CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Si le terme de « vertu » apparaît avec une assez grande fréquence dans La Comédie humaine[1], il est loin d’avoir une signification univoque [2]. De fait, Balzac couvre quasiment la palette des sens que lui attribue le Littré, et surtout ceux qui nous intéressent ici: 1) « Force morale, courage » ; 2) « Ferme disposition de l’âme à fuir le mal et à faire le bien » ; 5) « Chasteté ». Ce dernier sens, visible à partir du xviie siècle notamment dans les pièces de Molière ou de Racine, occupe la première place dans l’Encyclopédie de 1765 et domine dans La Nouvelle Héloïse[3]. Au xixe siècle, comme c’est le cas encore aujourd’hui, l’adjectif « vertueux » ne s’accorde presque plus qu’au féminin. Il est paradoxal que la virtus qui désignait à l’origine des caractéristiques considérées comme purement masculines – le courage, la force, l’énergie morale – se soit déclinée jusqu’à devenir l’attribut de la femme fidèle. Cette évolution reflète la transition qui s’est opérée avec les Lumières d’une morale de la vertu vers une morale du devoir, c’est-à-dire d’une morale où l’exercice de la vertu garantit le bonheur à travers l’accomplisse­ment de l’être dans une morale civique d’obéissance à des lois séculières, souvent au détriment de son bien-être personnel. Dans le paysage légal du xixe siècle instauré par le Code de Napoléon, la femme est en effet soumise au devoir de dévouement et de chasteté, étant celle dont la sexualité doit être refoulée pour le bon fonctionnement de la société bourgeoise. Cependant, et bien qu’il y ait dans La Comédie humaine assez peu de femmes « vertueuses » pour pouvoir s’y intéresser, ce n’est pas la chasteté en soi qui attire notre attention chez les personnages féminins dont il sera question ici, mais leur vertu dans un sens plus originel.

2On sait que l’arétè telle que l’emploie Homère, et quatre siècles plus tard Aristote, signifie l’excellence d’un être – humain ou animal, masculin ou féminin – ou même d’une chose par rapport à sa fonction. Il existe néanmoins chez les héros homériques, puis chez leurs héritiers tragiques, une force vitale, une volonté exacerbée que la morale aristotélicienne n’hésiterait pas à réprouver comme excès. C’est cette énergie – la virtù – que Machiavel préconise dans son portrait du prince, dont Stendhal revêt ses personnages italiens, et que Nietzsche oppose à la morale de l’esclave [4]. De ce point de vue, la vertu balzacienne ne cadre pas avec les définitions de l’époque, car celle de Mme de Mortsauf va bien au-delà de ce que requiert la morale ambiante, et Adeline Hulot ne fait preuve de véritable vertu que lorsqu’elle se fait la violence de séduire Crevel afin de sauver sa famille. La vertu devient cette force de caractère qui les apparente aux Antigone ou aux Electre, et par là une nouvelle forme d’héroïsme. Comme le remarque Jacques-David Ebguy, représenter un héros dans un monde où règne « le grand flou de l’indifférenciation » est pour Balzac une question de « possibilité même du sens » [5]. Le problème de la vertu se pose de manière similaire, puisqu’il s’agit d’en trouver des critères alors qu’elle se trouve désormais privée de fondement métaphysique ou religieux. La Comédie humaine semble témoigner que les tentatives des philosophes des Lumières pour ériger un système rationnel de la morale se révèlent vouées à l’échec, puisque la pratique de la vertu ne semble justifiée sous aucune logique. Schopenhauer l’affirmait avec une pointe d’ironie à l’égard de Kant, tout principe de vertu devant reposer sur une explication totale du monde, l’éthique ne peut exister en l’absence d’une telle explication [6]. L’éthique balzacienne est justement un questionnement sur le sens de la vie humaine dans un monde déserté par les valeurs spirituelles qui l’habitaient.

3Néanmoins la vertu ne se confond pas totalement avec l’héroïsme, même si l’intersection entre les deux est évidente. C’est d’ailleurs leur divorce qui a marqué la modernité littéraire. Si la problématique du héros concerne les domaines narrato­logique et sociologique du roman, la vertu se tourne davantage vers l’éthique et la psychologie. En effet, il s’agit moins de mettre l’accent sur la singularité, « la non-congruence du personnage passionné et du monde [7] », que de creuser le dilemme moral auquel sa passion le confronte, ainsi que l’acte de foi que cette même passion rend possible. On se figure souvent Balzac comme un grand cynique, racontant avec flegme les ironies du sort et la victoire de l’argent. Vautrin serait alors son porte-parole privilégié, surtout lorsqu’il considère que « là [où] est la vertu dans toute la fleur de sa bêtise [...] là est la misère. » Que serait en effet la vertu « si Dieu nous faisait la mauvaise plaisanterie de s’absenter au jugement dernier » [8] ? Faute de Dieu, il y a pourtant un narrateur qui signale la mauvaise foi de Rastignac « voul[ant] se tromper [soi]-même », et « prêt à faire à sa maîtresse le sacrifice de sa conscience » [9]. Ici Balzac adopte un critère moral certes inopérant mais qu’il pose comme absolu : l’authenticité, c’est-à-dire l’adéquation avec sa propre conscience. Mais quel est donc le contenu de cette conscience ? Nul doute que l’éthique est une des préoccupations majeures du romancier et qu’il s’interroge sur les conditions de sa possibilité, alors même qu’il décrit une société qui en est dépourvue. La posture morale du légitimiste Balzac semble s’installer dans la continuité de la morale chrétienne, mais non sans en transformer les prémisses, qu’il est conscient de ne pouvoir partager. Il ne s’agit donc ni plus ni moins que de donner de nouveaux fondements à une morale devenue quasiment anachronique et ainsi de redéfinir ce concept usé jusqu’à la corde qu’est la vertu, ce qui entraîne nécessairement une déviation de sens. Cette redéfinition de la vertu rejoint paradoxalement le sens originaire grec. Ceci explique parfois « l’articulation improbable du légitimisme et du machiavélisme [10] », mais aussi le caractère moralement ambigu de ses personnages les plus grandioses. C’est donc en nous penchant sur deux de ces héroïnes à la vertu ambiguë [11] que nous examinerons les modalités et les contradictions d’une éthique balzacienne [12].

Mme de Mortsauf, l’absolu de la vertu

4Dès sa parution en 1836 et jusqu’à récemment, on a beaucoup glosé sur la vertu de Mme de Mortsauf [13]. Nicole Mozet a montré que malgré les coupures effectuées par l’auteur sur l’avis de Mme de Berny, le texte était resté dérangeant, non pas à cause d’un manquement à la vertu, mais parce que « la frontière entre le bien et le mal [n’est] pas clairement tracée [14] ». De fait, les contemporains ont surtout été scandalisés par le réveil de la chair chez cette femme vertueuse [15], et peu ont vu que c’était cette « lutte de la matière et de l’esprit [16] » qui la rendait véritablement sublime. Plus tard, les critiques ont reconnu selon les vœux de Balzac l’épreuve digne de « la passion du Christ au Mont des Oliviers » que la comtesse surmonte en « sainte catholique » [17]. Mais l’attention s’est surtout focalisée sur le désir et son langage [18], comme s’il n’y avait finalement que très peu à dire sur la vertu. Celle-ci est, à vrai dire, une qualité obsolète dans La Comédie humaine, et il est compréhensible que Balzac n’aurait pu situer cette histoire à Paris. Ce n’est que là, dans ce château isolé dans la vallée de l’Indre, au sein d’un paysage trop idéal pour être réel, qu’une Henriette de Mortsauf peut exister. L’intrigue est pourtant solidement ancrée dans l’histoire de la Restauration, et dans un lieu que Balzac affectionne parmi tous. Comme le colonel Chabert, Mme de Mortsauf est un être en exil, aussi éloignée de son temps qu’elle l’est de la capitale. Lys des rois de France, elle fait sa première apparition lors d’un bal fêtant leur retour [19]. À travers l’héroïne, c’est une éthique de l’Ancien Régime qui ressuscite, et qui garantit dans un premier temps à Félix sa promotion. Il est remarquable que l’éthique soit représentée comme historiquement limitée. On a déjà relevé l’irréalisme des principes énoncés dans la longue lettre moralisatrice d’Henriette à l’entrée de Félix dans le monde, contrastant avec les sermons de Vautrin, et avec les conclusions des Études de mœurs en général. Paule Petitier note que l’aménagement de Clochegourde mime le projet politique de « restauration d’un pouvoir de la noblesse », et que c’est l’échec d’un tel projet qui garantit la réussite esthétique du roman [20]. La sauvegarde de la noblesse constitue le noyau de l’éthique qu’Henriette inculque à Félix : « Noblesse oblige » (1091, 1093, 1096). Celle qui interdit au vicomte de Vandenesse de faillir à « sa noble devise [...] : Ne se vend ! » (1066) prend bel et bien l’adage au mot. De même que l’arétè homérique, la noblesse invoquée est certes une noblesse idéalisée plutôt qu’une réalité historique, mais c’est un idéal éthique qui avait alors une raison d’être, un fondement dans le système socio-politique – ce qui n’est plus du tout le cas lors de la rédaction du roman.

