CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 La présence de quartiers marginalisés à la périphérie des grandes villes n’est pas l’apanage de la France, tout comme l’existence de politiques publiques cherchant à intervenir sur ces territoires se sont considérablement développés en Europe à la fin du XXe siècle (Houard, 2012). La perspective comparative sur ce sujet permet un pas de côté salutaire et apporte une vision décalée des réalités nationales. Ce pas de côté est l’ambition de cet article, né d’un projet de coopération trinationale portant sur le développement social urbain en Allemagne, en France et en Suisse et plus particulièrement sur le territoire du Rhin supérieur [1]. Durant plus d’un an, trois écoles de travail social des trois pays ont organisé des tables rondes entre professionnels et chercheurs et des visites dans des quartiers marginalisés des trois pays bénéficiant d’un programme de développement social urbain. Les programmes et les mesures ainsi que les pratiques des professionnels ont pu être présentés et comparés. Les auteurs de cet article souhaitent revenir sur les résultats de cette comparaison en commençant dans un premier temps par une présentation des racines sociopolitiques et des enjeux du développement social urbain au niveau mondial et européen. Dans un deuxième temps, il s’agira de proposer une présentation synoptique des programmes nationaux : « soziale Stadt » en Allemagne, « politique de la ville » en France et « projets urbains » en Suisse [2]. Enfin, les thématiques de la participation des habitants, de la mixité sociale et des migrations nous permettront de comparer les programmes sur ces questions centrales.

Principes et enjeux du développement social urbain.

2 En 1992, en réaction à la mondialisation des défis économiques, écologiques et sociaux, l’ONU se dote du plan d’action « Agenda 21 » visant à promouvoir « un partenariat mondial pour le développement durable » [3]. Cette stratégie commune s’adresse à tous les niveaux politiques, des institutions internationales aux états nationaux en passant par les villes. L’agenda 21 accorde d’ailleurs une place toute particulière à ces dernières. Depuis, de nombreuses communes dans le monde ont développé des modèles de développement s’appuyant sur la participation des habitants, des acteurs de la société civile et du monde économique. La « charte de Leipzig » adoptée par l’Union européenne en mai 2007 promeut ainsi un développement urbain durable. La ville européenne y est considérée comme « un bien économique, social et culturel précieux et irremplaçable » qu’une stratégie durable de prospérité économique, d’égalité sociale et de protection de l’environnement doit permettre d’activer (Charte de Leipzig, UE, 2007). Une politique de développement urbain intégré au cœur de laquelle les différents champs politiques sont coordonnés y est recommandée. La charte de Leipzig accorde une forte attention aux quartiers les plus défavorisés. Insérés dans la ville, ces quartiers subissent de plein fouet les transformations structurelles en particulier économique et sociale se concrétisant par un chômage de masse et une forte ségrégation sociale et spatiale.

3 Afin de remédier à cet état de fait, de nombreuses mesures sont avancées parmi lesquelles une politique sociale du logement, une intervention précoce et un suivi de l’évolution des quartiers. L’ensemble de ces mesures doit se dérouler dans le cadre d’un dialogue actif et intensif entre les habitants, et les acteurs du monde politique et économique. Dans la continuité de l’Agenda 21 et de la charte de Leipzig, les pays membres de l’Union européenne et la Suisse ont mis en place des programmes de développement urbain durables dans les quartiers les plus marginalisés. Sous le titre de « politique de la ville » en France, de « soziale Stadt » en Allemagne et de « Projets urbains » en Suisse, chacun de ces pays a développé une politique d’intervention dans les quartiers s’appuyant sur des objectifs similaires tels que l’intégration, la mixité sociale, l’amélioration des infrastructures et la participation des habitants. Dans leur mise en œuvre on constate cependant de fortes divergences que l’on peut expliquer par des traditions politiques nationales différentes. La région du Rhin supérieur constitue un laboratoire idéal pour une étude comparative de ces programmes de tant la tradition de coopération et la culture transfrontalière y est forte.

4 Nous ne présenterons les trois programmes de développement social urbain que de manière schématique.

La « Politique de la ville », une politique de discrimination positive territoriale

5 La politique de la ville naît en France en 1977 avec le programme Habitat et vie sociale (HVS). Dès l’origine, l’État français donne la priorité à la dimension spatiale. La grande majorité des moyens sont affectés à la rénovation urbaine, la modernisation de l’habitat devant permettre de rendre les quartiers plus attractifs et de réduire les inégalités entre les territoires urbains. L’accompagnement social des habitants complète l’intervention sur le bâti. Au gré des émeutes urbaines et des difficultés récurrentes dans ces quartiers, le programme initialement limité à quelques quartiers et doté de moyens limités s’élargit considérablement et des moyens renforcés lui sont alloués.

6 Depuis les origines et malgré de nombreuses critiques, la politique de la ville reste un laboratoire d’innovation importante pour l’administration publique. Il s’agit en effet d’un des premiers programmes interministériels et transversaux, cherchant à prendre en compte tous les aspects de la vie quotidienne. Il s’agit de même d’une politique locale, adaptée aux réalités sociales, économiques et urbanistiques de chaque quartier. Elle implique ainsi l’ensemble des acteurs institutionnels du territoire (ville, département, préfecture, région, Caisses d’allocations familiales, bailleurs sociaux…) signataire d’un « contrat de ville ». Si cela peut sembler aller de soi dans des pays fédéraux, au regard de la tradition centralisatrice française, il s’agit là d’un élément relativement novateur.

