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1En 1932, dans la république de Tatarstan située à 800 km à l’est de Moscou dans le bassin de la Volga, un imam de soixante-cinq ans adresse une plainte à la direction spirituelle centrale des musulmans (CDUM) [1]. Il y détaille les traitements que lui inflige le soviet du village qui multiplie les demandes abusives de paiement d’impôts. À la mi-mai 1931, le soviet avait exigé qu’il payât 100 roubles dans les vingt-quatre heures. Quelques jours plus tard, ses représentants s’étaient rendus à son domicile, ils y firent un inventaire de ses biens et l’expulsèrent de chez lui, avec sa jeune femme et ses enfants. Ils refusèrent par ailleurs de lui donner copie de cet inventaire. L’imam finit par payer, mais les représentants du soviet revinrent, exigeant encore de l’argent. L’imam tenta alors de défendre ses droits?: il se référa à un bulletin d’informations officiel, spécifiant de quels impôts précis il devait s’acquitter en tant que serviteur du culte. Mais il se heurta à nouveau aux représentants soviétiques qui lui arrachèrent le bulletin des mains et vinrent prendre chez lui ses affaires, celles de sa jeune épouse, et la carriole de sa belle-fille qu’il avait reçue en dot pour l’avoir adoptée. Rédigée en tatar, cette plainte très détaillée fut envoyée, traduite en russe, par la direction spirituelle centrale des musulmans (CDUM) à la commission des cultes du Comité exécutif central (CIK) du Tatarstan, créée un an plus tôt [2]. Cette supplique [3] nous intéresse ici d’abord par la référence qui y est faite à la législation sur les cultes. Elle est emblématique d’une saisie du droit par les communautés religieuses dans le contexte de totale dépossession des campagnes de la collectivisation et d’une longue suite de mesures antireligieuses [4].

2Sous l’Empire de Russie, l’institutionnalisation des clergés et en particulier, dans le cas qui nous intéresse ici, des directions spirituelles des musulmans, témoignait d’une conception particulière du lien entre État et religions. Ces dernières étaient chargées d’inculquer les comportements moraux, une discipline sociale et une soumission aux lois générales [5]. Par ailleurs, les individus étaient administrativement et juridiquement identifiés par leurs confessions. Le pouvoir soviétique en proclamant, dans son décret de 1918, la séparation de l’Église et de l’État se situa en totale rupture avec cette tradition politique, le socialisme, sa morale et ses institutions sociales devant se substituer à la sphère du religieux. Pourtant, pendant tout l’entre-deux-guerres, la religion est demeurée un élément structurant du social et ceci malgré la lutte entreprise par le régime pour promouvoir l’athéisme et transformer les croyants en bons citoyens soviétiques [6]. Et encore, au début de l’URSS, une partie des «?orientaux?» étaient désignés comme autant de «?musulmans?». Notre étude, à travers un exemple régional, permet ainsi de spécifier le rapport de l’État soviétique avec les diverses confessions religieuses et de ne pas s’en remettre à une historiographie trop souvent centrée sur le combat contre l’orthodoxie. Les formes d’institutionnalisation des cultes, mais aussi les résistances ou les accommodations des élites religieuses et des croyants au pouvoir soviétique révèlent des dynamiques sociales différenciées dans un contexte multiconfessionnel.

3Ceci fut notamment le cas dans les Républiques «?musulmanes?» soviétiques dans lesquelles certains des premiers dirigeants communistes formulèrent le projet de concilier socialisme et islam [7]. La République autonome du Tatarstan était globalement peuplée pour moitié de Tatars musulmans et pour moitié de Russes orthodoxes. L’étude de la vie religieuse du Tatarstan, qui comptait 2,6 millions d’habitants en 1926, permet d’affiner la compréhension des relations entre l’État soviétique et les institutions religieuses dans les années 1920-1930. Au-delà de la répression d’une partie des serviteurs du culte, assimilés aux classes ennemies du régime, se profile un tissu de relations sociales où les enjeux identitaires, sociaux et politiques non réductibles à leur dimension religieuse jouèrent un rôle important. Le lien entre appartenances confessionnelles et identifications ethniques oblige à inscrire les recompositions du monde des Églises et des croyants dans des configurations sociales et politiques plus larges. La focale sur le religieux éclaire d’une manière nouvelle la question des relations entre les nationalités en URSS après la prise de pouvoir des Bolcheviks [8]. Au Tatarstan, des conflits opposèrent les orthodoxes russes, assimilés par l’idéologie officielle aux colons, et les musulmans tatars se définissant comme les victimes de la colonisation russe.

La vie religieuse au Tatarstan, 1922-1927

4Sous la NEP, une série de directives encadra la vie religieuse. Le décret de séparation de l’Église et de l’État de 1918, ainsi que les circulaires qui le précisèrent, accompagnés de la nationalisation des biens des Églises et de la sécularisation de l’enseignement, énoncèrent par ailleurs que l’État garantissait l’égalité religieuse et la possibilité pour chacun d’effectuer ses rites religieux librement. Cette protection fut contredite par les campagnes de prises des biens de l’Église, le classement des serviteurs des cultes comme lishentsy (privés de droits civiques) et la persécution de dignitaires religieux. L’Église orthodoxe, religion officielle d’État sous l’Empire, perdit l’ensemble de ses prérogatives, ses premiers dignitaires, dont le patriarche Tikhon, furent un temps arrêtés.

5Les autres confessions de l’URSS furent d’abord moins touchées, d’autant que dans les territoires «?périphériques?» les Bolcheviks n’avaient pas la même mainmise. À la fin de la guerre civile, l’activité religieuse était encore peu encadrée juridiquement. À l’occasion de la campagne de saisie des biens de l’Église de 1922, présentée comme une solution à la famine, une commission dite antireligieuse fut formée au Comité central, le plus haut niveau de l’État-parti, pour élaborer une politique globale en la matière. La police politique fut conviée pour sa part à contrôler les dignitaires religieux et à élaborer une stratégie visant à multiplier les schismes, afin de mettre aux commandes des mouvements religieux des réformateurs réputés plus favorables au pouvoir soviétique et porteurs d’une certaine modernité sociale (obnovlentsy orthodoxes ou djadid musulmans) [9]. Le parti et les organes de police surveillaient avec plus ou moins d’attention les pratiques et le personnel des organisations religieuses localement, en particulier une fois qu’un enregistrement de ces dernières se mit progressivement en place à partir de 1922. Les associations religieuses avaient la responsabilité des lieux de culte après leur enregistrement auprès du commissariat à l’intérieur (NKVD), la communauté étant astreinte à en assurer l’entretien matériel. Au moment de l’enregistrement, qui exigeait un quorum défini de membres, vérification était faite du profil politique de son président et de son conseil exécutif?; certains ont été ainsi exclus de ces postes pour avoir été identifiés comme contre-révolutionnaires ou poursuivis en justice [10]. Cette double dimension d’inventaire des biens matériels et de contrôle du profil politique et social des personnes, identifiées nominalement au moment de l’enregistrement comme membres d’une société de croyants, constitua le trait constitutif de l’administration des cultes soviétique.

