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Au moment de sa disparition, François Furet préparait un livre sur Napoléon. J’ignore tout de l’état d’avancement du projet, sauf qu’il avait déjà beaucoup lu, qu’il était allé à Ajaccio où l’aventure avait commencé et à l’île d’Aix où elle avait fini. C’est peu, mais en savoir davantage ne changerait rien : nous ne saurons jamais, malheureusement, ce qu’aurait été le Napoléon de François Furet.
Il est même impossible de préjuger du résultat d’après les textes qu’il avait consacrés à Bonaparte à l’époque du Bicentenaire, dix ans plus tôt : un portrait et une étude sur le 18 Brumaire dans le Dictionnaire critique de la Révolution française, un long chapitre de sa Révolution de Turgot à Jules Ferry. Il faut pourtant s’en contenter, non pour imaginer le point d’arrivée, mais seulement pour évoquer le point de départ.
Sa thèse, il la formule dès l’introduction du « Bonaparte » du Dictionnaire critique : la Révolution française, je cite, « a eu, l’espace de quelques années, son Washington en Bonaparte. Dix ans après, c’était un roi […]. Dès qu’il devient héréditaire, son pouvoir renonce à son principe, et il inaugure un autre cours que celui de la Révolution, où le hasard de la guerre a repris tous ses droits : en voulant ?xer son règne dans la loi des royautés, l’empereur lui enlève ce qui en a fait à la fois le charme et la nécessité ».
C’est la thèse libérale qui, depuis Benjamin Constant et Chateaubriand, oppose Bonaparte Premier consul à Napoléon empereur, le temps de la nécessité à celui de l’aventure, la construction de l’État aux guerres de conquêtes… Je n’accuse pas Furet de manque d’originalité, car l’histoire napoléonienne est un champ de bataille si labouré et traversé par des armées si nombreuses qu’on y est toujours le descendant de quelqu’un…
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Patrice Gueniffey est directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales. Il est notamment l’auteur de Le Nombre et la raison. La Révolution française et les élections (Paris, Éd. de l’EHESS, 1993) et de La Politique de la Terreur. Essai sur la violence révolutionnaire, 1789-1794 (Paris, Fayard, 2000 ; rééd. Gallimard, « Tel », 2003). Il vient de publier Le Dix-Huit Brumaire. L’épilogue de la Révolution française (Paris, Gallimard, 2008).
- Mis en ligne sur Cairn.info le 01/11/2010
- https://doi.org/10.3917/deba.150.0162
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