7 La politique de la ville se compose de nombreux dispositifs et mesures supplétives au « droit commun ». Elle n’est pas censée s’y substituer, même si l’inscription de cette politique dans la longue durée fait augmenter ce risque (Kirszbaum, 2004). Aujourd’hui le programme est divisé en deux volets :

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  • le volet humain concerne 1302 quartiers répartis dans 730 communes (soit 4,5 millions d’habitants). Les moyens dotés à ce volet sont en baisse constate depuis plusieurs années. En 2015, le budget se montait à un peu moins de 380 millions d’euros.
  • Le volet urbain concerne pour le moment 399 quartiers, il est doté d’un budget d’environ 4 milliards d’euros dont 25 % est investi par l’État français, 25 % par les collectivités territoriales et 50 % par les bailleurs sociaux. Ce volet est géré par l’Agence Nationale pour la Rénovation Urbaine (ANRU).

Carte des 399 projets de rénovation urbaine financée par l’ANRU au 15 octobre 2015 (ANRU, 2015, p.3).

« Soziale Stadt », un programme national dans un état fédéral

9 Le programme Soziale stadt naît en 1999 pour venir en aide aux quartiers les plus défavorisés. Suite au constat d’échec d’une politique uniquement centrée sur la rénovation urbaine, le programme promeut une approche intégrant la dimension urbaine et humaine dans une approche participative (Krummacher et al., 2003, p. 57). On retrouve ici des objectifs proches du programme français dont le programme allemand s’inspire en partie (Blanc, 2006). Les moyens sont alloués à l’insertion économique, à l’amélioration du « vivre ensemble » (soziales Miteinander), à la rénovation urbaine écologique et au développement d’infrastructures. En 2015 son budget était d’environ 450 million d’euros et concernant 659 mesures dans 390 villes. Ce budget est financé à 1/3 par l’Etat fédéral, 1/3 par les Länder et 1/3 par les communes.

10 Les programmes sont financés sur 8 ans avec des possibilités de prolongation. Ils sont construits autour du principe d’un « management de quartier » (Quartiermanagement) professionnel et d’une participation forte des habitants. Un programme de suivi et d’évaluation est obligatoirement inscrit dans le projet. De manière générale, le programme Soziale stadt semble plus orienté vers la dimension sociale que le programme français.

Carte des quartiers bénéficiaires du programme Soziale Stadt en fonction des moyens financiers alloués par l’État fédéral entre 1999 et 2014 (source : Bundesinstitut für Bau-, Stadt- und Raumforschung, disponible sur http://www.staedtebaufoerderung.info/).

Le programme suisse « Projets urbains » : l’intégration sociale dans les quartiers

11 Le programme projet urbain est un programme fédéral suisse qui démarre en 2008. Il se donne pour but d’améliorer la qualité de vie dans les quartiers et d’assurer les conditions de l’intégration sociale des habitants. Ce projet concerne uniquement les villes de petites et de moyenne tailles n’ayant pas les moyens nécessaires pour mettre en place une telle politique dans ses territoires défavorisés. Le programme national est piloté par l’Office fédéral du développement territorial, l’Office fédéral des migrations, l’office fédéral du logement, le service de lutte contre le racisme et par la commission fédérale pour les questions de migration. On voit bien ici la forte présence de la question migratoire dans le programme (cf. partie 5). L’état fédéral finance et dote les projets d’une assistance technique sur les questions sociales et urbanistiques à hauteur de 50 % maximum des projets. Contrairement aux programmes français et allemands, il ne finance pas la rénovation urbaine. Le projet est financé à hauteur de 460 000 € par an par l’État fédéral.

12 Tout comme en France et en Allemagne, les projets urbains s’appuient sur une démarche intégrée et participative. Dans la première phase (2008-2011), ils concernent 11 communes et 10 communes dans la seconde phase (2012-2015). A l’heure actuelle, aucun renouvellement de ce programme n’est prévu après 2015.

Carte des territoires bénéficiant du programme « projet urbain » (source : office fédéral du développement territorial, disponible sur http://www.are.admin.ch)

Esquisse de comparaison des trois programmes

13 Cette présentation extrêmement succincte des trois programmes fait émerger cinq points communs et trois différences fondamentales entre les trois programmes.

14 1er point commun : Les objectifs de ces programmes sont globalement similaires. Il s’agit de réduire les inégalités territoriales et d’améliorer la qualité de vie dans les quartiers et leur attractivité.

15 2e point commun : Il s’agit de programmes financés en partie par l’Etat et déclinés au niveau local. Bien sûr les modalités de déclinaison sont extrêmement différentes d’un pays à l’autre.

16 3e point commun : Un pilotage de ces programmes est prévu dans chaque quartier assurant sa mise en œuvre locale. Là encore, les modalités de pilotage et l’implication des habitants dans chacun d’entre eux divergent fortement selon le pays.

17 4e point commun : Un cofinancement du projet est exigé par les différents acteurs institutionnels et privés bénéficiaires du programme. Les modalités de ce cofinancement dépendent de la structure administrative de chacun des pays

18 5e point commun : L’ensemble des programmes se veulent transversal et participatif, c'est-à-dire touchant l’ensemble des aspects de la vie quotidienne des habitants (loisir, citoyenneté, urbanisme, logement, sécurité, transport, intégration) et impliquant ces derniers dans la vie du quartier et du programme.

