CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1La désaffiliation de structures syndicales et d’équipes militantes de la CFDT en 2003 et leur entrée dans d’autres organisations, aussi bien à la CGT qu’au sein de l’Union syndicale Solidaires, a conféré une certaine visibilité médiatique au phénomène : de 1995 à 2003, la confédération dirigée par Nicole Notat, puis par François Chérèque, a été traversée par une crise liée à l’existence d’une opposition interne rassemblée autour de la revue Tous ensemble ! et d’une association du même nom. Cette séquence temporelle au cours de laquelle la mouvance oppositionnelle choisit de se structurer est bornée par deux fortes mobilisations, l’une contre le plan Juppé en novembre-décembre 1995, l’autre contre la réforme des retraites en 2003, au cours desquelles le décalage entre les options confédérales et celles revendiquées par une partie des équipes CFDT se traduit par une participation fortement différenciée à l’action protestataire. Entre ces deux grands conflits, ces années sont également marquées par des sorties successives de sections syndicales et de syndicats en lien notamment avec la négociation d’accords sur les 35 heures [1].

2L’existence de secteurs critiques au sein de cette confédération ou de ce que les militants désignent entre eux comme la « gauche CFDT » renvoie cependant à une temporalité bien plus longue. Pour autant, si la genèse de l’opposition interne et de ses modalités successives de fonctionnement implique de remonter aux premières dissensions face à la politique de « recentrage » lancée à partir de 1978-1979 suite au rapport de Jacques Moreau [2], le choix de se doter d’une identité et d’une organisation spécifiques ne concerne à strictement parler que la courte séquence de 1995-2003. Au regard de cette évolution, parfois décriée par les adversaires de Tous ensemble ! comme la tentative de mettre en place un « contre-appareil », il semble intéressant de s’interroger sur l’importance accordée par ceux qui entendaient renverser la majorité confédérale au domaine de la formation syndicale. Soucieuse d’échapper à l’accusation de constituer une tendance fractionnelle et voulant se présenter avant tout comme un « courant de pensée majoritaire pour reconstruire la CFDT », l’opposition interne n’a eu de cesse dans ses premières déclarations d’afficher sa volonté de « réorienter » ou de « redresser » l’organisation, de « rouvrir tous les espaces de débat possibles » [3]. Ses principaux responsables ont justifié le passage à une forme de dissidence, assumée comme telle et rendue publique, au nom d’un combat d’idées, en raison de profondes divergences sur l’analyse des faiblesses du mouvement syndical et de ses possibilités d’action dans un environnement transformé. Si la crise de la période 1995-2003 se voit dans des rapports de force pour contrôler la majorité de telle ou telle structure – fédération, union régionale interprofessionnelle (URI), union départementale (UD) –, elle passe aussi très fortement par une lutte de sens pour dire l’héritage de la CFDT, son histoire et la légitimité des orientations choisies. Voulant se positionner sur le terrain de la confrontation idéologique et promouvoir un projet alternatif à celui de la direction confédérale, les responsables de l’opposition interne ont-ils misé sur un outil comme la formation syndicale pour diffuser leur vision du syndicalisme, renforcer la cohésion de leurs bases, voire tenter d’élargir celles-ci ? Peut-on repérer un investissement spécifique de cette activité appréhendée comme un lieu de production du sens syndical et d’une identité organisationnelle ?

3Un tel questionnement prend d’autant plus de sens si l’on restitue la dimension très conflictuelle des relations au sein de l’organisation durant cette période – qu’il s’agisse des rapports entre militants d’une même structure ou entre les structures – et l’entreprise menée par la direction confédérale depuis les années 1980 pour réorganiser la formation et notamment des dispositifs en direction des cadres intermédiaires [4]. Cette situation incite à déployer une approche relationnelle, voire configurationnelle au sens éliasien du terme [5], de la mise en œuvre des programmes de formation syndicale par les différentes composantes de l’opposition : seule une approche dynamique du jeu complexe qui se noue alors au sein de la CFDT, entre ceux qui sont devenus des adversaires, permet en effet de restituer la façon dont ces stratégies s’inscrivent dans une même toile de tensions. Ce questionnement revêt également du sens au regard de l’histoire de la CFTC-CFDT et de la façon dont la minorité d’alors et le courant Reconstruction ont misé, de la fin des années 1940 à 1964, sur des instruments favorisant le débat intellectuel et, de façon plus indirecte, sur l’activité menée au sein du centre de formation pour conquérir peu à peu une majorité favorable à la déconfessionnalisation [6].
Tout en ayant conscience des usages politiques que la confédération pouvait faire de la refonte partielle du système de formation [7], les principaux animateurs de Tous ensemble ont abordé ce domaine de façon assez différenciée, s’y investissant avec des moyens relativement hétérogènes. En nous appuyant sur la consultation d’archives privées [8], sur une série d’entretiens [9] et sur des notes d’observation prises à l’occasion de plusieurs stages [10], nous essayerons de montrer qu’il est d’abord indispensable de penser ce qu’était l’opposition interne pour saisir les disparités qui ont marqué son rapport au domaine de la formation (1). Des contraintes différentes s’exerçaient, en effet, sur des organisations dont les ressources financières et logistiques étaient variables en raison du maintien d’un certain degré de fédéralisme au sein de la CFDT [11] : des fédérations professionnelles et des unions régionales interprofessionnelles disposant d’une autonomie réelle dans le domaine de la formation au cours des années 1980 et 1990, contrairement à des structures de taille plus réduite (2). Par-delà ces ressources relativement hétérogènes, des caractéristiques communes se dégagent cependant, laissant apparaître une conception de la formation qui s’appuie sur le champ professionnel pour monter en généralité et produire des militants « capables de tenir les débats » [12], c’est-à-dire de mener la confrontation avec la majorité confédérale sur la question du projet syndical (3).

