CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 Depuis les années 1950, les sociologues du travail montrent les ressorts de réalisation et de réification d’un idéal capitaliste, fondé sur la justification, le contrôle et la perpétuation (Dard et al., 2015). Dans l’industrie comme dans la bureaucratie et les services, ils analysent la définition et le déploiement de dispositifs techniques et managériaux de rationalisation, de contrôle du travail et de régulation des relations sociales. Ils étudient leurs effets sur les travailleurs qui s’en saisissent tant pour en contrer les effets contre-productifs que pour redonner un sens à leur activité. Ils identifient des formes de taylorisme renouvelées malgré l’ambition affirmée d’une libération de la peine inhérente au travail entendu comme activité productive (Rot & Vatin, 2016). Ainsi, ils constatent que les travailleurs restent subordonnés aux machines et aux processus de contrôle et de traçabilité de leurs activités définis par des ingénieurs – concepteurs et managers –, également soumis aux pouvoirs financiers (Le Bon, 2015). Pour comprendre les liens entre les transformations du travail et la perpétuation de cet ordre social du capitalisme, nous nous appuyons sur deux études de cas dans l’industrie chimique, héritière du « capitalisme chimique » du xixe siècle (Fressoz, 2014) et l’industrie pharmaceutique, devenue un « monde de règles et de rentes » (Lomba, 2014). Entre 2003 et 2006, nous avons enquêté par périodes intermittentes dans une usine chimique et une usine pharmaceutiques classées SEVESO 2 [2] – en raison des quantités importantes de produits dangereux stockés et utilisés. Nous nous sommes concentrée sur des projets de modifications importantes d’installations, imposés réglementairement et impliquant conception technique et réorganisation du travail. Les enjeux de rentabilité et de performance y étaient centraux. Dans cet article, nous interrogeons en particulier l’utilisation par les ingénieurs de méthodes et d’outils de conception pour justifier les formes de division du travail qu’ils souhaitent imposer. Ces dispositifs ont été beaucoup moins étudiés que leurs équivalents techniques et de gestion. Ils participent pourtant de la construction collective d’un ordre social et matériel. Analyser les discours et les pratiques des acteurs qui les mobilisent permet de comprendre leurs conceptions de la division du travail. Les critiques qu’ils expriment à son encontre révèlent les mécanismes par lesquels elle opère, ses effets sur les individus, les collectifs de travail et l’organisation [3].

2 Les industries chimique et pharmaceutique se sont reconfigurées pour obéir à des logiques de rentabilité et de financiarisation tout en se soumettant à des obligations réglementaires plus nombreuses et plus strictes. L’automatisation massive des process de fabrication s’est accompagnée de la sous-traitance des activités périphériques à la production, notamment la maintenance, le transport et certaines parties de l’ingénierie. Les effectifs dans les ateliers ont été considérablement réduits et le travail de contrôle-surveillance (Rot & Vatin, 2016) s’est substitué en grande partie aux activités manuelles, au contact des installations et des produits.

3 En automatisant, les ingénieurs ont imposé aux travailleurs des formes hybrides d’organisation du travail, articulant planification et flexibilité (Dodier, 1995), pour adapter les modes de production aux exigences du marché. Les tensions entre contrôle et autonomie, prescription et improvisation se sont accrues pendant que les clivages hiérarchiques et professionnels se sont maintenus. Ces oppositions traduisent « l’ambivalence technique et économique d’un côté, morale et sociale de l’autre » de la division du travail (Bidet, Pillon & Vatin, 2000). Cette ambigüité se retrouve dans la relation des acteurs à la division du travail, qu’ils la définissent ou qu’ils en subissent les effets (Séris, 1994). Ils en mobilisent les ressorts comme les critiques dans des discours et des attitudes parfois contradictoires. Nous émettons donc l’hypothèse qu’une compréhension fine de ces ambivalences permettra de mieux comprendre la perpétuation de l’ordre social du capitalisme. C’est pourquoi, nous étudions le travail de modification dans sa technicité, en prenant en compte la distribution des pouvoirs et les conflits socio-organisationnels.

4 Comment les ingénieurs divisent-ils le travail lorsqu’ils modifient des installations ? Quelles critiques les travailleurs élaborent-ils ? Quelles ressources mobilisent-ils pour négocier leurs conditions de travail et plus généralement l’ordre matériel et l’ordre social ? Comment ces différents acteurs pensent-ils les dispositifs techniques ? Le rapport entre l’homme et la machine ? Les pratiques professionnelles ? L’organisation du travail ? Les relations entre ingénieurs (concepteurs et managers) et travailleurs ? Selon quelles logiques – au sens de fondements des actions (Lallement, 2000) ?

5 Dans les deux usines étudiées, une cinquantaine d’entretiens ont été réalisés avec des membres des équipes projets, des opérateurs et leur encadrement, du personnel de la maintenance (locaux et sous-traitants), les ingénieurs et managers impliqués dans les projets et leur pilotage. Ils ont porté sur le travail dans les installations avant modification, le travail de conception, les changements techniques et organisationnels planifiés et en cours, les attentes, les problèmes rencontrés, les solutions proposées et mises en place. Auprès des opérateurs, les échanges concernaient également leurs pratiques de travail et leurs trajectoires professionnelles. Une partie des questions complétaient des observations faites sur le terrain : travail dans les ateliers de fabrications (jour et nuit) et les installations concernées par les modifications et travail de l’équipe projet (réunions de conception, phases d’essais et de démarrage des nouvelles installations). Nous avons également partagé repas et pauses avec les acteurs rencontrés.

6 Après une brève description des projets étudiés, nous analysons les pratiques et les discours des ingénieurs puis ceux des travailleurs. Nous soulignons pour chaque catégorie d’acteurs les ambivalences dans leur rapport à la division du travail. Nous concluons sur les modalités de renouvellement de l’ordre social du capitalisme que ces deux études de cas nous permettent de mettre en évidence.

Mettre le travail à distance pour mieux le diviser

Élaborer des réponses technologiques aux contraintes économiques

7 Dans les deux usines étudiées, chaque direction présente le projet de modification comme indispensable pour répondre aux injonctions réglementaires et faire face à une conjoncture économique difficile. Les ingénieurs chefs de projet reprennent en grande partie ce discours de justification. Ils présentent aux opérateurs de fabrication la modernisation technologique comme une stratégie de survie. Cependant, ils n’explicitent pas la future division du travail. Elle apparaît comme la conséquence naturelle d’un projet de rationalisation post-taylorien (voir par exemple Freyssenet, 1992 ; Linhart, 1993 [4] & 2010 [1994]). Elle se situe ainsi au point de rencontre entre une « visée mercantiliste de maximalisation du profit », une « visée technologique, avec pour but l’efficacité opératoire, la maximalisation du rendement et l’économie de l’effort » et « la visée morale anglaise, fondée sur un principe d’écartement des vertus sociales » (Séris, 1994 : 55). Dans les deux projets, aucune évaluation chiffrée des gains de productivité escomptés n’est discutée au sein de l’équipe projet, ni présentée aux équipes d’opérateurs concernées. Comme l’écrit Thomas, « la technologie ne détermine pas l’organisation, mais l’idée que la technologie soit la seule alternative légitime est déterminante » (Thomas, 1994 : 208). Ainsi, dans les deux cas, les ingénieurs et techniciens définissent des solutions technologiques sans anticiper précisément les caractéristiques de l’organisation et des pratiques de travail. Il ne s’agit pourtant pas d’une stratégie délibérée de leur part, motivée par une trop grande déférence à l’égard du progrès technologique (Noble, 2016). Cette orientation résulte davantage de la combinaison entre une recherche d’objectivation des choix de conception à partir de principes présentés comme scientifiques et la distribution des pouvoirs dans l’organisation. Pour rendre explicite ce constat, nous étudions deux phases fondatrices de la division du travail dans chacun des projets : l’analyse fonctionnelle dans le projet de modernisation du système de conduite informatisé et l’analyse des risques dans le projet de modification du poste de dépotage. Au préalable, nous rappelons les caractéristiques des usines et des ateliers concernés.

8 Dans l’usine chimique, le projet de modification concerne le poste de dépotage d’acide A, extrêmement toxique et dangereux pour l’homme et l’environnement, même en quantités réduites. Le dépotage est une opération qui consiste à transférer l’acide contenu dans des wagons vers les installations. Cet acide est la matière première de l’ensemble des fabrications de l’usine qui en consomme 2 500 tonnes par an. Le projet répond à une injonction réglementaire concernant la maîtrise du risque d’accident majeur. Le poste de dépotage est au centre du scénario majeur d’accident, c’est-à-dire qu’il est le lieu où peut se produire un scénario accidentel ayant des conséquences sur l’environnement du site : le dégagement d’un nuage d’acide. Un arrêté préfectoral impose de transformer ce poste pour confiner les conséquences d’un éventuel accident à l’intérieur du site. La direction de l’usine décide de le rattacher à l’un des deux principaux ateliers de fabrication, ce qui modifie l’organisation des activités de dépotage et celles de l’atelier concerné. Cette mise en conformité est un passage obligé dans une usine soumise à de fortes contraintes économiques de la part de la direction du groupe industriel auquel elle appartient. Si l’exigence réglementaire n’est pas respectée, la préfecture peut ordonner l’arrêt des activités de dépotage, ce qui signerait la fin des activités de l’usine.