19 1ère différence : L’effort financier consentit par chacun des pays diffère très fortement. Entre plusieurs milliards par an en France et quelques centaines de millier d’euros en Suisse, l’investissement est sans commune mesure. Plusieurs phénomènes expliquent cela parmi lesquels l’importance des problématiques rencontrées dans les quartiers, mais aussi les traditions plus ou moins libérales à l’œuvre dans chaque pays.

20 2e différence : Malgré la taille très différente des pays, le territoire couvert par les programmes est un point important de différence : 730 communes en France, 400 en Allemagne et 11 en Suisse. Là encore le fait que la Suisse focalise l’effort financier sur les communes de taille restreinte, se situant en périphérie des métropoles explique en partie cette différence. L’histoire du développement urbain de ces pays constitue un autre paramètre important.

21 3e différence : Malgré leur revendication de transversalité, le périmètre d’intervention de ces programmes et particulièrement la place de la rénovation urbaine constitue une différence évidente. Le programme suisse appelle de ces vœux un travail sur le bâti mais ne le finance pas. En France, cette dimension accapare une grande partie des financements disponibles.

22 Pour conclure, les programmes allemands et français sont relativement proches dans leur essence, c’est au niveau de leur mise en œuvre et de la place de la dimension sociale qu’apparait de fortes différences. Le programme suisse reste quant à lui beaucoup plus restreint que les deux autres programmes. Nous pouvons à présent approfondir cette présentation à partir de l’étude de la place et de la mise en œuvre de trois thématiques centrales des programmes de développement social urbain : la participation des habitants, la mixité sociale et la question migratoire.

La participation des habitants

23 Les programmes de développement urbain des trois pays font la part belle à la participation des habitants. Cette place est dans un premier temps discursive, c’est-à-dire qu’elle occupe une position significative dans la rhétorique développée. Dans les faits, nous ne manquerons pas de constater un écart entre l’objectif et la réalité (Bacque, Mechmache, 2013).

En France, entre injonction à la participation et pouvoir d’agir.

24 Depuis 1977, la mobilisation des habitants et leur implication sur le quartier a toujours fait partie des éléments incontournables des différentes phases du programme (Centre d’analyse stratégique, 2012). La politique de la ville constitue l’une des premières politiques publiques françaises dans laquelle la participation des habitants et la démocratie locale est aussi prégnante. Toutefois, il faut constater que les critiques sur l’échec de cette participation sont tout aussi redondantes que l’inscription de celle-ci dans le programme. L’opposition entre une injonction à la participation des habitants nécessairement institutionnalisée, manipulée par le politique et des initiatives d’habitants, nécessairement critiques et anti-institutionnelles constituent un clivage structurant la politique de la ville depuis l’origine. Le rapport Bacqué-Mechmache, paru en 2013, s’inscrit typiquement dans ce clivage. Son titre est à cet égard tout à fait éclairant : Pour une réforme radicale de la politique de la ville. ça ne se fera plus sans nous. Citoyenneté et pouvoir d'agir dans les quartiers populaires.

25 Le constat de ces auteurs est multiple, mais ils critiquent principalement un programme centré sur les déficits et les handicaps des quartiers et orienté vers la sécurité et la rénovation urbaine plus que vers la dimension sociale. La participation des habitants devient selon eux un moyen d’accompagner la disparition des moyens financiers et de remplacer le droit commun et les services publics. On retrouve peut-être dans ce clivage la verticalité et la centralisation du système français qui se répercute dans la politique de la ville. On peut cependant constater que la politique de la ville a toujours regardé de près les expériences de community organizing et qu’elle a vu émerger dans certains quartiers des initiatives d’habitants accompagnés par les institutions. C’est peut-être dans la place accordée aux pouvoirs intermédiaires, association, églises, centres sociaux qui se situent la difficulté. L’État français reconnaît avant tout l’habitant, pur et représentatif de lui-même et peine à accorder une place aux acteurs intermédiaires, toujours suspect de partialité, voire pire de communautarisme. Depuis la réforme de 2015, la participation des habitants s’appuie entre autres sur des « conseils citoyens », obligatoires dans chaque quartier bénéficiant du programme. Les membres sont en partie des habitants tirés au sort et en partie des acteurs locaux et des associations. Le mandat est de trois ans.

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En Allemagne, réseau et Gemeinwesenarbeit

27 Du côté allemand, on ne peut que commencer par pointer du doigt l’impact de la tradition politique sur la question de la participation des habitants. Suite à la seconde guerre mondiale, le système politique s’est construit sur une réduction du pouvoir de l’état par une place importante laissée aux Églises et aux « pouvoirs intermédiaires ». Dans la même logique, il n’existe pas de possibilité d’interpellation directe des citoyens des pouvoirs publics, sous la forme de plébiscite ou de référendum, comme cela est possible en France et en Suisse.

28 Dans le programme Soziale stadt, la participation est entendue à la fois comme :

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  • Participation des acteurs locaux (églises et associations non confessionnelles). il s’agit de mettre en réseau et de coordonner les acteurs,
  • Participation des habitants, comprise comme engagement citoyen et comme participation politique.

30 Pour cela, des postes de coordinateurs sont créés pour assurer une continuité entre les différents services administratifs municipaux (entre autres services d’urbanisme et services sociaux) et pour mettre en réseau les acteurs du quartier. Pour les habitants et les acteurs locaux, c’est le Quartiersmanagement qui constitue l’interlocuteur sur place.

