CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Entre-deux-guerres : peu de chrononymes sont parvenus à s’imposer avec une telle force d’évidence, à faire sens et donc « époque » pour tant de langues et de cultures différentes, y compris pour des nations qui ne participèrent pas, ou à peine, aux deux conflits qui lui servent de bornes [1]. Car il n’est guère d’ambiguïté sur la période de référence. Si les dates peuvent fluctuer quelque peu, surtout au regard du terminus ad quem, l’expression est aujourd’hui unanimement utilisée pour désigner la séquence séparant la Première de la Seconde Guerre mondiale [2]. Une telle convergence tient bien sûr à l’énormité de ces deux événements dans l’histoire du monde : le franchissement de seuils qu’ils suscitèrent en termes de violence et d’horreur, les traumatismes qu’ils engendrèrent, les conséquences tragiques qu’ils eurent sur le cours du xxe siècle. Elle nous dit aussi la place que la guerre, et plus encore la guerre mondiale, la guerre totale, occupe – légitimement sans doute – dans l’appréhension du temps historique. Pourtant, cette apparente évidence dissimule de nombreux implicites qui en minent pour partie la portée. Elle occulte d’abord l’existence d’autres entre-deux-guerres que toute historiographie sensible aux représentations dont se dotent les sociétés ne peut ignorer. Elle peine par ailleurs à rendre compte de toute la séquence qu’elle entend désigner, et tend souvent à se réduire aux seules « années trente » des sociétés occidentales. Elle n’échappe pas, enfin, aux lectures téléologiques qui la transforment en recherche sinon des « responsabilités », du moins de la myopie de contemporains qui ne surent pas voir la « montée des périls ». On s’interrogera pour finir sur la signification singulière que l’expression a pu prendre en France, où elle s’est implantée plus vite et plus profondément qu’ailleurs.

Émergence

2C’est cependant en France que débute aussi l’enquête, car en ce pays, profondément meurtri par la défaite de 1871 et la perte des provinces de l’Est, l’entre-deux-guerres a existé bien avant la Seconde Guerre mondiale. L’expression a d’abord désigné les années séparant la guerre franco-prussienne de l’offensive d’août 14. On en doit l’une des premières occurrences à Léon Daudet qui sous-titra ainsi la troisième série de ses Souvenirs des milieux littéraires…, parus en 1915 [3]. La fenêtre qu’il désignait ainsi était étroite : « il me paraît que ce titre, l’Entre-deux-guerres, caractérise bien la morne période qui va de 1890 à 1904, de l’échec du Boulangisme à la fin de la ligue de la Patrie française. » Marquée pour le romancier par « un fond général d’anarchie et de somnolence dans les esprits » et par « l’influence délétère des juifs », cette courte période précède selon lui « l’avant-guerre », la reprise en main du pays qu’il ressent à compter de la crise de Tanger (1905), au temps d’Agathon et des Jeunes gens d’aujourd’hui[4]. Mais une telle découpe ne fit guère d’émules. Pour les nombreux auteurs et publicistes qui s’emparent de l’expression au lendemain de l’armistice de 1918, il est clair qu’elle désigne plus largement les quatre premières décennies de la IIIe République. Beaucoup évoquent alors le lien invisible qui unit les combattants des deux guerres ou le drapeau de Reichshoffen, « un drapeau dont les plis sont lourds de l’histoire des deux guerres et de l’entre-deux-guerres » [5]. L’ancien zouave Louis Botti invite à « tendre la main, par-dessus la masse égoïste des entre-deux-guerres, à nos aînés de 1870-71 » [6]. Les nécrologies en sont grandes consommatrices. « Il n’y a pas d’écrivains qui aient eu sur la formation des âmes de notre génération d’entre deux guerres une plus réelle influence », écrit Gabrielle Reval au lendemain de la mort d’Anatole France [7]. La publication des souvenirs de la belle Otero ou l’érection d’un monument à Edmond Rostand sont autant d’occasions de célébrer « cette époque bénie d’entre-deux-guerres » [8]. Mais la plasticité de l’expression demeure forte : si elle relève parfois de la nostalgie et contribue en cela à ériger peu à peu l’imaginaire Belle Époque, elle prend chez d’autres des significations différentes. Certaines études historiques l’utilisent comme un simple marqueur chronologique [9]. D’autres, optimistes comme Marcel Prévost, se réjouissent que les jeunes d’aujourd’hui aient perdu la mentalité satisfaite et rentière de ceux de l’entre-deux-guerres [10]. Mais il est aussi, dès les années 1920, des usages du syntagme qui tournent le dos à la nostalgie pour se tourner vers l’avenir. Avenir sombre, quand Joseph Reinach déplore en 1919 que les « boudeurs de la gloire », adversaires des traités, n’y voient « qu’une paix plâtrée de plus, une trêve mal bâclée entre-deux-guerres », ou lorsque le délégué britannique à la conférence financière internationale de Bruxelles, M. Brandt, craint en septembre 1920 que la paix actuelle ne dessine « qu’un entr’acte entre-deux-guerres » [11]. Mais avenir radieux pour d’autres, tel Jacques Doriot, alors secrétaire général des Jeunesses communistes, qui publie en 1923, sous le pseudonyme de Jacques Guilleau, une brochure intitulée Entre-deux-guerres[12]. Rédigé à Moscou dans le cadre d’une campagne d’agitation contre le militarisme, le texte ironise sur « la dernière des guerres ». Tandis que « le régime capitaliste se prépare à la guerre », qui est sa véritable nature [13], et que les « brigands associés d’hier » s’entre-déchirent aujourd’hui, il ne reste aux militants ouvriers qu’à se préparer à la grève générale et à la guerre révolutionnaire. Quittons la France un instant. Pour le psychologue américain James Mark Baldwin, né en 1861 et fondateur en 1895 de The Psychological Review, l’entre-deux-guerres qu’il mobilise dans ses mémoires est celui qui sépare la guerre civile du premier conflit mondial  [14]. Nul doute que d’autres enquêtes, menées en d’autres langues, feraient surgir d’autres acceptions du chrononyme. Toutes n’eurent pas la même fortune, loin s’en faut, mais on perçoit à les évoquer combien elles importent aussi à qui souhaite échapper à la vulgate historiographique pour sonder au plus près la complexe historicité d’un temps.