La formation syndicale : une préoccupation importante, mais reléguée au second rang des priorités stratégiques

4Réfléchir à ce qu’a été l’opposition au sein de la CFDT conduit à souligner le flou des délimitations temporelles que l’on peut adopter et à pointer le caractère mouvant de ses frontières organisationnelles. Si la séquence 1995-2003 présente une singularité forte, avec la création d’une revue en janvier 1996 puis d’une association en juin de la même année [13], l’émergence de secteurs critiques et leurs tentatives de coordination sont plus anciennes. Dès la fin des années 1970 et la rupture de l’unité d’action avec la CGT, se dessinent plusieurs composantes critiques face à la ligne impulsée par Edmond Maire sur fond de crise des effectifs [14]. Celles-ci partagent de profonds désaccords quant aux implications de la stratégie dite de recentrage, tout en ne constituant pas un groupe homogène, ne serait-ce que du point de vue des sensibilités politiques qui vont, principalement, de l’extrême gauche au CERES. En effet, loin de toute linéarité, de toute « illusion biographique » qui pourrait être favorisée par la reconstitution ex post d’une histoire commune, cette opposition existe sous des configurations variables à l’occasion de congrès confédéraux, où il s’agit de compter ceux qui s’opposent au rapport d’activité, ceux qui se rassemblent sur un texte alternatif ou sur des amendements. Elle renvoie à des principes de division qui sont d’abord à usage militant et permettent de classer les structures, voire des bouts de structures, entre la « gauche », le « centre » et la « droite ». Cette façon de se désigner ou d’être désigné au sein de la confédération constitue en soi un enjeu de luttes : selon la position occupée au sein de l’espace des rapports de force internes, le repérage des unions régionales, des unions départementales, des fédérations ou simplement des syndicats considérés comme étant dans la « minorité » ou dans la « gauche CFDT » ne sera évidemment pas le même.

5Marquée par la conquête temporaire et parfois fragile de l’exécutif de certaines organisations – telle l’Union régionale parisienne entre 1986 et 1989 – ou, au contraire, par la perte de certains « bastions » ayant été à la pointe des critiques adressées à la direction confédérale (comme la fédération Hacuitex [15] lors du congrès de Bordeaux en 1985), la mouvance oppositionnelle n’a longtemps existé que de façon lâche, comme un simple réseau, sans chercher à se doter d’une structure plus stable. L’entretien d’une sensibilité commune est d’abord passé par la création de revues, supports permettant de diffuser des éléments de débats et des informations. Plusieurs publications marquent la volonté de dépasser le moment des congrès pour réussir à tisser plus durablement des liens. La première d’entre elles, Les Cahiers syndicaux de débats, lancée dès 1978, remplit un usage strictement interne : il s’agit de mettre en commun le matériel militant produit par des équipes syndicales critiques par rapport à la politique de recentrage (tracts, programmes de formation syndicale). Ils sont imprimés par l’Union régionale interprofessionnelle Basse-Normandie, structure qui a joué un rôle moteur dans l’animation de l’opposition interne jusqu’en 1999, date à laquelle la majorité confédérale reprend l’exécutif de la région.

6Le domaine de la formation ne semble pas faire l’objet durant les années 1980, ni le début des années 1990, d’une stratégie commune de la part des principales organisations qui animent cette mouvance oppositionnelle : il ne constitue pas un élément central servant à la définition d’une ligne stratégique. Les publications qui succèdent aux Cahiers syndicaux de débats – comme Alternatives syndicales entre 1983 et 1986 ou Pour une autre démarche syndicale – gagnent en cohérence avec des articles de fond, mais le matériel relatif aux stages de formation disparaît. L’investissement dans la formation, qui peut être important dans certaines fédérations et unions régionales, relève davantage de choix internes au sein de chaque structure. Des réseaux se mettent en place, toutefois, favorisant la circulation de militants d’une organisation à l’autre à l’occasion d’interventions dans des stages ainsi que la circulation de programmes de formation :

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Et la quatrième série [de formations], c’est tout ce que j’ai pu faire au titre de membre participant à l’opposition CFDT plus ou moins organisée, plus ou moins clandestine et quelquefois officielle quand il s’est agi après 95 de Tous Ensemble, mais avant très fortement, vu les contacts qu’on avait les uns avec les autres et que la structure n’était pas vraiment organisée et sans véritable existence légale. On avait une existence de fait mais pas une existence légale [16].

8Cette situation est à comprendre au regard de la forme prise par l’opposition interne, ce qui fait de la réflexion sur les contours et le fonctionnement de celle-ci un préalable indispensable à toute approche de « ses » pratiques. L’opposition interne existe avant tout au travers de ses attaques contre la ligne confédérale, notamment lors des congrès qui contribuent à donner cohérence et homogénéité à des expressions critiques [17], et non comme une structure pérenne qui aurait à prendre en charge, de façon unifiée, toute une série d’activités syndicales plus routinières. Le durcissement des relations avec la direction confédérale à partir du congrès de Bordeaux en 1985 [18] et surtout suite à l’exclusion des premiers syndicats dans la Fédération des PTT et dans celle de la Santé après le congrès de Strasbourg en 1988 conduit progressivement ceux qui se pensent comme la « gauche CFDT » à prendre conscience qu’ils auront à conserver et à renforcer leur influence au sein des structures où ils sont bien implantés. Un des futurs animateurs de Tous ensemble, militant de la fédération Interco, se souvient ainsi qu’une des premières réunions des secteurs oppositionnels s’est tenue en 1985, de façon très informelle, sur la pelouse, à côté du lieu où se déroulait le congrès. Dans un ouvrage militant consacré à la naissance de SUD PTT, Pierre Cours-Salies, qui a été l’un des animateurs du journal Tous ensemble !, note « qu’en 1988, la gauche CFDT n’est pas un courant organisé », attribuant cette faible cohésion à une diversité politique marquée, avec des sensibilités allant de la gauche du PS aux différents groupes d’extrême gauche [19]. La première réunion organisée de l’opposition n’a lieu, selon lui, qu’en janvier 1989 [20].

