CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1En France, le secteur de la logistique, hors transport, regroupe à lui seul près d’un million d’emplois [1]. Il s’agit en grande majorité d’emplois ouvriers, disséminés dans des ports et des aéroports, dans des entrepôts de la grande distribution, de la messagerie, du e-commerce ou de l’industrie. Au sein du monde ouvrier, les logisticiens représentent désormais 13 % des emplois contre seulement 8 % dans les années 1980 [2], un basculement observable dans la plupart des pays occidentaux. Pourtant, jusqu’à une période très récente, la recherche française s’est peu penchée sur le versant ouvrier de ce secteur, privilégiant des approches organisationnelles ou managériales (Tixier et al., 1996). Ou du moins, elle n’a pas accordé une place centrale aux mécanismes de recrutement et de gestion de la main-d’œuvre, de circulation de celle-ci et aux formes de résistances et d’aménagements qui peuvent émerger, ce qui est l’ambition principale de ce dossier. Les dockers faisaient parfois office de parangons, alors qu’ils représentent moins de 1 % de l’emploi logistique. Les entrepôts, notamment, sont restés dans les coulisses des grandes entreprises et, plus largement, dans les coulisses d’un système économique qui s’appuie en partie sur eux.

2Cette invisibilisation a été favorisée par le développement de la sous-traitance, qui permet aux grands groupes, tels que Carrefour ou Amazon, de mettre en avant leur « cœur de métier » (le commerce pour Carrefour, la vente en ligne pour Amazon) afin de valoriser leur activité et leur image. Elle résulte également de la diffusion des théories managériales du flux tendu, qui décrivent, souvent de manière très abstraite, la circulation des biens et des matières comme un processus lisse et ininterrompu. Difficile de percevoir l’entrepôt, sa matérialité et sa centralité, dans un contexte où le modèle toyotiste prône le « zéro stock » comme mode de fonctionnement. Bien qu’une forme de reconnaissance institutionnelle du secteur ait progressivement émergé au cours des années 1980 sur le plan scientifique (dans le cadre des sciences de gestion notamment ; Tixier et al., 1983), administratif (au niveau des politiques publiques [3] et de la refonte des professions et catégories socioprofessionnelles [PCS] [4]) et scolaire (avec l’apparition de formations et diplômes en logistique [5]), elle s’est faite en grande partie au prix de l’effacement symbolique du travail concret de stockage et de manutention des marchandises. Plus largement, l’invisibilisation du travail logistique s’inscrit dans un contexte socioéconomique marqué depuis une quarantaine d’années par les phénomènes complexes et multiformes de désindustrialisation (Deshayes, Lomba, 2017) et par les débats publics qu’ils ont suscités, qui associent très souvent les dynamiques de tertiarisation de l’économie, les fermetures d’usines, les délocalisations et les restructurations productives à la disparition du monde ouvrier dans son ensemble. À rebours de ces discours, des travaux récents sur le travail et l’emploi dans différents segments du secteur tertiaire ont mis en lumière l’émergence de nouvelles contraintes et normes de type industriel dans des activités de service (Pinto et al., 2000 ; Buscatto, 2002 ; Monchatre, 2010 ; Bernard, 2012), en lien avec l’informatisation des tâches, la quête de « fluidité productive » (Vatin, 1987) et les théories du lean management (Dubet, 2019). De ces enquêtes, se dégagent une dynamique de recomposition interne au groupe ouvrier, ainsi que son prolongement dans de nouveaux segments du monde du travail, diversifiés du point de vue de l’activité exercée, mais également marqués par la précarité de l’emploi, les tâches répétitives et pénibles, les maigres possibilités de carrière et un contrôle accru sur l’activité. Des traits qui caractérisent d’ailleurs aussi les nouveaux emplois du « capitalisme de plateforme » (Srnicek, 2018 ; Abdelnour, Méda, 2019), où l’indépendance formelle est contredite par le contrôle à distance des prestations combinant évaluation par les clients, incitations économiques et surveillance numérique (Brugière, 2019). Si le monde ouvrier semble disparaître dans les pays du capitalisme avancé, c’est donc avant tout en raison d’un certain « ethnocentrisme de classe » (Mischi et al., 2013), qui se limite à constater le déclin des forteresses industrielles et empêche de regarder les lieux où le travail ouvrier s’est progressivement déplacé.

