CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1« F in?», «?crise?», «?silence?» ou «?déclin?» des intellectuels sont une topique de la fin des années 1970 et de la décennie 1980, qui servait jusqu’à récemment d’épilogue à l’histoire des intellectuels en France [1]. Dans cette historiographie courante, la disparition des intellectuels est souvent mesurée à leur absence notoire de «?l’espace public?» dans la décennie 1980, comme l’établit sur la base de l’activité pétitionnaire un «?sismographe des?passions intellectuelles?» [2]. Est mis en avant l’effacement physique et rapproché de nombreuses plumes célèbres comme facteur aggravant du déclin considéré. Deux générations sont touchées, les avis de décès signent concrètement «?la fin des intellectuels?» [3]. C’est enfin l’humeur médiatique de cette période qui retient incidemment l’attention?: «?Vers la fin des années soixante-dix, [...] la société française – entendons par là, comme toujours, son “opinion”, autrement dit ses médiateurs – commença de tenir un discours pessimiste sur l’intelligentsia [...]. “Crise”, “déclin” ou “silence” des intellectuels français furent les nouveaux leitmotive des périodiques de référence, des chroniqueurs écoutés et des essayistes à la mode [4].?» La «?fin des intellectuels?» connaît donc deux statuts historiographiques?: elle constitue un cadre interprétatif consolidé ex post, autant qu’un discours promu par différents acteurs sur le moment même.

2Pourtant les usages différenciés (journalistiques, politiques, académiques) et souvent conflictuels de ce lieu commun pessimiste sur les intellectuels restent peu questionnés, quand ils sont même reconnus. Cet article propose de restituer la teneur et la dynamique complexe de cette crisologie mi-constative, mi-prédictive [5]. La méthode suivie se résume à «?ouvrir ce qui peut être considéré comme une “boîte noire” de l’histoire contemporaine et à changer le point de vue?: passer de la “prophétie toute faite” pour aller voir du côté de la prophétie “en train de se faire”, dans ses moments forts […] mais aussi ses moments de repli, de doute, d’impasse […] » [6]. Cette perspective invite à opérer deux déplacements?: se déprendre de la logique de l’expertise sur la «?disparition?des?intellectuels?» et suspendre le dénouement?; réévaluer ce lieu commun comme le produit structuré d’échanges entre divers espaces sociaux dans une conjoncture politique singulière. Traiter de la «?beauté du mort?» est souvent manière de prendre position sur les enjeux du présent et, de ce point de vue, cette période réputée morne de l’histoire intellectuelle pourrait se révéler à l’analyse plus mouvementée qu’on a voulu l’écrire.

3L’un des temps forts de l’énonciation prophétique?– souvent évoqué, rarement analysé [7] – réside dans le débat sur le «?silence des intellectuels de gauche?» à l’été 1983. Loin de considérer cet épisode comme l’enregistrement journalistique de la «?réalité?» sur l’engagement intellectuel, nous le constituons comme un analyseur de pôles concurrents de définition de «?l’intellectuel?» inscrits à la croisée de plusieurs univers sociaux, dont le champ journalistique en ce temps-là [8]. Si cette catégorie sociale apparue avec l’affaire Dreyfus ne tient que dans les échanges entre les champs universitaire, littéraire, journalistique, militant et politique?– c’est là notre définition de travail?–, il faut alors discuter des maillons de la chaîne de production sociale de «?l’intellectuel?»?: sont-ils distendus ou rompus ces années-là ou, de façon non téléologique, comment se recomposent-ils?? Et dans quelle mesure «?les médias?», liés à la figure de «?l’intellectuel?» dans son émergence historique, le seraient-ils dans sa disparition présumée?? Par ce biais se trouvent discutées l’éclipse apparente de «?l’intellectuel?» autant que les conditions de ses réinventions progressives et concurrentes [9].

Silence menaçant?: l’intellectuel sommé de comparaître

4Alors que le centenaire de la mort de Marx est presque oublié médiatiquement en mars 1983 [10], la controverse?estivale sur le «?silence des intellectuels de gauche?» s’écrit la même année dans une centaine d’articles et de lettres sur la plupart des supports de presse généraliste en France [11]. Cette thématique s’insère dans une série de témoignages, de sondages et d’enquêtes [12] qui ont couru à la veille et surtout au lendemain de l’élection de mai 1981 pour baliser une situation perçue par nombre d’éditorialistes comme inédite sous la Ve?République et au-delà, celle de l’arrivée au pouvoir d’une «?gauche unie?» [13]. Si «?les intellectuels?» et «?la gauche?» pouvaient avant l’alternance se confondre selon une logique de flou?ou de superposition, dans une période où le sentiment d’appartenance et le clivage partisans sont encore intenses [14], l’alliage doit pour nombre d’interprètes presque mécaniquement résister. Et tout particulièrement au Monde, qui cherche à s’expliquer le manque de soutiens actifs des plus prestigieux d’entre eux?: «?Le nouveau pouvoir a dû se rendre à l’évidence?: les intellectuels ne lui apportent pas, depuis 1981, le soutien qu’il était en droit d’attendre d’eux?» [15]. Dans la polémique s’explicitent alors publiquement les relations entre les intellectuels et le monde politique par la médiation de ce quotidien qui se pose en intercesseur auprès du gouvernement?: «?Nous invitons ceux qui sont ainsi mis en cause à prendre part à cette controverse, que le Monde se propose de nourrir au cours des prochaines semaines?» [16].

Un dossier renversant?: l’intimation gouvernementale à «?s’impliquer?»

5Renversant les rôles, le dossier rompt les routines de l’existence publique des «?intellectuels?». En ouvreur de débat, le porte-parole du gouvernement, Max Gallo, les enjoint de s’impliquer face à la «?victoire idéologique des courants classiques de la droite française?» et au «?climat international favorable [à l’] idéologie reaganienne?». C’est encore lui qui diagnostique «?l’émiettement?[de la]?gauche intellectuelle?» en trois volets?: la récusation du marxisme dès les années 60, le mépris du pouvoir issu de Mai 68, le déclin corrélatif du PC. Ces «?causes évidentes?» concourent au fait que «?mai-juin 1981, dont le lien avec Mai 68 est pourtant évident, peut apparaître […] comme une victoire de la gauche à laquelle les intellectuels en tant que groupe emblématique ont relativement peu participé, au moins activement?». Et, suggère Max Gallo, plutôt que «?de grands noms sur les tribunes de l’engagement politique, [ce dont] le pays a d’abord besoin, [ce sont des] implications concrètes dans la réflexion, en toute indépendance, en toute vérité?» [17].

6Deux ans plus tôt, en septembre 1981, une de ses interventions dans l’hebdomadaire du PS?– où il décelait «?un malaise que le silence au moment des élections signalait déjà?: que faire si le pouvoir est à gauche???» – posait plus abruptement les enjeux de l’alternance pour les «?intellectuels de gauche?». Max Gallo n’offrait pour alternative au soutien actif au PS «?à l’Élysée dans une commission spécialisée, un cabinet ministériel, etc.?» que la critique négative du philosophe retiré dans sa «?tour d’ivoire?» à «?guetter l’erreur, l’insuffisance?» [18]. Option tranchée qui justifie l’entrée de son auteur au Parlement et contraste avec la forme de dialectique enthousiaste que proposait Michel Foucault à la fin du mois de mai 1981?: «?Il faut sortir du dilemme?: ou on est pour, ou on est contre. Après tout, on peut être en face et debout. Travailler avec un gouvernement n’implique ni sujétion, ni acceptation globale. On peut à la fois travailler et être rétif. Je pense même que les deux choses vont de pair?» [19]. En défendant la posture d’une collaboration «?rétive?» à inventer?– autrement dit en réaffirmant une forme d’autonomie?–, la position foucaldienne peut constituer une gageure pour nombre d’intellectuels et militants accédant alors aux «?responsabilités?» [20]. Foucault n’a quant à lui pas à payer de tribut et décline les postes que le gouvernement lui propose [21].

7Dans son appel aux intellectuels de 1983, Max Gallo ne vise aucun intellectuel nommément, minimise le rôle du gouvernement et de la présidence dans ce «?silence?», et ne signale entre les lignes une autre mobilisation d’intellectuels (la pétition de soutien au principe de la candidature de Coluche en 1981) que pour mieux dénoncer cette «?génération [qui] moralise, juge, ricane et travaille dans le concret?» et pour qui «?les élections et la politique paraiss[ent] dérisoires?» [22]. Mieux encore, son état des lieux fait abstraction de la pétition de soutien à Solidarno??, initiée notamment par Michel Foucault et Pierre Bourdieu avec de façon inédite un syndicat, la CFDT [23]. Sept mois après l’arrivée au pouvoir des socialistes, cette pétition pouvait pour partie se lire comme un signal lancé au gouvernement, sur le mode de l’évidence «?civique?», lui manifestant qu’intellectuels, syndicats, parti socialiste et gouvernement étaient des choses distinctes, et qu’alternance ne rimerait ni avec silence ni avec suivisme. Publiée à Libération et exposée à Europe 1, cette intervention se heurte à la réponse virulente de responsables socialistes [24] puis à une nouvelle pétition organisée par Jack Lang, ministre de la Culture, et à une manifestation de soutien au peuple polonais. Sur l’instant déjà, Pierre Bourdieu, qui vient d’être élu au Collège de France, prend publiquement acte du rapport de force pesant sur leur «?prise de parole?» [25]?: «?Il n’y a pas si longtemps, on déplorait le silence des intellectuels. Lorsqu’ils parlent, on crie au scandale. Ce qui veut dire, en bonne logique, qu’on n’accorde pas d’autres droits aux intellectuels, et, par extension, à tous les citoyens, que de parler en faveur du gouvernement. Sur ce point, notre appel a fonctionné comme un révélateur. (Sartre aurait dit?: “Comme un piège à cons.”) » [26].

8En 1983, Michel Foucault, sollicité comme Pierre Bourdieu par Le Monde pour répondre à Max Gallo, confirme en privé l’élévation du coût d’énonciation de la critique?: «?Quand j’ai voulu parler, en décembre 1981, on m’a dit de me taire. Quand je me tais, on s’étonne de mon silence. Ce qui signifie une seule chose?: ils ne m’accordent le droit à la parole que si je suis d’accord avec eux [27].?» Alors qu’il entretient des relations de travail avec la CFDT, la polémique sur le silence des intellectuels, à ses yeux ridicule, le pousse à définir sur le champ avec Pierre Bourdieu «?le projet d’un livre collectif sur l’état de la politique et de la société en France [et à] travaill[er], dans cette perspective, à une histoire du discours socialiste [28].?» Pour ces intellectuels qui ont symboliquement le plus à perdre à une annexion de leur patronyme par l’autorité gouvernante, il s’agit bien dans ces circonstances de recalibrer leurs propres armes (pétitions, réunions, livres, entretiens) à son égard. Autrement dit, de redéfinir et de réaffirmer la distance ou le recul critique, approprié à l’idée qu’ils se font de «?l’intellectuel?» [29].

Dénonciation de la collusion socialo-communiste et redéfinition antimarxiste de l’?«?intellectuel?de gauche?»

