CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Mhammed ECHKOUNDI, Hicham HAFID et Yahia Abou EL FARAH (Coord.)

Bonne gouvernance et lutte contre la pauvreté en Afrique. Cas du Maroc, Botswana, RDC, Ile Maurice et Gabon. Rabat, Institut des études africaines, 2016, série Recherches et études n° 19, 280 p.

1 Cet ouvrage collectif rédigé par neuf universitaires, résulte d’un travail de trois ans ayant regroupé des recherches au Gabon, à l’Ile Maurice, au Botswana et en République Démocratique du Congo. Il vise à lier les questions de la « bonne gouvernance » et de la lutte contre la pauvreté en Afrique à partir de cinq études de cas. Il est construit en trois parties agrémentées d’annexes. La première dresse les lieux de débat sur les concepts de « bonne gouvernance », d’une part, et de pauvreté de l’autre, avant d’analyser leur articulation. La seconde partie présente les cinq pays études de cas. La troisième partie s’appuie sur les études de terrain et sur la mobilisation des données existantes pour approfondir l’analyse de la pauvreté.

2 Cet ouvrage a un double mérite. Il est très clair et présente de manière pédagogique les concepts et leur mise en relation. Il repose sur des travaux de terrain. Il montre, de plus, l’intérêt que les chercheurs marocains portent à l’Afrique en phase avec le rôle que joue le Maroc en Afrique subsaharienne.

3 On peut toutefois regretter un côté un peu scolaire du travail et proche des catégories mobilisées par les organisations internationales ou les autorités nationales. Les définitions données aux concepts mobilisés témoignent d’un travail important, mais les concepts gestionnaires de bonne gouvernance ne sont pas questionnés au regard des enjeux politiques de gouvernement ou de gouvernementalité. De même, les indices de pauvreté ne sont pas mis au regard d’autres, comme les vulnérabilités, les exclusions ou les fractures sociales et territoriales. De manière plus générale, le travail reste un peu descriptif. Les études de terrain sont évidemment un apport essentiel mais on aurait aimé connaître les raisons des choix de cinq pays. Ceux-ci sont très hétérogènes et ne renvoient pas nécessairement à des types idéaux représentatifs.

4 Malgré ces limites, cet ouvrage sera très utile, notamment pour les décideurs africains et les étudiants.

5 Philippe HUGON

6 Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS)

Jean HAËNTJENS et Stéphanie LEMOINE

Eco-urbanisme. Défis planétaires, solutions urbaines. Montréal, Ecosociété, 2015, 120 pages.

7 Selon les auteurs de cet ouvrage, l’éco-urbanisme, fondée sur une vision et un projet spatialisé, vise à assurer une cohérence entre les différents systèmes et sous-systèmes composant les villes, afin de mieux répondre aux défis auxquels ces dernières sont confrontées. Les auteurs distinguent cinq grands défis, le défi de la mobilité, de la maîtrise de l’urbanisation, de la résilience dans le cadre d’une polarisation sans précédent des richesses, de la ville incluante (les villes contemporaines étant conçues pour des « actifs mâles motorisés » avec une tendance à exclure les autres catégories sociales, « jeunes, vieux, femmes, enfants, migrants … ») et, enfin, le défi de la gouvernance. Les auteurs analysent de façon détaillée et précise, dans les différents chapitres de leur ouvrage, les réponses techniques et urbanistiques, les réponses économiques et sociétales, ainsi queles réponses politiques et managériales, qui ont été successivement apportées à ces questions. Une présentation, aussi exhaustive que possible, est faite des solutions qui ont été proposées pour résoudre l’ensemble des problèmes soulevés par l’urbanisation (transports, intelligence territoriale etc.). Toutes ces analyses s’appuient sur de nombreux exemples précis. En conclusion, les auteurs abordent la question importante, notamment pour les maires et les responsables locaux, de la vision de la ville et des différents modèles qui lui sont associés, allant de la « ville frugale » à la « mégapole connectée ».

8 Jacques POIROT

9 Université de Lorraine

Catherine WIHTOL de WENDEN

Migrations, une nouvelle donne. Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2016,182 p.

10 Catherine Wihtol de Wenden nous invite à « répondre aux questions qui fragmentent le débat public autour des migrations » (p. 10). Dans ce livre, elle expose le hiatus entre les connaissances des mécanismes migratoires accumulées grâce aux travaux et aux analyses issues des sciences sociales et politiques et les mesures de politiques migratoires mises en œuvre par les États, en particulier européens.

11 Articulé en six chapitres cet ouvrage allie la rigueur du propos scientifique et le soin de rester accessible au plus grand nombre.