9La recherche d’une plus grande cohésion au sein des secteurs critiques, après le congrès de 1988, passe par la création d’un fichier de contacts, par l’animation de revues (tournée vers l’interne ou destinées à maintenir des liens avec les équipes qui sont sorties de la CFDT et qui ont constitué les premiers SUD, à l’image de Collectif[21]), par la circulation des principaux animateurs de la « gauche syndicale » dans les différentes structures. Les URI « oppositionnelles », telle l’Auvergne, la Basse-Normandie, PACA, mais également certaines fédérations ou syndicats nationaux (tel celui de l’ANPE) ont d’ores et déjà des politiques de formation autonomes, qui résultent à la fois de la marge d’action que leur confère le principe du fédéralisme au sein de la CFDT et d’un souci de renforcer leurs bases. Les responsables de l’URI Basse-Normandie – Guy Robert, Michel Gigan, Etienne Adam – sont parmi ceux qui misent le plus sur ce domaine, en en faisant un des axes prioritaires de leur démarche syndicale par ailleurs également très orientée vers l’organisation des secteurs précaires dans le salariat. De ce point de vue, la politique menée au sein de cette URI sert de référence pour des militants de l’opposition investis dans d’autres secteurs.

C’était une des antiennes de Michel Gigan. Quand il racontait comment ils avaient consolidé leur présence au sein de l’URI Basse-Normandie, il disait toujours : « Il y a trois éléments, la communication vis-à-vis des salariés de ton secteur que tu influences, celle vis-à-vis de tes syndiqués et la politique de formation que tu as avec eux, de telle manière que les objectifs qu’on défend, on voit s’ils sont partagés » [22].
L’influence exercée par cette union régionale sur d’autres composantes de la « Gauche CFDT » serait à retracer plus finement. Au cours des années 1980, des militants d’autres structures sont invités à y animer des stages, notamment sur les enjeux de l’organisation des chômeurs [23]. Pour autant, si la politique de formation mise en œuvre par l’URI Basse-Normandie est restituée aujourd’hui comme une action à caractère précurseur, elle ne s’impose pas comme un « modèle », à reproduire et à systématiser, entre les secteurs oppositionnels. Son influence s’exerce de façon plus diffuse, ce qui interroge d’ailleurs en retour l’objet « formation syndicale ». Nombre de militants qui ont joué, à différents niveaux, un rôle moteur entre 1995 et 2003 estiment ainsi s’être formés intellectuellement via les débats menés dans et par cette URI et plus largement dans le contexte d’élaboration programmatique nécessaire à l’opposition, sans que cela passe nécessairement par des dispositifs de formation.
La création de Tous ensemble à la suite du mouvement social de l’automne 1995 et du soutien apporté par Nicole Notat au plan Juppé ne modifie pas la façon de fonctionner des secteurs oppositionnels dans le domaine de la formation syndicale. Le dynamisme sur ce terrain reste le fait de certaines structures, non d’une démarche volontariste de l’ensemble du courant. Dès les premiers numéros du journal, il s’agit avant tout d’ancrer la démarche d’affirmation d’un courant de pensée – dont la vocation majoritaire est affirmée – en concentrant les efforts sur l’élaboration d’un projet alternatif à celui défendu par la direction confédérale, décrié comme une forme d’accompagnement du libéralisme. L’argumentation passe alors par la défense de la réduction du temps de travail, avec la revendication d’une proposition de loi-cadre à 32 heures. Sur le plan de la pratique syndicale, le choix est fait de mettre en avant la question de l’organisation des chômeurs [24] et de la nécessité d’investir le champ associatif par l’animation notamment d’Agir ensemble contre le chômage ! Selon certains animateurs de Tous ensemble, liés notamment au Syndicat national de l’ANPE, l’idée de privilégier le domaine de la formation dans les moyens d’action, de « passer à un niveau supérieur » en se dotant d’un centre de formation commun, aurait été débattue juste après le Congrès confédéral de Lille en 1998 [25]. Cette option est notamment défendue par ceux qui estiment fondamental de lutter contre l’influence exercée par la direction confédérale sur les adhérents, via les structures intermédiaires qu’elle contrôle. Toutefois la réflexion demeure en l’état embryonnaire en raison de la défaite subie par Tous ensemble lors de ce même congrès. L’opposition interne ne parvient pas, en effet, à rassembler plus de 28 % des suffrages contre le rapport d’activité. Deux ans après son institutionnalisation officielle, alors qu’elle a échoué à obtenir un congrès extraordinaire en janvier 1996 et qu’une partie des équipes militantes critiques ont opté pour une désaffiliation de la CFDT et la création de nouveaux SUD, elle entre ainsi dans une phase difficile qui contribue à renforcer l’idée du provisoire, d’une transition vers autre chose. Cette configuration ne favorise pas dès lors un travail réellement coordonné sur la question des formations.

Des moyens d’action et de pression fortement différenciés

10L’absence d’investissement conjoint de ce domaine ne doit cependant pas masquer ce qui a été entrepris structure par structure. De fortes disparités découlent de la position qu’occupent les équipes oppositionnelles au sein des fédérations et des unions territoriales et conditionnent les relations qu’elles entretiennent avec le secteur confédéral de formation. La direction d’une fédération, d’autant plus si celle-ci est puissante (comme c’est le cas pour la Fédération Générale des Transports et de l’équipement, par exemple, avec ses quelque 60 000 adhérents), fournit les conditions pour une quasi-autonomie à la fois dans l’élaboration des contenus des stages, dans l’articulation de ceux-ci et dans la maîtrise du financement. Des années 1990 à 2003, la FGTE contrôle ainsi complètement son offre de formation – qu’il s’agisse des formations de base ou de celles des cadres de la fédération – et organise ses propres sessions à l’ISST (Institut des Sciences Sociales du Travail) de Strasbourg sur les enjeux de la libéralisation des transports au sein de l’Union européenne. Comme s’en souvient l’un des anciens dirigeants de la FGTE, il est alors tout à fait possible d’inviter dans un stage « un confédéral » pour présenter le point de la vue de la direction de l’organisation [26]. Une telle intervention sert à démontrer le caractère démocratique de la structure oppositionnelle et ne l’expose pas à une éventuelle intervention de la Confédération visant à restreindre les marges d’action dans le domaine de la formation. Cette autonomie se retrouve au niveau des URI qui disposent également de la maîtrise de leurs ressources financières. En dehors de l’URI Basse-Normandie, l’URI Auvergne et l’URI PACA sont ainsi très actives dans l’organisation de stages de différents niveaux. Cette dernière met notamment en œuvre des formations de « cadres », c’est-à-dire de futurs responsables syndicaux, en lien avec l’Institut régional du Travail et se lance également, sans que ce thème ne nourrisse d’ailleurs de tensions avec la Confédération, dans une large campagne de formation de ses adhérents sur les dangers liés à la montée en puissance du Front national.