9À la différence du porte-parole du gouvernement, le coordinateur du dossier au Monde, Philippe Boggio, situe presque exclusivement «?l’effet Soljenitsyne?» au cœur de l’explication du «?silence?» de 1983?: «?Quand les socialistes affrontent enfin l’épreuve des faits, l’intelligentsia affirme achever sa mutation historique par rapport aux idées mêmes du socialisme.?» Et de conclure son introduction au dossier, après les réactions convergentes d’André Glucksmann et Bernard-Henri Lévy, avec celle de François George?: «?Les intellectuels sont tous, ou presque, devenus des anticommunistes farouches et tant que le gouvernement sera en proie au jeu du PC son action tout entière restera incomprise?» [30]. En visant les alliances au gouvernement et au Parlement entre socialistes et communistes, l’argument est assuré tant d’ouvrir la polémique à «?gauche?» (indignations à L’Humanité et à Révolution[31]) que de réunir des soutiens à «?droite?» (Le Figaro[32]) et dans la «?deuxième gauche?» (Le Nouvel Observateur[33]), sur un schéma analogue à celui de la controverse antérieure sur la question polonaise et surtout, quelques années plus tôt, sur «?l’anti-totalitarisme?». Le dossier sur le «?silence des intellectuels?» emmené par Philippe Boggio?– futur biographe de Bernard-Henri Lévy?– et les premières explications de «?nouveaux philosophes?» avancées, sonnent en effet comme une nouvelle entreprise d’?«?émancipation?» intellectuelle du PS à l’égard de son offre politique d’inspiration marxiste.

10Lancée dans le sillage de la publication de L’Archipel du Goulag, la polémique sur les «?nouveaux philosophes?» venait déjà miner «?par la gauche?» le lien tenu pour acquis entre «?intellectuel?», «?critique?» et «?progrès social?» [34]. Tente de s’affirmer à cette occasion un point de rétorsion rhétorique pour toute critique radicale du capitalisme désormais contaminée par un marxisme assassin?: «?Sans Marx, pas de révolution, sans le marxisme, pas de camp?»?; «?Le goulag est né en 1844?» [35]. Ce type de raccourci historique, plus proche du slogan politique que de l’analyse sociohistorique, sauve paradoxalement l’essentiel?en charriant une vision idéaliste de l’intellectuel capable de transformer radicalement le monde par le pouvoir programmatique et univoque de ses écrits. La dénonciation en accroît de façon vertigineuse le rôle historique antérieur et participe à son niveau d’une mythologie négative des intellectuels.

11Dans les années 1970, cette définition «?antimarxiste?» de l’intellectuel ne trouve pourtant guère de soutiens dans le champ politique à gauche et moins encore dans le mouvement social. Les soutiens politiques et journalistiques?viennent pour l’essentiel de la «?deuxième gauche?» et de la droite. Avec le Programme commun, le PCF et le PS inscrivent leur offre politique dans une logique de «?rupture de société?» où la référence au marxisme s’avère prégnante [36]. Pendant la campagne présidentielle et avec le Projet socialiste, cette logique discursive s’impose encore aux rédactions liées à la «?deuxième gauche?» sous peine de se voir reclassées et déclassées politiquement par leur lectorat [37]. L’alternance acquise, la contrainte se desserrera. Plus encore, une fois l’épisode Solidarno?? «?amorti?» en 1981-1982, le discours «?réaliste?» ou «?gestionnaire?» consacré dans les sphères gouvernementales et journalistiques à partir de 1982-1983, puis les quatre ministres communistes (sur quarante-quatre) retirés du gouvernement et la figure de l’entrepreneur célébrée par le nouveau Premier ministre à partir de 1984, l’antitotalitarisme?apparaît progressivement au niveau national comme un discours sans actualité, sans enjeux, sans réel adversaire [38]. D’autant plus que «?la “captation” des attentes, et d’une partie des leaders, des entreprises contestataires?par le PS apporte sa contribution au délitement de l’espace des mouvements sociaux que connaît la France dans les années 1980?» [39].

12C’est dans ce contexte que la «?révélation antitotalitaire?» – cette idée que des intellectuels (re)découvriraient la réalité du communisme et entreraient subitement dans une crise ou un désarroi idéologique?– est constituée en force motrice du déclin de «?l’intellectuel de gauche?». L’explication sur le mode de la «?prise de conscience?» ou de la «?conversion?» par un supposé «?effet Soljenitsyne?»?– reprise sinon formée très vite par l’historiographie des intellectuels?– entérine de fait la revendication iconoclastique des «?nouveaux philosophes?» et néglige l’évolution des conditions d’énonciation revendicative en amont et en aval de «?l’alternance?», autant que la diversité de la gauche antistalinienne [40]. Contre-exemple éloquent en 1984, qui converge avec plusieurs prises de position dans la polémique de 1983 analysées plus loin, Michel Foucault ne souscrit guère à la thèse d’un antimarxisme généralisé des intellectuels mais vise plutôt l’opportunisme gouvernemental et le conformisme des socialistes dans le désarroi idéologique de la gauche?:

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«?Et maintenant que vous changez de front, sous la pression d’un réel que vous n’avez pas été capables de percevoir, vous nous demandez de vous fournir, non la pensée qui vous permettrait de l’affronter mais le discours qui masquerait votre changement. Le mal ne vient pas, comme on l’a dit, du fait que les intellectuels ont cessé d’être marxistes au moment où les communistes arrivèrent au pouvoir, il tient au fait que les scrupules de votre alliance vous ont empêchés, en temps utile, de faire avec les intellectuels le travail de pensée qui vous aurait rendu capables de gouverner autrement qu’avec vos mots d’ordre vieillis et les techniques mal rajeunies des autres?» [41].

Le son du «?silence?»?: étiologues et étiologie du déclin

14Le dossier sur «?le silence des intellectuels?» une fois lancé se joue sans les principaux intéressés désignés dans les articles de cadrage?: Simone de Beauvoir, Michel Foucault, Pierre Bourdieu restent muets. Quelques propos de Gilles Deleuze, Vladimir Jankélévitch et Jean-Claude Milner sont rapportés et déjà accompagnés des réactions de Catherine Clément, Jorge Semprun, Régis Debray, Alain Finkielkraut, Bernard-Henri Lévy, André Glucksmann et Jean-Edern Hallier. Une «?configuration de charisme indirect?» [42] se perpétue alors, où l’on parle génériquement des «?grands intellectuels?» mais surtout, où leur silence gardé autorise redéfinitions et revendications charismatiques, particulièrement au Monde qui invite ses lecteurs à réagir.

Un «?silence?» de qualité?: les titres à parler en «?intellectuel?»

15En prenant pour hypothèse que «?la question de la définition de l’intellectuel ou, mieux, du travail proprement intellectuel, est inséparable de la question de la délimitation de la population qui peut être admise à participer à cette définition?» [43], force est de constater que l’ouverture?des colonnes du Monde est à la mesure du «?quartier de noblesse culturelle?» des correspondants. Les titres-à-parler se composent majoritairement de journalistes et d’universitaires, parisiens, blancs et masculins, reproduisant de façon accentuée tant la structure concentrée et sexuée de la production sur l’«?intellectuel?» en France que celle de la rédaction et du lectorat de ce quotidien (sur les autres supports de presse, on trouve exclusivement des éditorialistes). On ne connaît pas le nombre et la teneur des textes envoyés au quotidien mais non publiés?; mais sur les soixante et onze contributions identifiées au Monde, on trouve plus de 90?% d’hommes. Elles se divisent en trois formats?: articles (58?%), lettres (39?%), reprises de presse (3?%). Dans les quarante et un articles, plus de la moitié des auteurs ne sont pas identifiés professionnellement par la rédaction (vingt-trois, soit 56?%). En s’en tenant à la présentation du quotidien, on trouve un quart de «?professeurs?» (onze, soit 26,8?%), des responsables politiques ou d’administrations culturelles (quatre, soit 9,75?%), un journaliste (2,8?%) et un écrivain. Dans les vingt-huit «?lettres?», avec une indétermination des statuts analogue (treize, soit 46,4?%), on trouve principalement des universitaires (huit, soit 28,5?%), un journaliste (3,5?%), un responsable de groupe de réflexion, un essayiste, un bibliothécaire, un académicien, un étudiant, un instituteur, un professeur au Collège de France, un économiste et un écrivain. L’indétermination des statuts joue globalement au profit des journalistes en assurant, ici encore, une forme de «?consécration par contagion?» [44] des intermédiaires culturels?: plus d’un intervenant sur trois présenté sans titre est journaliste dans son activité principale, quand moins d’un sur quatre est universitaire, moins d’un sur dix écrivain, enfin un sur quatre reste après recherches au statut indéterminé. Pour l’ensemble des formats, 39?% des contributeurs sont professeurs – du secondaire ou du supérieur, philosophes, sociologues et historiens se partageant les rôles –, près de 27?% journalistes, souvent proches du Monde, près de 10?% responsables administratifs ou politiques, au parcours intellectuel prononcé?: Catherine Clément, Max Gallo, Jean Gattégno, Lionel Stoléru, comme pour les écrivains.

16Aucune ou presque des interventions ne s’apparente à une réponse collective. Seules se succèdent des prises de positions singulières, à l’exemple typique d’Henri Guillemin?: «?Je ne compte guère, certes, mais je suis avec François Mitterrand?; peut-être mal ravi, mais indéfectible. Assez pareil à “Janké[lévitch]”, mon camarade de promotion, rue d’Ulm […] disant oui, mais peu capable de “commentaires”. J’avais simplement envie de vous le signaler?» [45]. Contrairement au tableau qu’il est convenu de dépeindre de cette polémique, nostalgie, résignation?et pessimisme?sont loin d’être partagés par les participants. En revanche, ces thèmes apparaissent surreprésentés dans les articles de cadrage du dossier et dans les lettres que la rédaction du Monde a choisi de publier?: «?Cette corporation n’existe plus. […] Excusez ces propos désabusés. Mai 1968 est passé par là et le monde va trop vite?» [46], «?parce qu’est révolu le temps des grands écrivains “extravertis”, capables d’être “la conscience de leur temps”, […] et que les plus grands écrivains français vivants refusent toute forme d’engagement et de publicité?» [47]?; un «?groupe de lecteurs?» crie encore son «?ras-le-bol?des “intellectuels”?» [48]. Dans le reste de la presse et surtout à «?droite?», le «?silence des intellectuels?» offre l’occasion de dénoncer l’archaïsme du PS [49], de révéler un «?changement de paradigme?» culturel en faveur du libéralisme [50], d’analyser en termes stratégistes l’empiètement de Max Gallo sur la juridiction de Jack Lang [51], de critiquer l’enquête du Monde et d’exalter l’indépendance politique de l’intellectuel [52], voire même d’observer la convergence des «?reproches faits au pouvoir par les chefs d’entreprise [et] des intellectuels dits de gauche?» [53]. La rédaction du Matin de Paris oppose à ce travail d’exégèse idéologique des témoignages plus prosaïques faisant état d’une loyauté contrainte des intellectuels face à un gouvernement socialo-communiste?: Jean Baudrillard déclare par exemple réserver à l’espace privé sa critique du gouvernement sous peine de passer pour droitier [54], quand Jacques Derrida, à l’instar de Michel Foucault, voudrait sortir de «?l’alternative intellectuel d’État ou intellectuel boudeur, voire par principe opposant?» [55].

17Pour ce qui concerne les articles publiés au Monde, l’actualité et l’avenir de l’intellectuel se voient défendus au gré des positions et des clivages propres à l’espace intellectuel. Deux modalités idéal-typiques d’intervention se dégagent?: soit les participants cherchent des causes au «?silence?», soit ils cherchent des causes au «?débat?» lui-même. Ces deux étiologies cohabitent parfois dans le même papier. Dans le premier pôle d’explication, où se mêlent journalistes, universitaires, hauts fonctionnaires et hommes politiques, sont mises en avant des transformations idéologiques, voire une incapacité de l’intellectuel à se prononcer sur certains enjeux, notamment économiques. Dans le second pôle, où l’on trouve essentiellement des universitaires, les intervenants retiennent une définition ouverte et actualisée de «?l’intellectuel?», différente de celle du cadrage initial, en dénonçant parfois un coup de force médiatique et en visant la fermeture du gouvernement sur lui-même. Finalement, la grande majorité des interventions au Monde ne corrobore pas le cadrage initial qui met l’accent sur l’antitotalitarisme et la décrépitude des intellectuels.