5Ainsi historicisé, le concept de vertu ne cesse d’être relativisé, c’est-à-dire déconstruit tout au long du roman. D’ailleurs, lady Dudley propose une autre manière de définir la noblesse : « dans nos plates mœurs modernes, l’aristocratie ne peut plus se relever que par l’extraordinaire des sentiments [...] aimer, tête levée, à contresens de la loi, mourir pour l’idole que l’on s’est choisie en se taillant un linceul dans les draps de son lit [...] » (1147). Mis de côté l’emphase et le cynisme présents derrière ces paroles, Arabelle énonce le code de l’éthique romantique qui promeut l’authenticité du moi et de ses sentiments aux dépens de la loi ou de la religion. George Sand avait d’ailleurs récemment lancé un plaidoyer pour le droit du cœur avec Indiana et Valentine (1832). Comme les deux héroïnes éponymes de ces romans, et comme la plupart des héroïnes mal mariées des romans de l’adultère féminin du xixe siècle, la comtesse est victime d’une morale aliénante qui la soumet « corps et biens » (1120) à son mari : mariée à un homme déjà vieux et malade, elle doit se sacrifier sous le poids de son humeur et de la mauvaise santé de ses enfants. Cette vertu qui la force à se soumettre à un joug aliénant est-elle justifiable [21] ? Comme le suggère Lady Dudley, n’est-il pas plus courageux, plus « héroïque » de tout sacrifier pour l’amour ? G. Mathieu-Castellani, après avoir démontré la parenté du Lys avec la 26e nouvelle de L’Heptaméron, conclut que la dimension polyphonique de celui-ci se retrouve dans celui-là [22]. Dans ce roman qui inclut dans son dispositif narratif toutes les interprétations, les critiques, les controverses dont il peut faire l’objet, on pourrait dire avec Nietzsche qu’« il n’y a pas de faits, mais seulement des interprétations », et ce d’autant plus que pour une fois il n’y a pas de narrateur « hétérodiégétique » assumant le dernier mot du roman. Les efforts de Félix pour réaffirmer une morale manichéenne assise sur les distinctions bien/mal (« J’aimais un ange et un démon ; deux femmes également belles, parées l’une de toutes les vertus [...], l’autre de tous les vices » (1183)), âme/corps (« [Arabelle] était la maîtresse du corps. Mme de Mortsauf était l’épouse de l’âme » (1146)) et ainsi de préserver son « Lys » dans sa pureté immaculée, sont sans cesse déjoués par l’identification de Mme de Mortsauf à Arabelle dans la dernière partie du roman [23]. D’autre part, Natalie vante dans sa lettre de refus la « vertu des hommes à bonne fortune » (1128), faisant ainsi écho à Félix qui expose plus tôt le double critère selon lequel la vertu masculine consiste­rait à respecter le « Code-Homme [qui] fait en galanterie un devoir du mensonge » (1179). La « vertu » se révèle non seulement changeante selon les époques, les mœurs et les sexes, mais indéterminée quant à son champ lexical, s’étendant sans crier gare de la vertu-chasteté à « toutes les vertus », puis se diluant dans le sens mondain de « savoir-vivre », souvent synonyme de « duplicité », c’est-à-dire le contraire de sa signification originelle.

6Cette vertu instable est le reflet d’un monde où elle n’a plus de raison d’être. Félix lui-même a une conscience douloureuse de l’inanité de la justice humaine, et sa condamnation du monde rejoint alors celle de Vautrin : « Ici, le génie du mal est trop visiblement le maître, et je n’ose accuser Dieu. Malheur sans remède, qui donc s’amuse à vous tisser ? » (1079) ; « Quelle faiblesse et quelle impuissance dans la justice humaine ! » (1193) [24]. À ce monde amoral, où la souffrance est le prix de la vertu, la recherche du plaisir telle que la professe Arabelle semble être une réponse adéquate. La vie est appréhendée comme une suite de moments présents, comme pour le séducteur de Kierkegaard, représentant du choix esthétique [25] : « [...] cet amour qui a des beautés accablantes, une électricité à lui, qui vous introduit souvent dans les cieux par les portes d’ivoire de son demi-sommeil, ou qui vous enlève en croupe sur ses reins ailés. Amour horriblement ingrat, qui rit sur les cadavres de ceux qu’il tue ; amour sans mémoire [...] » (1145). Son amour ne se soucie ni du passé, ni du futur – puisqu’au moment où Félix écrit, pour elle, il y a longtemps qu’il était « un étranger », « elle ne [le] connaissait pas » (1224). Contrairement à cette « femme qui ne reconnaît pas de lois [et qui] est bien près de n’écouter que ses caprices », qui « n’[a] pas reçu le don de constance » (1173), Mme de Mortsauf poursuit une forme de pérennité, de stabilité apte à orienter sa vie et celle des siens. Là est la signification de sa fidélité à son mari, ses enfants d’abord, mais surtout à des valeurs paraissant périmées : garantir le présent et l’avenir de son entourage. Car c’est de cela qu’il s’agit, même si elle affirme, marchant déjà vers la mort, que « pour qui veut vivre dans la zone céleste, Dieu seul est possible. Notre âme doit être alors détachée de toutes les choses terrestres » (1168). Plutôt qu’un pari pour l’au-delà, sa vertu est véritablement un principe de vie « bonne », non seulement pour ses enfants et son mari, mais pour elle-même. Ce principe est la force agissante qui organise et vitalise le petit monde de Clochegourde, comme le manifeste l’activité agricole qu’elle y dirige, digne de « Géorgiques françaises [26] ». De même que dans le poème antique la culture permettait aux hommes de transformer le chaos en cosmos, Henriette reste fidèle à une éthique qui relie sa vie à sa famille, à une communauté, à leur histoire et leurs valeurs, et qui ainsi lui donne un sens. Même la dernière partie de sa lettre « posthume » est tournée vers l’avenir de son projet familial, puisqu’elle assigne à Félix « le droit de continuer [s]on œuvre » (1219). Pour Alasdair McIntyre, la question éthique est inséparable de l’intelligibilité narrative d’une vie qui s’inscrit et s’emboîte elle-même dans plusieurs autres histoires [27]. Même si l’on admet que la plupart des vies humaines sont largement dominées par l’imprévisibilité et l’incohérence, c’est la reconnaissance d’une dimension téléologique – aussi infime soit-elle – qui fonde toute considération éthique [28]. Le romancier de la volonté qu’était Balzac ne pouvait que souscrire à une telle vision téléologique, et c’est ce qui le fait adhérer à la monarchie et à la religion contre le pouvoir informe et capricieux de l’argent.

