CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 Lorsqu’une caissière de supermarché flashe le code-barres d’un article, un logiciel enregistre la sortie du produit et le commande automatiquement à l’entrepôt où sont stockées les marchandises, lequel enclenche la préparation ainsi que la livraison du produit en question. Cette procédure d’échange de données informatisées (EDI) donne le sentiment trompeur d’un flux continu s’écoulant avec légèreté. Mais ce flux d’informations a aussi son pendant matériel, le flux physique, qui nécessite quant à lui une activité de manutention exercée par des ouvriers. Ce sont des préparateurs de commande [2] qui soulèvent manuellement les colis et qui les déposent les uns après les autres sur des palettes en bois qui, chargés dans des camions, seront livrées aux magasins clients. Ils appartiennent à un secteur, la logistique, dont les « usines à colis » matérialisent le prolongement industriel des économies occidentales, moins tournées vers la production mais contraintes en retour de gérer l’approvisionnement continu des grands bassins de consommations (Benvegnù & Gaborieau, 2017).

2 Pour que l’intensification et la traçabilité des flux dématérialisés se répercutent concrètement sur les flux physiques, de nouveaux outils instaurent un lien direct entre le travail humain et les automatismes du logiciel. Depuis le milieu des années 2000, dans plus de 70 % des entrepôts de la grande distribution alimentaire [3], les ouvriers préparateurs de commande travaillent avec un casque sur les oreilles et un micro devant la bouche. C’est une voix numérique, une voix de synthèse, qui leur transmet une à une les informations sur le type de colis à prélever. Ils valident chacun de leurs gestes en prononçant des mots clés à voix haute, à destination d’un logiciel de reconnaissance vocale. Présenté comme un gage de qualité et de traçabilité logistique, la commande vocale mesure également les colis prélevés par individu et par heure de travail, ce qui donne lieu à l’obtention de primes de productivité [4]. L’outil instaure un niveau élevé de formalisation et de contrôle du travail, il individualise les tâches et réduit le champ d’une activité qui tend à se limiter à des prises de colis rapides, sous guidage vocale. Pour désigner cette forme de travail à laquelle ils sont quotidiennement exposés, les préparateurs de commande disent ironiquement « avoir le nez dans le micro » (Gaborieau, 2012). Pour illustrer l’imaginaire auquel renvoie cette machine ainsi que les craintes qu’elle soulève, ces ouvriers convoquent également une figure moderne de l’automatisation, celle du « robot », qui semble pouvoir les désigner eux-mêmes.

3 Si le qualificatif de « robot » est aussi présent dans les discours de ceux qui travaillent en entrepôt, c’est bien parce que l’outil instaure un rapport homme/machine d’un type particulier. En plus de réduire l’autonomie des exécutants, le passage du support papier à l’interface informatique génère des nuisances relationnelles. Lorsqu’un préparateur de commande salue un collègue sans prendre le temps de retirer casque et micro, la voix synthétique lui adresse un formule toute robotique : « Répétez, ce mot n’est pas compris ». Pour autant, le concept de « robotisation » n’est pas satisfaisant comme outil d’analyse. Lorsqu’il est attribué au travail dans son ensemble, il contredit immédiatement ce qui est observable en entrepôt : des ouvriers dont l’activité principale s’exerce à la force des bras. Quant à une seconde acception, consistant à faire l’hypothèse d’une robotisation de l’ouvrier lui-même, elle se confronte directement à tout ce que le travail soulève de proprement humain, à toutes les subjectivités qu’il recèle, à toutes les interactions sur lesquelles il repose. Mais se priver d’analyser ce qui est exprimé sous ce vocable reviendrait à mettre de côté un enjeu d’analyse important du travail contemporain, lequel consiste à comprendre en quoi le robot peut agir en tant que stigmate auprès d’ouvriers confrontés au « taylorisme assisté par ordinateur » (Valeyre, 2001 : 136), comprendre les formes de résistance qui peuvent être déployées pour y faire face et leur portée politique.

4 Au-delà des répercussions concrètes de cet outil, mais à proximité de celles-ci, sa dimension symbolique mérite donc une attention particulière. Si le fait de dialoguer avec une machine, de répondre à ses ordres et de les valider à voix haute produit presque inévitablement un sentiment de gêne pour un observateur extérieur, c’est aussi le cas pour la plupart des ouvriers qui ont fait l’objet de cette recherche. En articulant des entretiens à des observations participantes longues [5], l’enquête a permis d’identifier en quoi le maintien dans cette activité nécessite effectivement une prise en charge symbolique, d’abord dans les discours, puis dans les pratiques, de cet outil étrange qui relie l’humain à la machine, l’ouvrier au progiciel de gestion. Comprendre les enjeux que soulève cette prise en charge est une autre façon de sonder les rapports homme/machine, un objet d’analyse dont les spécificités tendent à restreindre les débats à des enjeux techniques, historiques ou philosophiques. En retour, l’analyse des pratiques ouvrières de la technologie au travail encourage à questionner les discours savants produits à ce sujet et la portée politique des critiques formulées.

Faire avec le stigmate du robot

5 Du point de vue des représentations, « faire avec » consiste à construire un cadre de perception de l’activité et de soi au travail qui puisse entrer en cohérence à la fois avec des dispositions préalablement établies et avec un espace de représentation plus largement partagé au sein des groupes sociaux d’appartenance et de ceux que l’on côtoie. Dans ce cadre d’analyse, l’étiquette du « robot » permet d’identifier une partie de ce qui relève de la définition de soi dans un cadre organisationnel donné, en fonction d’une trajectoire antérieure et des aspirations futures et à destination d’un auditoire plus ou moins profane.

Être ou ne pas être un robot

6 Au fur et à mesure des entretiens conduits, la figure du « robot » est apparue comme une étape presque obligée de la discussion. Elle surgissait parfois dès les débuts de l’entretien, sans que le thème du rapport à la technologie n’ait été directement abordé par l’enquêteur. Le plus souvent, elle apparaissait en réponse à des questions portant sur les perceptions de la commande vocale. Arthur, préparateur de commandes « étudiant », interrogé alors qu’il était sorti de l’entrepôt, fait partie de ceux chez qui le vocabulaire employé exprime le rejet le plus violent. Il alterne, tout au long de l’entretien, l’usage de métaphores désignant l’aliénation mentale.