Causes premières?: transformations idéologiques et «?technicité?» de la politique économique

18Percevant la démonétisation au Monde du «?marxisme?», auquel il est à haut niveau associé («?Vous [la rédaction du Monde] refusez, semble-t-il, ce qui porte cette marque, le “marxisme”?»), Henri Lefebvre dénonce non seulement la «?nullité?théorique, philosophique, idéologique?» des «?intellectuels de droite?», mais surtout le «?goût morbide de l’autodestruction?», «?l’hypercriticisme?» des «?gens de gauche ou réputés tels?» qui ont «?démoli l’humanisme?» et «?le progressisme?» et n’ont pas soutenu le «?projet, hautement proclamé?» de lutte contre «?une idéologie conquérante, envahissante?: l’américanisme, le fameux […] “american way of life”, plus agissant que jamais?» [56]. L’essayiste Guy Sorman, libéral assumé, rend lui aussi compte de l’avènement d’un «?nouveau libéralisme?» venu d’outre-Atlantique, qui séduit de plus en plus d’intellectuels et explique leur peu d’entrain à l’égard du gouvernement [57]. Jean-François Lyotard livre quant à lui en conclusion du dossier son Tombeau pour l’intellectuel, où il signale une autre mutation idéologique globale, celle de la fin des grands récits, des grandes causes historiques et totalisantes (des «?méta-récits?» et des «?sujets-victimes universels?») en partie liée à la professionnalisation, notamment universitaire, de «?l’intelligence?» [58].

19Une autre explication du silence directement liée à l’action publique, et plus particulièrement à la politique économique des années 1982-1983, est avancée, avec le thème des «?chiffres [qui] font taire les lettres?» ou de «?l’économisme qui triomphe?» [59]. C’est la technicité de ces questions qui neutraliserait les intellectuels, comme l’avance un énarque?: «?Je vois mal […] Derrida chargé de trouver une solution au déficit de l’assurance-maladie ou avoir la responsabilité de la lutte contre le chômage?» [60]. Sur un mode proche, Claude Mauriac, s’il soutient le gouvernement, «?se sent mal équipé pour cela?» [61]. L’appareillage critique de «?l’intellectuel?de gauche?» ne semble alors plus trouver prise sur les questions urgentes de politique économique. Quelques années plus tôt, Foucault traitait de façon équivoque du néolibéralisme dans ses cours au Collège de France, sans définir de lignes d’action précises [62]. Plus encore, de nombreux économistes d’inspiration marxiste se trouvent encore à la Direction de la prévision, à l’INSEE ou au Plan. Ces derniers s’avèrent parfois contraints par la direction politique du PS ou du PCF et, s’ils sont consultés tardivement par l’Élysée et Matignon via Jacques Attali, comme c’est le cas pour les principaux régulationnistes (Michel Aglietta, Robert Boyer, Benjamin Coriat, Alain Lipietz, Jacques Mistral), restent inaudibles ou incapables d’infléchir un processus de décision en grande partie structuré par l’antagonisme entre la ligne colberto-keynésienne du CERES et celle, orthodoxe, de Jacques Delors, soutenue de longue date par le Trésor et la Banque de France [63].

20Le seul économiste intervenant dans la polémique sur le silence des intellectuels considère qu’il n’y a pas débat à gauche sur ces questions [64]. Au confinement bureaucratique des débats vient en effet s’ajouter le soutien précoce de la «?deuxième gauche?» et du nouveau service Économie de Libération à la politique de rigueur menée par Jacques Delors. Les arrivants à Libération, Éric Dupin, Laurent Joffrin, Pierre Briançon, ainsi que Pierre Rosanvallon comme chroniqueur – les trois premiers passés par Sciences Po, et pour les deux premiers par le PS, le dernier par HEC et la CFDT –, accompagnent le tournant «?réaliste?» du gouvernement et le magnifient dans l’émission et le dossier «?Vive la crise?!?» en 1984 [65]. Associant alors «?l’échec de la relance?» au projet socialiste de rupture, de nombreux acteurs?– responsables socialistes en concurrence avec la tendance Mauroy, opposition parlementaire, hauts fonctionnaires du Trésor et de la Banque de France, intellectuels et journalistes liés à la «?deuxième gauche?» et à la «?droite?» – vont contraindre le PS à ravaler sa façade politique et à redéfinir les limites du «?réalisme?» économique. Plus largement, si le réformisme «?moderne?», «?autogestionnaire?» et critiquant «?l’orthodoxie étatique et productiviste?» [66] trouve avant 1981 un Parti socialiste récalcitrant, il gagne brusquement en centralité en démonétisant le thème marxisant de la «?critique sociale?» et ses porteurs, en diagnostiquant «?la crise de l’État-providence?» et la «?fin des grandes idéologies?», en promouvant un «?syndicalisme de proposition?», une philosophie du sujet, de l’État de droit [67] et de l’équité [68], une figure telle que Tocqueville [69], une vision close de la Révolution française, ainsi qu’un engagement intellectuel expert éloigné des modalités d’action de l’intellectuel de gauche?tourné vers les mouvements sociaux et interpellant les autorités. Autant d’éléments définissant sur l’instant pour certains une véritable «?deuxième droite?» [70].

La promotion d’un intellectuel «?moderne?», «?réaliste?», «?responsable?»

21À la différence des «?nouveaux philosophes?» placés en première ligne de la polémique, les membres de la gauche rocardienne, autour de la CFDT, d’Esprit, du Débat ou du nouveau?Libération, se montrent remarquablement absents, alors même qu’ils assument depuis plusieurs années la paternité de cette topique crisologique sur l’intellectuel [71]. L’antimarxisme de la «?deuxième gauche?» converge pour partie avec l’antitotalitarisme?des «?nouveaux philosophes?», mais ces derniers demeurent objet d’une certaine réprobation?; spécialement lors de la parution de l’Idéologie française de Bernard-Henri Lévy, considéré par Pierre Nora, qui incarne le pôle éditorial de ce courant, comme un «?phénomène si désarmant pour beaucoup, et si central dans l’ébranlement présent des valeurs éditoriales et intellectuelles?» [72]. Avant de prendre la mesure du «?virage?» de 1983, avant la création en 1984 de l’institut Raymond Aron, les acteurs mobilisés en faveur de la «?deuxième gauche?», qu’ils soient journalistes, éditeurs, universitaires ou patrons, sont d’abord confrontés à leur échec relatif en 1981.

22Ce désenchantement politique a pu déterminer «?la fortune d’une série de “petites” mobilisations ayant pour objet la défense ou la promotion d’une “modernité” éclairée perçue comme injustement et illégitimement remisée au placard. Ces mobilisations s’effectueront, d’une manière ou d’une autre, aux dépens de la politique du gouvernement socialiste. Celui-ci ne sera toutefois jamais attaqué de front, c’est-à-dire par les voies consacrées de la politique (démission, scission, création d’un nouveau parti)?» [73]; ni par des prises de position publiques, de type pétitionnaire par exemple [74]. Ces mobilisations?presque synchrones sont la création de la Fondation Saint-Simon et l’ouverture du capital de Libération à des actionnaires extérieurs, notamment des «?patrons de gauche?», fin 1982. Elles visent à soutenir une «?prise de parole?» alternative en direction des «?partenaires sociaux?», de la haute fonction publique et des milieux intellectuels?et journalistiques [75]. Au «?lieu neutre?» [76] que représente la Fondation Saint-Simon se cumulent des pôles de traduction et de diffusion intellectuelles avec Esprit et le Débat, voire souvent Commentaire, ou grand public avec Libération, Le Nouvel Observateur, Le Monde ou L’Express.

23Dans ce creuset est défendue l’idée que la figure sartrienne est dépassée par l’intellectuel universitaire ou l’expert, dont la «?source de légitimité?» repose désormais sur le «?savoir positif?» [77]. À la parution de ses Mémoires et à sa mort en 1983, sont ainsi redécouvertes les vertus cardinales de Raymond Aron?: Libération lui consacre un dossier nécrologique copieux, impensable quelques années plus tôt, magnifiant sa «?lucidité?» et son actualité en tant qu’«?intellectuel réaliste?» ou «?meilleur prof de France?» [78]. À la différence de la veillée funèbre autour de Sartre en 1980 où l’on enterre une dernière fois le gauchisme [79], ou de celle plus équivoque de Foucault en 1984, le mort saisit ici le vif. Cette redéfinition de «?gauche?» de l’intellectuel, opposée à l’intellectuel engagé?sartrien, proche en apparence de l’intellectuel spécifique?foucaldien?– n’était la collaboration étroite de ce dernier avec les groupes dominés?–, mais le plus souvent alignée sur la figure de l’intellectuel technocrate ou gestionnaire à l’américaine [80], trouvera à s’épanouir après l’alternance avec la multiplication des notes et rapports de commissions [81], ainsi qu’avec la nouvelle norme de production journalistique laissant prospérer la «?tribune libre?» et l’appel aux «?experts?». La baisse abrupte des ventes de la presse de gauche, en renforçant l’emprise des (logiques) gestionnaires, justifie en effet la redéfinition de son identité journalistique sur un mode «?apartisan?», «?neutre?» ou «?objectif?» et promue comme «?professionnalisation?» des rédactions [82].

Des intellectuels à vif

24S’il ne faut prêter une pleine homogénéité à ce pôle de structuration d’un «?intellectuel?responsable?» ou «?démocratique?» [83], il faut simultanément considérer combien la définition d’un ennemi commun?– «?la pensée critique?», «?(nietzschéo-)marxiste?», «?antihumaniste?», «?relativiste?», «?déterministe?», etc.?– a aussi permis de faire tenir ce collectif centrifuge dans les années 1980. Le dossier du Nouvel Observateur «?La grande lessive des intellectuels?», lié à la sortie en 1985 de La Pensée 68 de Luc Ferry et Alain Renaut, contributeurs réguliers du Débat, comme en 1987 celui composé autour de La Défaite de la pensée d’Alain Finkielkraut?– les deux publiés chez Gallimard?–, peuvent apparaître comme acmé de cette hostilité cette décennie-là [84]. Le «?réseau de consolidation?» [85] formé par ce club de pensée, des segments clés de la presse généraliste, des revues, des collections et maisons d’édition, des membres de cabinets ministériels, des patrons et des permanents syndicaux, tend de ce fait à borner «?à gauche?» l’espace de valorisation intellectuelle sur des circuits de diffusion à la fois élargis et restreints?; situation qu’entendent déjà contester de diverses manières d’autres participants au débat sur le «?silence des intellectuels?».

Définition actualisée de l’intellectuel et critique de l’espace de valorisation intellectuelle

25Les principaux critiques de la problématisation du dossier dans Le Monde sont des universitaires. Certains commencent par défendre de nouvelles façons d’incarner l’intellectuel et leur participation aux «?responsabilités?»?: Jean-Pierre Faye, l’installation de son Collège de philosophie [86]?; Claude Allègre, la politique scientifique de «?rupture?» du gouvernement et une définition de l’intellectuel élargie à tous les scientifiques [87]. Catherine Clément, alors sous-directrice des échanges artistiques et culturels au ministère des Relations extérieures, laisse à chacun «?choisir […] sa propre distance par rapport au pouvoir d’État?» [88]. Madeleine Rebérioux?demande aussi?: «?Est-ce donc un drame si s’élargit et se remodèle, fût-ce sans leaders, le cercle de ceux qui travaillent à savoir, qui tentent de créer, qui s’essaient à penser???» [89] L’écrivain Yves Navarre considère en outre que «?les Gide, les Alain, les Malraux, les Langevin sont là, mais ils ne sont pas des reproductions et ils ne sont plus en représentation?» [90]. D’autres entendent réaffirmer la liberté critique de l’intellectuel, comme Alfred Grosser?: «?Il n’y a pas lieu de “mobiliser” les intellectuels. Surtout pas de façon négative, […] en les appelant au combat contre la méchante droite?» [91]. Il conseille au gouvernement de ne pas voir «?en toute critique un acte d’hostilité systématique?».

