CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1L’obtention ou non de l’arme nucléaire par l’Iran est en train de s’imposer comme le principal dossier international de crise aujourd’hui et pour les années à venir – plus peut-être encore que l’Afghanistan. Mais ce n’est point tant en raison de sa nouveauté (Israël, l’Inde et le Pakistan sont déjà des États nucléaires) dans la zone Moyen-Orient/Asie de l’Ouest, que de ses conséquences stratégiques potentielles sur l’espace-monde. Les trois autres États avaient certes développé leur programme en secret mais n’étaient pas signataires du TNP (traité de non prolifération). Dans le cas particulier de l’Iran, le développement du programme nucléaire civil incluant l’enrichissement de l’uranium in situ apparaît déjà comme un camouflet direct aux puissances qui le récusaient en rappelant sans succès à longueur de discours son caractère « inacceptable ». Mais au-delà du problème « civil », l’émergence d’un programme nucléaire tel qu’il semble de plus en plus se dessiner pose un problème de sécurité beaucoup plus global. D’une part, il est une transgression avérée du TNP (puisqu’il a déjà été prouvé que l’Iran avait déjà dissimulé les prémices de son programme militaire). [1] D’autre part, bien plus que le cas de la Corée du Nord dont la gesticulation nucléaire cherche à assurer la survie d’un régime à bout de souffle, la question iranienne s’inscrit dans la modification profonde des rapports de force du XXIe siècle. De l’issue de ce bras de fer naîtra ou non une nouvelle hiérarchie des puissances. [2]

Une histoire nucléaire en dents de scie

2Le programme nucléaire iranien plonge ses racines dans le régime du Shâ d’Iran. [3] Mais la révolution iranienne conduite par les religieux chiites balaya le Shâ, son régime… et le programme nucléaire. Au début, l’imam Khomeini s’opposa à toute reprise du programme nucléaire sous quelque forme que ce fut. Puis vinrent la violence de la guerre et l’utilisation par les troupes de Saddam d’armes chimiques et d’attaques balistiques massives sur les villes et les sites stratégiques majeurs. Mais, le véritable catalyseur fut, à l’occasion de la guerre du Koweït en 1991, la découverte du programme nucléaire irakien. La marche vers le nucléaire militaire iranien était désormais lancée.

3Bien que gênés par le double endiguement (« dual containment ») des années Clinton qui maintint un embargo sur l’Irak et l’Iran pendant une dizaine d’années, le gouvernement iranien poursuivit ses recherches tant dans le domaine nucléaire que balistique.

4Le premier secteur développé en partenariat avec la Chine mais surtout avec la Corée du nord fut le domaine balistique avec notamment le lancement en 2002 du Shahab 3, missile de 1 300 km de portée et susceptible, selon certaines sources, d’être doté ultérieurement d’une tête nucléaire (Shahab 3-M) [4] qui préfigurerait (mais on reste dans le spéculatif) le Shahab 4 (2 000 km) et le Shahab 5 (5 000 km). Les progrès ont été rapides. Le mardi 3 février 2009, l’Iran a réussi un tir de satellite au moyen d’une fusée Safir 2 qui serait une extrapolation du Shahab 3. [5] Le 16 décembre 2009, l’Iran a testé « avec succès » une version améliorée de son autre modèle de missile de moyenne portée, le Sejil 2. Ce missile aurait une portée de 2,000 km, utilisant du combustible solide. [6] Le 3 février 2010 un autre tir de capsule scientifique expérimentale a été annoncé avec un lanceur Kavoshgar 3 qui réunirait trois moteurs de Shahab 3 en fagots. [7]

5Le domaine nucléaire fut également remis en chantier. D’abord les Iraniens affichèrent l’objectif de reprendre le programme civil avec la reconstruction de l’unité de Busher et des autres sites bombardés par l’aviation et les missiles irakiens. La plupart d’entre eux seront enterrés. L’Argentine négocia une très forte coopération technique pendant les années 1980. Des pourparlers furent engagés avec la Russie, toujours en quête de ressources, pour la fourniture de centrales nucléaires civiles.