31 La place de la participation dans le programme allemand semble plus large (Blanc, 2006). On ne retrouve pas les mêmes craintes face à la participation en tant que prise de décision que dans le programme français. On trouve ainsi au cœur même des principes et pratiques du travail social dans les quartiers le « travail social sur le commun » (Gemeinwesenarbeit souvent rendu par « travail social communautaire » en français [4]) forme d’empowerment des habitants d’un quartier par les travailleurs sociaux eux-mêmes. Cependant en Allemagne aussi certaines critiques émergent sur le quartiersmanagement parfois accusé de défendre le point de vue de l’administration communale plus que celui des habitants. De même, la baisse de moyens [5] tout comme les difficultés d’accès aux populations les plus défavorisées ont été relevées comme progrès possibles dans un certain nombre d’évaluation [6].

La Suisse, pays de la démocratie directe ?

32 L’une des nombreuses images d’Épinal de la Suisse en fait la terre par excellence de la participation. Son niveau presque inégalé de fédéralisation et de démocratie locale directe est connu de tous et déjà fêté par Rousseau. Ainsi et encore plus dans les petites villes touchées par le programme « projets urbains », la majorité des décisions sont prises lors de réunion publique de citoyens. Mais les participants sont bien des citoyens suisses à l’exclusion de la population étrangère composant entre 30 et 50 % de la population des quartiers concernés. La démocratie directe constitue d’ailleurs paradoxalement une difficulté supplémentaire pour les quartiers. Les habitants extérieurs au quartier refusent ainsi parfois de payer des impôts supplémentaires pour mettre en place des mesures sociales dans les quartiers. Autre désavantage, les habitants trouvent qu’il y a déjà assez de participation et ne voit pas l’intérêt de forme de participation à bas seuil d’accès. Bref, au pays de la participation, ne participe pas qui veut.

33 Mais revenons sur le programme projet urbain. Tout comme en France et en Allemagne, l’accent est mis sur une approche globale et participative cherchant à intégrer les habitants au projet. Dans les faits, le processus de participation est initié par le coordinateur du « projets urbains » et concerne, tout comme en France et en Allemagne, beaucoup plus le volet humain qu’urbain. Dans ce processus, les associations ont une place importante. Il est cependant difficile de faire une évaluation globale de la participation des habitants dans les « projets urbains » dans la mesure où le programme est relativement récent et qu’il ne préconise pas d’organisation spécifique de la participation. On peut simplement constater que l’Office fédéral du développement territorial recommande dans son évaluation des « projets urbains » de promouvoir l’auto-organisation des habitants en décentralisant l’attribution des ressources financières (Muller et al., 2012) .

Comparaison.

34 Il faut tout d’abord rappeler que le constat réitéré dans les trois programmes de faire participer les habitants, montre qu’il s’agit bien d’un principe considéré comme essentiel et qu’il ne va pas de soi (sinon, pourquoi le rappeler ?). Malgré des histoires particulières et des organisations administratives fortement divergentes, le constat d’un éloignement des habitants les plus défavorisés de l’engagement politique est partagé dans les trois pays et une augmentation importante de l’abstention pose question. Deux défis majeurs se posent à l’ensemble des trois programmes :

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  1. quelle place laisser à la population étrangère qui compose une partie non négligeable des quartiers touchés par les programmes,
  2. quelle autonomie financière et politique laissée aux habitants ?

36 Quel que soit le pays, ces deux défis sont unanimement soulevés comme fondamentaux et pouvant faire l’objet d’un meilleur traitement. Enfin, les évaluations des trois programmes indiquent la plus grande difficulté à intégrer des méthodes actives de participation dans les volets de rénovation urbaine que dans les volets sociaux. L‘organisation administrative de chaque pays, ainsi que son histoire impactent fortement les pratiques et la place laissée à la participation des habitants.

La mixité sociale et sa signification pour le développement des quartiers.

37 L’objectif central des programmes dans les trois pays est d’améliorer durablement les conditions de vie et d’habitat dans les quartiers économiquement et socialement défavorisés. Cet objectif doit permettre de combattre la ségrégation spatiale et sociale voir même une division et une polarisation entre « territoire urbain perdant et gagnant » (Franke et al., 2000, p 244). La mixité sociale se réfère dans ce contexte à la composition d’une population selon des critères socioéconomiques et socioculturels. Des comportements spécifiques sont donc attendus par le terme de « mixité sociale ». Ceux-ci s’appuient sur des concepts psychosociaux et sociologiques qui admettent que par la cohabitation de populations hétérogènes et par l’inscription de celles-ci dans un même territoire, les possibilités de rencontre permettent une expérience quotidienne de la diversité sociale.

38 Georg Simmel (1903) décrit ainsi le passage d’une forme normative de solidarité dans les sociétés traditionnelles (forte cohésion et rapports sociaux personnalisé) à une « conduite de vie caractérisée par un rationalisme pratique » dans les grandes villes modernes (solidarité impersonnelle et systémique). La condition de cette nouvelle forme de solidarité est la confrontation d’individus très différents dans un espace restreint. L’écologie sociale de l’école de Chicago de Park, Burgess et McKenzie (1925) s’inscrit contre cette conception et conçoit la recomposition et la séparation (ségrégation) de communautés homogènes dans la ville moderne comme un ersatz de culture villageoise traditionnelle. L’approche simmelienne postule que l’hétérogénéité consécutive de la rencontre dans un même territoire d’individus différents est la condition même d’une « tolérance distanciée » entre habitants des grandes métropoles. Au contraire, l’école de Chicago admet que les meilleures chances d’intégration se trouvent dans de petites communautés homogènes et localement situées dispersés sur l’ensemble du territoire urbain. Quant à la question de la mixité sociale, l’approche de Simmel promeut donc plutôt la mixité sociale à petite échelle, au niveau d’un quartier par exemple alors que l’approche de l’école de Chicago promeut plutôt l’homogénéité à petite échelle et l’hétérogénéité au niveau de toute la ville. Une comparaison des approches à l’œuvre en France, en Suisse et en Allemagne permet de conclure que la conception de la mixité sociale défendue dans les trois pays s’appuie plutôt sur l’approche de Simmel.