9 Cette dernière emploie 140 personnes dont 60 affectées aux activités de fabrication. Les 6 opérateurs polyvalents, affectés au conditionnement des produits et à l’approvisionnement des ateliers, réalisent les opérations de dépotage en binôme, en fonction des besoins des deux principaux ateliers de fabrication. Les opérations de maintenance sont intégralement sous-traitées. La moyenne d’âge des personnels de fabrication est de 48 ans.

10 Dans l’usine pharmaceutique, le projet étudié consiste à remplacer un système informatisé de conduite des process de fabrication de deux intermédiaires médicamenteux : un pour la synthèse de bêtabloquants et l’autre pour celle d’anti-inflammatoires. Installé en 1987, au moment du démarrage de l’atelier, ce système connaît de nombreuses pannes. De plus, il ne permet plus de respecter les réglementations européenne et américaine du médicament qui imposent l’enregistrement informatique de l’intégralité des données de fabrication de chaque lot de produit. Les enjeux économiques sont particulièrement importants, car depuis quelques années, l’atelier subit la concurrence d’usines fabriquant des génériques des deux produits. Il reste performant grâce à la capacité de son personnel à fabriquer des produits de grande qualité, selon les standards réglementaires cités, dans les délais imposés.

11 L’usine emploie 650 personnes dans les unités de fabrication et 1 360 dans son centre de recherche. 54 personnes travaillent dans l’atelier étudié. Il s’étend sur 7 300 m², répartis sur six étages. Les cinq équipes de 8 opérateurs postés réalisent la production en 5 x 8. Ils sont tous syndiqués. Tous les autres personnels travaillent en journée : l’adjoint de fabrication, responsable de l’ensemble des équipes, son supérieur hiérarchique, l’ingénieur responsable de l’atelier, les trois opérateurs affectés au conditionnement des produits, l’agent de maîtrise chargé des consignations [5], l’agent de maîtrise « flux matières » [6] et de la technicienne de laboratoire – unique femme travaillant dans cet atelier –, l’agent de maîtrise spécialiste des procédés, le technicien « système » (informatique), le responsable assurance qualité des produits de l’atelier et son assistant. La moyenne d’âge des personnels de l’atelier est de 43 ans. Les activités de maintenance sont sous-traitées.

Des méthodes d’analyse pour objectiver la division du travail

12 L’analyse fonctionnelle et l’analyse de risques reposent toutes deux sur des méthodes formalisées et normalisées dont l’usage est répandu dans ce type de projets. Les caractéristiques techniques des installations validées à l’issue de ces phases de conception concernent le niveau d’automatisation et la répartition des tâches entre les hommes, et entre les hommes et les machines. Ces résultats servent également de base pour réviser les documents qui guident ou retracent le déroulement des activités (procédures, consignes, modes opératoires, check-lists, fiches de suivi de fabrication).

13 Décrivons rapidement leurs principes et leur mise en œuvre concrète.

14 L’objectif de l’analyse de risques est de rechercher les risques d’accident induits par la future installation et d’identifier les différentes mesures de prévention et de protection nécessaires. Dans ce projet, elle a une valeur officielle. Elle est l’une des principales composantes de l’étude de dangers [7] que l’usine doit remettre dans le cadre de la mise en conformité réglementaire. Dans le projet de modification du poste de dépotage, la méthode d’analyse des risques utilisée est une revue de déviations sur schémas de la future installation, selon la méthode HAZOP (HAZard and OPerability study). Le chef de projet, spécifiquement formé et habilité à l’application de cette méthode, mène chacune des trois réunions de trois heures. Il s’appuie sur une procédure écrite spécifique. Les acteurs de l’équipe projet, un représentant des opérateurs postés dans les ateliers de fabrication, un membre du service médical et l’animateur Sécurité Environnement de l’usine participent également à ces réunions. Le représentant des opérateurs est syndiqué (CGT), il est également élu au CHSCT. Toutefois, le CHSCT ne participe officiellement qu’à la réunion de validation de l’analyse de risques, une fois qu’elle a été finalisée.

15 Lors des réunions d’élaboration de l’analyse de risques, les acteurs réunis examinent les déviations [8] qui peuvent se produire pour chaque phase du procédé sur la base des schémas représentant le futur poste de dépotage. Pour chacune, ils identifient les causes (techniques ou humaines), les conséquences sur le déroulement du process, les moyens techniques ou humains pour les prévenir ou en limiter les conséquences. Ils estiment enfin la probabilité d’occurrence, la gravité et, in fine, le niveau de risque résiduel.

16 L’analyse de risques est à la fois un support de décision et de justification des choix d’automatisation. Si le déroulement des réunions reste très codifié, l’analyse des déviations donne lieu à des discussions sur le niveau d’automatisation des installations et la répartition des tâches entre les hommes et les dispositifs techniques. Toutefois, les différents participants ne disposent pas du même poids dans ces discussions. Lors des entretiens, les opérateurs, le représentant du service médical et l’animateur sécurité environnement soulignent leurs difficultés à participer aux réunions d’analyse des risques. Comme ils n’ont pas été impliqués dans les phases précédentes du travail de conception, ils découvrent les schémas de la future installation en début de réunion.

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On est là en tant que regard extérieur. On peut apporter un plus. Ce sont les premières études de sécurité que j’ai faites… je n’ai jamais rien eu à lire avant les réunions. Je découvrais les schémas le jour de la réunion. Mais j’avais l’avantage de connaître un peu les anciennes installations. – Animateur sécurité

18 Par ailleurs, ils sont les seuls représentants de leur niveau hiérarchique dans l’usine ; la maintenance, essentiellement sous-traitée, est représentée par l’ingénieur responsable du service.

19 Voici un extrait de l’une des trois réunions d’analyse des risques que nous avons observées : le futur poste de dépotage compte de nombreuses vannes à manipuler dans les différentes phases du dépotage. Les risques de confusion pour les opérateurs sont importants. Les vannes sont les points de l’installation les plus susceptibles de connaître des fuites, les exposant à des risques de brûlure très importants. Les acteurs réunis discutent de l’opportunité de conserver des vannes automatisées commandées depuis la salle de contrôle de l’atelier. Les avis sont partagés. Cependant, dans un contexte de restrictions budgétaires, ils optent pour des vannes manuelles, moins chères, en ajoutant des documents-guides (procédures et check-lists) pour les opérateurs.

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Chef du bureau d’études (BE) – Je voudrais revenir sur le scénario des vannes fuyardes.
Le chef de projet (montrant sur le schéma de l’installation) – Il y a ouverture de l’une de ces trois vannes ou l’une de ces vannes est fuyarde.
Chef du BE – Et le wagon est en cours de dépotage (vidange) ?
Opérateur – Et donc il faut vérifier manuellement l’état des vannes ! Il n’y a pas de fin de course ?
Technicien du BE – Avec l’acide A, on a des fins de courses sur toutes les vannes et là on discute parce qu’on est limité en budget !
Chef de projet – Mais on le voit facilement si une vanne est ouverte ou fermée. Et puis, il vaut peut-être mieux vérifier sur place.
Infirmier – Oui, mais ce qui m’inquiète, c’est que celui qui va le faire, il faudra qu’il en vérifie plusieurs et il peut se tromper. Ce sont les fabricants (opérateurs polyvalents, non postés) qui le feront ?
Chef de projet – Oui, toutes ces manip’, ce sont les fabricants qui les feront.
[…]
Chef de projet – En risque résiduel (après avoir défini les moyens de prévention et de limitation des conséquences de la fuite), on conseille d’être au niveau 3. À 2, c’est toléré ; à 1, c’est interdit. Donc une fin de course sur cette vanne, ça peut aider (à réduire le niveau de risque résiduel).
Automaticien – Des cas comme celui-là, il y en a plein sur l’installation.
Chef du BE – Oui, mais dans ce cas, la position correcte, c’est que les cinq vannes soient ouvertes.
Infirmier – Ça en fait, des possibilités d’erreur !
Chef de projet (en consultant de nouveau la procédure d’évaluation du niveau de risques) – On reste en niveau 2, même avec la fin de course […]. Il nous faut mettre quelque chose pour diminuer le niveau de risques.
Chef du BE – Une procédure opérateur ?
Chef de projet – Il y a tellement de vannes ! Je vais mettre un mode opératoire avec une check-list.
Automaticien – Ce qu’on peut faire, c’est leur imprimer ce qui est affiché sur le synoptique avec l’état des vannes avant de les faire aller sur le terrain. Si ce sont toujours les mêmes personnes, ça ira.
Infirmier – Mais ils sont huit et ils sont polyvalents !
Opérateur – Ce qui me fait peur, c’est que le week-end, les postés le feront.
Responsable sécurité – Dans ce cas, il faut qu’ils soient trois.
Automaticien – Si c’est ponctuel, le chef de poste peut venir.
Opérateur – Il faut regarder en termes de charge de travail surtout qu’ils sont sur les deux (grands) ateliers le week-end !

