CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Comment un si petit pays arrive-t-il à focaliser ainsi l’attention internationale ? À l’exclusion d’Israël, qui bat tous les records au niveau du poids du papier, livres et articles se succèdent sur le pays du Cèdre depuis la guerre civile (1975), et même avant. De fait, dans l’équilibre instable du Proche-Orient, le Liban occupe une place de choix. Son existence sur cette zone côtière chargée d’histoire est un enjeu toujours renouvelé. Issu du découpage des dépouilles de l’Empire ottoman, il a été une création stratégique de la France et concurremment une revendication territoriale de la Syrie (qui a vécu son indépendance comme une amputation). Plus tard, les puissances s’affrontèrent, soit pour le protéger, soit pour le faire tomber. La création de l’État d’Israël, puis l’arrivée massive et armée des Palestiniens, mit à mal le fragile équilibre confessionnel qui avait présidé à la réunion de communautés disparates ou, à tout le moins, au-delà des différences religieuses, animées d’intérêts divergents.

2La fin de la guerre civile en 1990, marquée par la fin du réduit chrétien et la victoire politique et militaire de la Syrie, ouvrait une ère relative de stabilité et de reconstruction : contrôle politique syrien, influence économique saoudite par l’entremise du Premier ministre Rafic Hariri, développement de la puissance du Hezbollah soutenu par l’Iran. L’assassinat de Hariri suivi du retrait militaire syrien ouvrit une première brèche dans l’équilibre. Mais la guerre des 33 jours entre Israël et le Hezbollah de 2006 – que le Parti de Dieu ne perdit pas – modifia le rapport de force interne. Depuis cette date, le Liban court à la recherche d’un nouveau compromis politique : modification de la représentation confessionnelle gravée dans le marbre depuis l’indépendance ; prise de contrôle complète par le Hezbollah via le rapport démographique ; redéfinition d’une nouvelle voie avec l’appui de l’Arabie Saoudite… Dans cet écheveau complexe, les acteurs extérieurs sont à la fois des joueurs et des pions. La menace militaire israélienne est évoquée avec raison comme l’avenir insurpassable du Liban – et, de fait, dans l’esprit des décideurs israéliens, il n’y aura pas de deuxième insuccès contre le Hezbollah. Le Tribunal international en charge de l’affaire Hariri a déplacé les soupçons des services syriens vers cette organisation, faisant éclater la coalition gouvernementale, et a conduit à des menaces de plus en plus explicites de la part des troupes de son leader Nasrallah. Enfin, les autres acteurs tentent de trouver leur place dans une recomposition politique qu’ils souhaitent taillée à leurs mesures : les sunnites soutenus par les Saoudiens et Hariri ; le général Aoun et sa nouvelle alliance prosyrienne ; les islamistes radicaux sunnites qui cherchent à opposer une alternative stratégique à la toute puissance du Hezbollah. C’est dans cette ambiance délétère que se succèdent élections et démissions – appels à l’unité et imprécations et un tout récent coup de force institutionnel du Hezbollah imposant son Premier ministre et faisant corrélativement éclater le précaire équilibre dans le déséquilibre…

3C’est pour essayer de mieux comprendre ce complexe rhizome que Pierre Berthelot, Hiam Mouannès, Daniel Meier et Fouad Ilias proposent une lecture de la situation libanaise à travers le prisme des élections, des accords fragiles bénis par des puissances fortes de lourds sous-entendus et des recompositions politiques et stratégiques perpétuelles.

4Ce numéro se double de la continuation du dossier sur le colonialisme britannique engagé dans le numéro 204. Ce sont de nouveaux aspects de cette présence à l’impact considérable, étalée, selon les endroits, sur trois cents ans d’influence que nous proposons aujourd’hui. Martin Bunton révèle les efforts britanniques pour tenter de moderniser l’État égyptien en donnant une assiette cohérente à la fiscalité rurale par la rationnalisation de l’arpentage des terres arables dont le mode de calcul remontait à la plus haute antiquité au rythme des crues du Nil. Yoav Alon interroge l’œuvre de Glubb Pacha dans la constitution de la Jordanie moderne et réhabilite un personnage à l’image très altérée après les années 1960 et largement tombé dans l’oubli aujourd’hui. Peter Hinchcliffe analyse l’impact de l’opération Mousquetaire Révisé, l’opération franco-anglaise sur le Canal de Suez en 1956 : son organisation, ses buts, sa réalisation et surtout les conséquences du désastre consécutif au retrait sans gloire des forces sous la pression conjuguée des Américains et des Britanniques. Enfin, Uzi Rabi étudie, dans un article incisif et fouillé, la spécificité de la présence et de l’action britannique dans le golfe Arabo-persique. Il montre combien cette relation toute particulière a influé sur la structure géopolitique et dessiné les contours d’une situation politico-stratégique qui perdure jusqu’à aujourd’hui.

5Bonne lecture.

Jean-François Daguzan [*]
  • [*]
    Jean-François Daguzan est rédacteur en chef de la revue Maghreb-Machrek.
Mis en ligne sur Cairn.info le 19/10/2013
https://doi.org/10.3917/machr.205.0005
Pour citer cet article
Distribution électronique Cairn.info pour ESKA © ESKA. Tous droits réservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent article, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.
keyboard_arrow_up
Chargement
Chargement en cours.
Veuillez patienter...