Introduction
1Lorsque Holling évoqua [1] la notion de résilience écologique en 1973, il ne pensait probablement pas que ce terme aurait autant de succès une trentaine d’années plus tard. On invoque aujourd’hui une grande variété de « résiliences » : on parle évidemment de la résilience « des matériaux » (Charpy, 1901) puisque c’est de la science des matériaux que découle le sens originel du concept, mais on parle aussi de résilience « informatique » (Najjar et Gaudiot, 1990), de résilience « psychologique » (Mangham et al., 1995 ; Cyrulnik, 1998) ou encore de résilience « organisationnelle » (Horne, 1997), de résilience « d’ingénierie », de résilience « écologique » (Holling, 1973 ; Gunderson et al., 2002), de « resilient business » ou de « resilient community » (Brown et Kulig, 1996-1997), etc.
2Ainsi, le terme de « résilience » est devenu un mot à la mode ou « buzzword » (Comfort et al. 2010) dont la signification, souvent mal assurée, recouvre un foisonnement d’acceptions (De Bruijne et al., 2010) et une nébuleuse de définitions afférentes (Quenault, 2013). Considérer avec Manyena (2006) que la résilience, victime de trop de succès, est désormais devenue une idée trop vague, aux acceptions trop diverses, voire contradictoires, pour être utilisée de façon opératoire, serait se priver un peu vite d’un sujet de recherche considéré par beaucoup comme de première importance dans le cadre de la durabilité (Perrings et al., 1995 ; Kates et al., 2001 ; Foley et al., 2005). Il s’agit donc de revenir au cadre théorique et empirique dont beaucoup considèrent que les débats actuels se sont trop éloignés (Brand et Jax, 2007).
3Si les définitions divergent, un large consensus est désormais établi, y compris en psychanalyse, sur la nature pluridisciplinaire et systémique de la résilience (Cyrulnik, 1998 ; Cutter et al., 2008 ; De Bruijne et al., 2010 ; Lepore et Revenson, 2006 ; Ionescu et Jourdan-Ionescu, 2010). Ainsi, les définitions qui sont données de la résilience peuvent être réparties en deux grands ensembles. Les plus anciennes comme celles de Holling (1973) ou de Pimm (1984) [2] se réfèrent à des systèmes simples fonctionnant dans un monde de stabilité et d’équilibre (Dauphiné et Provitolo, 2002) à l’instar du pendule de Charpy (1901). Dans ce monde d’équilibre, un écosystème résilient est un écosystème qui revient à son état initial – sans rien changer – après avoir subi une perturbation (Holling, 1973). Ainsi définie, la résilience est une fonction de la perturbation, non une propriété du système puisque seule l’ampleur de la perturbation autorise ou non un retour à la situation antérieure. Si ce retour est possible, alors le système ne garde aucune trace du choc qu’il pourra subir encore et encore, sans jamais rien apprendre qui lui permette de l’éviter. Dans ces conditions, ce qui est nommé « résilience » ne constitue que la description d’un état et ne relève en rien du processus qui caractériserait la « capacité d’un système, d’une communauté ou d’une société exposés à un danger de résister aux effets de ce danger, de les absorber et de s’y adapter de manière rapide et efficace » (UNISDR, 2009). Or, dans le monde vivant, celui des systèmes naturels ou sociaux, une telle simplification est peu utile car « the fact remains, however, that the world is always changing [3] » (Ostrom et Basurto, 2011).
4Une représentation moins schématique de la réalité est offerte par la prise en compte de la dynamique d’autres types de systèmes, les systèmes complexes ou systèmes loin de l’équilibre, qui sont dotés d’autonomies d’action et d’organisation les rendant aptes à réagir aux perturbations qu’ils subissent de leur environnement. Dès lors la notion de résilience n’est plus assimilable à une métaphore mécanique de robustesse, mais doit être considérée comme une propriété ontologique au sens plein du terme. Elle constitue une propriété essentielle à l’autonomisation et à la survie des systèmes qui sont en mesure de l’opposer aux chocs imprévisibles issus de leur environnement.
5C’est dans ce contexte que la notion de résilience sera présentée ici. Après avoir rappelé les travaux qui conduisent à ne parler de résilience en tant que capacité, propriété ou mécanisme, qu’à propos des systèmes complexes, un exemple de systèmes d’interaction nature-société sera utilisé pour discuter une utilisation plus étroite et plus opératoire de la notion de résilience dans le cadre de la durabilité.
1. Complexité et résilience
6Un système complexe se caractérise par la présence d’un nombre important d’éléments constitutifs à la fois indépendants et en interactions locales. De ces interactions naissent des structures, entretenues de façon dynamique par des flux de matière, d’énergie ou d’information. Fréquemment, ces structures comprennent des niveaux d’organisation par la constitution de groupes ou de sous-ensembles au sein desquels les éléments sont en plus étroites interactions, chaque groupe étant alors globalement en interactions avec les autres (Bak, 1996 ; Weisbuch, 1989). De nombreux systèmes complexes présentent une organisation en niveaux hiérarchiques (atomes, molécules, cellules, organismes, populations, sociétés, écosystèmes) (Jacob, 1970 ; Auger et al., 1992).