6Les mesures d’encadrement de la vie religieuse au niveau local ne peuvent s’appréhender sans prise en compte du contexte politique plus global, et en particulier, pour le Tatarstan, de ce que les contemporains appelaient la politique des nationalités. Le recrutement des cadres en faveur des autochtones, le développement des langues vernaculaires comme langues publiques et le soutien économique aux non-Russes, notamment par le biais de politiques agricoles tendant à accorder des terres de manière privilégiée aux autochtones, ont pris localement un caractère violent. Le combat mené par la direction tatare de la République en faveur d’une égalité et d’une amélioration du sort des anciens «?exploités?» tatars, conforme à la politique des nationalités décidée par Lénine et Staline, se manifesta par des conflits ethniques concrets. Ils opposaient les Russes, composant la moitié de la population de la République et majoritaires dans les villes, et les Tatars, autre moitié de la population habitant à 90?% dans les campagnes. Un rapport, adressé au Comité central de l’URSS en 1924, critiquait le volontarisme de la direction de la République en faveur de la «?tatarisation?»?: il aurait provoqué des conflits ethniques et une augmentation de la criminalité chez les Russes, évincés par les Tatars [11]. Ces tensions bien réelles eurent un écho sur la manière dont les croyants musulmans et orthodoxes s’accommodèrent du pouvoir soviétique et se situèrent par rapport aux mesures antireligieuses.

7Globalement, si la période de la guerre civile et de la NEP entraîna un affaiblissement certain des églises orthodoxes, la religion musulmane se maintint un peu mieux dans un contexte où la mainmise soviétique était encore aléatoire dans les territoires «?musulmans?». Les chiffres sur le nombre d’édifices religieux et de membres du clergé sont très variables d’un document à l’autre. Au sein des frontières de la future République tatare, en 1917, il existait selon différentes statistiques de 1854 à 1890 mosquées et de 650 à 696 églises?; en 1929, 2134 mosquées et 630 églises étaient enregistrées. Quant aux membres du clergé, il était passé pour l’orthodoxie de 2250 à 649, alors que le «?clergé?» musulman comprenait de 4000 à 4015 personnes [12].

8Pour des raisons de faible contrôle des populations rurales musulmanes et de volonté politique pour le régime de s’y faire bien voir, les mesures de lutte antireligieuse furent moins virulentes dans les campagnes tatares. Pour des raisons tactiques, la politique vis-à-vis de l’islam fut plus particulièrement tolérante. En Asie centrale, au Turkestan par exemple, la nationalisation des biens des Églises ne fut pas, dans un premier temps, étendue aux musulmans, dans la mesure où le système de donation pieuse de terres, le waqf, fut préservé [13]. Les Tatars de Crimée réclamèrent qu’un statut juridique garantissant le waqf leur fût également octroyé [14]. En Ouzbékistan, des femmes intégralement voilées étudiaient dans les écoles soviétiques [15]. Un rapport de décembre 1922 critiquait le fait que, dans certaines régions, l’enseignement de l’islam fût mené par les mollahs au sein même de ces écoles [16], ce qui atteste l’existence d’un enseignement religieux dans les établissements soviétiques. Les écoles religieuses islamiques, par ailleurs, continuèrent à fonctionner. En 1924, une circulaire de la police politique spécifiait bien les régulations sur l’enseignement religieux prises en 1923 par les commissariats à l’Instruction?: les écoles religieuses musulmanes étaient autorisées dans les régions ouzbèkes du Turkestan, ainsi qu’en Tchétchénie, Ingouchie et Adjarie. Dans les autres provinces musulmanes, l’enseignement religieux n’était autorisé que dans les mosquées pour les enfants ayant atteint l’âge de quatorze ans ou ayant terminé le cycle de l’école primaire soviétique [17]. Cet enseignement de la religion était par ailleurs interdit aux orthodoxes qui revendiquèrent, comme au Tatarstan, l’égalité et la possibilité d’organiser un enseignement religieux public [18]. Au Tatarstan le nombre de mosquées se maintint et la hiérarchie musulmane se structura, s’étoffa d’une nouvelle institution, le muttavat (une femme devint même muttavat), évolutions qui se firent sous l’égide de la direction spirituelle des musulmans (CDUM), aux mains de réformateurs. Le Politburo autorisa par ailleurs la compagnie Torgoflot à organiser les pèlerinages à la Mecque?: ces derniers purent s’effectuer selon un trajet spécial menant des frontières de l’URSS jusqu’à Djeddah, la compagnie étant chargée par ailleurs de fournir les visas britanniques nécessaires. La seule limite fixée par la direction politique fut que l’offre commerciale de pèlerinage à la Mecque ne fasse pas l’objet de publicité [19].

9Au Tatarstan, les confessions autres que musulmanes et orthodoxes connurent un sort lié à des configurations politiques locales. La société religieuse juive tenta de faire prévaloir l’afflux de travailleurs juifs afin de préserver puis de rouvrir la synagogue de Kazan. Elle se heurta aux demandes de certains de ces nouveaux venus de transformation de la synagogue en maison de la culture juive. L’administration souligna l’appartenance sociale, marchande, de la vieille communauté juive de la région et l’opposa aux travailleurs juifs soviétisés, émancipés, venus de l’ancienne zone de résidence obligatoire des régions occidentales de la Russie et nouveaux migrants du Tatarstan [20]. La question religieuse fut ainsi posée en termes de lutte entre différentes couches de la population, dont la plus jeune, la plus communiste, la plus éclairée menait la lutte contre la religion, en particulier par le biais des ligues des sans-dieu. La communauté catholique avait presque entièrement disparu, du fait du départ des Polonais de Kazan [21]. Quant aux évangélistes luthériens, ils essayèrent de survivre, essentiellement autour d’une famille, les Bütner. Et finalement, à la faveur du Grand Tournant de 1929, le chef de famille demanda la fermeture de sa communauté et son retrait de la liste des serviteurs du culte [22]. Les Vieux-Croyants, divisés en deux communautés distinctes à Kazan, suivant des rites différents, furent sommés à partir de 1928 de se réunir en une seule organisation, fermée une première fois, «?par manque d’espace?», en 1930 [23]. Dans les villages oudmourtes, mari ou tchouvaches de la République tatare, dont la population était considérée comme globalement animiste, la politique antireligieuse ne fut qu’esquissée?: la soi-disant arriération culturelle de ces populations camouflait les obstacles linguistiques et sociaux à leur inclusion politique [24]. Par ailleurs, ceux qui étaient considérés comme de religion païenne étaient supposés potentiellement plus réceptifs à la propagande antireligieuse. Les considérations en termes de culture, ou de civilisation, plaçant les peuples dans une hiérarchie menant à leur modernisation, se mêlaient au combat politique pour aboutir à une différenciation des pratiques de contrôle et de répression des différents cultes.