11La marge de manœuvre qui bénéficie ainsi aux fédérations et aux URI, leur laissant toute liberté pour définir leurs thèmes de formation prioritaires, se révèle déjà plus réduite pour des équipes qui ne contrôlent pas l’exécutif de leur fédération, mais uniquement des syndicats départementaux. Tout dépend cependant de la politique menée par le sommet de l’organisation. Dans le cas de la fédération Interco, par exemple, l’absence de centre de formation au niveau fédéral laisse une réelle latitude à chaque syndicat et ce d’autant plus que les droits syndicaux sont relativement importants dans la fonction publique territoriale. La situation de minorité conduit cependant les équipes oppositionnelles à privilégier des formations en interne et à ne pas participer – sauf dans le cas où Tous ensemble y est majoritaire – aux formations dispensées au sein des unions départementales.

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Toujours en intra, toujours chez nous. On a perdu la majorité de trente voix dans l’UD en raison d’un coup de force, suite au départ de cheminots. Ils nous ont alors interdit de fonctionner à l’intérieur de l’UD. On s’est rabattu sur nos locaux professionnels, ce qui était bien d’ailleurs. On a toujours fait en intra, de manière à ce qu’il n’y ait pas de contrôle, non plus, sur ce qu’on faisait, ce qu’on disait [27].

13Cette propension à l’autarcie se retrouve au niveau des unions départementales contrôlées par l’opposition qui mettent en place, de fait, différents types de stage, bien au-delà des formations de base et de premier degré, intervenant sur des niveaux habituellement dispensés par les fédérations ou par le secteur confédéral.

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Donc on voyait très bien ce qu’ils faisaient et on était persuadés que – mais tout le monde fait ça – la formation est une arme principale pour homogénéiser son organisation. Donc à partir du moment où on considère que cette formation est sans doute cela, et quand tu n’es pas forcément en accord […], tu développes ton propre programme de formation. Et ce programme que tu développes va intégrer la plupart des choses qui sont aux différents niveaux. C’est-à-dire que dans une union départementale comme la mienne, on avait des formations qui allaient depuis la formation de base du militant et qui arrivaient jusqu’à la réflexion sur la mondialisation, le fonctionnement économique…, ce qui veut dire que ça faisait quand même un gros travail [28].

15Comme le suggère ce dernier témoignage, c’est en empiétant sur des domaines de formation qui ne relèvent pas, sur le plan statutaire, du niveau de leur organisation que des équipes entrent potentiellement en conflit avec la direction confédérale. En effet, si cette dernière accepte de facto de la part de fédérations, d’URI ou de syndicats nationaux une gestion quasi autonome de leur activité de formation [29], le contrôle qu’elle exerce sur des structures animées par l’opposition au sein de fédérations ou d’unions régionales « majoritaires » s’avère plus étroit. Des lignes semblent ainsi à ne pas franchir, séparant ce qui est accepté de ce qui ne peut être cautionné. Ainsi, et comme le relate le militant cité plus haut, ancien secrétaire de l’UD du Val-de-Marne, la programmation d’un deuxième stage international par celle-ci, avec des interventions de syndicalistes allemands – après une première session où des syndicalistes britanniques ont été invités –, est annulée par la Confédération, via une intervention directe auprès de la confédération syndicale allemande, le DGB [30]. Il est alors clairement dit aux responsables de l’UD que les stages internationaux ne pouvent être du ressort de leur structure.

16De même, c’est au niveau des UD que s’exercent les pressions en termes de financement et, dans le contexte de la mise en place de l’institut confédéral de formation (l’IRIS), le processus de certification des intervenants. Le fait de privilégier leur propre réseau de formateurs, de ne pas reprendre les thèmes prioritaires suggérés au niveau central par l’organisation (développement, négociation, etc.) complique pour les petites structures l’accès à des financements supplémentaires. Toutefois la mise en place de l’IRIS n’est effective qu’en 2002, alors même que pour nombre d’équipes oppositionnelles, l’heure n’est plus tant au renforcement d’un courant minoritaire, déjà très affaibli suite aux multiples départs et aux échecs à rassembler largement lors des congrès confédéraux, qu’à un maintien provisoire dans la CFDT dans l’attente d’une sortie collective de celle-ci, perçue comme quasi inéluctable.
La confrontation avec la direction confédérale dans le domaine de la formation demeure donc relativement limitée. Si les responsables de l’opposition interne saisissent « le travail idéologique considérable que faisait la Confédération avec la politique de formation des cadres pour faire passer la nouvelle grille de lecture » [31], ils ne sont pas directement concernés par ces initiatives. Seuls les militants en responsabilité dans des structures qui assument sur certains points une posture critique mais qui ne sont pas ouvertement adhérentes de Tous ensemble – à l’instar de la fédération des Finances – se retrouvent, par exemple, dans l’obligation de participer aux universités d’été confédérales. Les responsables de ces structures ne veulent pas, en effet, donner lieu inutilement à des critiques de l’appareil confédéral en se plaçant hors du circuit de formation, alors même qu’ils tentent de faire entendre une voix dissonante, mais non perçue comme ouvertement dissidente. En revanche, pour les animateurs de Tous ensemble, identifiés comme tels, c’est une forme d’évitement, entre la direction confédérale et eux, qui prédomine.

Je me souviens d’avoir été par inadvertance invité un jour, quand la région est revenue dans le giron confédéral, dans un stage régional. Ils avaient invité les secrétaires de syndicats. Ils n’avaient pas dû faire gaffe… alors qu’ils avaient quand même trié. Je me souviens qu’on s’était retrouvés à quatre-cinq. On nous avait carrément expliqué que c’était pour blinder les militants par rapport à la stratégie confédérale. Alors cela a fait un tollé dans la salle. Ils étaient tout étonnés. On a eu une réponse quasiment ingénue du nouveau secrétaire général de la région. Il nous a dit : « ah, oui, c’est une erreur, on n’aurait pas dû vous inviter » [32].