7Cette auto-organisation, qui fait du système un tout, est une propriété émergente qui naît des interactions entre les éléments du système, mais qui ne peut être anticipée par aucune caractéristique de ces éléments ; ainsi le « tout » est plus que la « somme des parties » (Morin, 1977). Elle n’est pas issue d’une volonté ou « de force extérieure (même si le système reste ouvert sur son environnement), mais de l’interaction de ses éléments […]. Il n’y a ni leader, ni centre organisateur, ni programmation au niveau individuel d’un projet global » (Provitolo, 2008).
8Les systèmes complexes se rencontrent dans pratiquement toutes les disciplines scientifiques : en biologie, mais aussi en physique, en économie, en sociologie, en géographie ou en informatique (Dauphiné et Provitolo, 2002 ; Weisbuch et Zwirn, 2010).
9Rappelons que la mise en évidence de ces systèmes et de leurs propriétés est d’abord issue de la cybernétique, courant de réflexion initié au sortir de la guerre (Wiener, 1948) afin de mieux comprendre pourquoi, à la différence des machines construites par l’homme, les systèmes vivants étaient capables de fonctionner sans perte notable de performance, malgré des irrégularités d’alimentation, voire des pertes d’éléments. Les travaux de Von Neumann et Morgenstern (1944), Von Neumann (1956), Von Neumann et Burks (1966), Winograd et Cowan (1963), Atlan (1972), mais aussi ceux de Shannon et Weaver (1949) scandent la mise en évidence d’un ensemble de propriétés nécessaires à un système pour résister aux atteintes qui lui sont causées par la variabilité de son environnement : notions de feed-back, de redondance des composantes et des fonctions, de délocalisation des fonctions, etc.
10Si la poursuite des recherches formelles de la cybernétique conduit Von Foerster (1960) à considérer le « bruit [4] » non pas comme une simple perturbation, mais comme un facteur d’organisation des systèmes auto-organisés [5], c’est Ilya Prigogine (prix Nobel de chimie en 1977) qui établit le lien entre le monde inerte de la physique et le monde vivant en mettant en évidence les capacités auto-organisatrices des systèmes dissipatifs ou « systèmes loin de l’équilibre » (Prigogine, 1968 ; Prigogine et Stengers, 1979 ; Stengers, 2004). Ces travaux, qui prolongent les premières avancées de Ludwig Boltzmann sur la thermodynamique, viennent articuler en un tout cohérent les avancées physiques et mathématiques des années 1960-1980 pour permettre l’élaboration d’une théorie des systèmes complexes, avec les bifurcations (Thom, 1975), les fractales (Julia, 1919 ; Mandelbrot, 1983), la théorie du chaos (Poincaré, 1899 ; Gleick, 1987 ; Ruelle, 1991), les catastrophes et états critiques auto-organisés (Bak et Chen, 1991).
11Le changement radical qu’introduisent les travaux de Prigogine est que l’auto-organisation ne relève pas d’une propriété spécifique au vivant, d’une téléonomie inconnue du monde physique qui aurait permis de produire de l’ordre et du sens, alors que le monde « non vivant » ne pourrait produire que de l’entropie. En démontrant la capacité du monde physique à créer de l’ordre par l’analyse des processus d’auto-organisation de systèmes physiques (Prigogine et Stengers, 1979), il a permis de visualiser certaines propriétés générales liées à la complexité – comme l’organisation interne spontanée, l’émergence, la sensibilité aux conditions initiales, la brisure de symétrie temporelle, etc. – et de démontrer que ces propriétés se retrouvent aussi bien dans les systèmes physiques que dans des systèmes biologiques, écologiques ou sociaux (Stengers, 1985).
1.1. Résilience et auto-organisation
12De ces développements théoriques, la résilience apparaît comme le mécanisme fondamental de l’ajustement permanent des systèmes complexes à leur environnement. C’est la réponse à une mise en danger du système (organisme, société, écosystème) par les perturbations ou les chocs qu’il subit et qui, si elle est adaptée, permet sa survie. Ainsi, un organisme frappé d’une atteinte infectieuse peut en mourir ou au contraire développer des défenses nouvelles qui combattront l’infection et permettront la guérison. La survie à un choc présente donc des conséquences importantes. Les réajustements internes suscités par l’adaptation au choc font que le système survivant n’est plus exactement le même que celui qu’il était avant d’avoir été perturbé : le dépassement par le système de la perturbation qui le menaçait marque l’émergence de processus immunitaires nouveaux. De ces changements naissent de nouvelles potentialités, mais aussi de nouvelles impossibilités, qui influeront à leur tour sur l’avenir du système et ses aptitudes à faire face à de nouvelles agressions. De la succession des chocs rencontrés naît une évolution spécifique qui ne sera pas la même que celles qu’auraient occasionnées des perturbations comparables apparues dans un ordre différent. Ainsi, la pertinence de la notion de résilience apparaît étroitement liée à sa définition systémique initiale (Donze, 2007), à son rôle essentiel dans l’auto-organisation des systèmes et à la nature historique qu’elle leur confère (Prigogine et Stengers, 1979).