26Les promoteurs du dossier sont également pris à partie. Jean Gattégno, alors directeur du Livre et de la lecture au ministère de la Culture, pointe le fait que «?les deux articles de P. Boggio font surtout parler des intellectuels de droite. Car ce n’est pas agresser J.-E. Hallier, E. Le Roy Ladurie, B.-H. Lévy ou P. Sollers […] que de relever que, depuis belle lurette, ils ont renoncé à passer pour des intellectuels de gauche [92].?» Sur un mode proche, Marc Riglet, alors chef de rédaction du service politique de France Culture, considère que «?les intellectuels de la deuxième gauche et de la nouvelle droite, ni vraiment savants ni vraiment politiques, ont affaibli et affadi la bataille des idées. Du marché de la culture, ils ont fait un commerce, et, dans le désordre des références éclectiques, ils règnent aujourd’hui, sans idées, sur l’empire des idées?» [93]. Avant d’énoncer ce qui devrait véritablement faire débat, comme l’écologie, le fonctionnement de l’Éducation nationale, de l’hôpital psychiatrique ou des prisons [94], et permettre de «?“reconstituer” les interlocuteurs collectifs de gauche qui paraissent manquer au gouvernement actuel?», Félix Guattari accuse vertement ce débat d’être un coup médiatique?: «?ultime recours?» pour pallier «?une rupture de stock dans les opérations de promotion collective du genre “nouveaux philosophes”?».

27

«?Après le roman centré sur le mal d’écrire, le film sur la fin du cinéma, après le post-moderne et la mort de la philosophie, on lance le thème du prophète intellectuel pataugeant dans sa propre déchéance. […] Tous ceux qui font aujourd’hui profession de penser, de chercher, de créer, de produire d’autres possibles, ne se reconnaissent plus dans aucun porte-parole. Et rassurez-vous sur leur santé, ils ne s’en portent que mieux?! […]?On se rappelle, il y a quelques mois, l’extraordinaire?: “Et le courage bordel?!” de J. Daniel, dans Le Nouvel Observateur. Aujourd’hui, c’est M. Gallo […] qui nous gratifie […] d’une homélie sur le ramollissement cérébral des intellectuels de gauche […]. Dans la foulée, P. Boggio nous livre une dissertation entomologique sur la dégénérescence de la race des “maîtres à penser” […]. Mais d’abord, qu’est ce que c’est que ça, un “grand intellectuel de gauche”?? […] Il s’agit plutôt d’un ensemble flou, dont le contour est modelé au gré des rédacteurs en chef de la presse écrite et des directeurs des maisons d’édition?» [95].

28La critique s’inscrit là dans un sillon bien tracé. Depuis l’épisode «?nouveaux philosophes?», l’accès contrarié au marché de grande diffusion culturelle et le succès éditorial et journalistique de penseurs jugés trop spectaculaires et trop peu scrupuleux sont pointés par des auteurs aussi différents qu’Aron, Boudon, Bourricaud, Bourdieu, Bouveresse, Castoriadis, Debray, Deleuze, Derrida, Foucault ou Vidal-Naquet [96]. Sur des modes variés, ces critiques peuvent se lire comme autant de défenses de «?la République des lettres?» par des agents qui ont au moins en commun de prétendre à une forme de magistère intellectuel et d’être extérieurs au réseau de la «?deuxième gauche?». Elles visent moins des concurrents directs dans les sous-champs restreints (philosophique, sociologique, etc.) que des processus redéfinissant de «?l’extérieur?» la hiérarchie des valeurs intellectuelles et restreignant l’exercice de la critique et l’accès à la grande diffusion, point de passage alors obligé pour exister comme «?intellectuel?». Ces appréciations participent d’une explicitation des frontières et des relations de dépendance entre l’univers intellectuel et l’univers journalistique, et militent pour le retour à une «?exigence?» et à un «?pluralisme?» hérités des années 1960 et 1970 et récemment perdus. En l’absence d’instance de juridiction impartiale en ce domaine, un tel réquisitoire place l’énonciateur?– malgré (ou à cause de) son prestige intellectuel (inégal)?– dans une position de juge et de partie doublement inconfortable et illégitime [97]. Sans être réellement discutée et a fortiori invalidée, sa perspective peut être aisément réduite par des journalistes à un ressentiment, une dénonciation, une «?jalousie théorisée?» [98] ou encore retraduite en lamento [99]. Le dispositif foucaldien du «?masque?» [100] cherche dans ce cadre à déjouer la réduction sociologiste et à mettre en question le nouveau mode de consécration médiatique, en particulier le rôle croissant occupé par la télévision dans ce circuit de légitimation.

Les fondements d’un monologue critique durable sur «?les médias?»

29Ce monologue critique sur «?les médias?» et sur l’édition va se poursuivre des années durant, quand des historiens, des sociologues ou des politistes s’interrogeront sur la «?redistribution de l’hégémonie culturelle?» [101], sur le «?changement de configuration culturelle?» [102] ou sur «?les déterminants sociaux de l’évanouissement du modèle antérieur de l’intellectuel “engagé”?» [103]. Peut ainsi être avancée la thèse suivant laquelle «?derrière le marronnier complaisant des années 1980 sur le “silence des intellectuels” se cache le dénouement d’une formidable bataille pour la définition de la hiérarchie symbolique des titres-à-parler, bataille qui s’est soldée par une nette victoire du champ journalistique qui s’est octroyé à cette occasion une véritable fonction de juridiction sur le monde intellectuel?» [104]. Mais entre ces deux univers, à ce «?poste de guet?» ou ce «?carrefour stratégique?» [105], il faut aussi compter des universitaires, principalement historiens. Ceux-ci participent à l’autonomisation croissante du champ journalistique à l’égard de fractions du champ intellectuel?; Le Nouvel Observateur en est l’archétype. Sur un mode intentionnaliste, son directeur s’en explique rétrospectivement?:

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«?En fait, Le Nouvel Observateur, à sa naissance, avait planifié l’établissement de tels réseaux. Non pas évidemment pour exercer on ne sait quel pouvoir, mais pour diffuser des idées et conquérir, par elles ou pour elles, une audience. Il est bien vrai – et j’apprécie cette occasion de le préciser – que nous avions décidé de contribuer au succès de “Sciences humaines” de Pierre Nora chez Gallimard, de l’inspiration de François Furet à l’École des Hautes Études, et que la communauté des orientations, l’intimité des relations, l’ardeur des ambitions intellectuelles avaient fini par susciter sinon un “milieu”, un espace idéologique, sinon une école. Jacques Julliard, Alain Touraine, André Burguière, Edgar Morin constituaient un premier cercle. C’était l’époque où Georges Duby, Emmanuel Le Roy Ladurie et Jacques Le Goff, entre autres, disposaient déjà, bien sûr, de tout leur immense talent mais avaient encore peu d’audience?; l’époque où Pierre Nora doutait qu’il pût continuer Le Débat et convaincre ses éditeurs de l’opportunité de ses grands projets. Le Nouvel Observateur fut le carrefour de ces rencontres, parfois le tremplin de ces ambitions [106].?»

31La trajectoire de Didier Eribon illustre a contrario cette évolution. Pendant quelques années, ce dernier a incarné à Libération une interface entre le champ intellectuel restreint et le champ journalistique, et rattache son départ forcé à ses relations amicales avec Bourdieu et Foucault.?Son arrivée au Nouvel Observateur tient à l’appui de ce dernier qui convainc Jean Daniel de l’engager [107].?D. Eribon n’intègre alors la rédaction qu’?«?à reculons?»?: «?il fallait bien continuer à exister professionnellement et matériellement [108].?» N’ayant pas alors les titres universitaires à convertir en poste, en particulier à l’EHESS, il se fraie une voie originale à la lisière des univers journalistique et intellectuel grâce à des entretiens avec Georges Dumézil et Claude Lévi-Strauss puis à la première biographie de Foucault?; cette dernière, aussitôt traduite et reconnue à l’étranger, lui permettra dans les années 1990 de s’internationaliser académiquement. Auparavant, la disparition de Foucault l’isole encore davantage dans une rédaction devenant «?de plus en plus hostile?à la pensée critique?». Plus généralement, la mort de Sartre et de Foucault ont pu accélérer, respectivement à Libération et au Nouvel Observateur, les repositionnements et la levée de certaines inhibitions, souvent dénoncés sur le mode de la trahison ou du reniement?à leur égard par des membres de ces rédactions alors mis en minorité ou poussés à l’exit[109].

32Pour des universitaires en poste, l’attraction du champ journalistique, mais aussi de l’édition ou de l’entreprise, peut trouver l’un de ses motifs structuraux dans la dévaluation symbolique de leur statut professionnel et dans la nouvelle manière de penser leur rôle d’intellectuel [110]. Pour une fraction d’aspirants, en particulier passés par la philosophie, la conjoncture basse des débouchés à l’université tend à renvoyer dans le journalisme, l’essayisme, l’expertise syndicale ou patronale, ou encore la politique ou l’humanitaire, la poursuite d’une vocation intellectuelle [111]. Prolongeant sous ce rapport et de façon paradoxale Sartre et l’humeur anti-institutionnelle de Mai 68 et rejouant l’opposition entre les «?écrivains?» et les «?professeurs?» de la fin du XIXe siècle, la posture morale et éditoriale des «?nouveaux philosophes?»?– qui disposent d’un capital scolaire et social suffisant pour contourner le verdict et le cursus honorum académiques?– se constitue d’autant plus logiquement dans la critique de l’université, des «?mandarins?», des «?maîtres à penser?» et de leur «?étroitesse d’esprit?», de leur «?esprit de sérieux?», de leur «?conservatisme?» ou de leur «?scientisme?»?; au moment même où des intellectuels tels que Pierre Bourdieu, Cornelius Castoriadis, Gilles Deleuze, Michel Foucault ou Pierre Vidal-Naquet y sont désormais spécifiquement consacrés, dressent une critique de l’évolution de l’édition et des médias, font figure d’ennemi de l’essayisme sur le terrain (de la rigueur) des idées [112] et redéfinissent en partie l’intellectuel par un ancrage dans la recherche universitaire contre l’intellectuel «?total?».

33Si par ailleurs les entreprises éditoriales liées à «?l’essai?» [113] touchent un public plus scolarisé, parfois déçu par la dévaluation des titres universitaires, et garnissant les rangs de nouvelles fractions de la petite bourgeoisie?– publicitaires, cadres de gestion, intermédiaires culturels, psychologues, etc.?: autant de nouveaux «?prophètes éthiques des sociétés bureaucratiques?» [114] qui ont parfois sublimé professionnellement leur engagement politique passé sur un marché du travail contracté et disciplinant [115]?–, elles commencent surtout à toucher un nouveau public?: plus élevé et homogène scolairement et socialement qu’auparavant, plus ouvert aux «?questions de société?» qu’aux «?questions sociales?», en des formes d’écriture moins appareillées et des temps de production raccourcis, moins socialisé (relativement) aux grandeurs, aux normes et aux désirs intellectuels antérieurs, issu de Sciences Po, de facultés de droit, d’écoles de journalisme ou de commerce, et moins d’étudiants de lettres ou d’autodidactes, spécialement à Libération, véritable pivot de cette transformation [116]. Cette évolution de l’offre journalistique épouse les transformations des rapports de force entre grandes écoles observables à cette période, au profit de Sciences Po et de l’ENA, et au détriment des ENS, dans la reproduction des fractions dirigeantes des classes dominantes et dans la promotion de figures intellectuelles d’?«?école?» [117].