3Reste que, bien sûr, dès les déclarations de guerre de septembre 1939, c’est aux vingt années qui viennent de s’écouler, à cette séquence 19-39, ronde et facilement mémorisable, que « l’entre-deux-guerres » se réfère exclusivement. On est d’ailleurs frappé de la rapidité avec laquelle l’expression surgit et se banalise, dès ce moment de suspens qui caractérise les premiers temps du conflit et de la drôle de guerre. Le 1er janvier 1940, un journaliste raille « les beaux après-midi de l’entre-deux-guerres » [sic]. En avril, des chroniqueurs évoquent « l’Europe bouillonnante de l’entre-deux-guerres » ou les douceurs d’un « entre-deux-guerres » qui a par trop ramolli l’énergie des Français [15]. Au lendemain de la défaite, l’expression est sur toutes les lèvres, comme s’il fallait marquer avec plus d’insistance encore qu’une page était brutalement tournée. Mais deux usages différents en sont faits. Le premier, sur lequel je reviendrai plus longuement, entendait isoler une séquence « coupable » d’avoir mené à la catastrophe et exigeait que l’on en désigne les responsables. Le second, de nature plus descriptive, se contentait d’utiliser le chrononyme à des fins de commode datation. Une séquence révolue, aisément circonscrite, un moment aux contours clairs, pouvait faire l’objet d’une étude « objective ». Ce n’est donc pas un hasard si économistes et statisticiens sont les premiers à l’utiliser. Alfred Sauvy et Pierre Depoid, tous deux chercheurs à la Statistique de France, publient ainsi une étude consacrée à l’évolution du pouvoir d’achat de plusieurs catégories de salariés « entre les deux guerres » [16]. Les auteurs justifient la séquence retenue au regard de la documentation disponible. « En septembre 1939 commençait une nouvelle période qui ne pouvait être étudiée que séparément, ne serait-ce qu’en raison de l’interruption de certaines statistiques [17] ». En amont, l’étude commence en 1928, année de stabilisation du franc, mais ne s’interdit pas d’offrir quelques plus amples perspectives (« il a paru utile de donner un aperçu sur les variations du pouvoir d’achat depuis 1914 [18] ») Mais seul le titre de l’étude porte mention d’entre-deux-guerres, simple cadre et repère « objectif ».

4De tels usages sont également ceux qu’utilisent dès 1940 les enquêtes économiques et financières internationales. C’est le cas de nombreuses brochures publiées en 1942 à l’initiative de la Société des nations à Genève, en français comme en anglais où se généralise la notion d’interwar period[19]. La même expression, utilisée pour caractériser la double décennie 1919-1939, se diffuse dans les publications économiques, commerciales et financières officielles aux États-Unis, Canada, Angleterre à compter de 1943 [20]. Le même sentiment d’« objectivité » guide les historiens, principalement ceux de la littérature, qui multiplient les ouvrages ou anthologies sur ce moment explicitement désigné d’entre-deux-guerres. Co-fondateur avec Paul Hazard de la Revue de littérature comparée, professeur à la Sorbonne et dans de nombreuses universités américaines, Fernand Baldensperger enseigne à l’Université de Los Angeles quand débute le second conflit mondial. C’est là, en décembre 1940, qu’il achève sa Littérature française entre les deux guerres, 1919-1939, essai dans lequel il affirme ne rechercher en rien « la responsabilité des maîtres »  [21]. Ces vingt années (qu’il tente p. 110 de nommer « l’Entre-Guerres ») lui apparaissent principalement comme une mesure commode. Autre universitaire français installé aux États-Unis (il enseigne depuis 1935 au lycée français de New York), Pierre Brodin contribue avec quelques autres à fonder dans cette ville, grâce à l’aide de la fondation Rockefeller et de la New School for Social Research, l’École libre des Hautes Études, foyer de résistance intellectuelle destiné à accueillir les intellectuels réfugiés d’Europe. Il publie l’année suivante chez l’éditeur québécois Bernard Valiquette un essai consacré aux Écrivains français de l’entre-deux-guerres[22]. La séquence l’inspire tant qu’il lui consacre dans la foulée deux autres ouvrages, l’un intitulé Maîtres et témoins de l’entre-deux-guerres, l’autre Les Écrivains américains de l’entre-deux-guerres[23]. Rédigés en pleine guerre, ces bilans, souvent sévères, investissent sans états d’âme une séquence dûment nommée (l’entre-deux-guerres) et datée (1919-1939) et dont il s’agit précisément de dégager les caractères singuliers. Ce sentiment semble partagé en matière d’histoire littéraire. La journaliste et critique littéraire belge Germaine Sneyers publie de la même manière en 1941 une étude consacrée aux Romanciers d’entre deux guerres (à propos de « la génération perdue de l’entre-deux-guerres »), et plusieurs autres études ou anthologies publiées durant la guerre vont dans le même sens [24]. La palme revient sans doute à André Breton, qui propose aux étudiants français réunis à l’Université de Yale le 10 décembre 1942 une conférence intitulée « La situation du surréalisme entre les deux guerres », dans laquelle il explique que ce mouvement, son mouvement, est le seul à avoir couvert pleinement la distance séparant les deux guerres. Né en 1919 avec la publication dans la revue Littérature des premiers chapitres des Champs Magnétiques, il aboutit « vingt ans après, sur le plan littéraire, à l’apparition du Château d’Argol de Julien Gracq où sans doute pour la première fois, le surréalisme se retourne librement sur lui-même pour se confronter avec les grandes expériences sensibles du passé et évaluer, tant sous l’angle de l’émotion que sous celui de la clairvoyance, ce qu’a été l’entendue de sa conquête » [25].