1.2. Le paradoxe de la résilience
13Ce processus issu de l’interaction d’un système (organisme, société, écosystème) avec son environnement résulte des changements de ce dernier. En perturbant le système, ceux-ci provoquent les ajustements internes qui lui confèrent de nouvelles propriétés et contribuent à sa survie. Néanmoins, cette perturbation n’est pas sans poser des problèmes proches des questions soulevées par la théorie darwinienne de l’évolution, comme le rappelle Godard (1995, 1997, 2010) : « L’environnement est toujours l’environnement d’un sujet de référence (organisme, système, société). » Il ne correspond en rien à un environnement général qui pourrait être un objet en soi comme la « nature ». L’environnement d’un crustacé planctonique n’est pas celui d’un poisson, qui n’a lui-même rien à voir avec celui d’une baleine. Bien qu’il soit composé d’éléments totalement extérieurs au sujet, « à savoir ce dont ce sujet, de par son organisation, n’assume pas la reproduction comme loi nécessaire et quotidienne de son existence » (Godard, 1984), l’environnement n’est pas indépendant pour autant. Il est défini par le sujet comme l’ensemble des composantes biophysiques qui font sens pour lui, tout particulièrement celles qui conditionnent son existence [6]. Si « la sélection naturelle manifeste l’amélioration de la manière dont les organismes interagissent avec le monde » (Lewontin, 1978), cette interaction est le fruit d’une « coévolution » entre l’organisme considéré et les composantes de l’environnement qu’il prend en compte.
14On perçoit dès lors la difficulté de définir précisément les composantes environnementales de tel ou tel système et l’évolution des interactions entre ces composantes et le système. Comment différencier, avant une épidémie, une population vulnérable d’une population immune ? Comment différencier les individus qui succomberont de ceux qui parviendront à développer les défenses immunologiques qui permettront leur survie ? La seule méthode éprouvée qui permette de répondre à ces questions est… d’attendre.
15Dès lors, la qualification d’une résilience qui n’aurait de sens qu’une fois déjà vérifiée s’apparente très fortement à une évidence et son usage à une tautologie : si la résilience permet la survie, alors les individus résilients sont ceux qui survivent. Ainsi, la notion de résilience tout comme la nature des chocs qui la dévoilent relève très facilement d’une pensée circulaire qui n’apporte rien, ne démontre rien et ne fait en rien progresser la compréhension des systèmes complexes.
16Puisque la mise en évidence d’une résilience ex ante apparaît hasardeuse, nous aborderons ici la résilience par une démarche ex post en analysant les changements d’un système dont la résilience, précédemment avérée, a été durablement altérée : le système socio-écologique (SES) [7] des pêcheries traditionnelles du Delta Central du Niger [8]. À la demande de l’État malien, ces pêcheries furent l’objet d’un travail de recherche approfondi, mené de 1986 à 1994 par une équipe pluridisciplinaire d’une vingtaine de chercheurs [9] (Quensière, 1994a ; Quensière et Poncet, 2000). Sur le plan théorique, ces travaux sont parmi les premiers à avoir permis de démontrer la nature complexe des pêcheries par la mise en évidence de la multitude des déterminants qui les structurent. Dans la pratique, ils étaient justifiés par la nécessité d’identifier les causes des dysfonctionnements dont le monde halieutique malien était victime depuis plus de quinze ans et d’y porter remède. C’est sur ces travaux, dont les objectifs détaillés, la méthodologie et les résultats sont exposés dans de nombreuses publications (Quensière, 1994a), que nous nous appuierons ici pour illustrer la notion de résilience développée ci-dessus.
2. Les pêcheries du Delta Central du Niger au Mali
17Le Delta Central du Niger, vaste plaine d’inondation de quelque 300 000 km2, est un haut lieu de production halieutique (fig. 1). La pêche y est assurée par deux groupes ethniques, les somonos, anciens bateliers au service des empires qui leur ont accordé des droits de pêches fluviales pour services rendus, et les bozos [10], autre ensemble socio-ethnique, initialement des chasseurs-cueilleurs et occupants de longue date des zones inondables (Kassibo, 1992). Les bases de la gestion, progressivement établies par la tradition bozo et qualifiées par Fay (1989) de « relation mystico-lignagère », reposent sur un partage de l’espace halieutique en terroirs attribués initialement aux lignages fondateurs. Comme c’est fréquemment le cas en matière de pêches continentales, la gestion coutumière n’est pas établie sur des quantités (autorisées, pêchées, pêchables), mais sur des droits d’accès, combinaison d’une maîtrise territoriale (issue de la tradition de première occupation ou des réattributions par les puissances impériales), de statuts spécifiques et de règles de fonctionnement, de préservation et de redistribution des ressources.
Figure 1 : Situation géographique du Delta Central du Niger
![Figure 1 : Situation géographique du Delta Central du Niger](./loadimg.php?FILE=RIED/RIED_235/RIED_235_0029/RIED_235_0029_0001.jpg)
Figure 1 : Situation géographique du Delta Central du Niger
18Le statut de pêcheur, légitimé par l’appartenance à un lignage, donne droit d’exploitation sur le terroir lignager sous le contrôle d’un maître des eaux (dyituu), dont l’autorité résulte du statut d’intercesseur auprès des génies maîtres des ressources naturelles : « Ce maître d’eau reconduit annuellement par des sacrifices appropriés le pacte initial avec les génies, fixe les conditions générales de la pratique halieutique (dates des mises en défens et des grandes pêches collectives, interdiction de certaines pêches en certains lieux, rejet des alevins dans l’eau…) » (Fay, 1994). « La logique “territoriale” ainsi mise en place est investie par la logique “halieutique” antérieure (tissée d’identités techniques, lignagères et mystiques) autant qu’elle la soumet » (Fay, 1994) d’autant que les lignages propriétaires fonciers n’épuisent pas le monde des pêcheurs. Certains bozos sont des pêcheurs « sans terroir de pêche ». Ceux-là sont donc contraints d’aller pêcher les terroirs des autres, ce que la coutume rend possible moyennant un défraiement ou plutôt un « don en échange », correspondant au tiers des captures : le manga-ji ou « la part de l’eau » (Daget, 1956 ; Fay, 1991).