6Les pays occidentaux s’élevèrent contre cette proposition et firent pression sur la Russie et l’Iran en exigeant un contrôle strict de l’AIEA (l’agence internationale de l’énergie atomique)sur toutes les activités nucléaires de l’Iran. Dès le début des années 1990, des suspicions se firent jour sur le développement d’un programme nucléaire clandestin ainsi que de programmes de prolifération chimique et biologique, mais sans que des preuves formelles y soient apportées [8] et alors que les autorités iraniennes parties prenantes de la Convention d’interdiction des armes chimiques (CIAC) et celle prohibant les armes biologiques (CIAB) rejetèrent toute allégation de programme clandestin en se fondant sur des bases religieuses. [9]

Le coup d’accélérateur

7Les premières révélations sur un programme nucléaire secret eurent lieu en 2002 quand le groupe d’opposition en exil, les Moujahidines du peuple, rendit publique l’existence de l’usine d’enrichissement d’uranium de Natanz et les travaux de construction d’un réacteur à Arak. [10] En 2004, de nouveaux éléments (la vente entre autres de plusieurs centaines voire de plusieurs milliers de centrifugeuses P1 [11]) furent portés à l’attention de l’opinion publique et des États inquiets suite à l’arrestation au Pakistan du Dr Qadeer Khan, « père » putatif de la bombe atomique pakistanaise et proliférateur « privé », (même si les relations entre les deux pays, et directement avec Khan lui-même, étaient connues dès le début des années 1990). [12]

8« Dans le domaine nucléaire, » notait Bruno Tertrais, « les transferts connus concernent notamment des schémas de centrifugeuses P-1 et P-2 ainsi que 500 centrifugeuses P-1 usagées en pièces détachées, livrées en 1994-1995. Des informations semblent également avoir été transmises à l’Iran pour la militarisation des charges. (On notera également la troublante similitude qui existe entre les plans du réacteur iranien d’Arak et le réacteur pakistanais de Khushab.) Il est en tout cas permis de croire que le second transfert avéré de technologie nucléaire du Pakistan vers l’Iran, sous le deuxième gouvernement de Mme Bhutto (octobre 1993-novembre 1996), a été réalisé avec la pleine connaissance des autorités civiles. » [13]

9Ainsi, aujourd’hui, la situation nucléaire de l’Iran peut être perçue comme la suivante [14] :

10L’Iran développe un considérable programme nucléaire de 6 à 7 000 W selon les sources, incluant la production du combustible pour les 20 prochaines années. Ceci implique l’achèvement du site de Busher avec l’aide de la Russie et la construction de nombreux réacteurs. L’Iran dispose d’un réacteur nucléaire de recherche à Téhéran (TRR) et d’une unité de conversion d’uranium à Ispahan. Le site de Natanz – dont l’existence fut révélée par les Moujahidins du peuple – recèle environ 9 000 centrifugeuses (dont 4 000 environ en service). Une usine de fabrication de production d’eau lourde a été créée à Ispahan pour alimenter le réacteur à eau lourde de 40 MW (IR-40) d’Arak destiné en principe à des applications médicales non réalisées à ce jour. Ce combustible pourrait être employé à la fabrication de plutonium sur le schéma des proliférations indiennes et israéliennes. [15]

11Dès 2004, la filière de la militarisation semble, selon l’AIEA, quasi complète :

  • mise en exploitation de gisements d’uranium : 40 à 50 tonnes par an, donc une quantité trop faible pour une utilisation économique (mines de Gchine, Saghand, usine de traitement de yellow cake à Arkadan, installation de production d’uranium à Bandar Abbas) ;
  • transformation en gaz (hexafluorure) ;
  • centrifugeuses avec le réseau pakistanais de Abdul Qadeer Khan. Ces centrifugeuses ne sont pas de très bonne qualité, mais l’élément important est que l’Iran a la capacité de les produire à partir des achats initiaux. [16]

12D’évidence, malgré les investigations de l’AIEA, les révélations des Moujahidines du peuple et les aveux du Dr Khan, les renseignements étaient alors parcellaires. Cependant, en cinq ans les informations se sont multipliées. La plus importante est celle de la découverte (confirmée à contre-cœur par les Iraniens eux-mêmes) d’une nouvelle usine d’enrichissement à Fordou (ou Metfaz) près de la ville de Qom. Après cette révélation, les Iraniens ont annoncé la construction de deux nouveaux sites d’enrichissement (pour dix planifiés !). [17]

13Les experts internationaux débattent vigoureusement sur le délai d’accessibilité de l’Iran à l’arme nucléaire. Quoi qu’il en soit, le mouvement est amorcé et il semble inéluctable. Les Iraniens de leur côté jouent une carte « tiers-mondiste » pour s’attirer les appuis d’acteurs internationaux (sans compter la Chine) qui montent en puissance – comme le Brésil – ou en opposition frontale avec les États-Unis – comme le Venezuela. Ils opposent aussi le « droit » offert par le TNP au nucléaire civil en compensation du renoncement au nucléaire militaire. Le président Ahmadinejad n’a pas hésité à parler « d’apartheid nucléaire » et à brandir la menace d’un embargo pétrolier. [18] Face à cela, la communauté internationale opposée à l’Iran peine à trouver une stratégie efficace.