3Comme l’illustrent les contributions de ce dossier thématique, issues en partie d’une journée d’étude internationale intitulée Logistical Workers, organisée en mars 2017 à Paris, la logistique, secteur charnière entre production et consommation, participe pleinement de cette dynamique d’industrialisation-ouvriérisation du tertiaire, c’est-à-dire du processus par lequel « une organisation n’appartenant pas au monde industriel tend à se rapprocher de ce dernier, du moins sous certains aspects significatifs » (Gadrey, 1994, pp. 167-168). Dès lors, ce dossier – qui rassemble des recherches récentes réalisées en France, en Allemagne, en Italie et aux États-Unis – ne vise pas tant à produire un tableau descriptif de la logistique dans son ensemble qu’à offrir, à travers des méthodologies variées et l’étude de contextes locaux distincts, une analyse du secteur comme un révélateur de ces transformations économiques et sociales plus larges, dont il participe et qu’il contribue lui-même à créer. À partir des données d’une enquête collective franco-allemande réalisée entre les agglomérations de Paris, Francfort-sur-le-Main, Orléans et Kassel, Clément Barbier, Cécile Cuny et David Gaborieau analysent la production de régimes d’emploi précaire localisés – ou « régimes de captivité » – fabriqués à la fois par les stratégies managériales de captation de la main-d’œuvre et par les tactiques ouvrières déployées pour aménager cette précarité. Carlotta Benvegnù et Lucas Tranchant croisent quant à eux les résultats de deux enquêtes de terrain menées respectivement en Italie et en France, pour identifier les déterminants de l’action collective en entrepôt et les formes qu’elle peut prendre ou non, en fonction des différents régimes d’emploi, des pratiques de mobilité (ou d’immobilité) professionnelle qu’ils génèrent et des aménagements syndicaux locaux. Nicolas Raimbault adopte ensuite une approche spatiale, à l’échelle de l’Île-de-France, en croisant les données du lieu de résidence et du lieu de travail, pour comprendre les transformations des espaces populaires qui découlent de la croissance et de la périurbanisation des emplois logistiques. Enfin, Jake Alimahomed-Wilson revient sur le parcours de recherche qui l’a conduit à forger, dans un ouvrage pionnier sur le secteur coécrit avec Edna Bonacich en 2008, le concept de « révolution logistique ». À partir d’une analyse suivie des transformations de l’agglomération portuaire de Los Angeles, il propose un prolongement dynamique et original de ces travaux autour du concept de « révolution e-logistique » qu’il associe au développement du commerce en ligne.

4Situer la portée des travaux composant ce dossier nécessite de revenir au préalable sur la trajectoire sociohistorique qui a rendu possible l’essor de la logistique et qui en a fait un espace clé de compréhension des mécanismes sociaux qui structurent l’emploi et le travail. Dans cette introduction, nous aborderons tout d’abord les transformations productives qui ont progressivement placé ce secteur au cœur des économies globales. Nous reviendrons ensuite successivement sur les implications de ce processus en matière d’agencement des espaces productifs, d’organisation du travail, de régulation de l’emploi et de composition des milieux populaires. Enfin, nous éclaircirons les pistes méthodologiques vers lesquelles sont orientées ces analyses, dans la continuité des approches ici réunies.

La logistique au cœur des économies globales

5Les mutations récentes du travail logistique s’inscrivent dans un mouvement de rationalisation qui traverse différents secteurs d’activité du tertiaire, tout en présentant certaines spécificités propres au secteur et à sa trajectoire particulière. On peut schématiquement retracer celle-ci en dégageant deux dynamiques à la fois distinctes et parallèles. La première concerne l’externalisation des fonctions d’entreprise qui ne sont pas considérées comme suffisamment profitables, ce processus étant caractéristique des restructurations productives opérées dans l’industrie depuis une quarantaine d’années. La seconde a trait aux processus d’internationalisation des économies et au développement massif d’infrastructures dédiées à l’acheminement et au stockage des marchandises.

6La progressive délégation à des sous-traitants des fonctions de transport et de stockage, considérées comme subalternes et peu valorisables par les grands groupes industriels et commerciaux, a relancé, au cours des années 1980, le déploiement logistique. Ce processus a impulsé le développement d’entreprises spécialisées qui opèrent pour compte d’autrui et qui se chargent de la gestion des flux et de l’acheminement des marchandises. Ces entreprises, d’envergure nationale et qui, de plus en plus souvent, sont des multinationales, ont construit l’épais réseau d’entrepôts qui entoure désormais chaque centre urbain et de consommation. Ainsi, une part importante des emplois du secteur créés ces trente dernières années résulte d’un basculement des activités logistiques vers des entreprises sous-traitantes ou des filiales intégrées. La constitution de la logistique en tant que secteur autonome résulte de ce basculement. En témoignent la faible structuration des relations professionnelles, avec des conventions collectives récentes et fragmentées, mais aussi les difficultés rencontrées par les statistiques publiques à fournir une image claire du secteur en raison de ses frontières poreuses [6].

7En fin de compte, on peut considérer l’essor de la logistique à la fois comme une conséquence et une cause des externalisations. Une conséquence, car c’est ce phénomène qui a fait passer la logistique, jusqu’alors fonction interne à l’entreprise, au rang de secteur d’activité à part entière. Une cause, parce que le développement des « réseaux globaux de production » (Henderson et al., 2002 ; Barrientos et al., 2011), ou « chaînes globales de marchandises » (Gereffi et al., 2005), qui caractérisent la structure du capitalisme contemporain et qui consistent en des chaînes de sous-traitance en cascade, n’aurait pas pu se faire sans le déploiement d’infrastructures logistiques de grande ampleur permettant de connecter entre elles des entités disjointes (Benvegnù et al., 2018).

8Le premier effet du déploiement de ces réseaux, au sein desquels les différents éléments de la chaîne de production sont désarticulés et dispersés dans l’espace global, est que les marchandises sont de plus en plus souvent produites dans des États et des continents différents ; de ce fait, les processus de production d’une même marchandise incorporent aujourd’hui des formes et des régimes de travail très hétérogènes. Ensuite, de tels réseaux productifs nécessitent une organisation logistique toujours plus importante et efficace, indispensable à la coordination des chaînes d’approvisionnement globales, les supply chains. La logistique – ici comprise comme l’ensemble des activités et des infrastructures qui permettent la circulation des biens et des informations – peut donc être analysée comme une infrastructure matérielle de la globalisation.