7

Enquêteur – C’était la première fois que tu voyais la vocale ?
– Ouais.
Enquêteur – Et tu en as pensé quoi ?
– J’ai failli me barrer, tout de suite ! Je trouvais ça trop glauque. Franchement ça fout les jetons. Il m’avait dit à l’intérim, vite fait, mais quand tu le vois c’est autre chose. La voix et tout, qui te fait des « répétez, ce mot n’est pas compris »… [rire]. Surtout au début, quand tu gères mal le truc, ça le fait tout le temps, tu deviens fou […] Mais c’est pour ça que tu te remets à fumer aussi. Franchement, quitte à être lobotomisé autant être stone. Il y en a qui écoutaient de la musique aussi. Je sais pas comment ils faisaient, avec tout le bruit et la vocale en plus. T’as l’impression qu’ils n’écoutent même plus la vocale, que c’est automatique, c’est des robots. – Arthur, 29 ans, préparateur

8 La volonté de départ immédiat à laquelle il fait allusion n’est pas illusoire, elle constitue une réalité bien connue des ouvriers comme des cadres. Il est effectivement fréquent que des intérimaires quittent l’entrepôt quelques heures à peine après y être entrés, renvoyant ainsi au groupe ouvrier la dure réalité des jugements extérieurs sur la forme de l’activité. « Je peux comprendre, c’est spécial », semble approuver Gilles, ouvrier en entrepôt depuis quinze ans, avant d’insister sur le fait qu’« on s’habitue vite ». Arthur estime quant à lui ne s’être jamais réellement accoutumé à l’outil et insiste plutôt sur les palliatifs qui lui ont permis de tenir son poste pendant près de deux ans, comme le cannabis dont il explique avoir retrouvé la consommation au bout de quelques semaines en entrepôt.

9 Si le dialogue très répétitif avec la machine conduit effectivement les ouvriers à répondre à des signaux vocaux plus qu’à des mots prononcés, Arthur emploie tout de même la troisième personne pour évoquer les robots, s’appuyant sur l’exemple particulier des préparateurs écoutant de la musique « en plus ». Cette extériorité est une condition favorable, mais non nécessaire, à l’emploi de l’étiquette. Dans le même registre, Mounir, ancien préparateur devenu cariste, déclare en salle de pause que « La prep’, c’est la merde, franchement, vous en mangez avec ça [en montrant le casque] ». Il revendique ce refus tout en précisant auprès des préparateurs qui l’entourent qu’il a « connu ça » et qu’il est toujours prêt à venir leur « donner un coup de main ».

10 Ce sont donc ceux qui sont sortis de l’activité de préparation, ou bien de l’entrepôt, qui peuvent manier avec le plus de facilité l’étiquette du robot. Les étudiants tels qu’Arthur sont ceux qui le font avec le plus de violence symbolique, du fait d’une extériorité plus marquée. Leur trajectoire antérieure ne les a pas confrontés durablement au monde ouvrier et à la dureté des méthodes de travail qui le caractérise, tandis que la trajectoire qu’ils anticipent pour eux-mêmes comprend une sortie rapide de ce monde. Les caristes ou les agents de quai, qui sont sortis de la préparation mais pas de l’entrepôt, ne peuvent affirmer un tel degré d’extériorité au travail sous commande vocale sans se confronter à la proximité de leur poste avec celui des préparateurs, ni à la possibilité toujours présente qu’ils y reviennent.

11 Les parcours professionnels antérieurs peuvent parfois conduire à exclure explicitement la figure du préparateur de commande « robotisé ». C’est plus particulièrement le cas pour certains « anciens », qui ont connu des expériences ouvrières jugées a posteriori plus contraignantes. Christine par exemple, ancienne préparatrice devenue réceptionnaire, fait appel à la figure du robot pour désigner une expérience de travail antérieure dans l’industrie agroalimentaire d’abattage et de découpe de volaille : « Là, c’est la chaîne, t’es robotisé, hein ». Elle mobilise le stigmate pour distancier son lieu de travail d’un monde usinier caractérisé par le travail posté sur chaîne. Les ouvriers ayant expérimenté des univers de travail les exposant aux risques chimiques ‒ comme la métallurgie, la pétrochimie ou le bitumage des autoroutes ‒ sont également plus enclins à définir l’entrepôt comme un lieu « pas pire qu’ailleurs » bien qu’ils évoquent moins directement la figure du robot que le spectre du cancer. Ces formes de perception rappellent qu’il n’est pas satisfaisant « de considérer l’organisation du travail et son déroulement concret comme un simple système de pressions, de contraintes, de sanctions et de gratifications appliquées à des êtres génériques, abstraits et interchangeables » (Pinto, Cartron & Burnod, 2000 : 147).

12 On retrouve cependant la figure du robot chez des préparateurs en poste qui qualifient ainsi leur propre travail, non sans une certaine dose d’ironie. Le ton humoristique s’accompagne souvent de métaphores consistant à représenter ou mimer l’automatisme sous diverses formes.

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On n’entend plus rien en fait, on n’y réfléchit même plus. On pense à rien en fait ! Ça passe directement au cerveau. C’est trop un truc de zombie en fait [en mimant le balancement] ! – Jérémie, 23 ans, préparateur

14 Le zombie, de même que le robot, évoque avec dérision les affres de l’aliénation au travail. Dans une interaction entre deux racks de stockage, un préparateur moquait le rythme effréné de son collègue en incarnant un personnage d’exorciste : « Esprit, sors de ce corps, fait revenir Alvin parmi nous ! ». De ces prises de parole au travail et hors travail ressort bien l’idée que le cadre contraignant de l’activité réduit les facultés d’expression de soi et conduit par là même à agir comme un autre que soi au travail. Mais ces modes de représentation se construisent en confrontation à d’autres possibles qui peuvent conduire à relativiser les effets « robotisant » de la commande vocale ou bien à relativiser la « robotisation » au regard d’autres contraintes.

Se présenter et être représenté comme un « robot »

15 Cette figure du robot n’est pas propre à l’entrepôt, ni à une époque récente. Danièle Linhart cite à ce propos le témoignage de Robert Lacey, ouvrier du groupe automobile Ford qui désignait l’usine comme « une sorte d’enfer où les hommes étaient devenus des robots » (Lacey, 1987 : 60, cité dans D. Linhart, 2015 : 81). Dans une période plus récente, on pense évidemment aux récits de Simone Weil (1951 : 51), de Marcel Durand (2006 : 48) ou de Robert Linhart (1978 : 41) qui contiennent de nombreuses allusions à la figure de l’ouvrier robotisé dont ils se portent témoins. En décrivant ce qui lui apparaît comme une « femme-machine », Robert Linhart se pose la question suivante : « Mais comment fait-elle ? ». Jean-Pierre Durand renvoie sur ce sujet au témoignage de Louis Géhin et Jean-Claude Poitou, deux anciens ouvriers de Renault-Sandouville, dont le vécu face à la « robotisation des postes » donne lieu à la rédaction d’une lettre ironique des robots, adressée aux ouvriers (Géhin & Poitou, 1984 : 228-239 ; cité dans Durand, 2004 : 423).