12 Le premier chapitre s’attache aux caractéristiques des migrations internationales contemporaines. Elles sont l’illustration d’une « nouvelle donne migratoire » (p. 11) : les profils des migrants sont mouvants, moins cloisonnés, les systèmes migratoires de plus en plus complexes, traduisant une accélération et une mondialisation croissantes. Dans un tel contexte, l’aide au développement dans les pays de départ et le droit d’asile dans les pays d’accueil ne peuvent plus être les seuls instruments économiques et juridiques des États européens.

13 La crise des réfugiés de 2015, analysée dans le deuxième chapitre, est à cet égard dramatiquement révélatrice des tensions qui traversent l’Europe. En rappelant l’histoire du droit d’asile sur le Vieux Contient, l’auteur expose avec clarté que « le réfugié est une construction politique qui échappe à la trilogie État/citoyen/territoire » (p. 50) et pose la question du statut des réfugiés climatiques en regard du droit d’asile. Elle soulève aussi la question des apatrides. En illustrant son propos de cartes et de données chiffrées récentes, Catherine Wihtol de Wenden nous permet de prendre conscience de l’ampleur passée, présente et à venir de ces phénomènes sous le feu de l’actualité.

14 Si l’Union Européenne fait désormais face à ce « défi migratoire » (p. 75), elle peine à y apporter une réponse solidaire dans un contexte marqué par une crispation sécuritaire croissante et des « instruments d’externalisation du contrôle des frontières qui concourent à la criminalisation du passage irrégulier et éloignent l’espace Schengen de sa vocation initiale, celle d’être un espace de liberté et de libre circulation intérieure le plus abouti au monde » (p. 96). Ce troisième chapitre expose avec limpidité les éléments indispensables à la compréhension des contradictions et des apories des politiques européennes en la matière.

15 Dans cette Europe, la France, terre d’immigration depuis la fin du 19ème siècle, est aujourd’hui confrontée à l’enjeu crucial des « deuxième et troisième générations », comme l’expose ce quatrième chapitre qui va au-delà des « débats de chiffres » (p. 104) et insiste sur la question de la citoyenneté et du modèle démocratique français en examinant la question du multiculturalisme.

16 La citoyenneté et la nationalité sont au cœur du cinquième chapitre. Alors que la nationalité est un concept juridique qui repose sur le droit du sol et/ou du sang, la citoyenneté est un concept plus large et évolutif car elle ressortit non seulement à des droits et devoirs mais est aussi un élément du lien social. Les phénomènes de migrations répondent à des logiques plurielles et remettent en question ce concept de citoyenneté, de sorte qu’« [elle] ne peut plus être réduite à une dimension culturelle unidimensionnelle » (p. 128). Les questions des droits humains, du vivre ensemble, s’adressent à des États-nations plus que jamais déboussolés par la mondialisation.

17 La mobilité doit-elle être un droit ? Peut-on être un citoyen du monde ? Ces questions sont à la fois philosophiques, en témoignent les travaux de Kant, Bauman ou Balibar, et politiques, puisqu’elles placent en leur centre la frontière. « Les relations entre frontières et migrations sont indissociablement liées, car il n’y a pas de migration sans frontières traversées, ni de frontières sans transgression liées aux migrations » (p. 146). Dans un monde où les frontières ne sont plus seulement nationales, avec les unions économiques et politiques (Union européenne, Marché commun Sud-Américain), comment penser un régime de gouvernance mondiale des migrations ? Ce dernier chapitre s’attache à proposer des pistes de réflexions autour d’un processus de décision multilatéral et multi-acteurs qui viserait à gérer ce bien public mondial qu’est, selon les termes du Rapport mondial sur le développement humain de 2009, la mobilité. L’apparition, en 2001, et l’examen de la question des migrations au sein des instances internationales depuis lors, reposent sur la relation centrale entre migration et développement et, également, aussi sur la définition et la mise en œuvre de politiques migratoires. Le chemin est semé d’embuches, « la lenteur de la progression du processus de gouvernance mondiale des migrations est liée aux difficultés d’une mobilisation transnationales puissante car elle est portée par des acteurs très disparates […] » (p. 175), mais il reste encore possible d’abandonner un regard sécuritaire sur la migration au profit d’une vision plus humaniste que l’auteur appelle de ses vœux.

18 Catherine Wihtol de Wenden nous donne à lire un propos engagé, mais sans angélisme. Son livre permet de prendre le recul nécessaire, il adopte une approche historique des migrations et des politiques migratoires pour mettre au jour et comprendre, loin des débats politiciens, les difficultés, les contradictions mais aussi les opportunités auxquelles sont et seront confrontés la majorité des pays du monde. Une contribution au débat bienvenue, dans un contexte de vives tensions politiques.

19 Audrey AKNIN

20 CEMOTEV (Centre d’études sur la mondialisation, les conflits, les territoires et les vulnérabilités), Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines/Université de Paris Saclay, France 

Séverine BELLINA

Refonder la légitimité de l’État. Guide pour l’action. Volume 2. Karthala, Collection 4 vents, Paris, 2017, 151 p.

