », art. cit., p. 65.
  • [39]
    Environ quatre-vingt dix consulats français étaient ouverts en Europe (Kiel, Madrid, Cadix, Valence, Malaga, Baléares, Canaries, Venise, Messine, Palerme, Naples, Stettin, Kœnigsberg, Dantzig, Warna, Dardanelles, Candie, Athènes, Iasi, etc.), au Moyen-orient (Alep, Saint-Jean d’Acre, etc.), aux États-Unis (Boston, New-York, Baltimore, La Nouvelle-Orléans, etc.) ou en Extrême-Orient (Macao, Canton, etc.). Outre Tanger et Larache (vice-consulat à partir de 1807), la France entretenait sept consulats ou vice-consulats en Afrique : Le Caire, Alexandrie, Damiette, Rosette, Alger, Tunis, Tripoli (Almanach impérial, Chez Testu et compagnie, 1810).
  • [40]
    Arrêté du 12 frimaire an VIII, 3 décembre 1799. Quelle que soit leur appellation, ces agents relevaient tous de la nomination du chef de l’État. Le rôle des consuls restait dé fini par des édits et ordonnances royaux datant de l’Ancien Régime (1778 et 1781) : juridiction sur les nationaux, police des navires français, affaires de successions des Français, état civil. Ils veillent aux intérêts commerciaux de la France, facilitent la tâche aux commerçants français, proposent des moyens d’amélioration du commerce national avec le pays ou la ville où ils sont en poste. Ils renseignent aussi le gouvernement sur les aspects politique et militaires. Chaque consulat se voyait affecter un agent rémunéré par le ministère (sauf en Orient où on ajoutait généralement un interprète). Les autres collaborateurs étaient recrutés et rémunérés sur le budget du poste. Le personnel consulaire était rattaché au ministère des Relations extérieures (division des relations commerciales dirigée par Hermand et bureau des passeports de Nicolas Brulé) mais passa pour partie de ses activités sous la tutelle du ministère des Manufactures et du Commerce créé en 1812.
  • [41]
    Décret du 22 mars 1806.
  • [42]
    Arrêté de nomination du 24 frimaire an XIII [15 décembre 1804]. D’ORNANO était le fils de Lodovico D’ORNANO (1744-1816) et d’Isabelle BUONAPARTE (1749-1816), cousine germaine de Charles BUONAPARTE, près de Napoléon.
  • [43]
    Projet d’instructions pour M. ORNANO, commissaire général chargé d’affaires au Maroc, AMAE, MD, volume 2, Maroc, folios 502 à 507. La particule de D’ORNANO ne fut rétablie dans les documents o fficiels qu’après 1808 (Jacques Caillé, « Le consul de l’Empereur au Maroc », RIN, n° 93, octobre 1964, p. 174 [174-179]).
  • [44]
    Dans son Moulay Abd er-Rahman, sultan du Maroc, sortant de son Palais de Meknès entouré de sa garde et de ses principaux collaborateurs, qui évoque la réception des envoyés de Louis-Philippe en 1832, Eugène DELACROIX a montré dans quel appareil le sultan accueillait les ambassadeurs. Présentée au salon de 1845, la toile est aujourd’hui conservée au musée des Augustins de Toulouse.
  • [45]
    C’est ainsi que, par exemple, POUILLY avait reçu du Pacha de Tétouan : 4 b œufs, 4 moutons, 4 douzaines de poules et 400 œufs (Mémoire sur le Maroc par M. de Pouilly (1805).
  • [46]
    Créé par un arrêté du 6 germinal an VIII (27 mars 1800) et réorganisé par un décret du 21 novembre 1806, le Conseil des prises, présidé par un conseiller d’État et composé de huit autres membres nommés par le chef de l’État, statuait sur la validité et la répartition des prises maritimes, des bris, naufrages et échouement des navires sous pavillons neutre ou alliés et, en appel, des décisions des officiers d’administration maritime des ports pour les prises de vaisseaux ennemis.