34La fermeture relative de l’accès au marché de grande diffusion culturelle pour un certain nombre d’intellectuels désormais étiquetés «?critiques?»?– ceux déjà actifs dans les années 1960 et 1970 [118], mais surtout ceux inscrits dans leur sillage et en ascension dans leur secteur spécifique dans les années 1970 et 1980 [119]?– alimente leur hostilité ou leur dédain à l’égard d’institutions médiatiques ignorant leur travail et valorisant l’essayisme et, dans le même mouvement, un processus de spécialisation voire de neutralisation de leurs productions ou un repli «?corporatiste?», avec la promotion rénovée de la figure du «?professeur?» ou du «?chercheur?» [120]. Parallèlement, cette (auto)exclusion a progressivement pu conduire à des formes plus ou moins réinventées d’investissements militants et associatifs, éditoriaux, littéraires et intellectuels [121], voire de pratiques et de collaborations scientifiques in situ[122], ou, si l’on y tient, à la résurgence d’«?espaces publics oppositionnels?» [123]. Voyant reconfigurée leur position relative, Le Monde diplomatique ou France Culture peuvent apparaître, pour ces fractions intellectuelles consacrées dans leur ordre, comme des niches ou des lieux de repli aux marges du circuit de grande diffusion.

35La restructuration de l’espace de valorisation intellectuelle tend en définitive à (auto)exclure toute une série d’intellectuels, confortant ainsi même la prophétie sur leur «?fin?». Cette réduction relative au silence ou à l’inexistence publique d’un type d’intellectuel – si l’on préfère, cette constriction sociale – dont aucun groupe ne maîtrise à lui seul tous les ressorts sociaux, même si l’on compte de réels entrepreneurs et des positions stratégiques, éclaire sur un mode sociologique la supposée «?crise?» ou «?fin?» des intellectuels de gauche, telle que l’avait ratifiée sur-le-champ l’historiographie des intellectuels particulièrement développée à Sciences Po et relativement proche du pôle «?expert?» et deuxième gauche. Les transformations intra- et intersectorielles liées à la campagne présidentielle puis à l’alternance politique de 1981, et pesant sur l’espace des mouvements sociaux et le champ intellectuel, expliquent le contraste avec la période antérieure perçue comme fortement critique et productive. Une décennie plus tard, le mouvement social de décembre 1995, face à une droite supposée durablement remise sur pied, mettra à jour les pôles de structuration de l’intellectuel et les clivera autour de deux définitions, «?l’une plus proche des pouvoirs économiques, politiques, bureaucratiques et médiatiques, l’autre, plus autonome, tiraillée entre légitimité scientifique et légitimité militante?» [124]. Sous la plume d’éditorialistes et d’historiens au mieux pris au dépourvu, s’écrira quelque temps et selon le même schème binaire une nouvelle prophétie, annonçant, une fois n’est pas coutume, le «?grand retour des intellectuels?»…