Interrogations

5L’importance de la Seconde Guerre mondiale dans l’histoire du monde contribua à diffuser d’autant plus vite l’expression que celle-ci signifiait autant les erreurs de l’ancien monde qu’elle annonçait un futur moins funeste. L’entre-deux-guerres, c’était hier. Le chrononyme se généralisa donc assez vite dans la seconde moitié du xxe siècle, comme naturalisé dans le moule ordinaire des périodisations. Cours, livres, colloques, documentaires, manuels, le mobilisèrent à tout-va et l’expression fut communément entendue. Elle pose pourtant à l’historien un certain nombre de questions.

6L’une des premières concerne la capacité de la guerre, enfermée dans ses datations officielles, à constituer un marqueur radical ou absolu. L’idée est bien sûr compréhensible. Les ruptures biographiques et sociales que produisent les guerres – a fortiori lorsqu’elles ont l’ampleur et la violence des deux conflits mondiaux – sont si intenses qu’elles tendent à faire de leurs débuts et de leurs fins des césures impérieuses. Les réalités sont pourtant plus complexes. Que chaque conflit soit préparé en amont par de longues veillées d’armes, voire ponctué de guerres annonciatrices, est une évidence que l’historiographie, tout à la recherche des « causes » puis des « origines », a soulignée de longue date. Toutes les réflexions sur l’orage d’août 1914 récapitulent cette longue marche à la guerre sensible depuis les crises de Tanger et d’Agadir et plus encore depuis les guerres balkaniques de 1912-1913. Le phénomène est encore plus net pour la Seconde Guerre mondiale, dont les prodromes sont clairement analysés à compter de janvier 1933. Mais ce n’est que plus récemment que fut mise au jour la complexité des « sorties de guerre » [26]. Car si armistices et capitulations bornent conventionnellement le temps historique (d’autant qu’elles coïncident souvent avec des ruptures politiques fortes, comme c’est le cas de l’Allemagne de 1918 ou de 1945), un conflit se termine rarement brutalement. Au lendemain du 11 novembre 1918, la guerre dura plusieurs années encore, au moins jusqu’en 1923. En 1945, les guerres coloniales prirent immédiatement le relais, bientôt rattrapées par la guerre froide. Et même dans les zones où les armes se taisent, la fin d’une guerre n’est jamais immédiate, ni absolue : démobilisations, retour des prisonniers, des réfugiés, des exilés, destructions et reconstructions créent d’infinies situations intermédiaires, parfois suspendues entre la guerre et la paix. Le retour au statu quo antérieur est toujours une illusion. En 1918 comme en 1945, après-guerre et avant-guerre semblent se télescoper de façon continue, rendant plus incertaine la notion même d’entre-deux-guerres. C’est pourquoi certains politistes, soulignant les frontières incertaines de la guerre et de la paix ou les (dis) continuités de nombreux conflits contemporains, ont suggéré l’expression « entre-guerre » pour décrire ces situations [27].

7Des lectures historiques ont bien entendu insisté sur certaines de ces continuités. C’est toute la thématique de la « seconde Guerre de Trente ans », que Charles de Gaulle est l’un des premiers à suggérer. « La guerre contre l’Allemagne a commencé en 1914, déclare-t-il dans son célèbre discours du 17 septembre 1941 sur Radio Londres, le monde fait la guerre de Trente ans, pour ou contre la domination universelle du germanisme. » Winston Churchill lui emboîte le pas quelques années plus tard, en évoquant dans une lettre à Staline une « seconde guerre de Trente ans » commencée en 1914. Il la reprendra dans The Gathering Storm, qu’il publie en 1948, puis la même année lors du Congrès Européen de La Haye où évoque « la seconde guerre de Trente Ans que nous venons de traverser ». De Gaulle, lui, reprend et élargit encore l’idée dans le discours qu’il prononce à Bar-le-Duc le 28 juillet 1946. « Ceux des nôtres qui, naguère, attaquèrent sur la Marne, sur l’Yser ou sur le Vardar, ne différaient en rien de ceux qui, hier, s’accrochaient à la Somme, s’acharnaient à Bir-Hakeim, prenaient Rome, défendaient le Vercors ou libéraient l’Alsace. » Utilisée par Raymond Aron, puis par de nombreux historiens, une telle idée sous-tend la notion de « guerre civile européenne » qu’avec des intentions différentes, des historiens comme Ernst Nolte, Enzo Traverso ou Ian Kershaw ont développé à la fin du xxe siècle [28]. Fondées sur la récurrence des camps et la force des références mémorielles, ces lectures militaro-politiques furent discutées et parfois âprement récusées, mais elles contribuèrent, en faisant de la séquence 1914-1945 un horizon indépassable, à lester d’une sorte de validité paradoxale la notion d’entre-deux-guerres.