16 Une des difficultés à analyser ce point réside dans le fait que les discours ouvriers sur la robotisation portent une charge critique qui rejoint sur de nombreux points une démarche sociologique très ancrée dans la tradition française. Le robot est un support qui exprime à la fois l’émiettement des tâches, la répétition et le contrôle. Pour autant, la robotisation n’est pas un concept opérationnel si l’on considère la façon dont il rabaisse l’ouvrier à une dépersonnalisation totale dont on sait qu’elle n’est ni possible, ni fonctionnelle. En posant la question des effets du progrès technique sur l’identification à un métier, Yves Clot en vient à la conclusion suivante : « La fusion imaginaire de l’homme et de la machine débouche paradoxalement sur l’impossible identification du sujet aux actes qu’on lui prescrit » (Clot, 2008 : 314). C’est bien de cette impossible identification qu’émerge le maniement presque systématique de l’humour comme mode de distanciation.

17 Si le fait de se présenter comme un robot coïncide avec la production d’un stigmate pesant sur l’activité, il importe de comprendre en quoi il en ressort une identité forcément duale sans pour autant être contradictoire. Ce constat rejoint un axiome élémentaire de la sociologie interactionniste selon lequel coexistent une identité pour soi et une identité pour autrui, lesquelles ne se rejoignent pas nécessairement [6]. L’entretien mené avec Willy, préparateur de commande en CDI, est particulièrement révélateur sur ce point. Ce dernier utilise l’étiquette de robot à deux reprises, d’abord en se l’attribuant puis en la rejetant. En présence de sa conjointe, étudiante en master de droit, il surjoue la figure du préparateur robotisé :

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Ça te rend un peu abruti hein [rire]. Ouais, ne confirme pas, toi [souriant à Laurie qui hoche la tête] ! Non mais ça te rend un peu fou, quoi. Tu parles à une machine à longueur de journée, hein. C’est fou quoi, ça fait robot. Et quand elle comprend pas ce que tu lui dis… « Ok, ok… répétez, répétez… » [en inclinant la tête de droite à gauche]. – Willy, 27 ans, préparateur

19 Laurie n’est pas présente lorsque je reviens longuement avec Willy sur des détails de l’activité quotidienne et alors que celui-ci utilise à nouveau la métaphore robotique : « Moi, je m’arrête de temps en temps, je discute. On n’est pas des robots, hein ». Autant que la présence d’un tiers, c’est probablement le fait de discuter d’éléments concrets du travail quotidien qui amène ici à repousser l’étiquette. Mais la superposition de ces deux moments de l’entretien permet de souligner à quel point l’étiquetage est un processus qui ne peut être cantonné à la sphère individuelle, ni même à celle du groupe ouvrier, mais qui doit être compris dans l’interaction à autrui et au monde extérieur.

20 Si la présence de Laurie a ici permis d’illustrer de façon rapide la présence d’un autrui caractérisé, c’est aussi la présence de l’enquêteur qui doit être prise en compte. Puisque j’étais un collègue de Willy au quotidien, ce dernier ne s’adresse pas à un profane. Il demeure que la situation d’entretien le positionne face à un individu porteur d’un ethos universitaire, engagé dans une démarche critique à l’égard des procédures tayloriennes et dont la présence dans le monde ouvrier est évaluée comme temporaire. Sa réponse à la question « Tu en as pensé quoi ? » peut donc être comprise comme un schème narratif destiné à rencontrer l’adhésion de l’enquêteur. Pour prolonger cette idée selon laquelle les enquêtés sont encouragés « par un jeu de miroirs, à restituer à l’enquêteur l’image que lui-même ou ses prédécesseurs leur ont donnée d’eux-mêmes » (Mauger, 1991 : 139), il faudrait également poser la question des discours médiatiques susceptibles d’imprégner les récits. Le sujet soulève plus largement le rapport qu’entretient le monde social à l’égard du monde ouvrier, à l’égard des technologies et à l’égard de ces deux thèmes ensemble, mais on peut se restreindre à relever les productions qui concernent directement la préparation vocale.

21 Un des premiers articles de presse dévoilant le procédé vocal est paru dans le journal l’Humanité en avril 2009 et s’intitule : « Entre nous, on s’appelle les “petits robots” » [7]. Le titre confond manifestement le discours tourné vers l’extérieur et l’entre-soi ouvrier. En 2011, le journal en ligne Rue89 publie un article titré « “Voice picking” : dans le casque, mon chef, cette machine » (Malcorps, 2011). Rédigé sur le ton de la dérision, le texte débute par une reproduction caricaturale du dialogue avec la machine : « “Bienvenue Robert. Vous avez deux commandes.” ». Bien que les témoignages ouvriers insistent sur la fatigue ressentie, ils sont précédés de l’hypothèse suivante : « L’homme-robot dirigé par la machine ? On n’en est peut-être pas loin ». Les deux seules apparitions télévisuelles qui ont été recensées vont également dans ce sens. Dans un documentaire intitulé « Un monde sans humains ? » et consacré aux théories transhumanistes, on voit très rapidement un ouvrier ironiser : « On n’est plus tout seuls, on a quelqu’un qui nous parle » [8]. Dans un documentaire de la série Cash Investigation tourné en caméra caché, un préparateur de commande répond positivement au journaliste qui prononce lui-même : « J’ai un peu l’impression d’être un robot ? » [9]. Le monde académique n’est pas à l’abri de ces caricatures puisqu’un des rares articles scientifiques parus à ce sujet dans une revue française s’intitule « Les hommes robots des entrepôts » (Lagrange, 2015).