7On a souvent considéré que la lettre de Natalie contenait le dernier mot de la fable [29]. À cette lettre incisive qui déconstruit l’édifice idéalisant la mémoire de Mme de Mortsauf fait pendant celle de l’intéressée elle-même, certes dévastatrice à sa manière, mais pour mieux (re-)construire. En prenant son récit en main, elle déconstruit l’image idéalisée dont la recouvrait Félix, mais elle advient en tant que sujet du désir, désir des sens, mais aussi désir de sens. C’est à travers le conflit qu’elle prend conscience des deux en même temps, et qu’elle se découvre la force d’une volonté qu’elle paye au prix de sa vie. La vertu d’Henriette dépasse donc largement la soumission aliénante à la loi patriarcale, mais aussi à l’idéalisation romantique. Comme le souligne Michel Lichtlé, il s’agit d’un choix subjectif [30], assumé par amour envers les siens et dignité envers soi-même, d’un exercice de son libre arbitre − « Laissez-moi mon libre arbitre », dit-elle à Félix −, si libre arbitre il y a pour l’humain. Le point culminant de ce choix est le serment qu’elle prononce de ne jamais se remarier si le comte venait à mourir. Pour Peter Brooks, ce serment est « imaginaire » au sens lacanien, c’est-à-dire « basé sur l’intériorisation d’une image leurrante qu’elle perçoit à travers les yeux de l’Autre ». Le critique dénonce une vertu « qui n’est plus un impératif moral mais qui est devenu un sentiment  [31] », une sorte d’auto-satisfaction lui permettant de refouler précairement ses véritables désirs. En posant le diagnostic d’« hystérie de conversion [32] » sur la maladie finale de la comtesse, et même si cette fois c’est pour prendre le parti du désir contre la vertu, Brooks se met dans la lignée des critiques qui, dès la parution du roman, manifestent leur perplexité devant une contradiction considérée comme insoluble. Mais il y a justement chez Mme de Mortsauf un désir de vertu : autrement dit, « l’impératif moral » est lui aussi dicté par le « sentiment » [33]. Le sentiment maternel, la pitié, qui lui sont naturels, sont les liens indissolubles qui l’attachent à sa famille.

8

Sachez-le, monsieur, mon cœur est comme enivré de maternité ! Je n’aime M. de Mortsauf ni par devoir social, ni par calcul de béatitudes éternelles à gagner ; mais par un irrésistible sentiment qui l’attache à toutes les fibres de mon cœur. [...] Ma confession ne vous a-t-elle donc pas assez montré les trois enfants auxquels je ne dois jamais faillir, sur lesquels je dois faire pleuvoir une rosée réparatrice, et faire rayonner mon âme sans en adultérer la moindre parcelle (1034-1035) ?

9À son mari qui la somme d’expliquer ce qu’elle entend par « se sacrifier », elle laisse entendre que la vertu pour elle ne saurait être un précepte tautologique, ni un tribut à une instance transcendante, mais une « inépuisable et volontaire affection » (1164) : « [...] seriez-vous donc satisfait d’être aimé pour l’amour de Dieu, ou de savoir votre femme vertueuse pour la vertu en elle-même ? » (1163). Henriette puise la force de sa vertu dans son tempérament passionné. Son amour et sa fidélité sont deux faces d’une même énergie vitale, qui lui imposent donc un choix impossible. Il faut mesurer la force d’une volonté tendue vers le choix éthique, vers l’idéal de pureté qui prend pour elle l’autorité d’un absolu : « La pureté de ma conduite fait ma force. La vertu, cher enfant, a des eaux saintes où l’on se retrempe et d’où l’on sort renouvelé à l’amour de Dieu » (1077-1078). Arlette Michel a bien rendu justice à cette « morale du sublime », où l’idéal n’est pas « entendu [...] comme réconfortante et vague rêverie mais comme mesure absolue du réel [34] ». Cette « mesure absolue » est le critère sous-jacent de La Comédie humaine qui permet de poser « un point de vue sur la ville », même lorsque le narrateur paraît le plus cynique. C’est pourquoi le perspectivisme balzacien n’est pas un relativisme vulgaire, opportuniste, mais comme chez Leibniz, l’exigence d’un point de vue, d’une mesure grâce auxquels le sens du monde peut émerger [35]. La religion et la monarchie prennent là leur signification, comme support de ce critère absolu. Le monde de Balzac montre que ce n’est que comme absolu que l’éthique peut encore exister, au-delà de tout argument rationnel, métaphysique, ou utilitariste. Plutôt qu’un impératif catégorique, l’éthique balzacienne se rapprocherait de cette « mesure incommensurable, infinie » qu’est le désir lacanien [36], puisqu’il n’y pas de devoir qu’une « bonne volonté » autonome – de tout penchant individuel – érigerait en loi, mais un désir de vertu qui attacherait à cette vertu une valeur suprême. Parce que la vertu n’est plus une valeur préexistante, il n’y a de justification à la vertu que la vie qui la réaffirme comme telle. Par sa fidélité à des valeurs désormais injustifiables, Mme de Mortsauf incarne, comme Chabert, une figure du « revenant » que J.-D. Ebguy définit comme « la force contestatrice » du « passé dans le présent » [37]. Car c’est bien la question du Sens que posent, en chacune de ces occasions, les apparitions et les actions des personnages. Agir ou être à contretemps, contre le temps, consiste au final à rédimer un présent informe, à faire surgir du sens, là où règnent le désordre et la confusion [38].

10Aux antipodes du chaos moral, de l’« enfer » qu’est devenu Paris, représenté par Lady Dudley et Natalie de Manerville [39], le petit monde de Clochegourde ressuscite ce passé – plus ou moins mythique – où la vie humaine prenait sens par rapport à un idéal de vertu. Il continue à hanter Félix, comme il le déclare à Natalie au début et à la fin de sa confession :

11

[...] ma vie est dominée par un fantôme, il se dessine vaguement au moindre mot qui le provoque, il s’agite souvent de lui-même au-dessus de moi (970).
Une âme est en mon âme. Quand quelque bien est fait par moi, quand une belle parole est dite, cette âme parle, elle agit ; tout ce que je puis avoir de bon émane de cette tombe, comme d’un lys les parfums qui embaument l’atmosphère (1220).

12Balzac le montre mieux que personne, les vertus humaines sont imparfaites, à l’image des êtres qui les ont créées. Elles peuvent être opprimantes, partiales et entrer en contradiction entre elles ou avec d’autres valeurs tout aussi importantes ; mais elles sont des exigences morales indispensables, d’autant plus que ce monde sans transcendance est en train de devenir totalement absurde et vain. Ce n’est donc qu’à travers le conflit, le doute et le déchirement qui la remettent en cause, après le fameux « Je ne sais plus ce qu’est la vertu, [...] et n’ai pas conscience de la mienne ! » (1161), que la vertu peut être réaffirmée. Nous partageons l’avis de N. Mozet qui, en attirant l’attention sur la « mutilation » dont a fait l’objet le « délire » final de Mme de Mortsauf, estime que « c’est à un texte complètement défiguré que nous avons affaire ». Le texte définitif masque le choix tragique d’Henriette entre deux manières de vivre, où « il est difficile de mettre en doute la lucidité de la mourante, qui en impose par son courage, sa maîtrise, sa dignité désespérée [40] ». Plutôt qu’une révolte désordonnée des sens, le passage original manifestait les doutes lancinants, les regrets cruels contre lesquels toute décision éthique doit être prise. Nous avons là une vision foncièrement tragique, car la nécessité même du choix marque l’impossibilité du bonheur, quelle que soit la voie où l’on s’engage, et l’on doit payer le prix de l’option délaissée. Mais la grandeur de Mme de Mortsauf réside dans sa volonté d’affronter ce choix, au contraire des Rastignac, des Rubempré qui se font dicter leur désir par la société et se perdent dans la course effrénée de l’or et du plaisir. Sa vertu est d’autant plus absolue qu’elle va à l’encontre de la réalité du monde.