Notes

  • [*]
    Maître de conférences en science politique, Université Paris Dauphine (IRISSO – CNRS).
  • [1]
    Parfois sur le mode ironique ou interrogatif?: M. Winock, «?L’âge d’or des intellectuels?», L’Histoire, novembre 1985?; J.-M.?Besnier, «?Les intellectuels?: mission terminée???», Raison présente, n°73, 1985, p.?39-53?; A.?Finkielkraut, P.?Ory, J.?Revel, M.?Winock, «?Changement intellectuel ou changement des intellectuels???», Le Débat, n°45, mai-septembre 1987, p.?40-58?; B.-H. Lévy, Éloge des intellectuels, Paris, Grasset, 1987?; J.-F.?Sirinelli, «?Les intellectuels au miroir du siècle?», Le Magazine littéraire, n°248, décembre 1987, p.?18-25?; id., J.-F.?Sirinelli, «?La fin des intellectuels français???», Revue européenne des sciences sociales, t.?XXVIII, n°87, 1990, p.?153-163?; P.?Ory (dir.), Dernières questions aux intellectuels, Paris, Orban, 1990?; L.?Bodin, Les intellectuels existent-ils??, Paris, Bayard, 1997?; M.?Winock, Le Siècle des intellectuels, Paris, Le Seuil, 1997, p.?606-618?; J.-F.?Sirinelli, «?Les quatre saisons des clercs?», Vingtième Siècle. Revue d’histoire, n°60, octobre-décembre 1998, p.?43-57?; P. Nora, «?Adieu aux intellectuels???», Le Débat, n°110, mai-août 2000, p.?4-14?; R.?Debray, I.?F. Suite et fin, Paris, Gallimard, 2000?; M.?Leymarie, Les intellectuels et la politique en France, Paris, PUF, 2001. Voir aussi, sur un autre mode?: P.?Anderson, La pensée tiède. Un regard critique sur la culture française, trad. de l’anglais par C.?Arnaud, Paris, Le Seuil, 2005, repris et actualisé dans Le Nouveau Vieux Monde, Marseille, Agone, 2011, p.?183-244?; L.?Janover, Tombeau pour le repos des avant-gardes, Arles, Sulliver, 2005.
  • [2]
    J.-F.?Sirinelli, Intellectuels et passions françaises, Paris, Gallimard, 1990. Méthode positiviste dont l’auteur reconnaît certaines limites mais qui écarte surtout l’hypothèse d’une redéfinition du répertoire d’action de l’intellectuel (collaborations associative, militante, partisane, syndicale, humanitaire, rapport d’expertise) et d’une prise de parole non «?médiatisée?».
  • [3]
    André Malraux (1901-1976), Pierre Clastres (1934-1977), Joseph Kessel (1898-1979), Maurice Clavel (1920-1979), Nicos Poulantzas (1936-1979), Romain Gary (1914-1980), Roland Barthes (1915-1980), Jean-Paul Sartre (1905-1980), Jacques Lacan (1901-1981), Jean Beaufret (1907-1982), Albert Soboul (1914-1982), Louis Aragon (1897-1982), Raymond Aron (1905-1983), Michel Foucault (1926-1984), Philippe Ariès (1914-1984), Boris Souvarine (1895-1984), Fernand Braudel (1902-1985), Georges Dumézil (1898-1986) et Simone de Beauvoir (1908-1986). Après avoir étranglé son épouse en 1980, Louis Althusser (1918-1990) est en quelque sorte symboliquement décédé.
  • [4]
    P. Ory, J.-F. Sirinelli, Les intellectuels en France, de l’affaire Dreyfus à nos jours, Paris, A.?Colin, 1986, 3e?éd., 2002, p.?227.
  • [5]
    Récurrente en matière philosophique?: J.-L. Fabiani, «?Enjeux et usages de la “crise” dans la philosophie universitaire en France au tournant du siècle?», Annales ESC, vol.?40, n°2, mars-avril 1985, p.?377-409.
  • [6]
    B. Gaïti, De Gaulle, prophète de la Cinquième République (1946-1962), Paris, Presses de Sciences Po, 1998, p.?17.
  • [7]
    J. Jurt, «?“Le silence des intellectuels”?? Zu einer Debatte im Frankreich Mitterrands?», in H.?Plocher, T.?R.?Kuhnle, B.?Malinowski (éd.), Esprit civique und Engagement. Festschrift für Henning Krauß zum 60. Geburtstag, Tübingen, Stauffenburg Verlag, 2003, p.?277-293.
  • [8]
    G. Sapiro, «?Modèles d’intervention politique des intellectuels. Le cas français?», Actes de la recherche en sciences sociales, n°176-177, mars 2009, p. 8-31.
  • [9]
    Nos développements se fondent sur le dépouillement systématique de la presse généraliste et des revues et mobilisent dans une visée de synthèse critique une littérature abondante, en particulier des mémoires de recherches. L’auteur tient à remercier le comité de lecture de la revue.
  • [10]
    Un seul article dans Le Monde.
  • [11]
    Le Herald Tribune et le Times en feront également état.
  • [12]
    «?Les intellectuels et le pouvoir?», Politique aujourd’hui, n°1-2, 1978, p.?41-57?; «?Que penser?? que dire?? que faire???», Esprit, n°33-34, septembre 1979?; P.?Nora, «?Que peuvent les intellectuels???», Le Débat, n°1, mai 1980, p.?3-19?; «?De quoi l’avenir sera-t-il fait???», Le Débat, n°4, septembre 1980, p.?3-88?; «?Les intellectuels et la politique?: le grand désarroi?», L’Express, avril 1981?; «?Les intellectuels et l’état de grâce?», Le Nouvel Observateur, 15 août 1981?; «?La gauche pour faire quoi???», sous-titres «?Le silence des intellectuels?» et «?Surpris, soufflés, hors du coup?», Esprit, n°10-11, octobre-novembre 1981?; D.?Pinto, «?Le socialisme et les intellectuels?: le conflit caché?», Le Débat, n°18, janvier 1982, p.?4-10?; «?L’intellectuel et le pouvoir?», Le Magazine littéraire, n°183, avril 1982, p.?17-57. Un livre réunissant une quinzaine d’entretiens parus au Quotidien de Paris tout au long de l’année 1982 sur ce thème paraît quelques semaines avant la polémique?: E.?Malet (éd.), Socrate et la rose. Les intellectuels et le pouvoir socialiste, Paris, Éd. du Quotidien, 1983.
  • [13]
    J.?Boissonnat, «?Les silences des esprits?», La Croix, 30 août 1983.
  • [14]
    Ph. Juhem, «?Alternances politiques et transformations du champ de l’information en France après 1981?», Politix, vol.?14, n°56, 2001, p.?185-208.
  • [15]
    Chapeau de l’article de Ph.?Boggio, «?Le silence des intellectuels. II. Les chemins de traverse?», Le Monde, 28 juillet 1983?; et B.?Frappat d’ajouter la veille?: «?Réveillez-vous, cœurs endormis, intelligences assoupies?! Vous désespérez l’Élysée.?»
  • [16]
    Encadré d’ouverture du dossier à la «?une?», non signé, Le Monde, 26 juillet 1983.
  • [17]
    M. Gallo, «?Les intellectuels, la politique et la modernité?», ibid.
  • [18]
    M. Gallo, «?Le silence et les rumeurs?», L’Unité, septembre 1981.
  • [19]
    M. Foucault «?Est-il donc important de penser???», entretien avec D.?Eribon, Libération, 30-31 mai 1981, repris in Dits et écrits, t.?II, Paris, Gallimard, 1994, p.?997-1001.
  • [20]
    Sur ce point qui reste à approfondir, voir de premiers éléments dans?: P.?Birnbaum (dir.), Les élites socialistes au pouvoir, Paris, PUF, 1985?; R.?Rieffel, La tribu des clercs. Les intellectuels sous la Ve?République. 1958-1990, Paris, Calmann-Lévy/CNRS, 1993, p.?201-205?; L.?Fourgeron, Y.?Dehée, «?Le Président et les écrivains. Les fréquentations littéraires de François Mitterrand?», in S.?Berstein, P.?Milza, J.-L.?Bianco (éd.), Les années Mitterrand, les années du changement (1981-1984), Paris, Perrin, 2001, p.?872-897?; L.?Mathieu, La double peine. Histoire d’une lutte inachevée, Paris, La Dispute, 2006.
  • [21]
    Conseiller culturel à New York ou administrateur général de la Bibliothèque nationale de France, d’après D.?Eribon, Michel Foucault (1926-1984), Paris, Flammarion, 1989, éd. revue et enrichie, 2011, p.?477-478.
  • [22]
    M. Gallo, «?Les intellectuels, la politique…?», art. cité.
  • [23]
    Sur cet épisode?: N. Defaud, La CFDT (1968-1995). De l’autogestion au syndicalisme de proposition, Presses de Sciences Po, 2009?; F.?Poupeau et T.?Discepolo, «?Conjonctions, conjonctures, conjectures. Introduction aux notes prises par P.?Bourdieu en décembre 1981 et janvier 1982 lors des réunions à la CFDT et des conférences de presse en soutien à Solidarno???», Agone. Histoire, Politique & Sociologie, n°44, 2010, p.?181-198.
  • [24]
    Libération, 18 décembre 1981, avec la déclaration de Lionel Jospin, les réponses de Pierre Vidal-Naquet et Michel Foucault, ainsi que la lettre d’Yves Montand.
  • [25]
    A. O. Hirschman, Exit, Voice and Loyalty, Cambridge (Mass.), Harvard University Press, 1970.
  • [26]
    P. Bourdieu «?Retrouver la tradition libertaire de la gauche…?», propos recueillis par R. Pierre et D. Eribon, Libération, 23 décembre 1981, repris in Interventions, 1961-2001. Science sociale et action politique, Marseille, Agone, 2002, p.?165-169.
  • [27]
    Cité in D. Eribon, Michel Foucault, op. cit., p. 493.
  • [28]
    P. Bourdieu, «?Une libre pensée?», L’Indice, Rome, octobre 1984, paru en italien (texte original repris in D.?Eribon, Michel Foucault, op. cit., p.?579-588, p.?588). Deux livraisons de la revue de Pierre Bourdieu parus précisément en 1981 portent sur le champ politique?: «?La représentation politique?», Actes de la recherche en sciences sociales, n°36-37, février-mars 1981, et n°38, mai 1981.
  • [29]
    En considérant, d’une part, que l’?«?une des propriétés objectives du champ intellectuel [est que l’] on y lutte pour être unique?», et en analysant, d’autre part, «?la disparition des conditions sociales de possibilité de l’intellectuel total incarné par une seule personne?», P.?Bourdieu cherche par exemple, dès cette époque, à «?réaliser dans l’état actuel quelque chose d’équivalent?», qui prendrait la forme d’un «?intellectuel collectif?»?: «?La fin des intellectuels???», Noroit, n° 253, novembre 1980, et n° 254, décembre 1980, p.?2-8 et 17-23, p. 7 et 23.
  • [30]
    Ph. Boggio, «?Le silence des intellectuels. I. Victoire à contretemps?», Le Monde, 27 juillet 1983.
  • [31]
    À l’Humanité?: G. Hermier, «?Intellectuels?: un silence entendu?», 3 août 1983?; C.?Cabanes, «?Le silence et le vacarme?», 11 août 1983?; A.?Spire, «?Le passeport de Jean Daniel?», 22 août 1983. À Révolution?: E.?Breton, «?Inventer fatigue?», 29 juillet-4 août 1983?; P.?de la Higuera, «?L’événement de l’été?», 5-11 août 1983.
  • [32]
    Au Figaro?: J. Musy, «?Le sens d’une défaite?», 26 juillet 1983?; A.?Besançon, «?Le rejet du totalitarisme idéologique?», 3 août 1983?; F.?Bourricaud, «?La gueule de bois des intellectuels?», 6?septembre 1983.
  • [33]
    J. Daniel, «?Le prince et les scribes?», Le Nouvel Observateur, 19 août 1983.
  • [34]
    Sur ce thème très documenté?: C.?Grignon, «?Tristes topiques?», Actes de la recherche en sciences sociales, vol.?2, n°1, février 1976, p.?32-42?; J.-M.?Piotte, Marxisme et pays socialistes. Essai, Montréal, VLB Éditeur, 1979?; L.?Janover, Les intellectuels face à l’histoire, Paris, Galilée, 1980?; P.?Ory, L’Entre-deux-mai?: histoire culturelle de la France, mai 1968 - mai 1981, Paris, Le Seuil, 1983?; P.?Grémion, Paris/Prague. La gauche face au renouveau et à la régression tchécoslovaques, Paris, Julliard, 1984?; T.?Judt, Le marxisme et la gauche française, 1830-1981, Paris, Hachette, 1987 [1986]?; G.?Bowd, L’interminable enterrement. Le communisme et les intellectuels français depuis 1956, Paris, Digraphe, 1999?; B.?Goudard, L’explosion médiatique des Nouveaux Philosophes dans les années 70, mémoire de maîtrise d’histoire, sous la dir. de P.?Ory et P.?Goetschel, Université Paris I, 2002?; M.?Christofferson, Les Intellectuels contre la gauche. L’idéologie antitotalitaire en France (1973-1981), trad. de l’anglais par A. Merlot, Marseille, Agone, 2009.
  • [35]
    Respectivement B.-H. Lévy, Le Nouvel Observateur, 30 juin 1975, et M.?Clavel, Le Nouvel Observateur, 23 mars 1975 (cités in F.?Dosse, Histoire du structuralisme, t.?2, Paris, La Découverte, 1992, p.?346).
  • [36]
    Ph. Juhem, SOS-Racisme, histoire d’une mobilisation “apolitique”. Contribution à une analyse des transformations des représentations politiques après 1981, thèse de doctorat de science politique, sous la dir.?de B.?Lacroix, Université Paris X Nanterre, 1998.
  • [37]
    Sur la gestion périlleuse de cet épisode pour le positionnement «?progressiste?» du Nouvel Observateur?: L.?Pinto, L’intelligence en action?: le Nouvel Observateur, Paris, Métailié, 1984, p.?181-205.
  • [38]
    Ph. Juhem, «?Les logiques du succès des énoncés humanitaires?: un discours sans adversaire?», Mots, n°65, mars 2001, p.?9-27.
  • [39]
    L. Mathieu, «?L’espace des mouvements sociaux?», Politix, vol. 20, n°77, 2007, p.?131-151.
  • [40]