19Ces pratiques traditionnelles, efficaces et évolutives se sont établies progressivement par essais et erreurs, conflits et arbitrages. Fortement ancrées dans la culture identitaire des groupes concernés, elles reposent sur une observation très fine de la nature, de ses répétitions saisonnières et de ses irrégularités interannuelles, crues et inondations, mais aussi des comportements des différentes espèces de poissons de leurs abondances, de leurs reproductions et de leurs habitats respectifs. Ces savoirs intègrent l’adaptabilité des espèces nilotiques [11] à l’instabilité chronique de leurs milieux aquatiques par la fantastique diversité d’ajustements physiologiques et comportementaux qu’elles sont capables de déployer pour leur survie (Quensière, 1994b, p. 72). Ces pratiques, formalisées pendant la période de la Dina [12] pour être intégrées aux autres activités productives du Delta Central en un tout fonctionnel, ont autorisé sans heurts durables et sur de longues périodes l’activité halieutique et son intensification, l’extension des marchés et l’introduction des engins manufacturés (Quensière, 1994c). Elles ont été respectées pendant toute la période coloniale comme beaucoup d’autres aspects du droit coutumier malien en milieu rural (Daget, 1949).
3. La crise de la pêche et ses causes
20À l’Indépendance, en 1960, l’avènement d’un gouvernement socialiste conduisit à l’établissement d’un train de mesures destinées à accroître l’égalité des citoyens et la pratique démocratique. C’est ainsi que le nouvel État malien abolit la « tradition », vieille pratique jugée désuète et désormais incompatible avec un État moderne et progressiste, du fait des nombreux privilèges, préséances, dérogations sur lesquels elle s’appuyait. Il s’agissait de moderniser le Mali en s’inspirant des pays économiquement avancés. Il s’agissait d’adopter les principes du nouveau paradigme de la théorie « rationnelle » des pêches basées sur des modélisations simplificatrices censée prévoir l’exploitation optimale des ressources halieutiques (Ricker, 1954 ; Beverton et Holt, 1957). Ainsi, les fleuves, les lacs et les autres collections d’eau sont nationalisés, et la gestion des pêches, désormais centralisée et confiée à la recherche scientifique, est garantie par la vente de permis donnant accès à toutes les eaux du nouveau domaine de l’État.
21Ces décisions paraissent rester sans influence aucune sur la dynamique locale du secteur halieutique. Le monde de la pêche deltaïque poursuit ses activités sans perturbations majeures pendant plus de dix ans. Mal informés par l’administration, les pêcheurs continuent d’exercer les pratiques anciennes basées sur le partage de l’espace halieutique en finages attribués aux différents lignages. Les nouvelles taxes afférentes aux permis de pêche, voire aux infractions, sont acquittées comme un simple impôt nouveau.
22De son côté, l’État ne conforte en rien ses choix de gestion. Les études halieutiques ne sont pas financées, les chercheurs ne sont pas formés, les quantités exploitables ne sont pas définies, les tonnages débarqués ne sont pas enregistrés par l’État, l’estimation des efforts de pêche déployés n’est pas même envisagée. Aucun autre contrôle que le paiement des taxes n’est réellement mis en place. L’instauration d’un code des pêches semble donc n’avoir d’autres conséquences que les pénalités qu’elle autorise.
23Survient alors la sécheresse des années 1970. Un tel épisode d’aridité est loin d’être surprenant pour les populations sahéliennes (fig. 2), les sécheresses font partie des aléas familiers, prévus et compensés par des dispositions particulières. Ainsi, en milieu pêcheur, lorsque les inondations sont moins fortes et que les terroirs les plus excentrés ne sont plus fertilisés par les crues, les pêcheurs défavorisés vont pêcher les territoires de pêche de leurs voisins plus avantagés moyennant la compensation évoquée précédemment, le manga-ji.
Figure 2 : Illustration de l’instabilité climatique récurrente de la région sahélienne
![Figure 2 : Illustration de l’instabilité climatique récurrente de la région sahélienne](./loadimg.php?FILE=RIED/RIED_235/RIED_235_0029/RIED_235_0029_0002.jpg)
Figure 2 : Illustration de l’instabilité climatique récurrente de la région sahélienne
24Pourtant, en totale rupture avec les très nombreuses périodes arides, souvent beaucoup plus sévères que celles que le Delta Central a précédemment traversées, la sécheresse des années 1970 provoque dès son installation une très grave crise au sein du système pêche. Des différends entre pêcheurs éclatent en plusieurs régions et se généralisent rapidement sur toute la zone de pêche, entraînant des affrontements violents allant jusqu’à la mort d’hommes. La résilience dont faisait preuve le système a complètement disparue devant les effets d’un phénomène climatique pourtant bien connu et précédemment bien maîtrisé. L’organisation du monde halieutique jusque-là exemplaire s’est éteinte pour faire brutalement place à un désordre meurtrier.