22 S’il est probable que les préparateurs de commandes interrogés aient été peu nombreux à accéder à ce type de production, le traitement du travail sous commande vocale alimente néanmoins la fiction inquiétante d’une aliénation poussée à l’extrême, d’une dépersonnalisation totale de l’ouvrier réduit à l’état de machine. Des procédés très proches de cet outil sont par ailleurs employés dans des films d’anticipation envisageant un avenir robotisé [10]. On peut donc tout à fait comprendre que face à ce type de situation, les préparateurs de commandes préfèrent anticiper l’étiquetage [11]. Ils désamorcent le stigmate en le formulant eux-mêmes, en anticipant sa formulation par autrui, en endossant sa charge symbolique plutôt que d’avoir à la subir passivement.

La contagion robotique

23 Autre dimension de la « robotisation », la crainte d’une contagion par la machine est apparue régulièrement dans les équipes côtoyées. Elle repose notamment sur le risque de perturbation de la locution sous l’effet de la répétition des mots clés et émane de préparateurs qui expliquent avoir confondu des mots du langage quotidien avec les mots clés prononcés dans le micro. Dans chacun des trois entrepôts retenus, au moins une scène observée en salle de pause avait trait à ce sujet.

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Christian, préparateur intérimaire de 36 ans, raconte une anecdote survenue la veille à son domicile. Alors qu’il regarde la télévision, sa femme lui demande s’il compte aller courir dans la soirée. N’étant pas attentif sur le moment, il lui répond le mot clé « répétez ». « Elle s’est bien foutue de ma gueule ! », ajoute-t-il en mimant l’abrutissement, ce qui fait rire l’assistance.

25 Ces anecdotes sont systématiquement ponctuées d’humour, de rires, raillées par certains et soutenues par d’autres. En entretien, Julien m’explique qu’il est « certain de dire plus souvent “ok” qu’avant », ce qu’approuve également Romain avec qui il fait équipe. À l’inverse, Anthony juge qu’il y a « beaucoup d’exagération là-dessus » et affirme n’avoir jamais ressenti une telle impression, de même selon Christine, approuvée par Gilles, son collègue et mari : « J’y crois pas trop, c’est un peu des trucs de fanfarons ». Les avis diffèrent également lorsqu’est abordée une autre forme de la contagion qui relève cette fois de la perturbation du sommeil. Ce cas m’a été rapporté dès les premières expériences en entrepôt ‒ « Il y a des gens qui en rêvent la nuit » ‒ mais seules deux personnes me l’ont signalé comme un vécu personnel. Jérémie, préparateur intérimaire, le relie aux troubles du sommeil dont il est l’objet depuis ses deux années passées à l’armée : « Maintenant ça va mieux, mais j’entends des “répétez” avant de m’endormir ». Romain évoque de façon plus ironique, lors d’une soirée passée entre collègues, ses « rêves sous commande vocale ». En réponse, un de ses collègues estime que « ce n’est pas étonnant vu le taf », mais ironise lui aussi en se demandant si ce n’est pas plutôt lié à leur consommation de cannabis.

26 En suivant à nouveau la démarche engagée, on peut considérer que ces points sont intéressants du fait des questions qu’ils soulèvent plus que des réponses trop rapides qu’ils pourraient suggérer. Et toujours en s’appuyant sur les conseils de Gérard Mauger, on peut affirmer qu’il « ne s’agit pas tant […] de décider si l’impression que l’enquêté cherche à donner est vraie ou fausse, sincère ou simulée, réelle ou factice, que d’enregistrer l’impression que l’enquêté cherche à transmettre à l’enquêteur » (Mauger, 1991 : 139). Comme le stigmate du robot, c’est bien le rapport à l’emploi occupé qui caractérise l’usage ou le rejet des discours sur la contagion vocale. Ceux qui peuvent se permettre de le diffuser sont principalement ceux qui sont perçus et se perçoivent comme n’étant que de passage (les étudiants). Ceux qui sont en cours d’ancrage dans une position ouvrière qu’ils repoussent pourtant (les intérimaires) endossent le stigmate à la fois pour exprimer une critique du travail, pour s’en distancier par l’humour et pour se prémunir des attaques externes. Ceux dont l’ancrage est établi et qui sont pour la plupart parvenus à s’éloigner de la préparation (les anciens) évacuent davantage la question en l’associant à une boutade d’entrepôt. Pour ces derniers, il serait extrêmement pénible de concevoir l’activité quotidienne comme étant en capacité de nuire au langage.

27 Les répercussions d’un usage standardisé de la voix sur celles et ceux qui y sont confrontés ne sont pas propres au travail en entrepôt. Elles sont fréquemment remarquées chez les téléphonistes, poste où l’emploi du casque et du micro a préfiguré les outils de type commande vocale. Dans ses travaux précurseurs, Louis Le Guillant identifiait cette déformation du langage ‒ « Les jeunes téléphonistes disent machinalement “allô” pour “bonjour” ou “une unité” en demandant un ticket de métro » (Le Guillant, 2006 : 115 ; Cassou dir., 1985 : 93) ‒ comme l’un des symptômes de la « névrose des téléphonistes », sans pour autant insister sur ce point et préférant approfondir les questions liées aux rythmes de travail. Dans une recherche plus récente, l’ergonome François Daniellou mobilise quant à lui le cas d’une téléopératrice « qui se réveille en sursaut, la sonnerie dans le casque, c’était en rêve » (Daniellou, 2010 : 53). Comme on l’a fait pour les robots, on pourrait aussi lister les discours médiatiques ciblant ces métiers, comme cet article paru dans le journal Libération en 2001 dont l’auteur estime que « le téléphoniste est l’esclave de sa machine » (Gremillet, 2001).

28 Il est difficile de savoir ce qui, dans l’expression et les perceptions de ces perturbations, relève du rapport à la technologie, des tensions liées au contrôle et au rythme du travail, ou bien d’un malaise que l’on peut plus largement associer à la fermeture des parcours professionnels en entrepôt. Il faudrait certainement inclure ces trois dimensions de l’activité pour en faire l’examen détaillé. Dans tous les cas, le thème de la contagion questionne les répercussions de ce qui est subi au travail. Il les questionne du point de vue de l’individu qui peut légitimement craindre que les gestes et paroles répétés quotidiennement ne viennent entraver ses facultés physiques tout autant que mentales. Dans ces conditions, les contagions de la parole et des rêves sont un moyen pratique, parce que concret, d’exprimer la dépossession au travail et de la critiquer parfois, dans un langage qui fait immédiatement sens sans pour autant être dénué d’ironie sur soi-même et sur sa propre condition.