21 Malgré les doutes exprimés, notamment par ceux qui connaissent le travail de dépotage, les fins de courses ne seront pas ajoutées aux vannes. L’installation reste très manuelle et donc dangereuse pour les opérateurs, malgré les modes opératoires et check-lists ajoutés.

22 L’analyse fonctionnelle consiste à diviser l’installation en modules d’équipements selon la fonction [9] qu’ils remplissent dans le procédé. Ce découpage technique définit en fait le niveau d’automatisation de la conduite des process : plus le fonctionnement est intégré, plus le niveau d’automatisation est élevé. Ainsi, il institue la répartition des tâches entre les automates et les opérateurs, ainsi que les modalités de contrôle de leurs actions sur les procédés. Ensuite, les spécialistes procédés traduisent le déroulement détaillé des procédés de fabrication sous forme de recettes en respectant les paramètres physico-chimiques, de l’introduction des matières premières à la sortie des produits finis. À partir de l’analyse fonctionnelle et des recettes, les informaticiens de l’équipe projet programment le nouveau système informatique de conduite.

23 L’adjoint de fabrication, ancien opérateur puis agent de maîtrise posté en 5 x 8 a réalisé la première version de l’analyse fonctionnelle. Il a repris les étapes successives des procédés de fabrication tout en respectant les principes du projet définis par les directions de l’usine et de l’atelier : limiter l’accès des opérateurs au déroulement des process, en ne leur permettant de commander que des blocs (regroupements) d’appareils remplissant une fonction particulière : chauffage des réactifs, transfert, mélange, etc. L’adjoint de fabrication a également défini les instructions que le système renvoie à l’opérateur : les « autorisations », les « interdictions » c’est-à-dire les opérations que les opérateurs ne peuvent effectuer sans contrôle préalable des paramètres physico-chimiques (température, pression, concentration des réactifs, volume…) ou sans l’intervention de leur responsable d’équipe.

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Le système sort de mon cerveau, les autorisations, les instructions, les interdictions… J’ai commencé l’analyse fonctionnelle pour faire la maquette avant de la passer à mon successeur, … [Technicien procédés]. Je n’ai jeté que les bases de l’AF [Analyse Fonctionnelle], c’est le plus intéressant. Des modifications ont été faites ensuite. J’ai travaillé pendant 8 mois sur l’AF, c’est l’équivalent d’un mois et demi à temps plein. – Adjoint de fabrication

25 Dans son travail, il a tenu compte de certaines spécificités de la conduite des process de l’atelier : la complexité des activités de contrôle des valeurs critiques, obligatoires à certaines étapes pour pouvoir poursuivre la fabrication, la durée de certains contrôles, y compris ceux qui nécessitent l’intervention d’un opérateur pour effectuer des prélèvements de produits puis vérifier leurs caractéristiques après analyses en laboratoire. Toutefois, il n’a pas tenu compte des « aléas » de fabrication qui contraignaient les opérateurs à reprendre très fréquemment la main sur le déroulement des process, notamment les pannes récurrentes de capteurs, les incidents procédés lors de certaines phases dites sensibles (du fait du caractère instable du mélange). Par exemple, les opérateurs modifiaient les paramètres chimiques du process en cours (température, concentration du mélange) pour éviter de bloquer la réaction.

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On peut lui faire faire ce qu’on veut. Il [l’ancien système] n’est pas bloquant. Des niveaux ne sont pas bons, on peut lui faire croire que c’est bon. Les forçages, on en fait souvent. Sur un relais on a besoin de charger 1 500 kg, s’il n’y a pas 3 000, il ne veut pas marcher. Donc, on se met en manuel, on lui met 4 000 et il repart. – Opérateur de fabrication

27 Les opérateurs disent maîtriser suffisamment les procédés pour distinguer les erreurs d’affichage d’un système informatique défaillant des aléas physico-chimiques nécessitant un arrêt, une vérification ou une intervention dans les installations. Ils considèrent ces « forçages » comme nécessaires pour pallier les défaillances informatiques et les pannes de matériels dans l’atelier. À l’inverse, l’adjoint de fabrication les qualifie de « mauvaises habitudes ». Il les juge dangereux pour la qualité des produits et pour la sécurité des opérateurs parce qu’ils n’en maîtrisent pas toutes les conséquences.

28 Avec le nouveau système informatique, les opérateurs ne pourront agir que très marginalement, sur le déroulement des process et en fonction de leur niveau hiérarchique. Seuls les agents de maîtrise responsables d’équipe et l’adjoint de fabrication pourront intervenir en cas d’arrêt inopiné. Pourtant, dès les phases préliminaires du projet, certains spécialistes de l’équipe projet s’opposent fermement à l’automatisation massive planifiée.

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Je suis intervenu au niveau de l’analyse fonctionnelle. J’ai insisté pour qu’on ait des remises de fonctions en semi-manuel. Ce système existe mais à un niveau hiérarchique trop élevé dans les équipes. Il faut redonner à l’opérateur un niveau d’intervention suffisamment intégré pour respecter le niveau de sécurité, mais un niveau suffisamment élémentaire pour pouvoir intervenir en cas de problème. – Expert procédés, équipe projet.

30 Cependant, l’adjoint de fabrication et ses supérieurs hiérarchiques maintiennent leurs choix. Et l’équipe projet les respecte dans son travail. Par ailleurs, ces différents acteurs organisent le travail de conception en y intégrant très marginalement les opérateurs. L’équipe projet et la direction de l’atelier organisent les tests sur maquettes avec six opérateurs, sélectionnés pour leur expertise. Puis, une fois les maquettes finalisées, ils planifient la formation de l’ensemble des opérateurs. Dans ces deux étapes du projet, les opérateurs ne peuvent plus remettre en cause le niveau d’automatisation et donc les grands principes de division du travail.

31 Au-delà de la conformité à la réglementation et d’une recherche de sécurité des hommes et des procédés, comment comprendre la volonté de l’adjoint de fabrication et de ses supérieurs hiérarchiques d’exercer une contrainte aussi forte sur des équipes expérimentées, et qui ont démontré leur capacité à maintenir un fonctionnement rentable de l’atelier, malgré un outil informatique défaillant ?

32 L’adjoint de fabrication connaît bien les pratiques réelles des équipes, leurs « arrangements » avec les « bonnes pratiques de fabrication », mais aussi les aléas qui les rendent nécessaires. Il les a lui-même mises en œuvre lorsqu’il était opérateur puis agent de maîtrise posté. Jusqu’à ce projet de modification, il les a tolérées tant que les niveaux de rendement et de qualité restaient satisfaisants.

33 Cependant, comme son supérieur hiérarchique responsable de l’atelier, il poursuit l’ambition de restaurer son autorité sur les équipes d’opérateurs. Celles-ci, très fortement syndiquées, sont devenues très indépendantes. Elles sont connues dans l’usine pour leur tendance à se mettre en grève lorsqu’il s’agit de négocier ressources et conditions de travail. Ce fonctionnement particulier vaut à l’atelier le surnom de « village gaulois ».

34 Ensuite, les choix de l’adjoint de fabrication s’expliquent également par la difficulté de son rôle de cheville ouvrière dans un atelier dont les équipes fonctionnent en autarcie. Au quotidien, son enjeu principal est d’atteindre les objectifs de production : respecter le planning, les quantités commandées et fabriquer de produits conformes aux exigences qualité. Il a besoin de s’informer auprès des équipes du déroulement des activités de l’atelier. Or, l’organisation du travail en 5 x 8 contraint ses relations avec elles. Comme il travaille de jour et en semaine, il ne les côtoie dans les faits qu’un quart du temps. Il a construit des liens de coopération en travaillant au plus près des opérateurs tout en leur concédant une autonomie importante et en acceptant tacitement leurs arrangements et contournements dans la conduite des process. Les opérateurs acceptent cette relation de proximité et son autorité car ils reconnaissent ses compétences, acquises dans leurs rangs. Ils ont également besoin de lui parce qu’il est leur seul relais auprès du responsable de l’atelier pour négocier ressources et conditions de travail. Cependant, avec le nouveau système, l’adjoint de fabrication saisit l’opportunité de pouvoir exercer une autorité et un contrôle accrus tout en faisant moins de concessions (Colmellere, 2015). Grâce à l’enregistrement des données de fabrication et des actions individuelles des opérateurs, il pourra contrôler les activités des équipes très précisément. De plus, comme il disposera de droits d’accès au déroulement des process supérieurs à ceux des agents de maîtrise responsables des équipes, il ne dépendra plus d’eux pour connaître le déroulement des fabrications. Dans le même temps, sa contribution restera indispensable pour le fonctionnement global de l’atelier du fait de sa connaissance approfondie des procédés de fabrication. Pour l’ingénieur responsable de l’atelier et la direction de l’usine, avec cette nouvelle organisation du travail, l’équilibre social de l’atelier sera moins précaire car moins tributaire d’accords tacites et de négociations avec les équipes. Afin de soutenir cette stratégie de contrôle, l’adjoint de fabrication et ses supérieurs hiérarchiques s’investissent dans le projet pour supprimer tous les obstacles à une conduite des fabrications conforme au déroulement programmé. Ainsi, l’adjoint de fabrication participe activement à la formation des opérateurs. Il veille, avec le soutien de l’ingénieur responsable de l’atelier, à la finalisation des programmes informatiques et au traitement systématique des pannes de matériels pour limiter toute occasion de forçage et de contournement du système. Dans le même temps, ils ne font rien pour que des représentants des opérateurs postés contribuent à la définition du niveau d’automatisation et de contrôle de leurs activités.