Véronique, l’envers de la vertu

13Autre héroïne qui a fait froncer les soucils des bien-pensants à sa parution, Véronique Graslin ne l’est devenue qu’au détriment de l’abbé Bonnet, initialement assigné à cette place comme l’indique son titre depuis la parution du feuilleton [41]. Évincé dans la première moitié du roman, il l’est également dans la deuxième par l’ingénieur Gérard, qui représente la force pragmatique dans la régénération de Montégnac. Est-ce à dire que la vertu, la vertu catholique de surcroît dont Bonnet est le modèle le plus parfait [42], est reléguée au second plan derrière le secret de la pénitente et le savoir-faire du technicien ? Certes, c’est la vertu du prêtre qui initie l’entreprise, mais il semble que, tout capital que soit le rôle de la religion, elle doive s’en tenir au rôle d’adjuvant aux côtés d’une protagoniste à la complexité et à la puissance écrasantes. En premier, l’auteur a posé l’analogie entre Véronique et Mme de Mortsauf, comme figures principales des histoires les « plus touchantes parmi celles que l’auteur ait inventées [43] », mais par la suite on a surtout remarqué le même cri de révolte des deux héroïnes lors de leur agonie [44]. De fait, outre la lutte contre la chair, la vertu de Véronique Graslin semble sur bien des points s’opposer à celle de Mme de Mortsauf, puisqu’elle a vraiment péché, et que c’est surtout sur le plan « utilitaire » (ou « utilitariste ») que cette vertu se déploie. Pourtant elles sont sœurs du point de vue de la vertu comme désir – ou du désir comme vertu -, et c’est en tant qu’elle « dévoile » la vérité de la vertu que l’abbé Bonnet ne peut que lui céder la place.

14Au-delà des remarques sur sa composition hétéroclite, Le Curé de village a d’abord été perçu avec son pendant Le Médecin de campagne comme un roman sur l’utopie, et ses aspects politique et sociologique ont été mis en évidence [45], souvent en rapport avec le salut de la pénitente Véronique. Mais le hiatus entre le récit de la vie privée et celui de l’action publique, ainsi que l’ambiguïté du repentir ont également attiré l’attention des critiques. Certains comme Pierre Barbéris, Françoise Van Rossum, Hava Sussman, et plus récemment le philo­sophe Jacques Rancière ont cherché l’harmonie entre les sphères privée et publique, ou la chair et l’esprit [46] ; d’autres ont trouvé dans cet écart même, jugé irréductible, tout le mystère de Véronique. Pour notre part, nous pensons que ces deux facettes du roman et du personnage sont réversibles comme l’envers et l’endroit d’une bande de Moebius [47], d’où ce qui apparaît comme le caractère ambigu, énigmatique de l’héroïne. Rappelons d’abord que pour Balzac, la dimension privée de la vertu ne concerne pas seulement la capacité de contrôler ou de refouler ses désirs au profit du bien public, mais le moyen de donner un sens au monde, à la vie. C’est pour cette raison que la vertu balzacienne prend souvent des formes utopiques, voire cosmiques. Dans Le Lys dans la vallée, le projet politique, même s’il n’est pas véritablement développé, est du moins esquissé, alors que dans Le Curé de village la régénération individuelle s’étend à la reconstruction sociale. Montégnac est une sorte d’élargissement de Clochegourde, élargissement géographique et économique, mais aussi au sens où l’entreprise dépasse le cercle familial. La formule des œuvres de Véronique n’est pas « j’expie ma faute à travers mes bonnes actions », idiome religieux et philanthropique, mais « mon rachat passe par l’action sur le monde, parce qu’en moi vient se refléter le monde entier », formule égocentrique et quelque peu mégalomaniaque, mais surtout leibnizienne, encore une fois, dans laquelle on reconnaîtra le fameux « miroir concentrique de l’univers » cher à Balzac. Mais ici l’harmonie n’est pas préétablie, mais à établir, c’est-à-dire qu’en l’absence d’ordre transcendant, tout est à accomplir à partir de l’immanence. « Je compris alors [...] que nos âmes devaient être labourées aussi bien que la terre. » (763), dit Véronique au curé. Ainsi, nous ne parlerons pas plus de contradiction que de « dépassement des drames de la vie privée par le passage à l’œuvre de transformation d’une collectivité [48] », mais d’une continuité qui est aussi une réversibilité.

15Cette réversibilité se manifeste le mieux dans l’image du voile, dont l’envers et l’endroit ne cessent de commuter. Patrick Berthier a bien éclairé la duplicité de cette peau ravagée qui « dissimule sa beauté et, du même coup, son ardeur » [49]. Revenons sur ce fameux passage :

16

Quand un sentiment violent éclatait chez Véronique, et l’exaltation religieuse à laquelle elle était livrée alors qu’elle se présentait pour communier doit se compter parmi les vives émotions d’une jeune fille si candide, il semblait qu’une lumière intérieure effaçât par ses rayons les marques de la petite-vérole. Le pur et radieux visage de son enfance reparaissait dans sa beauté première. Quoique légèrement voilé par la couche grossière que la maladie y avait étendue, il brillait comme brille mystérieusement une fleur sous l’eau de la mer que le soleil pénètre. Véronique était changée pour quelques instants : la petite Vierge apparaissait et disparaissait comme une céleste apparition (652).

17On se souvient de Frenhofer tentant désespérément de faire couler le sang sous la chair de son portrait idéal. L’imaginaire pictural de ce roman ne fonctionne pas seulement comme un procédé rhétorique, mais fournit le lieu où se déploie le mystère de l’incarnation. Pour Georges Didi-Huberman, « l’incarnat serait le coloris infernal par excellence, pour la raison qu’il est [...] le phénomène-indice du mouvement même du désir à la surface tégumentaire du corps [50] ». L’historien de l’art revient sur cette notion d’« incarnation » pour l’opposer à celle d’« imitation », de mimésis qui accompagne l’étiquette du réalisme dans la littérature et les arts [51]. Le voile de Véronique, vera icona, figure cette incarnation de la passion – dans les deux sens du terme –, son inscription en ce monde ; seule la force passionnelle permet le miracle « prométhéen [52] » de la reconstruction de Montégnac. Il faut en effet souligner l’excès de ce projet qui fait verser le roman dans l’irréalisme, excès à la mesure « démesurée » du désir qui le porte.

18

Quel charme pour un homme épris et jaloux que ce voile de chair qui devait cacher l’épouse à tous les regards, un voile que la main de l’amour lèverait et laisserait retomber sur les voluptés permises ! Véronique avait des lèvres parfaitement arquées qu’on aurait crues peintes en vermillon, tant y abondait un sang pur et chaud. Son menton et le bas de son visage étaient un peu gras, dans l’acception que les peintres donnent à ce mot, et cette forme épaisse est, suivant les lois impitoyables de la physiognomonie, l’indice d’une violence quasi-morbide dans la passion (652).

19Comme le note Chantal Massol-Bedoin, le voile « qui sépare les deux univers [de la faute d’une part, et des valeurs positives d’autre part] est lui-même ambivalent, puisqu’il recouvre à la fois chez Véronique, l’innocence, la pureté, la beauté ; la sensualité et la faute [53] ». Au contraire du portrait de Dorian Gray, où le partage entre l’endroit et l’envers est clair et net, il est impossible de distinguer ce qui voile de ce qui est (dé)voilé. Qu’est-ce qui voile, le dessous qui perce au-dessus, ou le dessus qui recouvre le dessous ? Et qu’est-ce qui est au-dessus et au-dessous ? En même temps que la distinction envers/endroit, la frontière morale entre bien et mal est brouillée, ainsi que dans le registre des sentiments, entre la foi religieuse et la passion amoureuse. Après le temps de ses amours avec Tascheron, Véronique réapparaît « transfigurée » (763) une seconde fois lorsqu’elle entrevoit l’espoir du salut dans « la similitude qu’elle trouvait entre ces paysages et les endroits épuisés, desséchés de son âme » : « Toujours aimer ! » (763). Dans ce cri intérieur, sont réunis l’amour divin et – c’est le cas de le dire – l’amour terrestre.