Repousser quotidiennement le robot 

29 En formulant une identité pour autrui construite autour d’un ouvrier robotisé, les préparateurs de commande produisent une sociologie spontanée qui s’ajuste au rôle qui leur est assigné [12]. En revanche, l’observation in situ des pratiques de contournement du cadre machinique permet bien de constater que le rejet des automatismes imposés est un enjeu central de leur activité quotidienne, sans pour autant constituer l’expression d’une résistance collective.

Détourner : les jeux de mots

30 Dès les premières mises en œuvre, le dialogue avec une voix de synthèse a suscité l’ironie des utilisateurs dans les entrepôts observés. Les tonalités féminines ont rapidement été personnalisées par l’emploi de prénoms moqueurs ou de formule de politesse : « Monique », « la dame » ou « mademoiselle » selon les cas [13]. Lorsque la mécanique s’enraye, « la dame » est affublée de qualificatifs plus péjoratifs, d’insultes, l’expression « salope » étant la plus courante. Pour exprimer son mécontentement ainsi que pour montrer aux autres que c’est bien la machine qui est défaillante, ces insultes sont exprimées à voix haute, parfois criées. La terminologie employée renvoie à un univers de référence largement sexiste, ce qui souligne finalement le fait que les modes de personnalisation constituent un moyen de déborder symboliquement l’espace gestionnarisé en se déplaçant sur un terrain plus familier.

31 L’usage mécanique de la parole a également suscité l’apparition de pratiques ludiques dans le travail, de jeux sur les mots malgré l’aridité du lexique utilisé et comme une forme de réponse à celle-ci. Le mécanisme de reconnaissance vocale demeurant approximatif, il est possible de réaliser certaines validations en prononçant des formules originales, à condition que la phonétique demeure proche. Le code détrompeur « 5-1 » peut donc être remplacé par « sapin », le « 4-1 » par « catin » ou le « 2-2 » par « neuneu ». Dans l’un des entrepôts, l’enchaînement rapide de plusieurs détournements de ce type était appelé un « combo » par un groupe de jeunes ouvriers particulièrement habiles à ce jeu. La pratique n’est reconnue comme prouesse que si elle est effectuée sans ralentir le travail et s’exerce donc malgré le cadre machinique et non contre celui-ci.

32 À proximité des détournements s’appuyant sur la reconnaissance vocale, on trouve également des stratégies partagées qui s’approchent davantage du contournement. En pianotant les quelques touches du talkman accroché à la ceinture, certains préparateurs ont découvert qu’il était possible de réenregistrer les prononciations attendues par la machine. Cette méthode leur permet de duper le logiciel en lui indiquant des sonorités autres que celles qui sont demandées. Par exemple, « six » est remplacé par la couleur « vert » pour éviter d’avoir à supporter les validations non souhaitées d’un chiffre dont la sonorité est trop proche de celle du sifflement généré par les chariots électriques. De même, au lieu de prononcer la formule « SPCB » ‒ aussi longue qu’énigmatique [14] ‒ pour valider une prise de produit au détail et non au colis, on enregistre le mot « détail » ‒ plus significatif et plus court ‒ ou bien simplement la syllabe « dé ». Le préparateur ne prononcera plus « SPCB 3 » pour la prise de trois détails, mais « dé-3 » ou « destroy » s’il veut en amuser un autre.

33 Si elles peuvent sembler anecdotiques au premier abord, ces redéfinitions d’une parcelle de l’activité doivent être jaugées au regard de la répétition des actes concernés et de la pénibilité qu’ils génèrent. Mais malgré les avantages que cela représente pour les préparateurs, les encadrants sont très peu au fait de ces possibilités. Sur les trois entrepôts observés, seule une direction a pris en charge le réenregistrement des mots clés, alors que la pratique était déjà mise en œuvre informellement depuis deux ans. En entretien, Yannick m’explique que ce sont des intérimaires qui ont introduit la méthode dans son entrepôt et que ses responsables ne voulaient pas le croire lorsqu’il est venu leur expliquer. Dans ces conditions, le contournement occasionne une double prise de distance : d’abord à l’égard d’une infrastructure déqualifiante et pénible, puis au regard d’une hiérarchie trop éloignée des réalités concrètes du travail ouvrier.

Contourner : les mémoires détrompeuses

34 Dans des conditions restreintes, le guidage vocal autorise des contournements qui dépassent le jeu avec les mots ou les aménagements de confort. Ces contournements s’appuient principalement sur les imperfections du dispositif de traçabilité : le progiciel ne contrôle pas directement le mouvement des flux mais enregistre des validations qui sont produites par l’humain. Pour s’assurer que les flux physiques sont bien synchronisés avec les flux d’informations, le dispositif contraint les préparateurs à énoncer à voix haute des « codes détrompeurs », c’est-à-dire deux chiffres qui figurent au-dessus de chaque emplacement. Mais en apprenant par cœur une partie de ces codes chiffrés, certains préparateurs parviennent à reconquérir une marge d’anticipation. Ils peuvent ainsi valider fictivement des prises de colis, sans avoir à se déplacer.

35 Un entrepôt de la grande distribution pouvant contenir plus de 10 000 références différentes, la pratique se confronte évidemment aux limites de la mémoire et concerne principalement des produits dont les prises sont répétées. Les préparateurs sont néanmoins capables de retenir un très grand nombre de codes détrompeurs, ce que peinent à croire les responsables d’entrepôt. Il est en effet difficile de s’imaginer à quel point la répétition permanente d’un geste peut générer des facultés motrices ou mnésiques chez celles et ceux qui l’exercent quotidiennement. En témoigne la fascination exercée par les prouesses accomplies dans de nombreux métiers industriels, qu’il s’agisse d’une pièce découpée au millimètre près sans mesure ou bien d’une bobine de fil enclenchée en un fragment de secondes. Ces gestes sont parfois associés à un savoir-faire et valorisés comme tels, bien qu’ils soient tout autant des altérations qui résultent de l’extrême répétitivité des tâches en cycles opératoires courts.

36 Si tout préparateur est amené, au bout de quelques semaines de travail, à prendre conscience du fait que sa mémoire enregistre les codes détrompeurs, chacun n’utilise pas cette ressource de la même façon. Les anciens et les intérimaires spécialisés en logistique mobilisent ce procédé pour anticiper les prises de colis et construire de « belles palettes », c’est-à-dire des palettes bien équilibrées qui resteront stable pendant le transport. Plutôt que de suivre le scénario imposé, ils valident fictivement une liste de colis, reproduisent cette liste sur un support papier et s’offrent ainsi la possibilité d’empiler les colis dans l’ordre qui leur convient le mieux. Ils retrouvent ainsi une professionnalité qui était collectivement valorisée avant l’introduction de la commande vocale, une forme d’activité où la réflexion précède l’exécution. Mais chez les étudiants ou chez les intérimaires moins installés, la performance est plutôt associée à l’enchaînement fluide des gestes répétés.