10Une part des croyants et des dignitaires considéraient que le nouvel ordre socialiste leur accordait une place dans la nouvelle société. La rhétorique révolutionnaire de la lutte contre les forces sociales de l’ancien régime fut ainsi mobilisée pour demander la protection ou la bienveillance des nouveaux dirigeants à l’égard du culte musulman. Les membres de la direction spirituelle du second district du canton d’Arskij s’opposèrent donc aux mesures de privation des droits civiques imposées au clergé en soulignant, qu’à l’inverse de l’Église orthodoxe, ils avaient participé à la révolution et qu’ils appartenaient à une nationalité opprimée et à une confession réprimée sous l’Empire [25].

11En outre, la politique des nationalités valorisait la culture tatare. Des mesures de discrimination positive, à l’échelle des villages ou du territoire de la République, avaient ouvert largement la promotion sociale aux Tatars jusqu’ici laissés en marge de la vie politique de la région [26]. L’identification entre musulmans et tatars restant forte, la politique en faveur des minorités nationales fut donc comprise comme une marque de tolérance envers la religion musulmane. La qualification même de musulman, dans les années 1920, n’avait pas une signification exclusivement religieuse. Elle conservait un contenu social et culturel, connoté par une acception «?ethnique?» ou «?raciale?». Les musulmans étaient considérés comme des anciens colonisés, victimes de l’ancien régime impérial russe, sensibles au projet d’émancipation soviétique. Le pouvoir central, soucieux de ne pas heurter les masses des nationalités anciennement opprimées et «?arriérées?», resta donc prudent dans ses mesures antireligieuses envers les musulmans, et des discussions régulières eurent lieu entre les dignitaires religieux musulmans et ceux du parti à l’échelle de la République ou de l’URSS jusque dans les années 1930 [27].

12Dès la seconde moitié des années 1920, cependant, des rapports de la police politique et du parti commencèrent à s’alarmer d’un développement de l’islam au Tatarstan. L’accent était mis sur les conséquences politiques et sociales de ce prétendu essor religieux. Les agents de la propagande soviétique se heurtaient au soi-disant prosélytisme religieux. Les succès de l’aide sociale prodiguée par les comités d’entraide soviétiques étaient compromis par l’influence économique locale des mollahs. On notait avec inquiétude que l’influence sociale musulmane s’était renforcée dans les villages. La population musulmane demeurait essentiellement rurale et l’enseignement dans les mosquées était autorisé comme dans l’ensemble de l’URSS. On soulignait l’influence des dignitaires de l’islam sur des groupes sociaux convoités par le régime, comme les femmes, les jeunes, les pauvres, voire les soldats démobilisés de l’Armée rouge [28]. Dans des campagnes encore fragiles économiquement, la possession de matériel technique permettait d’assurer une influence sociale. Les musulmanes se réunissaient chez les femmes de mollahs, notamment chez celles dont le logis était pourvu d’une écrémeuse, appareil encore rare dans la région. Tâche ménagère et discussions religieuses se mêlaient dans une configuration sociale dont les institutions soviétiques étaient absentes. D’après les rapports du parti, les serviteurs du culte musulman louaient leurs écrémeuses. Surtout, ils pratiquaient largement le crédit aux pauvres en difficultés. Pour l’administration soviétique, il s’agissait d’une concurrence d’autant plus redoutable pour l’État soviétique, que les Tatars et les habitants des campagnes avaient du mal à comprendre le fonctionnement des bureaux d’aide sociale ou de placement où l’emploi du russe était nécessaire pour faire aboutir son dossier.

13Ce poids de l’islam dans les villages où le pouvoir soviétique n’avait qu’une faible influence avait été souligné dès les débuts de la NEP, mais le pouvoir républicain s’en accommodait d’autant mieux que ses rapports au centre furent tumultueux. Il faut attendre 1926-1927 pour que le parti communiste du Tatarstan fasse remonter avec force au Comité central à Moscou les problèmes posés par la prétendue vigueur du mouvement musulman [29]. Les cas d’un mollah chef du cercle politique du komsomol, de komsomols allant dans les mosquées ou d’enfants de mollahs faisant de la propagande religieuse au komsomol furent vertement critiqués comme des tentatives de s’approprier l’expérience soviétique [30]. L’influence des mollahs «?réformateurs?», qui identifiaient leur action à celle de la politique soviétique et risquaient de faire des adeptes auprès d’individus fidèles au nouveau régime, était dorénavant analysée comme plus dangereuse que celle des mollahs réactionnaires. Enfin, les rapports soulignaient le risque présenté par la dispersion dans les régions limitrophes des mollahs formés au Tatarstan. Le projet de création de medressa, régulièrement présenté aux pouvoirs soviétiques locaux, fut définitivement enterré [31]. Par ailleurs, l’enseignement de l’islam au sein des écoles fit l’objet d’un vaste débat à partir de 1927, initié par la direction régionale du parti. En mai 1928, le Politburo décida la fermeture des écoles musulmanes [32]. Bientôt, la formation interpersonnelle, autour de quelques figures respectées, la transmission du savoir de l’islam par le maître à des disciples fut elle aussi réprimée [33].

14Face à cette répression accrue, les rapports de la police politique rendent compte d’une opposition active contre cette politique?: les affiches annonçant les spectacles antireligieux organisés pendant la période du ramadan étaient déchirées, des manifestations d’opposition à la construction d’écoles soviétiques se multipliaient. En outre, des revendications se faisaient entendre?: le retour aux droits politiques des mollahs, une pleine liberté de conscience religieuse, la fin de la propagande antireligieuse et des critiques des dignitaires religieux dans la presse, enfin la suppression des impôts pesant fortement sur les serviteurs du culte [34]. Dans une lettre envoyée en 1927, 476 musulmans du canton du Mamadysh proclamèrent leur soutien au pouvoir soviétique, mais critiquèrent sa volonté de destruction de la «?religion musulmane?» et déclarèrent leur refus de vivre sans religion. Ils exigèrent d’autoriser un enseignement religieux hors des mosquées et sans limitation d’âge et d’alléger le poids excessif des impôts pesant sur les mollahs [35]. Dans le contexte de crise agraire de la fin de la NEP puis de la collectivisation, la politique de pression fiscale et antireligieuse pesant sur les dignitaires religieux se renforça considérablement.

Collectivisation, dékoulakisation et fermeture des lieux de culte

15En 1928, une série d’enquêtes fut lancée sur la situation religieuse dans le pays. En se fondant sur les rapports de 127 organisations du parti, le Comité central s’inquiéta du développement des sectes et de l’islam en URSS [36]. En réaction, début 1929, le Politburo émit une directive visant l’intensification du travail antireligieux. Il fut décidé par ailleurs de rédiger une nouvelle loi sur les organisations religieuses, adoptée le 8 avril 1929 et restée en application jusqu’à la fin de l’URSS. Elle mit fin à l’ensemble des organismes sociaux gérés par les organisations religieuses (caisses d’entraide, coopératives, unions de jeunesse, de femmes, jardins d’enfants, cercles de réflexion, excursions, bibliothèques). L’enseignement religieux ne pouvait plus se faire que dans un cadre privé, hors des établissements publics, et était désormais soumis à autorisation. La loi rendit encore plus pointilleux le contrôle des lieux de culte désormais régis par une série de dispositions très strictes [37]. Une commission permanente sur les questions de cultes fut créée au sein des instances de l’URSS. Au cours du XIVe?congrès de mai 1929, la religion fut désignée comme ennemie de la construction socialiste, la presse s’étant déjà largement saisie de ces accusations [38]. La collectivisation offrit une nouvelle occasion pour mener une politique antireligieuse globale visant à la fois les clergés, les croyants et les supports matériels de la religion?: églises, mosquées, monastères et objets de culte, mais aussi la richesse supposée des serviteurs du culte, rapidement identifiés aux koulaks. Les restrictions sur la vie religieuse et le contrôle accru des croyants mis en place par la loi sur les cultes de 1929 s’ajoutaient ainsi aux politiques d’imposition et de dékoulakisation qui frappaient parallèlement le clergé.