3.1. Une résilience ancienne et avérée
25Si la résilience qualifie la capacité à s’adapter à des perturbations fortes et imprévues, alors, jusqu’à cette dernière période de sécheresse, le système pêche du Delta Central fait preuve d’une résilience forte et avérée. Il suffit pour s’en convaincre d’évoquer l’importance et la diversité des perturbations que la région a connues depuis le xixe siècle, par exemple :
- Des chocs politiques majeurs, avec l’instauration de la Dina, qui vient supplanter l’autorité de Ségou en 1818 ; la chute en 1862 de cet Empire théocratique peuhl du Maacinaa, qui a organisé les territoires et les secteurs d’activité de tout le Delta ; l’installation de l’empire toucouleur d’El Hadj Omar Tall, puis la colonisation française en 1893 (Fay, 1989 ; Kassibo, 1994) ;
- Des chocs économiques importants, tels que l’abrogation des économies de troc et la monétarisation des échanges, la sécurisation des transports et le développement des marchés, tout particulièrement des marchés d’exportation jusqu’au Ghana, le développement des ventes sous glace et des produits transformés (Baumann, 1992 ; Laë et Weigel, 1994) ;
- Des chocs technologiques fondamentaux, avec l’introduction des hameçons forgés d’importation, des fils et cordages manufacturés, de coton et de chanvre, puis de nylon imputrescible, des nappes de filet préfabriquées, et les gains de temps considérables que ces innovations apportent (Fay, 1994 ; Laë et Weigel, 1994) ;
- Des événements climatiques majeurs, dont plusieurs épisodes de sécheresse au cours du XXe siècle (1910-1916, 1921, 1940-1945) (Rognon, 1991 ; Olivry, 1994 ; Ferry et al., 2012).
27Aucun de ces événements ne perturbe profondément le système d’exploitation mystico-lignager (Fay, 1989 ; Kassibo, 1994) qui s’est progressivement développé. Ainsi que l’observe Jacques Daget dans les années 1940, l’ensemble des différentes mutations qu’a connu la région n’a fait que fortifier un système productif efficace et respectueux de la préservation et de la valorisation de ses richesses naturelles.
28En effet, au cours du temps, de nombreux processus adaptatifs se sont développés à différentes échelles d’organisation du système pêche. Ainsi, les espèces de poissons de la faune nilotique (Daget, 1954 ; Daget et Durand, 1981) entretiennent une grande diversité de stratégies de survie [13] pour se maintenir dans des milieux fluviaux lacustres sahéliens sujets à des variations saisonnières marquées, conjuguées à de fortes instabilités interannuelles, certaines espèces étant aptes à résister pendant plusieurs mois, voire plusieurs années, à un assèchement total (Quensière, 1994b, p. 72).
29Des organisations adaptatives comparables ont été développées par les sociétés de pêcheurs, aussi bien au niveau individuel (diversification des modes de pêche, diversité des productions familiales) qu’à l’échelle des villages (solidarités, redistributions, invitations réciproques aux levées de défens et pêches de mares résiduelles échelonnées au cours de la saison sèche) (fig. 3), qu’à l’échelle des régions du Delta (accueil d’étrangers au lignage et manga-ji) ou encore du Delta dans son ensemble, avec un ajustement étroit des applications locales, par les dyituu, des règles partagées et de leurs évolutions, tant dans l’exercice halieutique que dans l’articulation de la pêche avec les autres activités productives du Delta (élevage, agriculture, transport, commerce).
3.2. La destruction d’un système et de sa résilience
30Avec une telle diversité d’outils adaptatifs, pourquoi les choses changent-elles brusquement avec la sécheresse de 1970 ? Les causes de la crise, qui ont été soigneusement analysées par le projet d’études pluridisciplinaires des pêches du Delta Central du Niger (Quensière, 1994a), peuvent être rapidement résumées ici.
31On sait que, depuis l’Indépendance, la gestion des pêches n’est plus assurée par un code traditionnel longuement débattu, consensuel et respecté par tous puisque le gouvernement socialiste l’a abrogé.
32Pourtant, dans les faits, ce code continue de fonctionner pendant la période d’abondance des années 1960 où les fortes crues correspondent à de fortes inondations et une profusion de captures (fig. 3). D’autant que le nouveau code des pêches, mal diffusé et mal explicité auprès des pêcheurs, n’est pas opérationnel. Pour mémoire, les savoirs scientifiques sur lesquels devait s’appuyer la réglementation des pêches ne sont ni financés ni obtenus ; la pêche n’est pas étudiée et le droit positif, moderne, qui devait établir dans l’intérêt général la meilleure exploitation de richesses halieutiques désormais nationalisées, se limite à un impôt supplémentaire, la taxe de pêche.