  • [47]
    Plus prosaïquement, D’ORNANO devait encore réinstaller le poste français dans une maison plus digne de son rang, celle de son prédécesseur n’ayant pas été entretenue. Il était autorisé à en construire une nouvelle si nécessaire.
  • [48]
    Mémoire sur le Maroc par M. DE POUILLY (1805).
  • [49]
    C’est en tout cas l’opinion de nombreux historiens, dont Léon GODARD, op. cit., p. 576.
  • [50]
    Jacques CAILLÉ, « Le consul de l’Empereur au Maroc », art. cit., p. 175.
  • [51]
    Jacques CAILLÉ, La mission du capitaine BUREL en Maroc en 1808, p. 17.
  • [52]
    Le roi du Maroc ignora cependant la demande de réunion déposée par les notables de Tlemcen, en 1803.
  • [53]
    Mémoire de Mathieu DE LESSEPS sur le Maroc, 1809.
  • [54]
    Le ministre des Relations extérieures du Maroc était d’ailleurs dénommé « Ministre de la Mer ».
  • [55]
    Le gouvernement de Madrid se plia de mauvaise grâce à cette demande car c’est par Gibraltar qu’entraient en Espagne non seulement des produits coloniaux (cannelle, muscades, clous de girofle, cacao), du tabac – transitant par Tanger – pour les manufactures royales de Séville mais aussi des barres de fer. Les douanes espagnoles laissèrent dès lors passer des denrées en estimant que les petites barques qui les débarquent à Algésiras étaient des « bateaux parlementaires » (François CROUZET, L’économie britannique et le Blocus continental, Paris, Economica, 1987, p. 264).
  • [56]
    Lettre d’avril 1808, citée par Jacques CAILLÉ, « Le consul de l’Empereur au Maroc », art. cit., p. 178.
  • [57]
    Ernest D’HAUTERIVE, La police secrète du Premier Empire. Bulletins quotidiens adressés par FOUCHÉ à l’Empereur, Paris, Perrin, 1922, t. III, p. 307.
  • [58]
    Le Moniteur, 8 septembre 1807 ; même article le lendemain dans le Journal de l’Empire.
  • [59]
    Lettre du 23 mai 1807, AMAE, Lettres diverses, 1533-1811.
  • [60]
    Sur le protocole de ce type de cérémonies, voir Pierre BRANDA, « Étiquette impériale » et « Maîtres des cérémonies de la Maison de l’Empereur », Quand Napoléon inventait la France. Dictionnaire des institutions politiques, administratives et de cour, Paris, Tallandier, 2008.
  • [61]
    LARBRE-CLERMONT resta en poste jusqu’en 1814.
  • [62]
    Lettre du 11 novembre 1807, AMAE, Correspondance politique, 215, folio 211.
  • [63]
    Dès le mois de décembre 1807, Napoléon s’était inquiété des projets anglais sur les présides. Voir sa lettre à Joseph, 26 décembre 1807, dans Napoléon et Joseph. Correspondance intégrale. 1784-1818, établie par Vincent HAEGELE, Paris, Tallandier, 2007, n° 837.
  • [64]
    Nous connaissons cette île comme « île du Persil », traduction de l’espagnol peregil. Elle a fait l’objet d’un grave contentieux entre le Maroc et l’Espagne, en 2003.
  • [65]
    La garnison de Gibraltar, renforcée par des troupes fraîches devait débarquer à Ceuta et l’occuper, sous les ordres du général SPENCER. L’opération fut annulée par crainte d’une offensive de l’armée française d’Espagne contre le rocher (W. F. P. NAPIER, History of the War in the Peninsula and in the South of France, Londres, John MURRAY, 1828, t. I, p. 171).
  • [66]
    Lettre de MURAT à Napoléon, 16 mai 1808, Prince MURAT et Paul LE BRETHON, Lettres et documents pour servir à l’histoire de Joachim MURAT, Paris, Plon, 1912, t.VI, n° 3318.
  • [67]
    Silvia MARZAGALLI, Les boulevards de la fraude. Le négoce maritime et le Blocus continental. 1806-1813, Lille, Septentrion, 1999, p. 263.