9Plus largement, si on l’observe d’un point de vue historique, l’expansion du secteur logistique – qui est allée de pair avec la « conteneurisation », autrement dit le développement du transport intermodal, et donc, plus généralement, avec la standardisation des moyens de transport (Levinson, 2011) – s’inscrit dans le contexte des restructurations productives qui ont favorisé, à partir des années 1970, le transfert de sites productifs vers les pays à bas coûts de production et la transition vers les modèles de production flexible. Avec l’essor des systèmes informatiques de récolte des données et la financiarisation des économies, cette expansion peut donc être considérée comme l’un des instruments de réponse aux crises du fordisme, à la fois en matière de profit et de conflictualité dans les bastions ouvriers (Silver, 2003). En d’autres mots, comme l’une des causes de la désagrégation et de la dispersion des concentrations ouvrières, lesquelles menaçaient la profitabilité du fordisme. Cependant, avec la croissance du secteur logistique dans les années récentes, des mouvements importants de reconcentration de travail ouvrier ont eu lieu par le développement de zones logistiques aux abords des villes et des métropoles contemporaines. Comme le soulignent dans leurs conclusions respectives les contributions de Nicolas Raimbault, pour le cas de l’Île-de-France, et celle de Jake Alimahomed-Wilson, pour l’agglomération portuaire de Los Angeles, ces nouvelles géographies ouvrières portent en leur sein un potentiel pour un renouveau syndical à l’échelle locale.

Nouveaux espaces de la production et de la circulation

10Les recherches internationales qui ont étudié la logistique depuis une dizaine d’années évoquent souvent une « révolution logistique » (Allen, 1997 ; Bonacich, Wilson, 2008) qui aurait commencé dès la fin des années 1960. Le terme de « révolution » souligne la profondeur des changements à la fois produits par et à l’origine des transformations qui ont amené la logistique à occuper une place centrale dans les économies contemporaines. Il vise tout particulièrement à mettre en évidence l’intégration du transport à la production induite par le développement des chaînes de production globales, dans un contexte où les opérations logistiques sont progressivement devenues partie intégrante des systèmes productifs à travers la logique du « coût total [7] ». Jusqu’alors considéré comme un service et comme un élément externe à la production, le transport en serait alors devenu partie intégrante, et ce déplacement aurait participé du brouillage progressif de la frontière entre sphère productive et sphère de la circulation, ou – pour le dire avec Karl Marx – entre « temps de production » et « temps de circulation », les deux éléments composant l’ensemble du « temps de rotation » (Marx, 1867). C’est d’ailleurs l’impératif d’accélération du « temps de rotation » du capital – qui, par son expansion, a pour objectif d’accélérer le temps de circulation jusqu’à détruire, idéalement, « l’espace par le temps » (ibid.) – qui est à l’origine des efforts mis en place pour contrôler et coordonner la circulation des marchandises à travers le monde et réduire ainsi le volume de marchandises stockées improductivement. Karl Marx, dans son analyse, avait certes déjà explicitement isolé les opérations de transport au sein de la circulation du capital comme étant productives. Mais ce qui caractérise les systèmes économiques contemporains, c’est que des opérations antérieurement dévolues à la sphère de la circulation sont devenues partie intégrante des stratégies des firmes, dont les segments de la chaîne de production sont disséminés à travers le monde. Ce glissement, du domaine de la circulation vers l’intérieur du processus productif, constitue un changement majeur et permet de comprendre le processus de rationalisation et d’« industrialisation » du travail logistique. Comme nous l’avons souligné ailleurs (Benvegnù, Gaborieau, 2017), les entrepôts de logistique ne produisent pas aujourd’hui une marchandise en particulier mais produisent en revanche un « flux » de marchandises. Cet aspect, qui structure fortement l’organisation et les rythmes de travail en entrepôt, est à l’origine de la progressive parcellisation et standardisation des tâches d’entreposage, qui se rapprochent progressivement de celles du travail industriel.

11Les frontières entre emplois du tertiaire et du secondaire et entre circulation et production ne sont pas les seules à avoir subi un brouillage lors des dernières décennies. Le déploiement logistique, qui a entraîné la prolifération de plateformes logistiques aux abords des centres de consommation et la construction de nombreuses infrastructures « lourdes » dédiées au transport (nœuds autoroutiers, ferroviaires, ports fluviaux), a aussi induit des modifications majeures du tissu urbain, des frontières claires au sein des territoires concernés étant de plus en plus difficiles à tracer. Aux processus de « clusterisation » liés au développement de zones et de districts logistiques, s’ajoute en effet la « périurbanisation » de ces activités (Raimbault, 2014) avec des entrepôts construits toujours plus loin des centres-villes, ce qui participe d’une dynamique d’étalement et de standardisation des paysages métropolitains (Dablanc, Frémont, 2015). Une dynamique qui est aussi à l’origine, comme l’illustre bien l’article de Nicolas Raimbault dans ce dossier, d’une fragmentation accrue des mondes populaires par la déconnexion croissante entre lieux de résidence et lieux de travail. Clément Barbier, Cécile Cuny et David Gaborieau évoquent, quant à eux, les implications concrètes de ces bouleversements spatiaux sur le quotidien ouvrier.