Du professionnel à la critique de l’économie : former des militants « politiques »

17Alors même qu’elle entend combattre la direction confédérale sur le domaine des idées et du projet syndical, l’opposition interne ne met pas en place des sessions de formation strictement orientées vers ce qu’on pourrait qualifier de « bataille idéologique ». Il n’est ainsi pas question, au regard des programmes de formation que nous avons pu retrouver, de présenter un « contre-projet » clef en mains. Plusieurs éléments permettent de saisir une relative déconnexion entre un discours au contenu très offensif, déployé notamment dans le journal Tous ensemble ! ou lors des interventions au cours des congrès, et le contenu des stages. Une dimension politique est pour autant bien présente et passe principalement par l’idée de former des militants capables non seulement de comprendre les principaux enjeux relatifs à la transformation de l’État et du modèle productif, mais aussi d’intervenir sur ces derniers.

18Le contenu des formations est, en effet, largement déterminé par le fait qu’il s’agit avant tout de « tenir » des structures professionnelles ou interprofessionnelles, d’y demeurer majoritaire. En prenant en charge l’ensemble de la formation, les équipes oppositionnelles assument également les stages plus techniques (prise de parole, communication, animation d’une section, exercice du mandat dans un Comité d’entreprise, dans un Comité Technique Paritaire, etc.). S’appuyant sur une forme d’autarcie, elles suppléent finalement à ce qui ne peut être mutualisé, notamment dans les UD ou les URI, lorsque l’exécutif de celles-ci adhère à la ligne confédérale. Un des objectifs assignés aux stages consiste également à consolider des équipes militantes et, par là même, à transmettre une certaine approche de la pratique syndicale. De ce point de vue, les formations dispensées au sein des structures oppositionnelles s’inscrivent, dans leur grande majorité, dans le sillage d’une tradition pédagogique qui les dépasse pour être plus largement partagée dans l’organisation [33]. Nombre des militants qui jouent un rôle moteur au sein de la « gauche CFDT » sont passés par la JOC – c’est notamment le cas de Michel Gigan, mais aussi de Claire Villiers [34]– et se retrouvent dans la démarche du « voir, juger, agir » et dans l’objectif de mettre les militants en capacité de se former par eux-mêmes.

19Ces deux dimensions contribuent à expliquer qu’au sein de fédérations comme la FGTE ou d’un syndicat national comme celui de l’ANPE, les formations partent avant tout du champ professionnel, de situations concrètes vécues par les adhérents.

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On abordait la question du dumping social avec les routiers à partir de leur vécu, de leur expérience de travail. À partir de là, on pouvait en venir aux enjeux de libéralisation du secteur, aux orientations de l’Union européenne… et c’est là qu’apparaissait le décalage avec la conf… : à l’époque, celle-ci parlait dans ses textes de congrès de « mondialisation heureuse » [35].

21La volonté explicite est de ne pas poser comme un préalable à la réflexion le cadre de la confrontation avec la ligne confédérale, mais de démontrer au fil de la formation le caractère inévitable de celle-ci. De ce fait, le contenu idéologique des formations mises en œuvre par les structures oppositionnelles ne se livre pas d’emblée. Il apparaît en filigrane d’une série de choix relativement partagés par les principaux animateurs de Tous ensemble.

22Le premier concerne le refus d’une spécialisation des équipes syndicales [36]. Les activités de formation sont discutées par le bureau du syndicat, de l’UD, de l’URI ou de la fédération et chaque membre de l’équipe se doit d’être en capacité d’intervenir, de prendre en charge « à tour de rôle » une thématique lors d’un stage. Ce refus d’une spécialisation, via la désignation d’un responsable attitré à la formation syndicale, sert à affirmer que celle-ci doit faire partie de la politique mise en œuvre par l’équipe, qu’elle s’intègre dans un ensemble plus large. Mais ce choix éclaire, en retour, le fait qu’il a été difficile pour les militants de la « gauche CFDT » de dépasser le stade de la circulation de certains animateurs dans les stages et de l’échange de programmes. Surchargés par d’autres tâches, ceux qui sont aussi en responsabilité politique et s’efforcent de faire vivre des cadres communs ne parviennent pas à dégager suffisamment de temps pour réfléchir de façon spécifique au domaine de la formation et à le mutualiser davantage.

23La deuxième option qui confère une certaine spécificité aux usages que l’opposition fait du domaine de la formation provient d’une volonté de montée en généralité. En lien avec les activités professionnelles, les thématiques abordées renvoient in fine aux grands domaines où se cristallise la confrontation avec la ligne confédérale. De ce fait, les sujets traités lors des sessions de formation – d’autant plus si celles-ci sont prévues sur plusieurs mois – couvrent une très large palette d’objets d’étude, de l’histoire du syndicalisme à la mondialisation. La conception qu’il faut former des militants « généralistes », susceptibles d’intervenir de façon informée par rapport à toute une série d’enjeux, vient s’articuler ici avec la préoccupation de partir des expériences concrètes. Un cycle mis en place par l’UD des Bouches-du-Rhône en 2001 et consacré aux responsables syndicaux illustre bien cette préoccupation de mettre les militants les plus chevronnés en capacité d’intervenir sur le fond des orientations syndicales [37]. Cinq modules de deux jours chacun, répartis entre avril et novembre 2001, permettent de partir de l’histoire du syndicalisme pour traiter de l’économie, de la mondialisation, du rôle de l’État et finalement des perspectives de changement social.

Cycle formation de responsables – 2001 – UD des Bouches-du-Rhône

Module 1
Le syndicalisme
La CFDT
Module 2
L’économie
La mondialisation
Module 3
Droits sociaux
Relations sociales
Module 4
Relations au politique
Rôle de l’État
Module 5
Les acteurs face au changement social

24L’animation de ces différents modules est confiée soit à des membres de la commission exécutive de l’UD, soit à des chercheurs extérieurs. Un tel dispositif de formation se retrouve dans d’autres structures oppositionnelles, comme la CFDT ANPE, où est également lancé à la fin des années 1990 un cycle pour renouveler les « cadres ». Programmé sur deux ans, celui-ci aborde toute une série de sujets afin de doter avant tout ces militants d’une « grille de lecture » sur leur environnement.