39 La théorie de l’apprentissage socio-cognitif de Bandura (1976), « l’apprentissage par modelage », part de l’idée que les individus présents dans l’environnement d’un autre individu peuvent devenir des modèles influençant ses objectifs et comportements. Le mode de vie du modèle doit alors être évalué positivement et être soit considéré comme désirable. Ainsi, l’ascension sociale d’individus proches (ayant une biographie similaire) constitue une expérience pouvant susciter une certaine motivation. Les promus peuvent en conséquence devenir des modèles. Pour en revenir à notre question de mixité sociale, cette approche implique, dans l’environnement social proche, la présence d’individus de différents statuts sociaux dont l’ascension ou le déclassement sont perceptibles par les habitants du quartier. Cela implique de même que ces mêmes individus souhaitent et puissent rester dans le quartier, qu’ils y trouvent des logements qui correspondent à leurs changements de situation et à leurs besoins. Il en va de même pour le niveau de formation et la carte scolaire.

40 C’est ce que le projet tri-national a permis de repérer. Quel que soit le pays, les parents visant une certaine ascension sociale, cherchent à améliorer les chances de leurs enfants en les envoyant dans des écoles de quartier ayant une image positive. Lorsque le quartier dans lequel ils habitent souffre d’une image négative, la première tendance à l’émigration concerne l’usage des infrastructures et la seconde tendance concerne la recherche d’une zone alternative de logement ayant une meilleure image. Ces deux évolutions impliquent la réduction de l’hétérogénéité sociale au niveau du quartier accueillant une part grandissante de populations défavorisées qui se sentent dès lors les marginalisées. Ce processus peut provoquer diverses réactions de protection telles qu’une forme de « repli intérieur », de résignation ou la formation d’identités subculturelles pouvant être corrélées à des problématiques psychiques ou à l’alcoolisme. La réduction de ces processus d’exclusion constitue une part importante des programmes de développement social urbain.

41 La composition sociale de la population d’un quartier est influencée par de nombreux facteurs (le bâti, le marché de l’immobilier, l’image du quartier, la structure économique et sociale de la ville, les mouvements migratoires, les politiques sociales au niveau national, régional et communal, etc…). C’est pourquoi la réalisation et la garantie d’une réelle mixité sociale est une mission complexe qui nécessite un développement urbain intégré qui s’inscrit dans une véritable volonté politique. C’est dans ce cadre que sont lancés des programmes de rénovation et de réhabilitation urbaines, puis des programmes de développement social urbain. Concentrés dans un premier temps sur le bâti, ils prennent au fur et à mesure en compte la dimension sociale.

42 En outre, le départ des populations les plus favorisés vers la périphérie a déclenché un processus d’homogénéisation de la population urbaine. Aujourd’hui, cette tendance s’inverse par le retour dans les centre-ville d’une population attachée aux infrastructures culturelles, économiques et sociales et à la mobilité et la vitalité propre à la vie urbaine (Siebel 2010). Cette inversion implique une revalorisation de certains quartiers, un accroissement de la demande de logement et donc des prix et par conséquent le déplacement vers la périphérie des couches de la population les plus précaires. La gentrification implique un risque fort de dé-mixité sociale (Préteceille, 2006).

43 En Suisse, ce développement est d’autant plus renforcé qu’il s’inscrit dans une concurrence très forte entre les cantons et les communes sur le niveau d’imposition (Schneider, 2012). En France, la construction généralisée de grands ensembles après 1945 sous l’impulsion de l’état central (et dans le cadre de la charte d’Athène) implique une perte de diversité de l’habitat qui, conjuguée à l’arrivée importante d’une population issue des anciens pays colonisés provoquent en l’espace de quelques dizaines d’années une concentration des populations les moins favorisées dans ces quartiers. Si les trois pays étudiés sont passés par la construction de tels ensembles immobiliers, la concentration et la généralisation de celles-ci en France sont une exception bien française (Kirszbaum 2004). Les programmes de développement urbain dont il est ici question se focalise très largement sur les quartiers les plus défavorisés, laissant du même coup les quartiers privilégiés dans l’angle mort d’un développement urbain intégré. Seul une vue d’ensemble de tout l’espace urbain permet de percevoir les processus de (dé)mixité sociale (Becker 2014).