Figure 3 : Pêche collective dans le Delta Central du Niger
![Figure 3 : Pêche collective dans le Delta Central du Niger](./loadimg.php?FILE=RIED/RIED_235/RIED_235_0029/RIED_235_0029_0003.jpg)
Figure 3 : Pêche collective dans le Delta Central du Niger
33Néanmoins, cette nouvelle réglementation, aussi inopérante qu’elle soit, rend désormais caduque, parce que contestable, la règle traditionnelle que le monde de la pêche avait longuement mûri (Kassibo, 1994). Lorsque la sécheresse s’installe et que les terroirs périphériques ne sont plus enrichis par la crue du fleuve, il devient facile pour les pêcheurs migrants, comme pour ceux dont les finages ne sont plus inondés, de réfuter les droits de propriétés des clans chez qui ils vont pêcher. Ils sont en droit de refuser le paiement de toute taxe traditionnelle en invoquant la liberté de pêcher en tous lieux que leur confère la possession du nouveau permis de pêche.
34Si les fondements religieux et sociaux de la gestion coutumière conservent une présence culturelle très forte, le désordre produit par la superposition de deux réglementations contradictoires apparaît d’autant plus clairement que les gardes-pêche (agents du gouvernement), au lieu de faire appliquer le droit moderne, jouent des conflits pour en tirer de substantiels avantages financiers personnels (Fay, 1994, p. 204).
35Cette relation des événements, nécessairement simplifiée, n’apporte pas toutes les explications que l’on pourrait souhaiter. Certes, la réforme gouvernementale a fait disparaître, avec la gestion traditionnelle, certains des mécanismes qui viennent d’être invoqués, mais pas tous, tant s’en faut. Alors, pourquoi un système productif éprouvé, qui a résisté par le passé à tant d’épreuves, peut être totalement désorganisé par une mauvaise crue ? C’est que, jusque-là, les perturbations, aussi fortes soient-elles, ne concernaient que des changements de l’environnement du système, pas le système lui-même. La succession des empires a modifié « l’environnement politique » des pêcheries (Fay, 1989 ; Kassibo, 1994). L’arrivée d’une monétarisation puis d’une économie de marché a modifié leur « environnement économique » (Kassibo, 1988 ; Fay, 1994 ; Baumann, 1992). L’introduction, puis l’usage de plus en plus intensif de technologies et de matériaux étrangers, ont modifié leur « environnement technique » (Laë et Weigel, 1994). Enfin, les changements climatiques récurrents de la région sahélienne ont conduit à des changements de « l’environnement naturel » de ces pêcheries. Tous ces facteurs ont également contribué à modifier leur « environnement productif », mais à aucun moment une quelconque perturbation n’est venue modifier directement la logique de fonctionnement du système pêche tel qu’il s’est progressivement installé et complexifié (Kassibo, 1994). Or modifier la logique d’un système en intervenant directement sur ses règles ne peut que conduire à sa destruction.
36À l’Indépendance, les choix de l’État socialiste sont cohérents. La théorie moderne des pêches constitue alors la norme internationale de la gestion halieutique. Centralisatrice, elle apporte une caution scientifique aux choix politiques de nationalisation. Ces choix visent à réformer l’ordre ancien pour en faire disparaître les privilèges transmis à travers les générations, vieux système que tout oppose à la « modernité » : il limite les droits d’accès (statutaires) alors que le nouveau code repose sur des quantités à partager entre tous ceux qui ont accepté d’acquitter les taxes ; ces quantités, censées être définies par la science, permettent un contrôle a priori, alors que la tradition est basée sur une surveillance permanente de la qualité des pêches (tailles, abondances, richesses spécifiques) ; ainsi la tradition est basée sur une surveillance locale et contingente des droits, méthodes, engins utilisés, alors que la théorie des pêches, d’essence purement statistique, ne peut être que globale et généralisatrice [14].
37 L’adoption par l’État d’une gestion en totale opposition avec le système précédent ne pouvait que provoquer l’effondrement de ce dernier. La perte de résilience des pêcheries artisanales n’est donc en aucune façon fortuite.
38 Le mal aurait pu n’être que transitoire si, comme il l’avait annoncé, l’État avait installé une autre logique basée sur les principes égalitaires et statistiques de la théorie moderne des pêches, mais rien n’est entrepris dans ce sens.
4. Le retour à un système halieutique coopératif
39Au début des années 1990, les désordres que connaissent les pêcheries artisanales du Delta Central ont profondément altéré les règles anciennes de gestion, sans pour autant les faire disparaître. Les responsables en situation de contrôle dans la pratique halieutique (maîtres d’eau, propriétaires de pêcheries, chefs de villages) ont vendu leurs charges ou les monnaient à chaque occasion. Les représentants de l’État, confrontés à des missions contradictoires, sont si fortement impliqués dans la perception de tributs qu’il convient, comme le souligne Claude Fay, d’analyser la corruption qui règne dans les pêcheries davantage « comme un phénomène de société que comme l’objet de jugements moraux qui rassurent mais n’expliquent rien ». « La “tradition” prend forme et contenu par rapport aux enjeux présents, alors que ce sont les théories d’“État”, cette fois, qui veulent la penser comme passée. Ce qui donne lieu à des cascades de malentendus » (Fay, 1994, p. 204).
40Avec le temps, la confusion et le désordre s’accroissent, on en vient à s’interroger sur la capacité des communautés de pêcheurs à renouer avec une gestion locale responsable qui semble pourtant la seule issue de la crise. Pour répondre à cela, une expérimentation était nécessaire.