20Il n’y a pas chez Balzac de rupture cartésienne entre le corps et l’esprit, mais une unité spinozienne. Il est probable que Balzac aurait revendiqué la proposition 13 de la 2e partie (« De la nature et de l’origine de l’âme ») de L’Éthique : « L’objet de l’idée constituant l’Ame humaine est le Corps, c’est-à-dire un certain mode de l’Étendue existant en acte, et n’est rien d’autre [54] ». Chez les grands hommes et des grandes femmes balzaciens, l’énergie spirituelle et physique ne font qu’une : la pensée irradie le physique, comme la matière hante la pensée.

21La passion grave ses stigmates sur les visages, mais elle tire son intensité des pulsions corporelles. Sur ce point, la similitude des protagonistes du Curé de village est frappante ; ils couvent tous le « feu d’un éclat sauvage » (745) de Véronique.

22

[...] M. Bonnet frappait tout d’abord par le visage passionné qu’on suppose à l’apôtre [...]. Dans cette figure endolorie par un teint jaune comme la cire d’un cierge, éclataient deux yeux d’un bleu lumineux de foi, brûlant d’espérance vive. [...] La volonté faisait toute la force de cet homme. Telles étaient ses distinctions. Ses mains courtes eussent indiqué chez tout autre une pente vers de grossiers plaisirs, et peut-être avait-il, comme Socrate, vaincu ses mauvais penchants (719-720).
Jean-François, alors âgé de vingt-cinq ans, était petit, mais bien fait. Ses cheveux crépus et durs, plantés assez bas, annonçaient une grande énergie. Ses yeux, d’un jaune clair et lumineux, se trouvaient trop rapprochés vers la naissance du nez, défaut qui lui donnait une ressemblance avec les oiseaux de proie. [...] Le rouge des lèvres se faisait remarquer par cette teinte de minium qui annonce une férocité contenue, et qui trouve chez beaucoup d’êtres un champ libre dans les ardeurs du plaisir (733).
Mme Graslin, à qui ce nom ne disait rien, regarda cet homme et observa dans sa figure, excessivement douce, des signes de férocité cachée : les dents mal rangées imprimaient à la bouche, dont les lèvres étaient d’un rouge de sang, un tour plein d’ironie et de mauvaise audace ; les pommettes brunes et saillantes offraient je ne sais quoi d’animal. Cet homme avait la taille moyenne, les épaules fortes, le cou rentré, très court, gros, les mains larges et velues des gens violents et capables d’abuser de ces avantages d’une nature bestiale (765).

23L’énergie émanant de ces personnages, décrits comme d’habitude selon la physiognomonie inspirée de Lavater, est un phénomène physico-moral, sans qu’on puisse dire que c’est l’esprit qui commande au corps, ni à l’inverse que c’est le corps qui détermine l’esprit. De Farrabesche à l’abbé Bonnet – quant à Gérard, double agissant de Véronique, il porte comme elle « des marques de petite vérole » (809) −, la coexistence de spiritualité et de sensualité se manifeste à différents degrés de sublimation, au sens freudien où « la pulsion est dite sublimée dans la mesure où elle est dérivée vers un nouveau but non sexuel et où elle vise des objets socialement valorisés [55] ». C’est la même énergie qui est mise au service du bien public, comme l’eau des montagnes s’inverse en facteur de fertilité une fois canalisée : « Ce qui fait le malheur de Montégnac en fera donc bientôt la prospérité » (780). On retrouve certes dans ce roman un questionnement sur le jugement « social » de valeur attaché aux choses considérées « bonnes », telles que la vertu, le savoir, le bien matériel et politique etc. En présentant la condamnation de Tascheron presque comme une « erreur judiciaire » pour un crime non prémédité, en évoquant les inconvénients de la peine de mort [56], et surtout en inversant les rôles du juge et de la criminelle [57], l’auteur déplace les idées de justice et de crime. L’argent et le mariage sont dénoncés à travers l’union de Véronique avec Graslin, aussi désastreuse que celle des Mortsauf, avant de trouver un « bon » usage dans les travaux de Montégnac, et dans l’engagement de Gérard à Denise, qui ressemble fort à un mariage d’intérêt. D’ailleurs, comme le remarque judicieusement Alex Lascar, il est malaisé de savoir ce que Véronique expie, puisque ni l’adultère ni le meurtre ne semblent lui inspirer de remords [58]. Dès lors, que penser de la vertu de l’abbé Bonnet, et a fortiori, où trouver chez Véronique ce qui s’apparenterait à de la vertu ?

24Pour Lacan, le rôle de la sublimation est de conférer un support symbolique à l’objet du désir [59]. Les idéaux que sont la vertu ou l’utopie sont ces signifiants qui permettent d’organiser le chaos du réel, de masquer la béance du désir. Dans cette proximité avec le désir réside la dimension transgressive de toute sublimation. Les amours de Véronique et de Tascheron – l’équivalent dans Le Lys dans la vallée serait « cette merveilleuse créature rêvée par Platon » (1124) – sont le désir interdit qui ne peut figurer qu’en ellipse, et que doit recouvrir le projet édifiant du curé et de sa pénitente. Autrement dit, c’est autour de cet idéal absent – ou cette absence idéale -, pressenti en amont dans Paul et Virginie, que se modèle la réalité spirituelle et matérielle de Montégnac. Il y a dans les descriptions géologiques du terroir une fascination pour le matériau qui donne une forme sensible à l’esprit, c’est-à-dire pour le corps et son homologue la terre. Nous ne reviendrons pas sur les analogies entre le paysage et le visage de Véronique qui reflète son âme, entre le morcellement du territoire et la dégradation des mœurs que déplorent ses proches, comme si le Corps manifestait la Pensée sous l’attribut de l’Étendue [60]. Ainsi, reconstruire Montégnac, pour Véronique, ce n’est pas seulement « réhabiliter » la mémoire de son amant, ou « édifier [...] Le Tombeau de Jean-François Tascheron » [61], mais restaurer son corps décapité afin, telle Isis, de se réunir à lui dans cette même terre.

25Si les abbés Dutheil et Bonnet ont atteint l’état le plus élevé de la sublimation qu’est la sainteté, Véronique en incarne l’autre côté, son versant transgressif. Comme dans Le Lys dans la vallée, « Dieu » est le signifiant absolu, la Loi suprême qui exige une pureté entière, jusqu’à la « sainte ignorance du bien » (830) que l’on fait, en échange d’une miséricorde sans bornes.

26

La Religion ignore ces imperfections, car elle a étendu la vie au-delà de ce monde. En nous considérant tous comme déchus et dans un état de dégradation, elle a ouvert un inépuisable trésor d’indulgence ; nous sommes tous plus ou moins avancés vers notre entière régénération [...] (756).
Il y a donc encore un reste de passion dans cette âme que je croyais purifiée. Brûlez ce dernier grain d’encens sur l’autel de la pénitence, sinon tout serait mensonge en vous (853).

27Balzac exalte ici la religion pour cette mesure infinie qui prodigue les vertus civilisatrices, mais aussi les ressources du sublime. Pour Véronique, le commandement divin se fond avec l’absolu du désir.

28

[...]  j’entends en moi-même une voix impérieuse qui ne me laisse aucun repos. Ah ! la main de Dieu, moins douce que la vôtre, m’a frappée de jour en jour, comme pour m’avertir que tout n’était pas expié. Mes fautes ne seront rachetées que par un aveu public (859).

29La châtelaine de Montégnac puise sa vertu dans cette passion qui, embrassant le monde relié à Tascheron, s’étend vers un territoire entier. Il n’est donc pas étonnant que ses racines plongent à leur tour dans les profondeurs du peuple [62], du terroir. Le parallèle a déjà été établi entre les enfants du peuple que sont Tascheron et Farrabesche : avec Farrabesche, le crime se retourne en son contraire, le marginal (le « sauvage ») revient vers le centre de la civilisation [63]. C’est d’ailleurs ce dernier qui, par sa connaissance du terrain, révèle l’invisible, le caché pour le faire émerger à des fins salutaires.