16Une des premières manifestations de cette campagne antireligieuse fut la multiplication des fermetures de lieux de culte. Les premières décisions furent prises à partir de 1929 hors de tout cadre juridique par les instances locales. Les derniers monastères furent au même moment liquidés sur ordre du parti [39]. Une procédure légale fut néanmoins rapidement établie pour réglementer les fermetures?: la majorité des habitants d’un quartier ou d’un village devait voter cette fermeture et la décision devait ensuite être ratifiée par la commission des cultes. Le bâtiment était dès lors confié aux autorités locales pour être utilisé à des fins culturelles. Par ailleurs, si un édifice était situé dans un lieu jugé indispensable pour un projet d’intérêt général, il pouvait aussi être fermé.

17Les «?illégalités?» concernant les fermetures des lieux de culte sont très documentées dans les archives. Des conflits locaux entre fonctionnaires soviétiques (ispolkom, soviet de village) et communautés paysannes s’y dessinent. Au sein des communautés urbaines, des groupes s’affrontèrent selon des clivages politiques redoublés par des dimensions ethniques et confessionnelles.

18Dans certaines provinces du Tatarstan, les krjachens, «?peuple?» formé de Tatars ou de Maris convertis précocement à l’orthodoxie, semblent avoir joué un rôle particulier [40]. Ainsi, dans le village de Tsubutly, des musulmans se plaignirent de la fermeture abusive des deux mosquées, qui accueillaient quelque huit cents «?âmes?», et firent référence au vieil antagonisme entre les krjachens christianisés et les Tatars musulmans [41]. Ailleurs, des orthodoxes soulignèrent le fait que seuls les villageois musulmans avaient voté en faveur de la fermeture de l’église locale [42]. Ces tensions entre communautés furent relayées par l’administration de la République?: un rapport de juin 1929 préconisait la fermeture d’une mosquée dans un quartier populaire de Kazan, dans le but d’apaiser la population orthodoxe de la ville [43]?; en mai, en effet, deux cents personnes s’étaient réunies pour dénoncer le fait que le pouvoir soviétique fermait les églises mais épargnait les mosquées [44].

19Les villages se divisaient sur la question des lieux de culte, débat qui s’ajoutait aux tensions provoquées par la collectivisation, la dékoulakisation et la formation des kolkhozes. En outre, la faim qui sévissait à nouveau dans certaines régions du Tatarstan fit craindre la multiplication des révoltes. Le président de la commission des cultes à Moscou, Smidovitch, souligna que les troubles causés par la répression antireligieuse dans les villages musulmans étaient particulièrement inquiétants [45]. Un rapport d’avril 1932 soulignait que les plaintes contre les abus des organes locaux provenaient en majorité des villages tatars [46]. Dans l’ensemble, alors que les campagnes antireligieuses violentes accompagnaient le mouvement de collectivisation puis les décrets de dékoulakisation, les révoltes et soulèvements débutèrent souvent à l’occasion de l’arrestation d’un prêtre, d’un mollah ou d’un imam [47]. Au Kazakhstan, de grands soulèvements commencèrent à l’occasion de l’arrestation d’un mollah, l’OGPU recueillit à cette occasion des mots d’ordre réclamant la réouverture des mosquées et des appels à la guerre sainte contre le régime soviétique [48]. La direction du parti au Tatarstan se réjouissait pour sa part qu’aucune coalition des mécontentements, réunissant chrétiens et musulmans, ne se fût réalisée, les clivages modernes, le pouvoir soviétique et ses victimes, n’ayant pas encore recouvert les plus anciens, entre confessions et nationalités.

20Le point d’orgue de cette campagne antireligieuse accompagnant la collectivisation fut une directive du Politburo de février 1930 exigeant de lutter contre «?les éléments contre-révolutionnaires?» à la tête des associations de croyants [49]. L’assimilation des croyants aux ennemis du régime était ici explicite. Sur le terrain, les lettres des serviteurs de culte demandant à ce qu’on les raye de cette catégorie et de la communauté de croyants se multiplièrent alors.

21Face aux désordres, le décret de février fut annulé en mai de la même année et dès le mois de mars 1930, le Comité central demanda aux comités exécutifs centraux des Républiques de répondre aux plaintes sur les affaires religieuses et de corriger «?exagérations et déviations?» concernant les fermetures des lieux de culte [50]. Malgré des directives contradictoires, le travail de collecte des plaintes par les commissions des cultes s’organisait.

22Les archives de la commission des cultes du Tatarstan contiennent une masse de demandes de recours, qui nous renseignent aussi bien sur les réticences des autorités à présenter au commissariat à l’Instruction les objets ou bâtiments à valeur muséale (formellement protégés de l’expropriation) que sur la tendance des soviets à s’approprier les bâtiments, notamment pour stocker le grain, plutôt que de les consacrer à des activités culturelles. Ils témoignent aussi de la tentative systématique de destruction des symboles, des signes visibles de la religion dans l’espace public, qui prit la forme de conflits internes aux villages et aux quartiers. Les orthodoxes se plaignirent de l’interdiction de faire sonner les cloches et de la saisie des cloches sans attente de l’avis du comité de district et sans le reversement prévu au trésor public [51]. En 1933, au Tatarstan, des régulations locales des sonneries des cloches furent mises en place, en relation avec l’instauration de la semaine de sept jours, ce qui conduisit à des interdictions de sonneries ou à des saisies spontanées de cloches [52]. En 1937 encore, des établissements scientifiques et de pompiers réclamaient l’arrêt des sonneries de cloches [53]?; la même année, des comités exécutifs du parti se demandaient s’il fallait tolérer ou interdire les sonneries de cloches dans leurs villages [54]. Les supports matériels ayant permis de structurer l’organisation des églises et ayant imprégné le quotidien des croyants, cloches et minarets, objets rituels, documents de certification des fonctions de prêtres, mollahs ou imams, furent saisis et parfois détruits [55]. Cette disparition du son des cloches et des appels des muezzins transforma profondément le paysage sonore et visuel des campagnes où la présence religieuse avait été progressivement effacée de l’espace public [56].

