CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1La bête doit être désossée entièrement. C’est un travail assez minutieux qu’il faut conduire à jeun, sur une table de marbre et avec un couteau affûté tel un rasoir. Le plus difficile, c’est le passage très fin autour de la colonne vertébrale. On garde bien sûr précieusement les os, qui vont nous servir dans un moment. Une fois le cabri désossé, on prépare un bouillon avec les os auxquels on ajoute quelques légumes trouvés selon l’inspiration dans le garde-manger – oignon blanc piqué de girofle, carotte, céleri, une poignée de poivre Sichuan, un éclat de racine fraîche de gingembre, quelques feuilles de sauge fraîche...

2Pour une raison que j’ignore, le boucher, un ami pourtant, a négligé de me réserver la tête et la queue (malgré le fait, je tiens à le préciser, que la bête a été toréée dans les règles de l’art, et la dernière faena, notamment, saluée par un vol de chapeau dans l’arène). L’une et l’autre manquent dans le bouillon.

3Les os doivent être préalablement revenus à la poêle dans un peu d’huile. On lance le bouillon, qui mijote le plus longtemps possible.

4Pendant ce temps, on s’occupe de la farce. J’ai haché ensemble une tête d’ail nouveau, quatre ou cinq oignons blancs, le vert d’un paquet de blettes, un bouquet de menthe, les abats, cent vingt-cinq grammes de pignons et autant de raisins secs de Smyrne – plus sucrés et muscatés que ceux de Corinthe. Je fais revenir le hachis à la poêle quelques minutes, j’ajoute une bonne dose de cumin en poudre, du poivre et du sel. C’est le mélange cumin, menthe et raisins qui donne le côté “pastilla” de la chose.

5La bête est farcie horizontalement, puis roulée autour de la farce – exactement comme on le fait avec la pancetta qu’on prépare en Corse – et ficelée. L’avantage du roulé tient au fait que, une fois cuit, on peut tirer des tranches qui alternent un rang de farce verte et un rang de viande rosée : c’est beau comme un Alechinsky !

6On passe ensuite le tout au four pour deux bonnes heures. Entre-temps, on a filtré le bouillon, qui servira à arroser la bête tout au long de la cuisson. Plus on arrose, plus ça dore ; plus ça dore et meilleur c’est.

7Nous avons trouvé au marché d’Aubagne des petites asperges vertes, presque sauvages, des artichauts très jeunes, des fèves et des oignons. Les asperges ont été cuites à la vapeur, quelques fleurs d’anis étoilé dans le bouillon sont les bienvenues. Les fèves ont été cuites façon tajine : on dispose les fèves pelées, un oignon, du cumin, un citron coupé en morceaux avec sa peau dans une casserole, un court fond d’eau, et on laisse cuire à feu très doux, couvercle fermé, sans remuer, une demi-heure. Les artichauts sont coupés en quatre dans la longueur, en laissant juste un point d’attache sur le pied pour qu’ils restent entiers. Ils sont cuits ensuite façon barigoule, avec un oignon, un fond de vin blanc, un jus de citron et du petit salé, en l’occurrence de la vuletta corse. On fait enfin confire des oignons selon la recette de Chapel : des petits oignons blancs que l’on met à mijoter entiers dans un bon fond de beurre et deux grosses cuillers de sucre en poudre, une pointe de miel, un fond d’eau. Ça mijote le temps que les oignons aient absorbé tout le beurre et le sucre.

8Lorsque la bête est cuite, on découpe des tranches assez épaisses pour que la farce ne se désagrège pas ; assez minces pour qu’elles ne découragent pas le convive. On dispose ensuite dans l’assiette un artichaut resté entier, ouvert comme une fleur, un bouquet d’asperges liées par un brin de ciboulette, une cuiller de fèves, un tour de la sauce recueillie au fond du plat de cuisson du cabri.

Michel Peraldi
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Mis en ligne sur Cairn.info le 01/05/2009
https://doi.org/10.3917/lpm.013.0080
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