12De façon plus générale, dans la production de l’espace comme dans les mutations du travail, la logistique vise à lisser, aplanir et effacer les irrégularités. La littérature managériale qui porte sur le supply chain management décrit en effet le développement d’une infrastructure (dont les entrepôts logistiques font partie) dont le but serait de construire un espace de circulation « lisse ». Cet idéal de fluidité, qui a aussi entraîné la mise en œuvre de ce que la géographe Deborah Cowen (2014) a appelé la supply chain security – une nouvelle « architecture de la sécurité » ayant comme objectif de gouverner l’espace global des flux –, est contrarié non seulement par les nombreuses « frictions [8] » et les conflits de travail qui traversent le secteur (Alimahomed-Wilson, Ness, 2018), mais aussi par le fait que la croissance logistique s’appuie en réalité sur des frontières multiples (Mezzadra, Neilson, 2013) : sur les frontières nationales, qui permettent de tirer parti des différences de salaire entre les pays (l’installation d’un entrepôt Amazon à Poznan, à quelques kilomètres de la frontière allemande et de Berlin, est emblématique d’un tel cas de figure) [9] ; mais aussi sur les frontières au sein même des collectifs de travail. En effet, de nombreuses hiérarchies et segmentations les traversent, le long des lignes de genre, de race et de statut, lesquelles sont visibles dans chacune des contributions à ce dossier. Ces dynamiques globales de fragmentation, voire de production de « niches socioéconomiques » au sein des différents nœuds du « supply chain capitalism » (Tsing, 2009), peuvent se traduire concrètement, à l’échelle locale, dans des pratiques, des modes d’organisation et de sélection de la main-d’œuvre dont les enquêtes sur le travail ouvrier ici rassemblées montrent à la fois les particularités et la cohérence d’ensemble.

L’entrepôt comme usine à colis

13Les évolutions des systèmes productifs qui ont accompagné l’essor du secteur logistique, et celles que le secteur logistique a lui-même impulsées, ont donné lieu à une transformation profonde des modes d’organisation du travail et de l’emploi à chaque étape de la circulation des biens et des matières. Tel qu’il était conçu en France dans les années 1980, l’entrepôt n’était pas en mesure de devenir un élément clé des économies globales. Au contraire, il en constituait plutôt l’élément délaissé, relativement mis à l’écart des grands mouvements de rationalisation qui, de façon continue depuis l’après-guerre, étaient en train de remodeler les principes de l’organisation industrielle dans des secteurs centraux comme l’automobile ou l’agroalimentaire (Beaud, Pialoux, 1999 ; Boltanski, Chiapello, 1999 ; Linhart, 2010). Au regard de ces secteurs, la logistique donnait à voir des organisations du travail peu standardisées et peu normalisées, caractérisées par des marges d’autonomie importantes laissées aux opérateurs (Rot, 2000 ; Mahouche, 2006). Dans les grandes structures entrepreneuriales, ce qui n’était pas encore appelé « plateforme logistique » était considéré comme un « centre de coûts », un « improductif » (Darré, 1992), au même titre que la comptabilité ou l’administration. Jusqu’à une période très récente, les pôles logistiques ne bénéficiaient pas d’une représentation à part entière dans les comités de direction, y compris dans les multinationales du commerce (Gardes, 2015).

14C’est principalement à travers l’introduction des outils numériques que les chaînes logistiques vont progressivement muter vers des modes d’organisation industrielle, passant d’une interdépendance entre métiers sur la base de savoir-faire à une interconnexion entre postes de travail reposant sur la normalisation des procédés. Cette trajectoire sociotechnique s’opère à deux niveaux et en deux temps (Gaborieau, 2016). Elle concerne tout d’abord l’architecture globale des chaînes d’approvisionnement qui, en raison de l’utilisation des progiciels de gestion des stocks et des procédures d’échanges de données, voient les limites posées par la distance physique en partie effacées (Raffenne, 2009). Le fournisseur, la plateforme logistique et le point de vente sont désormais reliés au sein d’un réseau commun où l’information circule instantanément, ce qui produit un premier phénomène d’accentuation des mécanismes de pression temporelle (Durand, 2004). Une seconde phase de rationalisation s’amorce alors, à l’impact direct sur les tâches d’exécution. À chaque poste de travail, sont installés des outils d’enregistrement des données reliés à des systèmes de géolocalisation. En flashant des codes-barres, en validant des mots-clés par reconnaissance vocale et désormais en activant des puces RFID (Radio Frequency Identification), les ouvriers du transport comme ceux de la logistique incrémentent le logiciel en temps réel. Ce faisant, leur activité est soumise à un contrôle permanent exercé à la fois sur le temps, l’espace et les modes de production.

15Ce processus d’application tardive d’une organisation mécaniste des tâches, dans des domaines affiliés au secteur tertiaire, rappelle ce qui a été observé dans les activités de service. Mais dans les entrepôts – qui se situent donc à l’intersection de frontières qui tendent à devenir poreuses entre service et industrie – la rationalisation s’accompagne d’un engagement physique qui rappelle plus fortement l’univers de l’usine. Les ports de charge manuels peuvent y atteindre plusieurs tonnes par jour et par individu (Govaere, 2009) et nécessitent des gestes répétitifs, y compris lorsqu’ils s’effectuent avec le recours à des engins de manutention. Dans certains segments de la logistique, comme dans la messagerie ou le commerce en ligne, une partie des déplacements de matières ont été mécanisés (Hocquelet, 2020), notamment avec la mise en place de convoyeurs sur lesquels circulent les colis (Benvegnù, 2018). Mais pour autant, cette évolution parfois désignée sous le vocable d’« automatisation » ne supprime pas les tâches physiques, désormais réalisées le long du tapis roulant, à des rythmes d’exécution très élevés. Ces rythmes font l’objet de mesures à la fois individuelles et collectives, par l’instauration de quotas de productivité et d’indicateurs de performance dont l’usage généralisé a été facilité et accru par les possibilités offertes par les progiciels de gestion. Sous ces régimes organisationnels, les entrepôts logistiques peuvent être désignés comme des « usines à colis », une appellation qui synthétise à la fois la forme prise par le travail et la place occupée par ce segment productif dans le fonctionnement des économies contemporaines.