23Les serviteurs des cultes se trouvèrent au même moment au cœur des campagnes de répression. Lorsqu’ils n’étaient pas assimilés aux koulaks et déportés ou exécutés, ils faisaient face à une politique d’imposition et de taxation abusives de la part des autorités locales, comme en témoigne le récit qui ouvre cet article. En mars 1931, un document secret rapporta que des sommes astronomiques avaient été exigées des mollahs du Tatarstan [57]. Une campagne de dépossession d’une ampleur inégalée fut entreprise, avec pour objectif la saisie des biens des mosquées, notamment les tapis, les terres et les biens des serviteurs du culte. Globalement, de 1917 à 1934, dans la République autonome du Tatarstan, 30?% des mosquées et 61?% des églises furent fermées. 61?% des mollahs et 86?% des prêtres orthodoxes avaient disparu en 1934 [58].

24Les protestations contre les fermetures des lieux de culte ou contre le harcèlement fiscal vis-à-vis des serviteurs des cultes convergèrent vers la commission des cultes.

Répression, médiation, surveillance?: la commission des cultes

25En mars 1930, en écho à la dénonciation des abus de la collectivisation proférée par Staline dans son article de la Pravda intitulé «?Le vertige du succès?», le Comité central avait exigé que cessât la pratique de fermeture abusive des lieux de culte et le VCIK (Comité exécutif central du Soviet suprême), de son côté, avait envoyé aux organes locaux une circulaire secrète blâmant les «?exagérations administratives?» [59]. Le travail de la commission des cultes s’organisa alors.

26Au Tatarstan, la commission fut formée de neuf puis de quatre membres du CIK (Comité exécutif central du soviet de la République) [60]. Au niveau local, des préposés aux cultes furent désignés, à l’instar du krjashen Novikov qui parlait tatar et russe et était chargé de multiples tâches?administratives?: affaires notariales, correspondance secrète, maison des Soviets et tenue des listes des lishentsy… [61] La commission était sollicitée par les Églises et, à certains moments, elle intervint avec virulence contre les comités exécutifs du parti et des soviets, dressant une liste nominative des responsables des abus et demandant contre eux des poursuites pénales. Elle exigea notamment des explications sur l’opération de racket d’un responsable local de l’OGPU envers des mollahs [62] ou sur l’action du soviet de Novo Pismenskij, qui prélevait trois roubles à chaque office religieux dans l’église locale [63]. La commission joua formellement son rôle de régulateur?: la grande majorité des demandes de fermeture des lieux de culte furent renvoyées pour vices de forme aux comités exécutifs du parti [64]. Elle tenta de s’opposer aux autorités villageoises en cas d’interdiction illégale de pratiques religieuses, ramadan ou grandes fêtes orthodoxes [65]?; elle dénonçait les saisies d’objets rituels, de tapis de prière ou de cloches. Elle édita un premier bulletin qui rassemblait une série de textes de lois sur la question religieuse, alors que les divers organes se plaignaient de leur méconnaissance des règles à appliquer dans ce domaine.

27L’ouverture dont témoigne l’activité de la commission se situa paradoxalement en pleine campagne de collectivisation. Le pouvoir central, inquiet devant les révoltes agraires, changeait de ligne politique pour obtenir l’apaisement. Profitant de ce contexte, les croyants et les Églises se saisirent activement des recours juridiques possibles pour défendre leurs activités religieuses. La direction spirituelle musulmane centrale (CDUM) traduisait les plaintes qu’elle recevait du tatar au russe et les envoyait à la commission. Le Saint-Synode de l’Église orthodoxe tentait lui aussi de protéger ses adeptes dans des lettres formalisées, moins nombreuses cependant dans les archives. L’un comme l’autre se référaient largement aux bulletins juridiques de la Commission des cultes.

28Les années de la terreur stalinienne aboutirent toutefois à une répression inédite des serviteurs des cultes et au dévoiement du travail de médiation exercé par la commission. À la fin des années 1930, le tissu des églises avait été totalement détruit. Pour le Tatarstan, le nombre des victimes – membres du clergé ou des sociétés de croyants – dans le cadre des grandes campagnes de répression des années 1930 (dékoulakisation, campagnes anti-nationalistes, Grande Terreur), fait encore l’objet de débats entre historiens [66]. En 1936, la direction du CDUM fut accusée de complot contre l’État [67]?; au cours des années 1930, presque tous les évêques orthodoxes furent réprimés [68]. Les quelques dignitaires qui échappèrent à la répression continuèrent de s’adresser aux commissions pour dénoncer les abus, mais ils se mirent également à dénoncer la multiplication de «?faux prêtres?» ou de «?faux mollahs?» dans ce contexte de déstructuration totale des églises. Ainsi, par exemple, le bureau d’un diocèse du Tatarstan demanda au CIK de la République que fût systématiquement refusé l’enregistrement des desservants n’ayant pas entre leurs mains l’attestation épiscopale de leur nomination dans telle ou telle église [69]. Cet effort pour trouver une place dans l’organisation de la vie religieuse se heurta au fait que les croyants se tournèrent progressivement vers des activités religieuses clandestines, selon une chronologie encore incertaine.

29Dans la seconde moitié des années 1930, la commission des cultes continua à compiler les plaintes, mais suivit très exactement les lignes politiques changeantes de la direction du Parti, alternant mesures de rétablissement d’un semblant de légalité et campagnes antireligieuses virulentes. Les plaintes reçues furent bientôt critiquées comme autant de signes de l’arrogance des religieux. La commission tatare chercha à définir la densité et le ratio d’églises, de mosquées et de serviteurs du culte nécessaires par nombre d’habitants. La commission encouragea ainsi les fusions entre paroisses, condamnant les cantons ayant laissé ouvertes un trop grand nombre de mosquées [70]. Dans le district de Drozhzhanovskij, elle s’inquiéta de la vente d’objets du culte musulman au sein même des magasins d’État et constata qu’il demeurait encore trop de mosquées (48 dans le district contre 59 avant la révolution) [71]. Cette politique de rationalisation statistique marque le tournant vers un pilotage purement administratif de la question religieuse et la fin du dialogue avec les communautés religieuses et leurs représentants. Les pouvoirs locaux étaient désormais sollicités pour fournir des statistiques de fréquentation des églises et des mosquées, de préférence par âge, sans avoir à rendre compte de leur respect de la législation sur les cultes [72]. Les commissions des cultes étaient dorénavant au service de la politique antireligieuse, notamment par la collecte d’informations afin de traquer l’activité religieuse clandestine.

30Les croyants continuèrent pourtant à chercher la protection de l’État, notamment en se référant à la constitution de 1936, qui réaffirma la liberté de conscience en URSS et qui supprima la catégorie de lishentsy. Dans les années 1936-37, des milliers de lettres convergèrent à Moscou pour demander la réouverture des lieux de culte. À Moscou, le nouveau directeur de la commission aux cultes continua de dénoncer les abus commis par les autorités locales qui multipliaient les fermetures [73]. Dans un rapport détaillé de 1936, il fit un bilan du nombre de fermetures des édifices religieux, estimant qu’en URSS, 28,5?% de ceux qui existaient avant la révolution étaient toujours en activité et que 17?857 serviteurs des cultes continuaient d’exercer en RSFSR. Son rapport mettait en garde contre le risque que les abus des administrations fassent passer les pratiques religieuses dans la clandestinité [74]. En 1937, la direction du parti de l’URSS apprit par un recensement dont il fut interdit de diffuser les résultats que la population soviétique était demeurée à 57?% croyante [75]. Ayant échoué dans leur mission de contrôle et de cantonnement des pratiques religieuses, les commissions des cultes furent dissoutes en 1938 [76].