37

Si tu connais le code… En fait ça évite d’attendre, de regarder et de le donner devant. Bon, ça te fait gagner 2-3 secondes, mais ça permet d’enchaîner. Quand tu veux aller beaucoup plus vite… Enfin moi, ça m’arrivait de prendre de l’avance sur 2-3 pickings, comme c’est assez répétitif, tu sais que lui, c’est celui-là, « tac-tac-tac », tu le prends, et t’enchaînes. – Julien, 23 ans, préparateur

38 Comme d’autres, Julien ne pousse pas le contournement jusqu’à recréer une liste papier. Il n’anticipe donc pas la tâche à suivre mais se contente d’anticiper sur la tâche en cours, il s’offre la possibilité d’agir sans hésitation. Le gain se limite à quelques secondes, mais il est significatif pour un geste répété près d’un millier de fois par jour. Peut-être aussi important, cela lui permet d’atteindre un rythme de travail au niveau duquel l’enchaînement des gestes peut prendre la forme d’un jeu ‒ le « tac-tac-tac » ‒ dans une lutte contre la monotonie [15]. L’absence de sens intrinsèque au travail est ici constituée et il s’agit plutôt d’en évacuer les effets les plus désagréables. Alors qu’un type de représentation privilégie la reconstruction des schèmes traditionnellement associés au métier, l’autre engage le préparateur dans une immédiateté qui correspond mieux à l’exercice d’un « job » saisonnier ou intérimaire.

39 Contrairement à ce qui a pu être observé dans d’autres milieux industriels [16], ces pratiques informelles sont assez peu fonctionnelles, c’est-à-dire qu’elles ne relèvent pas d’une nécessité absolue pour réaliser le travail tel qu’il est exigé. Bien qu’adepte de la pratique, Sylvain en souligne les travers : « Mais après, ça engendre des erreurs, ça. Il suffit qu’un collègue passe, “Hey Sylvain tu fais quoi ?”, et après je suis là, “Mince, j’ai validé ou pas ça, je sais plus” ». Ces oublis ou ces craintes d’oublis, en plus de constituer une perte de temps, sont générateurs d’une tension non négligeable. « C’est trop prise de tête » résume Yannick, en m’expliquant avoir abandonné cette pratique. Avec une certaine nostalgie, Jean-Paul reconnaît que « maintenant, vaut mieux suivre le truc, sinon tu te perds ». Il exprime ainsi le constat selon lequel les contournements sont finalement plus contraignants que le suivi de procédure dans des dispositifs de ce type. Cela montre en retour que les ouvriers qui maintiennent l’usage de la liste papier choisissent de privilégier la réappropriation d’une partie de leur activité à l’encontre d’un certain confort de travail et parfois au dépend du niveau de leur prime de productivité.

40 Il est également possible de jouer des tours au logiciel pour conquérir des temps libérés sur les temps productifs. Pour dissimuler ces temps de repos au regard du logiciel, les préparateurs valident artificiellement des tâches, celles qui correspondent à un code détrompeur appris par cœur ou bien celles qui ne nécessitent pas cette procédure, comme le filmage des palettes ou la dépose sur le quai. Ces pratiques peuvent mettre en scène des ouvriers assis sur une chaise en salle de pause, un café à la main, prononçant des mots clés à l’attention d’un logiciel censé les faire travailler. Réalisées devant un public averti, elles prêtent à rire, comme lorsque Moussa provoque l’hilarité de tous en revenant s’asseoir, après avoir badgé la fin de sa pause, le casque sur les oreilles et mimant les tâches qu’il est en train de valider artificiellement. Si ces temps conquis sont bien une dimension essentielle du confort quotidien, il ne faut pas sous-estimer la dimension symbolique d’un savoir-faire informel consistant à duper le dispositif gestionnaire. En poussant les ressorts comiques de cette pratique, les préparateurs se rappellent à eux-mêmes que le travail réel est d’abord celui qu’ils produisent physiquement et non ce que la machine enregistre. Ce point souligne également le paradoxe d’une traçabilité qui peut se retourner contre elle-même puisque les préparateurs de commandes parviennent à construire une fiction gestionnaire de leur propre travail en détournant l’enregistrement systématique des tâches.

41 La charge symbolique de ces contournements est d’autant plus importante à souligner que les temporalités conquises restent quant à elles très restreintes. Les préparateurs étant soumis à des impératifs de productivité, ils ne se préservent du temps que lorsqu’ils ont atteint les quotas. À l’inverse, bien que cette pratique soit plus rare, certains préparateurs utilisent les pratiques de contournement pour accroître leur productivité et dissimuler le fait qu’ils ne prennent pas de pause : entre deux passages par la badgeuse, ils réalisent des tâches qui ne nécessitent pas de validation vocale. Si cette autre forme du contournement demeure bien une prise de distance à l’égard du contrôle machinique et des temporalités normées, elle relève en revanche d’une soumission exacerbée aux formes objectives de l’exploitation.

Saboter : le bris de casque

42 La référence au bris de machine renvoie à une époque ancienne, le xixe siècle, depuis laquelle il est désigné sous l’appellation de « luddisme », en référence à une composante du mouvement ouvrier anglais [17]. Dans la période contemporaine, rares sont les travaux de recherche où il est fait mention d’actes qui pourraient être désignés ainsi, ce qui illustre aussi le peu de place occupé par la critique des « dégâts du progrès » [18] , que ce soit dans le champ du travail ou ailleurs. Les récits ouvriers des xxe et xxie siècles évoquent davantage des machines que l’on protège parce qu’elles symbolisent le maintien de l’emploi sur un territoire. Mais cette relative absence pose aussi la question de l’intérêt que les chercheurs portent à cette critique dont la faible légitimité dans l’entreprise comme au-dehors ne peut autoriser qu’un développement limité et souvent masqué.