41En 1992, l’administration malienne accepta que l’équipe du projet réalise un test (Tounkara et Quensière, 1996) qui consistait à proposer, pour une durée de cinq ans, à des communautés de pêcheur de deux zones de pêche deltaïques importantes (560 km2 et 775 km2) un affranchissement complet de tout contrôle administratif, sous réserve qu’ils développent eux-mêmes des procédures de gestions, éventuellement inspirées de leurs traditions, mais conformes aux principes démocratiques du nouvel État de droit malien : élections de comités de gestion des pêches, régulation de l’accès aux pêcheries, recensement des pêcheurs, collecte de l’impôt, etc. D’après ce contrat, tout différend non arbitré devait conduire à la suspension immédiate de l’expérience et à la remise sous tutelle de la communauté.
42Bien que les deux zones choisies pour ce test soient de longue date les plus riches en conflits récurrents accompagnés de pertes de vies humaines et de procédures judiciaires, l’expérience se déroula sans heurts (Quensière et Poncet, 2000). Les conflits furent arbitrés localement et les impôts et taxes furent payés régulièrement. En outre, les pêcheurs firent preuve d’initiatives non prévues dans le test, comme la création de structures solidaires : tontines, coopératives, achats groupés d’intrants, etc. (Breuil, 1996).
4.1. Une réorganisation halieutique favorisée par les événements politiques
43La chance des pêcheries du Delta Central du Niger est que l’arrivée de ces observations concorde avec le coup d’État de 1991 et l’avènement d’un régime démocratique qui a conduit à une analyse de toutes les pratiques administratives, sociétales et citoyennes du précédent régime. La Conférence nationale (juillet-août 1991), les États généraux du monde rural (décembre 1991) et le règlement (hélas provisoire) du problème touareg ont montré une volonté nationale de clarifier le rôle de l’administration, de responsabiliser la société civile, de redynamiser les secteurs ruraux et, finalement, de décentraliser.
44C’est par le biais de cette décentralisation et sur les bases des conclusions et recommandations du projet d’étude pluridisciplinaire des pêches du Delta Central du Niger, qu’il a été possible de proposer, grâce une nouvelle fois à la collaboration du service des pêches, un nouveau code des pêches (Breuil et Quensière, 1995 ; Breuil, Quensière et Cacaud, 1996 ; Quensière, 1996) dont l’un des principaux effets est d’avoir permis la dévolution des droits de gestion locale aux pêcheurs par la définition des territoires communaux [15] (Cissé et Morand, 2007). Les zones de pêche collective sont alors créées « sur la base de conventions locales entre les organisations professionnelles de pêcheurs et les chefs traditionnels de pêcheries, en collaboration avec les représentants de l’État et les collectivités territoriales ». Elles font l’objet de conventions locales établies entre les organisations professionnelles de pêcheurs et les chefs traditionnels, et sont avalisées a priori par les autorités de tutelles dont relève chaque zone de pêche (loi no 2014-062 du 29 décembre 2014).
45Ces diverses dispositions – ainsi qu’un retour à des crues meilleures à partir de 1994 – sont à l’origine d’une atténuation des conflits grâce à des règles stables définies avec la participation des pêcheurs, mais aussi d’un retour à une paix sociale et à une réduction des tracasseries administratives. Elles ont aussi contribué, d’après l’avis des pêcheurs eux-mêmes, à leur rendre une dignité perdue par la prise en compte, par l’État et son administration, de leurs compétences et de leur sens des responsabilités (FAO, 2002).
46Il semble donc, depuis les réformes entamées en 1996, que les pêcheries du Delta Central aient pu reconstituer de nouveaux systèmes cohérents fondés sur des savoirs écologiques et sociaux partagés, où l’administration aurait trouvé une place (Bagayoko et al. 2017). Les désordres politico-sécuritaires déplorés depuis 2012 semblent montrer la résilience de ces nouveaux systèmes puisque, si la rébellion a chassé l’administration, la zone fluviale peu prisée des rebelles touaregs est récemment devenue la plus sûre et la plus prospère de la région, avec un accroissement considérable du transport fluvial et des activités économiques qui lui sont associées.
Conclusion
47Dans le cadre des débats sur la résilience, l’histoire des pêcheries du Delta Central présente l’intérêt d’aborder une résilience réelle qui n’est ni une métaphore, ni une expérience de pensée, ni une hypothèse possible (Brand et Jax, 2007). La résilience du système pêche du Delta Central du Niger a bien existé et s’est exercée pendant une longue période pour assurer durabilité et équité à l’activité halieutique (Kassibo, 1994). Elle a été détruite par l’introduction malheureuse d’un modèle de gestion halieutique inadapté à la réalité locale et s’est reconstituée grâce au savoir-faire des artisans pêcheurs. Elle semble s’être reconstruite avec l’émergence de nouveaux systèmes pêche intégrant à nouveau l’administration à l’instar de la période coloniale (Kassibo, 1994, p. 93).