    Ph. Juhem, «?Politique et intelligence depuis 68. Flux et reflux de l’engagement intellectuel?», Vacarme, n°29, automne 2004, p.?58-63. Pour des analyses liant cette question au délitement des groupes gauchistes et communistes?: G.?Mauger, «?Gauchisme, contre-culture et néo-libéralisme?: pour une histoire de la “génération 68”?», in CURAPP, L’identité politique, Paris, PUF, 1994, p.?206-226?; I.?Sommier, La violence politique et son deuil. L’après 68 en France et en Italie, Rennes, PUR, 1998, p.?220-236?; K.?Ross, Mai 68 et ses vies ultérieures [2002], trad.?de l’anglais par A.-L.?Vignaux, Bruxelles, Complexe/Le Monde diplomatique, 2005?; F.?Matonti, Les intellectuels communistes. Essai sur l’obéissance politique. «?La Nouvelle Critique?» (1967-1980), Paris, La Découverte, 2005?; B.?Pudal, Un monde défait. Les communistes français de 1956 à nos jours, Bellecombe-en-Bauges, Le Croquant, 2009?; et pour d’autres la liant à la montée en force de la cause humanitaire?: A.?Collovald, «?De la défense des “pauvres nécessiteux” à l’humanitaire expert. Reconversion et métamorphoses d’une cause politique?», Politix, vol.?14, n°56, 2001, p.?135-161?; ou encore à l’émergence d’un genre littéraire radical?: A.?Collovald, É.?Neveu, «?Le “néo-polar”. Du gauchisme politique au gauchisme littéraire?», Sociétés & Représentations, n° 11, février 2001, p.?77-93.
  • [41]
    M. Foucault, «?Le souci de la vérité, entretien avec F. Ewald?», Le Magazine Littéraire, n°207, mai 1984, p. 18-23, repris dans Dits et écrits 1954-1988, vol. IV, 1980-1988, Paris, Gallimard, 1994, p.?677-678.
  • [42]
    M. Dobry, Sociologie des crises politiques. La dynamique des mobilisations multisectorielles, Paris, Presses de la FNSP, 1986, 2e éd., 1992, p.?227-237.
  • [43]
    P. Bourdieu, Homo academicus, Paris, Les Éditions de Minuit, 1984, p.?285. L’auteur étudiait là le «?hit-parade des intellectuels français?» paru dans le magazine Lire en avril 1981?; initiative reprise régulièrement, avec ou sans palmarès, par exemple?: Le Nouvel Observateur, mai 1988, ou L’Événement du jeudi, 2-8 février 1989.
  • [44]
    Ibid., p. 278.
  • [45]
    H. Guillemin, «?Oui sans commentaire?», Le Monde, 5 août 1983.
  • [46]
    X. de Boery, «?Une corporation qui n’existe plus?», Le Monde, 2 août 1983.
  • [47]
    J.-P. Bonnel, «?Ils ne se taisent pas?: ils sont au pouvoir?», ibid.
  • [48]
    «?Ras le bol…?», Le Monde, 18 août 1983.
  • [49]
    P. Guilbert, «?Max Gallo, les intellectuels et la modernité?», Le Quotidien de Paris, 26 juillet 1983.
  • [50]
    A. Kriegel, «?Les intellectuels face aux “tabous” socialistes, Le Figaro, 29 juillet 1983.
  • [51]
    E. Malet, «?Le pouvoir en mal d’intellectuels?», Le Quotidien de Paris, 29 juillet et 17 août 1983.
  • [52]
    G. Konopnicki, «?Le tube de l’été?», Le Quotidien de Paris, 1er août 1983.
  • [53]
    Favilla, «?Intellectuels?», Les Échos, 9 août 1983.
  • [54]
    J.-P. Morel, «?Jean Baudrillard?: “Nous, intellectuels, sommes piégés”?», Le Matin de Paris, 28?juillet 1983. Dans une logique similaire?: J.-P.?Bonnel, art. cité?; Vercors, «?Pas déçus, patients?», Le Monde, 6 août 1983. J.?Baudrillard interviendra à retardement dans la polémique en ne visant plus que la fin de l’histoire et du grand récit de la gauche?: J.?Baudrillard, «?La gauche divine. I. La fin des passions historiques?», Le Monde, 21 septembre 1983, p.?1 et 10?; «?La gauche divine. II. Social?: la grande illusion?», Le Monde, 22 septembre 1983, p.?10, repris in La Gauche divine?: chronique des années 1977-1984, Paris, Grasset, 1985.
  • [55]
    J.-P. Morel, «?Jacques Derrida?: tout redéfinir?», Le Matin de Paris, 28 juillet 1983.
  • [56]
    H. Lefebvre, «?La crise des avant-gardes?», Le Monde, 5 août 1983, p. 6. Henri Lefebvre renvoie ici au colloque international «?Culture et développement?» organisé par Jack Lang à la Sorbonne en février 1983.
  • [57]
    G. Sorman, «?Le nouveau libéralisme est arrivé?», Le Monde, 2 août 1983, p. 2.
  • [58]
    J.-F. Lyotard, «?Tombeau de l’intellectuel?», Le Monde, 8 octobre 1983, p.?1-2, repris in Tombeau de l’intellectuel et autres papiers, Paris, Galilée, 1984.
  • [59]
    J. Cellard, «?Une certaine mauvaise conscience?», Le Monde, 4 août 1983?; M.?Riglet, «?Du silence des idées?», Le Monde, 29 juillet 1983, p.?1 et 8.
  • [60]
    X. de Boery, «?Une corporation qui n’existe plus?», art. cité. Thème repris par l’ancien ministre A.?Rossi, «?Ces intellectuels de gauche qui se taisent?», Le Figaro, 5 août 1983.
  • [61]
    «?Claude Mauriac?: soutenir le gouvernement?», Le Matin de Paris, 28 juillet 1983.
  • [62]
    M. Foucault, Naissance de la biopolitique. Cours au Collège de France 1978-1979, Paris, Éditions de l’EHESS/Gallimard, 2004.
  • [63]
    Sur ce thème?: A. Fonteneau, P.-A. Muet, La gauche face à la crise, Paris, Presses de la FNSP, 1985?; B.?Jobert, B.?Théret, «?France?: la consécration républicaine du néo-libéralisme?», in B.?Jobert (dir.), Le tournant néo-libéral en Europe. Idées et recettes dans les pratiques gouvernementales, Paris, L’Harmattan, 1994, p.?21-81?; B.?Théret, «?Rhétorique économique et action politique. Le néolibéralisme comme fracture entre la finance et le social?», in P.?Perrineau, L’engagement politique?: déclin ou mutation??, Paris, Presses de la FNSP, 1994, p.?312-334?; J.-O.?Charron, Situer Alain Minc. Topiques, tropismes et cristallisation d’une idéologie dominante, mémoire de DEA en science politique, sous la dir.?d’É.?Neveu, Université de Rennes?I, 1994?; F.?Lordon, Les quadratures de la politique économique. Les infortunes de la vertu, Paris, Albin Michel, 1997?; S.?Halimi, Quand la gauche essayait. Les leçons de l’exercice du pouvoir?: 1924, 1936, 1944, 1981, Paris, Arléa, 2000, p.?579-626?; O.?Feiertag, «?Finances publiques, “mur d’argent” et genèse de la libéralisation financière en France de 1981 à 1984?», in S.?Berstein, P.?Milza, J.-L.?Bianco (éd.), Les années Mitterrand…, op. cit., p.?431-455?; R.?Abdelal, «?Le consensus de Paris?: la France et les règles de la finance mondiale?», Critique internationale, n°28, juillet-septembre 2005, p.?87-115?; V.?Duchaussoy, La Banque de France et l’État. De Giscard à Mitterrand?: enjeux de pouvoir ou résurgence du mur d’argent?? (1978-1984), Paris, L’Harmattan, 2011?; A.?Burlaud, Les socialistes et la rigueur (1981-1983), mémoire de master 2 de science politique, Université Paris?I, 2011?; B.?Lemoine, La valeur de l’État, thèse de doctorat, École des mines de Paris, 2011.
  • [64]
    P.?Simonnot, «?Hypocrisie?», Le Monde, 25 août 1983.
  • [65]
    P. Rimbert, L’ouverture au capital. Les transformations du quotidien Libération au début des années 1980, mémoire de DEA de science politique, Université Paris X Nanterre, 1999, p.?87-92?; id., P.?Rimbert, Libération de Sartre à Rothschild, Paris, Raisons d’agir, 2005, p.?77-88.
  • [66]
    P. Thibaud, «?La gauche pour faire quoi???», Esprit, n°10-11, octobre-novembre 1981, p. 7.
  • [67]
    B. François, «?Le droit saisi par la politique?», in J. Lagroye (dir.), La politisation, Paris, Belin, 2003, p.?373-385.
  • [68]
    B. Théret, «?Le “Rawlsisme à la française”. Le marché contre l’égalité démocratique???», Futur antérieur, n°8, hiver 1991, p.?39-75.
  • [69]
    C. Le Strat, W. Pelletier, La canonisation libérale de Tocqueville, Paris, Syllepse, 2006.
  • [70]
    J.-P. Garnier, L. Janover, La deuxième droite, Paris, Robert Laffont, 1986?; voir aussi?: J.-P.?Garnier, L.?Janover, La pensée aveugle. Quand les intellectuels ont des visions, Paris, Spengler, 1993.
  • [71]
    Cf. supra note 12.
  • [72]
    P. Nora, «?Un idéologue bien de chez nous?», Le Débat, n°13, juin 1981, p.?102. Antagonisme poussé à l’extrême au moment du départ un temps pressenti de Bernard-Henri Lévy de Grasset pour Gallimard?: F.?Dosse, Pierre Nora. Homo historicus, Paris, Perrin, 2010.
  • [73]
    P. Rimbert, L’ouverture au capital…, op. cit., p. 85.
  • [74]
    Si l’on en croit son coprésident Roger Fauroux, une pétition de la Fondation Saint-Simon pour le maintien dans le SME a été retirée in extremis (Les Échos, 4-5 avril 1997).
  • [75]
    L. Bonelli, Le passé d’une fondation. Projets intellectuels, groupes mobilisés et conditions sociales de la naissance de la Fondation Saint-Simon, mémoire de DEA en science politique, Université Paris X Nanterre, 1997. Pour une analyse du «?renouveau?» des clubs de pensée (Institut économique de Paris, Club 89, etc.)?: N.?Defaud, L’?«?adaptation?» de la CFDT. Sociologie d’une conversion politique, thèse de doctorat de science politique, sous la dir. de D. Damamme, Université Paris Dauphine, 2006, p.?441-456, et F.?Denord, Néo-libéralisme version française. Histoire d’une idéologie politique, Paris, Demopolis, 2007, p.?296-302.
  • [76]
    P. Bourdieu, L. Boltanski, «?La production de l’idéologie dominante?», Actes de la recherche en sciences sociales, vol.?2, n°2-3, juin, 1976, p.?4-73.
  • [77]
    P. Nora, «?Que peuvent les intellectuels???», art. cité.
  • [78]
    V. Gayon, Veillées funèbres autour de Sartre, Aron et Foucault. De la dynamique des médias dans la redéfinition de l’intellectuel au début des années 1980, mémoire de DEA en science politique, Université Paris?I, 2004.
  • [79]
    I. Goulinet, Le gauchisme enterre ses morts, mémoire de maîtrise d’histoire, sous la dir.?de D.?Tartakowsky et A.?Prost, Université Paris?I, 1993.
  • [80]
    Dont Michel Crozier avait, dès le milieu des années 1960, fourni la définition avant de promouvoir la figure du «?consultant?»?: M.?Crozier, «?The Cultural Revolution?: Notes on the Changes in the Intellectual Climate of France?», Daedalus, 93, n°1, hiver 1964, p.?514-542?; id. «?Comment je me suis découvert sociologue?», Revue française de science politique, vol.?46, n°1, 1996, p.?80-95. Sur l’inscription de cette trajectoire dans l’évolution du champ des sciences sociales, l’ascension de fractions de la bourgeoisie et le développement du marché du conseil?: M.?Pollak, «?La planification des sciences sociales?», Actes de la recherche en sciences sociales, vol.?2, n°2-3, juin 1976, p.?105-121?; L.?Boltanski, «?Les systèmes de représentation d’un groupe social?: les “cadres”?», Revue française de sociologie, vol.?20, n°4, 1979, p.?631-667?; I.?Berrebi-Hoffmann, P.?Grémion «?Élites intellectuelles et réforme de l’État?», Cahiers internationaux de sociologie, n°126, 2009/1, p.?39-59. Pour des essais typologiques sur les intellectuels?: G.?Sapiro, «?Modèles d’intervention politique des intellectuels?», art. cité?; G.?Noiriel, Dire la vérité au pouvoir?: les intellectuels en question, Marseille, Agone, 2010.
  • [81]
    Anticipant ce qui pourrait être vu comme une contradiction de leur positionnement critique, Pierre Bourdieu et certains membres de son centre de recherches ont pu expliciter les limites de leur participation à ce genre d’exercice?: P.?Bourdieu, «?Les apparatchiks de la recherche?» [mai 1981], Actes de la recherche en sciences sociales, n°141-142, mars 2002, p.?82-83?; É.?Brian, «?Vingt ans après?», ibid., p.?80-81?; participation qu’ils indexent aux conditions de production (composition du groupe, redéfinition de la commande) de ces objets particuliers que sont les rapports, comme celui du Collège de France en 1985 ou celui de la commission de réflexion sur les contenus d’enseignement de 1989. Il reviendrait néanmoins à une histoire sociale des intellectuels d’en analyser plus en détail l’écriture collective?; voir quelques éléments dans J.?Ahearne, Intellectuals, Culture and Public Policy in France?: Approaches from the Left, Liverpool, Liverpool University Press, 2010?; pour la période précédente?: V.?Dubois, «?Cultural capital theory vs. cultural policy beliefs?: How Pierre Bourdieu could have become a cultural policy advisor and why he did not?», Poetics, vol. 39, n°6, 2011, p.?491-506.
  • [82]
    Ph. Juhem, «?Alternances politiques… », art. cité.
  • [83]
    Fonctionnant aux échanges interpersonnels amicaux et familiaux?: H.?Hamon, P.?Rotman, Les Intellocrates. Expédition en haute intelligentsia, Paris, Ramsay, 1981?; L.?Pinto, L’intelligence en action…, op. cit.?; G.?Noiriel, Les fils maudits de la République. L’avenir des intellectuels en France, Paris, Fayard, 2005, p.?103-144?; P.?Anderson, Le Nouveau Vieux Monde, op. cit.?; F.?Dosse, Pierre Nora…, op. cit.