43 C’est davantage pour souligner ce point que par souci de précision méthodologique que l’appellation « bris de machine » est ici employée. Dans le cas des entrepôts, les formes de destruction de l’outil sont doublement limitées. D’abord, elles ne touchent que la partie superficielle et accessible de la machine : le casque audio. En tant qu’infrastructure numérique, le logiciel ne se présente pas comme une machine qu’il serait possible de saboter ou de détruire en ayant recours aux formes traditionnelles de la conflictualité radicale en entreprise. Son maniement et plus encore sa programmation relèvent de compétences spécifiques qui sont peu présentes dans le groupe ouvrier. Ces pratiques sont aussi limitées parce qu’elles relèvent de l’acte individuel, exercé dans des moments de forte tension.

44 S’il est impossible d’évaluer précisément la fréquence des bris de casque, l’observation a confirmé que le cas se produit à échéance régulière. En entretien, Jérémie m’explique avoir « péter un casque une fois » et précise son intention en justifiant que « ça défoule ». Il évoque ce geste après avoir abordé les « moment de grosse galère » au cours desquels la reconnaissance vocale est défaillante. Dans un service des fruits et légumes, un moment observé mettait en scène un préparateur détachant son casque du boîtier, le jetant au sol et lui assénant un coup de pied. Contrairement à certaines formes de contournement, le bris n’est pas majoritairement réalisé de façon démonstrative, les sanctions encourues limitant l’ampleur de l’expression. Dans la grande majorité des entrepôts, des panneaux d’affichage annoncent désormais le coût de revient d’un casque audio, de l’ordre de 160 euros, pour encourager le « respect du matériel ». À propos de l’apparition de ces affiches, le directeur d’un entrepôt reconnaît qu’« il y a un paquet de casque pétés, et parfois c’est plus ou moins intentionnel ».

45 S’ils expriment bien une forme de mécontentement, voire de protestation, ces bris de machine sont loin de constituer une forme de résistance collective aux dispositifs de gestion. Ils s’assimilent plutôt à des exutoires dans des moments où l’on ne parvient plus à encaisser le manque de prise sur son travail. Casser l’outil revient alors à réaffirmer son rôle, en se prouvant à soi-même peut-être plus qu’aux autres que les mains du manutentionnaire peuvent parfois jouer des tours à la machine. Le casque n’étant qu’une interface minimaliste de l’infrastructure informatique, il suffit d’en demander un autre, de prétexter des dégâts accidentels et de le brancher à nouveau sur le boîtier pour reprendre le travail là où on l’avait laissé. Pour autant, il ne faut pas négliger la force symbolique de ce geste et la place qu’il représente dans l’imaginaire collectif. Dans son analyse des transfuges luddites en France dans la première moitié du xixe siècle, Michelle Perrot souligne qu’il s’agissait souvent d’un « luddisme symbolique », c’est-à-dire d’un moyen d’affirmation ou de pression plus que d’une optique de destruction de l’ordre machiniste (Perrot, 2010) [19]. Déporter cette analyse sur le phénomène plus restreint du bris de casque permet d’en souligner la portée sans en produire une surinterprétation.

Conclusion

46 Les ouvriers des entrepôts sont des travailleurs subalternes qui, dans un cadre où la contrainte prédomine, se donnent les moyens d’affirmer autre chose que le rôle auquel ils sont assignés et qu’ils traduisent en mobilisant la figure du « robot ». Cette distance au rôle protège l’ego, l’estime de soi, la personnalité ou l’intégrité de l’individu, elle permet à chacun de « dissocier ses possessions purement personnelles des attributs du rôle » (Goffman, 1961 : 96). Leur renier cette faculté de dissociation, comme le font parfois les commentateurs critiques de ces formes de travail, revient à faire d’eux des monstres, à sacrifier leur dignité au nom d’une cause qui les concerne pourtant en premier lieu. Éviter cet écueil est un enjeu important pour la critique des technologies et du travail. Si le groupe ouvrier exprime parfois sa propre dépossession dans la formule « on est des robots », il peut aussi la traduire en capacité d’agir au travers de la négation « on n’est pas des robots » et ce basculement n’est nullement encouragé par des observateurs extérieurs brandissant l’effrayant « ce sont des robots ».

47 Le risque inverse consiste à critiquer le robot tout en relativisant l’impact des technologies, cette fois animé par une volonté de réaffirmer les capacités de résistance de l’humain au travail. Dans un rapport d’expertise consacré à la commande vocale, Philippe Davezies notait que « les préparateurs luttent avec le système. Ils s’efforcent en permanence de passer d’une position dans laquelle ils subissent passivement les instructions de la machine à une attitude proactive qui leur permet de reprendre la main » (Davezies, 2008 : 25). Nous avons bien constaté des tendances de cet ordre, mais les possibilités d’une réappropriation doivent cependant être relativisée au regard de l’encadrement par les dispositifs. Bien que « proactives », les pratiques ouvrières face à la dépossession sont peu en mesure d’aboutir à des reprises en main. Une partie d’entre elles consacre la dépossession et réduit l’activité à l’enchaînement rapide de gestes élémentaires, pour des satisfactions qui sont d’ordre monétaire lorsqu’il s’agit de toucher une prime ou de confort lorsque c’est la monotonie qui est combattue. Plus largement, la signification que prennent les arrangements et les contournements a évolué dans le sens du dispositif qui les encadre, elle s’est en partie reportée sur des satisfactions plus individuelles. Comme le souligne Danièle Linhart, on peut en retirer le constat selon lequel « les conditions du travail moderne […] limitent le sens et la portée de la résistance au travail. Celle-ci se caractérise de moins en moins par des pratiques collectives à vocation politique ou citoyenne » (D. Linhart, 2009 : 82). D’où la nécessité de porter un discours critique qui ne se limite pas à la mise en exergue de ces formes concrètes de résistance mais qui s’appuie sur leur portée sociologique, sur leur capacité à soulever des idées et des valeurs communes au groupe.

48 Si la contrainte objective est difficilement contournable en entrepôt, sa prise en charge symbolique soulève en effet l’expression de références critiques qui, regroupées autour d’une sociabilité au travail relativement dense, forment un ensemble caractéristique d’une contre-culture ouvrière. C’est probablement par ce biais que le groupe est le plus à même de revendiquer une existence autonome et dissociée du rôle imposé. En déployant un « texte caché » (Scott J., 1990), un humour et des jeux qui lui sont propres, en s’appropriant des espaces et des temporalités dans l’enceinte de l’entrepôt, le collectif ouvrier produit un sentiment d’appartenance à une communauté spécifique. Il affirme une identité qui n’est plus tout à fait professionnelle, qui peine à s’exprimer dans le travail, mais qui se maintient au travail. En élargissant ce constat, on en retire le sentiment d’une classe sociale, la classe ouvrière, qui a perdu la revendication d’un rôle social valorisant mais qui maintient l’expression infrapolitique de valeurs propres, très critiques à l’égard des formes de l’exploitation, y compris de l’encadrement machinique du travail humain.