44 La mixité sociale peut être travaillée à partir d’outil de planification tels que les Bebauungspläne (D), les Zonenpläne (S) ou les Plan Locaux d’Urbanisme (F) qui permettent de réguler et de promouvoir la diversité des usages du bâti (habitat, travail, loisir). Cet instrument permet de renforcer la mixité fonctionnelle et la diversité de logement (sociaux, accession à la propriété…). La puissance publique peut ainsi grâce à son droit de préemption créer de la mixité sociale. A Zurich en Suisse ce type de mesure semble avoir bien fonctionné (Schneider, 2012). La rénovation urbaine a ainsi permis de réhabiliter de nombreux quartiers défavorisés et de les rendre attractifs et a permis de construire de nombreux logements sociaux dans les quartiers les plus favorisés. Dans le même ordre d’idée, à Freiburg en Allemagne, un objectif de 50 % de logement à loyer modéré dans chaque nouvelle construction a récemment été fixé. Dans le quartier du Neuhof à Strasbourg, la construction de nouveau logement d’accès à la propriété a permis l’arrivé d’un nouveau type de population dans ce quartier en politique de la ville depuis les origines (1977). Une étude de l’ORIV a cependant montré que si les usages de certaines infrastructures permettent l’apparition de « zones de frottement » entre ancienne et nouvelle population, l’évitement de la carte scolaire et la « résidentialisation » (privatisation et clôture d’espace jusqu’alors public) aboutissent à la conclusion d’une mixité sociale en demi-teinte (ORIV, 2013).

45 Alors qu’en Allemagne, l’utilité publique des bailleurs sociaux (gemeinwohlorientierten Wohnungsbaugesellschaften) est valorisée depuis les années 80, la promotion en Suisse de logements sociaux construits et gérés par des coopératives et des sociétés immobilières reconnus d’utilité publique est un des instruments efficaces permettant la construction de logement à loyer modéré. Ces actions contribuent à la mixité sociale de la population (Schneider, 2012). Ces instruments restent cependant concentrés dans les grandes villes suisses alors que les politiques de l’habitat de communes plus petites restent plus traditionnelles et éloignées des mesures de régulation (fédérale) visant à restreindre l’investissement privé. C’est ce qui est apparu très clairement lors de notre visite dans une petite ville de la périphérie de Bâle. En France la mixité sociale est travaillée à la fois à partir d’une politique mixte de logement mais aussi par la construction d’infrastructure de proximité et d’espaces collectifs.

46 En résumé, le projet trinational a permis de montrer que l’impératif de mixité sociale est partagé par les trois programmes. Les attendus de la mixité sociale sont toutefois rarement décrits précisément, rarement théoriquement ancrés, ni clairement opérationnalisés. La différence entre les programmes vient plus de la disponibilité et de l’usage de ces mesures visant la mixité sociale. Elles sont généralement concentrées sur des instruments urbanistiques (spatial et architectural) qui sont d’autant moins opérationnalisés en Suisse et en Allemagne qu’ils s’immiscent dans le droit des propriétaires. En France au contraire, il semble que le pilotage étatique soit mieux et plus facilement appliqué et accepté qu’en Allemagne et en Suisse. Quoi qu’il en soit, dans les trois pays, l’action publique se concentre sur les quartiers les plus défavorisés et il manque généralement une vision globale du développement social urbain intégrant l’ensemble des secteurs (logement, économie, social, écologie).

Intégration et migration, le développement social urbain au risque de la stigmatisation

47 Si le thème de la migration joue un rôle important dans l’ensemble des programmes, une forte différence existe sur leur verbalisation plus ou moins explicite. Dans la politique de la ville française, les différences ethniques et culturelles n’occupent qu’une place relativement congrues comparées aux programmes suisse et allemand. Cela s’inscrit bien évidemment dans la tradition universaliste française, fille de l’idéal égalitaire de la révolution. La République est aveugle aux différences et par conséquent la différence ethnique n’est pas directement thématisée (Weber, 2013, p. 38). Toutefois, la politique de la ville est reliée aux questions d’intégration et de migration a plusieurs égards. Tout d’abord dans la mesure où elle intervient dans les banlieues des grandes villes dans lesquels la population immigrée est surreprésentée par rapport à la moyenne nationale. Plus encore, dans les représentations du grand public et des médias, les émeutes urbaines sont très largement imputées à des jeunes d’origine immigrée (Bacqué, 2006). Les programmes de la politique de la ville constitue ainsi un moyen de travailler le thème de l’intégration sans le nommer explicitement. Dans la mesure où il n’est pas possible de mettre en place une discrimination positive ethnique, on s’appuie sur une discrimination positive territoriale (Kirszbaum, 2004).

48 Toutefois, il existe bien au niveau local des politiques explicites de travail auprès de communautés spécifiques. On peut penser à la tentative d’augmenter la représentation des français d’origine immigrée dans certaines professions telle que la police (Weber, 2013, p. 40). La question de la ségrégation est donc explicitement traitée à partir du thème de la « mixité sociale » (cf. partie 4) dont l’objectif est la diminution des inégalités socio-économiques entre territoires, mais constitue implicitement une stratégie de lutte contre la ségrégation ethnique. En France, cette thématique reste principalement traitée à partir de celle de « la lutte contre les discriminations » qui vise entre autres la promotion de l’égalité des chances dans l’éducation et dans la fonction publique. Cette approche est plus simple à concilier avec l’idéal égalitaire qu’une politique d’intégration explicite risquant de rentrer en conflit avec l’universalisme républicain (ibid.).