25Le réseau des intervenants sollicités constitue une troisième spécificité de ces stages. Dans les différentes structures oppositionnelles, en lien avec les contacts qu’entretiennent plus particulièrement certains animateurs de Tous ensemble, des habitudes de travail sont prises avec un certain nombre d’universitaires et de chercheurs qui participent, dans le même temps, à la création de réseaux d’intervention intellectuels comme la fondation Copernic ou ATTAC. Un grand nombre d’entre eux s’inscrit du côté d’une économie critique, hétérodoxe [38]. Des chercheurs de l’IRES (Institut de recherches économiques et sociales) sont ainsi régulièrement sollicités, mais également des journalistes de la rédaction d’Alternatives économiques. Parfois anciens (des enseignants-chercheurs liés au LEST [39] sont par exemple mobilisés par l’UD CFDT des Bouches-du-Rhône), ces contacts ont été ravivés par le mouvement social de l’automne 1995 et la « guerre des pétitions » à laquelle il a donné lieu [40]. Ce réseau d’intervenants n’est d’ailleurs pas spécifique à Tous ensemble. La plupart de ces chercheurs sont également sollicités par la FSU ou par les SUD, ce qui renvoie au fait que les structures réunies dans l’opposition CFDT participent, durant la séquence 1995-2003, de cet espace social relativement mouvant où se tissent des liens entre mouvements sociaux et organisations syndicales tournées vers des pratiques contestataires [41].

26L’importance accordée à une formation dans le domaine de l’économie politique – le fait que ce dernier soit considéré comme incontournable – est à comprendre à la fois au regard des trajectoires des principaux animateurs de ces structures oppositionnelles (qui ont souvent milité dans des formations d’extrême gauche au cours des années 1970 et parfois 1980) et des représentations qu’ils se font du syndicalisme. Elle est également à mettre en relation avec le fait que certains de ces militants ont reçu des formations sur le marxisme au sein même de la CFDT [42] durant la première moitié des années 1970.

27

Si je caricature, je dirai que nous, c’était plutôt l’économie politique et que eux, c’était plutôt la négociation collective. D’où les grands reproches du type « vous êtes incapables de former des militants syndicaux qui négocient, vous ne formez que des militants politiques » [43].

28Ainsi, la dimension politique de ces stages réside avant tout dans cette approche transversale des enjeux et, par contraste, dans le refus de segmenter les apprentissages, de trop les spécialiser. Si les formations s’ouvrent généralement sur des rappels historiques, avec une certaine insistance sur la matrice du syndicalisme révolutionnaire, puis sur la période 1964-1978 et les principales options qui ont alors conféré une originalité à la CFDT [44], l’affirmation implicite d’une différence avec le discours confédéral ne s’arrête pas à la valorisation des orientations autogestionnaires. Elle passe surtout par la mise en relation des différents domaines de connaissance, pour permettre aux stagiaires d’acquérir des savoirs aussi bien dans le domaine historique que dans celui de l’économie politique. Pour les animateurs de l’opposition, il s’agit ainsi d’inscrire l’activité syndicale dans une toile de fond plus large, de doter les militants de connaissances les aidant à entretenir un regard réflexif sur ce qu’ils font, mais aussi à partager les objectifs de transformation sociale. Cette dernière exigence est sans doute la plus forte, car c’est elle qui donne du sens à l’ensemble de la démarche de l’opposition et qui lui confère en interne, pour ses propres membres, une certaine cohérence : le fait de contester la ligne confédérale au nom d’un autre projet de société.

29L’histoire des tendances oppositionnelles ou des courants minoritaires au sein du mouvement syndical est le plus souvent étudiée au travers des affrontements de congrès, des processus de scission, d’exclusion ou de sortie. Le fait d’orienter l’analyse sur un domaine d’intervention sans doute plus périphérique, comme celui de la formation syndicale, apporte dès lors des éclairages relativement différents, et complémentaires, de ceux que peut produire une étude portant davantage sur des données institutionnelles.
L’opposition interne dans la CFDT a disposé d’une relative marge de manœuvre pour ses activités de formation, en raison même des positions qu’elle avait réussi à conquérir dans l’organisation. Mais le fait de se désigner et d’être désigné comme un courant oppositionnel ne doit pas faire écran et ne saurait amener les chercheurs à voir de l’homogénéité là où une forte disparité existait de facto. Certaines unions régionales et certaines fédérations ont investi de façon intense l’activité de formation, misant sur celle-ci pour pérenniser leur implantation militante. Elles l’ont fait parallèlement au processus de redéploiement de la formation menée par la direction confédérale, comme si deux projets cohabitaient en parallèle, plus qu’ils n’entraient en confrontation dans ce domaine.
Il serait d’ailleurs intéressant de voir comment le savoir-faire acquis par certains responsables de l’opposition en termes de formation, mais surtout leur approche d’une formation généraliste, irriguée par l’économie politique et susceptible de mettre les militants en capacité de décrypter les changements politiques et sociaux, ont été plus ou moins transférés vers d’autres syndicats après 2003. Seule une étude approfondie des trajectoires militantes pourrait permettre de répondre à ce questionnement. Il conviendrait alors de prendre en compte, là aussi, des situations contrastées donnant lieu à différents usages de la formation. Du côté de structures qui se sont désaffiliées en tant que telles de la CFDT pour intégrer une autre organisation (tel le SNU-ANPE qui a opté pour la FSU), l’investissement du domaine de la formation a pu apparaître comme une pratique continue, nécessaire au renforcement du syndicat. Du côté de militants qui ont rejoint la CGT – une partie notamment des cheminots de la FGTE – sans pour autant retrouver une place au sein des instances de direction de la fédération, la formation a pu offrir un terrain d’investissement moins prisé et par là même plus accessible. Enfin, cette approche de la formation a également fait l’objet de réappropriations multiples au sein des syndicats SUD et, là encore, il conviendrait de voir comment elle a été transformée suivant les contraintes propres à ces organisations.