8Elles invitaient cependant à s’interroger aussi sur l’homogénéité d’une séquence, dont la linéarité est rien moins qu’évidente. Toute analyse sérieuse de la période insiste à l’inverse sur la césure majeure que constitue la grande crise économique. Scindant la période en deux décades parfaites et pleinement antithétiques, elle oppose des années 1920 de reconstruction, de croissance et de dynamisme culturel à des années 1930 de crise économique, sociale et politique qui précipitent l’Europe dans une nouvelle guerre. Cette différence est particulièrement notable en Allemagne, pourtant censée être au cœur de cette nouvelle Guerre de Trente ans. S’il est évident que les nazis exploitèrent les sentiments d’humiliation et le fonds de représentations issu de la Grande Guerre, comme la figure du Frontsoldier[29], on sait aussi combien Weimar, passé le premier cap difficile, fut le lieu d’un dynamisme culturel et d’un optimisme économique et technologique qui n’annonçaient en rien la reprise d’une guerre. Le phénomène est similaire aux États-Unis : à une décade 1920 vécue comme un moment extraordinaire, portée par une croissance et des traits culturels remarquables succéda, au lendemain du Black Thursday d’octobre 1929, cataclysme absolu pour la plupart des Américains, une séquence radicalement autre : « crise de l’ordre ancien », émergence à compter de 1933 d’une ère nouvelle marquée par la figure de Roosevelt bien sûr, mais surtout par la rupture du New Deal et du Welfare state. Dans le sillage de l’œuvre d’Arthur Schlesinger, une large partie de l’historiographie américaine a clairement problématisé cette rupture essentielle [30]. En France même, la décennie 1930 est marquée par un sentiment radical d’altérité. Décadence de la nation française, diagnostiquent Robert Aron et Arnaud Dandieu dès 1931, « fin de l’après-guerre » pointe Brasillach l’année suivante, Années tournantes renchérit Daniel-Rops en 1932. De droite initialement, mais bientôt de tout le spectre politique émane le sentiment d’une époque terne, maussade, pessimiste, déprimée, dangereuse, que de la pensée « non-conformiste » au Front Populaire on s’employa à circonscrire [31]. Les chrononymes, qui opposent des « années folles » ou « rugissantes » à de simples années de crise, nous racontent bien la même histoire. Le résultat est étonnant, qui ramasse en quelque sorte « l’entre-deux-guerres » sur les seules années trente, lesquelles n’ont par ailleurs pas produit de chrononyme spécifique.

9D’emblée surtout, l’expression en vint, presque mécaniquement, à valoir pour recherche rétrospective – et jugement – des responsabilités et des fautes d’hier. On peut évidemment comprendre qu’un évènement aussi terrible et traumatisant que la Seconde Guerre mondiale pousse à comprendre les raisons qui ont conduit jusque-là. Mais qu’une telle opération – légitime pour les contemporains – le devienne pour l’histoire et qu’elle puisse du même coup permettre de saisir un hypothétique « esprit du temps » est beaucoup plus discutable tant elle s’inscrit dans une rétrospection téléologique qui vient masquer les appréciations effectives du temps historique. Réduite à la traque des erreurs, des trahisons ou des occasions manquées, cette obsession de dénoncer les responsables du drame risque en permanence le contresens. Sartre le perçoit assez clairement dans l’un des carnets tenus à Morsbronn, en Alsace, en février 1940 : il proteste contre l’illusion rétrospective qu’il y aurait à faire des années 1920-1930 « une époque détraquée, affolée, déséquilibrée », un temps de démission où tout ferait symptôme, où tout annonçait le désastre imminent [32]. « Il va être de mode de chercher, à la lumière des événements actuels, tous les signes de la décomposition dans la France de 1920 à 1935. On va y voir une période sinistre d’épuisement, de déracinement, [coupée de rares] petites accalmies [fiévreuses], d’une époque de démoralisation et de destruction ». Or cette représentation, poursuit Sartre, est fausse. Les troubles et convulsions ne justifient pas que l’on disqualifie, en sacrifiant aux tentations simplificatrices des scénarios téléologiques, « la douceur de la vie », « l’atmosphère unique de force et de gaîté intellectuelle », « l’admirable foisonnement d’idées et d’œuvres de la période 18-28 », ce qui à nier et occulter « la véritable liberté dont les gens ont joui alors ». Ce dernier point est capital : la liberté des acteurs historique ne peut être soluble dans la rétrospection critique.