35 Que nous apprennent ces deux phases d’analyse sur les modalités de mise à distance du travail et le rapport à la division du travail des ingénieurs impliqués dans les projets ?

Diviser pour mieux régner ?

Une division du travail pour des opérateurs modèles

36 Dans l’analyse fonctionnelle comme dans l’analyse de risques, les ingénieurs et techniciens anticipent le déroulement des process en faisant l’hypothèse d’un opérateur générique, toujours égal à lui-même quel que soit son âge, son niveau de qualification, son expérience, les conditions et l’ambiance de travail, le contexte social de l’usine. Ces caractéristiques sont très rarement évoquées dans les discussions dans lesquelles les opérateurs sont dénommés indifféremment « gars », « opérateurs », « personnes », « fabricants ». Dans l’analyse de risques, la différence entre le travail des opérateurs polyvalents, non postés, qui branchent et débranchent les wagons et celui des postés dans les ateliers, qui surveilleront la vidange des wagons, n’est pas toujours explicite.

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Extrait d’une réunion d’analyse de risque, analyse d’un scénario de fuite une fois le wagon connecté aux installations :
Chef de projet – On va regarder les risques liés au dépotage. À la détection de gaz dans les flexibles, le vérin automatique se ferme. La personne ouvre ces vannes (il montre sur le schéma) et après ils peuvent ouvrir les vannes du wagon.
Technicien du BE – Il faut voir si cette vanne ne se referme pas (montrant sur le schéma).
Chef du BE – Il faut également noter qu’il n’y pas de risque en fonction de la variation de température. Il faut le mettre dans l’analyse de risques pour montrer qu’on a tout étudié.

38 De plus, les conséquences d’un incident sur les opérateurs ne sont pas systématiquement explicitées, comme le montre la suite de l’échange ci-dessus.

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Chef du BE – Et si dans cette phase il se produit une rupture franche du flexible, de l’azote se dégage ?
Technicien du BE – Il y aura surtout une jolie fuite, beaucoup de fumée car on décomprime le wagon d’un coup.

40 L’analyse fonctionnelle comme l’analyse des risques sont fondées sur le déroulement des procédés chimiques. Ainsi, les acteurs qui les réalisent ne décrivent pas les activités de travail des opérateurs mais davantage leurs actions sur les process en cours. La nature même de l’analyse fonctionnelle et son caractère préparatoire dans le travail de conception le justifient en partie.

41 En outre, l’encadrement de l’atelier avait décidé de ne pas intégrer d’opérateur posté dans cette phase de travail.

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Ce qui manquait, c’est l’intégration du fabricant. Il y avait un groupe projet technique et on ne demandait pas l’avis du fabriquant, hormis dans le groupe de pilotage pour les grandes décisions. Au niveau technique, la fabrication a son avis à donner. On lui a parfois demandé son avis sur des points précis, mais globalement, elle n’avait pas d’implication sur les aspects relatifs à la conduite de l’atelier… Comme R. (adjoint de fabrication) connaissait l’atelier, il a été considéré comme le représentant de l’atelier à la fois pour les aspects procédés et les aspects fabrication. – Ancien ingénieur procédés (usine pharmaceutique), impliqué dans les phases préliminaires du projet dont l’analyse fonctionnelle

43 L’analyse de risques, parce qu’elle se déroule à un stade plus avancé de la conception et avec la participation de représentants des opérateurs semble plus adaptée à une prise en compte de leur travail. Pourtant, dans les discussions autour des différents scenarii de défaillances, les comportements des opérateurs face à ces situations restent décrits à partir d’un répertoire d’actions génériques : vérifier l’état d’une vanne sur place, effectuer un contrôle, utiliser la procédure de secours… qui ne reflètent pas l’étendue, la complexité ni le caractère collectif de leurs activités. Les termes utilisés se retrouvent dans les dispositifs de gestion (procédures, check-lists, modes opératoires, livret de « bonnes pratiques »), supports du travail. Les causes identifiées des aléas et défaillances peuvent être des défauts de conception technique, des lacunes dans l’organisation du travail ou des erreurs humaines individuelles (erreur de manipulation d’une vanne, oubli d’un contrôle). Mais, dans tous ces cas, les participants explicitent peu les circonstances dans lesquelles les défaillances se produisent et notamment les caractéristiques des situations de travail. Ainsi, la division du travail entre les opérateurs et les dispositifs techniques repose sur l’anticipation d’un travail réduit à des actions individuelles, prévisibles, conformes aux « scripts » (Akrich, 1993) et aux règles qu’ils ont conçus.

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Chef de projet – Il y a aussi la vérification de l’étanchéité liquide. Il y a des risques pendant cette phase. La personne gonfle les flexibles. L’arrivée d’azote, elle ouvre les vannes, si une vanne reste fermée (erreur) l’azote gonfle ce flexible (il montre sur le schéma) et l’autre.
Responsable sécurité – Et tout ça manuellement ?
Technicien du Bureau d’études – Oui, pour l’étanchéité, il [l’opérateur] est obligé d’aller sur place [au plus près des installations]. 

45 Comment comprendre une approche aussi restrictive alors que ces acteurs connaissent bien les capacités des opérateurs à s’écarter des règles et des prescriptions à bon escient lorsque les situations de travail l’exigent ?

46 L’enquête permet d’avancer deux explications : une organisation du travail de conception d’une part et une définition des objectifs des projets, respectueuses de la division du travail à l’œuvre dans les deux usines étudiées, notamment les clivages hiérarchiques entre concepteurs et opérateurs, d’autre part. Comme nous l’avons mentionné, dans les deux cas, l’organisation du travail de conception limite la participation des opérateurs à des phases dans lesquelles ils ne peuvent plus remettre en cause les principes de division du travail que marginalement. Les orientations des projets reflètent également ces choix. Dans le projet de modernisation du système conduite informatisé, les instigateurs du projet et l’encadrement de l’atelier ont choisi de restreindre les possibilités d’action des opérateurs a priori sans retour d’expérience documenté des pratiques qualifiées de « mauvaises habitudes » pour en identifier les circonstances et les causes. De même, dans le projet de modification du poste de dépotage, la décision de rattacher le poste à un grand atelier n’a pas été précédée d’une analyse de l’organisation du travail et des pratiques. Ces deux décisions sont politiques : elles relèvent d’une conception du pouvoir et de l’organisation sociale selon laquelle les opérateurs occupent une position secondaire. Elles ont pour corollaire une focalisation sur la dimension technique du travail de conception. Ce dernier procède même d’un « double éblouissement de la technique ». Le premier éblouissement survient dans les phases préliminaires des projets. Les ingénieurs et techniciens se focalisent sur la solution technique et en particulier sur la manière dont les dispositifs techniques modifiés vont leur permettre de répondre aux objectifs des projets. Cette lecture les conduit à se concentrer sur les objectifs au détriment des moyens et des processus permettant de les atteindre (Thomas, 1994). C’est aussi pour cette raison qu’ils n’examinent qu’en surface les contenus du travail d’exploitation et de maintenance des installations à modifier pour respecter les objectifs du projet. Le deuxième effet d’éblouissement est une conséquence du premier. Les acteurs des équipes projet appréhendent la situation initiale à modifier dans le prisme des dispositifs techniques. Ils l’examinent au regard de ses défauts pour atteindre les objectifs de fiabilité et de performance des fabrications. Ainsi, dans le projet de modification du système de conduite, les responsables de l’atelier analysent les « mauvaises habitudes » des opérateurs comme des conséquences du vieillissement du système informatique et des possibilités d’intervention sur le déroulement des procédés qu’il permet. Peut-on en conclure pour autant que le travail d’analyse des risques et d’analyse fonctionnelle relève d’une simplification a priori pour se saisir de la seule dimension technique de la division du travail ? La relation des ingénieurs et techniciens à la division du travail semble plus ambiguë.