Conclusion

31Les années 1930 ont mis un terme au semblant de tranquillité politique dont jouissaient au cours de la décennie précédente les musulmans tatars, du fait de leur statut d’anciennes victimes du colonialisme russe et de leur éloignement des centres urbains. Par ailleurs, si, pendant la collectivisation, des affrontements et des tensions opposèrent encore localement les orthodoxes russes aux musulmans tatars, cette dimension ethnique et «?coloniale?» des conflits sociaux disparut dans la seconde moitié des années 1930. L’ampleur et la radicalité des vagues répressives qui se succédèrent alors aboutirent à transformer la population soviétique croyante, désormais unifiée dans sa crainte du régime et de l’État soviétique.

32La répression antireligieuse et l’échec des recours juridiques accélérèrent l’entrée des pratiques religieuses dans la clandestinité. Les fermetures de lieux de culte se multiplièrent et à la veille de la guerre, ils avaient quasiment disparu. En 1939, du fait des assassinats, des déportations et des défections, il ne demeurait au Tatarstan que huit cents serviteurs de culte [77]. En 1941, il ne restait plus officiellement que quinze églises [78] et, en 1947, seulement seize mosquées étaient enregistrées [79].

33Les institutions et les campagnes politiques s’intéressant à la religion ont inlassablement défini et redéfini les contours de la vie religieuse des Soviétiques en fonction des grands enjeux politiques du moment. Ainsi, par exemple, l’État soviétique a permis à des formes de religiosité plus populaires, hors des églises, de s’épanouir un temps pendant le communisme de guerre. Il a même contribué à ce phénomène en déstructurant le tissu des églises, laissant les laïcs à leur sort. Mais il a par ailleurs aussi appuyé les institutions religieuses, avec la commission des cultes créée en 1929 et, surtout, à partir de 1943, avec la création des Conseils des cultes, rattachés au Conseil des ministres. La reconstitution des Églises officielles pendant la Seconde Guerre mondiale permit de redéfinir la relation entre les Églises et l’État, notamment dans la lutte contre les formes de religiosité «?illégales?» pratiquées hors des églises. Au Tatarstan, le mandataire du conseil des affaires des cultes établissait des listes des serviteurs des cultes ou des lieux de culte qualifiés d’illégaux. À l’échelle locale, il s’agissait d’abord de traquer ceux qui «?vivaient bien?» des émoluments reçus pour avoir effectué des rites religieux sans s’être acquittés d’impôts, ces mollahs ou muezzins qui pratiquaient «?illégalement?» les rites de circoncision des enfants, les noces et les funérailles [80]. Après la guerre, de manière ambivalente, les autorités religieuses participèrent à ce double système d’institutionnalisation des Églises et parfois de protection d’une vie religieuse parallèle, loin du regard de l’État.

34En assignant une place aux Églises, les dirigeants soviétiques ont pu donner l’impression aux croyants qu’ils pouvaient s’accommoder du pouvoir soviétique, notamment dans les années 1920. Le mélange de terreur et de pacification a permis à certains citoyens soviétiques de croire que le système pouvait leur garantir une vie religieuse normalisée, croyance dont témoignent les pétitions pour la réouverture des églises. Néanmoins, la violence des campagnes de la fin des années 1930 a introduit une rupture inédite dans les relations entre les croyants et le pouvoir. L’activité religieuse a alors définitivement quitté la sphère publique?; elle est devenue honteuse, dangereuse et cantonnée dans des espaces privés. La clandestinité devint un recours pour les croyants. Dans les années 1940-1950, les autorités religieuses officielles se montrèrent attentives à ce basculement des pratiques religieuses dans la clandestinité.

Carte de la région au début des années 1930

tableau im1

Carte de la région au début des années 1930

Source?: Vidal-Lablache, Atlas de géographie physique, politique, économique, géologique, ethnographique, 197 cartes et cartons, Paris, A.?Colin, 1895, nouvelle éd. revue et mise à jour, 1933, p.?115.