Travailler le flux : une expérience de précarité ouvrière

16Ces phases de rationalisation, combinées à l’autonomisation du secteur et à sa croissance, structurent le monde ouvrier de la logistique tel qu’il est aujourd’hui : elles font du manutentionnaire un type renouvelé d’ouvrier spécialisé, au sein d’une fraction ouvrière du tertiaire, sans la dimension historique et sociale contenue dans le terme – nous y reviendrons – mais avec les formes de domination et les contraintes qui y sont associées. Les répercussions sur la santé sont un élément central de ce processus et constituent la première modalité de précarité à laquelle expose le travail en entrepôt. Dans certaines franges du secteur, les taux de fréquence d’accidents du travail et de maladies professionnelles dépassent ceux enregistrés dans des domaines d’activité comme le bâtiment, habituellement situé en tête des classements (Davezies, 2008). Suivant un processus similaire à ce qui a été observé pour l’industrie automobile, les organisations logistiques ont donc connu des phénomènes cumulés d’intensification et de densification qui ont fait évoluer l’activité logistique de travail dur à activité pénible (Hatzfeld, 2006). Mais plus encore que dans le cadre d’une activité industrielle typique, ces dégradations physiques ne sont pas contrebalancées par des possibilités d’évolution professionnelle. Cette situation rapproche la logistique du volet commercial de la grande distribution, ces deux segments d’emploi étant caractérisés par une forte concentration de postes peu qualifiés – plus de 80 % – et, par conséquent, par une limitation stricte des mobilités professionnelles (Benquet, 2013). À l’échelle du seul entrepôt – et non plus du secteur – la part des emplois non qualifiés peut atteindre des niveaux encore supérieurs. Elle a même tendance à s’accroître sous l’effet de l’automatisation des tâches administratives, dont les conséquences sur la raréfaction des emplois qualifiés disponibles en entrepôt constituent un autre aspect de l’ouvriérisation des espaces de travail.

17Le maintien de ce modèle serait impossible sans le recours massif et continu à une main-d’œuvre contractualisée par le biais des agences de travail temporaire. Les modes d’organisation du travail en entrepôt précédemment décrits ont émergé dans un contexte de montée du « précariat » (Castel, 2009) et se sont appuyés sur les possibilités offertes en matière de rotation des effectifs. La logistique est aujourd’hui l’un des secteurs qui a le plus recours à l’intérim – à hauteur d’un quart de la main-d’œuvre employée – et se positionne également en pionnier du recours à des formes innovantes de contractualisation, telles que les groupements d’employeurs et les contrats à durée indéterminée (CDI) intérimaires (Tranchant, 2018). Étant donné les caractéristiques communément attribuées aux activités de gestion des flux, notamment la variabilité des volumes traités, il serait tentant de considérer ce fait comme une particularité inhérente au domaine en question. Mais en plus d’être un mode de recrutement et de gestion du personnel, le recours à l’intérim est aussi une réponse à une autre forme de la contractualisation courte dont le secteur fait usage : celle de la gestion des capitaux physiques. Dans la grande distribution par exemple, près d’un tiers des activités logistiques sont réalisées sous le régime de la sous-traitance, souvent pour des clients uniques et sur des contrats dont les durées moyennes peuvent être très courtes, de l’ordre de deux à trois années. L’intensité des rapports concurrentiels est donc élevée et concerne également les filiales intégrées des grands groupes qui sont systématiquement évaluées au regard des coûts relatifs de l’externalisation. Un entrepôt nécessitant peu d’investissements matériels spécifiques, les bâtiments sont susceptibles de passer d’une main à l’autre sur des temps courts et sans aménagements majeurs. Comme les ateliers de la sous-traitance automobile (Gorgeu, Mathieu, 1996), les usines à colis sont donc des « usines modulables », dont l’ancrage territorial et humain demeure limité.

18Labiles, les entrepôts sont cependant regroupés sur des espaces géographiques dédiés, au sein desquels s’agencent des marchés locaux de l’emploi logistique. Ces zones d’activité logistiques – un type d’aménagement particulièrement développé en France – sont principalement concentrées autour des grandes agglomérations qu’elles desservent et des axes routiers dont elles font l’usage. Lorsqu’elles ont fait l’objet d’un investissement spécifique de la part des collectivités locales, elles peuvent rassembler plusieurs milliers, voire des dizaines de milliers d’emplois au total, comme c’est le cas dans les agglomérations de Melun-Sénart et d’Orléans en France, dans celles de Francfort et Kassel en Allemagne, dans la zone portuaire de Padoue en Italie, ou bien dans la région de l’Inland Empire située au sud de la Californie, pour citer des terrains d’enquêtes présents dans ce dossier. Le choix d’attirer ce type d’activité, tout comme le choix d’un territoire pour les entreprises logistiques, est fortement corrélé aux capacités d’intégration du bassin d’emplois préexistant. Étant donné les exigences requises en matière de main-d’œuvre, les zones industriellement vierges ou bien en déclin industriel font l’objet d’un ciblage prioritaire, la logistique devenant ainsi un axe de développement privilégié pour la « revitalisation » des territoires dits « sinistrés ». Au nord de la France, dans l’Est frontalier, dans la grande agglomération parisienne ou le bassin du Rhône, se sont donc formés des bassins d’emplois ouvriers à forte composante logistique, chacun d’entre eux regroupant un ensemble de zones logistiques dont les aires de recrutement sont particulièrement extensibles du fait des commodités d’accès. En leur sein, des circulations de main-d’œuvre s’opèrent ; les intérimaires, les titulaires de contrat court mais aussi – dans une moindre mesure – les titulaires de CDI naviguent d’un employeur à un autre en fonction des offres d’emploi et de leurs caractéristiques (Tranchant, 2021). Selon les critères objectifs du type d’emploi (le taux horaire, les primes, les conditions de travail), souvent en lien avec le hors-travail (la distance, les horaires) ou bien plus subjectifs, voire symboliques (l’ambiance ou la visibilité de l’enseigne), les ouvriers de la logistique sont amenés à construire une cartographie qui oriente leurs déplacements, dans la mesure des possibles (Benvegnù, Gaborieau, 2019). Ces circulations qui peuvent être interprétées comme une modalité de résistance à la surexploitation (Pialoux, 1979) et subjectivées comme une forme de liberté ou de mise à distance du travail, produisent néanmoins une forme atypique de « captivité » – pour reprendre un terme employé dans plusieurs articles du dossier – particulièrement adaptée aux besoins structurels du secteur.