La leçon de tango iranienne

14Les Iraniens peuvent donner des leçons aux Argentins. Le « deux pas en avant, un pas en arrière » est devenu une spécialité locale qui tend d’ailleurs à se décliner à Téhéran en « un pas en avant, deux pas en arrière ». Depuis 2005, le gouvernement iranien parvient à souffler le chaud et le froid. Chaque menace de la communauté internationale se traduit par une nouvelle proposition iranienne ou un nouveau coup de théâtre. Jugeons-en :

15Le 4 février 2006, les 35 membres du Conseil des gouverneurs de l’AIEA ont voté, à 27 voix contre 3 (et 5 abstentions), le transfert du dossier iranien devant le Conseil de sécurité de l’ONU. La mesure était proposée par la Grande-Bretagne, la France et l’Allemagne, soutenues par les États-Unis. Deux membres permanents du Conseil, la Russie et la Chine, ont donné leur accord pour ce renvoi à la condition que le Conseil ne prenne aucune décision avant mars 2006, mais… Le 11 avril 2006, le président iranien Mahmoud Ahmadinejad annonce que l’Iran a enrichi avec succès de l’uranium à 4,6 %.

16Le 9 avril 2007, le Président Ahmadinejad annonce officiellement que le programme d’enrichissement est entré « dans sa phase industrielle ». Le président de l’Organisation de l’énergie atomique iranienne réaffirme l’objectif d’installation de 50 000 centrifugeuses à Natanz.

17Le 30 mars 2007, l’Iran informe officiellement l’AIEA de la suspension de l’application de la disposition des arrangements subsidiaires à l’accord de garanties qui, depuis 2003, l’obligeait à déclarer les installations nouvelles dès la décision de construction.

18Le 24 mars 2007, le Conseil de sécurité des Nations unies adopte à l’unanimité la résolution 1747 visant à pousser l’Iran à privilégier la négociation sous la menace de sanctions. Celles-ci portent sur deux domaines essentiels : l’armement (interdiction faite à l’Iran d’exporter toute arme et appel à la vigilance et à la retenue pour les exportations de certaines armes vers l’Iran) et les relations financières du gouvernement iranien avec d’autres États ou avec les institutions financières internationales.

19Le 13 juillet 2007, Téhéran accepte que des inspecteurs de l’AIEA se rendent avant la fin juillet sur le site du réacteur à eau lourde d’Arak, qui était fermé aux inspections depuis mars, à la suite des sanctions imposées par l’ONU.

20Le 22 août 2007, un accord est conclu entre l’Iran et l’AIEA sur un calendrier de plusieurs mois pour que Téhéran réponde aux questions en suspens sur son programme nucléaire. Mais… fin août, un rapport de l’AIEA constate que l’Iran poursuit l’enrichissement d’uranium à Natanz, en y faisant fonctionner près de 2 000 centrifugeuses.

21Le 25 octobre 2007, les États-Unis adoptent de nouvelles sanctions contre l’Iran. Elles visent les Gardiens de la révolution, l’unité d’élite Al Qods, et les trois principales banques du pays. Mais… le 7 novembre : le président iranien affirme que son pays a atteint le cap des 3 000 centrifugeuses, étape qui permettrait théoriquement d’obtenir suffisamment d’uranium enrichi pour fabriquer d’une bombe atomique.

22Le 22 février 2008, l’AIEA expose dans le détail des éléments pouvant indiquer que le programme nucléaire iranien a « une possible dimension militaire ».

23Le 3 mars, le Conseil de sécurité de l’ONU adopte une résolution qui aggrave légèrement le régime de sanctions économiques et commerciales imposé à Téhéran depuis décembre 2006.

24Mais… le 8 avril, le président Ahmadinejad annonce l’installation prochaine de 6 000 nouvelles centrifugeuses destinées à enrichir l’uranium à l’usine d’enrichissement de Natanz.

25Le 25 septembre 2009, Barack Obama, Nicolas Sarkozy et Gordon Brown accusent l’Iran d’avoir dissimulé une usine secrète d’enrichissement de l’uranium près de Qom.