49 En Allemagne au contraire, la conception de la nation comme entité ethniquement homogène pose la question de manière très différente. A la fin du XXe siècle cependant le constat d’une Allemagne devenue terre d’immigration s’impose progressivement et provoque un débat virulent autour du multiculturalisme. L’immigré est alors construit avant tout comme « autre culturel » devant s’intégrer (Weber, 2013, p. 19). Dès lors, le pourcentage de population immigrée constitue un critère important d’intervention dans les quartiers (Weber, 2013, p. 17). En effet, tout comme en France, les quartiers socioéconomiquement les plus défavorisés sont aussi souvent les quartiers accueillant le plus de population immigrée (Bundesbeauftragte für Migration, Flüchtlinge und Integration, 2012, p. 25). Dans le cadre du programme Soziale Stadt, une attention toute particulière a été placée sur les immigrés. Dès 2005, le domaine d’action « intégration des immigrés » est devenu l’une des priorités du programme (BMVBS, 2008, 48). Sur le site Internet du ministère des travaux publics, ce domaine d’action est ainsi décrit : « Domaine d’action : vivre ensemble entre groupes ethniques et sociaux différents : Le programme Soziale stadt a pour objectif de construire une vie de quartier à part entière, de renforcer la cohésion et le vivre-ensemble de la population, ainsi que de créer un climat d’acceptation et de reconnaissance des uns et des autres. Cela est permis tout particulièrement par la création d’espaces de rencontre et de communication, par le management des conflits, par le travail de prévention, de même que par la stabilisation et la construction de réseau sociaux et de voisinage. » (BMUB, 2015, trad. des auteurs)

50 En Suisse, le titre du programme lui-même ne laisse que peu de doutes sur la place laissée aux questions de migration et d’intégration : « Projets urbains : l’intégration sociale dans les quartiers ». Plus encore, rappelons qu’au côté de l’Office fédéral du développement territorial et de l’office fédéral du logement, le programme est piloté par l’Office fédéral des migrations, par le service de lutte contre le racisme et par la commission fédérale pour les questions de migration. Cette focalisation thématique s’explique en partie par l’histoire de la création du programme. Il s’inscrit en effet dans la continuité d’un rapport de 2007 de l’office fédéral sur les migrations concluant à la nécessité d’agir dans le domaine de l’intégration (BFM, 2007). Au côté de mesures visant l’insertion professionnelle de la population immigrée, le second pilier des projets urbains est l’intégration de cette population dans les quartiers. Le rapport précise ainsi : « Dans différents pays européens (parmi lesquels la France et la Grande-Bretagne), l’expérience montre que la résolution des troubles générés par l’aggravation et l’interdépendance des problèmes dans ces zones d’habitation est complexe. La promotion de l’intégration revêt donc une importance d’autant plus grande dans les quartiers présentant une forte concentration de certains groupes de population (personnes à former, étrangers, ménages monoparentaux, pauvres, personnes âgées, enfants et adolescents, etc.) (BFM, 2007, p. 40). Ce rapport est la base sur laquelle les projets urbains seront implémentés.

51 Contrairement aux programmes français et allemands, le thème de la migration n’est pas ancré uniquement dans les grandes villes mais aussi dans les petites villes périphériques. Puisque les villes de petite et moyenne taille n’ont pas forcément mis en place de politique de développement urbain, un besoin financier ainsi qu’un besoin d’expertise ont été relevés (ibid., p. 13). Les projets urbains s’adressent ainsi avant tout à ces petites communes. Les concept d’intégration et/ou d’intégration sociale apparaissent souvent dans les documents présentant le programme, sans que ceux-ci ne soient d’ailleurs définis.

52 La relative jeunesse du programme rend toutefois difficile le travail de recherche sur le programme en général et sur le traitement de la thématique « migration » en particulier. Concrètement, dans les quartiers touchés par le programme le lien avec le thème de l’intégration s’exprime par la mise en place de « conseils en matière d’intégration » à Baden (Integrationsberatung) ou dans la subordination du travail social dans les quartiers à des « chargés d’intégration » à Vevey (Integrationsbeauftragten). Les propositions concrètes reviennent souvent à faciliter et promouvoir les possibilités de rencontre entre les « autochtones » et la population étrangère (lieu de rencontre, fête de quartier, culture…) et par l’apprentissage des langues suisses (cf. ARE, 2015). Le sport est lui aussi compris comme un moyen de faciliter l’intégration, par le biais par exemple de clubs d’immigrés.

53 Quel point commun est-il possible de relever sur le thème des migrations dans les trois programmes nationaux ? Il est tout d’abord important de constater que les programmes s’adressent avant tout à des quartiers dans lesquels vivent une proportion importante d’immigrés, ce qui s’explique par leur situation économique souvent difficile. De même, la ségrégation spatiale des immigrés est politiquement unanimement condamnée dans les trois pays. Dans la recherche cependant le concept de ségrégation spatiale est débattu. Les urbanistes et l’administration la conçoivent quant à eux « généralement comme un accident de parcours lié au développement urbain » (Häusserman, 2055, p. 133).

54 De fortes différences apparaissent cependant dans l’espace occupé par le thème des migrations, particulièrement dans les objectifs et les domaines d’action. Alors qu’en France le background migratoire des populations visées par les programmes n’est pas explicitement nommé, il joue en Suisse et en Allemagne, un rôle de plus en plus prépondérant. L’origine de cette divergence est bien sûr la relation à la Différence et le rôle de l’égalité dans les trois pays. Une autre hypothèse pourrait être la montée en puissance de la thématique des migrations dans la perception du grand public et par conséquent leur rôle plus important dans les programmes les plus récents.