10Les auteurs les plus « objectifs » ne peuvent échapper à cette lecture commandée par l’usage de l’expression. Bien qu’il affirme ne rechercher en rien « la responsabilité des maîtres » Fernand Baldensperger ne peut s’empêcher de pointer les « manquements » de cette génération : individualisme, oubli du civique, manque d’héroïsme, « n’avoir su imaginer aucun « mythe » dominant pour succéder à ceux que follement on avait décrétés serrans et vieillots » [33]. Même démarche chez Pierre Brodin qui, dans son bilan de la littérature américaine, traque le scepticisme, la trivialité, le cynisme démoralisateur des auteurs de la génération perdue. « Ils ont perdu toute foi dans la bonté divine et humaine. Ils ont vu dans la vie un « trou noir » et stupide » [34]. De fait, la recherche des responsabilités s’impose inéluctablement dès lors que l’on mobilise l’expression. La prolifération dans la décennie 1940 d’enquêtes économiques et financières internationales sur the interwar period va dans le même sens : souligner l’inefficacité et « tirer des leçons » de l’échec des plans mis en œuvre par la SDN pour mieux justifier les espérances de l’ONU. Aux États-Unis, se placer dans la post-war et critiquer la politique de Roosevelt, comme le fait Clinton Hartley Grattan en 1946 dans un article du Harper’s Magazine[35].

11Parce que l’après-guerre s’impose naturellement comme une utopie, comme le moment et le lieu de toutes les espérances, du « plus jamais ça », comme l’ouverture d’un horizon meilleur, l’avant-guerre est en retour chargé de tous les maux et de toutes les responsabilités. Il a conduit à la catastrophe. Que cet avant-guerre soit lui-même un après-guerre, comme c’est le cas dans les années 1920-1930, transforme cette séquence en scandale moral et politique qui peut empêcher d’en saisir la nature et les caractères propres. Le cas français offre un bon exemple de ces aveuglements.

Singularités

12Dès la « drôle de guerre » (dont la naissance est curieusement synchrone de celle d’« entre-deux-guerres »), mais plus encore au lendemain de la défaite de juin 1940 se diffuse une compréhension beaucoup plus subjective et « idéologique » de la notion. Il s’agit, comme l’explique André Billy dans Le Figaro du 20 septembre 1940, « de mettre en cause les mœurs et les idées trop molles et trop relâchées pratiquées par les Français durant les vingt années de l’entre-deux-guerres ». Si Billy prend rapidement ses distances avec une telle démarche, tout entière vouée à stigmatiser « l’esprit de jouissance » des années passées, d’autres n’auront pas cette prudence. Une vulgate, fortement teintée de maréchalisme, dénonce à longueur de colonnes « les plaisirs frelatés » et « le lourd reliquat […] des vingt années d’entre deux guerres » [36]. L’expression en vient à synthétiser toutes les occasions, les énergies, les ambitions perdues, ainsi que les manœuvres ou tromperies de ceux qui les exploitèrent. « De 1918 à 1939, écrit le journaliste Pierre Ladignac dans Paris-Soir, tous les gens de tous les partis nous avaient trompés pour les besoins de leur propre cause. « La lune, vous l’aurez ! » C’est un fait que nous nagions en pleine stratosphère. […] Entre-deux-guerres, nous avions croqué la pomme de la facilité, une pomme exquise qui ne manquait pas de pépins [37]. » Au-delà même, renchérit un éditorialiste, toute « la pensée française s’était figée, pendant l’entre-deux-guerres, dans un conservatisme petit bourgeois, dans une sorte de stérilité intellectuelle » [38]. Sans doute quelques esprits moins chagrins s’employèrent-ils à défendre la production, principalement littéraire, des années passées. Pourtant membre de l’Action française et proche de nombreux collaborationnistes, Kléber Haedens déplore dans Le Figaro (2 novembre 1940) que « tout ce qui est français subi [sse] le dur contrecoup de la défaite. […]. Il est curieux de voir comme on lorgne la littérature de l’entre-deux-guerres, avec l’espoir de la trouver pervertie par des manifestations suspectes, comme on sème le doute sur la valeur d’écrivains hier encore admirés par tout le monde à la faveur de la confusion générale. » Jacques Robert, lui, évoque en septembre 1942 la production romanesque de « notre illustre entre-deux-guerres » [39]. Mais ces positions restent marginales. L’expression « entre-deux-guerres » reste chargée d’une suspicion généralisée, comme si elle portait en elle tout le fardeau de la débâcle. À la veille de l’installation à Riom de la Cour suprême de justice chargée d’instruire le procès des « responsables » de la défaite, le journaliste Pierre Dominique, futur directeur de l’Office français d’informations, explique sa mission dans Le Journal : pas se contenter des évènements de 1939-1940, mais remonter beaucoup plus haut dans la recherche des responsabilités. « Et pour tout dire, les dix dernières années de la période d’entre deux guerres seront fouillées à fond » [40].