Décomposition-recomposition des mondes ouvriers logistiques

19Bien que faiblement visibles jusqu’à une période récente, tant dans les espaces médiatiques qu’universitaires, les activités logistiques sont depuis une trentaine d’années un lieu central d’expériences professionnelles pour toute une frange des catégories populaires. Dans ces espaces sociaux, l’entrepôt est devenu un lieu de passage commun, où l’on pénètre sans vraiment l’avoir décidé et dont on cherche souvent à s’éloigner. La difficulté à trouver les possibilités d’un ancrage durable dans les univers de travail rencontrés – que ce soit pour des raisons matérielles, sanitaires ou symboliques – est un rouage essentiel de ces « mobilités de précarité » (Renahy, 2009) vers l’entrepôt ou depuis l’entrepôt. Déçus par des expériences antérieures dans des domaines auxquels ils étaient souvent formés, ou bien contraints par les limitations des marchés de l’emploi local, de jeunes ouvriers rejoignent le secteur logistique par des mobilités ouvrières horizontales, en espérant parfois y trouver ce qu’ils n’ont pas obtenu ailleurs. Une fois dans l’entrepôt, ils sont à nouveau confrontés à une mobilité restreinte ou bloquée, verticale cette fois-ci, une sorte de « plafond de carton » (Chauvin, 2010) qui fait peser sur eux les craintes d’une usure corporelle accélérée. Lorsqu’ils souhaitent, plus radicalement, quitter les espaces du monde ouvrier, par exemple en accédant aux statuts d’indépendant ou de petit fonctionnaire, ils font face aux limites d’accès à ces positions, auparavant privilégiées par les classes populaires et désormais moins nombreuses ou bien investies par les classes moyennes et supérieures (Siblot et al., 2015). S’ensuivent alors des allers-retours entre des emplois mieux payés mais pénibles (dans le bâtiment par exemple), des postes moins pénibles mais où les primes sont plus faibles (comme dans les entrepôts de la vente en ligne) ou des métiers plus valorisants mais où la continuité des contrats peut faire défaut (dans le commerce ou la restauration). Dans leur condition d’emploi et plus largement dans leur position sociale, ces ouvriers sont confrontés à une restriction des possibles qui laisse place à des équilibres mouvants, notamment en fonction des étapes de vie traversées – de la post-adolescence à l’établissement en ménage, puis dans l’attente de la retraite – dans l’optique fondamentale d’atténuer les répercussions du travail sur la vie quotidienne hors-travail.

20Le passage en entrepôt concentre ainsi les traits d’une expérience ouvrière dans toutes ses composantes, mais sans offrir les mêmes possibilités d’ancrage que les univers typiquement industriels. L’expérience est principalement masculine, plus de 80 % des emplois logistiques étant occupés par des hommes. Cette division sexuelle du travail tend même à se renforcer, notamment pour les postes ouvriers et employés, à rebours des tendances générales attestant d’une féminisation lente mais effective des espaces professionnels fortement masculinisés (Rivoal, 2019). Certains sous-secteurs de la logistique ont bien recours majoritairement à l’emploi féminin – pour le textile, les composants électroniques ou la pharmaceutique entre autres (Lomba, 2010) – et ce recours est alors systématiquement associé à des politiques de bas salaires, limitant l’obtention de primes ou la réalisation d’heures supplémentaires. À l’inverse, lorsque des tendances à la « déféminisation » sont observées, comme comme c’est le cas dans certains sous-domaines de la grande distribution à prédominance alimentaire, les ouvrières n’en continuent pas moins à accomplir des tâches pénibles dans la mesure où elles demeurent à l’écart des postes requérant la maîtrise d’engins de manutention (celui de cariste notamment) ou la conduite de poids lourds, ces compétences conférant une valeur symbolique – dans le champ concerné – à ceux qui les exercent. Dans les agglomérations des grandes métropoles, la logistique regroupe également une très forte proportion de main-d’œuvre racisée, comme l’atteste l’ensemble des terrains ethnographiques composant ce dossier. Étant donné l’éloignement relatif des lieux de travail de ceux de résidence, plus important dans l’emploi logistique que dans l’emploi industriel – comme le souligne Nicolas Raimbault dans sa contribution – cette caractéristique peut difficilement s’expliquer par des facteurs de proximité spatiale. Il faut plutôt y voir une forme de racialisation des modes de recrutement qui regroupent des profils de travailleurs peu qualifiés sur des postes pénibles dans chacun des contextes nationaux ici représentés (Allemagne, États-Unis, France, Italie). Comme le recours aux contrats courts, les usages différenciés du genre et de la race dans la gestion de main-d’œuvre constituent des moyens pour faire perdurer des organisations de travail instables.