  • [68]
    Lettre à TALLEYRAND, 5 fructidor an IX [23 août 1803], Correspondance générale, n° 7956.
  • [69]
    Lettre à Lucien BONAPARTE, 23 germinal an IX [13 avril 1801], Napoléon Bonaparte, Correspondance générale, n° 6211.
  • [70]
    Bahija SIMOU, « La bataille de Trafalgar : enjeux politiques en Méditerranée et impact sur le Maroc », Puissance terrestre et maritime à l’époque de la bataille de Trafalgar, p. 491 [487-497].
  • [71]
    Jacques CAILLÉ, « Napoléon et le Maroc », art. cit., p. 70.
  • [72]
    D’ORNANO pensait que l’opération des Marocains sur Ceuta et celle des Anglais sur Pérégil avaient été concertées. Il soupçonnait certains membres du gouvernement de Moulay SLIMANE, dont le vizir Mohammed EL-SLAOUI, d’avoir été corrompu par « l’or anglais » (Henry DE CASTRIES, « Napoléon et le Maroc », Revue hebdomadaire, 1908, p. 330 [313-337]).
  • [73]
    Frank EDGAR MELVIN, Napoleon’s Navigation System. A Study of Trade Control during the Continental Blockade, New York, AMS Press, rééd. 1970, p. 54. Dès 1560, une raffinerie de sucre avait été implantée à Rouen et transformait la production du sud marocain.
  • [74]
    « L’intégrité du royaume sera maintenue » (Michel KERAUTRET, Les grands traités de l’Empire. Documents diplomatiques du Consulat et de l’Empire, Nouveau Monde éditions-Fondation Napoléon, 2004, t. II, p. 367). Les territoires africains concernés étaient Ceuta, Melilla, les îles Chafarines, les îles d’Alhucemas, Velez de la Gomera et Oran.
  • [75]
    Lettre de Napoléon à MURAT, 28 mai 1808, Correspondance de l’empereur Napoléon Ier publiée par ordre de l’empereur Napoléon III, n° 14015.
  • [76]
    Louis-François-Joseph DE BAUSSET, Mémoires anecdotiques sur l’intérieur du palais et sur quelques événements de l’Empire depuis 1805 jusqu’au 1e mai 1814, pour servir à l’histoire de Napoléon, Paris, Baudouin Frères, 1829, t. II, p. 280-282.
  • [77]
    Henry DE CASTRIES, « Napoléon et le Maroc », art. cit., p. 320-324. Badia publiera en 1814 les Voyages d’Ali-Bey el-Abassi en Afrique et en Asie pendant les années 1803 à 1807, Didot, 3 volumes. Le premier volume est consacré au Maroc.
  • [78]
    Lettre de Napoléon à MURAT, 15 mai 1808, Lettres et documents pour servir à l’histoire de Joachim Murat, n° 3309.
  • [79]
    Lettre de MURAT au général SOLANO, 17 mai 1808, Lettres et documents pour servir à l’histoire de Joachim MURAT, n° 3328. Voir aussi la lettre 3326 au général CASTANOS.
  • [80]
    Lettre de MURAT à Napoléon, 13 mai 1808, Lettres et documents pour servir à l’histoire de Joachim MURAT, n° 3296.
  • [81]
    Lettre de Napoléon à MURAT, 9 mai 1808, Correspondance, n° 13836.
  • [82]
    Lettre de Napoléon à MURAT, 16 mai 1808, Correspondance, n° 13908. A la même époque, Napoléon ordonnait au ministre de la Marine Decrès d’envoyer un o fficier en Algérie, avec une mission semblable. Voir, récemment, Jean FRÉMEAUX, « Boutin et la conquête de l’Algérie », Napoléon Ier. Le magazine du Consulat et de l’Empire, n° 19, 2003, p. 24-27, et Jean MARCHIONI, Boutin : le « Lawrence de Napoléon. Espion à Alger et en Orient, Nice, éditions Jean Gandini, 2007.