48On constate ainsi que, contrairement à ce que prétendent faire de nombreuses officines dédiées à « l’aide », on n’est pas confronté ici à l’illustration de « siècles de gestion inefficace et de passivité fataliste face aux caprices de la nature [16] » (UNISDR, 2002 ; UNISDR, 2005). Il est donc saugrenu de chercher dans les pays du Sud à « aider les gens à s’aider eux-mêmes [17] » (PNUD, 2004 ; Reid, 2012) alors qu’ils le faisaient très bien avant que leurs systèmes de production ne soient déstructurés au nom d’une prétendue « modernité », ici, une fausse efficience halieutique (Revèret, 1991 ; Quensière, 1993, 1994c). On peut alors s’interroger sur la pertinence de lier la résilience à la nécessité d’un apprentissage qui serait maîtrisé par les pays du Nord (Duffield, 2012 ; PNUD, 2004) puisque, si la résilience du système pêche malien disparaît dès le début de la sécheresse de 1970, ce n’est pas par l’émergence de soudaines incompétences [18], ni parce qu’il serait confronté à un phénomène imprévisible issu d’un environnement fluide, instable, insaisissable, d’un « état de nature » où toute anticipation serait vouée à l’échec (Chandler, 2013). D’ailleurs, cette aptitude à l’auto-organisation ne demandait qu’à s’exprimer à nouveau, comme l’ont montré les tests que nous avons réalisés (Quensière et Poncet, 2000).
49Si la résilience ne se construit pas, puisqu’elle constitue un mécanisme essentiel de la dynamique des systèmes complexes, elle peut en revanche être détruite ou renforcée par des décisions défavorables ou favorables à l’auto-organisation de ces systèmes. Dans l’exemple du système pêche du Delta Central du Niger, cette auto-organisation est issue d’une dynamique sociale développée autour de savoirs empiriques avérés et d’enjeux partagés. Des mécanismes robustes, intégrant les contraintes et imprévisibilités naturelles des ressources et du climat ont été progressivement construits par concertation, conflits maîtrisés, collaborations, prévention des défiances et des intérêts personnels. Ces mécanismes, qui avec le temps ont pu s’enraciner profondément dans la culture et les croyances partagées, sont parvenus à établir les règles nécessaires à une exploitation durable des richesses naturelles disponibles. Ce qu’aucune expertise actuelle proposant le mieux-être économique et social à partir de quelques projets courts et prétendument bien ciblés ne sera jamais capable de faire.
Notes
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[1]
Reprenant ainsi un concept développé par Eugène P. Odum dans son célèbre ouvrage Fundamentals of Ecology (1953).
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[2]
Voir entre autres Carpenter et al. (2001) ; Gunderson et al. (2002) ; Pinel (2009).
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[3]
« Il n’en reste pas moins que le monde change toujours » (traduction des auteurs).
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[4]
C’est à dire les perturbations et chocs environnementaux.
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[5]
« Les systèmes auto-organisateurs ne se nourrissent pas seulement d’ordre, ils trouvent aussi du bruit à leur menu… Il n’est pas mauvais d’avoir du bruit dans le système. Si un système se fige dans un état particulier, il est inadaptable, et cet état final peut tout aussi bien être mauvais. Il sera incapable de s’ajuster à quelque chose qui serait une situation inadéquate » (Von Foerster, 1960, cité par Atlan, 1972).
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[6]
Comme les flux d’information, de matière ou d’énergie qui, en traversant le système, en assurent le fonctionnement.
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[7]
Rappelons que le courant scientifique de la soutenabilité (Kates, Clark et al., 2001) ainsi que nombre de réseaux [Resilience Alliance (www.resalliance.org), Global Scenario Group (www.gsg.org), initiative des Sciences de la soutenabilité (http://sustainabilityscience.org), RASE, LTER, OHM, LTSE…] s’appuient sur les théories de la complexité pour traiter du concept de système socio-écologique (voir Walker et al., 2002 ; Berkes et al. 2003 ; Ostrom, 2007 ; Ostrom et al., 2007) et de ses diverses déclinaisons.
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[8]
Également qualifié de Delta intérieur du Niger.
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[9]
Projet Orstom d'études pluridisciplinaires des pêches du Delta Central du Niger.
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[10]
Les bozos, ainsi dénommés par les Bambaras, se répartissent en trois sous-groupes qui se nomment eux-mêmes tié, sorogo et kélinga.
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[11]
La faune ichtyologique du Niger est partagée par les bassins sahéliens du Nil, du Soudan, du Tchad (Chari, Logone) et du Sénégal. Autant de milieux aquatiques d’une grande variabilité saisonnière et interannuelle du fait de la grande instabilité climatique de la frange saharienne.
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[12]
Empire théocratique peuhl du Maacinaa établi en 1818 par le triomphe de Cheikou Hamadou sur les Ardos, alliés de Ségou.
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[13]
Aussi nommées « stratégies adaptatives », combinant migrations, résistances aux mauvaises conditions de survie (anoxie, turbidité, température, mortalités…) et changement de stratégies reproductives (Bénech et Quensière, 1989).
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[14]
Ces différences s’avèreront rapidement être les causes de l’inaptitude de cette théorie (Larkin, 1977).
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[15]
Loi no 96-050 du 16 octobre 1996.
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[16]
Lallau, 2014.
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[17]
« Helping People to Help Themselves », rapport sur le développement dans le monde, The World Bank, 2001.
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[18]
Voire d’une soudaine irresponsabilité des pêcheurs, comme se plaisait à le dire l’administration malienne au début des années 1980 (Quensière, 1994a).