Une objectivité secondaire

47 La division du travail déduite de l’analyse des risques ou de l’analyse fonctionnelle n’obéit pas uniquement à des principes scientifiques. Elle répond également à des contraintes d’ordre social et politique contingentes des situations des usines. Expliquons-nous. Nous l’avons vu, dans le cas de l’usine pharmaceutique, la restauration d’une autorité effective sur des équipes de fabrication devenues ingérables constitue un enjeu majeur pour la compétitivité de l’atelier et de l’usine. Dans le cas de l’usine chimique, les restrictions économiques et l’enjeu réglementaire astreignent les acteurs à se concentrer sur la recevabilité du dossier réglementaire et le respect de l’enveloppe budgétaire. Nous allons le voir, ces obligations entrent souvent en contradiction avec la recherche de conditions de travail sûres pour les travailleurs. Les acteurs des projets le reconnaissent. Ainsi, en réunion d’analyse de risques, certains acteurs s’insurgent contre ce manque de sécurité :

48

Technicien informaticien – Je suis même surpris qu’on n’arrive pas à mettre des fins de courses sur les vannes manuelles. Si avec ça on plombe le budget, autant arrêter tout de suite. C’est quand même important de pouvoir voir à l’écran si les vannes sont bien refermées.
Là, c’est une installation d’aveugle. Avec les fins de course, ils [les opérateurs] seraient plus en sécurité.

49 Dans les deux cas étudiés, les ingénieurs revendiquent le caractère objectif des méthodes qu’ils utilisent. Dans leurs discours, deux types d’arguments légitiment leur usage : leurs fondements scientifiques et leur caractère normalisé et systématique. Ils décrivent des pratiques d’analyse déductives à partir de schémas normalisés des installations.

50

L’Analyse fonctionnelle consiste à découper l’installation en bouts de tuyaux avec tous les organes rattachés à ces bouts de tuyaux ; on part d’un réacteur, on suit les tuyaux jusqu’à la vanne de fond et on prend tous les organes rattachés au réacteur (mesure de poids, de température…). Le réacteur et le tuyau, vanne exclue, forment un module d’équipement. Ensuite on va de la vanne de fond jusqu’à l’organe de sectionnement le plus proche avec tous les organes qui s’y rattachent. Toute l’installation est découpée de la sorte. Pour faire un transfert du réacteur A au réacteur B, on suit le chemin emprunté par le procédé et on crée une phase. Pour chaque module d’équipement, on crée un comportement dont nous avons reconstitué les principales étapes. – Technicien procédés

51 Dans cette perspective, la division du travail apparaît comme le résultat d’un travail scientifique qui permet de déterminer la solution la plus adaptée à l’exploitation des process modifiés.

52 Dans le cas du projet de modification du poste de dépotage, la dimension formelle de l’analyse de risques est renforcée par son caractère officiel : elle constitue une partie du dossier de demande d’autorisation d’exploiter remis aux autorités réglementaires (DREAL). Elle doit démontrer qu’il ne persiste aucun scénario d’incident dont les conséquences ne seraient pas maîtrisées. L’analyse de risques participe donc d’un processus d’administration de la preuve de la maîtrise des dangers dans l’usine.

53 C’est pourquoi, le chef de projet accorde un soin particulier à la présentation des scénarios d’accident étudiés. Comme il rédige pour la première fois ce type de dossier, la direction de l’usine mandate un expert du bureau d’études du groupe industriel pour l’aider. Cet expert souligne la dimension « très technique » de l’étude de dangers et notamment de l’analyse de risques.

54

C’est important, la DAE, car c’est là-dessus que les administrations qui donnent leur avis se fondent. Seule la DREAL connaît l’usine. Le public ne la connaît pas, la Mairie non plus. La seule vitrine sur laquelle ils vont fonder leur avis, c’est le dossier DREAL. Il faut qu’il soit clair, bien présenté, sans fautes d’orthographe, que les termes soient bien choisis. Tout ce qui est marqué doit être vérifiable et/ou justifiable et c’est très technique sur le fond.  – Ingénieur du bureau d’étude du groupe, expert formateur, analyses des risques

55 Au cours d’une réunion de travail en binôme que nous avons observée, il décrit le travail d’analyse comme un exercice d’évaluation et de calcul, pour construire une démonstration chiffrée du niveau de sécurité.

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Il y a deux types de scénarios. Premièrement, les scénarios d’urbanisation. Deuxièmement, les scénarios techniquement vraisemblables. Dans le premier point il y a cinq types : le BLEVE – mais ici on s’en moque –, l’explosion de solides, l’ouverture du plus grand réservoir ; c’est-à-dire ton scénario de rupture de container d’Acide A., tu l’as calculé. Ensuite, la rupture de ligne de plus grand débit, donc la rupture de la ligne de transfert entre le container et le bac relais. Et le feu sous capacité ; pour toi, c’est pas un problème. – Expert
Donc, dans ton étude de dangers, tu dois en présenter deux. Ensuite, il y a les scénarios techniquement vraisemblables : les fuites sur joints et les scénarios de l’étude de déviations. On a classé deux scénarios (dangereux). Mais je vois que tu as fait ce calcul et que tu en as d’autres qui couvrent ceux qu’on a trouvés. – Expert

57 Dans le même temps, les acteurs les plus impliqués dans ces analyses reconnaissent le caractère subjectif des méthodes qu’ils mettent en œuvre. Ainsi, l’adjoint de fabrication de l’atelier pharmaceutique mentionne à plusieurs reprises dans les entretiens que l’analyse « sort de son cerveau ». Les ingénieurs et techniciens du projet de modification du poste de dépotage soulignent l’importance des dimensions subjectives dans l’analyse des scénarios d’événements.

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Il faut avoir une très bonne connaissance des procédés pour arriver au résultat. Quand les risques arrivent à un niveau non acceptable, le premier réflexe est de réviser le scénario. Le scénario, c’est un procédé d’analyse du schéma TI [Technologie Instrumentation], c’est pour ça qu’il faut un groupe pluridisciplinaire : la cotation des risques se fait d’après une matrice. Mais il reste beaucoup de subjectif dans les scénarios. – Responsable des fabrications (usine chimique)

59 L’utilisation du terme de subjectivité, comme les discussions autour des choix d’automatisation révèlent des formes de négociations, parfois décrites dans la littérature comme du « bricolage » (Duclos, 1991). Cependant, dans les deux cas étudiés, ces négociations restent confinées au cercle des ingénieurs et techniciens des équipes projets. Au cours des entretiens, les travailleurs expliquent qu’ils sont peu informés de décisions dont ils subissent pourtant les conséquences dans leur travail.

60 Ainsi, les agents de fabrication postés concernés par la modification du poste de dépotage disent n’avoir que des indications officieuses sur l’avancement du projet.

61

On en a entendu parler à droite et à gauche, mais rien officiellement.
Q. – Quand vous dites « à droite, à gauche » ?
C’est par l’agent maîtrise de jour, C., qui a participé à certaines réunions. On sait qu’il y aura beaucoup de vannes manuelles. On ne sait même pas si le projet est en train de se terminer et même lui ne sait pas grand-chose. – Agent de fabrication, posté (usine chimique)

62 Finalement, les acteurs qui maîtrisent l’application de ces méthodes d’analyse et sont donc pleinement acteurs des processus de négociation et de décisions qu’elles supportent peuvent légitimer la reproduction d’un ordre social déjà existant. Ainsi, si l’on veut comprendre comment se reproduit l’ordre social du capitalisme de ce secteur industriel dans les années 2010, ce n’est pas tant l’efficacité opératoire de ces méthodes que leur « fonction sociale » qu’il importe d’éclairer. Elles supportent l’élaboration de décisions consensuelles et légitiment des dispositions techniques et organisationnelles conformes à la division hiérarchique du travail déjà en vigueur.

63 Le rapport des ingénieurs et des techniciens à la division du travail n’en est pas moins ambigu. Leur façon d’appréhender l’autonomie des opérateurs fait apparaître une contradiction fondamentale. Dans les deux projets, les ingénieurs et techniciens dont certains possèdent une longue expérience des métiers de la fabrication justifient leurs décisions par des discours fatalistes quant à la nature des comportements humains.

64

Ils vont se tromper, forcément… le risque zéro n’existe pas. – Chef de projet (usine chimique)
Quand on est très expérimenté, on ne fait pas toujours attention parce qu’on est trop sûr de soi. – Ingénieur responsable d’atelier (usine pharmaceutique)

65 Dans le projet de modification du système de conduite, l’adjoint de fabrication et ses supérieurs hiérarchiques invoquent une « culture d’atelier particulière » dans laquelle les forçages, le contournement des bonnes pratiques de fabrication et la propension à se mettre en grève sont la norme. Dans les discours de ces acteurs, l’usage du mot culture sous-entend deux caractéristiques du fonctionnement du groupe social des opérateurs. D’une part, ils conçoivent ce groupe comme homogène : les pratiques dangereuses, l’erreur inéluctable et imprévisible, sont attribuées à l’ensemble des opérateurs sans distinction. D’autre part, l’adjoint de fabrication reconnaît que certaines pratiques de contournement des opérateurs sont justifiées dans certaines situations. Mais comme ces supérieurs hiérarchiques, il les considère comme une fatalité. Pour y remédier, ces acteurs ne proposent que des solutions qui limitent les initiatives des opérateurs.

66 Dans le même temps, sans jamais le dire explicitement, ils attendent des mêmes opérateurs qu’ils assurent la sécurité et la fiabilité des procédés face aux dysfonctionnements et aléas.

