Article
1. Je n’ai pas l’habitude de me justifier, mais puisque tu me le demandes ! Je n’ai pas choisi de devenir ce que je suis. Si j’étais né dans un beau quartier, je serais peut-être devenu chef d’entreprise ou ingénieur. J’ai commencé très jeune, en chapardant, et puis j’ai volé la caisse du premier couvreur qui m’avait embauché parce qu’il avait maltraité sous mes yeux un copain ouvrier.
Tout gosse, j’ai fonctionné avec les jeunes de mon quartier. Tu connais tout le monde et tout le monde te connaît, c’est ça l’avantage. Quand un étranger approche, on le repère tout de suite, encore plus vite si c’est un condé. Quand je dis « étranger », ce n’est pas seulement qu’il n’a pas grandi dans le quartier : c’est qu’il ne fait pas partie de la famille ! Mais là encore il faut que je précise : les liens ne sont pas ceux du sang, nous partageons le même territoire, point final. En grandissant, tu entres dans une vraie équipe. C’est naturel, automatique. Les membres de l’équipe te protègent et tu les protèges. Si l’un d’entre eux a des ennuis, tu voles à son secours. Je l’ai vu le jour où les condés sont venus me chercher pour la première fois. C’était en pleine journée. Deux de mes équipiers ont commencé à faire du grabuge, les voisins sont descendus dans la rue. Profitant du mouvement de foule, je me suis arraché. Les condés m’ont tiré dessus, sans m’atteindre.
Bien sûr que l’on prend plaisir à être ensemble ! C’est bon de se partager des liasses de billets après avoir planqué pendant des jours …
Auteur
Frédéric Ploquin est auteur de la trilogie Parrains et caïds, Fayard. Dernier titre paru : Le Sang des caïds. Les règlements de comptes dans l’œil de la PJ (mars 2009).
- Mis en ligne sur Cairn.info le 15/01/2013
- https://doi.org/10.3917/mediu.020.0335