13Si une telle démarche visait évidemment, au regard des autorités de Vichy et des milieux de la collaboration, à incriminer le Front Populaire, l’ampleur de la défaite et le sentiment qu’une ère venait de s’achever invitaient plus largement à un examen de conscience, qui prenait nécessairement la voie d’une analyse rétrospective, et critique, des années écoulées. C’est, dans deux directions différentes, le sens de L’Étrange défaite, que l’historien Marc Bloch, ancien combattant et résistant, rédige à Guéret de juillet à septembre 1940, et celui d’À échelle humaine, que Léon Blum, l’un des principaux accusés du procès de Riom, achève en décembre 1941 [41]. « Pour présenter l’entre-deux-guerres comme un temps de jouissance facile, alors que ce fut le plus souvent, et pour la plupart des Français, un temps d’épreuve laborieuse, il faut vraiment travestir l’histoire jusqu’à la dérision [42] », écrit Blum. S’il pointe évidemment les erreurs, les illusions ou les responsabilités de ces « vingt et quelques années » et affirme lui aussi la nécessité d’une réforme intellectuelle et morale, il entend surtout démonter le faux procès fait par Vichy à la République et à la démocratie. L’analyse de Marc Bloch est plus pénétrante encore. Si la première partie de son texte est un réquisitoire contre l’État-major de 1939-1940, ses erreurs et l’inanité de sa réflexion stratégique, la suite du texte l’entraîne lui aussi vers une relecture critique des années écoulées. Moins que l’entre-deux-guerres (il n’utilise pas l’expression, lui préférant « l’intervalle des deux guerres » [43]), ce qu’il met en lumière est l’ombre portée d’une guerre sur l’autre. Par-delà le conservatisme des élites, les blocages ou les méfaits précoces de « toute une littérature du renoncement », il montre surtout comment les horloges de ce pays s’étaient comme figées en 1918. La prégnance du pacifisme, la pré­sence obses­sionnelle des souvenirs et des représenta­tions de 14-18 et l’impuis­sance à en dé­passer l’expé­rience expliquent largement – et jusque dans l’appel aux « reve­nants » qu’étaient Weygand ou Pé­tain – la dé­faite et la sou­mission de 1940. C’est donc moins un « entre-deux-guerres » que Bloch met en lumière qu’un pays pour partie immobilisé, et comme suspendu à l’expérience de ce que Jean-Baptiste Duroselle appela avec raison La Grande Guerre des Français[44].

14La littérature, comme toujours, en offre une pertinente mise en perspective, qui permet de mieux saisir cette compréhension singulière de la notion d’entre-deux-guerres. On sait combien l’écriture des années 1930 (de l’entre-deux-guerres donc) fut marquée par un retour général à des formes plus concrètes, sociales, référentielles. Les grands cycles romanesques qui s’y déploient ou s’y achèvent (Les Thibault, Le Monde réel, Les Hommes de bonne volonté, Chronique des Pasquier, etc.) sont évidemment tous hantés par la question de la guerre et de sa résurgence, mais plutôt que se placer eux-mêmes dans un entre-deux-guerres explicite, ils font le choix, y compris dans les volumes les plus tardifs rédigés en 1938, 1939 ou 1940, de situer l’action dans les années précédant immédiatement la Grande Guerre, comme si celles-ci étaient encore porteuses de leçons pour le présent. Ils sont en ce sens plus inventeurs de la « Belle Époque » dont l’imaginaire se fixe alors, qu’annonciateurs d’une catégorie entre-deux-guerres qu’ils ne contribuent pas à formuler. Ils sont également très représentatifs de cet extraordinaire « arrêt sur image » que vivent les Français des années 1930, et du télescopage temporel qui est le leur. C’est moins pour ne pas avoir anticipé le nouveau conflit que pour avoir été prisonnier du précédent que les Français des années trente ont connu une telle catastrophe.

15De fait, « l’entre-deux-guerres » des Français du milieu du xxe siècle constitue une très étrange séquence étendue quelque part entre 1870 et 1940 et dont l’épicentre est indéniablement la Grande Guerre. C’est ce que Marc Bloch écrit en incriminant l’évidente ombre portée de la victoire sur la défaite. C’est ce que Blum suggère en renouant les fils reliant le Renan de La Réforme intellectuelle et morale et les espérances des résistants de 1941. C’est également ce qu’exprime le premier ouvrage explicitement intitulé Entre-deux-guerres et que publie l’ancien ministre des affaires étrangères Joseph Paul-Boncour en 1945 (mais le texte fut rédigé entre 1940 et octobre 1942) [45]. « Entre-deux-guerres. Pourquoi ce titre ? », questionne-t-il en préambule au premier volume. « J’appartiens à une génération, qui a réellement vécu, et perpétuellement vécu, entre-deux-guerres : entre celle de 1870, dont les souvenirs si proches ont accompagné son enfance, et celle de 1914 qu’elle a faite, où elle a vaincu ; puis entre celle-ci et la guerre de 1939, au désastre de laquelle elle n’a pu assister qu’impuissante ». Les Français du second xxe siècle oublièrent peu à peu le sens donné par leurs devanciers aux configurations temporelles qui construisent l’histoire. C’est pourquoi la réflexion sur les noms du temps demeure un préalable plus qu’indispensable.