21 Dans un volume précédent, l’auteure a décrit les processus de légitimation du pouvoir politique dans plusieurs pays. Dans ce volume-ci, Séverine Bellina pose les jalons d’une démarche politique consistant à associer les théories et les pratiques, dans un contexte de défiance entre les sociétés et les États. D’où l’idée de réfléchir aux moyens qu’il conviendrait de mettre à la disposition des acteurs (étatiques ou non) pour faire émerger le pluralisme social.

22 L’introduction, de qualité, rappelle qu’au cours de ces dernières années, la légitimité de l’État s’est affaiblie avec, à la clé, une défiance des acteurs et un divorce dans le couple État-sociétés. Le vivre-ensemble est menacé, notamment parce qu’à l’origine, l’État est conçu comme une communauté politique au service de ses ressortissants et non fondée sur un dogme religieux, moral ou économique. En échange de l’ordre public, les individus acceptent librement de renoncer à leur totale liberté. Dès que l’État est mis au service d’autres ordres, traditionnellement la religion, et plus récemment la finance, il vacille. Il faut donc revenir à la « chose publique » (res publica), en garantissant aux peuples une protection, source d’intérêt général et propice à sauvegarder le bien commun, c’est à dire ce qui fait société. D’où la nécessité de l’action publique, la création d’un ordre social et politique, la régulation des tensions, l’intégration des individus et des groupes et la prise en compte de la complexité des processus de coordination.

23 L’ouvrage est structuré autour de trois parties. La première traite de la légitimité de l’autorité politique, qui est au cœur de l’autorité politique et qui est à la fois un phénomène pluriel et interactionniste. La deuxième partie analyse les facteurs favorisant l’action publique plurielle, tandis que la troisième et dernière partie est un guide de cette action. L’auteure y propose cinq notices qui déclinent la matrice de l’action publique, matrice orientée vers l’action, étant entendu, selon les dires de l’auteure, que l’ouvrage ne se veut pas universitaire.

24 S’en suivent une classification des légitimités (par les procédures, par les résultats ou symbolique), une illustration des composantes des sources de légitimité (régulation traditionnelle, étatique, par la violence ou religieuse), des cas précis d’interactions entre les premières et les secondes précitées. L’ouvrage propose finalement une méthodologie pratique de la légitimité en posant les jalons d’une démarche politique et d’une mise en œuvre de « l’action publique plurielle ». L’auteure renvoie le lecteur à des exemples issus notamment des terrains africains. On comprend mieux ainsi dans la conclusion les raisons qui l’ont poussée, il y a dix ans, à réfléchir au divorce croissant entre populations et État formel dans les pays postcoloniaux.

25 Au final, l’ouvrage, qui s’adresse avant tout à des initiés, est utile pour traiter des interrogations relatives au champ politique. Dans un contexte de montée des violences, des rejets, des populismes, des replis sur soi, il est de ce point de vue le bienvenu. Il montre la nécessité de protéger les populations tout en pointant le désenchantement des peuples envers le Politique.

26 On aurait apprécié que l’action politique, tant au niveau de l’État que des autres acteurs institutionnels, soit également appréhendée (à défaut d’être analysée) en recourant aux travaux de l’économie publique, qui a le grand avantage de rappeler qu’il est impératif que le décideur public soit autonome afin qu’il puisse échapper à toute forme de pression ou de lobbying. De même, les travaux de l’École du choix public ont montré que les partis politiques sont mus par des considérations électorales et les entreprises par des considérations économiques, à tel point qu’elles peuvent tenter d’être protégées de la concurrence de sorte que leurs intérêts peuvent parfaitement être compatibles avec ceux des responsables politiques, mais pas nécessairement avec les intérêts du plus grand nombre. Citons encore la nouvelle économie publique qui cherche à pointer les défauts du réglementeur (l’asymétrie d’information, l’intérêt personnel du réglementeur, ou encore, son degré relatif de crédibilité) et la manière de les corriger. Enfin, il ne faut pas oublier les travaux de Coase (1960) en raison des coûts de transaction liés à la coordination des agents économiques. Coase ne justifie l’intervention de l’État que lorsque les coûts de transaction sont inférieurs à toute autre solution. De plus, ces coûts doivent être inférieurs aux bénéfices de l’action ou de la décision, à défaut de quoi l’intervention publique conduirait à une réduction de la richesse.

27 In fine, l’intervention de l’autorité publique n’est pas acquise à l’avance : elle ne va pas de soi. Cela ne signifie en rien qu’il faille l’ignorer, encore moins la prohiber. C’est bien là le premier mérite de cet ouvrage qui intéressera toutes celles et ceux soucieux, à juste titre, de l’espace public et politique.

28 Jean-Claude VÉREZ

29 LEAD, Université de Toulon.

30 ***

Mis en ligne sur Cairn.info le 27/06/2017
https://doi.org/10.3917/med.178.0155
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