30Par son œuvre, par sa vie, Véronique impose son credo éthique à la face de « la justice humaine », et même de « la justice divine » ; ce faisant, elle assure, elle aussi, une continuité narrative qui révise le passé pour s’orienter vers le futur [64] : « j’ai marqué mon repentir en traits ineffaçables sur cette terre, il subsistera presque éternellement » (868). Les couples Farrabesche-Catherine, Gérard-Denise sont la postérité de cet amour qui s’épanche dans l’espace et dans le temps. En quelque sorte, Véronique déploie une vertu – une virtù – socialement symétrique, donc complémentaire à Mme de Mortsauf, puisqu’elle sublime l’énergie du peuple alors que celle-ci conserve une éthique de la noblesse. Pour Véronique comme pour Henriette, il subsiste néanmoins un reste de passion qui n’a pas été sublimé et jette le doute sur la vertu de l’héroïne. On pourrait considérer, comme Chantal Massol-Bedoin que « Le Curé de village se termine sur un échec », échec herméneutique d’abord, par la permanence du secret de Véronique, puis échec moral, puisque les « valeurs que le roman se proposait d’éprouver ne sont pas retrouvées à la fin [65] ». Mais dans la mesure où le reste qui cause cet échec a justement été le moteur du repentir, de la fidélité, il n’y a donc pas tant échec que dévoilement de ce désir (d’)absolu inhérent à toute vertu.

31« Rien de grand ne s’est jamais accompli dans le monde sans passion » a dit Hegel [66]. Par passion, le philosophe entend l’intérêt égoïste et irrationnel susceptible d’être moralement mauvais. Cet axiome expliquerait le monde balzacien, à l’opposé du principe kantien d’autonomie, selon lequel l’acte moral doit être à l’écart de toute motivation autre que le devoir lui-même. Le romancier fait d’ailleurs écho au philosophe idéaliste dans l« Avant-propos » de La Comédie humaine : « La passion est toute l’humanité. Sans elle la religion, l’histoire, le roman, l’art seraient inutiles [67] ». Chez Balzac, aucune vertu n’est exempte de motivations psychologiques profondes. Cette vertu-là porte en elle une contradiction radicale : elle vient d’une passion subie, qui dépasse l’individu, et à la fois, elle est le seul véritable moteur de toute volonté, de toute action. Au cœur de cette « Comédie inhumaine de l’argent », il est quelque chose dont la valeur excède le bien-être, le plaisir, ou même le bonheur ‒ c’est ce qui fait que la vie n’est pas un simple défilé de contingences, mais un microcosme signifiant. En l’absence de tout support transcendant et préexistant, c’est dans l’immanence qu’un sens doit advenir, un sens qui n’aura trouvé de fondement que dans la vie qui en était porteuse. Jusqu’au bout, Balzac tente de sauvegarder un îlot de sens, que ce soit la vertu morale, le génie artistique ou scientifique, l’amour, etc. Mme de Mortsauf, Véronique Graslin, mais aussi Benassis, Mme de la Chanterie, David Séchard, Louis Lambert, Balthazar Claës, Marie de Verneuil sont ces chercheurs d’absolu prêts à payer de leur vie l’idéal qu’ils poursuivent [68]. Il ne s’agit donc nullement de réinstaurer des valeurs devenues caduques, mais d’interroger leur validité, leur nécessité malgré tout dans un monde qui en semble dépourvu. Balzac ne croit pas comme Rousseau que la passion puisse s’accorder avec la vertu, mais que celle-ci ne tire sa force que de celle-là. Dans un sens très différent de la morale kantienne, pour que la vertu soit, elle ne doit pas être seulement possible, mais nécessaire, impérative. Cette vertu-là se rapproche de l’arétè des héros grecs – épiques ou tragiques –, ou plus près de Balzac, de la virtù machiavéllienne, ou encore stendhalienne, une vertu qui flirte avec l’hubris.

32Jacques Rancière lit dans le projet utopique du Curé de village la volonté de « passer [...] à la communauté organique identifiant la parole et la vie, le lieu et le lien ; renoncer au livre et à son île pour travailler sur le sol la loi communautaire de la communication entre les hommes [69] ». Dans ce xixe siècle à partir duquel, selon Michel Foucault, « le langage s’enfonçait dans son épaisseur d’objet et se laissait, de part en part, traverser par un savoir [70] », le roman balzacien maintient encore le pouvoir démiurgique des mots à signifier le monde, à agir sur les choses, à y graver un sens. Balzac croit certainement encore à la vertu de l’écriture.