Notes

  • [*]
    Maître de conférences de science politique à l’Université de Lyon II, chercheur à Triangle (UMR 5206).
  • [1]
    Des controverses existent sur l’évaluation des pertes en nombre d’adhérents engendrées par cette crise interne. Les estimations concernent surtout les départs suite au conflit sur les retraites de 2003, ceux-ci oscillant entre 60 000 et 80 000 adhérents selon les chiffres admis par la direction de la CFDT et 120 000 selon les « opposants ». Cf. P. Masson (coord.), Syndicalistes ! de la CFDT à la CGT, Paris, Syllepse, 2008, p. 14.
  • [2]
    N. Defaud, La CFDT (1968-1995). De l’autogestion au syndicalisme de proposition, Paris, Presses de Sciences Po, 2009, p. 44.
  • [3]
    « Tous ensemble », Discours de Michel Pernet, AG fondatrice de Tous ensemble, 7 juin 1996, document photocopié, p. VI.
  • [4]
    Voir l’article de Cécile Guillaume dans ce numéro du Mouvement Social.
  • [5]
    N. Elias, Qu’est-ce que la sociologie ?, Paris, Pocket, 1991, p. 157.
  • [6]
    Si Paul Vignaux refuse de prendre en charge le secteur de la formation confédérale en 1945-1946, celle-ci est cependant confiée en 1947 à G. Espéret, proche des minoritaires. M. Branciard, Histoire de la CFDT : soixante-dix ans d’action syndicale, Paris, La Découverte, 1990, p. 100.
  • [7]
    « Base sociale et orientation confédérale : quelques réflexions sur la CFDT », entretien avec Noël Daucé et Claude Debons, Critique communiste, n° 162, 2001, p. 81-88.
  • [8]
    Il n’existe pas pour l’instant un fonds spécifique rassemblant des documents liés à l’activité des secteurs critiques dans la CFDT sur la période 1980-2000. Nous nous sommes donc appuyés sur des archives privées et nous remercions notamment Michel Angot et Dominique Guibert de nous avoir facilité l’accès à celles-ci. Nous remercions également Josette Lefèvre de nous avoir transmis l’enregistrement intégral des débats à l’assemblée générale constitutive de Tous ensemble, ainsi que l’ensemble des numéros du journal Tous ensemble.
  • [9]
    Nous avons réalisé entre 2007 et 2010 onze entretiens avec des militants ayant été actifs au sein de Tous ensemble, pour la quasi-totalité d’entre eux anciens responsables de structures territoriales ou de fédérations.
  • [10]
    Il s’agit notamment de stages réalisés par l’URI PACA (Provence-Alpes-Côte d’Azur), par l’UD des Bouches-du-Rhône, par l’UD du Val-de-Marne et par la Fédération Générale des Transports et de l’Équipement (FGTE) auxquels nous avions pu assister entre 1996 et 2002. Ces notes d’observation nous ont permis notamment de retrouver les éléments de programme et les noms des intervenants extérieurs.
  • [11]
    La CFDT s’est fondée en 1964 en reprenant à son compte les principes déjà présents à la CFTC d’un fort fédéralisme dans sa structuration interne. Une première réforme de statuts lors du congrès de 1970 a modifié les modalités de désignation du bureau national, alimentant d’importantes réserves quant au recul du fédéralisme. La dénonciation du renforcement du pouvoir confédéral aux dépens des structures intermédiaires, mouvement accéléré par la centralisation des cotisations, fait partie des critiques récurrentes avancées par l’opposition interne. Cf. N. Defaud, La CFDT (1968-1995)…, op. cit., p. 150-151.
  • [12]
    Nous reprenons ici l’expression d’un de nos interviewés, ancien animateur de Tous ensemble et responsable d’un syndicat au sein de la fédération Interco.
  • [13]
    L’assemblée générale fondatrice se tient à Clermont-Ferrand les 5 et 6 juin 1996 et réunit environ mille délégués.
  • [14]
    Le déclin du nombre des adhérents s’amorce à la CFDT à partir de 1977. Entre 1978 et 1990, la CFDT perd 45 % de ses effectifs. Cette forte désyndicalisation a constitué l’un des motifs principaux qui ont alimenté le discours sur la nécessité du « recentrage ». Cf. A. Bevort, « Du catholicisme social au réformisme : CFTC et CFDT », in D. Andolfatto (dir.) Les syndicats en France, Paris, La Documentation française, 2007, p. 58-59.
  • [15]
    Sur le rôle historique joué par la fédération Hacuitex - parmi d’autres structures - dans la genèse du projet autogestionnaire : F. Georgi, L’invention de la CFDT, 1957-1970, Paris, Éditions de l’Atelier – CNRS Editions, 1995, p. 459-465.
  • [16]
    Entretien avec un ancien membre de Tous ensemble, en responsabilité au sein de l’UD du Val-de-Marne.
  • [17]
    On pourrait ici établir des rapprochements avec les processus de rupture au sein des partis politiques où l’éventualité de cette dernière, qui ne relève pas de l’ordre des possibles dans un premier temps, se construit au fur et à mesure des affrontements dans les congrès, en lien avec les événements extérieurs : B. Verrier « Chronique d’une rupture. De Socialisme et République au Mouvement des citoyens », Politix, vol. 12, n° 45, 1999, p. 87-113.
  • [18]
    À la suite de Pierre-Eric Tixier, Jean-Marie Pernot reprend l’idée d’un « second recentrage », soit d’une accélération et d’un approfondissement de la politique de recentrage, avec l’abandon de l’ensemble des piliers qui identifiaient la CFDT depuis 1964, à partir de 1985. J.-M. Pernot, Syndicats : lendemains de crise ?, Paris, Gallimard, 2005 p. 203-204.
  • [19]
    P. Cours-Salies, « La gauche CFDT », in A. Coupé et A. Marchand (coord.), Sud, syndicalement incorrect. Sud-PTT, une aventure collective, Paris, Syllepse, 1998, p. 43-44.
  • [20]
    À cette date, les principales composantes de cette opposition interne sont des fédérations (Banque, FGTE, Finances), des Unions régionales interprofessionnelles (Auvergne, Basse-Normandie, PACA), des Unions départementales (Bouches-du-Rhône), des syndicats nationaux (ANPE) et des syndicats constituant parfois une minorité importante au sein de leur fédération (c’est le cas de la fédération Interco, de celle des services avec le Sycopa). Des syndicats en situation minoritaire dans leur fédération en sont également membres (au sein du SGEN, mais aussi de la FGMM).
  • [21]
    Sur la genèse de cette revue : E. Bufquin, Étude d’une stratégie de réponse à la crise du syndicalisme : « Collectif », une revue de débat intersyndical et d’opposition, mémoire de fin d’étude, IEP de Paris, sous la dir. de R. Mouriaux, 1992.
  • [22]
    Entretien avec un ancien membre de Tous ensemble, secrétaire de syndicat, fédération Interco.
  • [23]
    Entretien avec un ancien membre de Tous ensemble, en responsabilité au sein de la CFDT ANPE.
  • [24]
    Tous ensemble réclame la création au sein de la CFDT d’un secteur confédéral des chômeurs.
  • [25]
    Cette proposition serait allée de pair avec celle de favoriser la création d’un cabinet d’expertise et de conseil auprès des CE proche de la sensibilité de l’opposition. Entretien avec un ancien membre de Tous ensemble, en responsabilité au sein de la CFDT ANPE. Il est à noter que ces débats ne sont pas relayés dans le journal Tous ensemble !
  • [26]
    Entretien avec un ancien membre de Tous ensemble, en responsabilité au sein de la FGTE.
  • [27]
    Entretien avec un ancien membre de Tous ensemble, secrétaire de syndicat, fédération Interco.
  • [28]
    Entretien avec un ancien membre de Tous ensemble, en responsabilité au sein de l’UD du Val-de-Marne.
  • [29]
    « Pendant très longtemps, on a pu faire ce qu’on a voulu, je peux même le dater. On a pu faire ce qu’on a voulu, en gros, on nous disait ‘ceux-là, ils sont perdus, on va pas les emmerder pour ça’ ». Entretien avec un ancien membre de Tous ensemble, en responsabilité au sein de la CFDT ANPE.
  • [30]
    DGB : Deutscher GewerkschaftsBund.
  • [31]
    Entretien avec un ancien membre de Tous ensemble, en responsabilité au sein de la FGTE.
  • [32]
    Entretien avec un ancien membre de Tous ensemble, secrétaire de syndicat, fédération Interco.
  • [33]
    M. Chauvière et B. Duriez, « Aux racines de l’éducation ouvrière, la place et le rôle de la mouvance JOC », communication au colloque Syndicalisme et formations, Université de Picardie, 16-18 janvier 2008.
  • [34]
    Entretien avec Claire Villiers, Les Temps nouveaux, n° 1, avril 2010, p. 109.
  • [35]
    Entretien avec un ancien membre de Tous ensemble, en responsabilité au sein de la FGTE.
  • [36]
    Cette volonté de ne pas autonomiser les structures de formation, mais de les calquer sur les structures militantes n’est pas nouvelle. Elle était très présente dans la CFDT des années 1968 : M.-N. Thibault, « La CFDT et son histoire », Le Mouvement Social, n° 100, juillet-septembre 1977, p. 96.
  • [37]
    Le cycle été coordonné par Gilles Marcel, membre du bureau de l’UD. Archives privées.
  • [38]
    F. Lebaron, « A contre-courant. Le renouveau de l’économie critique en France depuis 1995 », in B. Geay et L. Willemez (dir.), Pour une gauche de gauche, Bellecombe-en-Bauges, Éditions du Croquant, 2008, p. 177-194.
  • [39]
    Il s’agit du Laboratoire d’Économie et de Sociologie du Travail situé à Aix-en-Provence.
  • [40]
    J. Duvalet alii, Le ‘décembre’ des intellectuels français, Paris, Raisons d’agir, 1998.
  • [41]
    L. Mathieu, « L’espace des mouvements sociaux », Politix, n° 77, 2007, p. 131-151 ; S. Béroud, « La décennie des ‘victoires défaites’ (1995-2007) ou les effets du découplage entre mobilisations sociales et dynamiques syndicales », in B. Geay et L. Willemez (dir.), Pour une gauche de gauche, op. cit., p. 19-34.
  • [42]
    Nous tenons à remercier Jacques Capdevielle pour les nombreuses discussions que nous avons eues à ce sujet et le témoignage lié à sa propre expérience de formateur qu’il a pu nous apporter.
  • [43]
    Entretien avec un ancien membre de Tous ensemble, en responsabilité au sein de l’UD du Val-de-Marne.
  • [44]
    Ce rapport à l’histoire du mouvement ouvrier et cette recherche de filiation pour renforcer la légitimité de la posture oppositionnelle rappellent très fortement ce que le groupe Reconstruction avait mis en œuvre. Cf. M.-N. Thibault, « La CFDT et son histoire », art. cit., p. 93-98.
Français