55 La focalisation sur le thème des migrations dans le contexte du développement social urbain est largement critiquée dans la recherche germanophone. La problématique principale est celle de la (re)production des différences (Weber, 2013, p. 31) ainsi que l’insistance sur les problématiques plus que sur les potentiels des populations immigrées. Ils ne sont plus compris comme un groupe souffrant de mauvaises conditions de vie mais comme l’origine même du problème des quartiers. Holm et Lebhuhn (2013, p. 206) ont ainsi pu montrer que le thème de la migration n’est plus relié à la discrimination subie par cette population. La concentration d’immigrés dans un quartier est conçu comme un facteur de risque pour l’ensemble des habitants. Les auteurs constatent ensuite que si de nombreuses mesures s’adressant aux immigrés existent dans les quartiers prioritaires (fête de rue interculturelle, formation, jardin communautaire), celles-ci ne sont que rarement construites en partenariat avec les associations de migrants, particulièrement lorsqu’elles sont engagées politiquement (contre le racisme, pour la citoyenneté ou défendant le droit d’asile). Holm et Lehbuhn expliquent ce phénomène par l’absence de reconnaissance des immigrés comme partenaires traités d’égal à égal mais avant tout traités comme groupe à problème (ibid., p. 205). Conséquemment, au niveau du programme lui-même, les activités restent limitées, les inégalités structurelles ne sont pas traitées. Les conflits découlant de l’exigence d’une participation plus forte sont réprimés. et les formes de participation sont limitées à la production d’un vivre-ensemble le plus harmonieux possible (ibid., p. 210).

Conclusion et perspectives

56 Des programmes de développement social urbain existent dans les trois pays composant la région du Rhin supérieur. Si ceux-ci sont d’ampleurs très diverses, ils cherchent à résoudre les défis qui se posent dans les quartiers marginalisés. Ils se distinguent avant tout par leur durée, par les moyens qui leurs sont attribués, par leur pilotage plus ou moins centralisé et par leur sensibilité à la différence ou à l’universalisme. Ils se rapprochent tous dans le fait qu’ils s’inscrivent dans la tradition de la « ville européenne » et cherchent à répondre à la promesse de l’intégration sociale et économique de leurs habitants. Ces programmes peuvent donc être compris comme une réaction à la menace posée par des politiques urbaines de plus en plus néolibérales (Güntner, Walther, 2013, p. 288).

57 Force est toutefois de constater que la réduction des moyens des pouvoirs publics provoque une réduction de la portée de ces programmes alors même que les difficultés présentes dans les quartiers ne sont pas résolues et plus encore semblent aggravées par la crise économique et la déstructuration de l’Etat-providence. Les programmes de développement social urbain présentent cependant un certain nombre de résultats positifs pour une action ciblée sur les territoires. Ils participent de la mise en place de politiques transversales et intégrées et peuvent rendre la vie dans les quartiers plus attractive. Ils ne remplaceront toutefois jamais la volonté et la possibilité d’agir, ni « une politique sociale nationale et communale et l’Etat-providence » (Ibid., p. 305).

58 L’avenir nous dira comment l’éloignement entre les défis posés par ces quartiers et la réduction de la latitude financière impactera les politiques urbaines dans les villes d’Europe. L’intégration sociale économique et politique des habitants des quartiers marginalisés nécessitent un investissement massif et non pas une baisse de l’investissement. Toutefois cet investissement doit s’inscrire dans une politique globale, à l’échelle de toute la ville et même de toute la région. Plutôt que de travailler à l’intégration des habitants des quartiers défavorisés, il s’agirait plutôt d’intégrer les quartiers et leurs habitants dans la société (urbaine).

Notes

  • [1]
    Le 11 juin 2015, les résultats du projet « théories et pratiques du développement social urbain en perspective transfrontalière » ont été présentés à Kehl lors d’une journée d’étude. Ce projet et cette journée ont été organisés par le département recherche et développement de l’ESTES de Strasbourg, la Fachhochschule Nordwestschweiz de Bâle et par l’Institut pour le développement urbain de la Katholische Hochschule de Freiburg.
  • [2]
    Rappelons que ces programmes ne sont représentatifs que d’une partie des mesures de développement social urbain propre à chaque pays.
  • [3]
    49 Agenda 21, disponible sur le site http://www.un.org
  • [4]
    Pour plus d’information sur cette pratique et sur ses possibles équivalents en France, nous renvoyons le lecteur au chapitre d’ouvrage suivant (Blanc, Michon, Wagner, 2015).
  • [5]
    On pense ici par exemple au mouvement berlinois « soziale Stadt retten » (sauver le programme soziale Stadt)
  • [6]
    Par exemple : Deutsches Institut Für Urbanistik. 2006 ; Huning, 2005)
Français

Les auteurs de cet article font une comparaison des politiques de la ville menée dans trois pays frontaliers depuis 1970. Ils présentent les principes et enjeux de ces politiques en reprenant des thèmes tels que la mixité sociale, la participation, l'intégration, les populations migrantes. L'article nous permet d'avoir une lecture comparée de la mise en œuvre de ces actions et propose des perspectives de travail.

Mots-clés

  • Développement social urbain
  • participation
  • habitants
  • réseau
  • mixité sociale
  • intégration
  • migration
  • stigmatisation

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Martin Becker
Professeur en travail social, spécifiquement en développement social urbain à la katholische Hochschule de Freiburg
Jutta Guhl
Sociologue et collaboratrice scientifique à la Fachhochschule Nordwestschweiz
Bruno Michon
Docteur en sociologie et chargé de recherche et de développement à l'ESTES.
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Mis en ligne sur Cairn.info le 20/03/2017
https://doi.org/10.3917/graph.hs09.0129
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