26Ce même mois, ne pouvant réfuter l’évidence, l’Iran dévoile l’existence d’un nouveau site nucléaire secret situé à Fordou (près de Qom).

27Mais… le 29 novembre 2009, le gouvernement iranien annonce qu’il se dotera de dix nouveaux sites d’enrichissement d’uranium.

28Au cours de l’année 2009, la communauté internationale avait reproposé l’enrichissement de l’uranium iranien en Russie, mais… l’Iran a posé un « ultimatum » (sic) au groupe de négociateurs sur le nucléaire 5+1 (États-Unis, Russie, Chine, France, Grande Bretagne et Allemagne) pour qu’il accepte ses propres conditions fin janvier. [19]

29Enfin, tout récemment, le président Ahmadinejad annonçait triomphalement l’enrichissement de l’uranium à 20 % pour des « raisons médicales » (sic) avec pour corollaire la diffusion de la « technologie nucléaire à toute la région. » [20] Le président iranien précisait également que l’enrichissement à 80 % n’était plus qu’une question de temps.

30Rappelons que toute cette agitation médiatique masque vraisemblablement la course contre la montre permettant à l’Iran de produire entre autres du plutonium en quantité suffisante. A ce moment-là le seuil nucléaire militaire sera accessible.

31Il est impossible de résumer les péripéties du bras de fer irano/international depuis 2003 – y compris les diverses propositions de fourniture et/ou d’enrichissement d’uranium à l’extérieur du pays (Russie, Europe, Japon, etc.). [21] On peut cependant considérer que toute la dynamique iranienne n’est qu’une action de retardement.

L’épreuve de force : déclarations, sanctions… préemption, dissuasion ?

32Du côté de la communauté internationale, le temps de la diplomatie pure et simple cède à une phase de durcissement. Le jeudi 18 février, un rapport de l’AIEA précise en termes peu amènes que l’Iran est engagée dans une démarche pour produire une ogive nucléaire. L’Agence confirme que ce pays se serait également engagé dans un processus de détonique nucléaire (c’est-à-dire d’explosifs capables de déclencher la réaction en chaîne). [22]

Quelles sont désormais les options disponibles ?

33Il semble tout d’abord que le changement de politique nucléaire au sein même du régime soit devenu impossible. Jusqu’à la fin de la période dite de la « main tendue » qui avait ouvert l’ère Obama, Cette option (celle de la modération par la négociation) a été jusqu’à ce jour la ligne implicite sous-tendant les discussions entre les parties. Deux éléments la rendent difficilement applicable aujourd’hui : d’une part, on assiste à la radicalisation (si besoin était) du régime consécutive à l’élection du président Ahmadinejad ; d’autre part, il est désormais évident, qu’en raison de la lutte des factions à Téhéran, l’option nucléaire maximale est devenue non négociable pour continuer d’exister dans le jeu politique iranien – (ce qui n’était pas le cas, il y a cinq ou six ans).

La politique des sanctions peut-elle modifier la donne ?

34Les différentes sanctions unilatérales côté États-Unis depuis le « double containment » Irak/Iran des années 1990 – puis multilatérales ciblées n’ont rien donné. On s’achemine donc vers un nouveau train de sanctions plus dures, mais quel effet en attendre ? [23]

35From « policy change » to « regime change » : il semble désormais que passée la période initiale de la « main tendue », l’administration américaine sous le coup de l’humiliation faite à Barak Obama, envisage le changement complet de régime comme la seule issue à la crise. C’est dans ce cadre que la politique de sanctions trouverait son sens : en s’attaquant en force au portefeuille des dignitaires et des Gardiens de la Révolution (possesseurs de milliers d’entreprises au-dedans et en dehors d’Iran), d’une part, et au moral des Iraniens de l’autre. Le front anti-iranien espère que l’opposition populaire, que le régime ne peut plus masquer, comme l’attestent les événements de ces derniers mois, pourrait déboucher sur une révolution ; mais n’est-ce pas trop escompter ? Ceci étant, la question est de savoir si les Occidentaux sont capables d’obtenir un véritable durcissement des sanctions ou si les divisions entre acteurs internationaux ne vont pas les rendre inopérantes. Ainsi, la Chine (principale consommatrice des hydrocarbures iraniens), derrière un discours de fermeté, est-elle opposée à toute situation de contrainte. [24]

L’option militaire demeure-t-elle crédible ?