21Dans ces univers marqués par la contrainte, les arrangements précaires et les stratégies de résistance informelles, la notion de groupe émerge davantage sous une forme objective, déterminée par les modes d’exploitation, que sous la revendication d’une appartenance ou d’intérêts communs. En France, le taux de syndicalisation des ouvriers de la logistique s’établit à seulement 4 %, contre 10 % en moyenne dans le groupe ouvrier [10]. De plus, tous les sites logistiques n’appliquent pas la même convention collective, d’où une fragmentation des règles qui les régissent. La convention logistique ne date que de 2004 et de nombreuses plateformes sont couvertes par celle du commerce ou par celle du transport, ce qui encourage des stratégies opportunistes de la part des directions, en fonction des avantages propres à chaque cadre conventionnel. Ainsi, à l’échelle européenne et notamment dans le nord de l’Italie, les mobilisations importantes qui ont émergé dans une période récente s’appuient davantage sur des réseaux de solidarité communautaires ou de quartiers, constitués notamment au sein de la main-d’œuvre immigrée, qui renouvellent les stratégies syndicales plus qu’ils ne les remplacent, comme le montrent Carlotta Benvegnù et Lucas Tranchant à travers leurs travaux respectifs. Pour autant, ce qui a été observé lors de ces mobilisations rejoint les conclusions tirées des enquêtes ethnographiques réalisées dans les entrepôts français, c’est-à-dire l’omniprésence d’une conflictualité diffuse à l’intérieur des usines à colis. Ne reposant pas nécessairement sur des formes instituées, elle se perpétue à travers une sociabilité de travail relativement riche, construite dans la confrontation à des conditions de travail et d’emploi particulièrement difficiles. Elle est véhiculée par un humour et un sens de la dérision solidement ancrés, une distinction stricte entre un « nous » ouvrier et un « eux » managérial (Hoggart, 1970), un art du contournement et du détournement, et parfois des formes de refus du travail. En dépit du faible ancrage des individus dans les espaces productifs, ces entre-soi sont produits et reproduits par la circulation et le croisement de références communes. Caractéristiques d’une contre-culture ouvrière (Willis, 2011), ces éléments partagés peuvent tout aussi bien – selon les contextes – constituer les supports d’une solidarité de classe ou s’accorder aux principes d’une organisation du travail précaire. Si les enquêtes récentes insistent davantage sur la ville ou le quartier comme échelle privilégiée de recomposition des centralités ouvrières (collectif Rosa Bonheur, 2019), l’étude d’un secteur comme la logistique montre tout de même que ce processus peut encore se prolonger dans le travail, voire se nourrir du travail comme moteur d’une subjectivation conflictuelle [11]. Comme l’explique Jake Alimahomed-Wilson dans sa contribution, la croissance du commerce en ligne a par ailleurs donné lieu à une multiplication des plateformes et des zones logistiques de très grand format, regroupant plusieurs milliers d’ouvriers sur un même espace, ce qui suggère à nouveau qu’il ne faut pas ignorer la permanence d’une centralité des concentrations industrielles, ou des formes qui s’en approchent, dans les processus de recomposition des classes populaires occidentales [12].

Logistique de l’enquête : prendre en charge les circulations

22Les travaux réunis dans ce dossier permettent de dégager des propositions méthodologiques et des pistes d’enquêtes sur lesquelles nous souhaitons revenir avant de laisser place aux auteur·rices. Tout d’abord, l’étude d’un secteur économique qui repose sur la circulation, qui produit de la circulation et qui se reproduit sous des formes relativement instables pose la question des positions d’observation adoptées. Davantage qu’un choix rigoureusement délimité, c’est plutôt dans l’articulation entre différentes échelles que ce dossier propose des éléments de réponse. L’échelle internationale y est très présente et c’est sans aucun doute à ce niveau qu’une analyse des architectures du flux peut être produite. Mais c’est en articulant ces données globales à des échelles locales, que ce soit au niveau du bassin d’emplois ou de l’entreprise, que les modes d’exploitation dévoilent leurs mécanismes ainsi que la façon dont ils sont concrètement aménagés par les acteurs.

23Cette approche multiscalaire évite de réifier les niveaux d’analyse pour finalement faire émerger des dynamiques croisées (Werner, Zimmermann, 2003) et des logiques de circulation, non plus seulement de colis mais aussi de pratiques, d’organisation et de structuration des espaces. Plutôt que des comparaisons point par point entre des contextes nationaux différenciés, elle permet de dégager des logiques d’ensemble tout en étant attentive aux agencements particuliers relatifs à chacun des contextes. Partant de ce point de vue, le cheminement ethnographique peut aboutir à des analyses macro-structurelles des processus d’internationalisation des économies et de leurs effets sur le travail et l’emploi (Burawoy, 2009). Ces ethnographies multi-situées (Marcus, 1995) ou comparées (collectif Rosa Bonheur, 2014), opérant le plus souvent sur des temps longs, permettent aussi une observation méticuleuse des différentes facettes qui composent les mécanismes de domination et qui interagissent entre elles, que ce soit au niveau du genre, de la race ou de la classe sociale.