Notes

  • [*]
    Maître de conférences d’histoire contemporaine à l’EHESS, Centre d’études des mondes russe, caucasien et centre-européen (CERCEC).
  • [1]
    Instituée sous Catherine II, la direction spirituelle des musulmans se reforme sous le régime communiste, à la suite du congrès des musulmans de 1923. Elle s’installe à Oufa, dans la république bachkire voisine du Tatarstan. Voir la carte reproduite à la suite de cet article.
  • [2]
    CDUM Arhiv Respubliki Tatarstan (Archives nationales de la république du Tatarstan), fond 732, opis’ 6, delo 67, list 131 (désormais notée NART?: f. 732, op. 6, d. 67, l. 131).
  • [3]
    F.-X. Nérard, 5?% de vérité?: la dénonciation dans l’URSS de Staline (1928-1941), Paris, Tallandier, 2004.
  • [4]
    En 1935, la commission des cultes du CIK (Comité exécutif central) recense, dans l’ensemble de l’Union soviétique, 11?311 tentatives de recours de la part de communautés religieuses dénonçant des violations à la législation religieuse. «?Mémoire sur les organisations religieuses en URSS (1936)?», Revue d’études comparatives Est-Ouest, septembre-octobre 1993, p.?78-80.
  • [5]
    R. Crews, «?Empire and the Confessional State?: Islam and Religious Politics in Nineteenth-Century Russia?», American Historical Review, vol.?108, n°1, février 2003, p.?50-83.
  • [6]
    D. Peris, Storming the Heavens?: the Soviet League of the Militant Godless, Ithaca, Cornell University Press, 1998?; W. B.?Husband, “Godless Communists”?: Atheism and Society in Soviet Russia, 1917-1932, DeKalb, Northern Illinois University Press, 2000.
  • [7]
    A. Bennigsen, Ch. Lemercier-quelquejay, Sultan Galiev, le père de la révolution tiers-mondiste, Paris, Fayard, 1986.
  • [8]
    Il existe des ouvrages importants sur la question des nationalités en URSS, ils ne s’intéressent pourtant pas à la question de la politique confessionnelle soviétique. T.?Martin, The Affirmative Action Empire?: Nations and Nationalism in the Soviet Union 1923-1939, Ithaca, Cornell University Press, 2001?; F.?Hirsch, Empire of Nations, Ithaca, Cornell University Press, 2005?; J.?Cadiot, Le laboratoire impérial?: Russie-URSS, 1860-1940, Paris, CNRS Éditions, 2007.
  • [9]
    N. A. Krivova, Vlast’ i cerkov’ v 1922-1925 gg., Moscou, AIRO-SSSR, 1997.
  • [10]
    NART?: f. 5852, op. 1, d. 233, l. 27-30 et l. 44-45, circulaire de juillet 1922. En 1924, par exemple, la société religieuse luthérienne de Kazan est enregistrée seulement après l’exclusion de deux membres de son conseil exécutif (l’un est condamné comme contre-révolutionnaire, l’autre pour recel d’objets provenant de gardes blancs). NART?: f. 5852, op. 1, d. 418, l. 63.
  • [11]
    J. Cadiot, «?À grands pas vers le russe?: l’égalité des langues dans les années 1920?», in D.?Arel, J.?Cadiot, L.?Zakharova, Cacophonies d’empire?: le gouvernemnet des langues dans l’Empire russe et l’Union soviétique, Paris, CNRS Éditions, 2010, p.?111-134. N. Pianciola, «?Décoloniser l’Asie centrale?? Bolcheviks et colons au Semire?’e (1920-1922)?», Cahiers du monde russe, vol.?49, n°1, 2008, p.?101-144.
  • [12]
    A. F. Stepanov, «?‘Bol’shoj terror’ i dukhovenstvo?: repressii v Sovetskom Tatarstane?», The Soviet and Post- Soviet Review, vol. 36, n°1, 2009, p.?112-113.
  • [13]
    N. Pianciola, P. Sartori, «?Waqf in Turkestan?: the Colonial Legacy and the Fate of an Islamic Institution in Early Soviet Central Asia, 1917-1924?», Central Asian Survey, vol. 26, n°4, 2007, p.?475-498.
  • [14]
    CK RKP (b) – VKP (b) i nacional’nyj vopros, vol. 1, Moscou, Rosspen, 2005, p. 130.
  • [15]
    Photographie de 1929 reproduite en couverture de D. Northrop, Veiled Empire?: Gender and Power in Stalinist Central Asia, Ithaca, Cornell University Press, 2004.
  • [16]
    CK RKP (b) – VKP (b) i nacional’nyj vopros, op. cit., p. 90.
  • [17]
    Ibid., p. 202. Document secret de l’OGPU, envoyé en mai 1924.
  • [18]
    Ibid., p. 417.
  • [19]
    Ibid., p. 371.
  • [20]
    NART?: f. 5852, op. 1, d. 784, l. 12 (ob.)-13 (juin 1929). A. Zel’cer, Evrei v sovetskoj provincii, Vitebsk i meste?ki 1917-1941, Moscou, Rosspen, 2006.
  • [21]
    En 1923, une société catholique est créée après examen par l’OGPU (police politique) et éviction d’un membre de son conseil exécutif. NART?: f. 5852, op. 1, d. 418, l. 60-62 et l. 64.
  • [22]
    NART?: f. 5852, op. 1, d. 730, l. 30.
  • [23]
    NART?: f.?5852, op. 1, d. 769, l. 3, l. 59.
  • [24]
    Central’nyj gosudartvennyj arhiv istoriko-politi?eskoj dokumentacii Respubliki Tatarstan (Archives centrales d’État de documentation historico-politique de la république du Tatarstan, désormais noté CGAIPDRT)?: f. 15, op. 1, d. 1280.
  • [25]
    NART?: f. 732, op. 1, d. 1221, l. 5.
  • [26]
    J. Cadiot, «?À grands pas vers le russe…?», art. cité?; T. Martin, The Affirmative Action Empire…, op. cit.?; S.?Badcock, Politics and the People in Revolutionary Russia?: A Provincial History, Cambridge, Cambridge University Press, 2007, p.?118-119 et 122.
  • [27]
    I. Minnullin, «?Delo ‘nelegal’nogo medrese’ v Kazani, 1927-1928 gg.?», Gasyrlar Avazy-Èho vekov?:nau?no-dokumental’nyj žurnal, 2002, 3-4 [en ligne, consulté le 18 mai 2010]. <http://www.archive.gov.tatarstan.ru/magazine/go/anonymous/main/?path=mg:/numbers/2002_3_4/03/03_6/>
  • [28]
    CGAIPDRT?: f. 15, op. 2, d. 411 (1927), l. 1-11.
  • [29]
    CK RKP (b) – VKP (b) i nacional’nyj vopros, op. cit., p. 417-421 et 500-503.
  • [30]
    CGAIPDRT?: f. 15, op. 2, d. 411 (1927), l. 1-11. Il est par ailleurs noté que certains musulmans identifiaient le Soviet au conseil de droit islamique, la chura décrite dans le Coran.
  • [31]
    Ibid. et I. Minnullin, «?Delo ‘nelegal’nogo medrese’ v Kazani?», art. cité.
  • [32]
    CK RKP (b) – VKP (b) i nacional’nyj vopros, op. cit., p. 421, 500-503 et 537-538.
  • [33]
    I. Minnullin, «?Delo ‘nelegal’nogo medrese’ v Kazani?», art. cité.
  • [34]
    CK RKP (b) – VKP (b) i nacional’nyj vopros, op. cit., p. 417-421.
  • [35]
    CGAIPDRT: f. 15, op. 2, d. 411 (1927), l. 9-9ob.
  • [36]
    I. M. Sovetov, «?Sovetskoe zakonodatel’tsvo o religioznyh kul’tah v 20-30-h gg. XX v.?: soderžanie i praktika realizacii, spory i diskussii o reformirovanii ego pravovoj bazy?», Svoboda sovesti v Rossii?: istori?eskij i sovremennyj aspekty, vol. 4, Moscou, Rossijskoe ob”edinenie issledovatelej religii, 2007, p. 397-449. [en ligne, consulté le 12 mai 2010] <http://www.rusoir.ru/president/works/217/>.
  • [37]
    N. M. Orleanskij, Zakon o religioznyh obedineniiah RSFSR, Moscou, Izdatel’stvo Bezbožnik (reprint?: Farnborough, Gregg International Publishers, 1971).
  • [38]
    I. M. Sovetov, «?Sovetskoe zakonodatel’tsvo o religioznyh kul’tah?», art. cité.
  • [39]