  • [84]
    D. Eribon, D’une révolution conservatrice. Et de ses effets sur la gauche française, Paris, Léo Scheer, 2007. Voir aussi F.?Hourmant, Le désenchantement des clercs, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 1997?; F.?Cusset, La Décennie. Le grand cauchemar des années 80, Paris, La Découverte, 2006?; S.?Audier, La Pensée anti-68. Essai sur les origines d’une restauration intellectuelle, Paris, La Découverte, 2008?; C.?Prochasson, «?Histoire des pratiques et des représentations politiques à l’époque contemporaine?», entretien avec P. Stockinger, Archives Audiovisuelles de la Recherche, Paris, MSH, 11 octobre 2002, http://www.archivesaudiovisuelles.fr/45/
  • [85]
    M. Dobry, Sociologie des crises…, op. cit., p. 110.
  • [86]
    J.-P. Faye, «?Musique de la pensée?», Le Monde, 5 août 1983, p. 6.
  • [87]
    C. Allègre, «?La scène ou le parterre?», Le Monde, 9 août 1983, p. 1 et 7.
  • [88]
    C. Clément, «?Choisir sa propre distance?», Le Monde, 10 août 1983, p. 6.
  • [89]
    M. Rebérioux, «?Nous n’avons plus le dos au mur?», Le Monde, 11 août 1983, p. 6.
  • [90]
    Y. Navarre, «?Eh bien, faites votre liste?», Le Monde, 25 août 1983, p. 2.
  • [91]
    A. Grosser, «?Il n’y a pas lieu de mobiliser?», Le Monde, 5 août 1983, p. 1 et 7.
  • [92]
    J. Gattégno, «?Les pétitionnaires et les autres?», Le Monde, 10 août 1983, p. 6.
  • [93]
    M. Riglet, «?Du silence des idées?», art. cité, p. 8. J.-P. Faye évoque aussi la manière dont «?la machine à information fabrique du “silence des intellectuels”?» (J.-P.?Faye, «?Musique de la pensée?», art. cité).
  • [94]
    Voir aussi?: L. Schwartzenberg, «?La difficulté de dire “non”?», Le Monde, 11 août 1983.
  • [95]
    F. Guattari, «?Autant en emporte la crise?», Le Monde, 18 août 1983, p. 5, repris in Les années d’hiver, 1980-1985 [1986], Paris, Les Prairies ordinaires, 2009. Il réitère en quelque sorte ses propositions formulées dès 1981?: id, «?Mitterrand et le Tiers État?», Le Nouvel Observateur, 22-28 août 1981.
  • [96]
    G. Deleuze, «?À propos des nouveaux philosophes et d’un problème plus général?», Minuit, supplément au n°24, mai 1977?; P.?Vidal-Naquet, Le Nouvel Observateur, 18 juin 1979?; C.?Castoriadis, «?L’industrie du vide?», Le Nouvel Observateur, 9 juillet 1979?; R.?Debray, Le pouvoir intellectuel en France, Paris, Ramsay, 1979?; id, Le Scribe?: genèse du politique, Paris, Grasset, 1980?; F.?Bourricaud, Le bricolage idéologique. Essai sur les intellectuels et les passions démocratiques, Paris, PUF, 1980?; R.?Aron, «?Provocation?», L’Express, 7 février 1981?; R.?Boudon, «?L’intellectuel et ses publics?: les singularités françaises?», in J.-D.?Reynaud et Y.?Grafmeyer (dir.), Français qui êtes-vous??, Paris, La Documentation française, 1981, p.?465-480?; M.?Foucault, «?À propos des faiseurs d’histoire?», Libération, 21 janvier 1983 et «?Pour en finir avec les mensonges?», Le Nouvel Observateur, 21 juin 1985?; J.?Derrida, «?Derrida, philosophe au Collège?», Libération, 11 août 1983?; id, «?Roger Laporte?au bord du silence?», Libération, 22 décembre 1983?; P.?Bourdieu, Homo academicus, op. cit., p.?275-286?; id, «?Université?: les rois sont nus?», art. cité?; J.?Bouveresse, Le Philosophe chez les autophages, Paris, Minuit, 1984. Pour une discussion convergente sur ce point?: G. de Lagasnerie, L’empire de l’université. Sur Bourdieu, les intellectuels et le journalisme, Paris, Amsterdam, 2007?; voir aussi?: V.?Descombes, «?Quand la mauvaise critique chasse la bonne…?», Tracés. Revue de Sciences humaines, hors-série n°8, décembre 2008, p.?45-69.
  • [97]
    Selon le schéma dégagé par L. Boltanski, avec Y. Darré et M.-A. Schitz, «?La dénonciation?», Actes de la recherche en sciences sociales, n°51, janvier 1984, p.?3-40.
  • [98]
    H. Hamon, P. Rotman, Les Intellocrates…, op. cit., p. 190.
  • [99]
    Par exemple dans les échanges entre B. Pivot et R. Debray (qui refuse de se rendre à Apostrophes) au moment de la sortie du Pouvoir intellectuel en France (Le Matin de Paris, 14 et 21 mai 1979).
  • [100]
    «?Le philosophe masqué?», entretien avec C. Delacampagne, Le Monde-Dimanche, 6 avril 1980.
  • [101]
    P. Ory, J.-F. Sirinelli, Les intellectuels en France…, op. cit., p. 233.
  • [102]
    R. Rieffel, «?Journalistes et intellectuels?: une nouvelle configuration culturelle???», Réseaux, vol.?10, n°51, 1992, p. 2-14.
  • [103]
    É. Neveu, «?La dynamique des médias dans la construction sociale de la “crise de la représentation”?», L’Aquarium, CRAP-CNRS, n°10, automne 1992, p.?5-23, p.?23. Voir aussi?: G.?Ross, «?Fragmentation du marché et disparition de l’intellectuel de gauche?», in Y. Mény (dir.), Idéologies, partis politiques et groupes sociaux, Paris, Presses de la FNSP, 1991, p.?187-207?; L.?Pinto, «?Le journalisme philosophique?», Actes de la recherche en sciences sociales, n°101-102, mars 1994, p.?25-38?; J.?Baudouin, Mort ou déclin du marxisme??, Paris, Montchrestien, 1991?; D.?Buxton, F.?James (dir.), Les intellectuels de médias en France, Paris, L’Harmattan/INA, 2005.
  • [104]
    B. François, É. Neveu, «?Pour une sociologie politique des espaces publics contemporains?», in B.?François, É.?Neveu (dir.), Espaces publics mosaïques. Acteurs, arènes et rhétoriques des débats publics contemporains, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 1997, p. 13-58, p. 38.
  • [105]
    R. Rieffel, L’élite des journalistes, Paris, PUF, 1986, p. 207.
  • [106]
    J. Daniel, «?La Mediaklatura?», Le Nouvel Observateur, «?Documents?», n°1, mai 1988, p. 9.
  • [107]
    Dans Retour à Reims (Paris, Flammarion, 2009, 2e éd. 2010, p. 235), D. Eribon évoque aussi l’obsession qu’aurait eue la direction de faire signer, par son entremise, Pierre Bourdieu dans les colonnes de l’hebdomadaire.
  • [108]
    Entretien avec D. Eribon, juin 2004, comme la citation suivante.
  • [109]
    L’emblème en est sans doute G. Hocquenghem, Lettre ouverte à ceux qui sont passés du col Mao au Rotary [1986], Marseille, Agone, 2003.
  • [110]
    P. Bourdieu, La noblesse d’État. Grandes écoles et esprit de corps, Paris, Les Éditions de Minuit, 1989, p.?297 sq.
  • [111]
    L. Pinto, Les Philosophes entre le lycée et l’avant-garde. Les métamorphoses de la philosophie dans la France d’aujourd’hui, Paris, L’Harmattan, 1987?; O. Godechot, «?Le marché du livre philosophique?», Actes de la recherche en sciences sociales, n°130, décembre 1999, p.?11-28.
  • [112]
    Voir par exemple les échanges entre Pierre Vidal-Naquet et Bernard-Henri Lévy puis Cornelius Castoriadis au moment de la parution du Testament de Dieu?: Le Nouvel Observateur, respectivement 18 et 25 juin et 9 juillet 1979.
  • [113]
    Sur les transformations du champ de l’édition dans les années 1980?: B.?Reynaud, «?L’emprise des groupes?», Actes de la recherche en sciences sociales, n°130, décembre 1999, p.?3-10?; P.?Bourdieu, «?Une révolution conservatrice dans l’édition?», Actes de la recherche en sciences sociales, n°126-127, mars 1999, p.?3-28. Sur le développement de l’essayisme et la conciliation délicate des activités d’enseignant-chercheur et de journaliste dans le cas de Jacques Julliard?: G.?Noiriel, Les fils maudits…, op. cit., p.?156-162.
  • [114]
    P. Bourdieu, La distinction. Critique sociale du jugement, Paris, Les Éditions de Minuit, 1979, p.?409-431, p. 428.
  • [115]
    M. Villette, «?La carrière d’un “cadre de gauche” après 1968?», Actes de la recherche en sciences sociales, n°29, septembre 1979, p.?64-74?; B.?Lacroix, L’utopie communautaire. Histoire sociale d’une révolte, Paris, PUF, 1981, 2e éd., 2006?; L.?Boltanski, Les cadres. La formation d’un groupe social, Paris, Les Éditions de Minuit, 1982.
  • [116]
    R. Rieffel, L’élite des journalistes, op. cit.?; D. Marchetti, Contribution à une sociologie des évolutions du champ journalistique dans les années 1980 et 1990, thèse de doctorat en sociologie, EHESS, 1997?; J.-M.?Eymeri, La fabrique des énarques, Paris, Economica, 2001. Il faut aussi compter sur les transformations des écoles de journalisme dans cette période?(technicisation des enseignements et dépendance accrue à l’égard des entreprises)?: I.?Chupin, Les écoles du journalisme. Les enjeux de la scolarisation d’une profession (1899-2008), thèse de doctorat de science politique, sous la dir.?de B.?Gaïti, Université Paris Dauphine, 2008.
  • [117]
    P. Bourdieu, La Noblesse d’État, op. cit., p. 265-328.
  • [118]
    Parmi lesquels des althussériens (comme Alain Badiou, Étienne Balibar, Pierre Macherey, Jacques Rancière), des trotskystes (Daniel Bensaïd), des communistes libertaires (Daniel Guérin) et des marxistes (Louis Janover, Maximilien Rubel, Jean-Pierre Garnier)… non reconvertis.
  • [119]
    L’essor dans les années 1980 et 1990 de la sociologie politique ou de l’école de la régulation reste par exemple, et pour l’essentiel, confiné dans le secteur académique, quand les sociologies de Boudon, Bourdieu et Touraine sont enseignées au lycée en section économique et sociale. Pour une analyse circonstanciée de la situation de la science politique?: J.?Leca, «?La science politique dans le champ intellectuel français?», Revue française de science politique, vol. 32, n°4-5, 1982, p.?653-678.
  • [120]
    B. Gobille, Crise politique et incertitude?: régimes de problématisation et logiques de mobilisation des écrivains en mai 1968, thèse de doctorat en science politique, sous la dir.?de B.?Pudal, EHESS, 2003?; sur un autre mode?: G.?de Lagasnerie, Logique de la création, Paris, Fayard, 2011. Phénomène «?corporatiste?» et «?neutralisation?» politique probablement accentués dès 1982 par la titularisation des maîtres-auxiliaires et des contractuels des établissements publics à caractère scientifique et technologique comme le CNRS, l’INRA ou l’INSERM?: C.?Bernard-Steindecker, «?Le demi-échec de la réforme des agents non titulaires de la Fonction publique en France (1982-1986)?», Revue française de science politique, vol. 40, n°2, 1990, p.?230-249.
  • [121]
    I. Sommier, Le renouveau des mouvements contestataires, à l’heure de la mondialisation, Paris, Flammarion, 2003.
  • [122]
    Voir par exemple D. Charasse, G. Noiriel, «?Lorraine du Nord et anthropologie industrielle en France?: bilan provisoire?», Anthropologie et Sociétés, vol. 10, n°1, 1986, p. 11-31.
  • [123]
    On emprunte librement l’expression à O. Negt, L’espace public oppositionnel, Paris, Payot, 2007?; voir aussi?: C.?Calhoun, «?The Public Sphere in the Field of Power?», Social Science History, vol. 34, n°3, automne 2010, p.?301-335. Pour une perspective sur les espaces sociaux des mobilisations sociologiquement plus robuste et intéressant de surcroît le matériau historique étudié?: L.?Mathieu, L’espace des mouvements sociaux, Bellecombe-en-Bauges, Le Croquant, 2012.
  • [124]
    J. Duval, C. Gaubert, F. Lebaron, D. Marchetti, F. Pavis, Le «?Décembre?» des intellectuels français, Paris, Liber-Raisons d’agir, 1998, p.?113.
Français

Résumé

Fin, silence, crise ou déclin des intellectuels sont une topique des années 1970 et 1980 servant d’épilogue à l’histoire des intellectuels en France. L’article questionne les usages différenciés (journalistiques, politiques, académiques) de ce type de lieu commun pessimiste dans cette période charnière au plan politique. La polémique sur le « silence des intellectuels de gauche » en 1983 sert d’entrée principale à l’analyse de cette « littérature de la fin » hétérogène. Elle informe sur les pôles de définition actualisés de « l’intellectuel » et sur la recomposition des rapports entre champs intellectuel, politique et journalistique. L’article discute ainsi de l’éclipse apparente de cette catégorie sociale autant que des conditions de ses redéfinitions progressives et concurrentes.

Vincent Gayon [*]
  • [*]
    Maître de conférences en science politique, Université Paris Dauphine (IRISSO – CNRS).
Mis en ligne sur Cairn.info le 07/05/2012
https://doi.org/10.3917/lms.239.0025
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