36Les États occidentaux, États-Unis compris, ne semblent plus très chauds pour envisager l’option militaire de la destruction des sites iraniens ; ce, même si le général Petraeus a laissé récemment entendre que ceux-ci avaient fait l’objet d’un « ciblage ». Le choix demeure désormais dans les mains israéliennes. Jusqu’à maintenant, il a semblé que les Israéliens poussaient les grandes puissances à assumer un tel geste car l’État hébreu pesait les conséquences d’une action unilatérale. Aujourd’hui, Israël peut-il prendre le risque d’emballer la machine ? Il semble que le débat fasse rage dans ce pays. On a pu récemment noter la position d’un général aussi respecté et célèbre en Israël qu’Uzi Eilam, et qui condamne la surévaluation en délai et capacités du programme iranien par les représentants des armées et des services. [25]

37Nonobstant la prise de risque, une action unilatérale israélienne ne pourrait s’expliquer que de deux façons : considérer l’imminence d’un danger et donc le prévenir (action préemptive) ; engager les Occidentaux dans la bataille avant que les Iraniens ne soient en ordre de marche – en comptant sur les représailles iraniennes pour emballer le conflit. Cette démarche aurait comme avantage interne et externe le fait de faire oublier la calamiteuse situation politique israélienne et la paralysie de tous les dossiers. Une telle déflagration engagerait tous les acteurs subalternes (Hamas, Hezbollah) dans le conflit avec en corollaire une capacité de riposte adaptée des forces israéliennes (autrement dit « faire sortir tous les loups du bois »). Une prise de risque de ce niveau est-elle concevable même pour un gouvernement fragilisé cherchant à sortir de la crise par le haut ?

La reconnaissance du fait acquis : le nucléaire iranien sous dissuasion ?

38Comment faut-il interpréter les différents signaux, notamment américains autour du dossier nucléaire ? La décision récente des États-Unis d’accélérer la livraison de systèmes anti-missiles à un certain nombre d’États du Golfe doit-elle être perçue comme la reconnaissance d’un fait acquis : l’inéluctabilité du nucléaire militaire iranien ? Ou bien faut-il considérer qu’il s’agit d’une des pièces centrales de la politique d’endiguement qui vise à éviter toute prise d’otages « conventionnelle » dans la zone dans l’hypothèse d’une dégradation de la situation ? De ce point de vue, contrairement au « vieux » principe de dissuasion qui se nourrit d’incertitude, un peu plus de clarté de la part des autorités américaines ne feraient de mal à personne.

39En 2010, les Iraniens sont les maîtres d’un puzzle nucléaire mais dont les contours se dessinent peu à peu. L’enjeu est l’accès définitif de ce pays au statut de puissance nucléaire militaire. Cette évolution entraînerait l’entrée d’un nouvel acteur nucléaire régional dans une zone de forte instabilité et la remise en cause directe, et peut-être alors définitive du Traité de non-prolifération. Pour l’instant, nous sommes donc dans l’ordre du déclaratoire mais la communauté internationale, et notamment les Occidentaux jouent leur crédibilité dans cette affaire. Aujourd’hui, les puissances sont vraiment rentrées dans l’épreuve de force. Les trois options sont simples : faire plier, détruire ou dissuader.