Notes

  • [1]
    L’expression est commune et largement utilisée dans la plupart des langues occidentales (interwar period, entreguerras, periodo interbellico, Zwischenkriegszeit), dans les langues slaves et même en japonais (ryo-tai-sen-kan-k). Des États comme l’Argentine, le Mexique ou l’Espagne, qui n’ont pas participé aux deux guerres, l’utilisent également pour caractériser leur histoire intérieure durant les décennies 1920 et 1930.
  • [2]
    Au Japon, la Seconde Guerre mondiale peut commencer en 1937 (guerre sino-japonaise) ou en 1941 (guerre du Pacifique). Pour l’URSS ou les États-Unis, elle débute en juin ou décembre 1941.
  • [3]
    Léon Daudet, Fantômes et vivants. Souvenirs des Milieux Littéraires, Politiques, Artistiques Et Médicaux de 1880 à 1905, 3e série : L’Entre-Deux-Guerres, Paris, Nouvelle Librairie Nationale, 1915. L’ouvrage connaît de nombreuses rééditions sous le même titre, avant que Grasset ne le simplifie, L’Entre-deux-guerres, en 1935.
  • [4]
    Ibid., p. 312 ; Agathon, Les Jeunes gens d’aujourd’hui : le goût de l’action, la foi patriotique, une renaissance catholique, le réalisme politique, Paris, Plon-Nourrit, 1913.
  • [5]
    Le Matin, 3 août 1925.
  • [6]
    Le Matin, 31 mai 1924.
  • [7]
    Le Petit Parisien, 14 octobre 1924.
  • [8]
    Paris-Soir, 16 juillet 1926 ; Le Petit Parisien, 14 avril 1930.
  • [9]
    Julien Tiersot, Un demi-siècle de musique française, entre les deux guerres : 1870-1917, Paris, Alcan, 1918.
  • [10]
    Marcel Prévost, « Notre Temps », Le Journal, 8 juin 1930.
  • [11]
    Le Figaro, 9 juillet 1919 ; Le Figaro, 28 septembre 1920.
  • [12]
    Jacques Guilleau, Entre-deux-guerres, Paris, Librairie de l’Humanité, 1923, 67 p.
  • [13]
    « Dans le régime capitaliste, on est toujours entre-deux-guerres et, tant qu’il durera, il en sera ainsi », ibid., p. 49.
  • [14]
    Between Two Wars 1861-1921 : Being memories, opinions and letters received by James Mark Baldwin, Boston, The Strafford Cie, 1926. C’est sous le titre « Entre-deux-guerres » que l’ouvrage est signalé par l’Académie des Sciences morales et politiques, Le Figaro 24 juillet 1927.
  • [15]
    Paris-Soir, 18 avril 1940 ; Le Journal, 30 avril 1940.
  • [16]
    Alfred Sauvy et Pierre Depoid, Salaires et pouvoir d’achat des ouvriers et des fonctionnaires entre les deux guerres, Paris, Institut national d’étude du travail et d’orientation professionnelle/PUF, 1940.
  • [17]
    Ibid., p. 5.
  • [18]
    Ibid., p. 6.
  • [19]
    La Politique commerciale entre les deux guerres ; propositions internationales et politiques nationales, Genève, Société des Nations, 1942 ; Commercial Policy in the Interwar Period : International Proposals and National Policies, Geneva, League of Nations. Series of publications, 1942.
  • [20]
    Quelques exemples parmi une très abondante littérature : Hal Buckner Lary, The United States in the World Economy : the International Transactions of the United States During the Interwar Period, Washington, U. S. Govt. Print. Off., 1943 (l’Interwar y est explicitement définie p. 27 comme la période s’étendant de 1919 à 1939) ; Industrial Record, 1919-1930 : a Review of the Inter-war Years, Bournville, Cadbury Brothers, 1944 ; Margaret M. Attlee, Mobility of Labor : A Consideration of the Question of Industrial Transference with some Examples from the Inter-War Period and suggestions for a Post-War Policy, London, Sword of the Spirit, 1944 ; L’Expérience monétaire internationale : Enseignements de la période d’entre les deux guerres, Genève, Société des Nations, 1944.
  • [21]
    Fernand Baldensperger La Littérature française entre les deux guerres, 1919-1939, Los Angeles, Lymanhouse, 1941.
  • [22]
    Pierre Brodin, Les Écrivains français de l’entre-deux-guerres, Montréal, Valiquette, 1942 (le livre est repris à Paris, chez Horizons de France en 1946. Sur la fondation de l’ELHE, voir François Chaubet et Emmanuelle Loyer, « L’École libre des hautes études de New York : exil et résistance intellectuelle (1942-1946) », Revue historique, n° 302, 2000, p. 939-972.
  • [23]
    Pierre Brodin, Maîtres et témoins de l’entre-deux-guerres, Montréal, Valiquette, 1943, New York, Brentano’s (s. d.) ; Les Écrivains américains de l’entre-deux-guerres, New York, Brentano’s, 1945, Montréal Valiquette 1946.
  • [24]
    Germaine Sneyers, Romanciers d’entre deux guerres, Paris, Desclée de Brouwer, 1941 ; Félix Ansermoz-Dubois, L’Interprétation française de la littérature américaine d’entre-deux-guerres, 1919-1939 : Essai de bibliographie, Impr. La Concorde, 1944 ; Georges Sion, Le Théâtre français d’entre-deux-guerres, Tournai, Casterman, 1945.
  • [25]
    André Breton La Situation du surréalisme entre les deux guerres, discours aux étudiants français de l’Université de Yale, 10 décembre 1942, Paris-Alger, Éd. de la revue Fontaine, 1945.
  • [26]
    Voir, pour une mise au point récente sur ce concept, Henry Rousso, « Sortie de guerre », in Une histoire de la guerre, du xixe siècle à nos jours, éd. Bruno Cabanes et al., Paris, Éd. du Seuil, 2018.
  • [27]
    David Keen, « War and Peace : What’s the difference ? », International Peacekeeping, n° 7-4, 2000, p. 1-22 ; Marielle Debos, Le Métier des armes au Tchad. Le gouvernement de l’entre-guerres, Paris, Karthala, 2013.
  • [28]
    Ernst Nolte, La Guerre civile européenne, 1917-1945 : national-socialisme et bolchevisme [1987], Paris, Édition des Syrtes, 2000 ; Enzo Traverso, À feu et à sang. De la guerre civile européenne, 1914-1945, Paris, Stock, 2007 ; Ian Kershaw, L’Europe en enfer : 1914-1949 [2015], Paris, Éd. du Seuil, 2016.
  • [29]
    Arndt Weinrich, « D’une guerre, l’autre. Le Frontsoldat de la Grande Guerre et la remobilisation mentale de la jeunesse allemande », Revue d’Histoire de la Shoah, n° 189, 2008, p. 373- 389.
  • [30]
    Arthur M. Schlesinger, Jr., The Age of Roosevelt, vol. 1 : The Crisis of the Old Order : 1919-1933, Boston, Houghton Mifflin, 1957 ; Alan Brinkley, Liberalism and its Discontent, Cambridge, (MA), Harvard University Press, 1998 : chapitre « Historians and the Interwar Years », p. 111-131.
  • [31]
    Eugen Weber, The Hollow Years : France in the 1930s, New York & London, Norton, 1994 ; Jean-Louis Loubet del Bayle, Les Non-conformistes des années 1930. Une tentative de renouvellement de la pensée politique française, Paris, Éd. du Seuil, 1969 ; Pascal Ory, La Belle illusion Culture et politique sous le signe du Front Populaire, Paris, Plon, 1994.
  • [32]
    Jean-Paul Sartre, « Carnet XI », Carnets de la drôle de guerre [1983], in « Les Mots » et autres écrits autobiographiques, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2010, p. 457-459.
  • [33]
    Fernand Baldensperger, La Littérature française entre les deux guerres, op. cit., p. 173.
  • [34]
    P. Brodin, Les Écrivains américains de l’entre-deux-guerres, op. cit., p. 11.
  • [35]
    C. Hartley Grattan, « What British socialism is up against », Harper’s Magazine, vol. 193, 1946, p. 38-48.
  • [36]
    Le Matin, 6 août 1942 ; Le Journal, 22 octobre 1940.
  • [37]
    Paris-Soir, 17 février 1941.
  • [38]
    Paris-Soir, 17 juillet 1942.
  • [39]
    Le Journal, 29 septembre 1942.
  • [40]
    « Demain sera installée la Cour suprême de justice », Le Journal, 7 août 1940.
  • [41]
    Marc Bloch, L’Étrange défaite : témoignage écrit en 1940, Paris, Société des Éditions Franc-Tireur, 1946 ; Léon Blum, À échelle humaine, Paris, Gallimard, 1945.
  • [42]
    Ibid., p. 72.
  • [43]
    Il l’utilise cependant un peu plus tard, dans son compte rendu de la conférence des Nations-Unies de Hot Springs en juin 1943, évoquant « l’anarchie de l’entre-deux-guerres » (voir L’Étrange défaite, Paris, Gallimard, « Folio histoire », 1990, p. 226).
  • [44]
    Jean-Baptiste Duroselle, La Grande Guerre des Français : l’incompréhensible, Paris, Perrin, 1994.
  • [45]
    Joseph Paul-Boncour, Entre-deux-guerres : Souvenirs sur la Troisième République, Paris, Plon, 1945-1946. Trois vol., 1. Les luttes républicaines, 1877-1918 ; 2. Les lendemains de la victoire, 1919-1934 ; 3. Sur les chemins de la défaite, 1935-1940. Citation : t. 1, p. iii.
Français