24Lorsqu’il s’agit d’analyser un secteur économique, l’ethnographie comparée est également en mesure de dépasser les tendances à l’homogénéisation, consistant à représenter des activités semblables au sein d’un tout unitaire. Sur ce point en particulier, et bien que l’on puisse en trouver de premiers éléments dans ce dossier, des travaux d’ampleur restent à mener sur le champ des activités logistiques pour en distinguer précisément les sous-champs et leurs modes d’articulation. Les distinctions à opérer ne portent pas seulement sur les différents types de flux – notamment en fonction des biens et matières qui les composent – mais aussi sur la façon dont ils sont traités en fonction des contextes locaux et de leurs différentes caractéristiques. Que ce soit en tant que pôle économique, forme d’organisation du travail, marché d’emplois ou concept managérial, la logistique est de toute manière insérée dans un processus très dynamique, dont le suivi continu soulève à notre sens des enjeux déterminants pour la compréhension des sociétés contemporaines. Enfin, l’ampleur de ces intentions et leur potentielle concrétisation en programmes de recherche soulignent la nécessité et la richesse des enquêtes collectives ainsi que des croisements entre terrains de recherche, processus auquel nous espérons avoir contribué.

Notes

  • [1]
    En y ajoutant les professions du transport, on atteint le chiffre de 1,5 million d’emplois (Enquête Emploi, Insee, 2012).
  • [2]
    En y ajoutant les ouvriers du transport, ils représentent aujourd’hui 25 % des emplois ouvriers (Enquête Emploi, Insee, 1982-2012).
  • [3]
    Les institutions étatiques ont longtemps privilégié le transport, considérant la fonction logistique comme subalterne, mais ce positionnement a évolué au cours des dernières années. La tenue d’une conférence nationale sur la logistique en 2014 marque l’aboutissement d’un travail intense de démarchage opéré par les promoteurs du secteur.
  • [4]
    Yann Darré (1996) parle d’un « coup de force » des promoteurs du secteur pour désigner l’inclusion des ouvriers de la logistique parmi les ouvriers qualifiés, lors des consultations paritaires organisées par l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) en vue de la refondation de la nomenclature des PCS en 1982.
  • [5]
    Le brevet de technicien supérieur (BTS) Technicien supérieur en méthodes et exploitation logistique (TSMEL) a été créé en 1998 par l’AFT-IFTIM (Association pour le développement de la formation professionnelle dans les transports – Institut de formation aux techniques d’implantation et de manutention), devenue AFTRAL (Apprendre et se former en transport et logistique) en 2015. Des certificats d’aptitude professionnelle (CAP) Opérateur logistique, des licences et des masters professionnels sont ensuite apparus.
  • [6]
    Parfois, les recherches et les rapports se focalisent sur toutes les activités de transport, d’entreposage, et des services associés. D’autres fois, l’objet est plus circonscrit et se limite par exemple aux seuls prestataires logistiques spécialisés travaillant pour compte d’autrui. Les rapports et les données disponibles offrent donc souvent une vision partielle car la méthode, la période d’observation et surtout l’objet sont extrêmement variables.
  • [7]
    Le coût total constitue l’ensemble des coûts de production, dès la conception d’une marchandise jusqu’à sa vente, en passant aussi par toutes les différentes phases de stockage et de transport : « L’analyse du coût total vise à rendre compte des coûts réels de distribution au travers de l’ensemble des opérations de l’entreprise, par opposition au segment d’activité délimité traditionnellement associé à ce domaine » (Cowen, 2014, p. 36).
  • [8]
    Au sein de la littérature sur le commerce global et la globalisation (Tsing, 2004 par exemple), le terme « friction » est utilisé de manière très large pour désigner tous les événements qui peuvent perturber la circulation « fluide » des marchandises et des informations, au-delà des conflits au travail : les phénomènes climatiques ou les accidents affectant l’infrastructure de transport par exemple ou, encore, la fermeture temporaire des frontières nationales par les États à la suite d’une guerre ou d’un attentat terroriste. Selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), le commerce mondial dépend d’un système de transport qui a été conçu pour être « aussi exempt de frictions que possible » de telle sorte que « toute défaillance grave du système de transport paralyserait fondamentalement l’économie mondiale » : OCDE (2003), Security in Maritime Transport: Risk Factors and Economic Impact, Paris, OCDE cité par D. Cowen (2014, p. 56).
  • [9]
    À ce sujet, nous renvoyons au travail d’enquête mené par la plateforme Transnational Social Strike sur les grèves dans les entrepôts Amazon : https://www.transnational-strike.info/app/uploads/2020/04/GIORNALE-TSS_Amazon_2019_FRANC%CC%A7AIS_84pp_DEF.pdf ; consulté le 6 juillet 2021.
  • [10]
    Calculs réalisés à partir de l’enquête REPONSE 2016. Ce chiffre ne porte que sur les ouvriers en CDI.
  • [11]
    Cette conjonction entre un syndicalisme faible, une déconnexion entre espaces de travail et d’habitat mais une conflictualité diffuse dans l’entreprise et l’existence d’une contre-culture de classe peut aussi être aussi interprétée comme l’un des facteurs explicatifs des formes prises par les mouvements sociaux ces dernières années, notamment en France avec l’irruption des Gilets jaunes.
  • [12]
    À cet égard, les mobilisations observées en contexte de crise sanitaire, notamment dans les plateformes logistiques du groupe Amazon, sont tout à fait significatives (Benvegnù et al., 2020).

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Carlotta Benvegnù
Centre de recherche en économie de l’université Sorbonne Paris Nord (CEPN, UMR 7234) / Centre de recherches sociologiques et politiques de Paris (Cresppa-CSU).
David Gaborieau
Centre de recherche sur les liens sociaux (Cerlis), Université de Paris.
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Mis en ligne sur Cairn.info le 05/10/2021
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