Notes

  • [1]
    On compte près de 1100 occurrences de ce mot et de ses dérivés (vertueusement, vertueux) dans La Comédie humaine, soustraction faite de celles comprenant la locution « en vertu de », dans l’index du vocabulaire de Balzac établi par Kazuo Kiriu, disponible sur le site de la Maison de Balzac. http://www.v1.paris.fr/commun/v2asp/musees/balzac/kiriu/reader.htm
  • [2]
    Le romancier semble avoir eu une conception rien moins que monolithique de la vertu. Dans LaMonographie de la vertu qu’il avait le projet d’écrire, Balzac voulait décrire « la vertu assimilée à une plante qui compte beaucoup d’espèces et soumise aux formules de botanique de Linné ». Cité dans Henri Gauthier, L’Image de l’homme intérieur chez Balzac, Droz, 1984, p. 141, note 40.
  • [3]
    Voir Eléonore M. Zimmermann, « ‘Vertu’ dans La Nouvelle Héloïse », in Modern Language Notes, 1961, vol. 76 n°3.
  • [4]
    La Généalogie de la morale, 1er traité, § 10, Œuvres, Flammarion, 2003, pp. 864-866.
  • [5]
    Le Héros balzacien. Balzac et la question de l’héroïsme, Christian Pirot, 2010, p. 11 et p. 15.
  • [6]
    Le Fondement de la morale, Librairie générale française, 1991, pp. 29-30.
  • [7]
    Jacques-David Ebguy, Le Héros balzacien, op. cit., p. 107.
  • [8]
    Le Père Goriot, CH, t. III, p. 141.
  • [9]
    Ibid., p. 262.
  • [10]
    Aude Déruelle, « Un tournant de la politique balzacienne : l’« Introduction » à Sur Catherine de Médicis », in Boris Lyon-Caen, Marie-Ève Thérenty (éd.), Balzac et le politique, Christian Pirot, 2007, pp. 47-48.
  • [11]
    Nous avons fait ce choix aux dépens de personnages comme Benassis ou de Mme de la Chanterie afin de mettre en évidence cet aspect ambigu, conflictuel de la vertu balzacienne.
  • [12]
    Bien que nous n’établissions pas de différence notable entre « morale » et « éthique », nous préférerons ce dernier terme qui par ses résonances spinoziennes nous semble davantage apte à un emploi plus large, au-delà du jugement de bien et de mal.
  • [13]
    Sur les quelques 56 occurrences du substantif « vertu » et de ses dérivés dans ce roman, 33 renvoient à l’héroïne.
  • [14]
    « Réception et génétique littéraire : une lecture qui devient censure (Le Lys dans la vallée) », in Balzac au pluriel, PUF, 1990, p. 222.
  • [15]
    Sylvie Ducas récapitule les critiques – surtout négatives - contemporaines à l’ouvrage dans son article « Critique littéraire et critiques de lecteurs en 1836 : LeLys, roman illisible ? », in José Luiz Diaz (éd.), Balzac, « Le Lys dans la vallée », « Cet orage de choses célestes », SEDES, 1993, pp. 15-26.
  • [16]
    LHB, t. I, p. 333, 22 août 1836.
  • [17]
    Jean-Hervé Donnard, « Introduction » au Lys dans la vallée, CH, t. IX, p. 906. Toutes les références aux textes du Lys dans la vallée et du Curé de village renverront à cette édition et à ce volume. Les indications de page figureront dans le texte entre parenthèses.
  • [18]
    Citons, entre autres, Peter Brooks, « Virtue-tripping : Notes on Le Lys dans la vallée », in Yale French Studies, 1974, n° 50, pp. 150-162 ; Lucienne Frappier-Mazur, « Le régime de l’aveu dans Le Lys dans la vallée : formes et fonctions de l’aveu écrit », in Revue des sciences humaines, 1979, no 175, pp. 7-16 ; Leyla Perrone-Moisés, « Balzac et les fleurs de l’écritoire », in Poétique, septembre 1980, no 11, vol. 43, pp. 305-323 ; André Lorant, « Pulsions œdipiennes dans Le Lys dans la vallée », AB 1982, pp. 247-256 ; Michael Lastinger, « Re-writing woman : compulsive textuality in Le Lys dans la vallée », in The French Review, 1989, vol. 63, n° 2, pp. 237-249 ; Isabelle Dominati-Baruchel, « Aimer ou écrire : de la lettre au roman », in Balzac, « Le Lys dans la vallée » : « Cet orage de choses célestes », op. cit., pp. 55-64 ; Philippe Berthier, « Des rillettes à l’étoile, ou les avatars de la sublimation », in ibid., pp. 117-130.
  • [19]
    Félix explicite l’amalgame dès la première rencontre : « Puis tout à coup je rencontrai la femme qui devait aiguillonner sans cesse mes ambitieux désirs, et les combler en me jetant au cœur de la royauté. » (983)
  • [20]
    « L’espace du Lys dans la vallée : une expérience de l’exil », in Balzac, « Le Lys dans la vallée » : « Cet orage de choses célestes », op. cit., pp. 71-72.
  • [21]
    Linda P. Cypres parle d’« une forme d’esclavage social », d’une « conception de la Vertu [qui] devient une arme tyranique pour tout le monde ». « Femmes angéliques, femmes diaboliques : une étude du Lys dans la vallée de Balzac », in The Bulletin of the Rocky Mountain Modern Language Association, 1974, vol. 28, n° 1, pp. 26, 28. Peter Brooks estime quant à lui que la vertu des héroïnes romantiques relève d’une pathologie, d’une « intoxication » narcissique. « Virtue-tripping : Notes on Le Lys dans la vallée », art. cit. Nous nuançons ici ces points de vue.
  • [22]
    « La 26e nouvelle de l’Heptaméron et Le Lys dans la vallée », AB1981, pp. 285-296. Rappelons l’argument de la nouvelle : après le récit d’une « dame vertueuse » qui ne survit pas à son amour insatisfait et d’une dame sensuelle qui jouit des plaisirs charnels, le narrateur et ses interlocuteurs sont partagés sur la morale de l’histoire (qui est la plus sage des deux ?). La critique a beaucoup commenté la multiplicité des points de vue que permet la forme épistolaire, et surtout la réponse de Natalie. Voir Aline Mura, « Le Lys dans la vallée : un roman épistolaire ? », in Balzac, « Le Lys dans la vallée » : « Cet orage de choses célestes », op. cit., pp. 45-54.
  • [23]
    Voir Michael Lastinger, « Re-writing woman : compulsive textuality in Le Lys dans la vallée », art. cit., p. 245.
  • [24]
    Les travaux de Michel Lichtlé sont presque exhaustifs à ce sujet. Voir en particulier « Crimes et châtiments de la vie privée dans Le Lys dans la vallée », AB1996, pp. 269-286.
  • [25]
    On sait que dans Ou bien… ou bien…, le philosophe danois propose l’alternative entre les choix de vie esthétique et éthique. Le séducteur, Don Juan, est l’emblème du premier choix, alors que le juge et l’époux sont ceux du deuxième.
  • [26]
    André Bellessort, Balzac et son œuvre, 1924. Cité par R. Pierrot, Le Lys dans la vallée, Le Livre de poche, 1984, pp. 374-375.
  • [27]
    Le relâchement de la narration dans une certaine tendance romanesque à partir du xxe siècle doit être lié à ce fait.
  • [28]
    Le philosophe écossais postule que l’individu entre dès sa naissance dans une série d’« histoires » (familiale, régionale, nationale, culturelle, individuelles etc.) et que sa vie consiste à construire son rôle, sa propre histoire à l’intérieur de ces histoires multiples. Réaliser des choix éthiques, autrement dit agir de manière intelligible, c’est construire la cohérence narrative de sa vie. « S’interroger : «Qu’est-ce que le bien pour moi ?», c’est se demander comment je peux habiter cette unité et la réaliser complètement. [...] L’unité d’une vie humaine est l’unité d’une quête narrative. » After virtue, Bloomsbury academic, 2011, pp. 250-253 (notre traduction).
  • [29]
    Voir entre autres Lucienne Frappier-Mazur, « Le régime de l’aveu dans Le Lys dans la vallée », art. cit. ; Victor Brombert, « Natalie, ou le lecteur caché de Balzac », in Mouvements premiers : études critiques offertes à Georges Poulet, José Corti, 1972, pp. 177-190.
  • [30]
    « Crimes et châtiments de la vie privée dans Le Lys dans la vallée », art. cit., p. 281.
  • [31]
    « Virtue-tripping : Notes on Le Lys dans la vallée », art. cit., p. 152 (notre traduction).
  • [32]
    Ibid., p. 155.
  • [33]
    La philosophe aristotélicienne Martha Nussbaum insiste sur « la valeur éthique des émotions ». Love’s knowledge, Oxford Univ. Press, 1990, p. 42.
  • [34]
    « La morale du roman : Balzac répond à Hippolyte Castille », AB2003, p. 240.
  • [35]
    Nous paraphrasons l’interprétation deleuzienne de la monade : « Le perspectivisme chez Leibniz [...] est bien un relativisme, mais ce n’est pas le relativisme que l’on croit. Ce n’est pas une variation de la vérité d’après le sujet, mais la condition sous laquelle apparaît au sujet la vérité d’une variation » (Gilles Deleuze, Le Pli-Leibniz et le baroque, Minuit, 1988, p. 27).
  • [36]
    « Le témoignage de l’obligation, en tant qu’elle nous impose la nécessité d’une raison pratique, est un Tu dois inconditionnel. Ce champ prend précisément sa portée du vide où le laisse, à l’appliquer en toute rigueur, la définition kantienne. Or, cette place, nous pouvons, nous analystes, reconnaître que c’est la place occupée par le désir. Le renversement que comporte notre expérience met en place au centre une mesure incommensurable, une mesure infinie, qui s’appelle le désir. », in Jacques Lacan, Le Séminaire 7 – L’Éthique de la psychanalyse, Seuil, 1986, p. 364. Rappelons qu’il s’agit d’un chapitre sur Antigone de Sophocle.