67 Dans l’atelier pharmaceutique, cette attente se révèlera lors du démarrage chaotique de l’atelier équipé du nouveau système de conduite. Confrontés à des pannes informatiques et matérielles récurrentes, l’adjoint de fabrication et son supérieur hiérarchique accepteront que les opérateurs reprennent la conduite des process en mode manuel. Ils laisseront les agents de maîtrise responsables d’équipe leur transmettre les codes d’accès nécessaires. C’est à cette seule condition que les équipes parviennent à assurer une partie de la production.

68 Ce paradoxe dans la conception de l’autonomie des opérateurs n’est qu’apparent. La tension entre des comportements maîtrisés et une autonomie concédée s’inscrit parfaitement dans une organisation qui articule planification et flexibilité, respect de la division du travail et contournements. Cette polyvalence attendue matérialise les contraintes que l’on fait peser sur les travailleurs au bénéfice de la productivité. Ces acteurs supportent également le risque d’erreur (Hughes, 1951) et la responsabilité associée (Duclos, 1991). Ces attendus, parce qu’ils restent en partie implicites, instituent une division morale du travail dans laquelle ce travail n’est pas une activité « reconnue comme productive » (Rot & Vatin, 2016). Mis à distance, le travail apparaît comme une charge à automatiser et comme une ressource face à d’inévitables problèmes. Cependant, le caractère implicite de ces attentes tend à renforcer les inégalités au sein de collectifs de travail et les clivages hiérarchiques. Les compétences d’improvisation, d’élaboration de solutions ad hoc face à des aléas sont inégalement distribuées entre les individus (Stroobants, 1993 ; Terssac, 1992) et donc les responsabilités en cas d’erreur également. Comme elles ne sont pas officiellement reconnues ni valorisée, elles peuvent diviser les travailleurs et donc nuire à la cohésion des équipes.

69 Ainsi, les méthodes d’analyse utilisées dans le cadre de ces deux projets de modifications, parce qu’elles supportent des processus de négociation et de décision sont en fait les instruments de transmission efficace de la perpétuation d’un ordre matériel, social et moral imposé aux travailleurs.

70 Nous abordons à présent les critiques des travailleurs à l’égard de ces rationalisations techniques et managériales.

Un ordre social négociable ?

71 Dans les deux projets étudiés, les opérateurs sont représentés par des pairs mais ils participent peu à la définition de la division du travail. Ils critiquent fortement les décisions qu’ils estiment imposées par leur hiérarchie. Dans l’atelier pharmaceutique, les opérateurs jugent le niveau d’automatisation trop important pour être compatible avec les exigences du travail de fabrication. Ils s’opposent frontalement à leur hiérarchie, Dans le cas du poste de dépotage, les opérateurs regrettent le manque d’automatisation parce qu’elle les expose à des risques de brûlures. Toutefois, ils choisissent de taire des critiques pourtant unanimement partagées. L’analyse de ces deux situations va nous permettre de caractériser les ambivalences du rapport des opérateurs à la division du travail et de comprendre ce qui les conduit à adopter des stratégies d’action collective différentes.

Négocier la division du travail

72 Le nouveau système de conduite est programmé sur la base des résultats de l’analyse fonctionnelle. Les opérateurs sont impliqués dans les phases d’essais, de formation et de démarrage. Ils rencontrent de nombreux incidents informatiques et des pannes de matériel dans l’atelier. Le démarrage, initialement programmé sur trois mois durera huit mois. Ces dysfonctionnements conduisent à la production de nombreux lots de produits non conformes et donc à d’importants retards dans le planning de fabrication. Les équipes d’opérateurs se saisissent de ces difficultés pour négocier auprès de leur hiérarchie la division du travail imposée. Mais, leurs discours et leurs attitudes restent ambivalents. Ils acceptent comme horizon proche une automatisation de leur atelier conforme à la programmation du système informatique de conduite et donc une perte d’autonomie et d’initiative dans leur travail. Dans le même temps, ils dénoncent une division du travail intenable parce qu’inadaptée aux réalités du travail de fabrication.

73 Ils instaurent un rapport de force avec leurs supérieurs hiérarchiques. Pour eux, la division du travail apparaît comme un ordre social à négocier. Leurs discours et leurs attitudes s’inscrivent dans l’histoire de l’atelier, surnommé le « village gaulois », mais dans lequel les clivages hiérarchiques et de métiers restent particulièrement marqués. Leurs marges de manœuvre se situent dans la complexité de l’organisation du travail de l’atelier, structurée autour du clivage entre les cinq équipes postées en 5 x 8 et le reste du personnel de l’atelier, journalier.

74 Les opérateurs reconnaissent que le nouveau système informatisé permet de réduire les interventions dangereuses sur le déroulement des procédés. Ils expliquent que l’automatisation progressive de l’atelier depuis son démarrage en 1987 a amélioré leurs conditions de travail. Leur exposition aux produits très toxiques et dangereux notamment a été réduite.

75

Les conditions de travail se sont améliorées : on n’en prend moins dans la tête [des produits toxiques et dangereux]. Avant, on était huit heures dans l’atelier. Aujourd’hui sur un quart de huit heures, on est au moins la moitié du temps en salle de contrôle. – Opérateur

76 Toutefois, ils en regrettent la contrepartie : un déroulement réel des procédés qu’ils décrivent comme plus opaque. Ils éprouvent parfois des difficultés à établir un lien effectif entre ce qu’affichent les écrans en salle de contrôle et le déroulement des réactions chimiques dans les installations. De façon plus générale, ils critiquent un travail devenu passif et moins intéressant – le travail de surveillance-contrôle. Ils valorisent les pratiques de travail précédentes, impliquant un engagement corporel et cognitif conséquent. Bien qu’elles fussent plus dangereuses, ils estiment qu’elles constituaient pour eux l’« expérience physique » des installations indispensables à une conduite automatisée des process chimiques plus sûre.

77

Avec l’ancien système, on pouvait tout faire. Là, c’est lui qui commande. Le risque avec l’ancien système c’est que les gens touchaient à tout. J’ai connu des ateliers qui fonctionnaient tout en manuel. Là, c’est le système informatique qui prend tout en charge. J’ai appris le métier sur place, quand tout se faisait à la main (l’opérateur a participé au démarrage de l’atelier en 1987). Je ne sais pas si l’automatisation est un plus pour l’humain. C’est un plus pour la chimie parce que le système fait toujours la même chose… Mais le jour où tout ça (en montrant du doigts les écrans et les murs de la salle de commande) sera figé, plombé, on ne ressentira plus les choses. – Agent de maîtrise de quart

78 Les opérateurs redoutent d’être dépossédés de leur métier. Ils anticipent une perte de compétences individuelles et collectives et s’inquiètent des dangers pour les jeunes générations d’opérateurs.

79

Le risque, c’est de rester sur sa chaise. Quand le système sera figé, dans un an, on sera de plus en plus assistés. Pour les jeunes, ce sera plus dur, parce qu’ils ne connaissent pas l’atelier. Le risque, c’est que, pour eux, ce soit une console de jeux. Quand une colonne (distillation) s’emballe, il faut quand même savoir ce que c’est et réagir en conséquence. – Opérateur posté

80 Ces critiques sont partagées par la plupart des opérateurs. Cependant, ils considèrent l’automatisation poussée de leur travail comme inéluctable. Les opérateurs interviewés considèrent que les dysfonctionnements du nouveau système de conduite sont passagers.

81 Dans l’atelier, ils restent en retrait des discussions entre leur encadrement et l’équipe sur les difficultés de finalisation du système de conduite. Toutefois, ils se mobilisent pour critiquer d’une seule voix la situation de leur atelier. Ils s’appuient sur les dysfonctionnements de démarrage pour s’opposer à la division du travail qu’ils subissent et démontrer qu’ils manquent de moyens pour fabriquer dans les conditions imposées. Ils dénoncent la réduction progressive des ressources de l’atelier – notamment la suppression des postes d’appui à la fabrication et le non-remplacement des départs dans les équipes postées.

82 Les équipes se réunissent et écrivent un courrier de doléances au directeur des fabrications de l’usine pour obtenir la mise à niveau du matériel informatique et des installations, du personnel supplémentaire pour soutenir le travail de fabrication et une compensation financière pour l’ensemble des équipes. Ils menacent de se mettre en grève si la direction ne respecte pas ces demandes. Ce registre de mobilisation s’inscrit dans une histoire des formes de mobilisation collective (Giraud, 2009) propres à cet atelier depuis sa mise en service. Les opérateurs imposent le dispositif de négociation. S’ils s’appuient sur le CHCST pour dénoncer régulièrement leurs conditions de travail, ils reproduisent ici une stratégie d’action qu’ils ont déjà mise en œuvre par le passé, face notamment à un manque important de personnel. Ils y parviennent d’autant plus efficacement, que les mobilisations successives ont soudé les équipes face à leur hiérarchie et légitimé leurs modes d’action.