« L’entre-deux-guerres » est un chrononyme qui fait sens et donc époque dans une extrême diversité de langues, l’un des plus universellement partagés ; mais il n’est nulle part ailleurs qu’en France chargé d’autant d’enjeux. Il s’impose dès 1940, y compris dans l’historiographie littéraire (Baldensperger, Brodin, Breton) ; mais il porte avec lui, de façon plus ou moins marquée, une interrogation sur « la responsabilité des maîtres » dans la défaite, qui le fragilise en l’idéologisant. Malgré son caractère d’évidence, la pertinence du chrononyme est, de fait, contestée par plusieurs mises en intrigues : l’hypothèse d’une « seconde Guerre de Trente ans » ; l’opposition entre le temps ouvert des « années folles » et le temps cyclique des « années 1930 ».

English

The interwar years will not happen

The interwar years will not happen

“The interwar years” is a meaningful chrononym and is thus epoch-making in an extreme diversity of languages, one of the most universally shared ; however nowhere as in France is it burdened with so many issues. It is brought to the forefront as soon as 1940, also in literary historiography (Baldensperger, Brodin, Breton); however it takes along, in a more or less disguised way, an interrogation upon “the masters’responsibility” in the defeat which weakens it through its ideologizing process. In spite of its revealing character, the chrononym’s pertinence is, as a matter of fact, contested through several emplotments : the hypothesis of a “second Thirty Years War” ; the opposition between the open time of the “Roaring Twenties” and the cyclic time of the « Thirties ».

Dominique Kalifa
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne/Institut Universitaire de France
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Mis en ligne sur Cairn.info le 05/04/2019
https://doi.org/10.3917/litt.193.0101
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