    NART?: f. 5852, op. 1, d. 732, l. 30.
  • [40]
    P. W. Werth, «?From ‘Pagan’ Muslims to ‘Baptized’ Communists?: Religious Conversion and Ethnic Particularity in Russia’s Eastern Provinces?», Comparative Studies in Society and History, vol.?42, n°3, 2000, p.?497-523.
  • [41]
    NART: f. 732, op. 6, d. 67, l. 26-27.
  • [42]
    NART?: f. 732, op. 6, d. 35, l. 46.
  • [43]
    NART?: f. 5852, op. 1, d. 784, l. 12.
  • [44]
    NART?: f. 5852, op. 1, d. 707, l. 110.
  • [45]
    I. Minnullin, «?Delo ‘nelegal’nogo medrese’ v Kazani?», art. cité.
  • [46]
    NART?: f. 732, op. 6, d. 62, l. 11.
  • [47]
    En 1929, les chiffres de la police politique (OGPU) indiquaient à l’échelle de l’ensemble de l’URSS que plus de 23,5?% des révoltes avaient été initiées pour des raisons religieuses?; en 1930, le pourcentage tomba à 10,8?%?: The War Against the Peasantry, 1927-1930?: The Tragedy of the Soviet Countryside, New Haven, Yale University Press, 2005, p.?341.
  • [48]
    I. Ohayon, La sédentarisation des Kazakhs dans l’URSS de Staline?: collectivisation et changement social (1928-1945), Paris, Maisonneuve et Larose, 2006, p.?180-205?; N.?Pianciola, Stalinismo di frontiera. Colonizzazione agricola, sterminio dei nomadi e costruzione statale in Asia centrale (1905-1936), Rome, Viella, 2009.
  • [49]
    I. M. Sovetov, «?Sovetskoe zakonodatel’tsvo o religioznyh kul’tah?», art. cité.
  • [50]
    Ibid. NART: f. 732, op.?6, d.?35, l.?52-54.
  • [51]
    NART?: f. 732, op.?6, d.?35, l.?198. (juin 1933).
  • [52]
    Ibid. et R. Hajrutdinova, «?’Antikolokol’naâ’ kampaniâ?», Gasyrlar Avazy-Èho vekov?:nau?no-dokumental’nyj žurnal, 2008, 1 [en ligne, consulté le 18 mai 2010]. <http://www.archive.gov.tatarstan.ru/magazine/go/anonymous/main/?path=mg:/numbers/2008_1/03/03_3/>.
  • [53]
    NART?: f. 732, op. 6, d. 248, l. 35.
  • [54]
    NART?: f. 732, op. 6, d. 260, l.?6.
  • [55]
    Certifications données par l’évêché ou par la direction spirituelle musulmane d’Oufa, arrachées par les représentants locaux du pouvoir soviétique. NART?: f. 732, op. 6, d. 68, l. 19.
  • [56]
    Sur cet enjeu, voir par comparaison A. Corbin, Les cloches de la terre. Paysage sonore et culture sensible dans les campagnes au XIXe siècle, Paris, Albin Michel, 1994.
  • [57]
    Au marché de Šeremet’evskij, une foule s’était rassemblée pour exiger la baisse des impôts et la libération des personnes arrêtées?; il fut exigé de trouver les coupables de ces arrestations. NART?: f.?732, op. 6, d. 35, l. 68.
  • [58]
    NART: f. 843, op. 1, d. 1, l. 45.
  • [59]
    NART?: f. 732, op. 6, d. 35, l. 52-54?; N. Werth, «?‘Cher Kalinouchka’. Lettres paysannes à Kalinine, 1930?», La Terreur et le Désarroi, Paris, Perrin, 2007, p.?86-100.
  • [60]
    NART: f. 732, op. 6, d. 62, l. 1.
  • [61]
    NART: f. 732, op. 6, d. 62, l. 114.
  • [62]
    NART: f. 732, op. 6, d. 68, l. 11.
  • [63]
    NART: f. 732, op. 6, d. 67, l. 191.
  • [64]
    Au Tatarstan, de janvier 1931 à février 1932, sur 137 fermetures d’édifices religieux, la commission n’en a ratifié que 35?%, 11?% ont été considérées comme illégales et 52?% ont été renvoyées au RIK pour vices de procédure et demande de documentation supplémentaire. NART: f. 732, op. 6, d. 62, l. 1.
  • [65]
    NART: f. 732, op. 6, d. 68, l .11.
  • [66]
    Pour le Tatarstan, Ilnur Minnullin se réfère aux archives fermées de l’OGPU qui indiquent qu’en 1932, 127 membres des clergés furent réprimés, 107 en 1933. Par ailleurs, 71 et 287 personnes furent jugées pour activisme religieux (cerkovniki i sektanty)?: I.?Minnullin, Musul’manskoe duhovenstvo i vlast’ v Tatarstane (1920-1930-e gg), Kazan, Institut istorii AN?RT, 2006, p.?124. Bagavieva parle, pour la Grande Terreur de 1937-1938, de 124 membres du clergé orthodoxe et de 88 mollahs et muezzins condamnés. Cité par A.?F.?Stepanov, «?“Bol’soj terror” i duhovenstvo?: repressi v Sovetskom Tatarstane?», art. cité, p.?141. Stepanov conclut pour sa part à un total de 222 ecclésiastiques des Églises chrétiennes réprimés et 370 membres du personnel religieux orthodoxe et musulman réprimés, dont 75?% furent exécutés. Il s’agit cependant d’une statistique partielle, certains pouvant avoir été condamnés non pas dans le cadre des opérations de la Grande Terreur, mais sous le coup de l’article 122-127 du Code pénal, pour infraction aux règles de séparation de l’Église et de l’État?: ibid., p.?141-144, p.?150.
  • [67]
    I. Minnullin, Musul’manskoe duhovenstvo…, op. cit., p.?125-126, p.?136.
  • [68]
    A.?F.?Stepanov, art. cité.
  • [69]
    NART: f. 732, op. 6, d. 49, l. 8.
  • [70]
    NART: f. 732, op. 1, d 2491, l. 21-24.
  • [71]
    NART: f. 732, op. 6, d.120, l. 129.
  • [72]
    NART?: f. 5852, op. 1, d. 784, l. 12ob.
  • [73]
    I. M. Sovetov, «?Sovetskoe zakonodatel’tsvo o religioznyh kul’tah?», art. cité, p.?412.
  • [74]
    «?Mémoire sur la situation des organisations religieuses en URSS (1936)?», art. cité, p.?65, 67 et 104.
  • [75]
    V. B. Žiromskaâ, I. N. Kiselev, Â. A. Poliakov, Polveka pod grifom ‘sekretno’?: Vsesojuznaâ perepis’ naseleniâ 1937 goda, Moscou, Nauka, 1996.
  • [76]
    I. M. Sovetov, «?Sovetskoe zakonodatel’tsvo o religioznyh kul’tah?», art. cité., p. 413.
  • [77]
    A.F. Stepanov, art. cité, p. 150.
  • [78]
    NART: f. 843, op. 1, d. 1, l. 45.
  • [79]
    I. Minnullin, Musul’manskoe duhovenstvo…, op. cit., p. 125-135.
  • [80]
    NART: f. 873, op.?1, d. 4, l. 23, 34, 56-56ob, 99, 125, 184.
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Résumé

Cet article examine les retournements de la politique religieuse en URSS dans les années 1920 et 1930 en s’intéressant aux positionnements des différentes communautés religieuse de la république à majorité musulmane du Tatarstan. Il montre la forte différenciation de la politique religieuse soviétique, au début des années 1920, en fonction des différents cultes, puis la généralisation des politiques de répression ou de mise sous tutelle des pratiques religieuses dans le cadre de la collectivisation des campagnes au cours des années 1930. En s’intéressant à l’activité de la Commission des cultes, chargée de recueillir les plaintes du clergé, il souligne surtout l’ancrage des sociabilités religieuses dans les campagnes tatares et la confiance marquée, jusqu’à une date tardive, des milieux musulmans à l’égard du pouvoir révolutionnaire, en dépit des campagnes antireligieuses.

Juliette Cadiot [*]
  • [*]
    Maître de conférences d’histoire contemporaine à l’EHESS, Centre d’études des mondes russe, caucasien et centre-européen (CERCEC).
Mis en ligne sur Cairn.info le 07/05/2012
https://doi.org/10.3917/lms.239.0045
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