83

On est assez solidaire dans les équipes. On menace de faire des débrayages (grèves avec arrêt de production) pour des choses que l’on estime justes. Par exemple, il y a deux ans, on était trois opérateurs pour les deux bâtiments de l’atelier (7 500 m²). On a appelé le chef de service [ingénieur responsable de l’atelier] et on a menacé de se mettre en débrayage parce qu’on n’était pas assez pour assumer toutes les tâches.
Q. – Comment la situation a-t-elle évolué ?
On va dire que ça s’est amélioré. – Opérateur

84 Dans le même temps, les équipes élaborent des stratégies concrètes pour continuer à fabriquer. Comme nous l’avons évoqué, avec l’accord tacite de leur hiérarchie, ils adoptent des pratiques de contournement des hiérarchies inscrites dans le nouveau système informatisé : ils utilisent le login et le mot de passe de l’agent de maîtrise responsable de leur équipe pour accéder à un mode de conduite plus manuel et « sortir de produit ».

85 Les équipes obtiendront en partie gain de cause, notamment du personnel supplémentaire pour la maintenance des installations, la maintenance informatique et le suivi des procédés. Elles démontrent au passage à leur hiérarchie que l’automatisation croissante ne permet pas de remplacer les opérateurs mais nécessite au contraire du personnel d’appui supplémentaire.

86 Leurs revendications dépassent le cadre de la division du travail associée au projet de modification. Les équipes inscrivent ainsi leur action à plus long terme, afin de reconstruire des conditions de travail pérennes. Elles conservent ainsi et même renforcent leurs ressources et leur savoir-faire de mobilisation et de négociation collectives.

87 La situation dans l’usine chimique est bien différente.

Dénoncer sans se mobiliser

88 Le poste de dépotage conçu à l’issue du travail de l’équipe projet et notamment de l’analyse de risques reste très manuel : l’ensemble des vannes doivent être manipulées par les opérateurs, exposés à des risques importants en cas de fuite. Les critiques sont unanimes, les opérateurs en charge du branchement et du débranchement des wagons d’acide comme ceux qui surveilleront leur vidange depuis la salle de contrôle de l’atelier fustigent une installation dangereuse pour eux.

89 Plus précisément, les opérateurs et leurs représentants dans l’équipe projet – un opérateur délégué syndical Cgt, un agent de maîtrise journalier et l’infirmier de l’usine – critiquent une installation très manuelle avec de nombreuses vannes à manipuler, complexe et dangereuse pour des opérateurs très polyvalents et souvent déplacés au gré des besoins des différents ateliers, dans une usine en manque chronique d’effectifs.

90

Ce qui me choque dans cette histoire, c’est que j’ai peur qu’un jour ou l’autre, l’opérateur pas trop bien formé fasse une bêtise. On voit comment la formation au poste de travail est faite. On voit que les gens sont déplacés. Là, c’est le pool à la journée qui va le faire. Ils font du conditionnement, ils vont à l’atelier 1, dans les petits ateliers, faire des branchements. Je pense qu’un jour ou l’autre, si ce ne sont pas toujours les mêmes personnes qui le font, il y aura des bêtises. C’est pas à la portée de tout le monde de faire ça, d’être efficace sur tout. – Infirmier

91 Les opérateurs s’inquiètent de la charge de travail supplémentaire pour des opérateurs postés qui ne donneront pas la priorité à la surveillance de la vidange des wagons.

92

L’atelier et le SUG, c’est différent. Les gens de l’atelier ne porteront pas la même attention au dépotage. Au SUG, ils ont une chaudière à surveiller en plus du dépotage. À l’atelier, ils sont deux pour dix écrans. Quand l’un va dans l’atelier, l’autre reste et il va avoir sept écrans à surveiller. Il va pas regarder le dépotage. – Agent de maîtrise Fabrication.

93 Ils reprochent également aux ingénieurs de l’équipe projet de se fonder sur une représentation idéale des activités de dépotage.

94

Des gens décident alors qu’ils n’ont pas d’expérience. C’est très curieux. Regardez par exemple… (l’opérateur dessine au tableau les wagons et les vannes au niveau des branchements). Ils se demandent dans quel ordre dépoter. Là il ne se mettent pas à la place des gens. Je suis inquiet. Il faut se mettre à la place des gens qui n’ont pas que ça à faire, c’est pour ça que beaucoup de vannes manuelles, c’est pas bon. Quand on discute en réunion, j’aimerais bien que les gens viennent voir sur le terrain. – Opérateur Conditionnement/Dépotage

95 Comme dans l’atelier pharmaceutique, les opérateurs inscrivent leurs critiques dans le constat plus général d’une dégradation des conditions de travail dans l’usine depuis une vingtaine d’années. Ils attribuent ces évolutions aux restrictions budgétaires successives, imposées par une direction du groupe industriel qu’ils décrivent comme plus soucieuse de la rentabilité que des conditions de travail et de la sécurité.

96

Quand je suis rentré à l’usine, les conditions de travail n’avaient rien à voir. Il y avait de l’argent et l’entretien se faisait.
Q. – Il ne se fait plus ?
Le préventif non, on fait beaucoup au coup par coup dans l’urgence…
Q. – Quelles sont les conséquences sur votre atelier et votre travail ?
L’atelier se dégrade plus vite. Quand on ne change pas les joints à la maison, ça fuit. Là, c’est pareil, mais ce n’est pas de l’eau ! Surtout au niveau des planchers, c’est impressionnant, les fuites sont importantes. On travaille toujours équipés de la même façon, mais notre appréhension a changé. – Opérateur posté

97 Selon eux, ces orientations ont également conduit à réorganiser le travail pour s’adapter notamment à des modes de production issues des principes du Lean management. Pour accélérer les rythmes de fabrication, les arrêts de production et la durée des phases de maintenance ont été réduits.

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Il faut speeder dans le sens de la fabrication, il faut aller à fond même si l’atelier s’arrête quinze jours après. Dans l’atelier, c’est huit semaines d’arrêt, les commerciaux veulent savoir ce qui sort, à quelle date et en telles quantités… Avant on prenait le temps d’intervenir maintenant on prend plus le temps dans le sens où le groupe chute nationalement et dans le monde, les conditions de travail changent. – Opérateur posté

99 Ces évolutions ont également accru les clivages entre les équipes postées et leur encadrement concernant notamment la gestion de la sécurité. Les opérateurs dénoncent le glissement de leur direction vers un discours axé sur la démonstration de sécurité au détriment de sa réalité effective.

100

Dans la chimie, il y a eu une phase de production, une phase de sécurité puis une phase de rentabilité, maintenant, et qui se fait au détriment de la sécurité. Depuis sept-huit ans, c’est que l’argent, alors qu’il y a vingt ans, c’était la sécurité. On vous disait : « Vous arrêtez l’atelier en cas de problème de sécurité. » Maintenant, on le dit, on l’écrit mais… on ne le fait pas toujours. – Agent de maîtrise, fabrication.

101 Toutefois, s’ils partagent ces critiques et en discutent lors de réunions du CHSCT et dans les ateliers, ils ne se mobilisent pas pour protester auprès de leur direction. Comment comprendre cette absence de protestation autour d’un projet qui concerne pourtant l’un des postes les plus dangereux de l’usine ?

102 Leurs marges de négociation semblent beaucoup plus réduites que celles des opérateurs de l’atelier pharmaceutique. Le dépotage implique des groupes d’opérateurs qui travaillent très peu ensemble : les opérateurs du conditionnement qui branchent et débranchent les wagons d’acide et ceux, postés en atelier, qui piloteront et surveilleront la vidange des wagons. Ensuite, les collectifs d’opérateurs se sont désagrégés du fait d’une perte d’effectifs progressive et du développement de la polyvalence qui contraint l’ensemble des opérateurs à travailler dans plusieurs ateliers selon des rythmes variables et irréguliers imposés par les plannings de production. Enfin, dans une situation économique très difficile, les syndicats d’opérateurs (CGT majoritaire) dont le poids a considérablement diminué, hésitent à s’engager dans un bras de fer avec la direction, la priorité étant la sauvegarde de l’usine. De plus, ils peinent à construire des relations pérennes avec un encadrement renouvelé tous les trois à cinq ans du fait des trajectoires professionnelles des cadres dans ce secteur industriel. Enfin, ils savent également que les autorités réglementaires ne constituent pas un appui pour négocier leurs conditions de travail, car elles dissocient risque majeur (pour l’environnement) et risques professionnels. Ces derniers relèvent de l’Inspection du Travail et ne font pas l’objet d’un examen particulier dans le cadre du projet.

103 Ainsi, les travailleurs de cette usine se résignent à une « coopération contrainte » (Dejours, 1998) avec leur direction. Leurs discours font apparaître un « enrôlement dans la guerre économique » (Dejours, 1998) pour la survie de leur usine. Tenus individuellement et collectivement à ces exigences, les opérateurs se retrouvent contraints à la loyauté à l’égard de leur direction et des objectifs qu’elle définit. Même s’ils jouent un rôle central dans la performance de l’usine, au prix de leur santé et de leur sécurité, la logique de rentabilité semble constituer l’unique cadre d’interprétation et de critique de la division imposée du travail. Au-delà d’une polyvalence exigée, les opérateurs sont réduits à un immobilisme lucide.