  • [37]
    Le Héros balzacien, op. cit., p. 210. Pour la notion de revenant, le critique s’appuie sur les travaux de J. Derrida (Spectres de Marx, Galilée, 1993 ; Échographies de la télévision, Galilée, 1996), de N. Mozet (Balzac et le temps, Christian Pirot, 2005) et d’A. Déruelle (« Le roman balzacien entre histoire et mémoire », AB2007).
  • [38]
    Ibid., p. 216.
  • [39]
    Lady Dudley, qui « épouse deux générations » (1225), et Natalie, que l’on connaît dans Le Contrat de mariage pour avoir ruiné son mari Paul de Manerville, en complicité avec une mère intrigante sans vergogne.
  • [40]
    « Réception et génétique littéraire : une lecture qui devient censure (Le Lys dans la vallée) », art. cit., pp. 218-219. Ce passage dans sa version originale est reproduit pp. 229-233. Il figure également dans les notes et variantes de l’édition de La Pléiade, pp.1747-1748.
  • [41]
    Les différents états du texte ont été établis par Ki Wist. Voir Le Curé de village suivi de « Véronique » et de « Véronique au tombeau », Bruxelles, Henriquez, 1961 ; Le Curé de village (1841), même éd., 1957-1959 [rééd. en 1963] ; et Le Curé de village, version de 1839, même éd., 1964.
  • [42]
    Dans le texte, le substantif « vertu » est davantage lié à Véronique. Sur la vingtaine d’occurrences du substantif et de ses dérivés, huit cas désignent des qualités de Mme Graslin, alors qu’on ne compte respectivement qu’une occurrence pour les abbés Dutheil et Bonnet, ce qui peut être étonnant si l’on considère que c’est eux qui représentent la vertu à l’état le plus « pur » du terme, au sens où Bonnet la prêche à sa pénitente. Notons que dans ce roman, « vertu » est majoritairement employé au pluriel, comme si l’auteur voulait en sonder les diverses facettes.
  • [43]
    Préface de la première édition de 1841 : « La figure de Mme Graslin peut soutenir la comparaison avec Mme de Mortsauf du Lys dans la vallée, avec la Fosseuse du Médecin de campagne » (639).
  • [44]
    « [L]a différence entre Véronique Graslin et Mme de Morsauf, l’héroïne du Lys dans la vallée, qui dans les affres de l’agonie oublie toute décence pour revendiquer le droit d’aimer Félix est bien moindre qu’on le prétend généralement » (N. Mozet, « Préface » au Curé de village, Gallimard, coll. « Folio », 1975, p. 22).
  • [45]
    Pierre Barbéris, « Préface » au Curé de village, Librairie générale française, 1972. Jacques Rancière, « Sens et usages de l’utopie », in Michèle Riot-Sarcey (éd.), L’Utopie en questions, La philosophie hors de soi, 2001, et La Parole muette, Fayard-Pluriel, 2011.
  • [46]
    Surtout dans la symbiose entre le paysage-macrocosme et l’âme-microcosme : Françoise Van Rossum, « Aspects et fonction de la description chez Balzac – Un exemple : Le Curé de village », AB 1980, pp. 111-136 ; Jacques Neefs, « Figures dans le paysage », in Littérature n° 61, 1986, pp. 34-48. Voir également Hava Sussman, « Une lecture du Curé de village », AB1976, pp. 231-241 ; Jean R. Joseph, « À la recherche de l’unité perdue : idéologie et thématique dans Le Curé de village de Balzac », in Romanic Review, 1981, 72, 4, pp. 442-459.
  • [47]
    La notion d’« envers » a depuis longtemps intéressé les balzaciens. Voir Andrea del Lungo et Alexandre Péraud (éd.), Envers balzaciens, Poitiers, La licorne, n° 56, 2001 ; ou encore Martine Reid, « Réversibilité », in Balzac, « Le Lys dans la vallée :“Cet orage de choses célestes” », op. cit., pp. 107-116.
  • [48]
    P. Barbéris, « Préface », art. cit., pp. 34-35.
  • [49]
    Patrick Berthier, « Le voile de Véronique », AB 1998, p. 291.
  • [50]
    La Peinture incarnée, Minuit, 1985, p. 69.
  • [51]
    Ouvrir l’image : motifs de l’incarnation dans les arts visuels, Gallimard, 2007.
  • [52]
    Le terme est de P. Barbéris dans sa préface à l’édition du Livre de poche, art. cit. p. 35. N. Mozet parle également de « dimension quasiment herculéenne ». « Préface », art. cit., p. 23.
  • [53]
    « Secret et énigme dans Le Curé de village », AB1985, p. 165.
  • [54]
    L’Éthique, GF, Flammarion, 1965, p. 83. Boris Lyon-Caen a repéré et approfondi cette parenté de Balzac avec l’auteur de L’Éthique. Balzac et la Comédie des signes – essais sur une expérience de pensée, PUV, 2006.
  • [55]
    « Sublimation », J. Laplance, J.-B. Pontalis, Dictionnaire de la psychanalyse, PUF, 1967, pp. 465-466.
  • [56]
    « Le vol a engendré l’assassinat par la fatale logique qu’inspire la peine de mort aux criminels. Aussi, dit-elle en lançant à l’Avocat-général un regard suppliant, serait-ce une chose digne de vous que de faire écarter la préméditation, vous sauveriez la vie à ce malheureux » (692). André Lorant compare cet épisode avec Le Dernier jour d’un condamné de Victor Hugo, roman-plaidoyer pour l’abolition de la peine de mort paru en 1829, soit douze ans avant Le Curé de village. « Introduction » (629).
  • [57]
    « Le procureur général laissa voir à Véronique un visage plein de larmes. La justice humaine semblait avoir des remords » (869).
  • [58]
    « Le Curé de village : difficultés et ambiguïtés du repentir », art. cit., pp. 263-265. N. Mozet estime que « Véronique ne se repent nullement d’avoir aimé Tascheron, elle se désespère seulement qu’il soit mort à cause d’elle », et confère une interprétation idéologique des dernières paroles de l’héroïne « peu compatibles avec une rigoureuse orthodoxie religieuse ». L’auteur aurait suggéré à travers la « réhabilitation » de Tascheron par Véronique « une forme de justice sociale fondée sur le développement économique ». « Balzac, le prix Montyon et la guillotine », in Balzac au pluriel, op. cit., pp. 197-200.
  • [59]
    Cf. Séminaire VII, op. cit., pp. 144-145. L’objet du désir chez Lacan, ou objet a, est par définition l’objet impossible.
  • [60]
    Baruch Spinoza, L’Éthique, op. cit., p. 137. 3e partie, Proposition 2, scolie : « [...] l’Ame et le Corps sont une seule et même chose qui est conçue tantôt sous l’attribut de la Pensée, tantôt sous celui de l’Étendue. D’où vient que l’ordre ou l’enchaînement des choses est le même, que la Nature soit conçue sous tel attribut ou sous tel autre ; et conséquemment que l’ordre des actions et des passions de notre Corps concorde par nature avec l’ordre des actions et des passions de l’Ame. »
  • [61]
    A. Lascar, « Le Curé de village : difficultés et ambiguïtés du repentir », art. cit., p. 269.
  • [62]
    « Je suis née du peuple, et veux retourner au peuple » (747).
  • [63]
    N. Mozet, « Préface », art. cit., pp. 28-31.
  • [64]
    Sur ce point nous divergeons de la belle analyse d’André Lorant, laquelle présente Véronique en proie à une mélancolie qui la rive au passé (« Balzac et le temps de la mélancolie dans Le Curé de village », AB2007, pp. 147-174).
  • [65]
    « Secret et énigme dans Le Curé de village », art. cit., pp. 170-172.
  • [66]
    La Raison dans l’histoire, Hatier, 2012, p. 56.
  • [67]
    CH, t. I, p. 16.
  • [68]
    Sur cette soif d’absolu dans Les Études philosophiques, voir Brigitte Méra, « Le roman philosophique balzacien et la passion de l’absolu », AB 2006, pp. 161-178.
  • [69]
    « Sens et usages de l’utopie », art. cit., p. 75.
  • [70]
    Le Mots et les choses, coll. Tel, Gallimard, 1990, p. 313.
Français

À rebours de l’image d’un Balzac cynique et désabusé, cet article vise à mettre en évidence l’idéaliste passionné, obstinément épris d’absolu. Dans La Comédie humaine, la vertu est la forme privilégiée que revêt cet absolu dans le domaine de l’éthique. Afin de trouver un nouveau fondement à cette quête de la vertu, le romancier n’hésite pas à en explorer toute l’ambiguïté, au risque de la soumettre à une impasse. Henriette de Mortsauf et Véronique Graslin sont deux héroïnes chez qui la passion, le désir ne s’opposent pas à la vertu, mais en est le moteur et la force. Leur fidélité, leur volonté tiennent de cette énergie vitale au-delà du bien et du mal s’apparentant à la virtù antique. Ce n’est rien moins que le sens de la vie que Balzac interroge à travers la notion de vertu.

Ye Young Chung
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Mis en ligne sur Cairn.info le 23/11/2018
https://doi.org/10.3917/balz.019.0361
Pour citer cet article
Distribution électronique Cairn.info pour Presses Universitaires de France © Presses Universitaires de France. Tous droits réservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent article, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.
keyboard_arrow_up
Chargement
Chargement en cours.
Veuillez patienter...