Résumé

De la fin des années 1970 à 2003, une opposition interne s’est exprimée au sein de la CFDT, d’abord sous la forme d’un réseau peu structuré puis de façon officielle, avec la constitution en 1996 de l’association Tous ensemble et du journal du même nom. Rassemblant des secteurs critiques face à la ligne confédérale, cette opposition s’est avant tout positionnée sur un plan programmatique, menant une bataille d’idées pour dire l’héritage de la CFDT, son histoire et la légitimité des orientations choisies. Dans ce contexte, la formation syndicale a représenté un domaine important pour cette opposition interne, mais sans qu’elle le considère pour autant comme une priorité stratégique. De fait, tout en ayant conscience des usages politiques que la confédération pouvait faire de la refonte du système de formation, les principales structures oppositionnelles ont abordé ce domaine de façon assez différenciée, en s’y investissant avec des moyens hétérogènes et en bénéficiant d’une autonomie plus ou moins forte. Par-delà cette inégalité de ressources et de situations, se dégage cependant une conception commune de la formation et de ses apports : doter les militants d’une grille de lecture globale sur les enjeux socio-économiques et avoir une approche « politique » du syndicalisme.

Sophie Béroud [*]
  • [*]
    Maître de conférences de science politique à l’Université de Lyon II, chercheur à Triangle (UMR 5206).
Mis en ligne sur Cairn.info le 27/05/2011
https://doi.org/10.3917/lms.235.0137
Pour citer cet article
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