Notes

  • [*]
    Jean-François Daguzan est Maître de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique, Professeur associé à l’université de Paris II, co-directeur de la revue Sécurité globale, et rédacteur en chef de la revue Maghreb-Machrek.
  • [1]
    Voir notamment, Bruno Tertrais, Le marché noir de la bombe, enquête sur la prolifération nucléaire, Buchet-Chastel, Paris, 2009, p. 65-78.
  • [2]
    Voir notamment le dossier dirigé par l’auteur, l’Iran et le Moyen-Orient : vers la suprématie régionale ?, Maghreb-Machrek, n° 201 – Automne 2009.
  • [3]
    Le nucléaire iranien, jusqu’au bout ?, Géoéconomie, n° 36 hiver 2005-2006, p. 109-122.
  • [4]
    Voir Gary Samore (Ed.), Iran’s Strategic Weapons Programmes a net assessment, IISS, Londres, 2005. p 115.
  • [5]
    Thierry Portes, L’Iran provoque les États-Unis en lançant un satellite, Le Figaro du mercredi 4 février 2009, p. 5.
  • [6]
    L’Iran a testé « avec succès » une version améliorée de son missile Sejil-2, Le Monde, avec AFP, http://www.spyworld-actu.com/spip.php?article12286
  • [7]
    Bernard Sitt, L’impasse iranienne, CESIM, Observatoire de la non-prolifération, n° 46, février 2010, p. 6. www.cesim.fr
  • [8]
    Voir notamment Michael Eisenstadt, Iran, The Detterence Series, Chemical and Biological Arms Control Institute, n° 4 1998, 31 p.
  • [9]
    Gary Samore (Ed.), Iran’s Strategic Weapons Programmes, op. cit ; p. 69-85.
  • [10]
    Laurent Zecchini, Nucléaire iranien : la stratégie européenne dans l’impasse, Le Monde du 24 novembre 2005.
  • [11]
    Thérèse Delpech, L’Iran nucléaire : la course contre la montre, Politique étrangère n° 3 2005, p. 581.
  • [12]
    Joseph Cirincione, Jon B. WWolfsthal, Myriam Rajkumar, Deadly Arsenals, Nuclear, Biological, and Chemical Threats, op. cit., p. 303.
  • [13]
    L’affaire Q. Khan deux ans après, notes de la FRS du 23 novembre 2005, http://www.frstrategie.org ; voir également, même auteur, Le marché noir de la bombe, op. cit.
  • [14]
    Ce paragraphe a été réalisé à partir des rapports de l’AIEA et de l’ISIS.
  • [15]
    IanDavis & Paul Ingram, Taking the wind out of the perfect geopolitical strom : Iran and the crisis over non-proliferation, Foreign Policy in Focus (FPIF), November 23 2005, www.fpif.org, p 6.
  • [16]
    Georges Le Guelte, actes du colloque de la FRS : Les ambitions nucléaires de l’Iran et leurs conséquences régionales, 19 janvier 2005, p. 10 ; http;//www.frstrategie.org
  • [17]
    L’Iran envisage de construire deux nouveaux sites d’enrichissement d’uranium, AFP le 22 février 2002.
  • [18]
    Le président Ahmadinejad défend devant l’ONU le droit au nucléaire et attaque les « puissants », Le Monde du mardi 20 septembre 2005.
  • [19]
    + Paris rejette « la pirouette » de Téhéran sur le dossier nucléaire, Le Monde du 5 janvier 2010, p. 8.
  • [20]
    Déclaration de Mohamand Javad Larijani, Chef du Conseil supérieur des droits de l’homme en Iran, Le Temps du mercredi 17 février 2010, http://www.letemps.ch/Page/Uuid/8f9fe7fa-1b42-11df-9b89-c6028757adaa%7C0
  • [21]
    Le lecteur désireux de précisions se référera à la très bonne chronologie du site internet de l’Express :
    http://www.lexpress.fr/actualite/monde/proche-orient/iran-chronologie-de-la-crise-nucleaire-2003-2010_481591.html?p=3
  • [22]
    L’AIEA s’inquiète des avancées iraniennes sur le nucléaire, Le Monde du 18 février 2010.
  • [23]
    Pour une analyse très complète des sanctions voir Kenneth Katzman, Iran : U.S. Concerns and Policy Responses, CRS Report for Congress, June 2009, 65 p.
  • [24]
    La Chine insiste pour une solution diplomatique au problème du nucléaire iranien, http://french.peopledaily.com.cn/Chine/6901189.html, p. 1.
  • [25]
    Héros de la guerre des six jours ; ancien Directeur de l’Agence à l’énergie atomique israélienne et ancien Directeur de l’armement, aujourd’hui détenteur du seul Prix de la Défense nationale attribué à un individu, Israeli Brigadier-General Uzi Eilam denies Iran is nuclear threat, Timesonline, January 10 2010
    http://www.timesonline.co.uk/tol/news/world/middle_east/article6982447.ece
Français

Un retour sur les négociations autour du nucléaire iranien met en lumière le « tango » de Téhéran. Les options de sortie semblent alors limitées.

Jean-François Daguzan [*]
  • [*]
    Jean-François Daguzan est Maître de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique, Professeur associé à l’université de Paris II, co-directeur de la revue Sécurité globale, et rédacteur en chef de la revue Maghreb-Machrek.
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/11/2016
https://doi.org/10.3917/lcdlo.099.0091
Pour citer cet article
Distribution électronique Cairn.info pour Centre d'études et de recherches sur le Proche-Orient © Centre d'études et de recherches sur le Proche-Orient. Tous droits réservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent article, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.
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