  • [83]
    Originaire du Rhône (Saint-Jean de Touslas), BUREL s’était enrôlé en 1793. Après une campagne en Hollande, il avait suivi des cours à Polytechnique puis à l’école du Génie de Metz. Nommé lieutenant, il avait participé à la campagne d’Italie puis à celle d’Égypte. Rentré de la terre des Pharaons en 1801, il avait été employé dans divers états-majors, dont celui de l’armée d’Espagne, d’où sa présence à Madrid en mai 1808.
  • [84]
    Lettre de MURAT « à un officier du génie », 20 mai 1808, Lettres et documents pour servir à l’histoire de Joachim MURAT, n° 3346.
  • [85]
    Lettre de MURAT à D’ORNANO, 20 mai 1808, Lettres et documents pour servir à l’histoire de Joachim MURAT, n° 3345.
  • [86]
    Rapport de BUREL, Service Historique de la Défense, Terre, 1 M 1675.
  • [87]
    Lettre du 16 mai 1808, citée par Jacques CAILLÉ, « Deux lettres de Napoléon Ier au Sultan du Maroc », RIN, n° 90, 1964, p. 16.
  • [88]
    Cité par Jacques CAILLÉ, « Deux lettres de Napoléon Ier au sultan du Maroc », RIN, n° 90, janvier 1964, p. 17 (13-17).
  • [89]
    BUREL a laissé un journal sur sa mission (SHD, Terre, 1 M 1675).
  • [90]
    Nous publions ce rapport en annexe du présent article.
  • [91]
    Cité par Jean TULARD, « Maroc », Dictionnaire Napoléon, Fayard, 2e édition, 1999, t. II, p. 280.
  • [92]
    Bahija SIMOU, « La bataille de Trafalgar : enjeux politiques en Méditerranée et impact sur le Maroc », art. cit., p. 492.
  • [93]
    François CROUZET, op. cit., p. 303.
  • [94]
    Plusieurs décrets de juillet 1810 disposaient que tout bateau entrant ou sortant d’un port de l’Empire devait être muni d’une licence signée par l’empereur en personne ; toute importation devait être compensée par une exportation de valeur au moins équivalente ; seules les denrées alimentaires ou des matières premières pouvaient être importées. Le commerce des produits manufacturés restait lui aussi sévèrement contrôlé : les exportations doivent contenir un tiers de soieries.
Français

Résumé

Si l’Afrique du Nord passionnait moins les Français que l’Orient, le gouvernement napoléonien et les milieux d’affaires n’ignoraient rien de son importance. Elle pouvait constituer un point de contrôle de la Méditerranée et, par la diversité de ses productions, participer au développement du commerce extérieur. Parmi les entités nord-africaines, le Maroc pouvait être un partenaire particulièrement intéressant. Royaume millénaire et indépendant, il était le seul État musulman riverain de la Méditerranée ne dépendant pas de l’Empire ottoman dont les trois autres territoires (Alger, Tunis, Tripoli) constituaient des « régences », gouvernées par des Deys, dépendant nominalement du sultan de Constantinople. Il ne rejetait pas les échanges commerciaux avec l’Europe, luttait contre la piraterie et jouissait d’une organisation étatique moderne (encore qu’un peu incompréhensible aux Européens). Il contrôlait une des rives du détroit de Gibraltar. Napoléon s’intéressa donc à ce pays pour des raisons commerciales et, surtout, stratégiques. D’abord assez lâche, les relations franco-marocaines parurent se réchauffer au moment de Tilsit. Cette avancée fut gâchée par l’occupation de l’Espagne et les prétentions impériales qui poussèrent finalement le Maroc dans les bras de l’Angleterre.

Thierry Lentz [*]
  • [*]
    Thierry LENTZ, directeur de la Fondation Napoléon.
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/05/2010
https://doi.org/10.3917/napo.082.0003
Pour citer cet article
Distribution électronique Cairn.info pour La Fondation Napoléon © La Fondation Napoléon. Tous droits réservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent article, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.
keyboard_arrow_up
Chargement
Chargement en cours.
Veuillez patienter...