Conclusion

104 Les deux enquêtes retracées dans cet article illustrent les transformations successives des industries de flux que sont la chimie et la pharmacie en raison de pressions financières croissantes. Des formes hybrides d’organisations du travail ont été mises en place progressivement. Elles articulent gestion de la production en flux tendus et extension de l’exigence de polyvalence à l’ensemble des travailleurs, tout en conservant des clivages hiérarchiques marqués. Les rapports de coopération comme ceux de subordination en sont recomposés.

105 L’analyse de projets de modification a permis de souligner l’importance du rôle d’outils et de méthodes de conception, beaucoup moins étudiés que les dispositifs de gestion usuellement analysés pour critiquer l’ordre social du capitalisme et ses capacités à absorber les critiques qui lui sont adressées. L’analyse de risques comme l’analyse fonctionnelle ne sont pas seulement des outils, elles supportent des processus de négociation et de décision. Elles constituent également des supports efficaces de justification. Les deux cas étudiés montrent que les cadres (Boltanski & Chiapello, 1999) s’en saisissent bien plus facilement que les travailleurs. Leur poids tient également au fait qu’ils sont utilisés pour démontrer la conformité des propositions techniques auprès des instances réglementaires. Ces deux supports de conception légitiment un ordre social et matériel inscrit dans les dispositifs techniques et les installations modifiées. Ils soutiennent d’autant mieux les orientations du management de l’usine et du groupe industriel qu’ils sont mobilisés dans une organisation du travail en équipe projet qui reproduit les divisions déjà présentes dans l’usine. Fondés sur le déroulement des process, ils permettent aux ingénieurs et techniciens de mettre à distance le travail pour en redéfinir les contours. Toutefois, leur ambivalence dans leurs relations à la division du travail montre bien que les modes d’organisation mis en place et les principes revendiqués ne sont pas complètement cohérents. Or, ce sont ces divergences qui permettent de comprendre les difficultés quotidiennes dans opérateurs dans leur travail et dans leur rapport à ce dernier (Cousin, 2006).

106 Les travailleurs des deux usines critiquent explicitement la division du travail qu’ils s’apprêtent à subir. Toutefois, leur mobilisation pour en négocier les principes et les modalités concrètes dépend du poids des conflits socio-organisationnels et de leurs capacités de mobilisation collectives. Héritiers et acteurs d’une histoire de fortes mobilisations, les opérateurs de l’atelier pharmaceutique se saisissent de la division du travail imposée pour revendiquer des ressources d’appui à la fabrication. Cependant, ces opérateurs « intégrés » (Paugam, 2008) ne redéfinissent l’ordre matériel et social imposé qu’à la marge, car le manque de ressources qu’ils dénoncent n’est pas la conséquence du projet en cours. Les opérateurs de l’usine chimique sont également très critiques, face à une installation très manuelle et dangereuse. Cependant, éclatés par l’exigence de polyvalence et d’adaptation à des plannings et à des modes de production mouvants, ils ne se mobilisent pas. Ainsi, dans les deux cas, les travailleurs renoncent au moins en partie à leur « pouvoir d’agir » (Clot, 2008). Ils sont en quelque sorte contraint de coopérer à leur propre aliénation, aliénation matérielle car ils sont dépossédés de la possibilité de définir les installations et les outils de travail ; aliénation sociale du fait de la division instituée entre conception et exécution et de la délégation tacite aux opérateurs de la prise en charge des dysfonctionnements et de la responsabilité en cas d’erreur. Ce clivage entre travail de conception et travail d’exécution, mais aussi entre le travail attendu et valorisé, conforme aux principes de la division du travail qu’ils ont conçus, et le travail implicitement délégué, composante essentielle du « vrai travail », institue la division morale du travail. Pourtant, cette partie rendue invisible du travail est justement le pilier de la productivité et de la sécurité présentées comme objectifs premiers des usines.

107 Les phases de modifications de l’appareil de production technique et organisationnel contribuent à mieux comprendre les ressorts de perpétuation de l’ordre social du capitalisme. Leur étude révèle la manière dont les industriels optimisent les productions, organisent, rationalisent et contrôlent le travail en se saisissant des contraintes réglementaires. L’analyse des pratiques et des discours montre que les contributions des différents acteurs à cette perpétuation, même malgré eux, se jouent dans les interstices d’une hybridité organisationnelle et de leurs ambivalences à l’égard de la division du travail. Elles interrogent donc les modalités de régulation du travail, dans les industries du flux comme dans d’autres secteurs d’activité qui connaissent les mêmes évolutions.

Notes

  • [1]
    Institutions et dynamiques historiques de l’économie & de la société ; bâtiment Laplace, 61 boulevard du Présdent Wilson, 94230 Cachan
  • [2]
    Déclinée dans le droit français, la directive Seveso 2 soumet les établissements les plus dangereux à un régime d’autorisation. Pour chaque nouvel établissement ou chaque nouvelle installation dans un établissement déjà en fonctionnement, la procédure de demande d’autorisation d’exploiter impose à l’industriel de constituer un dossier spécifique contenant une étude d’impacts et une étude des dangers. L’usine étudiée est classée Seveso 2 en raison de quantités importantes de produits dangereux stockés et utilisés, notamment dans l’atelier concerné.
  • [3]
    Si la situation plus globale de chaque usine a été considérée, nous ne détaillons pas dans cet article l’organisation du travail des équipes projet et des instances de pilotage. De même, nous n’avons pas cherché à mettre en évidence les différences entre l’industrie pharmaceutique et l’industrie chimique. Il ne s’agit pas tant de comparer précisément les ressources mises en œuvre dans chaque situation que de caractériser les tensions et les ambiguïtés autour de la division du travail et d’en comprendre les ressorts.
  • [4]
    Voir également, dans ce numéro de Sociologie du travail de 1993/1, les articles suivants : Velz & Zarifian, 1993 ; Maurice, 1993.
  • [5]
    Pour permettre les interventions de maintenance courantes et planifiées (réparations, modifications, remplacement de matériel, les installations concernées sont mises à l’arrêt (consignées).
  • [6]
    Cet agent de maîtrise gère les entrées et sorties de matières premières et des produits pour l’atelier.
  • [7]
    Comme l’usine est classée Seveso 2, la modification réglementaire s’inscrit dans une procédure officielle de demande d’autorisation d’exploiter l’installation modifiée. Le dossier de demande d’autorisation d’exploiter rédigé par l’industriel comporte une étude des dangers et une étude d’impacts sur l’environnement. L’analyse des risques constitue la pièce maîtresse de l’étude des dangers.
  • [8]
    Une déviation exprimée en affectant un mot guide (plus de, moins de, bas, élevé, inverse) à un paramètre de fonctionnement du procédé de dépotage (température, pression, débit) ; par exemple : température haute, débit bas, pression élevée, etc.
  • [9]
    Parmi les fonctions les plus courantes : le chauffage, la distillation, la filtration.
Français

Cet article porte sur la perpétuation de l’ordre social du capitalisme dans deux industries de flux – la chimie et la pharmacie. Les deux études de cas approfondies concernent des modifications importantes des installations et de l’organisation du travail. L’analyse du travail de modification montre que : 1) les ingénieurs et managers se saisissent de la division du travail comme d’un objet scientifique pour agir sur les relations sociales et les relations hommes-machine, 2) les travailleurs déploient des formes de résistances individuelles et collectives, en réponse à cette rationalité technicienne et managériale. Au-delà de ce constat bien connu, l’étude du travail de ces différents acteurs révèle qu’ils mobilisent les ressorts comme les critiques de la division du travail dans des discours et des attitudes parfois contradictoires. Elle contribue ainsi à la compréhension du travail et de ses régulations en lien avec les reconfigurations de l’ordre social du capitalisme.

Mots-clés

  • division du travail
  • industrie de flux
  • automatisation
  • ordre social du capitalisme
  • rationalité technicienne
English

Controlling work and social relationships? Tensions and ambivalences about division of labour in chemical and pharmaceutical industry

This article analyses the perpetuation of the social order of capitalism in two flow industries - chemistry and pharmacy. The two in-depth case studies deal with major changes in facilities and work organization. The analysis shows that: 1) engineers and managers use the division of work as a scientific tool to act on social relations and human-machine relations; 2) workers develop individual and collective resistances, in response to this technical and managerial rationality. Beyond this well-known result, the study of these actors’ discourses and practices reveals that they mobilize resources as well as critics of the division of work in sometimes contradictory discourses and attitudes. It thus contributes to the understanding of work and its regulations in the perspective of the reconfigurations of the social order of capitalism.

Keywords

  • Division of Labour
  • Flow Industry
  • Automation
  • Social Order of Capitalism
  • Technical Rationality

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Cynthia Colmellere
IDHe.S [1] (UMR 8533), ENS Paris-Saclay
CentraleSupélec (Saclay)
  • [1]
    Institutions et dynamiques historiques de l’économie & de la société ; bâtiment Laplace, 61 boulevard du Présdent Wilson, 94230 Cachan
Mis en ligne sur Cairn.info le 12/01/2018
https://doi.org/10.3917/lhs.205.0211
Pour citer cet article
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