Notes

  • [1]
    Laboratoire d’urbanisme ; Université Paris-Est-Marne-la-Vallée, 4-20 boulevard Newton, 77420 Champs-sur-Marne
  • [2]
    Parfois appelés magasiniers, pickers ou agent de tri, ils constituent la majorité du personnel des entrepôts observés (autour de 60 %), accolé aux métiers de caristes et d’agents de quai (réception et expédition). La logistique regroupe aujourd’hui 900 000 emplois en France (hors transport), dont 700 000 ouvriers, soit 13 % des ouvriers français, contre seulement 8 % au début des années 1980. Source : Insee, Enquête Emploi 1982-2012.
  • [3]
    Enquête PERIFEM/INRS, La Préparation de commande dans les plates-formes logistiques de la grande distribution française, 2007.
  • [4]
    Lesquelles peuvent dépasser les 300 euros, soit près de 30 % du salaire de base pour des niveaux de rémunération proches du salaire minimum.
  • [5]
    Les données mobilisées sont issues d’une enquête s’appuyant principalement sur des observations participantes dissimulées menées en tant qu’intérimaire (de deux mois chacune, dans trois entrepôts) et sur des entretiens biographiques principalement conduits avec des ouvriers, parfois avec des cadres (n=49). Cf. Gaborieau, 2016.
  • [6]
    Axiome dont la formulation la plus célèbre a été présentée dans Becker, 1985.
  • [7]
    Paru dans L’Humanité du 27 avril 2009, p. 10.
  • [8]
    « Un monde sans humains », ARTE France et Cinétévé, diffusé le 22 novembre 2012, extrait cité à 1.28.30.
  • [9]
    « Travail : ton univers impitoyable », France 2 et France Télévision, diffusé le 26 septembre 2017, extrait cité à 00.21.50.
  • [10]
    Notamment dans le premier film de Georges Lucas, produit par Francis Ford Coppola, THX 1138, sorti en 1971, qui se déroule dans une société futuriste où les individus sont placés sous sédatif et dans laquelle le contrôle vocal est omniprésent.
  • [11]
    Cette façon de retourner le stigmate en l’endossant de façon ironique a également été observée chez les travailleuses du sexe (Sanders, 2004). Dans ses travaux sur le quartier des Minguettes à Vénissieux, Pierre Gilbert constate quant à lui que les enquêtés avaient tendance à lui renvoyer une image du quartier conforme à celle qu’il était censé porter, c’est-à-dire miné par l’isolement, alors que les interactions quotidiennes étaient très fréquentes (Gilbert, 2012).
  • [12]
    On peut penser ici aux travaux d’Anselm Strauss décrivant le malade mourant incité à présenter un moi mourant au monde extérieur (Strauss, 1992 : 69).
  • [13]
    Ouvrière dans une usine de décolletage, Sylviane Rosière témoigne d’une personnalisation du robot similaire (Rosière, 2010 : 27).
  • [14]
    C’est seulement en m’entretenant avec plusieurs cadres que je suis parvenu à en trouver le sens : « Sous-Produit Pour Combien ».
  • [15]
    Comme l’ont montré les travaux de Donald Roy puis de Michael Burawoy, sans pour autant s’attacher à la diversité des formes du jeu selon les positions et dispositions des joueurs (Roy, 1952 ; Burawoy, 2008).
  • [16]
    Chez les ouvriers des abattoirs par exemple (Muller, 2005).
  • [17]
    On retrouve par ailleurs des occurrences françaises de ce mouvement (Jarrige, 2009) ainsi que des résurgences plus contemporaines (Biagini & Carnino dir., 2010).
  • [18]
    Pour reprendre le titre d’un ouvrage collectif édité par la CFDT à une époque où le syndicalisme engageait plus explicitement des débats sur le contenu de travail et l’impact des technologies (CFDT, 1977).
  • [19]
    Sur le luddisme comme opposition concrète et stratégique plutôt que théorisation critique du progrès technique, voir également : voir notamment Hobsbawm, 1952.
Français

Dans les entrepôts de la grande distribution alimentaire, les ouvriers manutentionnaires travaillent avec un casque audio sur les oreilles et un micro devant la bouche. C’est une voix numérique qui leur indique les tâches à réaliser et ils valident chacun des gestes effectués par reconnaissance vocale, en prononçant des mots clés. Lorsqu’on les interroge sur le contenu de leur travail, ils ne manquent pas de se comparer à des « robots », dépossédés de leur capacité à agir en dehors du script imposé. Les observateurs extérieurs en font souvent de même, sidérés par ce dialogue étrange entre un outil numérique et des humains qui répondent à ses injonctions. Si cette conception de la « robotisation » n’est pas satisfaisante au regard de l’enquête menée en immersion dans les entrepôts, l’analyse critique de cette terminologie et de ses ressorts symboliques amène un éclairage nouveau sur la façon dont le monde ouvrier est perçu et se perçoit.

Mots-clés

  • robots
  • taylorisme
  • commande vocale
  • ouvriers
  • entrepôts
English

The Robot as a stigma for blue-collar workers. The symbolic stakes of voice picking in food retail warehouses

In food retail warehouses, handlers work with headphones on their ears and microphones in front of their mouth. A digital voice tells them what they have to do and they validate all their actions pronouncing key words for the voice recognition system. When asked about the content of their work, they compare themselves to “robots,” lacking the capacity to act outside the imposed framework. Outside observers often borrow this comparison to express their astonishment in reaction to this unusual dialogue between a digital tool and humans following orders. The results of my fieldwork show that such a vision of robotization is not appropriate. I analyze how this symbolic terminology of workers’ perception and self-perception is used and the questions it raises, thereby proposing a new approach of the working-class image.

Keywords

  • Robots
  • Robotization
  • Taylorism
  • Handlers
  • Warehouses

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David Gaborieau
Lab’URBA (EA 3482), UPEM [1]
  • [1]
    Laboratoire d’urbanisme ; Université Paris-Est-Marne-la-Vallée, 4-20 boulevard Newton, 77420 Champs-sur-Marne
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Mis en ligne sur Cairn.info le 12/01/2018
https://doi.org/10.3917/lhs.205.0245
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